0229 Sortir du placard et se prendre les pieds dans le tapis.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 21-05-2020 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0229 Sortir du placard et se prendre les pieds dans le tapis.
Après deux heures de sommeil à peine, je me réveille une nouvelle fois à coté de mon Jérém. Le bobrun émerge presque en même temps que moi. Sa proximité virile m’excite, la trique du matin me guette. Son torse nu et poilu me rend dingue. Sa queue pas tout à fait réveillée ni tout à fait endormie est une promesse sensuelle à laquelle j’ai envie de croire.
« Il est quelle heure ? ».
« C’est l’heure que je te suce ».
« Nico… ».
Je me glisse sous les couvertures et je prends mon bobrun en bouche. Et ses réticences s’évaporent en même temps que sa queue se raidit : c'est-à-dire, presque instantanément. Comme toujours, je ne peux pas le laisser partir sans lui faire une dernière gâterie pour qu’il se souvienne de moi. Je ne peux pas le laisser partir sans goûter une dernière fois à son jus viril, alors que je ne sais pas quand je vais y goûter à nouveau. Alors, je m’évertue à lui offrir un dernier orgasme.
Le temps nous est compté, je suis obligé de précipiter sa jouissance. Et je reçois avec bonheur de nombreuses giclées bien chaudes, bien fortes.
Pendant que Jérém est à la douche, j’entends papa m’appeler depuis le séjour.
« Il est à quelle heure le train de Jérémie ? ».
« 7 h 45 ».
« Et il y va comment à la gare ? ».
« A pied, je crois ».
« Il ne va jamais avoir le temps ».
« Je lui dis de se dépêcher ».
« Déjeunez tranquilles, je vais le déposer en voiture en allant au travail ».
Pendant que nous prenons le petit déjeuner, papa fait démarrer la voiture au garage.
« Je ne veux pas vous presser les gars, mais il se fait tard » il vient nous annoncer.
« On arrive ».
« Je t’attends dans la voiture » il lui lance, en disparaissant derrière la porte du cellier.
« Au revoir Jérémie, tu reviens quand tu veux » fait maman en se levant de sa chaise avec son café à la main.
« Merci pour tout madame ».
J’adore ma maman. C’est grâce à son tact que je peux donner un dernier bisou à mon Jérém avant de nous quitter à nouveau.
J’ai décidé que je ne rentrerai à Bordeaux que demain, mardi. Aujourd’hui, je vais aider maman à terminer le ménage, et demain je n’ai cours qu’à 14 heures.
Dans l’après-midi, nous allons rendre visite à Elodie. Le diagnostic pour son tympan se confirme. Elle aura une perte de l’audition. Mais elle est toujours de bonne humeur.
Pendant le retour vers la maison, maman me parle de Jérémie et de moi.
« J’ai l’impression que ça se passe vraiment bien entre vous ».
« C’est génial en ce moment, c’est vrai ».
« Tu es heureux ? ».
« Très heureux ».
« Alors je le suis aussi. J’aime bien ce gars. Et ton père l’apprécie aussi ».
Pendant tout le reste de l’après-midi, une idée tourne en boucle dans ma tête. Et si… le moment était venu ? C’est une idée qui me remplit à la fois d’excitation, de bonheur et de peur.
Papa ne rentre qu’en toute fin d’après-midi. Après le dîner, j’entends maman lancer :« Je suis vraiment vannée ».
« Le week-end a été long » reconnaît papa « mais l’important c’est qu’on soit tous vivants et entiers ».
« C’est bien vrai » confirme maman « la santé de ceux qui comptent pour nous est le plus important, tout le reste, ce n’est que détail ».
« Je suis juste triste pour Elodie » je fais.
« Oui, c’est triste mais elle s’en remettra. Désormais elle n’est plus seule. Je suis contente qu’elle se marie ».
« Au fait, tu as des nouvelles du frère de ton pote ? » me questionne papa.
« Il semblerait qu’il n’y ait pas de blessures plus graves, il devrait s’en sortir avec du repos ».
« Très bien, très bien. En tout cas ton pote Jérémie est vraiment sympa. C’est un gars très bien élevé et très passionné par ce qu’il fait. Il va faire une belle carrière je pense. C’est quelqu’un de remarquable. Je suis admiratif de son parcours ».
Pendant que papa me parle de Jérém en ces termes élogieux, l’idée qui m’a suivi pendant tout l’après-midi me rattrape. Au fil de ses mots, je sens monter en moi l’adrénaline, le courage, la peur, l’élan, l’angoisse, l’envie de lui dire la vérité. C’est maintenant ou jamais, Nico.
« Papa il faut que je te dise quelque chose » je m’entends lâcher, comme si ces mots sortaient d’ailleurs que de ma bouche, alors que mon cœur tape à grands coups de massue dans ma poitrine.
« C’est quoi que tu veux me dire ? » fait papa distraitement, les yeux rivés sur la télé.
Du coin de l’œil, je vois maman en train de retenir son souffle.
« Alors ? » s’impatiente papa.
« Tu sais, Jérémie et moi… nous ne sommes pas que des anciens camarades de lycée ».
« Vous êtes amis ».
« Pas seulement ».
« Et vous êtes quoi ? » il me demande sèchement, en changeant d’expression, le regard soudainement posé sur moi, un regard lourd et inquiet.
« Nous sommes ensemble, papa ».
« Ensemble comment ? ».
Maman reste toujours en retrait, on dirait qu’elle surveille l’action sur la ligne de but, les cartons jaunes et rouges cachés dans sa jupe, prête à intervenir comme un arbitre au premier dérapage.
« Ensemble comme deux garçons qui s’aiment » je trouve la force de lui annoncer.
« Mais qu’est-ce que tu racontes ? ».
« J’aime ce gars et il m’aime aussi ».
Papa se tait, le regard dans le vide. Son silence se prolonge et devient de plus en plus insupportable.
« Tu ne dis rien, papa ? ».
« Ça fait un moment que je me pose des questions sur toi » il finit par lâcher « jamais tu nous as présenté une nana… ».
« Je n’ai jamais été attiré par les nanas ».
« Mais ce mec… un gars qui fait aussi mec, qui fait du rugby, jamais je n’aurais cru… ».
« Dans le rugby aussi il y a des gays ! ».
« N’importe quoi, le rugby est un sport de mec, de vrais mecs ».
« Bien sûr qu’il y en a. Et ce n’est pas parce qu’ils sont gays qu’ils ne sont pas des bonshommes ».
« En tout cas, il cache bien son jeu ce salaud » il continue sur sa lancée, sans prêter la moindre attention à mes mots.
« Ce n’est pas un salaud ! ».
« Si, c’est un menteur, alors c’est un salaud ! ».
« Il ne t’a pas menti ! Il ne t’a juste pas parlé de sa vie intime ! Est-ce que tu lui as parlé de la tienne ? ».
« Tais-toi, Nico, tais-toi ! ».
« Tu l’appréciais quand tu croyais qu’il était hétéro, pourquoi tu lui craches dessus maintenant que tu sais qu’il est gay ? ».
« Parce que ça me dégoûte. Je l’ai accueilli sous mon toit, j’ai partagé des repas avec lui, je l’ai même déposé à la gare ce matin. Je, je lui ai serré la main. Je croyais que c’était un gars bien ».
« Mais c’est un gars bien ! ».
« J’espère que vous n’avez pas fait de saloperies sous mon toit » fait-il, l’air complètement révolté.
« Papa… ».
« Alain ! » fait maman.
« Plus jamais tu ne le ramènes ici, ni lui, ni n’importe quel autre gigolo dans son style, compris ? ».
« Ce n’est pas un gigolo, c’est un gars adorable ».
A cet instant précis, je suis assommé. Mon coming out après de mon père tourne au désastre. Je n’aurais jamais pensé que ça se passerait si mal.
« Vous me faites pitié ! » il fait presque en criant.
« Alain, je ne peux pas te laisser dire ça ! » intervient maman.
« Et tu veux que je dise quoi ? Que je le félicite ? ».
« Je te croyais un peu plus tolérant ».
« Ça me dégoûte, je n’y peux rien ! ».
« Alain, ferme un peu ta gueule, tu racontes que des conneries ! »« Tu savais ? » il lance à maman.
« Oui, mais depuis pas longtemps ».
« Personne ne me dit jamais rien dans cette maison ! ».
« Et pour cause ! T’as vu comment tu réagis ? On dirait qu’il a tué quelqu’un. Il est juste amoureux, bordel ! ».
« T’aurais dû me prévenir ! ».
« Mais te prévenir de quoi ? C’était à lui de te le dire quand il se sentirait prêt ! ».
« Depuis quand ça dure ce cirque ? » il me demande, hors de lui.
« Depuis le mois de mai. Papa, je suis bien avec lui, je suis heureux ».
« Et les nanas ? ».
« C'est pas pour moi ».
« T'as essayé au moins ? ».
« Ça ne me dit rien ».
Papa a l’air vraiment secoué. Maman tente de le calmer avec des arguments imparables.
« Ecoute, Alain, s'il est heureux comme ça, il vaut mieux qu'il s'assume plutôt qu'il se cache et soit malheureux. Nico est un bon gars, il bosse, il n'a jamais fait le con. On n’a rien à lui reprocher, et on ne peut surtout pas lui reprocher d'être lui-même, et de nous dire la vérité. On ne peut pas lui reprocher d’essayer d'être heureux comme il le souhaite ».
Des arguments d’une justesse totale mais qui, à l’évidence, n’ont pas de prise sur la colère aveugle de mon père.
« Moi je pense que c’est ce mec qui t’a retourné le cerveau ».
« Alain ! ».
« Non, je suis comme ça, si ce n’était pas lui ce serait un autre ».
« Tu devrais aller voir un psy pour te faire soigner ».
Soudain, je repense à l’histoire d’Albert, mon proprio. Les années passent, mais les réactions face à l’homosexualité ne changent pas. Je ne peux m’empêcher de me demander si, dans une autre époque, dans une autre position sociale, en ayant la possibilité et les moyens, mon père ne me contraindrait pas moi-aussi à des électrochocs comme l’avait fait le père d’Albert quarante ans plus tôt.
« Mais tu t’entends, Alain ? Ça ne se guérit pas ça, parce que ce n’est pas une maladie. C’est comme ça, un point c’est tout ! ».
« Je n’ai pas choisi de préférer les garçons, c’est quelque chose qui s’est imposé à moi. Juste, un jour je me suis rendu compte que j’étais comme ça et que je ne pouvais pas être autrement ».
« Mais tu te rends compte de ce que ça implique ? ».
« Tu penses à quoi ? » je veux savoir.
« Qu’est-ce qu’ils vont penser dans la famille, les voisins ? ».
« On s’en tape de ça ! » fait maman.
« Tu vas être méprisé, tu vas être malheureux. Les pd se font humilier, tabasser. Et tu n’auras jamais d’enfants. C’est une vie de merde que tu t’offres ».
« Alain, un mot de plus et cette nuit tu dors sur le canapé ! ».
« Je n’ai le droit de rien dire dans cette maison ».
« Si tu as que ça à dire, c’est sûr que non ! Laisse le tranquille. C’est suffisamment difficile de s’accepter, il faut au moins que la famille offre du soutien ».
Papa se lève et part en claquant la porte. J’ai envie de pleurer.
« Ça lui passera, t’inquiète. Ton père est comme ça, il lui faut du temps pour encaisser quelque chose qui le contrarie. Je suis sûr qu’il regrette déjà ses mots et sa réaction » tente de me consoler mon adorable maman.
Papa revient une heure plus tard, alors que je regarde la télé avec maman. Je l’entends trifouiller dans le garage-atelier, sa pièce préférée de la maison. Je n’arrive même pas à suivre le film. Après le générique de fin, maman et moi nous montons nous coucher.
Je passe l’une des soirées les plus tristes de ma vie. Je suis humilié et déçu par la réaction de papa.
Je n’ai jamais été très complice avec papa, qui n’a jamais raté une occasion pour me faire comprendre que je ne suis pas exactement le fils dont il aurait rêvé. Un fils qui ne s’intéresse pas au sport, qui ne marche pas dans ses anciens pas de rugbyman, qui fait des études dans lesquelles il ne croit pas, qui est trop timide, pas assez affirmé. Qui ne ramène pas de nanas à la maison. Et qui, désormais s’affiche en tant que gay.
Une partie de moi savait que mon coming out allait constituer la classique « goutte qui fait déborder le vase » de cette frustration qu’il ressent à mon égard. Mais je n’avais pas prévu que ce soit si violent. Bien entendu, il y a plus violent encore dans le genre réaction face à un coming out.
Je ne me suis pas entendu dire, comme certains « tu n’es plus mon fils », ou « dégage d’ici, cette maison n’est plus la tienne ». Je ne crois pas non plus qu’il va arrêter de payer mes études, je sais qu’il n’oserait pas vis-à-vis de maman, qui en paie une partie elle aussi. Mais ses mots, son agressivité, sa colère m’ont profondément blessé.
Et même si dans certains de ses mots, bien que lancés avec mépris, il semble quand même pointer un souci vis-à-vis de mon bonheur futur (« Tu vas être méprisé, tu vas être malheureux. Les pd se font humilier, tabasser. Et tu n’auras jamais d’enfants. C’est une vie de merde que tu t’offres »), ce premier véritable affrontement avec papa m’a épuisé. Emotionnellement et physiquement. Je suis content d’avoir riposté, d’avoir tenté de lui expliquer, de lui avoir tenu tête sans m’énerver, mais ce court échange m’a mis KO.
Heureusement que j’ai une maman qui prend ma défense et qui m’aime pour celui que je suis et non pas pour celui qu’elle aimerait que je sois.
Allongé dans mon lit, dans le noir, je me sens vidé de toute énergie. Les nerfs en pelote, je n’arrive pas à me calmer.
Je repense à mon Jérém, dont je n’ai pas de nouvelles depuis ce matin. Je repense à sa phrase, prémonitoire, quand je lui ai dit que mon père l’appréciait bien : « Parce qu’il ne sait pas tout ». C’est vrai que maintenant qu’il sait, tout a changé.
Ce soir, j’ai très envie de l’avoir à coté de moi, mais loin d’ici. Je voudrais être à Paris avec lui. Je voudrais pleurer dans ses bras, sentir son amour.
J’attends son coup de fil, tout en le redoutant. J’ai besoin d’entendre sa voix, plus que jamais. Même si je ne sais pas bien ce que je vais lui raconter. Je ne sais pas si j’ai envie de lui expliquer comment mon coming out s’est passé. De lui montrer qu’il a raison, qu’il faut vivre caché pour vivre heureux. Je ne sais même pas si j’ai envie de lui parler, de constater, de subir, de supporter cette distance physique qui me pèse de plus en plus, car je ne sais pas comment je vais pouvoir retenir mes larmes.
Il est presque 23h30 heures lorsque mon portable se met à vibrer dans le noir. Depuis presque une heure, je me suis refugié dans ma chambre, dans le noir. Je me suis allongé sur mon lit, et je n’ai pas fait le moindre mouvement, je n’ai pas produit le moindre bruit. J’ai mis le téléphone en sourdine. J’ai envie de passer inaperçu, de me faire oublier, de disparaître pour ne plus déranger, pour fuir l’hostilité.
J’hésite avant de décrocher, de peur de me faire remarquer, de peur que mes mots traversent les cloisons, qu’ils soient entendus, qu’ils dérangent à nouveau, qu’ils ajoutent du dégoût au dégoût, qu’ils m’attirent une réaction violente. Je ne suis plus à l’aise dans ma chambre, dans ma maison. C’est une sensation dévastatrice. Heureusement que je rentre sur Bordeaux demain matin à la première heure. Si je n’avais pas été aussi fatigué, si j’avais eu ma voiture, j’aurais voulu partir ce soir.
Oui, j’hésite avant de décrocher. Mais j’ai trop besoin d’entendre sa voix.
« Ourson ».
Ah putain, qu’est ce que ça fait du bien d’entendre ce petit mot chargé de tendresse !
« Salut toi. Tu as fait bon voyage ? ».
« Oui, bien. Un peu long, mais ça va ».
« Tu as été aux entraînements ? ».
« J’ai fait de la muscu cet après-midi ».
Comme toujours, le simple fait d’imaginer mon bobrun en débardeur, en train de soulever de la fonte, la peau moite de transpiration, suffit à provoquer en moi d’intenses frissons.
« Et toi, tu as fait quoi ? ».
« Je suis retourné voir ma cousine ».
« Comment ça se passe pour elle ? ».
« Toujours pareil, les médecins disent qu’elle va perdre l’audition d’une oreille ».
« Merde, je suis désolé ».
« Elle… elle… elle… » je tente de poursuivre la conversation.
Mais quelque chose se bloque en moi. Soudain, j’ai la gorge nouée. Je n’arrive plus à parler. J’ai trop envie de pleurer.
« Ça va, toi ? » je l’entends me lancer.
« Oui, oui ».
« Ça n’a pas l’air. Qu’est-ce qui se passe ? ».
« J’ai parlé à papa ».
« De… nous ? ».
« Oui… ».
« Et ça s’est pas bien passé… ».
« Non… ».
« Il a mis ma tête à prix ? » il se marre.
« Il a eu des mots très durs… ».
« Je t’avais prévenu, Nico… ».
« Je sais, mais un jour il fallait que ça se fasse de toute façon. Et quand j’ai vu que vous vous entendiez si bien, j’ai cru que ce serait plus facile ».
« Il a été vraiment très dur ? ».
« Oui ».
« Il t’a pas foutu à la porte quand même… ».
« Non, pas pour l’instant ».
« Je suis désolé, vraiment ».
« Je voudrais être avec toi ».
« Moi aussi ».
« Tu penses qu’il va garder ça pour lui ? ».
« Oui, je crois. Il a trop peur de ce que le gens peuvent dire ».
« Moi aussi, j’ai peur de ce que les gens peuvent dire. Parce que la plupart des gens sont très cons vis-à-vis de ça. Et je ne veux pas que cette connerie gâche ma vie et mes projets ».
« Ça veut dire qu’on n’a pas le droit d’être nous même si on veut s’intégrer à cette société… ».
« C’est ça, malheureusement ».
« Ça veut dire que la société nous dicte nos comportements et elle nous oblige à nous cacher ».
« Malheureusement ».
« Cette société ne me convient pas alors. Il faut la changer ».
« On ne peut pas batailler sur tous les fronts. On s’épuiserait à la tâche et on n’arriverait à rien. Soit on poursuit nos projets en gardant les apparences, soit on fonce dans le tas en prenant un gros risque de se casser les dents ».
« C’est horrible de devoir vivre avec ça ».
« L’important, c’est ce qu’il y a entre nous. Et ça ne regarde pas les autres, même pas ton père. Je sais que si je parlais de ça au mien, je ne le reverrais plus jamais ».
« Ça te suffit à toi de devoir vivre caché pendant toute ta vie ? ».
« On n’a pas le choix ».
En raccrochant d’avec Jérém, je suis tout aussi triste, voire davantage, qu’avant son coup de fil. Je me sens étouffer, je ne me sens pas à ma place dans ce monde qui refuse une différence sans jamais expliquer le pourquoi de ce refus. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi l’amour entre deux gars ou entre deux nanas doit poser un problème à qui que ce soit. Pourquoi ça doit inspirer le dégoût, le rejet, la haine, la violence. Pourquoi on doit vivre cachés. C’est un non-sens. Dans ce monde, on peut commettre des atrocités sans attirer autant de haine que deux gars ou deux nanas qui s’aiment sans rien demander à personne.
Vers minuit, j’entends enfin papa monter les escaliers pour rejoindre maman au lit.
J’entends ses pas faire craquer l’escalier en bois, faire grincer la vieille charpente, approcher sur le vieux parquet. J’ai le cœur qui tape à mille. Pendant quelques instants je ressens l’espoir, la peur, l’envie, l’angoisse que mon père veuille venir me parler. Pour modérer ses propos, ou pour m’enfoncer davantage. Pour se réconcilier ou pour me mettre à la porte.
Mais ses pas glissent devant ma porte et continuent dans le couloir. Un instant plus tard, j’entends la porte de la chambre parentale s’ouvrir et se refermer aussitôt. Puis, le silence.
L’idée que la maison s’apprête à s’endormir a le pouvoir de m’apaiser enfin. Mon père ne viendra plus me parler ce soir, il ne m’enfoncera pas davantage. Mais nous nous ne réconcilierons pas non plus. C’est triste mais je préfère ça à une nouvelle dispute. Je profite de ce silence, je commence à espérer trouver le sommeil.
Hélas, mon espoir est de courte durée. Il ne s’est pas écoulé deux minutes lorsque j’entends un vif échange entre mes parents. Je n’arrive pas à capter les mots, mais je sais qu’ils sont en train de se disputer à cause de moi. Ça me fait terriblement mal. Le ton monte, et les mots finissent par devenir intelligibles derrière la cloison qui sépare les deux chambres.
« C’est comme ça et tu ne pourras rien y faire » j’entends maman lancer.
« Et on va l’expliquer comment dans la famille ? ».
« Il n’y a rien à expliquer ».
« Ils vont se demander pourquoi il n’a pas de copine ».
« Ils ont qu’à se le demander tant qu’ils veulent, ça leur fera une occupation ! ».
« Si un jour ça se sait, je n’oserai même plus sortir de la maison ! ».
« Tu dis n’importe quoi ».
« Je ne l’ai pas élevé comme ça ».
« On l’a très bien élevé, on lui a appris à être honnête, et à l’être avec lui-même avant tout ».
« Ça c’est de ta faute ! ».
« Je te demande pardon ? ».
« Tu l’as trop couvé ! ».
« Et toi tu n’as pas été assez présent dans sa vie ».
« Ça veut dire quoi ça ? ».
« Ça veut dire qu’on a fait chacun ce qu’on pouvait ».
« Tu n’es quand même pas en train de dire que c’est de ma faute ! ».
« Mais il n’y a pas de faute, quand est-ce que tu vas arriver à te mettre ça dans le crâne ?! ».
« Tu m’emmerdes ».
« Si je t’emmerde, va dormir sur le canapé ! ».
« Avec grand plaisir ! ».
« J’espère que la nuit va te porter conseil. Moi je suis fière de mon fils, et quand tu auras bien réfléchi, tu sauras que tu peux l’être aussi ».
Sur ce, j’entends mon père claquer la porte de la chambre. Je ressens un nouveau frisson de panique à l’idée qu’il puisse venir m’engueuler dans cet état de colère. Je n’ai pas envie de subir une fois de plus son agressivité, sa violence verbale. J’ai une horreur sacrée de la violence verbale, car j’ai toujours peur qu’elle puisse dégénérer en violence physique. Je ne suis pas programmé pour affronter la violence physique.
Mais il n’en est rien, je l’entends traverser le couloir et descendre les escaliers quatre à quatre. Papa s’installe dans le canapé du salon et allume la télé. Au milieu de mon inquiétude, je trouve quand même amusante l’idée que papa cherche à s’éloigner de ses soucis dans ce canapé où quelques semaines plus tôt j’ai fait l’amour avec mon Jérém !
Sa colère, ainsi que la tension avec maman, provoquent en moi un malaise qui m’empêche de dormir. Le fil de lumière qui se glisse sous ma porte, ainsi que le volume assez élevé de la télé, témoins du fait que cette nuit la maison ne dort pas paisiblement, n’arrangent rien.
L’idée que maman soit obligée de se « battre » avec papa à cause de mon coming out me fait très mal. J’ai envie de la rejoindre dans sa chambre pour voir comment elle va, pour la remercier et pour la laisser me consoler. Mais je n’ose pas bouger de mon lit, j’ai peur que mon père s’en rende compte et que cela attise davantage sa colère.
Je tremble à l’idée que mon coming out puisse créer des problèmes dans le couple de mes parents. Je suis triste de penser que c’est maman qui va devoir gérer la colère de papa, alors qu’elle n’y est pour rien. D’autant plus que demain je repars à Bordeaux et que je ne vais pas pouvoir être là pour voir comment les choses évoluent. Je sais que la distance va faire que je vais beaucoup m’inquiéter.
D’une certaine façon, Jérém a peut-être raison. Oser être soi-même a un prix, un gros prix, et ça peut faire d’énormes dégâts. Pourquoi je ne me suis pas tu ?
Au final, je passe une nuit épouvantable. Je dors très peu. Heureusement que j’ai un train à prendre et non pas le volant. Lorsque je descends après la douche, à 5h30, papa est déjà parti au travail. Je suis à la fois soulagé et attristé. Je n’avais franchement pas envie d’affronter son regard « dégoûté ». Mais ça me rend triste de partir à Bordeaux en étant brouillé avec papa.
La vue de la couverture abandonnée en vrac sur le canapé sape un peu plus encore mon moral.
Maman est déjà dans la cuisine, cette petite pièce qui est à bien des égards le vrai foyer de la maison, le fief de notre complicité, le terrain où elle nous montre son amour sous la forme de bons petits plats pleins d’amour. L’air de la cuisine est saturé d’une délicieuse odeur de café matinal.
« Ça va mon chéri ? » elle me questionne, en me faisant un bisou.
« Ça va et toi ? ».
« Bien, bien ».
« Papa a dormi en bas » je lance.
« Il avait besoin de se changer les idées ».
« Je suis désolé de poser autant de problèmes ».
« Tu n’as pas à être désolé. Tu ne poses aucun problème. C’est ton père qui a un problème. Mais ça lui passera ».
« J’espère que ça va aller ».
« T’inquiète, c’est pas la première fois qu’il dort sur le canapé, et cette expérience l’a toujours fait réfléchir ».
« Merci maman ».
« Merci de quoi ? ».
« De toujours me soutenir, d’être toujours là pour moi ».
« Ça fait partir de la fiche de poste de « maman » ! » elle plaisante.
« Vraiment, Nico, il ne faut pas t’en faire, il va se calmer, je t’assure » elle enchaîne « Tout ce qui doit te préoccuper désormais ce sont tes études. Et ton bonheur avec le gars que tu aimes. Ton père fait sa petite crise mais il s’en remettra. Il faut qu’il accepte que ton bonheur passe avant tout et que tu ne peux pas te conformer à ses attentes si elles ne te correspondent pas. Un jour il comprendra qu’il n’a rien à te reprocher et que tu es un gars génial ».
A ma grande surprise, j’arrive à dormir dans le train. Je me réveille en gare de Bordeaux et je suis bien. Un peu engourdi mais bien. La distance de Toulouse, ainsi que la journée à venir, la fac, les retrouvailles avec ma petite bande de camarades, d’autres retrouvailles avec la petite cour au sol rouge et ses habitants si bienveillants m’aident pour l’instant à relativiser mes soucis.
En effet, le fait de retrouver les cours, ainsi que mes camarades Monica, Raphaël et Fabien me fait un bien fou.
« Salut mon pote » m’accueille Raphaël, avec le ton festif et bienveillant qui est sa marque de fabrique, tout en me serrant dans ses bras et en mettant des petites tapes sur mon épaule.
« Tu connais Cécile ? » il continue.
En mon absence, notre petite bande semble s’être enrichie d’une nouvelle recrue.
Cécile est une nana assez élancée, les cheveux châtain clair tendant au roux, assez longs, tenus en une queue de cheval, la peau très claire, avec des taches de rousseur de naissance autour du nez et sous les yeux. Elle a l’air d’une nana très discrète.
« Non, je ne la connaissais pas encore. Enchanté Cécile » je fais, en lui faisant la bise.
« Enchantée moi aussi, Nico ».
« Comment ça va ? » me demande Monica en me faisant la bise à son tour.
« J’ai eu beaucoup de chance. Il n’y a pas de victimes dans mon entourage. Mais ma cousine a perdu un tympan. Deux potes, dont un qui est pompier, ont été blessés mais pas trop gravement. La ville est un champ de guerre. Ma maison est une ruine. Toutes les portes et fenêtres sont sorties de leur encadrement, les meubles sont tombés. Il faudra beaucoup de temps pour tout remettre en état. Mais ça va, le pire c’est pour les familles qui sont en deuil et pour les blessés graves pour qui la vie va être complètement bouleversée ».
« On ne sait toujours pas ce qui s’est passé » commente Fabien.
« Il semblerait que l’enquête penche plutôt pour l’accident » je considère.
« De toute façon, on ne saura jamais. La presse relayera le mensonge d’Etat, ce qu’on appelle communément la « version officielle », c'est-à-dire celle qui arrange le Pouvoir. Comme à chaque fois qu’il y a une catastrophe » fait Raphaël.
« C’est vrai que chez tes potes soviétiques ou chinois, la transparence et au cœur de la vie politique » se moque Fabien.
« Mais votre gueule les gars » fait Monique.
Cécile se tait, elle a l’air d’une nana très simple et très réservée. Elle a un regard très intense.
Ce premier jour de fac après la double catastrophe de Toulouse et de mon coming out houleux auprès de mon père me fait vraiment du bien. Ça m’aide à penser à autre chose, à m’évader.
Je redoute la fin des cours, ce laps de temps entre le moment où je quitte mes camarades et le moment où je retrouve le petit monde de mon immeuble. Mais les retrouvailles avec la petite cour au sol rouge sont bien chaleureuses.
« Nico ! » je m’entends appeler alors que je m’apprête à déverrouiller la porte de mon appart.
Albert et Denis me proposent un café et me demandent à leur tour des nouvelles de mes proches et de ma ville. Leur amitié et leur bienveillance me font un bien fou.
« Mais tu n’as pas l’air très en forme aujourd’hui » me titille Albert.
« Ça va » je tente de détourner ses questions.
« C’est le choc de voir ta ville défigurée ? ».
« Oui… mais aussi ce qui s’est passé chez moi ».
Je leur raconte alors la venue de Jérém, son accueil chaleureux par mes parents. Et aussi mon coming out, et le rejet de mon père.
« Ça lui passera, il faut juste un peu de temps » me lance Albert.
« C’est ce que m’a dit maman ».
« Les pères sont souvent plus cons que les mères sur ce sujet, je suis bien placé pour le savoir ».
« Viens dîner à la maison ce soir » me propose Denis.
« C’est gentil, mais je crois que j’ai envie de rester seul ».
« Allez, viens. Ne reste pas tout seul à broyer du noir. En plus, ce soir il y aura un pote à nous, tu verras, il est très sympa ».
Voilà comment je me retrouve une fois encore invité à dîner chez mes propriétaires. A 19 heures je suis chez eux. L’invité des deux papis se fait attendre, nous attaquons l’apéro.
Nous sommes à la deuxième tournée lorsque l’interphone sonne.
« C’est qui ? » fait Denis.
« Mère Teresa » j’entends répondre.
« Je crois que tu n’as pas vraiment le profil du poste » se moque Denis.
« Ouvre pétasse ! ».
Quelques instants plus tard, le pote de mes deux proprios débarque dans l’appartement. C’est un petit bonhomme chauve, d’un âge indéfinissable, avec des lunettes fines, des petits yeux perçants.
Il fait la bise à Albert et Denis, avant de s’adresser à moi.
« Bonjour jeune homme » il me lance, avec un grand sourire.
« Bonjour ».
« Moi c’est Laurent ».
« Et moi c’est Nico ».
« Et tu débarques d’où, Nico ? ».
« Je suis le locataire du studio juste à côté de leur appart ».
« Ça ne fait pas longtemps que tu es arrivé ? ».
« Une semaine ».
« Nico est un garçon très sympathique » commente Denis « et en plus, il est des nôtres. Il dîne avec nous ce soir ».
« C’est bien, ce ne sera pas un repas entre vieux croûtons ».
« Mais ta gueule ! » fait Denis en rigolant.
« Et tu fais quoi dans la vie, tu es étudiant ? » me questionne Laurent.
« Oui, je suis un cursus en sciences de la terre ».
« C’est bien, c’est bien. Et ces études vont te permettre de prétendre à quel métier plus tard ? ».
« Je ne sais pas encore trop, mais ça peut être la recherche, l’étude du sol, du sous-sol, des ressources hydrogéologiques. Tout dépend jusqu’où je déciderai de pousser mes études ».
« Tu m’as l’air d’un gars qui sait ce qu’il veut, et c’est une très bonne chose ».
« Tout n’est pas encore clair dans ma tête, je vais voir au fur et à mesure ».
« En tout cas » continue Laurent « enchanté de faire ta connaissance, Nico ».
« Enchanté moi aussi ».
« Allez, Laurent, arrête de draguer le petit, il est bien trop jeune pour toi » lance Albert, taquin.
« C’est un charmant garçon. Allez, assez parlé, faites pèter le Lillet Blanc ! » il lance à l’adresses de mes propriétaires.
« Laurent est un très bon ami » m’explique Albert, le ton et le regard taquin « c’est un grand architecte, mais qu’est-ce qu’il picole ! C’est pour ça qu’on ne l’invite pas souvent ».
« Le grand architecte t’emmerde, le vieux ! ».
Je trouve qu’architecte colle bien avec l’allure de ce bonhomme pas dépourvu d’une certaine élégance, dans les manières avant même que dans le style vestimentaire.
« Alors, ton mari italien va bien ? » le questionne Denis.
« Oui, Giovanni va bien, je vais le retrouver le mois prochain à Capri ».
« Ça fait combien de temps que vous vous connaissez maintenant ? ».
« Près de dix ans ».
« Comment ça vole le temps ! » s’exclame Albert « Et sa femme ne se doute toujours de rien ? ».
« Je n’en sais rien. Tant qu’elle ne nous empêche pas de nous voir, je m’en fiche. Enfin, je préfère autant qu’elle ne l’apprenne pas. Tout le monde vivra plus heureux ».
« Ils habitent toujours dans ta maison de vacances avec leurs gosses ? ».
« Oui, ils occupent le rez-de-chaussée. Giovanni est le gardien et l’homme à tout faire de ma maison de vacances ».
« Ah oui, ça, pour être un homme à tout faire… » se moque gentiment Albert.
« Giovanni est un bol d’air frais que je m’octroie pendant quelques jours chaque trois ou quatre mois. Il m’a fallu arriver presque à cinquante ans pour m’épanouir sexuellement. Giovanni est arrivé dans ma vie à point nommé. Il m’a remis en phase avec moi-même ».
« C’est vrai que tu t’es longtemps égaré… » commente Denis sur un ton taquin.
« Un petit peu… ».
« Quand même… tu as été marié pendant des années avec ta femme et tu lui as fait deux gosses ».
« J’ai eu besoin d’en passer par là pour enfin regarder les choses en face ».
« Sacré histoire que la tienne » fait Denis.
« Et maintenant vous êtes avec un homme ? » je demande, perplexe.
« Oui, je me suis enfin autorisé à être moi-même ».
« Et vous vous vous considérez comment, bisexuel ? ».
« Ah non ! Il n’y a pas plus gay que moi ! ».
« Mais depuis quand vous savez que vous êtes gay, alors ? ».
« Depuis toujours. Enfin, au moins depuis le collège. Depuis les cours de sport du jeudi. Je me souviens très bien des cours de sport du jeudi. Au milieu des copains qui se déshabillaient dans le vestiaire, je me sentais tout bizarre, tout chaud. Je me souviens qu’un jour j’ai été troublé en voyant un camarade qui avait déjà des poils sur le torse.
J'avais tellement honte de ce que je ressentais que je me suis dit : personne ne doit le savoir ».
« Et alors vous avez essayé de faire comme les autres ? » je demande.
« Regarder les filles avec les copains, c'était naturel, ça allait de soi, c'est ce qu'on attendait de moi. C’était simple et rassurant.
Finalement, je me suis mis à jouer un rôle et à y croire. On finit par croire vraiment à ses propres mensonges, j'imagine que notre cerveau fonctionne comme cela. J'avais conscience d'avoir des fantasmes homosexuels mais ça ne m'empêchait pas de me considérer comme hétéro.
Plus tard, j'ai rencontré une femme. On s’entendait bien. Très vite, elle est tombée enceinte. Nous nous sommes mariés parce qu’il fallait donner une famille à ce gosse qui était en route. Je me suis dit que ça marcherait. Nous avons eu deux autres enfants, qui sont ce que nous avons de plus précieux ».
« Et à quel moment avez-vous franchi le pas d’aller vers les garçons ? Qu’est-ce que qui a fait que vous avez décidé de vivre autrement ? ».
« Un jour, l’année de mes 35 ans, je suis monté sur Paris pour le travail. Et dans la rue, devant moi, j’ai vu deux hommes, deux amoureux, qui marchaient main dans la main.
Et pour moi ça a été un choc. En les voyant heureux, spontanément, je me suis dit : « c'est ça que je veux, c'est ça dont j'ai envie ». D'un coup j’ai pris conscience que ça faisait 20 ans que j’avais honte de moi. Comment peut-on s'habituer à avoir honte de soi ? ».
« C’était le lot quotidien de nous tous, la honte, à cette époque » commente Albert.
« Je ne voulais plus avoir honte de moi » continue Laurent « C’est lors de mon déplacement suivant à Paris que j’ai franchi le pas. Un soir, je me suis rendu dans une boîte de nuit gay. J’ai eu une aventure. Puis une autre, le soir d’après. Je vivais à 35 ans ce que beaucoup aujourd’hui vivent entre 15 et 25. La prise de conscience de qui on est, la prise de contact avec ceux qui sont comme soi ».
« Mieux vaut tard que jamais » fait Denis.
« C’est vrai. Même si au début je culpabilisais un max. Je me disais : « je me suis marié, j’ai des enfants, je ne peux pas faire ça ». Entre ressentir des désirs homosexuels et se dire « je suis gay », il y a tout un travail d'acceptation. Et lorsqu’on a tout fait pour se convaincre d’être hétéro, pendant longtemps, c’est encore plus difficile. Car il faut faire le deuil de celui qu’on s’était persuadé d’être… ».
« Mais qu’on n’est pas » je réfléchis à haute voix.
« On doit se réconcilier avec soi-même » il continue « se pardonner du mensonge qu’on s’est raconté. Aussi, il faut accepter de prendre sur soi tout ce qu'on a intériorisé de négatif sur les homosexuels. Il faut du temps pour se dire qu’on n’est pas moins bien que les autres, pour passer de la considération à propos de soi « je suis différent des autres » à « je suis comme ceux-là qui sont comme moi ».
J’ai mis un certain temps à m’émanciper. Je devais d’abord vaincre la peur. J'avais des fantasmes, des envies, mais la peur était très forte. Plus forte que mon aspiration au bonheur. La pulsion sexuelle s’associait à cette peur. J’étais prisonnier de la peur ».
« Et alors, comment êtes-vous arrivé à assumer votre homosexualité ? » je demande.
« Quand j’ai décidé de sortir du placard, vers mes 40 ans, on m'a dit : « tu es en train de briser ta famille pour du sexe ». A nouveau, j’ai culpabilisé à mort. Mais peu à peu je me suis donné le droit de vivre une vie qui me correspond. Car il ne s'agit pas de sexe, il s'agit d'être moi-même ».
En entendant le récit de Laurent, je ne peux m’empêcher de repenser à mon ami Thibault et de faire le parallèle avec son histoire à lui. Aujourd’hui, il est avec Nathalie à cause de l’enfant à venir, pour l’assumer. Mais cet enfant a été un « accident », même si ça a l’air de le rendre heureux. C’est de cet « accident » dont découle sa vie actuelle et à venir d’hétéro. Mais qu’en serait-il de sa vie, de ses choix, si cet événement n’était pas arrivé à ce moment de son parcours ? Est-ce qu’il n’aurait pas choisi de vivre, du moins pendant un temps, « du côté des garçons », de faire des rencontres, de prendre le temps de savoir quelle était vraiment sa voie, avant de choisir ?
Aujourd’hui il accepte cette vie de parfait petit « mari ». Mais jusqu’à quand pourra-t-il refouler ses véritables désirs en les faisant passer après le bien-être de son enfant et de celui de son couple ? Jusqu’à quand pourra-t-il tenir sans que l’envie du contact physique avec un gars ne le tenaille jusqu’à devenir insupportable ? Jusqu’à quand pourra-t-il vivre avec cet interdit ? Quand on sait que c’est précisément l’interdit qui attise le désir…« Avec ma femme » continue Denis « j’ai essayé que cela se passe au mieux. J’ai été clair avec elle. C’est quelqu’un d’intelligent, et elle a compris ce que je ressentais. Ce qui a été libérateur, c’est quand elle a décidé de partir, et sans me déclarer la guerre. Nous avons divorcé en bonne intelligence, dans le respect mutuel. Nous avons gardé une profonde estime l’un envers l’autre ».
« Et vos enfants, ils sont au courant ? » je le questionne.
« Mes enfants, j'avais envie qu'ils sachent eux aussi qui je suis. Et, aussi, leur offrir l'exemple de quelqu’un qui accepte sa différence.
Même si je n’y arrive pas moi-même tous les jours. Ça m'arrive encore, parfois, quand des gens parlent des homos devant moi, quand j’entends une blague homophobe, de rougir. Je sais pourtant que ce n'est pas honteux, mais mon corps semble penser autrement. C'est comme ça ».
« Ça ne t’a pas empêché de rencontrer un homme charmant » fait Albert.
« C’est vrai que Giovanni me fait beaucoup de bien. Quand je suis dans ses bras, les matins où sa femme est au travail et ses gosses à l’école, je suis bien, comme je ne l’ai jamais été de ma vie. Dans ses bras, je suis heureux. Heureux comme ne le sont que ceux qui ont mis longtemps à se trouver. Même si nous devons vivre cachés ».
« Vivons cachés, vivons heureux, c’est notre philosophie de vie à nous tous » lance Denis.
« C’est la philosophie de mon copain aussi » je réfléchis à haute voix.
« Les générations passent, mais le problème d’acceptation demeure » fait Laurent.
« Le pire c’est que je commence à croire qu’il a raison ».
« Les mentalités évoluent quand même » tente de me rassurer Laurent.
« Mais pas trop vite, pas trop vite » conclut Denis.
« Et pour vous comment ça s’est passé ? Vous avez fait votre coming out ? » je questionne ce dernier.
« De mon temps, l’expression même « coming out » n’existait pas » il se moque.
« Tu sais, de notre temps, il n’y avait pas de gays » fait Albert « Juste des célibataires. Des vieux garçons. On préférait croire qu’un célibataire était trop nul pour se trouver une femme plutôt qu’il ne voulait pas trouver une femme. On n’était gays que si on se faisait choper en flagrant délit. A ce moment-là, on était mis au ban de la société. Mais, je t’ai coupé la parole, mon chéri, désolé, tu allais nous raconter ton parcours ».
« Il n’y a pas grand-chose à dire » continue Denis « Je suis issu d’une famille modeste, mais j’ai quand même eu droit à une éducation religieuse. Alors, quand vers l’âge de 11-12 ans j’ai commencé à ressentir de l’attirance vis-à-vis des garçons j’ai vite senti que ça allait à l’encontre de cette éducation. « Dieu a détruit les villes de Sodome et de Gomorrhe pour punir leurs habitants immoraux » est écrit dans la Bible qu’on nous faisait étudier au catéchisme.
Le pire dans tout ça c’était de ne pas pouvoir en parler. Je ne pouvais me confier à personne, personne.
Je sentais que je n’étais pas comme les autres et je me sentais coupable. J’avais honte. Je me sentais comme un déchet ».
« C’est dur de ne pas pouvoir parler à personne » je commente « on se sent seuls au monde ».
« Oh que oui ! L’année de mes 21 ans, j’ai fait une dépression. A l’époque on ne parlait pas encore de dépression, je ne pouvais même pas mettre de mots sur mon mal être. J’ai commencé à sentir des vertiges, à faire des malaises. J’étais incapable de me lever le matin.
Je suis allé voir un médecin. Je lui ai dit que j’avais des vertiges. Il m’a donné des calmants. Et il m’a envoyé voir un psy, ce qui était un truc pas banal pour l’époque. Car les psys ne couraient pas encore les rues comme aujourd’hui, où ils sont plus nombreux que les boulangeries et les bars ».
« Mais il faut se remettre dans le contexte » il continue « Les psys du début des années ‘60 n’étaient pas des psychologues, mais des psychiatres.
Le passage chez le psy ne m’a pas apporté grand-chose. Je ne me suis pas confié, mais je pense qu’il avait compris. Mais je n’ai pas eu le courage de mettre des mots sur ce que j’étais et il a eu la pudeur de ne pas le faire à ma place ».
« Et vous l’avez revu, ce psy ? » je veux savoir, tout en repensant aux mots de colère de mon père qui m’invitait à aller voir un psy pour qu’il puisse me guérir.
« Oui, un peu plus tard. Un jour, j’ai eu besoin de me confier. J’ai pensé à mon psy. Je lui ai écrit une lettre. Je ne savais pas exactement ce que j’attendais de lui. Qu’il me fasse parler. Qu’il m’aide à parler. Qu’il m’oblige à parler. Qu’il me guérisse peut-être. Je voulais surtout que mon mal être cesse. Dans ma lettre, je ne savais pas bien comment aborder le sujet. Alors je lui ai écrit que je faisais partie de ces êtres décrits dans les romans de Roger Peyrefitte que je venais de découvrir.
Quelques temps plus tard, je suis retourné en consultation. Nous avons parlé de la lettre. Il m’a dit que je n’étais pas malade, que mon attirance pour les hommes était un état des choses. C’était la première fois que j’entendais ça et ça m’a fait un bien de fou ».
« Si seulement mon père pouvait entendre ça de la bouche d’un psy » je lâche, comme un cri du cœur, avant de le questionner à nouveau « et ce psy n’a pas essayé de vous changer ? ».
« Non, il n’a pas essayé. Nous sommes devenus amis par la suite ».
« Et vous avez pu commencer à vous assumer après ça ? ».
« Oui et non, parce que ce n’était pas facile de faire des rencontres. Il n’y avait pas de bars, ou des boîtes de nuit. Dans les villes, les lieux de rencontres par excellence étaient les tasses ».
« Les quoi ? ».
« Les tasses. C’était le surnom qui avait été donné aux pissottières publiques à Paris. Et faire les tasses, c’était aller chercher des rencontres. Mais on y allait la peur au ventre de se faire tabasser par des cons ou de se faire embarquer et brutaliser par les forces de l’ordre. A l’époque, l’homosexualité était un délit infamant et stigmatisant. Une fois inscrit dans son casier judiciaire on se traînait cette « honte » à vie. L’homosexualité était aussi considérée comme une maladie mentale, et comme un fléau social, au même titre que l’alcoolisme ».
« Un soir, au milieu des années ’70 » se remémore Laurent « j’étais en voiture, sur un parking isolé, avec un gars que j’avais rencontré dans une boîte à Paris. Une voiture de Police approche, on nous demande les papiers. Je me souviens du regard des deux policiers, un regard plein de mépris. J’avais peur, très peur. Peur qu’ils nous embarquent, ou qu’ils envoient un courrier chez moi, que ma femme tombe dessus, ou qu’ils envoient un courrier à mon cabinet, que mon associé tombe dessus. Je leur ai expliqué que c’était ma voiture du travail, que j’étais marié, je leur ai fait comprendre que si ça s’ébruitait je risquais de tout perdre. J’étais gêné à mort, je tremblais de trouille. Ils ont fini par nous laisser répartir sans faire d’histoires. Pendant des mois j’ai eu peur d’un courrier qui aurait détruit ma vie. Mais il n’est jamais arrivé ».
« Heureusement, aujourd’hui, au moins ces peurs, celle du chantage et celle du gendarme, ont disparu » je commente.
« Je pense qu’aujourd’hui, les jeunes générations sont beaucoup plus libres que ne l'était la nôtre » estime Denis. Elles le sont beaucoup plus sur le plan de la parole. Avant de passer à l'acte, il faut quand même mettre des mots sur les choses. Et à cette époque, les mots ne venaient pas. Pour que les mots viennent, il faut commencer à vaincre la peur. Et dans les années ‘60, elle était énorme, c’était notre principal ennemi ».
« Après la libération sexuelle, les années ’70 ont été une époque débridée » continue Denis « Ainsi, les années ’80 s’annonçaient sous les meilleurs auspices. La gauche au pouvoir, la dépénalisation de l’homosexualité. Mais tout ça paraissait trop beau pour durer. Les SIDA n’a pas tardé à venir gâcher la fête, et les années ’80 ont été surtout marquées par cette saloperie, le cancer gay comme il était appelé à l’époque. Il y avait des gens pour dire que ça ferait juste du ménage parmi ceux qui ne méritaient que ça. Certains y voyaient un châtiment divin.
Ça nous est tombé dessus presque du jour au lendemain. Il n’y avait pas de remède. Les gays tombaient comme des mouches. La mort de Le Luron et de Freddy Mercury, deux personnalités que j’appréciais beaucoup, m’a beaucoup affecté. Vous les jeunes de maintenant vous êtes nés avec le SIDA et on vous a appris à vous protéger. A nous, on ne nous l’avait pas appris ».
« C’est vrai, mais ce n’est pas tout rose pour eux non plus » considère Laurent « car il y a une autre maladie qui fait des ravages à notre époque, comme dans chaque époque, une maladie pour laquelle il n’y a pas et il n’y aura jamais ni de traitement ni de vaccin. Je veux parler de la connerie humaine de certains, et particulièrement de l’une de ses souches les plus odieuses, l’homophobie ».
« Sale race, ces gens-là ! » lâche Albert.
« Les homophobes (1) sont des gens qui veulent décider à la place d’autres gens qui ont le droit d’aimer ou pas » considère Laurent « Ils voudraient nous empêcher de nous exprimer, ils voudraient réprimer toute forme de sexualité différente de la leur ».
Soudain, je repense à un couplet d’une chanson de Madonna remontant à quelques années déjà :
Express yourself, don't repress yourself/Exprime toi, ne te réprime pasAnd I'm not sorry/Et je ne suis pas désoléIt's human nature/C'est la nature humaine
https://www.youtube.com/watch?v=XPL_qGqSJxA
« Et ces gens-là, quand tu leur demandes pourquoi ils sont contre l’homosexualité » continue Laurent « tu as droit à des « ouais, mais tu vois, c’est contre nature, en fait, l’homme n’est pas fait pour ça ». Parce que l’homme a été créé pour voler ou aller sur la Lune ? ».
Did I say something wrong ?/Ai je dis quelque chose de mal ?
Oops, I didn't know I couldn't talk about sex/Oops, je ne savais pas que je ne pouvais pas parler du sexeOops, I didn't know I couldn't speak my mind/Oops, je ne savais pas que je ne pouvais pas m’exprimer
« On a le droit d’être gêné par ça, par deux mecs qui s’aiment, chacun est libre de penser ce qu’il veut. Tant que tu ne fais chier personne il n’y a pas de problème.
Le problème ce sont ceux qui insultent, frappent, menacent, harcèlent d’autres juste parce qu’ils sont homosexuels. Et eux, ça se voit qu’ils sont cons. Ce sont des pauvres gens ».
You punished me for telling you my fantasies/Tu m'as puni pour t'avoir raconté mes fantasmesI'm breakin' all the rules I didn't make/Je vais briser toutes les règles que je n'ai pas faites
« Comme si les insultes, les coups, les menaces, le harcèlement pouvaient guérir pas de l’homosexualité, remettre les gens dans le « droit chemin ». L’homosexualité n’est pas un choix, c’est une orientation qui échappe à la volonté ».
Express yourself, don't repress yourself/Exprime toi, ne te réprime pasDid I say something true ?/Ai je dis quelque chose de vrai/bien ?
« En vrai ça dérange qui l’homosexualité ? Pourquoi ? L’homophobie c’est soit de la jalousie et de la frustration, soit de la peur ».
« Moi je ne comprends même pas le sens du mot « homophobe ». Dans homophobie il y a peur. Mais quand tu es homophobe, tu n’as pas peur, tu es juste con » conclut Albert (2).
Express yourself, don't repress yourself/Exprime toi, ne te réprime pas« I'm not your bitch don't hang your shit on me/Je ne suis pas ta pute, n'accroche pas ta merde sur moi ».
« J’ai pu constater dans ma vie que les gens qui sont très agressifs par rapport à l’homosexualité sont ceux qui ont l’homosexualité à fleur de peau » considère Laurent « je pense que l’envie de « casser la du PD », c’est une façon de casser la gueule à leur propre homosexualité, qui les dérange.
« Si on en croit tes mots, tous les homophobes sont des gays refoulés ? ».
« Dans certains pays, il y a une profonde hypocrisie au sujet de l’homosexualité. Dans certaines cultures latines très machistes, on accepte que des hommes aient des relations sexuelles avec d'autres hommes, mais seulement s'ils tiennent le rôle actif.
Le mépris pour l'homosexuel efféminé, ou pour celui qui est passif, est précisément ce qui rend acceptable la bisexualité pour les hommes masculins. C’est pourquoi l'homophobie, le machisme et la bisexualité masculine semblent marchent souvent ensemble ».
« Lorsque vous jetez votre haine sur moi, ce sont vos peurs que vous projetez sur moi » conclut Albert.
« Qui a le droit de nous dire ce qui est bon pour nous ? » fait Laurent.
« Albert et moi on a passé une bonne partie de notre vie ensemble » explique Denis « On a mis en commun nos solitudes, Pour ne pas vivre seul, comme chantait Dalida. Et ça nous a offert les meilleures années de notre vie ».
https://www.youtube.com/watch?v=4NI_rhdY7DE
« On a vécu de bons moments, de moins bons, on s’est soutenus mutuellement » il continue « Il y a eu le sexe, ce qui dérange les homophobes. Mais il n’y a pas eu que ça, loin de là. Le sexe ne dure qu’un temps, comme pour tout un chacun, y compris les hétéros. Mais avec l’âge, ce qu’on demande à l’autre, c’est la présence de l’autre à ses côtés, de la tendresse, du partage. Ce que j’apprécie, c’est justement de ne pas être seul, de partager un bon bouquin, un bon film, un bon concert, un opéra au Capitole. J’apprécie notre complicité. Et ce que j’apprécie par-dessus tout c’est que la vie et ses tracas sont bien plus supportables depuis qu’il est là » fait-il en cherchant la main de son compagnon de vie.
« Même depuis que je suis en fauteuil roulant et que je suis un fardeau pour toi ? » le questionne ce dernier, visiblement ému.
« Je te promets de t’être fidèle dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, pour t'aimer tous les jours de ma vie » récite Denis en guise de réponse.
« Jusqu’à ce que la mort nous sépare » complète Albert « mais ça ne presse pas, chaque jour avec toi est un cadeau ».
« Merci Denis » fait Albert, les yeux embués de larmes.
« Tu aurais fait pareil pour moi ».
Les deux vieux hommes sont émus. Denis se lève et prend son compagnon dans ses bras. Puis, lui enlève les lunettes et essuie les larmes qui coulent sur ses joues.
« Qui a le droit de mépriser ça ? » conclut Laurent, en posant un regard plein d’émotion sur ses deux potes.
(1) Quelques exemples révoltants de la connerie humaine de certains :
https://tetu.com/2020/03/27/coronavirus-une-menace-homophobe-decouverte-par-un-couple-gay-a-marseille/
http://www.leparisien.fr/essonne-91/infirmiere-menacee-en-essonne-si-un-cas-se-confirme-dans-la-residence-vous-serez-tenue-pour-responsable-30-03-2020-8290968.php
https://www.instagram.com/p/B-WtkzBicac/
(2) Les propos compris entre les indicateurs (2) sont extraits et adaptés des propos contenus dans une vidéo du youtubeur « Jimmyfaitlecon », dont voici le lien :https://www.youtube.com/watch?v=qbQRu0EOUjI
(3) Très drôle et intelligemment traité aussi : https://www.youtube.com/watch?v=-xbzAWx_2Pg
« Il est quelle heure ? ».
« C’est l’heure que je te suce ».
« Nico… ».
Je me glisse sous les couvertures et je prends mon bobrun en bouche. Et ses réticences s’évaporent en même temps que sa queue se raidit : c'est-à-dire, presque instantanément. Comme toujours, je ne peux pas le laisser partir sans lui faire une dernière gâterie pour qu’il se souvienne de moi. Je ne peux pas le laisser partir sans goûter une dernière fois à son jus viril, alors que je ne sais pas quand je vais y goûter à nouveau. Alors, je m’évertue à lui offrir un dernier orgasme.
Le temps nous est compté, je suis obligé de précipiter sa jouissance. Et je reçois avec bonheur de nombreuses giclées bien chaudes, bien fortes.
Pendant que Jérém est à la douche, j’entends papa m’appeler depuis le séjour.
« Il est à quelle heure le train de Jérémie ? ».
« 7 h 45 ».
« Et il y va comment à la gare ? ».
« A pied, je crois ».
« Il ne va jamais avoir le temps ».
« Je lui dis de se dépêcher ».
« Déjeunez tranquilles, je vais le déposer en voiture en allant au travail ».
Pendant que nous prenons le petit déjeuner, papa fait démarrer la voiture au garage.
« Je ne veux pas vous presser les gars, mais il se fait tard » il vient nous annoncer.
« On arrive ».
« Je t’attends dans la voiture » il lui lance, en disparaissant derrière la porte du cellier.
« Au revoir Jérémie, tu reviens quand tu veux » fait maman en se levant de sa chaise avec son café à la main.
« Merci pour tout madame ».
J’adore ma maman. C’est grâce à son tact que je peux donner un dernier bisou à mon Jérém avant de nous quitter à nouveau.
J’ai décidé que je ne rentrerai à Bordeaux que demain, mardi. Aujourd’hui, je vais aider maman à terminer le ménage, et demain je n’ai cours qu’à 14 heures.
Dans l’après-midi, nous allons rendre visite à Elodie. Le diagnostic pour son tympan se confirme. Elle aura une perte de l’audition. Mais elle est toujours de bonne humeur.
Pendant le retour vers la maison, maman me parle de Jérémie et de moi.
« J’ai l’impression que ça se passe vraiment bien entre vous ».
« C’est génial en ce moment, c’est vrai ».
« Tu es heureux ? ».
« Très heureux ».
« Alors je le suis aussi. J’aime bien ce gars. Et ton père l’apprécie aussi ».
Pendant tout le reste de l’après-midi, une idée tourne en boucle dans ma tête. Et si… le moment était venu ? C’est une idée qui me remplit à la fois d’excitation, de bonheur et de peur.
Papa ne rentre qu’en toute fin d’après-midi. Après le dîner, j’entends maman lancer :« Je suis vraiment vannée ».
« Le week-end a été long » reconnaît papa « mais l’important c’est qu’on soit tous vivants et entiers ».
« C’est bien vrai » confirme maman « la santé de ceux qui comptent pour nous est le plus important, tout le reste, ce n’est que détail ».
« Je suis juste triste pour Elodie » je fais.
« Oui, c’est triste mais elle s’en remettra. Désormais elle n’est plus seule. Je suis contente qu’elle se marie ».
« Au fait, tu as des nouvelles du frère de ton pote ? » me questionne papa.
« Il semblerait qu’il n’y ait pas de blessures plus graves, il devrait s’en sortir avec du repos ».
« Très bien, très bien. En tout cas ton pote Jérémie est vraiment sympa. C’est un gars très bien élevé et très passionné par ce qu’il fait. Il va faire une belle carrière je pense. C’est quelqu’un de remarquable. Je suis admiratif de son parcours ».
Pendant que papa me parle de Jérém en ces termes élogieux, l’idée qui m’a suivi pendant tout l’après-midi me rattrape. Au fil de ses mots, je sens monter en moi l’adrénaline, le courage, la peur, l’élan, l’angoisse, l’envie de lui dire la vérité. C’est maintenant ou jamais, Nico.
« Papa il faut que je te dise quelque chose » je m’entends lâcher, comme si ces mots sortaient d’ailleurs que de ma bouche, alors que mon cœur tape à grands coups de massue dans ma poitrine.
« C’est quoi que tu veux me dire ? » fait papa distraitement, les yeux rivés sur la télé.
Du coin de l’œil, je vois maman en train de retenir son souffle.
« Alors ? » s’impatiente papa.
« Tu sais, Jérémie et moi… nous ne sommes pas que des anciens camarades de lycée ».
« Vous êtes amis ».
« Pas seulement ».
« Et vous êtes quoi ? » il me demande sèchement, en changeant d’expression, le regard soudainement posé sur moi, un regard lourd et inquiet.
« Nous sommes ensemble, papa ».
« Ensemble comment ? ».
Maman reste toujours en retrait, on dirait qu’elle surveille l’action sur la ligne de but, les cartons jaunes et rouges cachés dans sa jupe, prête à intervenir comme un arbitre au premier dérapage.
« Ensemble comme deux garçons qui s’aiment » je trouve la force de lui annoncer.
« Mais qu’est-ce que tu racontes ? ».
« J’aime ce gars et il m’aime aussi ».
Papa se tait, le regard dans le vide. Son silence se prolonge et devient de plus en plus insupportable.
« Tu ne dis rien, papa ? ».
« Ça fait un moment que je me pose des questions sur toi » il finit par lâcher « jamais tu nous as présenté une nana… ».
« Je n’ai jamais été attiré par les nanas ».
« Mais ce mec… un gars qui fait aussi mec, qui fait du rugby, jamais je n’aurais cru… ».
« Dans le rugby aussi il y a des gays ! ».
« N’importe quoi, le rugby est un sport de mec, de vrais mecs ».
« Bien sûr qu’il y en a. Et ce n’est pas parce qu’ils sont gays qu’ils ne sont pas des bonshommes ».
« En tout cas, il cache bien son jeu ce salaud » il continue sur sa lancée, sans prêter la moindre attention à mes mots.
« Ce n’est pas un salaud ! ».
« Si, c’est un menteur, alors c’est un salaud ! ».
« Il ne t’a pas menti ! Il ne t’a juste pas parlé de sa vie intime ! Est-ce que tu lui as parlé de la tienne ? ».
« Tais-toi, Nico, tais-toi ! ».
« Tu l’appréciais quand tu croyais qu’il était hétéro, pourquoi tu lui craches dessus maintenant que tu sais qu’il est gay ? ».
« Parce que ça me dégoûte. Je l’ai accueilli sous mon toit, j’ai partagé des repas avec lui, je l’ai même déposé à la gare ce matin. Je, je lui ai serré la main. Je croyais que c’était un gars bien ».
« Mais c’est un gars bien ! ».
« J’espère que vous n’avez pas fait de saloperies sous mon toit » fait-il, l’air complètement révolté.
« Papa… ».
« Alain ! » fait maman.
« Plus jamais tu ne le ramènes ici, ni lui, ni n’importe quel autre gigolo dans son style, compris ? ».
« Ce n’est pas un gigolo, c’est un gars adorable ».
A cet instant précis, je suis assommé. Mon coming out après de mon père tourne au désastre. Je n’aurais jamais pensé que ça se passerait si mal.
« Vous me faites pitié ! » il fait presque en criant.
« Alain, je ne peux pas te laisser dire ça ! » intervient maman.
« Et tu veux que je dise quoi ? Que je le félicite ? ».
« Je te croyais un peu plus tolérant ».
« Ça me dégoûte, je n’y peux rien ! ».
« Alain, ferme un peu ta gueule, tu racontes que des conneries ! »« Tu savais ? » il lance à maman.
« Oui, mais depuis pas longtemps ».
« Personne ne me dit jamais rien dans cette maison ! ».
« Et pour cause ! T’as vu comment tu réagis ? On dirait qu’il a tué quelqu’un. Il est juste amoureux, bordel ! ».
« T’aurais dû me prévenir ! ».
« Mais te prévenir de quoi ? C’était à lui de te le dire quand il se sentirait prêt ! ».
« Depuis quand ça dure ce cirque ? » il me demande, hors de lui.
« Depuis le mois de mai. Papa, je suis bien avec lui, je suis heureux ».
« Et les nanas ? ».
« C'est pas pour moi ».
« T'as essayé au moins ? ».
« Ça ne me dit rien ».
Papa a l’air vraiment secoué. Maman tente de le calmer avec des arguments imparables.
« Ecoute, Alain, s'il est heureux comme ça, il vaut mieux qu'il s'assume plutôt qu'il se cache et soit malheureux. Nico est un bon gars, il bosse, il n'a jamais fait le con. On n’a rien à lui reprocher, et on ne peut surtout pas lui reprocher d'être lui-même, et de nous dire la vérité. On ne peut pas lui reprocher d’essayer d'être heureux comme il le souhaite ».
Des arguments d’une justesse totale mais qui, à l’évidence, n’ont pas de prise sur la colère aveugle de mon père.
« Moi je pense que c’est ce mec qui t’a retourné le cerveau ».
« Alain ! ».
« Non, je suis comme ça, si ce n’était pas lui ce serait un autre ».
« Tu devrais aller voir un psy pour te faire soigner ».
Soudain, je repense à l’histoire d’Albert, mon proprio. Les années passent, mais les réactions face à l’homosexualité ne changent pas. Je ne peux m’empêcher de me demander si, dans une autre époque, dans une autre position sociale, en ayant la possibilité et les moyens, mon père ne me contraindrait pas moi-aussi à des électrochocs comme l’avait fait le père d’Albert quarante ans plus tôt.
« Mais tu t’entends, Alain ? Ça ne se guérit pas ça, parce que ce n’est pas une maladie. C’est comme ça, un point c’est tout ! ».
« Je n’ai pas choisi de préférer les garçons, c’est quelque chose qui s’est imposé à moi. Juste, un jour je me suis rendu compte que j’étais comme ça et que je ne pouvais pas être autrement ».
« Mais tu te rends compte de ce que ça implique ? ».
« Tu penses à quoi ? » je veux savoir.
« Qu’est-ce qu’ils vont penser dans la famille, les voisins ? ».
« On s’en tape de ça ! » fait maman.
« Tu vas être méprisé, tu vas être malheureux. Les pd se font humilier, tabasser. Et tu n’auras jamais d’enfants. C’est une vie de merde que tu t’offres ».
« Alain, un mot de plus et cette nuit tu dors sur le canapé ! ».
« Je n’ai le droit de rien dire dans cette maison ».
« Si tu as que ça à dire, c’est sûr que non ! Laisse le tranquille. C’est suffisamment difficile de s’accepter, il faut au moins que la famille offre du soutien ».
Papa se lève et part en claquant la porte. J’ai envie de pleurer.
« Ça lui passera, t’inquiète. Ton père est comme ça, il lui faut du temps pour encaisser quelque chose qui le contrarie. Je suis sûr qu’il regrette déjà ses mots et sa réaction » tente de me consoler mon adorable maman.
Papa revient une heure plus tard, alors que je regarde la télé avec maman. Je l’entends trifouiller dans le garage-atelier, sa pièce préférée de la maison. Je n’arrive même pas à suivre le film. Après le générique de fin, maman et moi nous montons nous coucher.
Je passe l’une des soirées les plus tristes de ma vie. Je suis humilié et déçu par la réaction de papa.
Je n’ai jamais été très complice avec papa, qui n’a jamais raté une occasion pour me faire comprendre que je ne suis pas exactement le fils dont il aurait rêvé. Un fils qui ne s’intéresse pas au sport, qui ne marche pas dans ses anciens pas de rugbyman, qui fait des études dans lesquelles il ne croit pas, qui est trop timide, pas assez affirmé. Qui ne ramène pas de nanas à la maison. Et qui, désormais s’affiche en tant que gay.
Une partie de moi savait que mon coming out allait constituer la classique « goutte qui fait déborder le vase » de cette frustration qu’il ressent à mon égard. Mais je n’avais pas prévu que ce soit si violent. Bien entendu, il y a plus violent encore dans le genre réaction face à un coming out.
Je ne me suis pas entendu dire, comme certains « tu n’es plus mon fils », ou « dégage d’ici, cette maison n’est plus la tienne ». Je ne crois pas non plus qu’il va arrêter de payer mes études, je sais qu’il n’oserait pas vis-à-vis de maman, qui en paie une partie elle aussi. Mais ses mots, son agressivité, sa colère m’ont profondément blessé.
Et même si dans certains de ses mots, bien que lancés avec mépris, il semble quand même pointer un souci vis-à-vis de mon bonheur futur (« Tu vas être méprisé, tu vas être malheureux. Les pd se font humilier, tabasser. Et tu n’auras jamais d’enfants. C’est une vie de merde que tu t’offres »), ce premier véritable affrontement avec papa m’a épuisé. Emotionnellement et physiquement. Je suis content d’avoir riposté, d’avoir tenté de lui expliquer, de lui avoir tenu tête sans m’énerver, mais ce court échange m’a mis KO.
Heureusement que j’ai une maman qui prend ma défense et qui m’aime pour celui que je suis et non pas pour celui qu’elle aimerait que je sois.
Allongé dans mon lit, dans le noir, je me sens vidé de toute énergie. Les nerfs en pelote, je n’arrive pas à me calmer.
Je repense à mon Jérém, dont je n’ai pas de nouvelles depuis ce matin. Je repense à sa phrase, prémonitoire, quand je lui ai dit que mon père l’appréciait bien : « Parce qu’il ne sait pas tout ». C’est vrai que maintenant qu’il sait, tout a changé.
Ce soir, j’ai très envie de l’avoir à coté de moi, mais loin d’ici. Je voudrais être à Paris avec lui. Je voudrais pleurer dans ses bras, sentir son amour.
J’attends son coup de fil, tout en le redoutant. J’ai besoin d’entendre sa voix, plus que jamais. Même si je ne sais pas bien ce que je vais lui raconter. Je ne sais pas si j’ai envie de lui expliquer comment mon coming out s’est passé. De lui montrer qu’il a raison, qu’il faut vivre caché pour vivre heureux. Je ne sais même pas si j’ai envie de lui parler, de constater, de subir, de supporter cette distance physique qui me pèse de plus en plus, car je ne sais pas comment je vais pouvoir retenir mes larmes.
Il est presque 23h30 heures lorsque mon portable se met à vibrer dans le noir. Depuis presque une heure, je me suis refugié dans ma chambre, dans le noir. Je me suis allongé sur mon lit, et je n’ai pas fait le moindre mouvement, je n’ai pas produit le moindre bruit. J’ai mis le téléphone en sourdine. J’ai envie de passer inaperçu, de me faire oublier, de disparaître pour ne plus déranger, pour fuir l’hostilité.
J’hésite avant de décrocher, de peur de me faire remarquer, de peur que mes mots traversent les cloisons, qu’ils soient entendus, qu’ils dérangent à nouveau, qu’ils ajoutent du dégoût au dégoût, qu’ils m’attirent une réaction violente. Je ne suis plus à l’aise dans ma chambre, dans ma maison. C’est une sensation dévastatrice. Heureusement que je rentre sur Bordeaux demain matin à la première heure. Si je n’avais pas été aussi fatigué, si j’avais eu ma voiture, j’aurais voulu partir ce soir.
Oui, j’hésite avant de décrocher. Mais j’ai trop besoin d’entendre sa voix.
« Ourson ».
Ah putain, qu’est ce que ça fait du bien d’entendre ce petit mot chargé de tendresse !
« Salut toi. Tu as fait bon voyage ? ».
« Oui, bien. Un peu long, mais ça va ».
« Tu as été aux entraînements ? ».
« J’ai fait de la muscu cet après-midi ».
Comme toujours, le simple fait d’imaginer mon bobrun en débardeur, en train de soulever de la fonte, la peau moite de transpiration, suffit à provoquer en moi d’intenses frissons.
« Et toi, tu as fait quoi ? ».
« Je suis retourné voir ma cousine ».
« Comment ça se passe pour elle ? ».
« Toujours pareil, les médecins disent qu’elle va perdre l’audition d’une oreille ».
« Merde, je suis désolé ».
« Elle… elle… elle… » je tente de poursuivre la conversation.
Mais quelque chose se bloque en moi. Soudain, j’ai la gorge nouée. Je n’arrive plus à parler. J’ai trop envie de pleurer.
« Ça va, toi ? » je l’entends me lancer.
« Oui, oui ».
« Ça n’a pas l’air. Qu’est-ce qui se passe ? ».
« J’ai parlé à papa ».
« De… nous ? ».
« Oui… ».
« Et ça s’est pas bien passé… ».
« Non… ».
« Il a mis ma tête à prix ? » il se marre.
« Il a eu des mots très durs… ».
« Je t’avais prévenu, Nico… ».
« Je sais, mais un jour il fallait que ça se fasse de toute façon. Et quand j’ai vu que vous vous entendiez si bien, j’ai cru que ce serait plus facile ».
« Il a été vraiment très dur ? ».
« Oui ».
« Il t’a pas foutu à la porte quand même… ».
« Non, pas pour l’instant ».
« Je suis désolé, vraiment ».
« Je voudrais être avec toi ».
« Moi aussi ».
« Tu penses qu’il va garder ça pour lui ? ».
« Oui, je crois. Il a trop peur de ce que le gens peuvent dire ».
« Moi aussi, j’ai peur de ce que les gens peuvent dire. Parce que la plupart des gens sont très cons vis-à-vis de ça. Et je ne veux pas que cette connerie gâche ma vie et mes projets ».
« Ça veut dire qu’on n’a pas le droit d’être nous même si on veut s’intégrer à cette société… ».
« C’est ça, malheureusement ».
« Ça veut dire que la société nous dicte nos comportements et elle nous oblige à nous cacher ».
« Malheureusement ».
« Cette société ne me convient pas alors. Il faut la changer ».
« On ne peut pas batailler sur tous les fronts. On s’épuiserait à la tâche et on n’arriverait à rien. Soit on poursuit nos projets en gardant les apparences, soit on fonce dans le tas en prenant un gros risque de se casser les dents ».
« C’est horrible de devoir vivre avec ça ».
« L’important, c’est ce qu’il y a entre nous. Et ça ne regarde pas les autres, même pas ton père. Je sais que si je parlais de ça au mien, je ne le reverrais plus jamais ».
« Ça te suffit à toi de devoir vivre caché pendant toute ta vie ? ».
« On n’a pas le choix ».
En raccrochant d’avec Jérém, je suis tout aussi triste, voire davantage, qu’avant son coup de fil. Je me sens étouffer, je ne me sens pas à ma place dans ce monde qui refuse une différence sans jamais expliquer le pourquoi de ce refus. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi l’amour entre deux gars ou entre deux nanas doit poser un problème à qui que ce soit. Pourquoi ça doit inspirer le dégoût, le rejet, la haine, la violence. Pourquoi on doit vivre cachés. C’est un non-sens. Dans ce monde, on peut commettre des atrocités sans attirer autant de haine que deux gars ou deux nanas qui s’aiment sans rien demander à personne.
Vers minuit, j’entends enfin papa monter les escaliers pour rejoindre maman au lit.
J’entends ses pas faire craquer l’escalier en bois, faire grincer la vieille charpente, approcher sur le vieux parquet. J’ai le cœur qui tape à mille. Pendant quelques instants je ressens l’espoir, la peur, l’envie, l’angoisse que mon père veuille venir me parler. Pour modérer ses propos, ou pour m’enfoncer davantage. Pour se réconcilier ou pour me mettre à la porte.
Mais ses pas glissent devant ma porte et continuent dans le couloir. Un instant plus tard, j’entends la porte de la chambre parentale s’ouvrir et se refermer aussitôt. Puis, le silence.
L’idée que la maison s’apprête à s’endormir a le pouvoir de m’apaiser enfin. Mon père ne viendra plus me parler ce soir, il ne m’enfoncera pas davantage. Mais nous nous ne réconcilierons pas non plus. C’est triste mais je préfère ça à une nouvelle dispute. Je profite de ce silence, je commence à espérer trouver le sommeil.
Hélas, mon espoir est de courte durée. Il ne s’est pas écoulé deux minutes lorsque j’entends un vif échange entre mes parents. Je n’arrive pas à capter les mots, mais je sais qu’ils sont en train de se disputer à cause de moi. Ça me fait terriblement mal. Le ton monte, et les mots finissent par devenir intelligibles derrière la cloison qui sépare les deux chambres.
« C’est comme ça et tu ne pourras rien y faire » j’entends maman lancer.
« Et on va l’expliquer comment dans la famille ? ».
« Il n’y a rien à expliquer ».
« Ils vont se demander pourquoi il n’a pas de copine ».
« Ils ont qu’à se le demander tant qu’ils veulent, ça leur fera une occupation ! ».
« Si un jour ça se sait, je n’oserai même plus sortir de la maison ! ».
« Tu dis n’importe quoi ».
« Je ne l’ai pas élevé comme ça ».
« On l’a très bien élevé, on lui a appris à être honnête, et à l’être avec lui-même avant tout ».
« Ça c’est de ta faute ! ».
« Je te demande pardon ? ».
« Tu l’as trop couvé ! ».
« Et toi tu n’as pas été assez présent dans sa vie ».
« Ça veut dire quoi ça ? ».
« Ça veut dire qu’on a fait chacun ce qu’on pouvait ».
« Tu n’es quand même pas en train de dire que c’est de ma faute ! ».
« Mais il n’y a pas de faute, quand est-ce que tu vas arriver à te mettre ça dans le crâne ?! ».
« Tu m’emmerdes ».
« Si je t’emmerde, va dormir sur le canapé ! ».
« Avec grand plaisir ! ».
« J’espère que la nuit va te porter conseil. Moi je suis fière de mon fils, et quand tu auras bien réfléchi, tu sauras que tu peux l’être aussi ».
Sur ce, j’entends mon père claquer la porte de la chambre. Je ressens un nouveau frisson de panique à l’idée qu’il puisse venir m’engueuler dans cet état de colère. Je n’ai pas envie de subir une fois de plus son agressivité, sa violence verbale. J’ai une horreur sacrée de la violence verbale, car j’ai toujours peur qu’elle puisse dégénérer en violence physique. Je ne suis pas programmé pour affronter la violence physique.
Mais il n’en est rien, je l’entends traverser le couloir et descendre les escaliers quatre à quatre. Papa s’installe dans le canapé du salon et allume la télé. Au milieu de mon inquiétude, je trouve quand même amusante l’idée que papa cherche à s’éloigner de ses soucis dans ce canapé où quelques semaines plus tôt j’ai fait l’amour avec mon Jérém !
Sa colère, ainsi que la tension avec maman, provoquent en moi un malaise qui m’empêche de dormir. Le fil de lumière qui se glisse sous ma porte, ainsi que le volume assez élevé de la télé, témoins du fait que cette nuit la maison ne dort pas paisiblement, n’arrangent rien.
L’idée que maman soit obligée de se « battre » avec papa à cause de mon coming out me fait très mal. J’ai envie de la rejoindre dans sa chambre pour voir comment elle va, pour la remercier et pour la laisser me consoler. Mais je n’ose pas bouger de mon lit, j’ai peur que mon père s’en rende compte et que cela attise davantage sa colère.
Je tremble à l’idée que mon coming out puisse créer des problèmes dans le couple de mes parents. Je suis triste de penser que c’est maman qui va devoir gérer la colère de papa, alors qu’elle n’y est pour rien. D’autant plus que demain je repars à Bordeaux et que je ne vais pas pouvoir être là pour voir comment les choses évoluent. Je sais que la distance va faire que je vais beaucoup m’inquiéter.
D’une certaine façon, Jérém a peut-être raison. Oser être soi-même a un prix, un gros prix, et ça peut faire d’énormes dégâts. Pourquoi je ne me suis pas tu ?
Au final, je passe une nuit épouvantable. Je dors très peu. Heureusement que j’ai un train à prendre et non pas le volant. Lorsque je descends après la douche, à 5h30, papa est déjà parti au travail. Je suis à la fois soulagé et attristé. Je n’avais franchement pas envie d’affronter son regard « dégoûté ». Mais ça me rend triste de partir à Bordeaux en étant brouillé avec papa.
La vue de la couverture abandonnée en vrac sur le canapé sape un peu plus encore mon moral.
Maman est déjà dans la cuisine, cette petite pièce qui est à bien des égards le vrai foyer de la maison, le fief de notre complicité, le terrain où elle nous montre son amour sous la forme de bons petits plats pleins d’amour. L’air de la cuisine est saturé d’une délicieuse odeur de café matinal.
« Ça va mon chéri ? » elle me questionne, en me faisant un bisou.
« Ça va et toi ? ».
« Bien, bien ».
« Papa a dormi en bas » je lance.
« Il avait besoin de se changer les idées ».
« Je suis désolé de poser autant de problèmes ».
« Tu n’as pas à être désolé. Tu ne poses aucun problème. C’est ton père qui a un problème. Mais ça lui passera ».
« J’espère que ça va aller ».
« T’inquiète, c’est pas la première fois qu’il dort sur le canapé, et cette expérience l’a toujours fait réfléchir ».
« Merci maman ».
« Merci de quoi ? ».
« De toujours me soutenir, d’être toujours là pour moi ».
« Ça fait partir de la fiche de poste de « maman » ! » elle plaisante.
« Vraiment, Nico, il ne faut pas t’en faire, il va se calmer, je t’assure » elle enchaîne « Tout ce qui doit te préoccuper désormais ce sont tes études. Et ton bonheur avec le gars que tu aimes. Ton père fait sa petite crise mais il s’en remettra. Il faut qu’il accepte que ton bonheur passe avant tout et que tu ne peux pas te conformer à ses attentes si elles ne te correspondent pas. Un jour il comprendra qu’il n’a rien à te reprocher et que tu es un gars génial ».
A ma grande surprise, j’arrive à dormir dans le train. Je me réveille en gare de Bordeaux et je suis bien. Un peu engourdi mais bien. La distance de Toulouse, ainsi que la journée à venir, la fac, les retrouvailles avec ma petite bande de camarades, d’autres retrouvailles avec la petite cour au sol rouge et ses habitants si bienveillants m’aident pour l’instant à relativiser mes soucis.
En effet, le fait de retrouver les cours, ainsi que mes camarades Monica, Raphaël et Fabien me fait un bien fou.
« Salut mon pote » m’accueille Raphaël, avec le ton festif et bienveillant qui est sa marque de fabrique, tout en me serrant dans ses bras et en mettant des petites tapes sur mon épaule.
« Tu connais Cécile ? » il continue.
En mon absence, notre petite bande semble s’être enrichie d’une nouvelle recrue.
Cécile est une nana assez élancée, les cheveux châtain clair tendant au roux, assez longs, tenus en une queue de cheval, la peau très claire, avec des taches de rousseur de naissance autour du nez et sous les yeux. Elle a l’air d’une nana très discrète.
« Non, je ne la connaissais pas encore. Enchanté Cécile » je fais, en lui faisant la bise.
« Enchantée moi aussi, Nico ».
« Comment ça va ? » me demande Monica en me faisant la bise à son tour.
« J’ai eu beaucoup de chance. Il n’y a pas de victimes dans mon entourage. Mais ma cousine a perdu un tympan. Deux potes, dont un qui est pompier, ont été blessés mais pas trop gravement. La ville est un champ de guerre. Ma maison est une ruine. Toutes les portes et fenêtres sont sorties de leur encadrement, les meubles sont tombés. Il faudra beaucoup de temps pour tout remettre en état. Mais ça va, le pire c’est pour les familles qui sont en deuil et pour les blessés graves pour qui la vie va être complètement bouleversée ».
« On ne sait toujours pas ce qui s’est passé » commente Fabien.
« Il semblerait que l’enquête penche plutôt pour l’accident » je considère.
« De toute façon, on ne saura jamais. La presse relayera le mensonge d’Etat, ce qu’on appelle communément la « version officielle », c'est-à-dire celle qui arrange le Pouvoir. Comme à chaque fois qu’il y a une catastrophe » fait Raphaël.
« C’est vrai que chez tes potes soviétiques ou chinois, la transparence et au cœur de la vie politique » se moque Fabien.
« Mais votre gueule les gars » fait Monique.
Cécile se tait, elle a l’air d’une nana très simple et très réservée. Elle a un regard très intense.
Ce premier jour de fac après la double catastrophe de Toulouse et de mon coming out houleux auprès de mon père me fait vraiment du bien. Ça m’aide à penser à autre chose, à m’évader.
Je redoute la fin des cours, ce laps de temps entre le moment où je quitte mes camarades et le moment où je retrouve le petit monde de mon immeuble. Mais les retrouvailles avec la petite cour au sol rouge sont bien chaleureuses.
« Nico ! » je m’entends appeler alors que je m’apprête à déverrouiller la porte de mon appart.
Albert et Denis me proposent un café et me demandent à leur tour des nouvelles de mes proches et de ma ville. Leur amitié et leur bienveillance me font un bien fou.
« Mais tu n’as pas l’air très en forme aujourd’hui » me titille Albert.
« Ça va » je tente de détourner ses questions.
« C’est le choc de voir ta ville défigurée ? ».
« Oui… mais aussi ce qui s’est passé chez moi ».
Je leur raconte alors la venue de Jérém, son accueil chaleureux par mes parents. Et aussi mon coming out, et le rejet de mon père.
« Ça lui passera, il faut juste un peu de temps » me lance Albert.
« C’est ce que m’a dit maman ».
« Les pères sont souvent plus cons que les mères sur ce sujet, je suis bien placé pour le savoir ».
« Viens dîner à la maison ce soir » me propose Denis.
« C’est gentil, mais je crois que j’ai envie de rester seul ».
« Allez, viens. Ne reste pas tout seul à broyer du noir. En plus, ce soir il y aura un pote à nous, tu verras, il est très sympa ».
Voilà comment je me retrouve une fois encore invité à dîner chez mes propriétaires. A 19 heures je suis chez eux. L’invité des deux papis se fait attendre, nous attaquons l’apéro.
Nous sommes à la deuxième tournée lorsque l’interphone sonne.
« C’est qui ? » fait Denis.
« Mère Teresa » j’entends répondre.
« Je crois que tu n’as pas vraiment le profil du poste » se moque Denis.
« Ouvre pétasse ! ».
Quelques instants plus tard, le pote de mes deux proprios débarque dans l’appartement. C’est un petit bonhomme chauve, d’un âge indéfinissable, avec des lunettes fines, des petits yeux perçants.
Il fait la bise à Albert et Denis, avant de s’adresser à moi.
« Bonjour jeune homme » il me lance, avec un grand sourire.
« Bonjour ».
« Moi c’est Laurent ».
« Et moi c’est Nico ».
« Et tu débarques d’où, Nico ? ».
« Je suis le locataire du studio juste à côté de leur appart ».
« Ça ne fait pas longtemps que tu es arrivé ? ».
« Une semaine ».
« Nico est un garçon très sympathique » commente Denis « et en plus, il est des nôtres. Il dîne avec nous ce soir ».
« C’est bien, ce ne sera pas un repas entre vieux croûtons ».
« Mais ta gueule ! » fait Denis en rigolant.
« Et tu fais quoi dans la vie, tu es étudiant ? » me questionne Laurent.
« Oui, je suis un cursus en sciences de la terre ».
« C’est bien, c’est bien. Et ces études vont te permettre de prétendre à quel métier plus tard ? ».
« Je ne sais pas encore trop, mais ça peut être la recherche, l’étude du sol, du sous-sol, des ressources hydrogéologiques. Tout dépend jusqu’où je déciderai de pousser mes études ».
« Tu m’as l’air d’un gars qui sait ce qu’il veut, et c’est une très bonne chose ».
« Tout n’est pas encore clair dans ma tête, je vais voir au fur et à mesure ».
« En tout cas » continue Laurent « enchanté de faire ta connaissance, Nico ».
« Enchanté moi aussi ».
« Allez, Laurent, arrête de draguer le petit, il est bien trop jeune pour toi » lance Albert, taquin.
« C’est un charmant garçon. Allez, assez parlé, faites pèter le Lillet Blanc ! » il lance à l’adresses de mes propriétaires.
« Laurent est un très bon ami » m’explique Albert, le ton et le regard taquin « c’est un grand architecte, mais qu’est-ce qu’il picole ! C’est pour ça qu’on ne l’invite pas souvent ».
« Le grand architecte t’emmerde, le vieux ! ».
Je trouve qu’architecte colle bien avec l’allure de ce bonhomme pas dépourvu d’une certaine élégance, dans les manières avant même que dans le style vestimentaire.
« Alors, ton mari italien va bien ? » le questionne Denis.
« Oui, Giovanni va bien, je vais le retrouver le mois prochain à Capri ».
« Ça fait combien de temps que vous vous connaissez maintenant ? ».
« Près de dix ans ».
« Comment ça vole le temps ! » s’exclame Albert « Et sa femme ne se doute toujours de rien ? ».
« Je n’en sais rien. Tant qu’elle ne nous empêche pas de nous voir, je m’en fiche. Enfin, je préfère autant qu’elle ne l’apprenne pas. Tout le monde vivra plus heureux ».
« Ils habitent toujours dans ta maison de vacances avec leurs gosses ? ».
« Oui, ils occupent le rez-de-chaussée. Giovanni est le gardien et l’homme à tout faire de ma maison de vacances ».
« Ah oui, ça, pour être un homme à tout faire… » se moque gentiment Albert.
« Giovanni est un bol d’air frais que je m’octroie pendant quelques jours chaque trois ou quatre mois. Il m’a fallu arriver presque à cinquante ans pour m’épanouir sexuellement. Giovanni est arrivé dans ma vie à point nommé. Il m’a remis en phase avec moi-même ».
« C’est vrai que tu t’es longtemps égaré… » commente Denis sur un ton taquin.
« Un petit peu… ».
« Quand même… tu as été marié pendant des années avec ta femme et tu lui as fait deux gosses ».
« J’ai eu besoin d’en passer par là pour enfin regarder les choses en face ».
« Sacré histoire que la tienne » fait Denis.
« Et maintenant vous êtes avec un homme ? » je demande, perplexe.
« Oui, je me suis enfin autorisé à être moi-même ».
« Et vous vous vous considérez comment, bisexuel ? ».
« Ah non ! Il n’y a pas plus gay que moi ! ».
« Mais depuis quand vous savez que vous êtes gay, alors ? ».
« Depuis toujours. Enfin, au moins depuis le collège. Depuis les cours de sport du jeudi. Je me souviens très bien des cours de sport du jeudi. Au milieu des copains qui se déshabillaient dans le vestiaire, je me sentais tout bizarre, tout chaud. Je me souviens qu’un jour j’ai été troublé en voyant un camarade qui avait déjà des poils sur le torse.
J'avais tellement honte de ce que je ressentais que je me suis dit : personne ne doit le savoir ».
« Et alors vous avez essayé de faire comme les autres ? » je demande.
« Regarder les filles avec les copains, c'était naturel, ça allait de soi, c'est ce qu'on attendait de moi. C’était simple et rassurant.
Finalement, je me suis mis à jouer un rôle et à y croire. On finit par croire vraiment à ses propres mensonges, j'imagine que notre cerveau fonctionne comme cela. J'avais conscience d'avoir des fantasmes homosexuels mais ça ne m'empêchait pas de me considérer comme hétéro.
Plus tard, j'ai rencontré une femme. On s’entendait bien. Très vite, elle est tombée enceinte. Nous nous sommes mariés parce qu’il fallait donner une famille à ce gosse qui était en route. Je me suis dit que ça marcherait. Nous avons eu deux autres enfants, qui sont ce que nous avons de plus précieux ».
« Et à quel moment avez-vous franchi le pas d’aller vers les garçons ? Qu’est-ce que qui a fait que vous avez décidé de vivre autrement ? ».
« Un jour, l’année de mes 35 ans, je suis monté sur Paris pour le travail. Et dans la rue, devant moi, j’ai vu deux hommes, deux amoureux, qui marchaient main dans la main.
Et pour moi ça a été un choc. En les voyant heureux, spontanément, je me suis dit : « c'est ça que je veux, c'est ça dont j'ai envie ». D'un coup j’ai pris conscience que ça faisait 20 ans que j’avais honte de moi. Comment peut-on s'habituer à avoir honte de soi ? ».
« C’était le lot quotidien de nous tous, la honte, à cette époque » commente Albert.
« Je ne voulais plus avoir honte de moi » continue Laurent « C’est lors de mon déplacement suivant à Paris que j’ai franchi le pas. Un soir, je me suis rendu dans une boîte de nuit gay. J’ai eu une aventure. Puis une autre, le soir d’après. Je vivais à 35 ans ce que beaucoup aujourd’hui vivent entre 15 et 25. La prise de conscience de qui on est, la prise de contact avec ceux qui sont comme soi ».
« Mieux vaut tard que jamais » fait Denis.
« C’est vrai. Même si au début je culpabilisais un max. Je me disais : « je me suis marié, j’ai des enfants, je ne peux pas faire ça ». Entre ressentir des désirs homosexuels et se dire « je suis gay », il y a tout un travail d'acceptation. Et lorsqu’on a tout fait pour se convaincre d’être hétéro, pendant longtemps, c’est encore plus difficile. Car il faut faire le deuil de celui qu’on s’était persuadé d’être… ».
« Mais qu’on n’est pas » je réfléchis à haute voix.
« On doit se réconcilier avec soi-même » il continue « se pardonner du mensonge qu’on s’est raconté. Aussi, il faut accepter de prendre sur soi tout ce qu'on a intériorisé de négatif sur les homosexuels. Il faut du temps pour se dire qu’on n’est pas moins bien que les autres, pour passer de la considération à propos de soi « je suis différent des autres » à « je suis comme ceux-là qui sont comme moi ».
J’ai mis un certain temps à m’émanciper. Je devais d’abord vaincre la peur. J'avais des fantasmes, des envies, mais la peur était très forte. Plus forte que mon aspiration au bonheur. La pulsion sexuelle s’associait à cette peur. J’étais prisonnier de la peur ».
« Et alors, comment êtes-vous arrivé à assumer votre homosexualité ? » je demande.
« Quand j’ai décidé de sortir du placard, vers mes 40 ans, on m'a dit : « tu es en train de briser ta famille pour du sexe ». A nouveau, j’ai culpabilisé à mort. Mais peu à peu je me suis donné le droit de vivre une vie qui me correspond. Car il ne s'agit pas de sexe, il s'agit d'être moi-même ».
En entendant le récit de Laurent, je ne peux m’empêcher de repenser à mon ami Thibault et de faire le parallèle avec son histoire à lui. Aujourd’hui, il est avec Nathalie à cause de l’enfant à venir, pour l’assumer. Mais cet enfant a été un « accident », même si ça a l’air de le rendre heureux. C’est de cet « accident » dont découle sa vie actuelle et à venir d’hétéro. Mais qu’en serait-il de sa vie, de ses choix, si cet événement n’était pas arrivé à ce moment de son parcours ? Est-ce qu’il n’aurait pas choisi de vivre, du moins pendant un temps, « du côté des garçons », de faire des rencontres, de prendre le temps de savoir quelle était vraiment sa voie, avant de choisir ?
Aujourd’hui il accepte cette vie de parfait petit « mari ». Mais jusqu’à quand pourra-t-il refouler ses véritables désirs en les faisant passer après le bien-être de son enfant et de celui de son couple ? Jusqu’à quand pourra-t-il tenir sans que l’envie du contact physique avec un gars ne le tenaille jusqu’à devenir insupportable ? Jusqu’à quand pourra-t-il vivre avec cet interdit ? Quand on sait que c’est précisément l’interdit qui attise le désir…« Avec ma femme » continue Denis « j’ai essayé que cela se passe au mieux. J’ai été clair avec elle. C’est quelqu’un d’intelligent, et elle a compris ce que je ressentais. Ce qui a été libérateur, c’est quand elle a décidé de partir, et sans me déclarer la guerre. Nous avons divorcé en bonne intelligence, dans le respect mutuel. Nous avons gardé une profonde estime l’un envers l’autre ».
« Et vos enfants, ils sont au courant ? » je le questionne.
« Mes enfants, j'avais envie qu'ils sachent eux aussi qui je suis. Et, aussi, leur offrir l'exemple de quelqu’un qui accepte sa différence.
Même si je n’y arrive pas moi-même tous les jours. Ça m'arrive encore, parfois, quand des gens parlent des homos devant moi, quand j’entends une blague homophobe, de rougir. Je sais pourtant que ce n'est pas honteux, mais mon corps semble penser autrement. C'est comme ça ».
« Ça ne t’a pas empêché de rencontrer un homme charmant » fait Albert.
« C’est vrai que Giovanni me fait beaucoup de bien. Quand je suis dans ses bras, les matins où sa femme est au travail et ses gosses à l’école, je suis bien, comme je ne l’ai jamais été de ma vie. Dans ses bras, je suis heureux. Heureux comme ne le sont que ceux qui ont mis longtemps à se trouver. Même si nous devons vivre cachés ».
« Vivons cachés, vivons heureux, c’est notre philosophie de vie à nous tous » lance Denis.
« C’est la philosophie de mon copain aussi » je réfléchis à haute voix.
« Les générations passent, mais le problème d’acceptation demeure » fait Laurent.
« Le pire c’est que je commence à croire qu’il a raison ».
« Les mentalités évoluent quand même » tente de me rassurer Laurent.
« Mais pas trop vite, pas trop vite » conclut Denis.
« Et pour vous comment ça s’est passé ? Vous avez fait votre coming out ? » je questionne ce dernier.
« De mon temps, l’expression même « coming out » n’existait pas » il se moque.
« Tu sais, de notre temps, il n’y avait pas de gays » fait Albert « Juste des célibataires. Des vieux garçons. On préférait croire qu’un célibataire était trop nul pour se trouver une femme plutôt qu’il ne voulait pas trouver une femme. On n’était gays que si on se faisait choper en flagrant délit. A ce moment-là, on était mis au ban de la société. Mais, je t’ai coupé la parole, mon chéri, désolé, tu allais nous raconter ton parcours ».
« Il n’y a pas grand-chose à dire » continue Denis « Je suis issu d’une famille modeste, mais j’ai quand même eu droit à une éducation religieuse. Alors, quand vers l’âge de 11-12 ans j’ai commencé à ressentir de l’attirance vis-à-vis des garçons j’ai vite senti que ça allait à l’encontre de cette éducation. « Dieu a détruit les villes de Sodome et de Gomorrhe pour punir leurs habitants immoraux » est écrit dans la Bible qu’on nous faisait étudier au catéchisme.
Le pire dans tout ça c’était de ne pas pouvoir en parler. Je ne pouvais me confier à personne, personne.
Je sentais que je n’étais pas comme les autres et je me sentais coupable. J’avais honte. Je me sentais comme un déchet ».
« C’est dur de ne pas pouvoir parler à personne » je commente « on se sent seuls au monde ».
« Oh que oui ! L’année de mes 21 ans, j’ai fait une dépression. A l’époque on ne parlait pas encore de dépression, je ne pouvais même pas mettre de mots sur mon mal être. J’ai commencé à sentir des vertiges, à faire des malaises. J’étais incapable de me lever le matin.
Je suis allé voir un médecin. Je lui ai dit que j’avais des vertiges. Il m’a donné des calmants. Et il m’a envoyé voir un psy, ce qui était un truc pas banal pour l’époque. Car les psys ne couraient pas encore les rues comme aujourd’hui, où ils sont plus nombreux que les boulangeries et les bars ».
« Mais il faut se remettre dans le contexte » il continue « Les psys du début des années ‘60 n’étaient pas des psychologues, mais des psychiatres.
Le passage chez le psy ne m’a pas apporté grand-chose. Je ne me suis pas confié, mais je pense qu’il avait compris. Mais je n’ai pas eu le courage de mettre des mots sur ce que j’étais et il a eu la pudeur de ne pas le faire à ma place ».
« Et vous l’avez revu, ce psy ? » je veux savoir, tout en repensant aux mots de colère de mon père qui m’invitait à aller voir un psy pour qu’il puisse me guérir.
« Oui, un peu plus tard. Un jour, j’ai eu besoin de me confier. J’ai pensé à mon psy. Je lui ai écrit une lettre. Je ne savais pas exactement ce que j’attendais de lui. Qu’il me fasse parler. Qu’il m’aide à parler. Qu’il m’oblige à parler. Qu’il me guérisse peut-être. Je voulais surtout que mon mal être cesse. Dans ma lettre, je ne savais pas bien comment aborder le sujet. Alors je lui ai écrit que je faisais partie de ces êtres décrits dans les romans de Roger Peyrefitte que je venais de découvrir.
Quelques temps plus tard, je suis retourné en consultation. Nous avons parlé de la lettre. Il m’a dit que je n’étais pas malade, que mon attirance pour les hommes était un état des choses. C’était la première fois que j’entendais ça et ça m’a fait un bien de fou ».
« Si seulement mon père pouvait entendre ça de la bouche d’un psy » je lâche, comme un cri du cœur, avant de le questionner à nouveau « et ce psy n’a pas essayé de vous changer ? ».
« Non, il n’a pas essayé. Nous sommes devenus amis par la suite ».
« Et vous avez pu commencer à vous assumer après ça ? ».
« Oui et non, parce que ce n’était pas facile de faire des rencontres. Il n’y avait pas de bars, ou des boîtes de nuit. Dans les villes, les lieux de rencontres par excellence étaient les tasses ».
« Les quoi ? ».
« Les tasses. C’était le surnom qui avait été donné aux pissottières publiques à Paris. Et faire les tasses, c’était aller chercher des rencontres. Mais on y allait la peur au ventre de se faire tabasser par des cons ou de se faire embarquer et brutaliser par les forces de l’ordre. A l’époque, l’homosexualité était un délit infamant et stigmatisant. Une fois inscrit dans son casier judiciaire on se traînait cette « honte » à vie. L’homosexualité était aussi considérée comme une maladie mentale, et comme un fléau social, au même titre que l’alcoolisme ».
« Un soir, au milieu des années ’70 » se remémore Laurent « j’étais en voiture, sur un parking isolé, avec un gars que j’avais rencontré dans une boîte à Paris. Une voiture de Police approche, on nous demande les papiers. Je me souviens du regard des deux policiers, un regard plein de mépris. J’avais peur, très peur. Peur qu’ils nous embarquent, ou qu’ils envoient un courrier chez moi, que ma femme tombe dessus, ou qu’ils envoient un courrier à mon cabinet, que mon associé tombe dessus. Je leur ai expliqué que c’était ma voiture du travail, que j’étais marié, je leur ai fait comprendre que si ça s’ébruitait je risquais de tout perdre. J’étais gêné à mort, je tremblais de trouille. Ils ont fini par nous laisser répartir sans faire d’histoires. Pendant des mois j’ai eu peur d’un courrier qui aurait détruit ma vie. Mais il n’est jamais arrivé ».
« Heureusement, aujourd’hui, au moins ces peurs, celle du chantage et celle du gendarme, ont disparu » je commente.
« Je pense qu’aujourd’hui, les jeunes générations sont beaucoup plus libres que ne l'était la nôtre » estime Denis. Elles le sont beaucoup plus sur le plan de la parole. Avant de passer à l'acte, il faut quand même mettre des mots sur les choses. Et à cette époque, les mots ne venaient pas. Pour que les mots viennent, il faut commencer à vaincre la peur. Et dans les années ‘60, elle était énorme, c’était notre principal ennemi ».
« Après la libération sexuelle, les années ’70 ont été une époque débridée » continue Denis « Ainsi, les années ’80 s’annonçaient sous les meilleurs auspices. La gauche au pouvoir, la dépénalisation de l’homosexualité. Mais tout ça paraissait trop beau pour durer. Les SIDA n’a pas tardé à venir gâcher la fête, et les années ’80 ont été surtout marquées par cette saloperie, le cancer gay comme il était appelé à l’époque. Il y avait des gens pour dire que ça ferait juste du ménage parmi ceux qui ne méritaient que ça. Certains y voyaient un châtiment divin.
Ça nous est tombé dessus presque du jour au lendemain. Il n’y avait pas de remède. Les gays tombaient comme des mouches. La mort de Le Luron et de Freddy Mercury, deux personnalités que j’appréciais beaucoup, m’a beaucoup affecté. Vous les jeunes de maintenant vous êtes nés avec le SIDA et on vous a appris à vous protéger. A nous, on ne nous l’avait pas appris ».
« C’est vrai, mais ce n’est pas tout rose pour eux non plus » considère Laurent « car il y a une autre maladie qui fait des ravages à notre époque, comme dans chaque époque, une maladie pour laquelle il n’y a pas et il n’y aura jamais ni de traitement ni de vaccin. Je veux parler de la connerie humaine de certains, et particulièrement de l’une de ses souches les plus odieuses, l’homophobie ».
« Sale race, ces gens-là ! » lâche Albert.
« Les homophobes (1) sont des gens qui veulent décider à la place d’autres gens qui ont le droit d’aimer ou pas » considère Laurent « Ils voudraient nous empêcher de nous exprimer, ils voudraient réprimer toute forme de sexualité différente de la leur ».
Soudain, je repense à un couplet d’une chanson de Madonna remontant à quelques années déjà :
Express yourself, don't repress yourself/Exprime toi, ne te réprime pasAnd I'm not sorry/Et je ne suis pas désoléIt's human nature/C'est la nature humaine
https://www.youtube.com/watch?v=XPL_qGqSJxA
« Et ces gens-là, quand tu leur demandes pourquoi ils sont contre l’homosexualité » continue Laurent « tu as droit à des « ouais, mais tu vois, c’est contre nature, en fait, l’homme n’est pas fait pour ça ». Parce que l’homme a été créé pour voler ou aller sur la Lune ? ».
Did I say something wrong ?/Ai je dis quelque chose de mal ?
Oops, I didn't know I couldn't talk about sex/Oops, je ne savais pas que je ne pouvais pas parler du sexeOops, I didn't know I couldn't speak my mind/Oops, je ne savais pas que je ne pouvais pas m’exprimer
« On a le droit d’être gêné par ça, par deux mecs qui s’aiment, chacun est libre de penser ce qu’il veut. Tant que tu ne fais chier personne il n’y a pas de problème.
Le problème ce sont ceux qui insultent, frappent, menacent, harcèlent d’autres juste parce qu’ils sont homosexuels. Et eux, ça se voit qu’ils sont cons. Ce sont des pauvres gens ».
You punished me for telling you my fantasies/Tu m'as puni pour t'avoir raconté mes fantasmesI'm breakin' all the rules I didn't make/Je vais briser toutes les règles que je n'ai pas faites
« Comme si les insultes, les coups, les menaces, le harcèlement pouvaient guérir pas de l’homosexualité, remettre les gens dans le « droit chemin ». L’homosexualité n’est pas un choix, c’est une orientation qui échappe à la volonté ».
Express yourself, don't repress yourself/Exprime toi, ne te réprime pasDid I say something true ?/Ai je dis quelque chose de vrai/bien ?
« En vrai ça dérange qui l’homosexualité ? Pourquoi ? L’homophobie c’est soit de la jalousie et de la frustration, soit de la peur ».
« Moi je ne comprends même pas le sens du mot « homophobe ». Dans homophobie il y a peur. Mais quand tu es homophobe, tu n’as pas peur, tu es juste con » conclut Albert (2).
Express yourself, don't repress yourself/Exprime toi, ne te réprime pas« I'm not your bitch don't hang your shit on me/Je ne suis pas ta pute, n'accroche pas ta merde sur moi ».
« J’ai pu constater dans ma vie que les gens qui sont très agressifs par rapport à l’homosexualité sont ceux qui ont l’homosexualité à fleur de peau » considère Laurent « je pense que l’envie de « casser la du PD », c’est une façon de casser la gueule à leur propre homosexualité, qui les dérange.
« Si on en croit tes mots, tous les homophobes sont des gays refoulés ? ».
« Dans certains pays, il y a une profonde hypocrisie au sujet de l’homosexualité. Dans certaines cultures latines très machistes, on accepte que des hommes aient des relations sexuelles avec d'autres hommes, mais seulement s'ils tiennent le rôle actif.
Le mépris pour l'homosexuel efféminé, ou pour celui qui est passif, est précisément ce qui rend acceptable la bisexualité pour les hommes masculins. C’est pourquoi l'homophobie, le machisme et la bisexualité masculine semblent marchent souvent ensemble ».
« Lorsque vous jetez votre haine sur moi, ce sont vos peurs que vous projetez sur moi » conclut Albert.
« Qui a le droit de nous dire ce qui est bon pour nous ? » fait Laurent.
« Albert et moi on a passé une bonne partie de notre vie ensemble » explique Denis « On a mis en commun nos solitudes, Pour ne pas vivre seul, comme chantait Dalida. Et ça nous a offert les meilleures années de notre vie ».
https://www.youtube.com/watch?v=4NI_rhdY7DE
« On a vécu de bons moments, de moins bons, on s’est soutenus mutuellement » il continue « Il y a eu le sexe, ce qui dérange les homophobes. Mais il n’y a pas eu que ça, loin de là. Le sexe ne dure qu’un temps, comme pour tout un chacun, y compris les hétéros. Mais avec l’âge, ce qu’on demande à l’autre, c’est la présence de l’autre à ses côtés, de la tendresse, du partage. Ce que j’apprécie, c’est justement de ne pas être seul, de partager un bon bouquin, un bon film, un bon concert, un opéra au Capitole. J’apprécie notre complicité. Et ce que j’apprécie par-dessus tout c’est que la vie et ses tracas sont bien plus supportables depuis qu’il est là » fait-il en cherchant la main de son compagnon de vie.
« Même depuis que je suis en fauteuil roulant et que je suis un fardeau pour toi ? » le questionne ce dernier, visiblement ému.
« Je te promets de t’être fidèle dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, pour t'aimer tous les jours de ma vie » récite Denis en guise de réponse.
« Jusqu’à ce que la mort nous sépare » complète Albert « mais ça ne presse pas, chaque jour avec toi est un cadeau ».
« Merci Denis » fait Albert, les yeux embués de larmes.
« Tu aurais fait pareil pour moi ».
Les deux vieux hommes sont émus. Denis se lève et prend son compagnon dans ses bras. Puis, lui enlève les lunettes et essuie les larmes qui coulent sur ses joues.
« Qui a le droit de mépriser ça ? » conclut Laurent, en posant un regard plein d’émotion sur ses deux potes.
(1) Quelques exemples révoltants de la connerie humaine de certains :
https://tetu.com/2020/03/27/coronavirus-une-menace-homophobe-decouverte-par-un-couple-gay-a-marseille/
http://www.leparisien.fr/essonne-91/infirmiere-menacee-en-essonne-si-un-cas-se-confirme-dans-la-residence-vous-serez-tenue-pour-responsable-30-03-2020-8290968.php
https://www.instagram.com/p/B-WtkzBicac/
(2) Les propos compris entre les indicateurs (2) sont extraits et adaptés des propos contenus dans une vidéo du youtubeur « Jimmyfaitlecon », dont voici le lien :https://www.youtube.com/watch?v=qbQRu0EOUjI
(3) Très drôle et intelligemment traité aussi : https://www.youtube.com/watch?v=-xbzAWx_2Pg
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