0238 Un train qui file vers l’inconnu.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 10-10-2020 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0238 Un train qui file vers l’inconnu.
Dans le métro, Jérém essaie de me faire la conversation, certainement pour tenter de faire taire son sentiment de culpabilité et son malaise. Il me questionne sur mon emploi du temps dans la semaine à venir, sur mes cours, il me demande des nouvelles de mes propriétaires. Il essaie de se montrer aimable. Mais toute l’amabilité du monde ne pourra remplacer notre complicité, ce bonheur que la découverte de ses coucheries vient de me retirer.
« Je voudrais être le mec qu’il te faut » il me lance sur le quai de la gare, devant la porte du train, l’air vraiment désolé.
« Mais tu l’es. Enfin, tu pourrais l’être… » je lui lance, triste comme les pierres, en montant dans le wagon.
« Tu es quelqu’un de spécial pour moi, Nico, ne l’oublie jamais ».
Je voudrais trouver des mots pour lui dire aurevoir. Mais déjà les coups de sifflet des agents SNCF annoncent le départ prochain du train.
« On s’appelle » je l’entends me lancer, alors que les portes sont déjà en train de coulisser.
Là non plus, je n’ai pas le courage de lui répondre. Je suis sonné, comme dans un état second, je ne sais même plus où j’habite.
Le train démarre et la dernière image que j’ai de Paris est un gars beau comme un Dieu, mais avec un air triste à mourir, une image qui me donne envie de pleurer. Le train m’arrache très vite à cette image. Mais je pourrais jurer que ce gars était lui aussi en train de pleurer.
Pendant que le train quitte Paris je repasse le film des deux dernières heures. Jérém qui me fait l’amour. Jérém qui me demande de lui faire l’amour. Jérém qui vient en moi à nouveau. Le plaisir, beau, intense. Notre complicité retrouvée. Notre tendresse retrouvée. Notre bonheur enfin retrouvé. L’esprit qui s’apaise enfin, après un début de week-end plein de doutes.
Et puis cette sonnette, stridente, désagréable comme un clou sur lequel on vient de marcher. L’arrivée de cette nana. La découverte que c’était elle l’auteur des mystérieux coups de fil auxquels Jérém n’avait pas voulu répondre et qui m’avaient tant questionné. La découverte que Jérém a couché avec elle. La mise au point avec Jérém. Ses explications, comme quoi il couche avec des nanas pour que ses coéquipiers ne se posent pas de questions au sujet de sa sexualité. Sa déclaration comme quoi je suis quelqu’un de spécial à ses yeux. Et à côté de ça, sa vision de notre relation à venir, un couple libre où entre deux retrouvailles plutôt espacées, nous aurions des aventures protégées et sans implications sentimentales.
Pendant que le train m’éloigne de Paris, j’essaie de comprendre son point de vue. J’ai l’impression qu’en essayant de m’expliquer à quel point il était désolé de me faire vivre ça et de ne pas avoir mieux à me proposer, il était sincère. Ses mots paraissaient sincères, sa tristesse aussi, tout comme son malaise. Un malaise qui n’était pas le pendant du fait d’avoir été « découvert » mais plutôt du fait de me faire souffrir.
J’essaie de prendre sur moi, de me faire à l’idée d’un couple libre qui se retrouverait de temps à autre sans que cette liberté n’entache ce « truc » très spécial qu’il y a entre nous, et dont Jérém a enfin verbalisé l’existence.
J’essaie, encore et encore, j’essaie jusqu’à m’en donner le tournis. Mais ça finit toujours par bugger quelque part.
Sur le fait d’imaginer mon Jérém au lit avec une nana. Ou bien sur le fait que cet « arrangement » espacera encore nos rencontres. Je ne peux supporter l’idée de ne voir Jérém que deux ou trois fois par an. Mais aussi, je bugge sur la peur qu’en acceptant le principe du couple libre, ceci ouvre la porte à tous les dangers. Si notre couple est libre, qu’est-ce qui l’empêcherait un jour de passer des nanas aux mecs ? S’il n’est jamais tombé amoureux d’une nana, peut-être qu’il tombera un jour amoureux d’un mec. C’est bien connu, loin des yeux, loin du cœur. A force de ne pas se voir, des choses vont forcément changer entre nous. Et un jour il va finir par m’oublier. Et peut-être que moi aussi je vais l’oublier. Ça aussi ça me fait peur. Je ne veux pas l’oublier.
En fait, je bugge avant tout sur ma peur de perdre Jérém.
Ma raison, seule, serait peut-être à mesure de comprendre sa vision des choses et de la saluer en tant que solution « la moins pire » à court terme. Mais à 19 ans, le cœur l’emporte sur la raison. C’est toute la beauté de cet âge. Mais aussi son défaut.
Soudain, une phrase me revient. Quelques mots de Jérém qui, dans le feu de la mise au point, je n’ai pas su relever, mais qui m’ont quand même blessé : « Le rugby c’est ma vie ». La tentation est forte d’y voir un sous-entendu : « Le rugby c’est ma vie, et pas toi, Nico ». Ou, à la rigueur « toi aussi, mais pas autant que le rugby ».
J’essaie de me dire que Jérém n’a jamais prononcé les mots « et pas toi, Nico », que je me prends la tête pour rien, que je fais fausse route. J’essaie de me focaliser sur le fait qu’il m’a dit et répété que je suis quelqu’un de spécial à ses yeux. J’ai vu Jérém pleureur sur le quai de la gare. Ce n’est pas vraiment l’attitude d’un garçon qui n’en a rien à faire de moi.
Et pourtant, je n’arrive pas à chasser de ma tête le doute que, même si cela lui pèse, le rugby puisse peser plus lourd que notre relation dans ses choix personnels.
Je rentre à Bordeaux, la mort dans le cœur et l’âme, en ignorant quand je vais revoir Jérém, si tant est que je vais le revoir un jour.
Ce qui est très dur aussi, c’est de penser que je n’ai aucun recours sur les règles établies par Jérém. J’ai beau me dire que ces règles lui sont à son tour imposées par son entourage, par la bêtise d’une société qui se sent légitime à autoriser ou pas l’amour suivant le sexe des acteurs de cet amour, je n’arrive pas à accepter que je n’ai aucune prise là-dessus. C’est à prendre ou à laisser. Si je laisse, je vais perdre Jérém. Si je prends, j’ignore où cela peut nous conduire.
Je suis tellement accaparé par ma souffrance que je finis par perdre la notion du temps et de la distance. Ainsi, lorsque le train ralentit à l’approche d’une nouvelle gare, je suis étonné de lire « déjà » le panneau « Poitiers ». Etonné et un brin remué. Soudain, je repense à Benjamin, le gars avec le chiot labrador. Si j’avais su ce que Jérém préparait, je n’aurais peut-être pas jeté son papier.
Je jette un regard mécanique par la vitre, tout en me disant que c’est inutile de regretter, que la chance ne passe jamais deux fois, et que de toute façon, après le vent que je lui ai mis, le gars ne voudrait plus jamais de moi. Et là, je n’en crois pas à mes yeux. Je vois Benjamin avancer sur le quai.
Je le fixe assez longtemps pour arriver à croiser son regard. Et son beau sourire. Ah, apparemment il n’est pas vexé. La place à côté de la mienne est libre. Le train est assez bondé, mais je refuse plusieurs personnes en prétextant que j’attends quelqu’un.
J’attends pendant de longues secondes. Et voilà Benjamin, il vient de rentrer dans ma rame, à la suite d’une colonne de personnes qui cherchent toutes à s’installer. Avec ses yeux clairs entourés par des lunettes fines qui lui donnent un regard un peu intello, il est toujours aussi furieusement sexy. Et le nouveau sourire qu’il me lance d’un bout à l’autre de la rame est beau à en pleurer.
« Cette place est libre ? » me demande le monsieur qui précède Benjamin.
« J’attends quelqu’un, désolé ».
Le monsieur avance et Benjamin arrive à ma hauteur.
« Salut ».
« Salut ».
« Alors, il paraît que tu attends quelqu’un ? » il me taquine.
« Assieds-toi, tu gênes les autres passagers » je le cherche à mon tour.
« C’est drôle de se retrouver dans le train » il me lance, tout en s’asseyant à côté de moi.
« C’est vrai ».
C’est la première fois que je le vois de si près et je le trouve vraiment craquant. Sa peau un peu mate a l’air terriblement douce. Ses petites oreilles sont des aimants à bisous. Une légère fragrance de parfum masculin contribue à vriller mes neurones.
« Et si tu commençais par me dire ton prénom ? » il me lance.
« Ah oui, je m’appelle Nico ».
« Joli prénom, Nico. Comment tu vas, Nico ? ».
« Ça va et toi ? ».
« Ne dis pas que ça va, je vois bien que ça ne va pas ».
« Non, ça ne va pas très fort ».
« Tu viens d’où ? ».
« De Paris ».
« T’y étais pour le week-end ? ».
« Oui ».
« Mais tu n’as pas passé un très bon week-end… ».
« Non, pas vraiment ».
« Je parie que c’est à cause d’un mec… ».
« Oui… ».
« Ton mec ? ».
« Oui… enfin… je ne sais plus si c’est toujours mon mec. Je n’ai pas vraiment envie d’en parler, là ».
« Ok, ok, je ne te saoule pas avec ça ».
« Et toi tu viens d’où ? » je le questionne.
« Mes parents sont à Montmorillon, à côté de Poitiers. Je monte les voir toutes les deux ou trois semaines ».
« Mais tu habites Bordeaux… ».
« Oui ».
« Et tu y fais quoi ? ».
« Je suis aide-soignant. Et toi ? ».
« Je suis étudiant à la fac de sciences naturelles, je suis en première année ».
« Alors tu as… genre… 19-20 ans » il me lance.
« Dix-neuf. Et toi ? ».
« Moi je suis un vieux, j’ai 26 ans ! ».
« T’es pas mal pour un vieux ! » je le cherche.
« Ah bon ?! » il feint de s’étonner « je croyais que je ne te plaisais pas ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
« Je te rappelle que tu ne m’as pas rappelé l’autre fois ».
« J’ai perdu ton papier » je mens.
« Alors c’est une chance qu’on se recroise à nouveau ».
« Oui. Il est où le chiot ? » je change de sujet.
« Chez une copine. C’était le cadeau d’anniversaire de mon mec ».
« Tu as un copain ? ».
« J’avais. Il est parti il y a trois semaines, et pour de bon ce coup-ci. Depuis, je me retrouve avec la garde exclusive du bébé ».
« Vous vous êtes séparés ? ».
« Oui, mais c’était dans l’air depuis un moment, alors pas de larmes, pas de drames, c’est la vie, c’est mieux comme ça ».
Nous passons le reste du voyage à discuter. Le gars a l’air vraiment sympa, il est drôle, intelligent, cultivé. Depuis que Benjamin s’est assis à côté de moi, le temps semble passer plus vite. Et j’ai cessé de ressasser ma souffrance et mes peurs. Bien sûr, elles n’ont pas disparu. Mais elles sont comme anesthésiées, confinées dans un coin de ma conscience.
Je redoute désormais l’arrivée à Bordeaux et le moment où nous allons certainement nous séparer. Je redoute la solitude de mon petit appartement, son silence, la présence encombrante de celui qui est tellement absent. J’ai peur de ne pas arriver à fermer l’œil de la nuit.
Et si nous passions la soirée ensemble ? Est-ce qu’il en a toujours envie ? Est-ce qu’il se contenterait de passer la soirée avec moi sans qu’il ne se passe rien de sexuel ? Car, même si Benjamin me fait bien envie, je ne me sens pas le courage de coucher avec lui ce soir, alors que quelques heures plus tôt je faisais l’amour avec Jérém. Non, ça ne peut pas arriver si vite.
Le train finit par arriver en gare de Bordeaux. Nous attendons tous les deux que le couloir soit un peu plus dégagé avant de bouger. Benjamin se lève en premier, je le suis dans le couloir du train. Il est vraiment beau. Et sympa. Et sa présence dégage un curieux mélange d’élégance naturelle, de sensualité et d’insolence qui le rend vraiment craquant. Non, je ne veux pas qu’il disparaisse à nouveau de ma vie.
« Ca a été très sympa de discuter avec toi, Nico » il me lance lorsque nous sommes sur le quai.
« Moi aussi j’ai bien aimé ».
Nos regards se plongent l’un dans l’autre, un silence s’installe, chargé d’attentes.
« Tu es tellement touchant, Nico. Si je pouvais, je te prendrais dans mes bras ».
« C’est gentil » je ne trouve pas mieux à répondre.
« Je t’inviterais bien à la maison, mais j’ai promis à un pote de passer le voir ».
« Je comprends. De toute façon, je suis crevé, j’ai besoin de dormir, sinon ça va être la cata demain à la fac ».
« Mais on peut rester en contact si tu veux » il me propose.
« Avec plaisir ».
Avant de nous quitter, nous nous échangeons nos numéros de portable. Et son clin d’œil charmeur en me quittant me met du baume au cœur.
Comme prévu, de retour à mon appart je retrouve illico ma tristesse. Le petit espace est un paysage désolant dont la solitude me paraît le seul horizon. Je n’ai pas envie de lire, ni de regarder la télé. Ni même d’écouter de la musique. Le boîtier jaune du best of de Madonna sorti il y a quelques jours, et posé sur la petite chaîne hi-fi, me fait pourtant de l’œil. Mais pas tant que ça.
Bien que ce cd aligne un sacré nombre des tubes, l’absence du moindre morceau inédit en fait une compil décevante pour le fan que je suis. Heureusement je vais bientôt pouvoir visionner le dvd du Drowned World tour, le concert que j’étais allé voir à Londres avec ma cousine Elodie pendant l’été. Il faut que j’arrive à économiser assez pour acheter un lecteur. Revoir ce concert me rappellera des souvenirs. L’été, mon état d’esprit et mes attentes du moment. Ma relation avec Jérém à ce moment-là. Mes espoirs, mes illusions. Un âge d’innocence, un Paradis perdu.
Mais ce soir, je n’ai envie de rien. Même pas d’écouter « Like a prayer », mon album préféré. Ce soir, rien ne semble pouvoir apaiser mon esprit meurtri. Même pas l’écho de la nouvelle et inattendue rencontre avec Benjamin, et les promesses qu’elle semble contenir. L’idée d’être en train de perdre mon Jérém m’obsède, me démolit de l’intérieur. Finalement, je me sens tellement dégoûté que je finis par me dire que je n’ai même pas envie de revoir Benjamin. Je n’ai envie de rien. Même pas de dormir, alors que je tombe de fatigue.
Le lendemain, en cours, Monica, Raphaël, Cécile et Fabien m’interrogent chacun à tour de rôle pour savoir si je vais bien. Je dois avoir une tête de déterré. Je prétexte une nuit blanche, ce qui a été précisément le cas, mais sans donner plus de détails. Les cours défilent sans que j’arrive à me concentrer, à prendre des notes, à prendre le moindre plaisir à apprendre. Je somnole. Monica me secoue plusieurs fois pour m’empêcher de m’assoupir.
Epuisé, je finis par rentrer en début d’après-midi, avant le dernier cours.
A mon arrivée dans la petite cour au sol rouge, Albert et Denis m’attendent de pied ferme pour me demander des nouvelles.
« Oh là là, tu as une sale tête » me lance ce dernier.
« J’ai pas beaucoup dormi la nuit dernière ».
« Le petit jeune de l’appart d’à côté a encore mis la musique à fond ? ».
« Non, pas vraiment ».
C’est autour d’un verre que les deux vieux hommes m’invitent à boire chez eux, que je finis par déballer ce que je n’ai pas voulu partager avec mes potes de fac. Parfois la différence d’âge est un atout pour se sentir à l’aise.
« Moi ce que je vois, d’après ce que tu me racontes » considère Albert « c’est que Jérémie a été honnête avec toi. Il n’a pas essayé de te mentir, il ne t’a pas envoyé sur les roses. Il t’a bien expliqué pourquoi il a fait ça. Et, point important, il t’a appris qu’il se protège. Ces coucheries, ce n’est rien. Tous les sportifs gays font ça. Ils couchent avec des nanas pour donner le change. S’ils ne le font pas, ils attirent les ragots et les soupçons. Parce que si ça se sait, où même si la rumeur devient persistante, leur vie va devenir impossible et ils peuvent dire adieu à leur carrière sportive. T’imagine ton Jérémie se faire traiter de pd dans un vestiaire ou, pire, par un adversaire, pendant un match ? Ça le foutrait en l’air. Le monde est injuste, le monde est con, mais c’est comme ça.
Ce mec t’a aussi dit qu’il t’a dans la peau, et c’est surtout ça qu’il faut retenir. Et c’est ça qui compte, c’est le seul truc qui compte vraiment. Parce qu’à mon avis, cette situation lui pèse, et pas qu’un peu, et ça lui coûte de te l’imposer. Car il doit avoir tout autant peur de te perdre que toi de le perdre ».
« Je ne veux pas coucher avec d’autres mecs » je réfléchis tristement et à haute voix.
« Et tu ne dois pas te forcer. Il faut du temps pour digérer tout ça. Je sais que c’est dur à accepter, mais je pense que ce qu’il te propose est la seule solution viable à court et moyen terme. Je pense que tu le comprends, même si tu es trop amoureux pour l’admettre. Mais je pense que tu es aussi assez amoureux pour comprendre et pour accepter ça. L’enjeu, c’est garder ce garçon. Quant aux aventures, les « extras » comme on les appelait avec Denis, le jour où ça t’arrivera, il ne faudra pas leur accorder plus d’importance que ça. Tant que ça reste une coucherie et que tu te protèges, tant que Jérémie reste le seul garçon dans ton cœur, tant que ça ne le fait pas souffrir, ça n’a pas d’importance. Prendre du bon temps t’aidera à relativiser ».
Albert a raison, je peux faire l’effort de comprendre le point de vue de Jérém. Mais je n’arrive pas l’admettre. Et franchement, je ne vois pas quand et comment je pourrais y parvenir.
Je passe une semaine horrible. Cent fois par jour et cent fois par nuit je repense aux mots de Jérém, j’essaie d’en voir les aspects positifs, de relativiser, de prendre sur moi. Mais avec toute la bonne volonté, je n’y arrive pas, c’est trop dur.
Ma nature juvénile, impatiente, amoureuse, passionnée, jalouse ne l’accepte pas. J’ai beau retourner la chose dans tous les sens, les pièces ne s’emboîtent pas, les couleurs ne s’alignent pas. J’ai l’impression que l’effort demandé à mon cerveau est trop important, que l’intérieur de mon crâne est en surchauffe et qu’il est sur le point de cramer.
Je dors peu, je fais beaucoup de cauchemars. Au fond de moi, j’attends un coup de fil de Jérém. J’attends un geste de sa part. J’attends qu’il me dise qu’il a compris à quel point ce qu’il m’impose me fait souffrir, qu’il fasse un pas vers moi. J’attends qu’il me dise que j’ai mal compris, qu’il va arrêter de coucher avec des nanas, que désormais tout sera plus simple entre nous, que nous allons pouvoir nous voir plus régulièrement. J’attends des mots capables de me rassurer, et de me tirer de la profonde tristesse qui me ravage depuis dimanche après-midi.
Mais encore plus au fond de moi, j’ai peur que ce coup de fin ne vienne pas. Ce qui ne m’empêche pas de continuer à l’attendre, vraiment au fond de moi.
Il m’arrive parfois de me dire que je pourrais aussi l’appeler. Mais pour lui dire quoi ? Que j’accepte son mode de fonctionnement parce que je n’ai pas le choix ? Je n’en ai pas le courage.
Si personne n’appelle l’autre, c’est que tout est fini entre nous. Peut-être que Jérém a pris sa décision. Prendre ses distances, se faire oublier, arrêter cette histoire impossible qui fait du mal à tous les deux. L’idée de ne plus jamais le revoir m’est insupportable.
Les jours se suivent dans une morosité et une tristesse sans fin. La fatigue s’accumule, il m’arrive de m’endormir en cours. Je n’ai même pas l’énergie de répondre aux messages de Benjamin.
Je sais que lui répondre m’amènera inévitablement à coucher avec lui. Je ne veux pas coucher avec lui. Dans ma tête, le fait de coucher avec un autre gars, ce serait un peu comme fermer la porte sur ma relation avec Jérém. J’ai l’impression que dès que j’aurai franchi ce pas, j’aurai atteint une sorte de point de non-retour et que rien ne sera plus comme avant.
Plus la semaine avance, plus mes potes s’inquiètent pour moi. Ils me demandent ce qui se passe, si j’ai des problèmes. Mais je n’ai pas envie de leur parler de ce qui se passe dans ma vie. En parler, c’est le rendre plus réel.
Il m’arrive de sécher les cours et de passer de longues et tristes heures à me balader seul le long de la Garonne et à m’obstiner à essayer de trouver un moyen de résoudre ce casse-tête sentimental.
J’essaie de m’accrocher à l’idée que je suis le seul mec avec qui il couche, le seul avec qui il prend vraiment du plaisir, j’essaie de toujours garder ses mots à l’esprit « tu es quelqu’un de spécial pour moi », l’idée qu’il ne veut pas me perdre parce qu’il est bien avec moi.
J’essaie de me dire qu’il se protège pour ne pas me ramener de MST, et que de ce fait aucune pouffe ne connaîtra le bonheur d’avoir le jus de mon mec dans sa chatte ou son cul. Même si, peut-être, dans la bouche, quand même…J’ai beau me dire que le fait qu’il refuse que j’aille le voir plus souvent fait partie d’une stratégie de la prudence à laquelle il ne peut pas déroger, parce qu’il a peur.
Mais j’ai beau chercher toutes les raisons du monde de comprendre ses besoins, ses soucis, ses contraintes, ses peurs, je n’arrive pas à m’y faire. J’ai l’impression d’avoir à faire à un Rubik’s Cube non pas à 6 faces et 9 carrés par face, mais en beaucoup plus compliqué. J’essaie, je ressaie, j’essaie encore et encore. Et j’échoue à chaque fois.
Parfois, épuisé par tant de déchirement, une question terrible se présente à mon esprit : à quoi ressemblerait ma vie sans Jérém ?
Mais à cette question, je n’ai pas de réponse. Elle me paraît tellement inenvisageable que je finis par la balayer par un revers de main. Une vie sans Jérém m’est tout bonnement inconcevable. Alors, je dois tout faire pour sauver notre relation. Je ne sais pas encore comment, mais je dois trouver, et vite.
Jour après jour, la ville se grime en Noël. Les travailleurs de la ville s’affairent à enguirlander les rues et les places. La fête se prépare et ce stupide compte à rebours ne fait qu’ajouter à ma morosité. Je ne sais pas ce que je vais faire à Noël. Ce que je sais, c’est qu’à tous les coups je ne le passerai pas avec Jérém.
Jeudi arrive, avec l’annonce implicite d’un nouveau week-end. Un week-end sans Jérém. Un week-end seul à ressasser ma souffrance. Belle perspective.
Ou alors, je vais bouger. Ça fait un moment que je ne suis pas rentré à Toulouse. A chacun de mes coups de fil, maman me tanne pour que j’aille faire un petit coucou. Elle m’appelle jeudi vers 18 heures et ne manque pas de relancer le sujet. Certes, l’idée de retrouver le regard désapprobateur de papa ne m’enchante pas vraiment. Et ce qui ne m’enchante pas non plus, c’est de retrouver ma ville toujours meurtrie après l’explosion d’AZF.
Mais je finis par me laisser convaincre, pour lui faire plaisir, mais aussi pour ne pas passer mon week-end tout seul.
Je suis resté une bonne demi-heure au téléphone avec maman. Je viens de raccrocher, de poser mon téléphone, d’ouvrir le frigo pour me préparer quelque chose pour le dîner, lorsque la sonnerie retentit à nouveau dans le petit espace de mon appart. Je m’approche et mon cœur fait un bond vertigineux.
Le petit écran affiche « MonJérém ».
Soudain, je suis saisi par une immense poussée d’optimisme. S’il m’appelle, c’est que je lui manque. Il a compris à quel point il m’a fait du mal, il a compris que ce qu’il me propose est trop dur pour moi, il va revenir sur ses propos, c’est sûr. Je vais retrouver un Jérém plus proche, attentionné. Il va s’excuser, me dire qu’il ne me refera plus jamais souffrir.
Oui, c’est le cœur et la tête pleins d’espoirs que je décroche.
« Salut » je lui lance sur un ton dégagé, pour essayer de lui faire croire d’entrée que je vais bien, que son coup de fil me fait plaisir mais que je ne courais pas après ça.
« Salut, tu vas bien ? ».
Sa voix de jeune mâle fait vibrer tant de cordes sensibles en moi.
« Oui, ça va et toi ? ».
Et là, contrairement à mes attentes, nous passons de longues minutes à échanger de banalités sans importance. Encore de l’amabilité, de la bienveillance. Mais aucun mot sur « nous ». Je suis déçu et je finis par me montrer froid et distant.
« T’es sûr que ça va, Nico ? » il finit par me demander.
« Tu me manques » je lui lâche, sans transition.
Un moment de silence suit mes mots.
« Je ne te manque pas ? » je lui lance alors.
« Si, bien sûr que tu me manques ».
« On ne dirait pas ».
« Ne crois pas ça ».
« Qu’est-ce qu’on fait alors ? » je le questionne frontalement « tu as prévu qu’on se revoit quand ? ».
« Je te l’ai dit, à Noël je vais descendre quelques jours ».
« Ah, oui, j’oubliais Noël » je fais, sur un ton sarcastique « Et après ce sera les grandes vacances ? Deux fois par an, c’est ça ? » je m’emporte.
« Nico… ».
« Et entre deux tu vas voir ailleurs et je vais voir ailleurs. J’ai bien compris les consignes ? » j’enchaîne, sur un ton de plus en plus agressif.
« Je te l’ai déjà dit, je suis désolé de t’imposer ça. Mais je ne peux pas faire autrement pour l’instant ».
« On peut toujours faire autrement ».
« Si je fais autrement, je peux dire adieu au rugby ».
« Et le rugby c’est toute ta vie » je commente, en modifiant légèrement mais tendancieusement son propos, avec une intention provocatrice.
« Et moi, je suis quoi ? ». Voilà les questionnement qui se cachent derrière ma petite provoc’. J’ai besoin d’être rassuré, j’ai besoin qu’il arrive à dissiper ces doutes que je n’arrive pas à chasser de ma tête.
« Non, non, il y a bien autre chose dans ma vie, Nico. Mais je ne veux pas renoncer au rugby non plus ».
« Tu sais quoi ? On fait comme tu veux. De toute façon je n’ai pas mon mot à dire. Je n’ai jamais eu mon mot à dire, depuis le début. On a toujours fait ce que tu voulais quand tu le voulais et je ne vois pas pourquoi ça changerait ».
« Ne le prends pas comme ça, Nico ».
Je sens que mes mots lui font de la peine. Et pourtant, il garde son calme. Cela me touche et me met en pétard tout à la fois.
« Et tu veux que je le prenne comment, au juste ? ».
« Je ne sais pas » il admet tristement.
Je ne sais plus quoi dire, je n’arrive pas à trouver un seul mot qui pourrait changer quoi que ce soit. Le casse-tête est insoluble.
« Je vais devoir te laisser » je l’entends me lancer après un long silence.
« Oui, vas-y, va retrouver tes potes et jouer les hétéros ».
« Bon week-end, Nico ».
« Oui, c’est ça, bon week-end ».
Je passe une nouvelle nuit horrible. Le lendemain, je somnole en cours. A tous les cours, sans exception. En fin d’après-midi, je quitte mon appart pour me rendre à la gare St Charles. Pas loin de l’arrêt de bus, une bande de potes est en train de discuter. Parmi eux, un mec très brun, la peau mate, portant un t-shirt noir avec un panache certain. Un t-shirt qui, sans vraiment mouler sa plastique, souligne bien le V de son torse, la chute de ses épaules. Mais aussi le gabarit de ses biceps qui, sans être excessif, est plutôt sympa à regarder.
C’est vraiment un beau mec, avec une belle gueule virile et sexy. Mais c’est son attitude de bad boy qui le rend sexy en diable. C’est une sorte d’étincelle dans son regard assez dur, fier, un brin arrogant, un tantinet insolent, quelque peu prétentieux, un regard qui affiche par ailleurs un je-ne-sais-quoi d’agressif, de susceptible, de « pas commode ». C’est le genre de gars qui donne l’impression qu’il ne faut pas le chercher longtemps pour le trouver, et pour trouver des problèmes.
Mais sa sexytude se décline également dans sa façon de se tenir, le bassin positionné vers l’avant, les épaules légèrement voûtées et rassemblées, la cigarette qui se consume entre ses lèvres, avec une intervention minimale de ses mains, qui sont rangées dans ses poches la plupart du temps. Bref, le gars dégage une sexytude incandescente qui tient en grande partie à son attitude de parfait branleur viril et macho et à sa totale nonchalance.
Pendant quelques minutes, et malgré le fait que je retrouve dans ce gars quelque chose de mon Jérém, même si poussé à l’extrême, l’observation de ce beau spécimen m’arrache de ma souffrance.
Dans le train, je repense au coup de fil de Jérém de la veille. Je me demande pourquoi il a senti le besoin de m’appeler. Est-ce que c’était juste pour prendre des nouvelles ou c’était avant tout pour apaiser sa conscience ?
Une phrase ne cesse de m’interpeller. Il s’agit de sa réaction lorsque je lui ai balancé que le rugby était toute sa vie : « Il y a bien autre chose dans ma vie », il m’avait lancé. Au fond de moi, je sais que je fais partie de cet « autre chose ». Du moins, je l’espère.
En sortant de la gare Matabiau, je retrouve très vite les stigmates de ma ville défigurée par la catastrophe, ce qui ajoute encore du chagrin à ma détresse.
Dès mon arrivée à la maison, maman se rend compte que je ne suis pas bien. Et elle me fait parler. Je n’en ai pas vraiment envie, mais je finis par craquer. Son écoute est attentive, ses conseils bienveillants et pleins d’amour.
Mais rien ne m’aide à aller mieux. Et surtout pas la distance, l’indifférence, les silences pesants et la désapprobation muette que papa continue d’afficher à mon égard. Quant aux souvenirs qui jaillissent sans cesse des rues de Toulouse, ou du canapé du séjour, ou de cette chambre où j’ai fait l’amour avec Jérém, ce sont autant de couteaux retournés dans la plaie béante de mon cœur, une plaie ouverte une semaine plus tôt à Paris.
Ni le beau Julien, toujours aussi souriant, drôle et sexy, ni Elodie n’auront pas plus de succès pour me remonter le moral. Le fait est qu’en me refusant de me confier à eux, je ne leur en laisse pas vraiment l’occasion. J’appelle également Thibault pour prendre des nouvelles. Je ne lui propose pas de le voir parce que je n’ai pas le moral, et je prétexte un manque de temps lorsqu’il me propose de passer à son appart pour un café. Je suis content d’apprendre que sa blessure au genou évolue bien, que sa rééducation est sur la bonne voie et que les médecins prévoient qu’il puisse rejouer en début d’année. Et aussi que la grossesse de sa copine se passe à merveille. Ça me fait toujours bizarre de penser qu’un garçon comme Thibault, qui a à peine un an de plus que moi, puisse devenir papa dans quelques mois. J’espère vraiment que cette nouvelle vie va le rendre heureux.
Le dimanche soir, je repars à Bordeaux dans le même état où j’en étais venu la veille : avec le moral plus bas que mes chaussettes, avec une sorte de dégoût qui ne me quitte plus.
Je me demande comment s’est passé le match de Jérém ce dimanche. Je lui envoie un sms pour le lui demander. Je suis tellement épuisé que je me couche dès mon arrivé à l’appart, à 20 heures, sans attendre sa réponse. Je dors presque 12 heures non-stop.
Lundi 26 novembre 2001
Le sommeil a du bon, parce que le lendemain matin, je me réveille un brin mieux. En guise de réveil, la radio passe une chanson que j’adore, et qui me met la pêche à chaque écoute.
https://www.youtube.com/watch?v=4NJH75q0Syk
https://www.lacoccinelle.net/242942-britney-spears-baby-one-more-time.html
Une chanson qui parle de chagrin, mais aussi d’espoir, une mélodie et une rythmique qui donnent envie de se remettre debout, de bouger les pieds, les jambes, de remuer tout le corps, de danser, de vivre à fond, maintenant. Une chanson qui dégage une énergie folle, une énergie qui monte, monte, monte, grimpe peu à peu sur un mur de son envoûtant. Et on monte avec elle, on grimpe si haut qu’on finit par ressentir comme une sorte de vertige, à la fois esthétique et émotionnel.
J’écoute la chanson jusqu’à la dernière note, et je me lève bien déterminé à faire en sorte que cette semaine soit meilleure que la précédente.
Je regarde mon portable et je trouve un message de Jérém.
« Salut, ça s’est bien passé ».
« Félicitations, je suis content pour toi »Cet sms, et cette bonne nouvelle me mettent du baume au cœur. Je suis vraiment content pour lui. et pour moi aussi. Car j’ai espoir que si ça marche bien pour lui au rugby, il va être mieux dans sa tête et qu’il va être plus ouvert à la discussion.
Ce matin il fait beau et tout me paraît enfin plus clair. Je me dis qu’il me suffit de faire un effort, bien qu’important, pour ne pas perdre Jérém. Je me dis que cet effort est à ma portée. Je réalise ce matin que j’ai été injuste l’autre soir avec lui. Car il a quand même fait l’effort de prendre de mes nouvelles, de garder le contact, alors que moi je me suis montré agressif et intransigeant.
Dans le bus qui m’amène à la fac, je repense à l’idée du couple libre exprimée successivement par Julien et par Albert quelques mois plus tôt. Et s’ils avaient raison ? Et si c’était Jérém qui avait raison ? Et si vraiment notre relation avait plus de chance de survivre en enlevant des contraintes que les distances physiques et sociales rendent inadaptées ?
Au fond de moi, je suis persuadé que ses propos ne sont pas ceux d’un coureur qui veut coucher à tout va, tout en gardant « un régulier ». Il n’y a pas de tromperie, et je n’ai pas de mal à croire à sa sincérité. Je l’ai senti à son attitude, au ton de sa voix. Et à son attitude.
Malgré mes assauts verbaux, que ce soit dimanche dernier ou jeudi au téléphone, Jérém ne s'est pas braqué, ce qui est un exploit en connaissant sa nature sanguine.
Encore il n’y a pas longtemps que ça, il m’aurait envoyé chier, point à la ligne. Mais là, par deux fois, il a gardé son calme, il a pris le temps d’essayer de m’expliquer sa façon de voir les choses. Je sens que quand il dit qu’il a lui aussi peur de me perdre, que je lui manque, ce ne sont pas des mots en l’air. Je ressens sa jalousie, son inquiétude, sa tristesse. C’est tout cela qui me fait dire que sa démarche est sincère. J’ai l’impression qu’à sa manière il fait tout ce qu'il peut pour sauver notre histoire.
Je me sens écartelé entre le réalisme irréfutable de ses arguments, la souffrance que je ressens à l’idée de l’imaginer en train de coucher ailleurs, la peur de le perdre, l’idée de coucher avec d’autres gars, de tomber amoureux d’un autre gars, l’idée de me perdre.
Ce matin, je me dis qu’une grande partie du chemin est derrière moi. Il reste le dernier bout devant moi, celui qui conduit à admettre qu’il a raison, que la solution qui me propose est la moins pire pour l’instant. Et de lui dire et lui montrer mon cheminement.
Cette dernière ligne droite est le plus dure à parcourir. Et pourtant il le faut. Par amour, il le faut. Et ça passe par un coup de fil que je me dois de lui passer. Oui, c’est à moi de le rappeler, et il est temps de le faire.
Mais ce n’est pas pour autant que c’est chose aisée. Chaque matin, je me dis que je le ferai le soir même. Mais le soir venu, je n’y arrive pas, et je remets ça au lendemain. Chaque jour, je cherche à me convaincre que je peux assumer le genre de relation que Jérém me propose. Mais le soir venu, au moment de composer le numéro, quelque chose cloche en moi. Je l’imagine en train de coucher avec une nana. Je m’imagine composer le numéro de Benjamin, coucher avec lui. Je n’arrive pas à me faire à cette idée. Je n’arrive pas à l’appeler. Ni Jérém, ni Benjamin.
D’ailleurs, depuis le week-end dernier, ce dernier a arrêté de me relancer. Je n’ai jamais donné suite à ses demandes de rendez-vous, et mes réponses à ses messages ont été sèches et évasives. Je pense que ce coup-ci, j’ai grillé toutes mes chances de revoir le gars au chiot labrador.
Mercredi, après la fin des cours, je finis par parler à Monica des raisons de ma tristesse et de mon mal-être des derniers jours. Je lui raconte mon voyage surprise à Paris, la distance de Jérém, les raisons de cette distance. Le fait qu’il m’ait dit que je suis quelqu’un de spécial à ses yeux. Mais aussi la découverte de ses coucheries « par obligation », et la discussion que nous avons eue, jusqu’à sa proposition de couple libre.
« Ah c’est culoté de sa part de te proposer un truc pareil… » elle s’exclame.
« Je sais… ».
« Je ne pense pas que je pourrais accepter ce genre d’arrangement » elle enchaîne.
« Mais je n’ai pas le choix ! ».
« Remarque, avec la pression qu’il doit avoir, lui non plus il n’a peut-être pas le choix. C’est vrai qu’en tant qu’hétéro je peux seulement essayer d’imaginer les difficultés à faire face ou à fuir le regard des autres. Une fois j’ai lu une citation d’un écrivain qui disait un truc du genre qu’« avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir. Ça doit être dur de se construire de cette façon ».
La semaine avance, et je finis par arriver à la conclusion que non, nous n’avons pas le choix. Ni moi, ni Jérém. Soudain, je me souviens des mots de Jérém sous la Halle de Campan. « Je n’ai pas le choix, Nico… Paris c’est loin, et là-bas ça va être impossible de vivre ça… ». Ça a été naïf de ma part de penser que, malgré la nouvelle attitude de Jérém vis-à-vis de moi, malgré notre amour, nous aurions pu passer par-dessus les difficultés.
Et je repense aussi à d’autres mots de Jérém, la dernière fois que j’ai été le voir à Paris, des mots qui ne sont autre chose que l’aveu d’impuissance de Jérém à changer le présent. « C’est le moins pire que je peux te proposer pour l’instant ».
Oui, il faut que j’arrive à accepter cette relation si je ne veux pas le perdre pour de bon. Mais pour y parvenir, j’ai besoin de le voir plus souvent. J’ai besoin de pouvoir négocier au moins ça. J’ai besoin de sentir qu’il tient compte de mes besoins et pas seulement de ses exigences. J’ai besoin de jauger régulièrement que cette situation ne nous éloigne pas. J’ai besoin d’une petite « victoire ».
Le jeudi soir arrive, nouvelle porte d’entrée d’un nouveau week-end. Ça fait déjà presque deux semaines que je n’ai pas vu Jérém. Ça fait une semaine qu’il m’a appelé et que je me suis montré agressif. Pendant toute la journée, je me sens prêt à l’appeler, je sens que ce soir ce sera enfin le bon.
Mais ce jeudi soir, mes adorables voisins m’invitent à dîner. Alors, le coup de fil, ce sera pour demain soir. Sans faute. De toute façon, l’idée de lui proposer de nous voir ce week-end, qui m’a quand-même effleuré l’esprit, ce n’est pas une bonne idée. C’est trop précipité, avant de lui proposer de se voir une fois avant Noël, je dois préparer le terrain. Je table plutôt sur le week-end prochain.
Vendredi soir, le cœur dans la gorge, le souffle coupé, je l’appelle. Ça sonne dans le vide et je tombe sur son répondeur. Je lui laisse un message sans aspérités, je lui demande juste comment il va depuis la dernière fois. J’essaie de me montrer apaisé, serein. Et pourtant, au bout de deux phrases je me sens essoufflé. L’apaisement et la sérénité ne sont visiblement pas au rendez-vous. Pourvu que ça ne s’entende pas trop dans le message…Je passe la soirée de vendredi et la journée de samedi dans l’attente d’un coup de fil ou d’un message qui ne viennent pas. Je suis triste, mais mon malheur est tempéré par la conscience d’avoir fait le plus dur du chemin pour me rapprocher de Jérém. Je me dis que ce n’est que question de temps pour que nous nous expliquions et pour que nous arrivions à nous comprendre, à nous entendre, à nous retrouver. Du coup, je dors un peu mieux.
Dimanche en fin de matinée je pars faire quelques courses et j’oublie mon téléphone à l’appart. Je ne sors qu’une demi-heure, mais lorsque je rentre, j’ai un appel en absence. « MonJérém », à 11h38. Mais pas de message. Il n’est pas encore midi, j’essaie de le rappeler aussitôt, mais je tombe sur le répondeur. J’appelle une deuxième fois, mais je n’arrive pas à l’avoir. Je pense qu’il a dû partir au match. Mince, alors ! Qu’est-ce que ça me fait chier de l’avoir raté !!! Et pourtant, le simple fait qu’il ait pensé à me rappeler, ça me fait un bien fou.
Je finis par lui envoyer un message en lui souhaitant bonne chance pour le match et en lui disant de me rappeler quand il rentrerait pour me dire comment ça s’est passé. Je suis impatient et fébrile.
Je passe le dimanche à attendre son de coup de fil. Mais à 23 heures, toujours rien. Je me dis qu’il doit être en train de fêter une nouvelle victoire avec ses potes. Je m’endors peu après minuit, sans avoir de ses nouvelles.
Lundi 3 décembre 2001.
Le lendemain matin, je me réveille de bonne heure. Je regarde mon portable et j’y trouve enfin un message de Jérém, arrivé après deux heures du mat :« On a gagné ».
Le message est plutôt sec, mais il me fait quand-même vraiment plaisir.
« Bonjour p’tit loup, très content pour votre victoire » je lui réponds.
Et là, encouragé par la bonne nouvelle, je me sens le courage de lui demander quelque chose.
« J’aimerais t’appeler ce soir ».
« Ok » il me répond.
« Vers quelle heure ? ».
« 8 h ».
« A ce soir ».
Et beh, voilà une bonne façon de commencer la semaine. Avec une bonne nouvelle. Ce soir, je vais appeler Jérém. J’ai besoin de lui parler, j’ai besoin de lui dire ce que je ressens, j’ai besoin de lui dire ce que je n’ai pas pu lui dire lors de son coup de fil il y a dix jours. J’ai besoin de lui demander de faire quelques efforts, comme il me demande, lui, d’en faire. Je me sens optimiste, j’ai espoir de pouvoir le raisonner un peu.
Je passe la journée à m’imaginer ce coup de fil, nos échanges, mes excuses d’avoir été agressif lors de son précèdent coup de fil. Je nous imagine retrouver notre complicité, je m’imagine trouver les mots pour lui faire comprendre que ce qu’il me demande est trop dur, notamment si on ne se voit pas assez. J’ai espoir d’arriver à lui faire comprendre que nous voir un peu plus ça nous fera du bien à tous les deux.
L’attente de ce coup de fil et les attentes qu’il fait naître en moi font que je dois avoir une meilleure mine.
« Tu as l’air d’aller mieux » me lance Monica à mi-matinée.
« Je pense » je lui réponds.
Je suis impatient que la fin des cours arrive, mais j’arrive à suivre, à m’intéresser.
Oui, ce matin, je sens que je vais mieux. Je vais mieux parce que j’ai pris une résolution. On va toujours mieux après avoir pris une résolution, notamment quand elle est difficile à prendre.
La fin des cours arrive, et l’après-midi glisse à toute vitesse vers le soir.
19 heures, je frémis.
19h30, mon cœur bat la chamade, ma respiration s’emballe.
19h55, je suis dans tous mes états. Ce matin j’étais plein d’espoirs vis-à-vis de ce coup de fil. Mais plus l’heure approche, plus ce coup de fil me fait peur. J’ai peur que ça ne serve à rien, que Jérém campe sur ses positions, qu’il se cabre, qu’on se dispute.
20 heures, je n’ai plus envie de l’appeler.
20h05, je dois le faire, mais je vais attendre encore quelques minutes.
20h12, j’essaie de respirer, de me calmer.
20h17, je l’appelle enfin. La première sonnerie me bouscule. La deuxième m’assomme. Peut-être que je vais tomber sur le répondeur.
Mais juste après la deuxième sonnerie, Jérém décroche.
« Salut » il me lance, sur un ton neutre.
« Salut » je lui relance à mon tour, complètement en apnée « Tu vas bien ? ».
« Ça va et toi ? ».
« Pas mal non plus ».
« Alors, il paraît que vous n’arrêtez pas de gagner en ce moment » j’enchaîne.
« Ça se passe pas trop mal, oui » il me répond, sur un ton poli mais distant.
« Je savais que tu y arriverais ! ».
« Attend, attend, rien n’est gagné. Et toi, la fac ? ».
« Bien aussi, je commence à réviser pour les premiers partiels ».
« Tant mieux, tant mieux ».
Je déteste cette expression, cette formule de politesse creuse à souhait qu’on utilise souvent pour répondre à quelque chose qui ne nous intéresse pas vraiment. Encore de l’amabilité à la place de la complicité. Ça me tue. Et le silence qui s’installe rapidement entre nous me fait peur. Est-ce que Jérém est déçu du fait que j’aie attendu si longtemps pour l’appeler ? Je n’aurais pas du attendre si longtemps !
« Je voulais te dire… » je décide d’aller droit au but « je suis désolé d’avoir été un peu agressif la dernière fois au téléphone. Ça m’a touché que tu m’appelles ».
Pendant quelques instants, je marque une pause. J’attends une réaction de sa part, mais elle ne vient pas.
« Je voulais aussi te dire … » j’enchaîne alors « je comprends ce que tu vis à Paris, et le fait que tu dois faire comme les autres gars… et j’apprécie que tu aies été honnête avec moi. J’apprécie aussi le fait que tu te protèges ».
Je marque une nouvelle pause. Mais toujours en absence de réaction de sa part, je me lance dans un long monologue fébrile.
« Et ça m’a touché aussi que tu me dises que je suis quelqu’un de spécial pour toi. Ça m’a touché parce que toi aussi tu es spécial pour moi, vraiment spécial. Et c’est parce qu’on est spéciaux l’un pour l’autre que je veux bien accepter ce que tu m’as proposé la dernière fois. Je ne peux pas t’interdire de coucher avec des nanas, et je ne veux pas t’obliger à me mentir.
Jérém, t’aime depuis le jour où je t’ai vu et rien ne peut changer ça. Je souffre de ne pas te voir et de comprendre que je ne te suis d’aucune aide vis-à-vis des problèmes que tu rencontres dans ta vie actuelle. Je ne veux te forcer à rien. Je ne veux surtout pas te créer d’autres problèmes.
Mais je ne peux pas supporter de te voir si peu, ça me rend dingue. Je pense que quand nous sommes ensemble ça nous fait du bien à tous les deux. Je m’en fous de monter à Paris et de rester à l’appart, ou même de prendre une chambre d’hôtel pour avoir la paix, s’il le faut. On pourrait se voir le week-end prochain et… ».
« Le week-end prochain ce n’est pas possible » il se manifeste enfin, en me coupant net.
Je prends son nouveau refus comme un coup de massue sur la tête.
« Et pourquoi ? ».
« Parce que le club organise une journée au stade avec les supporters ».
« D’accord, le week-end d’après alors… ».
« Je ne jouerai pas sur Paris… ».
« Et alors ? La dernière fois non plus tu ne jouais pas sur Paris. J’en ai profité pour visiter le samedi et on a passé le dimanche ensemble ».
« Laisse tomber, Nico ».
Visiblement, Jérém essaie de me décourager, comme avant ma venue surprise sur Paris. Je sens que tout m’échappe, que je n’ai aucune prise, je le sens de plus en plus distant, et irréversiblement distant.
« Et pourquoi tu veux que je laisse tomber ? ».
« Tu vois bien que c’est très compliqué… ».
« Mais non, ce n’est pas compliqué, il suffit qu’on s’organise ».
« Nico, ne me prends pas la tête ! ».
« C’est ça que je suis, alors, pour toi, une prise de tête ? ».
« Je n’ai pas dit ça ».
« Alors, je suis quoi, au juste, pour toi ? ».
« J’ai besoin de temps, Nico » il finit par lâcher.
« Et je vais devoir t’attendre combien de temps, au juste ? ».
« Je n’en sais rien ».
« Mais putain, je ne te demande pas la Lune ! Je te demande juste de nous voir au moins une fois par mois ! Essaie de te mettre à ma place ! C’est déjà assez dur pour moi de te savoir au lit avec une nana ! » je monte en pression, face à son inflexibilité.
« Arrête Nico ! ».
« Alors, si j’ai bien compris, je n’ai plus qu’à aller voir d’autres gars ! » je lance un pavé dans la mare.
« C’est ça, vas-y ! » il me lance, las de mes assauts.
Je suis tellement désemparé face à la tournure que vient de prendre ce coup de fil, une tournure à la fois si lointaine de celle que j’avais espérée et si proche de celle que j’avais redoutée, que je perds tout contrôle de moi.
« T’inquiète, c’est fait ! » je mens, en montant la voix et le ton comme pour donner à mes mots la violence d’un coup de sabre.
Le silence qui suit me donne la mesure d’à quel point mon stupide bluff a atteint son but. Je le regrette déjà. Parce qu’au fond de moi je sais pour sûr que cette sortie n’aidera en rien notre relation.
Après cela, les secondes s’embourbent dans un silence épais et toxique.
« Tu ne dis plus rien ? » je finis par lâcher, plus pour m’assurer qu’il est toujours là que pour savourer mon coup de théâtre pathétique.
« Je crois que je vais te laisser ».
« Oui, c’est ça, c’est bien ça ! » je fais sur un ton sarcastique.
« Et alors on fait quoi maintenant ? » j’enchaîne.
Au bout d’un moment de silence interminable, j’entends Jérém lâcher sur un calme mais ferme :« Peut-être qu’on devrait faire une pause ».
Et là, le monde s’effondre autour de moi. Je suis pris de vertige, j’ai envie de pleurer, de hurler, de mourir. Je réalise que j’ai été trop loin, et que j’ai atteint un point de non-retour.
« Pourquoi une pause ? » je réagis, en panique totale.
« Je viens de te dire que j’accepte ta proposition d’être un couple libre » j’enchaîne, mort de peur.
« Je voulais juste qu’on se voit un peu plus souvent. Mais tant pis, on se verra quand on pourra » je renonce à toutes mes conditions, en flairant le désastre, dans la tentative désespérée de rattraper le coup.
« Tu dis ça mais tu ne le penses pas ».
« Si je le pense ».
« Non, bien sûr que non. Je vois bien dans quel état ça te met. Je n’aurais pas dû te proposer ça, ça ne peut pas marcher ».
« Mais si… ».
« Non, ça va te miner, et moi aussi. Je suis désolé Nico, mais je crois que c’est la meilleure solution pour tous les deux ».
« Comment tu sais si c’est une bonne solution pour moi ? ».
« Je ne le sais pas… ».
Les larmes coulent sur mes joues, les mots me font défaut.
« Ne fais pas de bêtises, Nico » je l’entends me glisser, la voix tremblante, les mots étouffés par une émotion qu’il essaie de maîtriser sans vraiment y parvenir.
« Toi non plus ne fais pas de bêtises » je trouve la force de lui répondre, en pleurs.
Je n’arrive pas à croire qu’on en arrive là.
« Comment on en est arrivés là, après Campan ? » je lui glisse en pleurs.
« Je croyais pouvoir y arriver, Nico. Mais je n’y arrive pas ».
« Bonne soirée » je l’entends me glisser, la voix cassée par l’émotion.
« Bonne soirée ».
Jérém vient de raccrocher et mes filets de larmes deviennent des torrents des larmes. J’ai tellement mal que j’ai envie de crier à m’en casser les cordes vocales et les poumons. Je crie, oui, mais en silence. Ce ne sont pas mes poumons ou mes cordes vocales qui prennent, mais mes nerfs, mon esprit. Je me recoquille dans un coin, dans le noir, tremblant de froid et de peur.
Je me suis demandé à quoi ressemblerait la vie sans Jérém. Elle ressemble à un précipice où je suis en train de tomber. Elle ressemble à un univers de solitude absolue. Elle ressemble à un monde où toute trace de bonheur a été supprimée. J’ai l’impression qu’on vient de m’arracher le cœur. La vie sans Jérém c’est ça, et elle commence maintenant. Elle ressemble à un baiser de Détraqueur.
Pendant de longues minutes, j’ai juste envie de disparaître, de m’évaporer, ce cesser de souffrir. Je voudrais ne jamais être venu au monde. Je n’ai envie de voir personne et pourtant ce soir, je ne veux et pas rester seul. Je ne peux pas. J’ai besoin de voir quelqu’un, j’ai besoin de compagnie, j’ai besoin de parler.
Je sors de chez moi, bien décidé à traverser la petite cour au sol rouge et à demander asile chez mes adorables voisins. Hélas, il est presque 21 heures, et les stores blancs sont déjà baissés. Albert et Denis sont déjà au lit. Je rentre chez moi, j’appelle Raph pour sortir prendre un verre. Je tombe sur son répondeur. Je viens de me souvenir qu’il m’a dit que ce soir il avait un rendez-vous galant.
J’essaie d’appeler Monica. Lorsqu’elle décroche, je retrouve un petit regain d’espoir.
« Salut, c’est Nico ».
« Salut, ça va ? ».
« Oui… je … je voulais te proposer d’aller prendre un verre ce soir ».
« Ce soir ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, je suis crevée et demain j’ai plein de trucs à faire ».
« D’accord, d’accord » je fais sur un ton triste.
« Tu es sûr que ça va, Nico ? ».
« Sûr, sûr, ne t’inquiète pas. On se voit lundi en cours ».
Je suis tenté d’appeler Cécile, mais je renonce. Après ce qui s’est passé entre nous (rien, justement, et le fait qu’elle m’en ait quand même un peu voulu) je me sens mal à l’aise à l’idée de lui raconter mes peines pour la seule raison que je n’ai personne d’autre sous la main pour le faire. Non, ce soir je ne verrai personne.
Mais j’ai quand-même besoin de parler avec quelqu’un qui saurait me remonter le moral. J’essaie d’appeler ma cousine Elodie. Pas de chance, je tombe sur répondeur. J’essaie d’appeler mon pote Julien. Répondeur aussi. Parfois j’ai l’impression que la France est un pays de répondeurs.
Je suis sur le point d’appeler Thibault. Mais j’y renonce à la toute dernière seconde. Avec lui non plus je ne me sentirais pas à l’aise de parler de mes peines avec Jérém.
Je passe la soirée à zapper et à pleurer. Ses mots « Peut-être qu’on devrait faire une pause » résonnent dans ma tête comme une explosion sans cesse répétée. Ces mots ont ouvert en moi un vide si profond, un vide dans lequel je suis tombé à l’instant même où ils ont été prononcés et dans lequel je n’arrête pas de précipiter.
Quand a-t-il décidé de prendre une pause ? Après son coup de fil d’il y a dix jours, lorsque j’ai été si distant et si agressif ? Lorsque je me suis montré si impréparé à accepter sa main tendue ? Est-ce que mon attitude, mes réflexions, mes piques lui ont fait prendre la mesure d’à quel point c’était difficile pour moi d’accepter cet état de choses ? Est-ce que si j’avais été plus fort, si je m’étais montré plus fort, ça aurait changé quelque chose ?
Est-ce que l’idée d’une pause était déjà dans sa tête au début du coup de fil de ce soir ? Est-ce qu’elle est venue en réaction à mon insistance ? « Je vois bien dans quel état ça te met » : ces mots résonnent en moi comme la preuve que je n’ai pas été à la hauteur.
Aussi, pourquoi a-t-il fallu que j’invente le fait d’avoir couché avec un autre gars, alors que ce n’est pas vrai ? Est-ce que c’est ça qui l’a décidé à me quitter ou, du moins, qui lui rendu les choses plus faciles ?
Evidemment, je ne dors pas de la nuit. Je rasasse ce coup de fil en boucle. J’essaie de croire à cette idée de « pause », mais je n’y arrive pas. Dans ma tête, ce soir Jérém m’a quitté. Et pour de bon cette fois-ci.
J’allume la radio en fond sonore pour tromper ma solitude. Il est encore tôt et Macha n’est pas prête de m’apaiser avec sa voix grave et bienveillante. Je suis tellement claqué que je ne pense pas pouvoir attendre jusqu’à si tard. Je laisse la radio en fond sonore sur une station qui ne passe que des tubes indémodables. Le dernier morceau dont je me souviens avant que mon corps et mon esprit ne cèdent à l’épuisement qui les ronge, est tout simplement un chef d’œuvre absolu.
Nous étions en novembre encore il y a peu, il pleut dehors, tout comme il pleut en moi. Alors, cette chanson tombe à point nommé. Ses harmonies et ses mélodies géniales qui s’étirent sur de longues minutes semblent trouver le moyen de m’apaiser. La beauté possède le pouvoir de soigner la souffrance.
https://www.youtube.com/watch?v=6dc56W_bnyU
« Je voudrais être le mec qu’il te faut » il me lance sur le quai de la gare, devant la porte du train, l’air vraiment désolé.
« Mais tu l’es. Enfin, tu pourrais l’être… » je lui lance, triste comme les pierres, en montant dans le wagon.
« Tu es quelqu’un de spécial pour moi, Nico, ne l’oublie jamais ».
Je voudrais trouver des mots pour lui dire aurevoir. Mais déjà les coups de sifflet des agents SNCF annoncent le départ prochain du train.
« On s’appelle » je l’entends me lancer, alors que les portes sont déjà en train de coulisser.
Là non plus, je n’ai pas le courage de lui répondre. Je suis sonné, comme dans un état second, je ne sais même plus où j’habite.
Le train démarre et la dernière image que j’ai de Paris est un gars beau comme un Dieu, mais avec un air triste à mourir, une image qui me donne envie de pleurer. Le train m’arrache très vite à cette image. Mais je pourrais jurer que ce gars était lui aussi en train de pleurer.
Pendant que le train quitte Paris je repasse le film des deux dernières heures. Jérém qui me fait l’amour. Jérém qui me demande de lui faire l’amour. Jérém qui vient en moi à nouveau. Le plaisir, beau, intense. Notre complicité retrouvée. Notre tendresse retrouvée. Notre bonheur enfin retrouvé. L’esprit qui s’apaise enfin, après un début de week-end plein de doutes.
Et puis cette sonnette, stridente, désagréable comme un clou sur lequel on vient de marcher. L’arrivée de cette nana. La découverte que c’était elle l’auteur des mystérieux coups de fil auxquels Jérém n’avait pas voulu répondre et qui m’avaient tant questionné. La découverte que Jérém a couché avec elle. La mise au point avec Jérém. Ses explications, comme quoi il couche avec des nanas pour que ses coéquipiers ne se posent pas de questions au sujet de sa sexualité. Sa déclaration comme quoi je suis quelqu’un de spécial à ses yeux. Et à côté de ça, sa vision de notre relation à venir, un couple libre où entre deux retrouvailles plutôt espacées, nous aurions des aventures protégées et sans implications sentimentales.
Pendant que le train m’éloigne de Paris, j’essaie de comprendre son point de vue. J’ai l’impression qu’en essayant de m’expliquer à quel point il était désolé de me faire vivre ça et de ne pas avoir mieux à me proposer, il était sincère. Ses mots paraissaient sincères, sa tristesse aussi, tout comme son malaise. Un malaise qui n’était pas le pendant du fait d’avoir été « découvert » mais plutôt du fait de me faire souffrir.
J’essaie de prendre sur moi, de me faire à l’idée d’un couple libre qui se retrouverait de temps à autre sans que cette liberté n’entache ce « truc » très spécial qu’il y a entre nous, et dont Jérém a enfin verbalisé l’existence.
J’essaie, encore et encore, j’essaie jusqu’à m’en donner le tournis. Mais ça finit toujours par bugger quelque part.
Sur le fait d’imaginer mon Jérém au lit avec une nana. Ou bien sur le fait que cet « arrangement » espacera encore nos rencontres. Je ne peux supporter l’idée de ne voir Jérém que deux ou trois fois par an. Mais aussi, je bugge sur la peur qu’en acceptant le principe du couple libre, ceci ouvre la porte à tous les dangers. Si notre couple est libre, qu’est-ce qui l’empêcherait un jour de passer des nanas aux mecs ? S’il n’est jamais tombé amoureux d’une nana, peut-être qu’il tombera un jour amoureux d’un mec. C’est bien connu, loin des yeux, loin du cœur. A force de ne pas se voir, des choses vont forcément changer entre nous. Et un jour il va finir par m’oublier. Et peut-être que moi aussi je vais l’oublier. Ça aussi ça me fait peur. Je ne veux pas l’oublier.
En fait, je bugge avant tout sur ma peur de perdre Jérém.
Ma raison, seule, serait peut-être à mesure de comprendre sa vision des choses et de la saluer en tant que solution « la moins pire » à court terme. Mais à 19 ans, le cœur l’emporte sur la raison. C’est toute la beauté de cet âge. Mais aussi son défaut.
Soudain, une phrase me revient. Quelques mots de Jérém qui, dans le feu de la mise au point, je n’ai pas su relever, mais qui m’ont quand même blessé : « Le rugby c’est ma vie ». La tentation est forte d’y voir un sous-entendu : « Le rugby c’est ma vie, et pas toi, Nico ». Ou, à la rigueur « toi aussi, mais pas autant que le rugby ».
J’essaie de me dire que Jérém n’a jamais prononcé les mots « et pas toi, Nico », que je me prends la tête pour rien, que je fais fausse route. J’essaie de me focaliser sur le fait qu’il m’a dit et répété que je suis quelqu’un de spécial à ses yeux. J’ai vu Jérém pleureur sur le quai de la gare. Ce n’est pas vraiment l’attitude d’un garçon qui n’en a rien à faire de moi.
Et pourtant, je n’arrive pas à chasser de ma tête le doute que, même si cela lui pèse, le rugby puisse peser plus lourd que notre relation dans ses choix personnels.
Je rentre à Bordeaux, la mort dans le cœur et l’âme, en ignorant quand je vais revoir Jérém, si tant est que je vais le revoir un jour.
Ce qui est très dur aussi, c’est de penser que je n’ai aucun recours sur les règles établies par Jérém. J’ai beau me dire que ces règles lui sont à son tour imposées par son entourage, par la bêtise d’une société qui se sent légitime à autoriser ou pas l’amour suivant le sexe des acteurs de cet amour, je n’arrive pas à accepter que je n’ai aucune prise là-dessus. C’est à prendre ou à laisser. Si je laisse, je vais perdre Jérém. Si je prends, j’ignore où cela peut nous conduire.
Je suis tellement accaparé par ma souffrance que je finis par perdre la notion du temps et de la distance. Ainsi, lorsque le train ralentit à l’approche d’une nouvelle gare, je suis étonné de lire « déjà » le panneau « Poitiers ». Etonné et un brin remué. Soudain, je repense à Benjamin, le gars avec le chiot labrador. Si j’avais su ce que Jérém préparait, je n’aurais peut-être pas jeté son papier.
Je jette un regard mécanique par la vitre, tout en me disant que c’est inutile de regretter, que la chance ne passe jamais deux fois, et que de toute façon, après le vent que je lui ai mis, le gars ne voudrait plus jamais de moi. Et là, je n’en crois pas à mes yeux. Je vois Benjamin avancer sur le quai.
Je le fixe assez longtemps pour arriver à croiser son regard. Et son beau sourire. Ah, apparemment il n’est pas vexé. La place à côté de la mienne est libre. Le train est assez bondé, mais je refuse plusieurs personnes en prétextant que j’attends quelqu’un.
J’attends pendant de longues secondes. Et voilà Benjamin, il vient de rentrer dans ma rame, à la suite d’une colonne de personnes qui cherchent toutes à s’installer. Avec ses yeux clairs entourés par des lunettes fines qui lui donnent un regard un peu intello, il est toujours aussi furieusement sexy. Et le nouveau sourire qu’il me lance d’un bout à l’autre de la rame est beau à en pleurer.
« Cette place est libre ? » me demande le monsieur qui précède Benjamin.
« J’attends quelqu’un, désolé ».
Le monsieur avance et Benjamin arrive à ma hauteur.
« Salut ».
« Salut ».
« Alors, il paraît que tu attends quelqu’un ? » il me taquine.
« Assieds-toi, tu gênes les autres passagers » je le cherche à mon tour.
« C’est drôle de se retrouver dans le train » il me lance, tout en s’asseyant à côté de moi.
« C’est vrai ».
C’est la première fois que je le vois de si près et je le trouve vraiment craquant. Sa peau un peu mate a l’air terriblement douce. Ses petites oreilles sont des aimants à bisous. Une légère fragrance de parfum masculin contribue à vriller mes neurones.
« Et si tu commençais par me dire ton prénom ? » il me lance.
« Ah oui, je m’appelle Nico ».
« Joli prénom, Nico. Comment tu vas, Nico ? ».
« Ça va et toi ? ».
« Ne dis pas que ça va, je vois bien que ça ne va pas ».
« Non, ça ne va pas très fort ».
« Tu viens d’où ? ».
« De Paris ».
« T’y étais pour le week-end ? ».
« Oui ».
« Mais tu n’as pas passé un très bon week-end… ».
« Non, pas vraiment ».
« Je parie que c’est à cause d’un mec… ».
« Oui… ».
« Ton mec ? ».
« Oui… enfin… je ne sais plus si c’est toujours mon mec. Je n’ai pas vraiment envie d’en parler, là ».
« Ok, ok, je ne te saoule pas avec ça ».
« Et toi tu viens d’où ? » je le questionne.
« Mes parents sont à Montmorillon, à côté de Poitiers. Je monte les voir toutes les deux ou trois semaines ».
« Mais tu habites Bordeaux… ».
« Oui ».
« Et tu y fais quoi ? ».
« Je suis aide-soignant. Et toi ? ».
« Je suis étudiant à la fac de sciences naturelles, je suis en première année ».
« Alors tu as… genre… 19-20 ans » il me lance.
« Dix-neuf. Et toi ? ».
« Moi je suis un vieux, j’ai 26 ans ! ».
« T’es pas mal pour un vieux ! » je le cherche.
« Ah bon ?! » il feint de s’étonner « je croyais que je ne te plaisais pas ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
« Je te rappelle que tu ne m’as pas rappelé l’autre fois ».
« J’ai perdu ton papier » je mens.
« Alors c’est une chance qu’on se recroise à nouveau ».
« Oui. Il est où le chiot ? » je change de sujet.
« Chez une copine. C’était le cadeau d’anniversaire de mon mec ».
« Tu as un copain ? ».
« J’avais. Il est parti il y a trois semaines, et pour de bon ce coup-ci. Depuis, je me retrouve avec la garde exclusive du bébé ».
« Vous vous êtes séparés ? ».
« Oui, mais c’était dans l’air depuis un moment, alors pas de larmes, pas de drames, c’est la vie, c’est mieux comme ça ».
Nous passons le reste du voyage à discuter. Le gars a l’air vraiment sympa, il est drôle, intelligent, cultivé. Depuis que Benjamin s’est assis à côté de moi, le temps semble passer plus vite. Et j’ai cessé de ressasser ma souffrance et mes peurs. Bien sûr, elles n’ont pas disparu. Mais elles sont comme anesthésiées, confinées dans un coin de ma conscience.
Je redoute désormais l’arrivée à Bordeaux et le moment où nous allons certainement nous séparer. Je redoute la solitude de mon petit appartement, son silence, la présence encombrante de celui qui est tellement absent. J’ai peur de ne pas arriver à fermer l’œil de la nuit.
Et si nous passions la soirée ensemble ? Est-ce qu’il en a toujours envie ? Est-ce qu’il se contenterait de passer la soirée avec moi sans qu’il ne se passe rien de sexuel ? Car, même si Benjamin me fait bien envie, je ne me sens pas le courage de coucher avec lui ce soir, alors que quelques heures plus tôt je faisais l’amour avec Jérém. Non, ça ne peut pas arriver si vite.
Le train finit par arriver en gare de Bordeaux. Nous attendons tous les deux que le couloir soit un peu plus dégagé avant de bouger. Benjamin se lève en premier, je le suis dans le couloir du train. Il est vraiment beau. Et sympa. Et sa présence dégage un curieux mélange d’élégance naturelle, de sensualité et d’insolence qui le rend vraiment craquant. Non, je ne veux pas qu’il disparaisse à nouveau de ma vie.
« Ca a été très sympa de discuter avec toi, Nico » il me lance lorsque nous sommes sur le quai.
« Moi aussi j’ai bien aimé ».
Nos regards se plongent l’un dans l’autre, un silence s’installe, chargé d’attentes.
« Tu es tellement touchant, Nico. Si je pouvais, je te prendrais dans mes bras ».
« C’est gentil » je ne trouve pas mieux à répondre.
« Je t’inviterais bien à la maison, mais j’ai promis à un pote de passer le voir ».
« Je comprends. De toute façon, je suis crevé, j’ai besoin de dormir, sinon ça va être la cata demain à la fac ».
« Mais on peut rester en contact si tu veux » il me propose.
« Avec plaisir ».
Avant de nous quitter, nous nous échangeons nos numéros de portable. Et son clin d’œil charmeur en me quittant me met du baume au cœur.
Comme prévu, de retour à mon appart je retrouve illico ma tristesse. Le petit espace est un paysage désolant dont la solitude me paraît le seul horizon. Je n’ai pas envie de lire, ni de regarder la télé. Ni même d’écouter de la musique. Le boîtier jaune du best of de Madonna sorti il y a quelques jours, et posé sur la petite chaîne hi-fi, me fait pourtant de l’œil. Mais pas tant que ça.
Bien que ce cd aligne un sacré nombre des tubes, l’absence du moindre morceau inédit en fait une compil décevante pour le fan que je suis. Heureusement je vais bientôt pouvoir visionner le dvd du Drowned World tour, le concert que j’étais allé voir à Londres avec ma cousine Elodie pendant l’été. Il faut que j’arrive à économiser assez pour acheter un lecteur. Revoir ce concert me rappellera des souvenirs. L’été, mon état d’esprit et mes attentes du moment. Ma relation avec Jérém à ce moment-là. Mes espoirs, mes illusions. Un âge d’innocence, un Paradis perdu.
Mais ce soir, je n’ai envie de rien. Même pas d’écouter « Like a prayer », mon album préféré. Ce soir, rien ne semble pouvoir apaiser mon esprit meurtri. Même pas l’écho de la nouvelle et inattendue rencontre avec Benjamin, et les promesses qu’elle semble contenir. L’idée d’être en train de perdre mon Jérém m’obsède, me démolit de l’intérieur. Finalement, je me sens tellement dégoûté que je finis par me dire que je n’ai même pas envie de revoir Benjamin. Je n’ai envie de rien. Même pas de dormir, alors que je tombe de fatigue.
Le lendemain, en cours, Monica, Raphaël, Cécile et Fabien m’interrogent chacun à tour de rôle pour savoir si je vais bien. Je dois avoir une tête de déterré. Je prétexte une nuit blanche, ce qui a été précisément le cas, mais sans donner plus de détails. Les cours défilent sans que j’arrive à me concentrer, à prendre des notes, à prendre le moindre plaisir à apprendre. Je somnole. Monica me secoue plusieurs fois pour m’empêcher de m’assoupir.
Epuisé, je finis par rentrer en début d’après-midi, avant le dernier cours.
A mon arrivée dans la petite cour au sol rouge, Albert et Denis m’attendent de pied ferme pour me demander des nouvelles.
« Oh là là, tu as une sale tête » me lance ce dernier.
« J’ai pas beaucoup dormi la nuit dernière ».
« Le petit jeune de l’appart d’à côté a encore mis la musique à fond ? ».
« Non, pas vraiment ».
C’est autour d’un verre que les deux vieux hommes m’invitent à boire chez eux, que je finis par déballer ce que je n’ai pas voulu partager avec mes potes de fac. Parfois la différence d’âge est un atout pour se sentir à l’aise.
« Moi ce que je vois, d’après ce que tu me racontes » considère Albert « c’est que Jérémie a été honnête avec toi. Il n’a pas essayé de te mentir, il ne t’a pas envoyé sur les roses. Il t’a bien expliqué pourquoi il a fait ça. Et, point important, il t’a appris qu’il se protège. Ces coucheries, ce n’est rien. Tous les sportifs gays font ça. Ils couchent avec des nanas pour donner le change. S’ils ne le font pas, ils attirent les ragots et les soupçons. Parce que si ça se sait, où même si la rumeur devient persistante, leur vie va devenir impossible et ils peuvent dire adieu à leur carrière sportive. T’imagine ton Jérémie se faire traiter de pd dans un vestiaire ou, pire, par un adversaire, pendant un match ? Ça le foutrait en l’air. Le monde est injuste, le monde est con, mais c’est comme ça.
Ce mec t’a aussi dit qu’il t’a dans la peau, et c’est surtout ça qu’il faut retenir. Et c’est ça qui compte, c’est le seul truc qui compte vraiment. Parce qu’à mon avis, cette situation lui pèse, et pas qu’un peu, et ça lui coûte de te l’imposer. Car il doit avoir tout autant peur de te perdre que toi de le perdre ».
« Je ne veux pas coucher avec d’autres mecs » je réfléchis tristement et à haute voix.
« Et tu ne dois pas te forcer. Il faut du temps pour digérer tout ça. Je sais que c’est dur à accepter, mais je pense que ce qu’il te propose est la seule solution viable à court et moyen terme. Je pense que tu le comprends, même si tu es trop amoureux pour l’admettre. Mais je pense que tu es aussi assez amoureux pour comprendre et pour accepter ça. L’enjeu, c’est garder ce garçon. Quant aux aventures, les « extras » comme on les appelait avec Denis, le jour où ça t’arrivera, il ne faudra pas leur accorder plus d’importance que ça. Tant que ça reste une coucherie et que tu te protèges, tant que Jérémie reste le seul garçon dans ton cœur, tant que ça ne le fait pas souffrir, ça n’a pas d’importance. Prendre du bon temps t’aidera à relativiser ».
Albert a raison, je peux faire l’effort de comprendre le point de vue de Jérém. Mais je n’arrive pas l’admettre. Et franchement, je ne vois pas quand et comment je pourrais y parvenir.
Je passe une semaine horrible. Cent fois par jour et cent fois par nuit je repense aux mots de Jérém, j’essaie d’en voir les aspects positifs, de relativiser, de prendre sur moi. Mais avec toute la bonne volonté, je n’y arrive pas, c’est trop dur.
Ma nature juvénile, impatiente, amoureuse, passionnée, jalouse ne l’accepte pas. J’ai beau retourner la chose dans tous les sens, les pièces ne s’emboîtent pas, les couleurs ne s’alignent pas. J’ai l’impression que l’effort demandé à mon cerveau est trop important, que l’intérieur de mon crâne est en surchauffe et qu’il est sur le point de cramer.
Je dors peu, je fais beaucoup de cauchemars. Au fond de moi, j’attends un coup de fil de Jérém. J’attends un geste de sa part. J’attends qu’il me dise qu’il a compris à quel point ce qu’il m’impose me fait souffrir, qu’il fasse un pas vers moi. J’attends qu’il me dise que j’ai mal compris, qu’il va arrêter de coucher avec des nanas, que désormais tout sera plus simple entre nous, que nous allons pouvoir nous voir plus régulièrement. J’attends des mots capables de me rassurer, et de me tirer de la profonde tristesse qui me ravage depuis dimanche après-midi.
Mais encore plus au fond de moi, j’ai peur que ce coup de fin ne vienne pas. Ce qui ne m’empêche pas de continuer à l’attendre, vraiment au fond de moi.
Il m’arrive parfois de me dire que je pourrais aussi l’appeler. Mais pour lui dire quoi ? Que j’accepte son mode de fonctionnement parce que je n’ai pas le choix ? Je n’en ai pas le courage.
Si personne n’appelle l’autre, c’est que tout est fini entre nous. Peut-être que Jérém a pris sa décision. Prendre ses distances, se faire oublier, arrêter cette histoire impossible qui fait du mal à tous les deux. L’idée de ne plus jamais le revoir m’est insupportable.
Les jours se suivent dans une morosité et une tristesse sans fin. La fatigue s’accumule, il m’arrive de m’endormir en cours. Je n’ai même pas l’énergie de répondre aux messages de Benjamin.
Je sais que lui répondre m’amènera inévitablement à coucher avec lui. Je ne veux pas coucher avec lui. Dans ma tête, le fait de coucher avec un autre gars, ce serait un peu comme fermer la porte sur ma relation avec Jérém. J’ai l’impression que dès que j’aurai franchi ce pas, j’aurai atteint une sorte de point de non-retour et que rien ne sera plus comme avant.
Plus la semaine avance, plus mes potes s’inquiètent pour moi. Ils me demandent ce qui se passe, si j’ai des problèmes. Mais je n’ai pas envie de leur parler de ce qui se passe dans ma vie. En parler, c’est le rendre plus réel.
Il m’arrive de sécher les cours et de passer de longues et tristes heures à me balader seul le long de la Garonne et à m’obstiner à essayer de trouver un moyen de résoudre ce casse-tête sentimental.
J’essaie de m’accrocher à l’idée que je suis le seul mec avec qui il couche, le seul avec qui il prend vraiment du plaisir, j’essaie de toujours garder ses mots à l’esprit « tu es quelqu’un de spécial pour moi », l’idée qu’il ne veut pas me perdre parce qu’il est bien avec moi.
J’essaie de me dire qu’il se protège pour ne pas me ramener de MST, et que de ce fait aucune pouffe ne connaîtra le bonheur d’avoir le jus de mon mec dans sa chatte ou son cul. Même si, peut-être, dans la bouche, quand même…J’ai beau me dire que le fait qu’il refuse que j’aille le voir plus souvent fait partie d’une stratégie de la prudence à laquelle il ne peut pas déroger, parce qu’il a peur.
Mais j’ai beau chercher toutes les raisons du monde de comprendre ses besoins, ses soucis, ses contraintes, ses peurs, je n’arrive pas à m’y faire. J’ai l’impression d’avoir à faire à un Rubik’s Cube non pas à 6 faces et 9 carrés par face, mais en beaucoup plus compliqué. J’essaie, je ressaie, j’essaie encore et encore. Et j’échoue à chaque fois.
Parfois, épuisé par tant de déchirement, une question terrible se présente à mon esprit : à quoi ressemblerait ma vie sans Jérém ?
Mais à cette question, je n’ai pas de réponse. Elle me paraît tellement inenvisageable que je finis par la balayer par un revers de main. Une vie sans Jérém m’est tout bonnement inconcevable. Alors, je dois tout faire pour sauver notre relation. Je ne sais pas encore comment, mais je dois trouver, et vite.
Jour après jour, la ville se grime en Noël. Les travailleurs de la ville s’affairent à enguirlander les rues et les places. La fête se prépare et ce stupide compte à rebours ne fait qu’ajouter à ma morosité. Je ne sais pas ce que je vais faire à Noël. Ce que je sais, c’est qu’à tous les coups je ne le passerai pas avec Jérém.
Jeudi arrive, avec l’annonce implicite d’un nouveau week-end. Un week-end sans Jérém. Un week-end seul à ressasser ma souffrance. Belle perspective.
Ou alors, je vais bouger. Ça fait un moment que je ne suis pas rentré à Toulouse. A chacun de mes coups de fil, maman me tanne pour que j’aille faire un petit coucou. Elle m’appelle jeudi vers 18 heures et ne manque pas de relancer le sujet. Certes, l’idée de retrouver le regard désapprobateur de papa ne m’enchante pas vraiment. Et ce qui ne m’enchante pas non plus, c’est de retrouver ma ville toujours meurtrie après l’explosion d’AZF.
Mais je finis par me laisser convaincre, pour lui faire plaisir, mais aussi pour ne pas passer mon week-end tout seul.
Je suis resté une bonne demi-heure au téléphone avec maman. Je viens de raccrocher, de poser mon téléphone, d’ouvrir le frigo pour me préparer quelque chose pour le dîner, lorsque la sonnerie retentit à nouveau dans le petit espace de mon appart. Je m’approche et mon cœur fait un bond vertigineux.
Le petit écran affiche « MonJérém ».
Soudain, je suis saisi par une immense poussée d’optimisme. S’il m’appelle, c’est que je lui manque. Il a compris à quel point il m’a fait du mal, il a compris que ce qu’il me propose est trop dur pour moi, il va revenir sur ses propos, c’est sûr. Je vais retrouver un Jérém plus proche, attentionné. Il va s’excuser, me dire qu’il ne me refera plus jamais souffrir.
Oui, c’est le cœur et la tête pleins d’espoirs que je décroche.
« Salut » je lui lance sur un ton dégagé, pour essayer de lui faire croire d’entrée que je vais bien, que son coup de fil me fait plaisir mais que je ne courais pas après ça.
« Salut, tu vas bien ? ».
Sa voix de jeune mâle fait vibrer tant de cordes sensibles en moi.
« Oui, ça va et toi ? ».
Et là, contrairement à mes attentes, nous passons de longues minutes à échanger de banalités sans importance. Encore de l’amabilité, de la bienveillance. Mais aucun mot sur « nous ». Je suis déçu et je finis par me montrer froid et distant.
« T’es sûr que ça va, Nico ? » il finit par me demander.
« Tu me manques » je lui lâche, sans transition.
Un moment de silence suit mes mots.
« Je ne te manque pas ? » je lui lance alors.
« Si, bien sûr que tu me manques ».
« On ne dirait pas ».
« Ne crois pas ça ».
« Qu’est-ce qu’on fait alors ? » je le questionne frontalement « tu as prévu qu’on se revoit quand ? ».
« Je te l’ai dit, à Noël je vais descendre quelques jours ».
« Ah, oui, j’oubliais Noël » je fais, sur un ton sarcastique « Et après ce sera les grandes vacances ? Deux fois par an, c’est ça ? » je m’emporte.
« Nico… ».
« Et entre deux tu vas voir ailleurs et je vais voir ailleurs. J’ai bien compris les consignes ? » j’enchaîne, sur un ton de plus en plus agressif.
« Je te l’ai déjà dit, je suis désolé de t’imposer ça. Mais je ne peux pas faire autrement pour l’instant ».
« On peut toujours faire autrement ».
« Si je fais autrement, je peux dire adieu au rugby ».
« Et le rugby c’est toute ta vie » je commente, en modifiant légèrement mais tendancieusement son propos, avec une intention provocatrice.
« Et moi, je suis quoi ? ». Voilà les questionnement qui se cachent derrière ma petite provoc’. J’ai besoin d’être rassuré, j’ai besoin qu’il arrive à dissiper ces doutes que je n’arrive pas à chasser de ma tête.
« Non, non, il y a bien autre chose dans ma vie, Nico. Mais je ne veux pas renoncer au rugby non plus ».
« Tu sais quoi ? On fait comme tu veux. De toute façon je n’ai pas mon mot à dire. Je n’ai jamais eu mon mot à dire, depuis le début. On a toujours fait ce que tu voulais quand tu le voulais et je ne vois pas pourquoi ça changerait ».
« Ne le prends pas comme ça, Nico ».
Je sens que mes mots lui font de la peine. Et pourtant, il garde son calme. Cela me touche et me met en pétard tout à la fois.
« Et tu veux que je le prenne comment, au juste ? ».
« Je ne sais pas » il admet tristement.
Je ne sais plus quoi dire, je n’arrive pas à trouver un seul mot qui pourrait changer quoi que ce soit. Le casse-tête est insoluble.
« Je vais devoir te laisser » je l’entends me lancer après un long silence.
« Oui, vas-y, va retrouver tes potes et jouer les hétéros ».
« Bon week-end, Nico ».
« Oui, c’est ça, bon week-end ».
Je passe une nouvelle nuit horrible. Le lendemain, je somnole en cours. A tous les cours, sans exception. En fin d’après-midi, je quitte mon appart pour me rendre à la gare St Charles. Pas loin de l’arrêt de bus, une bande de potes est en train de discuter. Parmi eux, un mec très brun, la peau mate, portant un t-shirt noir avec un panache certain. Un t-shirt qui, sans vraiment mouler sa plastique, souligne bien le V de son torse, la chute de ses épaules. Mais aussi le gabarit de ses biceps qui, sans être excessif, est plutôt sympa à regarder.
C’est vraiment un beau mec, avec une belle gueule virile et sexy. Mais c’est son attitude de bad boy qui le rend sexy en diable. C’est une sorte d’étincelle dans son regard assez dur, fier, un brin arrogant, un tantinet insolent, quelque peu prétentieux, un regard qui affiche par ailleurs un je-ne-sais-quoi d’agressif, de susceptible, de « pas commode ». C’est le genre de gars qui donne l’impression qu’il ne faut pas le chercher longtemps pour le trouver, et pour trouver des problèmes.
Mais sa sexytude se décline également dans sa façon de se tenir, le bassin positionné vers l’avant, les épaules légèrement voûtées et rassemblées, la cigarette qui se consume entre ses lèvres, avec une intervention minimale de ses mains, qui sont rangées dans ses poches la plupart du temps. Bref, le gars dégage une sexytude incandescente qui tient en grande partie à son attitude de parfait branleur viril et macho et à sa totale nonchalance.
Pendant quelques minutes, et malgré le fait que je retrouve dans ce gars quelque chose de mon Jérém, même si poussé à l’extrême, l’observation de ce beau spécimen m’arrache de ma souffrance.
Dans le train, je repense au coup de fil de Jérém de la veille. Je me demande pourquoi il a senti le besoin de m’appeler. Est-ce que c’était juste pour prendre des nouvelles ou c’était avant tout pour apaiser sa conscience ?
Une phrase ne cesse de m’interpeller. Il s’agit de sa réaction lorsque je lui ai balancé que le rugby était toute sa vie : « Il y a bien autre chose dans ma vie », il m’avait lancé. Au fond de moi, je sais que je fais partie de cet « autre chose ». Du moins, je l’espère.
En sortant de la gare Matabiau, je retrouve très vite les stigmates de ma ville défigurée par la catastrophe, ce qui ajoute encore du chagrin à ma détresse.
Dès mon arrivée à la maison, maman se rend compte que je ne suis pas bien. Et elle me fait parler. Je n’en ai pas vraiment envie, mais je finis par craquer. Son écoute est attentive, ses conseils bienveillants et pleins d’amour.
Mais rien ne m’aide à aller mieux. Et surtout pas la distance, l’indifférence, les silences pesants et la désapprobation muette que papa continue d’afficher à mon égard. Quant aux souvenirs qui jaillissent sans cesse des rues de Toulouse, ou du canapé du séjour, ou de cette chambre où j’ai fait l’amour avec Jérém, ce sont autant de couteaux retournés dans la plaie béante de mon cœur, une plaie ouverte une semaine plus tôt à Paris.
Ni le beau Julien, toujours aussi souriant, drôle et sexy, ni Elodie n’auront pas plus de succès pour me remonter le moral. Le fait est qu’en me refusant de me confier à eux, je ne leur en laisse pas vraiment l’occasion. J’appelle également Thibault pour prendre des nouvelles. Je ne lui propose pas de le voir parce que je n’ai pas le moral, et je prétexte un manque de temps lorsqu’il me propose de passer à son appart pour un café. Je suis content d’apprendre que sa blessure au genou évolue bien, que sa rééducation est sur la bonne voie et que les médecins prévoient qu’il puisse rejouer en début d’année. Et aussi que la grossesse de sa copine se passe à merveille. Ça me fait toujours bizarre de penser qu’un garçon comme Thibault, qui a à peine un an de plus que moi, puisse devenir papa dans quelques mois. J’espère vraiment que cette nouvelle vie va le rendre heureux.
Le dimanche soir, je repars à Bordeaux dans le même état où j’en étais venu la veille : avec le moral plus bas que mes chaussettes, avec une sorte de dégoût qui ne me quitte plus.
Je me demande comment s’est passé le match de Jérém ce dimanche. Je lui envoie un sms pour le lui demander. Je suis tellement épuisé que je me couche dès mon arrivé à l’appart, à 20 heures, sans attendre sa réponse. Je dors presque 12 heures non-stop.
Lundi 26 novembre 2001
Le sommeil a du bon, parce que le lendemain matin, je me réveille un brin mieux. En guise de réveil, la radio passe une chanson que j’adore, et qui me met la pêche à chaque écoute.
https://www.youtube.com/watch?v=4NJH75q0Syk
https://www.lacoccinelle.net/242942-britney-spears-baby-one-more-time.html
Une chanson qui parle de chagrin, mais aussi d’espoir, une mélodie et une rythmique qui donnent envie de se remettre debout, de bouger les pieds, les jambes, de remuer tout le corps, de danser, de vivre à fond, maintenant. Une chanson qui dégage une énergie folle, une énergie qui monte, monte, monte, grimpe peu à peu sur un mur de son envoûtant. Et on monte avec elle, on grimpe si haut qu’on finit par ressentir comme une sorte de vertige, à la fois esthétique et émotionnel.
J’écoute la chanson jusqu’à la dernière note, et je me lève bien déterminé à faire en sorte que cette semaine soit meilleure que la précédente.
Je regarde mon portable et je trouve un message de Jérém.
« Salut, ça s’est bien passé ».
« Félicitations, je suis content pour toi »Cet sms, et cette bonne nouvelle me mettent du baume au cœur. Je suis vraiment content pour lui. et pour moi aussi. Car j’ai espoir que si ça marche bien pour lui au rugby, il va être mieux dans sa tête et qu’il va être plus ouvert à la discussion.
Ce matin il fait beau et tout me paraît enfin plus clair. Je me dis qu’il me suffit de faire un effort, bien qu’important, pour ne pas perdre Jérém. Je me dis que cet effort est à ma portée. Je réalise ce matin que j’ai été injuste l’autre soir avec lui. Car il a quand même fait l’effort de prendre de mes nouvelles, de garder le contact, alors que moi je me suis montré agressif et intransigeant.
Dans le bus qui m’amène à la fac, je repense à l’idée du couple libre exprimée successivement par Julien et par Albert quelques mois plus tôt. Et s’ils avaient raison ? Et si c’était Jérém qui avait raison ? Et si vraiment notre relation avait plus de chance de survivre en enlevant des contraintes que les distances physiques et sociales rendent inadaptées ?
Au fond de moi, je suis persuadé que ses propos ne sont pas ceux d’un coureur qui veut coucher à tout va, tout en gardant « un régulier ». Il n’y a pas de tromperie, et je n’ai pas de mal à croire à sa sincérité. Je l’ai senti à son attitude, au ton de sa voix. Et à son attitude.
Malgré mes assauts verbaux, que ce soit dimanche dernier ou jeudi au téléphone, Jérém ne s'est pas braqué, ce qui est un exploit en connaissant sa nature sanguine.
Encore il n’y a pas longtemps que ça, il m’aurait envoyé chier, point à la ligne. Mais là, par deux fois, il a gardé son calme, il a pris le temps d’essayer de m’expliquer sa façon de voir les choses. Je sens que quand il dit qu’il a lui aussi peur de me perdre, que je lui manque, ce ne sont pas des mots en l’air. Je ressens sa jalousie, son inquiétude, sa tristesse. C’est tout cela qui me fait dire que sa démarche est sincère. J’ai l’impression qu’à sa manière il fait tout ce qu'il peut pour sauver notre histoire.
Je me sens écartelé entre le réalisme irréfutable de ses arguments, la souffrance que je ressens à l’idée de l’imaginer en train de coucher ailleurs, la peur de le perdre, l’idée de coucher avec d’autres gars, de tomber amoureux d’un autre gars, l’idée de me perdre.
Ce matin, je me dis qu’une grande partie du chemin est derrière moi. Il reste le dernier bout devant moi, celui qui conduit à admettre qu’il a raison, que la solution qui me propose est la moins pire pour l’instant. Et de lui dire et lui montrer mon cheminement.
Cette dernière ligne droite est le plus dure à parcourir. Et pourtant il le faut. Par amour, il le faut. Et ça passe par un coup de fil que je me dois de lui passer. Oui, c’est à moi de le rappeler, et il est temps de le faire.
Mais ce n’est pas pour autant que c’est chose aisée. Chaque matin, je me dis que je le ferai le soir même. Mais le soir venu, je n’y arrive pas, et je remets ça au lendemain. Chaque jour, je cherche à me convaincre que je peux assumer le genre de relation que Jérém me propose. Mais le soir venu, au moment de composer le numéro, quelque chose cloche en moi. Je l’imagine en train de coucher avec une nana. Je m’imagine composer le numéro de Benjamin, coucher avec lui. Je n’arrive pas à me faire à cette idée. Je n’arrive pas à l’appeler. Ni Jérém, ni Benjamin.
D’ailleurs, depuis le week-end dernier, ce dernier a arrêté de me relancer. Je n’ai jamais donné suite à ses demandes de rendez-vous, et mes réponses à ses messages ont été sèches et évasives. Je pense que ce coup-ci, j’ai grillé toutes mes chances de revoir le gars au chiot labrador.
Mercredi, après la fin des cours, je finis par parler à Monica des raisons de ma tristesse et de mon mal-être des derniers jours. Je lui raconte mon voyage surprise à Paris, la distance de Jérém, les raisons de cette distance. Le fait qu’il m’ait dit que je suis quelqu’un de spécial à ses yeux. Mais aussi la découverte de ses coucheries « par obligation », et la discussion que nous avons eue, jusqu’à sa proposition de couple libre.
« Ah c’est culoté de sa part de te proposer un truc pareil… » elle s’exclame.
« Je sais… ».
« Je ne pense pas que je pourrais accepter ce genre d’arrangement » elle enchaîne.
« Mais je n’ai pas le choix ! ».
« Remarque, avec la pression qu’il doit avoir, lui non plus il n’a peut-être pas le choix. C’est vrai qu’en tant qu’hétéro je peux seulement essayer d’imaginer les difficultés à faire face ou à fuir le regard des autres. Une fois j’ai lu une citation d’un écrivain qui disait un truc du genre qu’« avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir. Ça doit être dur de se construire de cette façon ».
La semaine avance, et je finis par arriver à la conclusion que non, nous n’avons pas le choix. Ni moi, ni Jérém. Soudain, je me souviens des mots de Jérém sous la Halle de Campan. « Je n’ai pas le choix, Nico… Paris c’est loin, et là-bas ça va être impossible de vivre ça… ». Ça a été naïf de ma part de penser que, malgré la nouvelle attitude de Jérém vis-à-vis de moi, malgré notre amour, nous aurions pu passer par-dessus les difficultés.
Et je repense aussi à d’autres mots de Jérém, la dernière fois que j’ai été le voir à Paris, des mots qui ne sont autre chose que l’aveu d’impuissance de Jérém à changer le présent. « C’est le moins pire que je peux te proposer pour l’instant ».
Oui, il faut que j’arrive à accepter cette relation si je ne veux pas le perdre pour de bon. Mais pour y parvenir, j’ai besoin de le voir plus souvent. J’ai besoin de pouvoir négocier au moins ça. J’ai besoin de sentir qu’il tient compte de mes besoins et pas seulement de ses exigences. J’ai besoin de jauger régulièrement que cette situation ne nous éloigne pas. J’ai besoin d’une petite « victoire ».
Le jeudi soir arrive, nouvelle porte d’entrée d’un nouveau week-end. Ça fait déjà presque deux semaines que je n’ai pas vu Jérém. Ça fait une semaine qu’il m’a appelé et que je me suis montré agressif. Pendant toute la journée, je me sens prêt à l’appeler, je sens que ce soir ce sera enfin le bon.
Mais ce jeudi soir, mes adorables voisins m’invitent à dîner. Alors, le coup de fil, ce sera pour demain soir. Sans faute. De toute façon, l’idée de lui proposer de nous voir ce week-end, qui m’a quand-même effleuré l’esprit, ce n’est pas une bonne idée. C’est trop précipité, avant de lui proposer de se voir une fois avant Noël, je dois préparer le terrain. Je table plutôt sur le week-end prochain.
Vendredi soir, le cœur dans la gorge, le souffle coupé, je l’appelle. Ça sonne dans le vide et je tombe sur son répondeur. Je lui laisse un message sans aspérités, je lui demande juste comment il va depuis la dernière fois. J’essaie de me montrer apaisé, serein. Et pourtant, au bout de deux phrases je me sens essoufflé. L’apaisement et la sérénité ne sont visiblement pas au rendez-vous. Pourvu que ça ne s’entende pas trop dans le message…Je passe la soirée de vendredi et la journée de samedi dans l’attente d’un coup de fil ou d’un message qui ne viennent pas. Je suis triste, mais mon malheur est tempéré par la conscience d’avoir fait le plus dur du chemin pour me rapprocher de Jérém. Je me dis que ce n’est que question de temps pour que nous nous expliquions et pour que nous arrivions à nous comprendre, à nous entendre, à nous retrouver. Du coup, je dors un peu mieux.
Dimanche en fin de matinée je pars faire quelques courses et j’oublie mon téléphone à l’appart. Je ne sors qu’une demi-heure, mais lorsque je rentre, j’ai un appel en absence. « MonJérém », à 11h38. Mais pas de message. Il n’est pas encore midi, j’essaie de le rappeler aussitôt, mais je tombe sur le répondeur. J’appelle une deuxième fois, mais je n’arrive pas à l’avoir. Je pense qu’il a dû partir au match. Mince, alors ! Qu’est-ce que ça me fait chier de l’avoir raté !!! Et pourtant, le simple fait qu’il ait pensé à me rappeler, ça me fait un bien fou.
Je finis par lui envoyer un message en lui souhaitant bonne chance pour le match et en lui disant de me rappeler quand il rentrerait pour me dire comment ça s’est passé. Je suis impatient et fébrile.
Je passe le dimanche à attendre son de coup de fil. Mais à 23 heures, toujours rien. Je me dis qu’il doit être en train de fêter une nouvelle victoire avec ses potes. Je m’endors peu après minuit, sans avoir de ses nouvelles.
Lundi 3 décembre 2001.
Le lendemain matin, je me réveille de bonne heure. Je regarde mon portable et j’y trouve enfin un message de Jérém, arrivé après deux heures du mat :« On a gagné ».
Le message est plutôt sec, mais il me fait quand-même vraiment plaisir.
« Bonjour p’tit loup, très content pour votre victoire » je lui réponds.
Et là, encouragé par la bonne nouvelle, je me sens le courage de lui demander quelque chose.
« J’aimerais t’appeler ce soir ».
« Ok » il me répond.
« Vers quelle heure ? ».
« 8 h ».
« A ce soir ».
Et beh, voilà une bonne façon de commencer la semaine. Avec une bonne nouvelle. Ce soir, je vais appeler Jérém. J’ai besoin de lui parler, j’ai besoin de lui dire ce que je ressens, j’ai besoin de lui dire ce que je n’ai pas pu lui dire lors de son coup de fil il y a dix jours. J’ai besoin de lui demander de faire quelques efforts, comme il me demande, lui, d’en faire. Je me sens optimiste, j’ai espoir de pouvoir le raisonner un peu.
Je passe la journée à m’imaginer ce coup de fil, nos échanges, mes excuses d’avoir été agressif lors de son précèdent coup de fil. Je nous imagine retrouver notre complicité, je m’imagine trouver les mots pour lui faire comprendre que ce qu’il me demande est trop dur, notamment si on ne se voit pas assez. J’ai espoir d’arriver à lui faire comprendre que nous voir un peu plus ça nous fera du bien à tous les deux.
L’attente de ce coup de fil et les attentes qu’il fait naître en moi font que je dois avoir une meilleure mine.
« Tu as l’air d’aller mieux » me lance Monica à mi-matinée.
« Je pense » je lui réponds.
Je suis impatient que la fin des cours arrive, mais j’arrive à suivre, à m’intéresser.
Oui, ce matin, je sens que je vais mieux. Je vais mieux parce que j’ai pris une résolution. On va toujours mieux après avoir pris une résolution, notamment quand elle est difficile à prendre.
La fin des cours arrive, et l’après-midi glisse à toute vitesse vers le soir.
19 heures, je frémis.
19h30, mon cœur bat la chamade, ma respiration s’emballe.
19h55, je suis dans tous mes états. Ce matin j’étais plein d’espoirs vis-à-vis de ce coup de fil. Mais plus l’heure approche, plus ce coup de fil me fait peur. J’ai peur que ça ne serve à rien, que Jérém campe sur ses positions, qu’il se cabre, qu’on se dispute.
20 heures, je n’ai plus envie de l’appeler.
20h05, je dois le faire, mais je vais attendre encore quelques minutes.
20h12, j’essaie de respirer, de me calmer.
20h17, je l’appelle enfin. La première sonnerie me bouscule. La deuxième m’assomme. Peut-être que je vais tomber sur le répondeur.
Mais juste après la deuxième sonnerie, Jérém décroche.
« Salut » il me lance, sur un ton neutre.
« Salut » je lui relance à mon tour, complètement en apnée « Tu vas bien ? ».
« Ça va et toi ? ».
« Pas mal non plus ».
« Alors, il paraît que vous n’arrêtez pas de gagner en ce moment » j’enchaîne.
« Ça se passe pas trop mal, oui » il me répond, sur un ton poli mais distant.
« Je savais que tu y arriverais ! ».
« Attend, attend, rien n’est gagné. Et toi, la fac ? ».
« Bien aussi, je commence à réviser pour les premiers partiels ».
« Tant mieux, tant mieux ».
Je déteste cette expression, cette formule de politesse creuse à souhait qu’on utilise souvent pour répondre à quelque chose qui ne nous intéresse pas vraiment. Encore de l’amabilité à la place de la complicité. Ça me tue. Et le silence qui s’installe rapidement entre nous me fait peur. Est-ce que Jérém est déçu du fait que j’aie attendu si longtemps pour l’appeler ? Je n’aurais pas du attendre si longtemps !
« Je voulais te dire… » je décide d’aller droit au but « je suis désolé d’avoir été un peu agressif la dernière fois au téléphone. Ça m’a touché que tu m’appelles ».
Pendant quelques instants, je marque une pause. J’attends une réaction de sa part, mais elle ne vient pas.
« Je voulais aussi te dire … » j’enchaîne alors « je comprends ce que tu vis à Paris, et le fait que tu dois faire comme les autres gars… et j’apprécie que tu aies été honnête avec moi. J’apprécie aussi le fait que tu te protèges ».
Je marque une nouvelle pause. Mais toujours en absence de réaction de sa part, je me lance dans un long monologue fébrile.
« Et ça m’a touché aussi que tu me dises que je suis quelqu’un de spécial pour toi. Ça m’a touché parce que toi aussi tu es spécial pour moi, vraiment spécial. Et c’est parce qu’on est spéciaux l’un pour l’autre que je veux bien accepter ce que tu m’as proposé la dernière fois. Je ne peux pas t’interdire de coucher avec des nanas, et je ne veux pas t’obliger à me mentir.
Jérém, t’aime depuis le jour où je t’ai vu et rien ne peut changer ça. Je souffre de ne pas te voir et de comprendre que je ne te suis d’aucune aide vis-à-vis des problèmes que tu rencontres dans ta vie actuelle. Je ne veux te forcer à rien. Je ne veux surtout pas te créer d’autres problèmes.
Mais je ne peux pas supporter de te voir si peu, ça me rend dingue. Je pense que quand nous sommes ensemble ça nous fait du bien à tous les deux. Je m’en fous de monter à Paris et de rester à l’appart, ou même de prendre une chambre d’hôtel pour avoir la paix, s’il le faut. On pourrait se voir le week-end prochain et… ».
« Le week-end prochain ce n’est pas possible » il se manifeste enfin, en me coupant net.
Je prends son nouveau refus comme un coup de massue sur la tête.
« Et pourquoi ? ».
« Parce que le club organise une journée au stade avec les supporters ».
« D’accord, le week-end d’après alors… ».
« Je ne jouerai pas sur Paris… ».
« Et alors ? La dernière fois non plus tu ne jouais pas sur Paris. J’en ai profité pour visiter le samedi et on a passé le dimanche ensemble ».
« Laisse tomber, Nico ».
Visiblement, Jérém essaie de me décourager, comme avant ma venue surprise sur Paris. Je sens que tout m’échappe, que je n’ai aucune prise, je le sens de plus en plus distant, et irréversiblement distant.
« Et pourquoi tu veux que je laisse tomber ? ».
« Tu vois bien que c’est très compliqué… ».
« Mais non, ce n’est pas compliqué, il suffit qu’on s’organise ».
« Nico, ne me prends pas la tête ! ».
« C’est ça que je suis, alors, pour toi, une prise de tête ? ».
« Je n’ai pas dit ça ».
« Alors, je suis quoi, au juste, pour toi ? ».
« J’ai besoin de temps, Nico » il finit par lâcher.
« Et je vais devoir t’attendre combien de temps, au juste ? ».
« Je n’en sais rien ».
« Mais putain, je ne te demande pas la Lune ! Je te demande juste de nous voir au moins une fois par mois ! Essaie de te mettre à ma place ! C’est déjà assez dur pour moi de te savoir au lit avec une nana ! » je monte en pression, face à son inflexibilité.
« Arrête Nico ! ».
« Alors, si j’ai bien compris, je n’ai plus qu’à aller voir d’autres gars ! » je lance un pavé dans la mare.
« C’est ça, vas-y ! » il me lance, las de mes assauts.
Je suis tellement désemparé face à la tournure que vient de prendre ce coup de fil, une tournure à la fois si lointaine de celle que j’avais espérée et si proche de celle que j’avais redoutée, que je perds tout contrôle de moi.
« T’inquiète, c’est fait ! » je mens, en montant la voix et le ton comme pour donner à mes mots la violence d’un coup de sabre.
Le silence qui suit me donne la mesure d’à quel point mon stupide bluff a atteint son but. Je le regrette déjà. Parce qu’au fond de moi je sais pour sûr que cette sortie n’aidera en rien notre relation.
Après cela, les secondes s’embourbent dans un silence épais et toxique.
« Tu ne dis plus rien ? » je finis par lâcher, plus pour m’assurer qu’il est toujours là que pour savourer mon coup de théâtre pathétique.
« Je crois que je vais te laisser ».
« Oui, c’est ça, c’est bien ça ! » je fais sur un ton sarcastique.
« Et alors on fait quoi maintenant ? » j’enchaîne.
Au bout d’un moment de silence interminable, j’entends Jérém lâcher sur un calme mais ferme :« Peut-être qu’on devrait faire une pause ».
Et là, le monde s’effondre autour de moi. Je suis pris de vertige, j’ai envie de pleurer, de hurler, de mourir. Je réalise que j’ai été trop loin, et que j’ai atteint un point de non-retour.
« Pourquoi une pause ? » je réagis, en panique totale.
« Je viens de te dire que j’accepte ta proposition d’être un couple libre » j’enchaîne, mort de peur.
« Je voulais juste qu’on se voit un peu plus souvent. Mais tant pis, on se verra quand on pourra » je renonce à toutes mes conditions, en flairant le désastre, dans la tentative désespérée de rattraper le coup.
« Tu dis ça mais tu ne le penses pas ».
« Si je le pense ».
« Non, bien sûr que non. Je vois bien dans quel état ça te met. Je n’aurais pas dû te proposer ça, ça ne peut pas marcher ».
« Mais si… ».
« Non, ça va te miner, et moi aussi. Je suis désolé Nico, mais je crois que c’est la meilleure solution pour tous les deux ».
« Comment tu sais si c’est une bonne solution pour moi ? ».
« Je ne le sais pas… ».
Les larmes coulent sur mes joues, les mots me font défaut.
« Ne fais pas de bêtises, Nico » je l’entends me glisser, la voix tremblante, les mots étouffés par une émotion qu’il essaie de maîtriser sans vraiment y parvenir.
« Toi non plus ne fais pas de bêtises » je trouve la force de lui répondre, en pleurs.
Je n’arrive pas à croire qu’on en arrive là.
« Comment on en est arrivés là, après Campan ? » je lui glisse en pleurs.
« Je croyais pouvoir y arriver, Nico. Mais je n’y arrive pas ».
« Bonne soirée » je l’entends me glisser, la voix cassée par l’émotion.
« Bonne soirée ».
Jérém vient de raccrocher et mes filets de larmes deviennent des torrents des larmes. J’ai tellement mal que j’ai envie de crier à m’en casser les cordes vocales et les poumons. Je crie, oui, mais en silence. Ce ne sont pas mes poumons ou mes cordes vocales qui prennent, mais mes nerfs, mon esprit. Je me recoquille dans un coin, dans le noir, tremblant de froid et de peur.
Je me suis demandé à quoi ressemblerait la vie sans Jérém. Elle ressemble à un précipice où je suis en train de tomber. Elle ressemble à un univers de solitude absolue. Elle ressemble à un monde où toute trace de bonheur a été supprimée. J’ai l’impression qu’on vient de m’arracher le cœur. La vie sans Jérém c’est ça, et elle commence maintenant. Elle ressemble à un baiser de Détraqueur.
Pendant de longues minutes, j’ai juste envie de disparaître, de m’évaporer, ce cesser de souffrir. Je voudrais ne jamais être venu au monde. Je n’ai envie de voir personne et pourtant ce soir, je ne veux et pas rester seul. Je ne peux pas. J’ai besoin de voir quelqu’un, j’ai besoin de compagnie, j’ai besoin de parler.
Je sors de chez moi, bien décidé à traverser la petite cour au sol rouge et à demander asile chez mes adorables voisins. Hélas, il est presque 21 heures, et les stores blancs sont déjà baissés. Albert et Denis sont déjà au lit. Je rentre chez moi, j’appelle Raph pour sortir prendre un verre. Je tombe sur son répondeur. Je viens de me souvenir qu’il m’a dit que ce soir il avait un rendez-vous galant.
J’essaie d’appeler Monica. Lorsqu’elle décroche, je retrouve un petit regain d’espoir.
« Salut, c’est Nico ».
« Salut, ça va ? ».
« Oui… je … je voulais te proposer d’aller prendre un verre ce soir ».
« Ce soir ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, je suis crevée et demain j’ai plein de trucs à faire ».
« D’accord, d’accord » je fais sur un ton triste.
« Tu es sûr que ça va, Nico ? ».
« Sûr, sûr, ne t’inquiète pas. On se voit lundi en cours ».
Je suis tenté d’appeler Cécile, mais je renonce. Après ce qui s’est passé entre nous (rien, justement, et le fait qu’elle m’en ait quand même un peu voulu) je me sens mal à l’aise à l’idée de lui raconter mes peines pour la seule raison que je n’ai personne d’autre sous la main pour le faire. Non, ce soir je ne verrai personne.
Mais j’ai quand-même besoin de parler avec quelqu’un qui saurait me remonter le moral. J’essaie d’appeler ma cousine Elodie. Pas de chance, je tombe sur répondeur. J’essaie d’appeler mon pote Julien. Répondeur aussi. Parfois j’ai l’impression que la France est un pays de répondeurs.
Je suis sur le point d’appeler Thibault. Mais j’y renonce à la toute dernière seconde. Avec lui non plus je ne me sentirais pas à l’aise de parler de mes peines avec Jérém.
Je passe la soirée à zapper et à pleurer. Ses mots « Peut-être qu’on devrait faire une pause » résonnent dans ma tête comme une explosion sans cesse répétée. Ces mots ont ouvert en moi un vide si profond, un vide dans lequel je suis tombé à l’instant même où ils ont été prononcés et dans lequel je n’arrête pas de précipiter.
Quand a-t-il décidé de prendre une pause ? Après son coup de fil d’il y a dix jours, lorsque j’ai été si distant et si agressif ? Lorsque je me suis montré si impréparé à accepter sa main tendue ? Est-ce que mon attitude, mes réflexions, mes piques lui ont fait prendre la mesure d’à quel point c’était difficile pour moi d’accepter cet état de choses ? Est-ce que si j’avais été plus fort, si je m’étais montré plus fort, ça aurait changé quelque chose ?
Est-ce que l’idée d’une pause était déjà dans sa tête au début du coup de fil de ce soir ? Est-ce qu’elle est venue en réaction à mon insistance ? « Je vois bien dans quel état ça te met » : ces mots résonnent en moi comme la preuve que je n’ai pas été à la hauteur.
Aussi, pourquoi a-t-il fallu que j’invente le fait d’avoir couché avec un autre gars, alors que ce n’est pas vrai ? Est-ce que c’est ça qui l’a décidé à me quitter ou, du moins, qui lui rendu les choses plus faciles ?
Evidemment, je ne dors pas de la nuit. Je rasasse ce coup de fil en boucle. J’essaie de croire à cette idée de « pause », mais je n’y arrive pas. Dans ma tête, ce soir Jérém m’a quitté. Et pour de bon cette fois-ci.
J’allume la radio en fond sonore pour tromper ma solitude. Il est encore tôt et Macha n’est pas prête de m’apaiser avec sa voix grave et bienveillante. Je suis tellement claqué que je ne pense pas pouvoir attendre jusqu’à si tard. Je laisse la radio en fond sonore sur une station qui ne passe que des tubes indémodables. Le dernier morceau dont je me souviens avant que mon corps et mon esprit ne cèdent à l’épuisement qui les ronge, est tout simplement un chef d’œuvre absolu.
Nous étions en novembre encore il y a peu, il pleut dehors, tout comme il pleut en moi. Alors, cette chanson tombe à point nommé. Ses harmonies et ses mélodies géniales qui s’étirent sur de longues minutes semblent trouver le moyen de m’apaiser. La beauté possède le pouvoir de soigner la souffrance.
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