0310 Un coup de tonnerre déchire l’horizon.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 13-12-2021 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0310 Un coup de tonnerre déchire l’horizon.
Est-ce que Ruben est amoureux de moi ? Ou bien, est-ce que nous sommes tous deux amoureux de ce que nous nous apportons l’un à l’autre, à savoir une présence qui nous empêche de nous noyer dans le chagrin de nos amours perdues ? Je ne sais pas répondre à ces questions, et au fond de moi je ne sais pas si j’en ai envie.
Nous sommes deux meurtris de la vie et que nous avons besoin du réconfort et de la douceur que nous avons trouvés dans les bras de l’autre. Ruben a été ma bouée de sauvetage, et j’ai probablement été la sienne. Lorsqu’on se noie, on ne refuse pas une main tendue.
Je me souviens très bien de l’instant où je me suis fait ces réflexions. C’était un soir, un samedi soir plus précisément, et c’était la veille de mon anniversaire. Et c’était aussi la veille du jour où « un coup de tonnerre » allait faire dangereusement vaciller mon fragile équilibre sentimental.
Dimanche 15 septembre 2002.
Un anniversaire, et en particulier celui de ses 20 ans, devrait être une journée heureuse. Elle ne l’est pas vraiment pour moi. Dès le matin, je suis d’une humeur morose. Car en ce jour, encore plus que les précédents, la nostalgie tenaille mon cœur et elle ne me lâche pas d’une semelle.
En fait, ça fait des mois qu’elle m’assiège. Et, malgré la présence de Ruben dans ma vie, elle n’a cessé de me harceler un peu plus chaque jour. Dès que je me retrouve seul, je ressasse le bonheur passé. Le bonheur perdu.
A une époque où le plus puissant des moteurs de recherche n’était pas là pour nous rappeler en images sur un écran ce que nous faisions un an plus tôt, c’était notre cœur qui nous le rappelait.
Il y a un an, jour pour jour, j’étais à Campan, et je venais de retrouver Jérém après notre clash dans la maison de mes parents. Il y a un an, je découvrais un nouveau Jérém. Je le découvrais entouré d’un cadre nouvel et inattendu – la montagne, les chevaux, et une sorte de grande famille aimante composée d’une bande de joyeux lurons, les cavaliers de l’ABCR. Un garçon beaucoup plus simple et naturel que celui que j’avais connu à Toulouse. Je faisais la connaissance de la petite maison en pierre, et de l’amour qu’il portait à ses grands-parents. En connaissant son histoire, ses peurs, ses faiblesses, je tombais une deuxième fois amoureux de Jérém. J’avais été fou d’un petit con sexy en diable, je tombais véritablement amoureux d’un garçon touchant.
Je repense aux balades sur le dos de Tequila, je me rappelle la bienveillance de Charlène, la bonne humeur de Martine, la sagesse et l’humour de Jean-Paul. Je repense aux fins de soirée rythmées par la guitare et par les blagues de Denis. Je repense aux belles discussions avec ces gens ouverts. Je me souviens du coming out de Jérém devant tout le monde.
Et je me souviens surtout d’un Jérém tendre, attentionné, amoureux. Je me souviens d’à quel point ce Jérém m’a touché, ému, bouleversé. Je me rappelle qu’il y a un an, nous nous câlinions devant le feu dans la petite maison, nous faisions l’amour plus tendrement que nous ne l’avions jamais fait. Je me souviens qu’il y a un an, j’étais heureux.
Je mentirais si je disais que je suis complètement malheureux aujourd’hui. Je suis heureux aussi, d’une certaine manière. Après un mois de juillet au fond du trou, j’ai retrouvé une certaine sérénité, un équilibre relatif depuis que Ruben est entré dans ma vie.
Et pourtant, au fond de moi je sais que mon cœur est resté ailleurs. J’ai eu beau essayer de lui imposer de changer de cap. Le cœur ne sait tendre ailleurs que dans la direction qu’il a choisie de son propre chef. Oui, parfois notre raison voudrait lui imposer des choix. Parfois ils se bagarrent. Mais la raison a beau s’acharner, elle n’a jamais remporté le moindre le duel. Il y a un seul Pôle Nord Magnétique, il y a un seul Pôle Magnétique du Cœur. Et Jérém, c’est le mien.
Le matin de mon anniversaire, j’ai reçu deux coups de fil. Le premier de Maman, l’autre de ma cousine Elodie. Ruben m’a souhaité bon anniversaire avec plein de bisous et un petit déj soigné. Tous mes proches, du moins ceux qui connaissent ma date d’anniversaire, se sont manifestés. Je devrais être comblé. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de me prendre la tête avec le « bon anniversaire » qui est le grand absent en ce jour.
Je sais que je ne devrais même pas y penser. Parce que, de toute façon, ça ne viendra pas. Je sais qu’il n’y pensera pas. Et que même s’il y pensait, il se dirait qu’il vaut mieux faire profil bas. Et une partie de moi se dit qu’il est mieux ainsi.
Et pourtant, quand je pense au bonheur que j’avais ressenti il y a un an lorsque Jérém m’avait appelé pour cette occasion spéciale, j’ai envie de pleurer. Et je ne peux m’empêcher, pendant toute la journée, de guetter régulièrement l’écran de mon téléphone en espérant y trouver l’arrivée d’un message ou l’apparition d’un appel en absence (après les appels de Maman et d’Elodie, j’ai mis le téléphone en mode « silence », pour éviter de devoir rendre des comptes, au cas où).
C’est une belle journée et Ruben m’entraîne dans une longue boucle à vélo avec les cyclistes de l’asso. Le soir de mon anniversaire, nous la passons évidemment en amoureux. Pour le dîner, il me prépare un bon petit plat de chez lui, un délicieux farci poitevin. Je suis vraiment touché par ses attentions. Cuisiner pour quelqu’un est une belle façon de lui montrer qu’on l’aime. Je lis dans ses gestes, dans son regard, son bonheur de me faire plaisir.
J’ai même droit à un cadeau. Un jour le titre « The Scientist » était passé à la radio et je lui avais dit que j’aimais bien. Le soir de mon anniversaire, le cd « A Rush of Blood to the Head » apparaît sous le papier cadeau.
« Merci beaucoup, Ruben — De rien… chaton… — Chaton ? je m’étonne en l’entendant m’appeler pour la première fois de cette façon.
— Tu n’aimes pas ?
— Si, si, c’est juste que je m’y attendais pas…— Il va falloir que tu trouves un petit nom pour moi aussi, maintenant…— Oui », je le seconde, sans avoir la moindre idée de quoi je pourrais bien trouver. Le seul petit nom qui me vient en tête, c’est… « P’tit Loup ». Mais jamais je ne pourrais l’appeler de cette façon, jamais.
« Chaton » marque un pas supplémentaire dans notre intimité. « Chaton » me rapproche un peu plus de ces trois petits mots que je crains de m’entendre dire un jour à Ruben, ces trois petits mots qui engagent et qui me font peur. « Chaton » rime bien évidemment avec Ourson, et ça me ramène une fois de plus à mes souvenirs, à ma nostalgie, à ma tristesse.
Après le repas, nous passons la soirée à nous faire des câlins avec mon cadeau d’anniversaire en fond sonore.
https://www.youtube.com/watch?v=RB-RcX5DS5A
La tendresse laisse peu à peu la place à la sensualité. Ruben finit par me prendre en bouche et me sucer longuement. Je le suce à mon tour, j’essaie une fois de plus de lui faire apprécier ce plaisir. Mais, une fois de plus, sans grand succès. Je sais qu’il préfère que ma langue aille titiller doucement sa rondelle. S’il n’est pas prêt à ce que je vienne en lui, il a peu à peu appris à apprécier ce plaisir intime. Je suis content de le sentir vibrer sous les caresses de ma langue.
Après plusieurs nuits passées sur son clic clac moyennement confortable, j’ai du sommeil à rattraper. Le lendemain nous avons cours tous les deux, alors nous décidons de dormir séparément. Je rentre donc chez moi peu avant minuit.
Je retrouve mon appart, et son empreinte olfactive caractéristique, un mélange entre l’odeur persistante de cigarette très probablement laissée par l’ancien locataire et celle de la lessive que j’utilise pour laver mes fringues.
Et je « retrouve » mon portable, qui demeurait au fond de ma poche, en panne de batterie depuis midi. C’est l’autre raison qui m’a poussé à rentrer chez moi ce soir. Le besoin de le rallumer, pour savoir, au cas où…Je le branche au chargeur, et je l’allume. J’attends quelques secondes, les yeux rivés sur le petit écran. J’attends qu’il ait complètement démarré, j’attends de voir si je n’ai pas loupé un message important. Lorsque le téléphone affiche le nom de l’opérateur et les cinq barres de réseau, j’attends encore de longues secondes. Mais rien ne vient. Je finis même par composer le numéro de la messagerie pour voir si un message y a été déposé sans être notifié.
« Vous n’avez aucun message ». Par l’intermédiaire d’une voix enregistrée sans émotion et sans empathie, la sentence tombe comme une lame de couperet, arrachant de mon esprit les derniers espoirs d’un « miracle ». Frustré, déçu, malheureux, j’ai du mal à accuser le coup. Je balance le téléphone sur la table de nuit comme si je voulais le punir de ne pas m’annoncer ce que j’attendais secrètement au fond de moi.
Je prends une douche, je me brosse les dents, je me glisse sous la couette et j’éteins la lumière. Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque que la petite led verte de mon téléphone signalant l’arrivée du message clignote impatiemment dans le noir. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
J’attrape le téléphone, j’allume le petit écran. Et là, je n’en crois pas mes yeux.
23h41 « Appel en absence Jérém ».
Le téléphone était resté en mode « silence » depuis le matin, et la sonnerie n’a pas retenti. En haut de l’écran, l’indication de l’heure affiche 23h45. Merde, merde, merde, je l’ai raté, je l’ai raté de peu, de si peu ! Et à côté de l’heure, l’icône du message vocal clignote de façon insistante.
J’ai le souffle coupé, et le cœur sur le point d’exploser.
PUTAIN ! Il y a pensé !!!
Ça me fait un plaisir fou, et ça me remplit de joie. Mais à côté de ça, ça me terrorise, ça me donne envie de chialer. Ça fait près de deux mois que je n’ai pas de ses nouvelles. Deux mois que j’essaie de faire le deuil de notre relation avortée, que j’essaie de l’oublier. Près de deux mois que j’essaie de me convaincre que Ruben me comblerait.
Et là, il suffit de voir son nom s’afficher sur mon portable pour sentir tout remonter, mes sentiments, mes espoirs, mes peurs. Pour que mon cœur se mette à battre un rythme qu’il n’a pas joué depuis des mois, celui de la Chamade.
Le portable toujours enserré dans mes doigts tremblants, je fixe l’icône de message clignotant sur l’écran. J’ai terriblement envie de l’écouter, et j’en ai peur en même temps. J’ai envie d’entendre sa voix, mais j’ai peur de connaître la raison de son appel. J’ai envie de croire que Jérém a tenu parole, que ce coup de fil annonce sa volonté de revenir vers moi, et pour de bon. Mais j’en ai peur aussi. J’ai peur de le retrouver poli et distant, comme un amant qui nous a regardés un jour avec les yeux de l’amour et qui ne nous regarde désormais qu’avec une bienveillance meurtrière. J’ai envie de le retrouver, et j’ai peur de souffrir encore.
En fait, je me retrouve dans la même situation qu’un an plus tôt, lorsqu’il m’avait rappelé après notre clash pour que j’aille le rejoindre à Campan. Il y a un an, j’avais répondu à son appel. Je nous avais donné une deuxième chance, en mettant de côté mon amour propre blessé.
Cette fois-ci, ce n’est pas que mon amour propre blessé et le besoin de me protéger qui me retiennent de me laisser aller à un élan inconditionnel vers lui. Il y a aussi le fait que j’ai commencé à me reconstruire, et que j’ai commencé à me bâtir une nouvelle vie. Je ne veux pas trahir Ruben, je ne veux pas lui faire du mal. Je ne veux plus que Jérém vienne à nouveau tout chambouler dans ma vie avant de disparaître encore en laissant des ruines fumantes derrière lui.
Mon esprit tangue ainsi pendant de longues minutes entre l’envie d’écouter ce message et celle de l’effacer sans l’écouter, et de poursuivre ainsi mon nouveau chemin.
Je laisse le petit écran du téléphone s’éteindre. Mais la petite led verte au sommet de l’appareil ne cesse de clignoter et de me balancer sournoisement : « Vas-y, il y a un message, vas-y, écoute-le, je ne vais pas arrêter de clignoter et de te casser les couilles tant que tu ne l’auras pas écouté ! »Soudain, je me dis que si ça se trouve, il vient de m’appeler pour m’annoncer quelque chose de grave. Peut-être qu’il a une galère, et qu’il a besoin de moi. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Oui, j’ai besoin de savoir s’il va bien. C’est en prétextant ce genre d’arguments dans mon esprit, que je trouve le courage d’écouter enfin le message.
Je me glisse sous les couvertures, je ferme les yeux et je lance le répondeur.
« Salut Nico. »
Deux petits mots et déjà sa voix mâle me fait vibrer. Entendre mon prénom dans sa bouche me met dans tous mes états. Une petite pause suit ces premiers mots, comme une hésitation que je trouve terriblement touchante. When you call my name…
« Je sais qu’il est tard. Je voulais t’appeler plus tôt, mais je n’y arrivais pas… tu vois, j’ai dû boire un bon peu pour y arriver. J’espère que tu vas bien, Nico. Je…. »
Une nouvelle fois il prononce mon prénom, une nouvelle fois je sens mes trips se vriller. Sa voix sent le degré d’alcoolémie relativement avancé, et la sincérité et la clairvoyance que cet état peut donner à l’esprit. Une nouvelle fois, ses mots semblent suspendus à une grande hésitation.
« Ecoute, Nico, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je sais que je n’ai pas été cool la dernière fois. Par du tout, même. J’avais besoin d’être seul, et je t’ai encore jeté, alors que tu avais été vraiment génial après l’accident. Cet été j’étais vraiment très mal… je sais, ça n’excuse pas mon comportement. Parce que je me suis encore comporté comme un con avec toi… oui, comme un con, il n’y a pas d’autres mots. J’espère que tu vas pouvoir me pardonner et que tu voudras au moins me reparler. Bonne soirée, et j’espère à bientôt… au fait… bon anniversaire, Ourson. »
An, non, pas Ourson ! Il n’a pas le droit de m’appeler de cette façon alors qu’il ne m’a pas appelé ainsi depuis des mois ! Il ne peut pas évoquer l’Ourson, et prétendre qu’il se ranime au quart de tour après avoir été jeté dans un coin, comme s’il ne servait plus à rien, pendant des longs mois !
Et pourtant, qu’est-ce que ça me fait plaisir d’entendre cela ! Car ce petit nom « dans sa bouche » ça ouvre plein d’espoirs, tout un nouvel horizon. Est-ce qu’il voudrait que je sois à nouveau son Ourson ? Est-ce que je vais accepter de l’être à nouveau ? Et Ruben dans tout ça ?
J’ai les larmes aux yeux, j’ai très envie de l’appeler de suite.
Le rappeler, pour lui dire quoi ? Pour lui dire à quel point il m’a manqué et à quel point il me manque toujours ? Pour l’engueuler pour m’avoir autant fait souffrir à nouveau ? Pour lui dire qu’un Ourson n’est pas fait pour être câliné, aimé, puis jeté, délaissé, oublié, puis repris quand ça lui chante ?
Caché sous ma couette, je cherche un abri. Un abri de moi-même, un abri de mes peurs. Mon pouce glisse tout seul sur le bouton vert et le dernier contact s’affiche. « Jérém », appel manqué à 23h41.
Je regarde cette mention fixement, longuement, jusqu’à ce que l’écran s’éteigne à nouveau. Je rappuie alors sur le bouton vert, l’écran se rallume, la même mention s’affiche à nouveau. Je répète l’opération une bonne dizaine de fois. Juste avant que l’écran ne s’éteigne pour la dernière fois, j’ai lu l’heure : 00h14. Ça fait donc une demi-heure que je fixe l’écran et son prénom en essayant de me décider au sujet de quoi faire. Chacune des options semble me demande un effort surhumain.
Et pourtant, ne rien faire, ignorer son coup de fil et son message, ignorer ses mots et ses hésitations, son humilité et son mea culpa, me paraît encore plus inimaginable. Je ne pense qu’à ça, je ne pense qu’à lui. Dans ma tête, dans mon cœur, dans mon ventre, ça tourbillonne méchamment.
Puis, à un moment, je ferme les yeux, je prends une grande respiration, je porte le téléphone à mon oreille. Et j’appuie sur le bouton vert d’un geste précipité, presque violent. Parfois il faut arrêter de penser et agir.
La première sonnerie retentit dans mon oreille. J’ai l’impression que mon cœur va exploser. J’ai l’impression de faire une connerie, j’ai l’impression de trahir Ruben, et je m’en veux. Et pourtant, je laisse sonner.
Chaque sonnerie dans le vide est un nouveau coup de poing dans le ventre. Je suis comme en apnée, je me demande bien ce que je vais pouvoir lui dire, et de quelle façon. J’ai envie de raccrocher, mais je n’ose pas, c’est trop tard. Je commence à espérer tomber sur sa messagerie. C’est trop dur tout ça, trop difficile, trop douloureux. Je me dis que ça va être plus simple de parler à une machine qu’au gars que j’aime.
« Ecoute Jérém, ça fait des mois que tu ne m’as pas donné de nouvelles. J’ai respecté ton besoin d’être seul, et je commence à m’en faire une raison. Alors, ne gâche pas tout. Ne me donne pas de nouveaux espoirs que tu briseras un jour ou l’autre. Ne m’appelle plus, s’il te plaît. Je t’ai beaucoup aimé, et je t’aimerai toujours. Mais à l’évidence, je n’arrive pas à te rendre heureux. Alors, essayons d’être soyons heureux chacun de notre côté. Bonne chance, P’tit Loup. Enfin, non, bonne chance Jérém. »
Mais le destin en décide autrement.
« Ah Nico ! C’est cool que tu me rappelles… »
C’est au bout de nombreuses sonneries que ça décroche enfin. J’ai l’impression que mon cœur a cessé de battre, j’ai l’impression de m’étouffer. J’ai la tête qui tourne.
« Désolé de t’appeler si tard… je t’ai pas réveillé au moins… ?
— Non ça va.
— Bon anniversaire ! »J’ai envie de pleurer, et je me retiens de justesse.
« Merci…— Comment tu vas ?
— Ça va… » j’arrive à lui glisser, complètement en apnée.
Après quoi, mon cerveau se met en mode veille et je n’arrive plus à construire la moindre phrase dans mon esprit ni à débiter le moindre mot. Je suis en état de paralysie de l’élocution. Le silence s’installe et devient vite gênant.
« Nico… je sais que je n’ai pas donné de nouvelles depuis un bail je comprends que tu m’en veuilles… »Oui, je lui en veux de m’avoir laissé des mois sans nouvelles et de revenir ainsi dans ma vie, alors que je commençais à faire mon deuil. Je lui en veux de raviver mes sentiments, de les refaire flamber de but en blanc de leurs propres braises, alors que je commençais à tourner la page avec un gars adorable comme Ruben. Et pourtant mon cœur est en fibrillation et je ressens au fond de moi un bonheur inouï.
« Pourquoi je t’en voudrais ? je coupe court, sans faire attention à ses excuses que je n’ai pas envie d’entendre, même si elles me font du bien.
— Je ne sais pas… il fait, comme déstabilisé.
— Et toi, comment ça va ? j’arrive à enchaîner.
— Moi, ça va aussi.
— Heureux de l’apprendre.
— Tu me manques, Nico…— Ah bon ? On l’aurait pas dit jusque-là !
— C’est pourtant vrai. Ça fait trop longtemps qu’on s’est pas vus…— A qui la faute ?
— A moi, à moi, à personne d’autre. Tu me manques et tu m’as toujours manqué. Si j’ai voulu te tenir à distance, c’est pour ne pas te faire de mal.
— Me tenir à distance C’EST me faire du mal !
— Je sais mais je me connais et je sais que quand ça va pas, je suis insupportable.
— Et là ça va mieux, alors tu me rappelles et moi je devrais faire comme si on s’était quittés hier en se faisant des bisous ?
— Je suis désolé d’être comme ça…— T’as que ça à balancer ? Des excuses, avant de disparaître à nouveau ?
— Tu as raison, je me comporte toujours comme un con avec toi…— Tu travailles toujours à la brasserie ? j’enchaîne pour faire diversion de cette conversation qui devient de plus en plus pénible.
— Non, pas vraiment…— Tu t’es fait virer ?
— Non, j’ai démissionné…— Et t’es au chômage ?
— Non, j’ai trouvé un autre taf…— Et tu fais quoi alors ?
— Je joue au rugby…— Ah bon ? Ils t’ont repris au Racing ?
— Non… »Mon cœur fait un bond. Je me mets à cogiter à vitesse grand V et je pars vite en besogne.
« Mais tu as quitté Paris ?
— Non, je suis toujours à Paris. »Soudain je crois saisir. Et ce que je crois comprendre est tellement énorme que j’ai du mal à l’admettre.
« Ne me dis pas que t’as été pris au Sta…— Au Stade… Si ! Si ! Si !
— Mais c’est fabuleux !
— C’est plus que ça même, j’ai pas de mots. C’est juste WAOOOUH ! Depuis un mois, je suis comme sur un nuage…— Un mois ?!?! Et tu pouvais pas me l’annoncer avant ?
— J’ai attendu de passer la période d’essai, au cas où ça foire. Tu es la première personne à qui je l’annonce, je ne l’ai même pas encore dit à Maxime. Il va halluciner, et ensuite il va m’engueuler de ne pas le lui avoir dit avant.
— Mais le Stade c’est l’une des équipes les plus fortes du top 16, non ?
— C’est le top du top du rugby. C’est une chance inouïe pour moi, et c’est grâce à Ulysse. Il a fait des pieds et des mains, et il a même accepté une baisse de salaire la première année pour les convaincre de me donner une chance. »Une partie de moi a toujours envie de le pourrir, mais une autre partie est heureuse pour lui. Et émue, très émue. Ça me fait tellement plaisir de le sentir heureux, et je me laisse transporter par sa joie. J’ai l’impression de retrouver le Jérém de Campan, le Jérém enthousiaste que j’aime tant.
« Je suis content pour toi. Et ça se passe bien ?
— Très bien, vraiment très bien. Ça ne fait que quelques semaines que j’y suis, mais je me sens bien, comme à Toulouse. Depuis que je suis à Paris, je ne me suis jamais senti à ma place. Et là, j’ai l’impression d’y être à nouveau. Les gars sont sympas, et le coach aussi. Je me sens bien et je joue beaucoup mieux. Je sais que j’ai tout à prouver une nouvelle fois. Mais là, j’ai l’impression que je vais y arriver. J’ai l’impression de courir enfin dans la bonne direction, Nico ! »
Je le laisse parler et je suis de plus en plus bouleversé par mes sentiments contradictoires. Je suis heureux pour lui, mais aussi triste que nous soyons loin, physiquement, sentimentalement. Je ne sais même pas si nous sommes toujours ensemble. J’ai envie de pleurer.
Je ne sais pas comment ce coup de fil va se terminer, ce qu’il a en tête. J’ai à la fois envie et peur de le découvrir. J’ai envie qu’il me propose de monter à Paris et de fêter ça avec lui. J’ai envie qu’il se cantonne à ça, à me donner ces bonnes nouvelles, et à me dire « à l’un de ces quatre », comme il le ferait avec un pote. J’ai envie d’être à nouveau son Ourson et j’ai envie de continuer à l’oublier. Dans cette tempête d’attentes contraires, les mots me manquent.
« Au fait, je ne t’ai jamais remercié comme il se doit pour ce que tu as fait après l’accident. Tu as été génial, Nico. Tu m’as vraiment sorti de la panade.
— Je ne pouvais pas te laisser tomber.
— Tu aurais pu. Rien ne t’obligeait à mentir et à prendre le risque d’avoir des soucis à cause de moi. Tu m’as sauvé la vie ! Je ne l’ai pas oublié et je ne l’oublierai pas.
— C’était aussi de ma faute, ce qui s’est passé…— Non, c’était de la mienne. J’avais bu et j’avais fumé, et je n’avais pas à prendre le volant. Je n’avais pas non plus à te sortir ce que je t’ai balancé en voiture. C’est moi qui ai provoqué cette dispute. Alors, merci encore.
— De rien, de rien…— Au fait, tu as des nouvelles du gars du scooter ?
— Oui, la Police m’a rappelé quelques temps après pour me dire que « mon » dossier d’accident était clos sans poursuites, car il était en tort. Et ils m’ont dit aussi que son opération au genou s’est bien passée, qu’il fait de la rééducation et qu’il devrait le retrouver presque comme neuf…— Je suis soulagé, vraiment. Tu peux pas savoir comment je m’en suis voulu de l’avoir blessé…— Tu n’as pas tous les torts, il a quand-même grillé une priorité…— Nico…— Quoi ?
— Samedi prochain l’équipe joue à Pau. Je ne serai pas titulaire, mais je serai du voyage. »Je commence enfin à entrevoir où il veut en venir. Mon cœur s’emballe, et je sens une immense et irrépressible joie teintée de panique m’envahir.
« J’aurai deux jours de repos après et j’ai prévu de les passer à Campan. »Rien qu’en entendant le mot « Campan », je sens une joie immense m’envahir, comme un réflexe pavlovien. Car Campan est un mot magique, le plus magique de tous, celui qui évoque le bonheur avec Jérém, le bonheur le plus parfait.
« Et je me demandais, il continue, hésitant… si tu voudrais venir me rejoindre…— Je ne sais pas… » je ne trouve pas mieux à répondre.
Car, si je pense à la joie qu’éprouverait Ourson à retrouver P’tit Loup dans sa douce tanière au pied de la montagne, je pense aussi à sa souffrance de l’été et à la rancœur qu’il en a gardée.
Et je pense à Ruben, que je n’ai pas envie de trahir.
Et je pense à Ruben, à qui je ne saurais pas comment expliquer cette absence.
Et je pense à Ruben à qui je serais obligé de mentir.
Et je pense à Ruben, et à comment je pourrais lui mentir sans qu’il ne se doute de rien.
Et je pense au bobard que je devrais lui servir pour partir tout un week-end, et à la façon dont je pourrais gérer ses éventuels appels pendant mon absence.
Et je pense à comment je pourrais faire pour que non seulement Ruben ne se rende compte de rien de ce qui se passerait à Campan, mais aussi sans que Jérém se rende compte de ce qui se passe à Bordeaux. Car non, je ne veux pas que Jérém sache non plus. Je ne veux pas qu’il sache que son Ourson est devenu Chaton pendant qu’il le délaissait.
« Je comprends que tu hésites, je l’entends galérer, je me suis vraiment mal comporté avec toi.
— On peut dire ça oui…— Nico, je vais fêter ça avec les cavaliers. J’espère qu’il y aura Maxime. Il y aura toutes les personnes qui comptent le plus pour moi. Et si tu ne viens pas, ce ne sera pas pareil…— Pourtant, tu t’es bien passé de moi pendant des mois !
— Tu m’as manqué chaque jour. »
J’ai envie de pleureur.
J’ai envie de pleurer parce que je le crois sincère.
J’ai envie de pleurer parce nous avons gaspillé tout ce temps, parce que j’ai souffert pour rien, parce qu’il aurait suffi d’attendre.
J’ai envie de pleurer à cause de tout ce qui nous sépare, l’intolérance, l’homophobie, l’ignorance.
J’ai envie de pleurer parce que je sais qu’il suffirait de si peu pour que nous soyons heureux ensemble.
J’ai envie de pleurer parce que j’ai l’impression que tout est pareil entre nous, malgré la distance et les mois sans se voir, sans se parler. Et pourtant j’ai l’impression que plus rien ne sera plus jamais pareil.
Samedi 21 septembre 2002.
Un week-end chez mes parents à Toulouse. Voilà le mensonge que je sers à Ruben pour justifier mon départ, alors qu’il se faisait une joie de le passer avec moi. Ce garçon me touche, vraiment. Je m’en veux de lui mentir, alors que hier soir encore nous nous sommes câlinés, embrassés, offert du plaisir. Et pourtant, je lui mens et je prends la route en direction des Pyrénées Atlantiques.
En partant de Bordeaux, je me dis que c’est la dernière fois que je laisse Jérém bouleverser ma vie, la dernière fois que je reviens vers lui après m’être fait jeter, après avoir souffert, après avoir cru que je ne le reverrai plus jamais.
En fait, je réalise que Jérém ne m’a jamais quitté. Je repense à ses mots à Paris, lorsqu’il m’a demandé de rentrer chez moi parce qu’il avait besoin d’être seul. « Laisse-moi un peu de temps, le temps que je me sorte de cette merde, le temps que je me retrouve ». Et aussi : « Encore merci, vraiment merci, pour ce que tu as fait pour moi l’autre soir ». Certes, le fait de me demander de partir était difficile à encaisser pour moi. Mais ce n’était pas un adieu. D’autant plus qu’il semblait vraiment touché par ce que je venais de faire pour lui.
C’est son long silence, ainsi que la rencontre avec Ruben, qui a fait que j’ai cru que c’était vraiment terminé entre nous.
Je me demande ce qui se va se passer pendant ces deux jours. Est-ce que nous allons nous expliquer ? Est-ce que nous allons nous serrer très fort et nous faire plein de câlins ? Est-ce que nous allons faire l’amour ? J’en ai tellement envie.
Aujourd’hui, tant d’années plus tard, je me dis que le problème fondamental entre Jérém et moi, c’était que nous avions deux manières différentes de ressentir les choses, deux manières différentes d'aimer et de réagir aux difficultés de la vie. De plus, nous avions du mal à communiquer, ce qui nous conduisait régulièrement à des crises inévitables.
J’avais du mal à appréhender les fantômes qui peuplaient son esprit, à suivre les soubresauts de son âme changeante, à seconder son immense euphorie lorsqu’il se sentait bien, comme à ce moment-là, après son recrutement inespéré par le Stade Français, et à comprendre son désarroi profond, ses crises quand il devait faire face à des moments plus difficiles.
Certaines crises ne sont que le signe de quelque chose à l'intérieur qui crie pour sortir. Ainsi, ses sautes d’humeur étaient les signes d’un tourment qui peinait à se faire jour. Car, sous ses airs de petit frimeur, Jérém cachait bien des fêlures. Il les cachait, car on lui avait appris qu’un vrai mec ne montre pas de faiblesse.
Jérém m’aimait, mais il n’arrivait pas à s’ouvrir à moi quand il n’allait pas bien. Quand il souffrait, il préférait essayer d’oublier son mal-être. Son besoin de faire la fête, de se sentir intégré, accepté, admiré, en cachait un autre plus profond, celui d’oublier ses tourments et ses peurs. Jérém avait besoin de se sentir entouré. C’est la peur d’être seul qu’il cherchait à noyer dans l’alcool, le joint, le sexe, l’admiration.
J’aurais aimé que ma présence suffise à Jérém pour être bien, pour éloigner ses fantômes. Mais ce n’était pas possible, pas toujours. Et cela me faisait énormément souffrir.
J’ai réalisé plus tard, avec plus de maturité et plus de recul, que j’étais « beaucoup » pour lui, mais que je n’étais « pas assez ». En tout cas, pas toujours. Et que si Jérém avait parfois besoin de prendre le large, il ne cherchait pas à me fuir. Je n’aurais pas dû avoir peur de le voir s’éloigner, car il finissait toujours par revenir vers moi. Parce que, comme il me l’avait dit une fois à la gare à Paris, j’étais « spécial » pour lui. Je n’étais peut-être pas toujours suffisant pour faire son bonheur, mais j’étais nécessaire.
A ce moment-là, ses blessures étaient trop profondes pour espérer les soigner avec l’amour, si grand soit-il. Le seul remède efficace pour en venir à bout, était le temps. J’aurais dû être plus patient. Mais quand on a 20 ans et qu’on a pourtant tout le temps devant soi, on ne sait pas attendre, pas encore.
Ainsi, à cet instant précis, pendant ce voyage nocturne entre Bordeaux et Pau pour retrouver le garçon que j’aime, je me jure à moi-même que c’est la dernière fois que je le laisse faire le Yo-yo avec mon cœur, la dernière fois que je fais mon deuil de notre histoire, de mon amour pour rien.
Je me promets d’être cool avec lui. Je ne veux même pas me prendre la tête pour essayer de savoir ce qui s’est passé dans sa vie et dans sa braguette depuis la dernière fois que nous avons fait l’amour. Je vais accepter de continuer à être un couple ouvert, je vais accepter de le voir quand il peut. Mais j’ai besoin de sentir que je compte pour lui. Je veux qu’il me parle, même quand ça ne va pas.
Mais je sais maintenant où sont mes limites et ce que je peux endurer. Si Jérém me fait encore souffrir, je ne reviendrai plus vers lui.
En attendant, je n’arrive toujours pas à réaliser que je vais retrouver Jérém. Je n’y croyais plus, vraiment plus. Je suis heureux d’aller le retrouver, et ma joie s’embrase kilomètres après kilomètres. Je suis impatient de le prendre dans mes bras. J’ai tellement envie de l’embrasser. Rien que d’y penser, je frissonne. J’ai envie de faire l’amour avec lui. Rien que d’y penser, je bande.
Dans cette mélodie du bonheur, une note dissonante s’invite pourtant à chaque mouvement. Je pense à Ruben, au fait que je suis en train de trahir sa confiance, au fait que très probablement je vais le tromper. Il ne mérite pas ça ce petit bonhomme.
Si j’aime Jérém à la folie, je commence à avoir des sentiments pour Ruben. Comment vais-je pouvoir être à la fois « Ourson » et « Chaton » ? Comment ces retrouvailles vont-elles affecter mon histoire avec Ruben ? A quel point vais-je culpabiliser au moment de le retrouver après ce week-end ?
Pourtant, je ne peux m’en empêcher, je ne peux pas imaginer un seul instant refuser l’invitation de Jérém sous prétexte que j’ai peur des conséquences. Si je me privais de ce bonheur, je serais très malheureux, et mon histoire avec Ruben en ferait probablement les frais. A la fin de ce week-end, j’aurais certainement des remords. Alors, il vaut toujours mieux avoir des remords que des regrets. Aujourd’hui, c’est aujourd’hui, et demain c’est demain.
Ma cassette de tubes de Madonna compilée maison vient d’arriver au bout, et la radio prend le relais. Je cherche une station qui capte à peu près bien, et je tombe sur une émission qui parle de la catastrophe d’AZF. Dans le rush de mon départ pour Bordeaux, je n’ai pas réalisé qu’hier, c’est-à-dire il y a encore une demi-heure à peine, avant minuit, nous étions le 21 septembre.
Le journaliste parle des nombreux morts, des blessés, des traumatismes qui mettront des années à guérir (je pense à ce qu’a enduré Thibault, au-delà de ses blessures physiques), et de ceux qui ne guériront pas (je pense à ma cousine, et à ses problèmes d’audition permanents). Et je pense aussi aux traumatismes psychologiques de tous ceux qui ont eu un proche blessé, ou qui ont perdu un proche. Je pense à ceux qui ont vu la mort de près ce jour-là, et qui ne sont pas près de s’en remettre.
Le journaliste parle également des dégâts matériels, des stigmates toujours visibles dans la Ville Rose, de la reconstruction qui prendra des années, et de l’enquête en cours.
J’ai le cœur serré par l’évocation de cette catastrophe. Et pourtant, mon bonheur ne fait que croître minute après minute. Et lorsque le panneau « Pau 14 km » apparaît dans les phares de la voiture, je suis fou de joie. Je me dis que la vie est courte, et fragile, et qu’il faut profiter des cadeaux qu’elle nous apporte.
Avec la nuit, je galère à trouver la place Clémenceau, lieu du rendez-vous. J’appelle Jérém, mais lui non plus ne sait pas bien m’expliquer le chemin depuis la sortie d’autoroute. Il finit par me passer un gars, probablement un joueur de l’équipe de Pau. Avec sa voix grave de mâle et son intense accent béarnais, le type me guide patiemment à destination.
Je retrouve Jérém devant les Galeries Lafayette en compagnie d’un gars, certainement mon GPS d’un soir. Mon beau brun est planté là, un gros sac de sport posé à terre à côté de lui. Dès que je le vois, mon cœur a des ratés. Je prends de profondes inspirations et j’essaie de contenir mon émotion. Son blouson d’étudiant américain blanc et bleu ouvert sur un t-shirt blanc col rond embrase mes neurones l’un après l’autre. Le beau sourire avec lequel il m’accueille me fait fondre. Je descends de la voiture en état d’apnée avancée.
A cet instant précis, tu es heureux, Jérémie. Car tu as attendu ce moment depuis un long moment. Il te tardait vraiment de revoir Nico. Avoue-le, tu as eu la trouille qu’il ne vienne pas, et tu aurais été triste et peiné qu’il ne soit pas là pour fêter ton bonheur actuel avec toi.
Oui, tu as eu peur de l’avoir perdu pour de bon. Tu as eu peur qu’il ait rencontré quelqu’un d’autre capable de le rendre plus heureux que toi. Tu as eu peur qu’il t’oublie.
Alors, tu es tellement heureux qu’il soit là ! Ses cheveux, ses grands yeux, son regard amoureux, son cou sensuel, son petit physique bandant, tout te plaît en lui.
Tu as envie de lui faire mille câlins, tu as envie de lui faire l’amour, tu as envie de le voir prendre son pied. Parce que le voir prendre son pied rend le tien vraiment dingue. Et tu as également envie qu’il soit en toi, car Nico est le seul garçon avec qui tu te sens assez à l’aise pour te donner de cette façon. Car jamais tu ne t’es senti aussi bien après avoir joui que dans ses bras et dans son regard. Comparé à tout ça, les aventures à Paris, ce n’est rien, rien du tout, juste un moyen de se vider les couilles de temps à autre.
Tu as envie de retrouver ton Ourson, car lorsqu’il est avec toi, tu te sens bien, et la vie te semble vraiment plus simple. Tu as envie de le retrouver, et de le retrouver à Campan. Car tu sais que vous n’êtes jamais aussi bien que là-haut.
« Salut… » me lance Jérém, tout en s’approchant de très près pour me claquer une bise très appuyée. J’ai capté dans son regard ému son bonheur de me voir arriver, j’ai senti qu’il crève d’envie de m’embrasser. Je crève aussi d’envie de l’embrasser, mais il faut préserver les apparences.
Je suis heureux de remarquer qu’il porte toujours la chaînette que je lui avais offerte pour son anniversaire l’an dernier. Ce n’est peut-être rien, mais ça compte beaucoup pour moi. Je suis heureux et ému à un point que j’ai du mal à retenir mes larmes.
« Salut », me lance son « pote », une belle bête brune à peine un peu plus âgée que nous, une montagne de muscles avec une sacrée gueule virile qui me fait la bise à son tour, pendant que Jérém fait les présentations.
« Nico, Laurent, un joueur de Pau, Laurent voici Nico, un pote.
— Au plaisir, fait le beau Laurent. Alors, j’ai pas été trop brouillon pour t’expliquer la route ?
— C’était parfait. D’ailleurs, merci. Je n’aurais pas trouvé tout seul.
— C’est pas simple quand on ne connaît pas, surtout avec la nuit.
— C’est clair, merci encore.
— Allez, on ne va pas traîner, on a encore de la route, fait Jérém, en attrapant son gros sac de sport pour le fourguer dans la malle de ma voiture.
— Salut, Laurent, fait-il en claquant la bise à son pote, et au plaisir de te retrouver sur le terrain…— Je suis sûr que tu vas bientôt être sélectionné… les quelques minutes où je t’ai vu jouer, je t’ai trouvé formidable.
— Ah, mais tu as joué finalement ? je demande, l’air surpris.
— C’était pas prévu, mais j’ai remplacé un gars en fin de match…— Et alors, qui a gagné ? je veux savoir.
— Personne n’a gagné, fait Laurent, taquin.
— On vous a écrasés, fait Jérém.
— Tu parles… deux points d’écart… c’est pas une victoire, c’est une ruse de Parigot…— Je ne suis pas Parigot !
— Pardon, pardon, le Toulousain ! Allez, bonne chance à toi, Jérémie, je suis sûr que tu as une belle carrière devant toi.
— Je l’espère… »
« Tu as fait bonne route ? me questionne Jérém, alors que je viens tout juste de redémarrer.
— Pas mal, ça roulait bien. »Nous venons de laisser la place derrière nous, lorsqu’il me lance :« Tu veux bien te garer, Nico ?
— Me garer ? je fais, interloqué.
— Oui, tiens, regarde il y a des places là…— Pourquoi tu veux que je me gare ?
— Parce que je crois que j’ai oublié un truc…— Quel truc ?
— Gare-toi, s’il te plaît…— D’accord, d’accord. »Les places vides sont nombreuses, je me faufile facilement entre deux voitures. Jérém coupe le contact, se tourne vers moi et me lance, la voix cassée par l’émotion : « Tu ne peux pas savoir comment je suis heureux que tu sois là… »Et sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il glisse ses bras autour de mon torse, il se penche vers moi, il m’attire vers lui, et m’embrasse comme un fou.
J’ai envie de pleurer, et je pleure de bonheur. Nous nous embrassons longuement, nous nous caressons, nous nous câlinons et ça nous fait un bien fou.
« Moi aussi je suis content d’être là ! » j’arrive à lui glisser lorsque nos lèvres se décollent enfin.
Pendant la petite heure que dure le voyage vers Campan, Jérém me parle de sa nouvelle équipe, de ses nouveaux potes, et du nouveau départ qu’il est en train de prendre dans le rugby grâce à cette chance merveilleuse.
« Je ne sais pas encore quand je vais être titulaire dans un match de championnat, mais je me sens prêt, et ça me tarde ! Aujourd’hui, quand j’ai fait ce petit remplacement, tu peux pas savoir comme j’étais heureux ! »En effet, il a l’air heureux comme un gosse à Noël, et c’est beau à voir.
« Je peux fumer ?
— Oui, bien sûr… »Jérém sort le paquet de clopes, il en attrape une, puis l’allume. Dans sa main, je reconnais le briquet que j’avais acheté dans la superette de Martine à Campan au moment de nous séparer, il y a un an, jour pour jour. Ça aussi, ça compte beaucoup pour moi.
« Je n’y croyais plus, tu sais ? il enchaîne. Ça faisait des mois que je me disais qu’en vrai j’étais nul au rugby et que je ne serai jamais un joueur pro ! Ulysse a vraiment été formidable, encore une fois !
— Je suis vraiment heureux pour toi, Jérém !
— Merci Nico.
— Au fait, tu crèches toujours chez Ulysse ?
— Oui, mais plus pour longtemps.
— Tu as trouvé un autre appart ?
— L’équipe m’en a trouvé un dans le 17ème. J’emménage le week-end prochain.
— C’est cool ! Tu as besoin d’aide ? » je lui demande, dans un élan irrépressible.
Un élan qui ne tient ni compte du fait que je ne connais pas encore ses intentions pour « nous » à l’avenir, ni du grand mal que j’aurais à expliquer à Ruben un nouveau week-end « à Toulouse ». Mais depuis ces distances, distance physique de Ruben, distance temporelle du week-end prochain, et porté par le bonheur de l’instant, tous les options me paraissent possibles et envisageables.
« Non, tu sais, je n’ai pas grand-chose à déménager… ça tient largement dans ma voiture ! »Eh oui, il y a ça aussi, c’est pas comme s’il avait des meubles à faire suivre.
« C’est vrai, je suis bête.
— Non, Nico, tu n’es pas bête. Et je suis touché par ta proposition » fait le bobrun, en posant sa main chaude sur ma cuisse. Ce petit contact me fait frissonner.
Jérém incline un peu son siège et se cale contre le dossier, la nuque posée contre l’appui-tête. Puis, il lâche un grand soupir, et ferme les yeux.
« Ça va ? je le questionne.
— Très bien. Je suis juste fatigué. En vrai, je suis vraiment naze. Je ne me souviens pas d’avoir été aussi naze…— C’est l’âge, monsieur, je le charrie…— Quoi ?
— Bah oui, bientôt 21…— Mais ta gueule ! C’est surtout les entraînements et la muscu, oui ! Cette semaine je n’ai pas arrêté. Et puis, j’ai trop bu ce soir… je suis KO.
— On est bientôt arrivés, je pense…— Moi non plus, je n’y croyais plus, tu sais ? j’enchaîne de but en blanc.
— Je t’ai beaucoup fait attendre, je sais, fait le bobrun en saisissant parfaitement le sens de mes mots.
— Ne me fais plus un coup comme ça, Jérém.
— Promis, Nico, promis ! »
Lorsque le panneau Campan apparaît dans le cône de lumière de mes phares, il pleut. Je regarde Jérém et je réalise qu’il s’est assoupi. Je rate l’embranchement du chemin qui mène à ce Paradis sur terre qu’est la petite maison en pierre, et je me retrouve au village. La pluie tombe sur la petite place comme il y a un an. Sur ma gauche, l’allée bordée d’arbres où je me suis garé il y a un an. La masse solennelle de la grande halle s’impose à mon regard malgré une illumination publique faible.
Et mon esprit est happé par les souvenirs. Je me vois descendre l’allée, le cœur prêt à exploser, je me vois marcher vers la halle, vers le garçon que j’aime, tiraillé entre le bonheur de le retrouver et la colère qu’il ait fallu tant morfler avant cet instant inespéré. Je me souviens de notre baiser, son véritable premier baiser.
Un an plus tard, le scénario se répète. Qu’est-ce que ça me fait mal à chaque fois le voir s’éloigner de moi, et penser que je vais le perdre. Et pourtant, qu’est-ce que c’est bon, à chaque fois, ces retrouvailles ! Je regarde Jérém assoupi dans la pénombre de ma voiture, beau comme un enfant. J’écoute sa respiration, et je suis heureux, tellement heureux.
Je fais demi tout et je reprends la route. Je roule doucement, je repère enfin le fameux embranchement, et je m’engage dans la petite route. Je reconnais chaque virage, je retrouve chaque émotion. J’arrive dans la petite cour, et je me gare. Et là, à ma grande surprise, alors que je m’attendais à retrouver la petite maison complètement plongée dans le noir, je remarque une lueur mouvante à travers les vitres des petites fenêtres.
Jérém dort toujours. Ça me fait mal au cœur de le réveiller, mais il le faut pourtant.
« Jérém…— Quoi ? il marmonne en se retournant de l’autre côté.
— Nous sommes arrivés… »Aucune réponse vient de sa part.
« Jérém !
— Laisse-moi dormir !
— Tu seras mieux dans la maison et dans un lit, non ? »Un grognement prolongé est sa seule réponse.
« En plus, j’ai l’impression que la cheminée est allumée…— Quoi ? fait le bobrun en se redressant d’un bond. Ah tiens, oui c’est vrai…, il fait hagard, d’une voix pâteuse.
— Quelqu’un a dû l’allumer, je considère.
— J’ai ma petite idée, fait le bobrun en ouvrant la porte de la voiture.
— Mais putain, il pleut toujours ici ! » il s’exclame, agacé.
Nous sortons de la voiture et nous courons vers le petit appentis devant la maison. L’odeur de bois qui brûle saisit mes narines, « and I feel like home ».
Jérém attrape la clé cachée dans un trou entre deux pierres du mur de façade et ouvre la porte. Une intense chaleur nous accueille, nous enveloppe.
Jérém essaie d’allumer la lumière, mais rien ne se passe.
« Merde, il y a encore une couille ! »Il s’avance vers la table, d’un pas titubant. Un petit papier y est posé, bloqué par une baguette. Je le lis avec lui :
Charlène m’a dit que tu voulais à tout prix dormir chez toi, alors je me suis dit qu’un peu de chaleur et une baguette pour le petit déj te seraient agréables. A demain, champion. Jean Paul.
« Ça fait du bien d’avoir des potes », il lâche, la voix basse. Puis, il se dirige vers la cheminée, et il ajoute quelques bûches par-dessus les braises.
L’appel du sommeil est plus fort que tout. Un instant plus tard, le bobrun est assis sur le bord du lit en train de se déshabiller machinalement. Je le regarde quitter son blouson d’étudiant, faire apparaître son t-shirt blanc divinement ajusté à sa plastique, ses biceps, ses tatouages. C’est beau à en pleurer. Je le regarde quitter ses baskets, son jeans, garder son boxer à la poche bien remplie et se glisser direct sous la couette.
Je me déshabille à mon tour et je le rejoins. Je le prends dans mes bras, je le serre très fort contre moi, je l’embrasse comme un fou. Je n’arrive pas encore à croire que je suis avec Jérém, à Campan, dans la petite maison, et que nous nous sommes retrouvés.
J’ai envie de lui. Je glisse mes mains sous son t-shirt, je rencontre ses poils, je cherche ses tétons. Le bobrun frissonne. Je soulève le t-shirt, je plonge mon nez dans ses beaux poils bruns, je m’enivre de la délicieuse fragrance de sa peau mate. Puis, sans plus attendre, ma langue et mes lèvres sont attirées par ses tétons somptueux.
« Nico… je ne vais pas pouvoir ce soir… »Ah, zut…« Ça ne fait rien, je lui glisse sans hésiter.
— Je suis désolé…— Je te dis que ça ne fait rien, vraiment.
— Mais tu en as envie…— Bien sûr que j’en ai envie, mais le plus important, c’est de t’avoir à côté de moi.
— Moi aussi, j’en ai envie… mais là, je suis vraiment HS…— On s’en fout !
— J’ai froid…— Viens par là… je lui glisse, tout en remettant le devant du t-shirt à sa place, et en le serrant un peu plus fort encore dans mes bras.
— Merci Nico…— Je suis heureux.
— Moi aussi. »Jérém se tourne sur le côté, et je me cale contre son corps musclé et chaud, je plonge mon visage dans ses cheveux bruns. C’est tellement bon que j’ai envie de pleurer.
Jérém glisse très rapidement dans un sommeil profond. Je reste un bon petit moment à écouter sa respiration, à humer le bouquet olfactif qui se dégage de sa peau, à considérer le doux bonheur de cet instant magique.
Lorsque j’émerge de mon sommeil, il fait toujours nuit. Je cherche Jérém dans le lit, mais je ne le trouve pas. Je balaie la petite pièce du regard et je le trouve assis contre la cheminée en train de fumer.
« Je t’ai réveillé… désolé, il me glisse à mi-voix.
— J’ai un sommeil léger… »Le bobrun jette son mégot dans le feu. Puis, il se lève, ôte son t-shirt d’un geste nonchalant et pourtant chargé d’un érotisme fou, me claque à la figure ses pecs et ses tablettes de chocolat, et vient me rejoindre au lit. Il se glisse sous la couette, puis se glisse sur moi. Il me regarde droit dans les yeux, il passe sa main dans mes cheveux, il me caresse doucement. Ses lèvres cherchent les miennes, nos langues se rencontrent. C’est doux et terriblement excitant.
Peu à peu, les baisers deviennent plus coquins, les mains plus audacieuses. Nous sommes emportés par le désir fougueux. Jérém soulève mon t-shirt. Le contact direct avec sa peau chaude et sa douce toison mâle embrase mes neurones. J’ai envie de tout avec lui, de le sucer, de l’avoir en moi, mais aussi de me faire sucer et d’être en lui. J’ai envie de lui à un point indescriptible, et je ne saurais pas choisir quoi faire en premier.
Et c’est Jérém qui se charge de trancher. Au bout d’un long moment de câlins de plus en plus sensuels, le bobrun passe « aux choses sérieuses ». Pendant qu’il lèche fougueusement mes tétons, sa main se faufile dans mon boxer, saisit ma queue raide et commence de la branler.
Ses lèvres glissent le long de la ligne médiane de mon torse, en ponctuant ce délicieux petit voyage d’un chapelet ininterrompu de doux bisous. Le bobrun baisse mon boxer et me prend en bouche. Je frissonne. Il me pompe avec une douceur extrême, il me suce comme un mec amoureux, et c’est divinement bon. Je suis obligé de lui demander de ralentir pour ne pas jouir trop vite.
Mais ça n’y fait rien. Le simple fait de sentir sa langue s’enrouler autour de mon gland et ses lèvres enserrer ma queue me met dans un état d’excitation qui m’approche inexorablement de l’orgasme. Pour ralentir sa venue, je n’ai pas d’autre choix que de me faire violence, me retirer de sa bouche, alors que tout mon corps crie son envie de jouir. Mais je ne veux jouir si vite. Car il y a tant de plaisirs urgents qui se pressent à mon esprit avant l’apothéose des sens.
Comme le sucer, déjà. A mon tour, j’agace ses tétons, je m’attarde dans sa belle toison mâle brune entre ses pecs, je tâte ses pecs, ses biceps et ses abdos d’acier. Et je retrouve enfin, après des mois d’éloignement, sa belle queue raide et conquérante. J’ai eu quelques aventures, mais jamais je n’ai trouvé une queue aussi belle, aussi appétissante. Ça fait tellement de temps que je ne l’ai pas touchée, que le simple fait de la tenir dans ma main, dure, gonflée à bloc, brûlante, me bouleverse. C’est comme si je la voyais et l’empoignais pour la première fois.
Et en même temps, lorsque je la prends en bouche, ma langue et mes lèvres reconnaissent instantanément son gabarit, la texture de sa peau fine, le relief des veines qui la parcourent, le profil de son gland délicieux. C’est une sensation étonnante, que ce bonheur après une si longue privation.
Je le pompe comme un fou, excité par ses mains qui ne cessent de caresser mes tétons avec un doigté magique, ainsi que par le petit goût d’excitation qui ne cesse de suinter de son frein, comme un petit cadeau de retrouvailles.
« Attends, Nico, tu vas me faire jouir ! » je l’entends me glisser.
Et je continue de le pomper, car je veux le faire jouir, je veux retrouver son goût de mec, je veux m’enivrer de la puissance de ses giclées.
« Je ne veux pas jouir de suite, il insiste, tout en se retirant de ma bouche.
— J’en ai trop envie ! je proteste.
— Viens ! », il me lance, tout en écartant ses cuisses musclées, s’offrant à moi sans réserve. Le bogoss crache sur ses doigts et prépare son entrejambe pour se faire pénétrer.
Un instant plus tôt j’avais envie de recevoir son jus dans la bouche. Et là, en une fraction de seconde, mon envie a complètement changé de signe. Désormais, j’ai envie de pénétrer, de coulisser et de gicler dans son magnifique cul.
Au milieu de cette excitation de fou, mon esprit arrive quand-même à m’envoyer un flash de raison.
« Dis-moi, Jérém…— Quoi ?
— Est-ce que tu as pris des risques ?
— Non… enfin, pas trop, en tout cas. Et puis, à mon arrivé au club, j’ai eu droit à tous les bilans de santé qui existent. Tout était bon. Et… toi ?
— Non, je n’ai pas pris de risques… je… je me suis toujours… protégé…— J’ai envie de toi, Nico…— Moi aussi, j’ai envie de toi… »
Un instant plus tard, ma langue caresse son trou avec gourmandise. Le bobrun vibre d’excitation.
Je culpabilise par rapport à Ruben, je me sens mal à l’idée de lui mentir et de le tromper. Même si c’est avec Jérém. Et pourtant je ne peux pas ne pas m’abandonner à ce bonheur parfait.
Lorsque je sens mon gland vaincre la résistance de ses muscles et ces derniers enserrer ma queue, lorsque je retrouve la chaude douceur de son intimité, lorsque je me sens glisser en lui, là encore je ressens cette double impression de retrouver un Paradis perdu et d’en découvrir un tout nouveau.
Voir ce corps de dieu grec, ce torse, ces pecs, ces abdos, ces poils et cette gueule, sa belle petite gueule, ce jeune mâle imposant prendre manifestement du plaisir au gré de mes va-et-vient, l’entendre ahaner, gémir même, de bonheur, c’est juste inouï. Pour me convaincre que c’est bien réel, j’ai besoin de tâter ses biceps, ses pecs, de l’embrasser, de caresser ses cheveux, sans cesse.
En nous ayant longuement sucés à tour de rôle, nous nous sommes largement chauffés auparavant. Alors, lorsque Jérém plaque ses mains sur mes tétons et que ses doigts commencent malicieusement de les pincer, je me sens décoller. Mon orgasme se ramène au grand galop. J’arrive à le stopper, en arrêtant brusquement mes coups de reins.
« N’arrête pas, m’encourage le bobrun.
— Si je continue, je vais jouir…— N’arrête pas… »Je me penche sur lui et je l’embrasse. Le contact de mon torse avec ses poils est le frisson de trop, celui qui me fait perdre pied. Je me relève, alors que l’orgasme m’envahit. Je rencontre son regard, fixement braqué sur moi. Les yeux dans ses yeux, je jouis comme un malade.
Tu n’iras pas voir un autre gars pour faire ce que tu ne peux pas faire avec moi ?
Les mots et le regard de Ruben transpercent mon esprit pendant que je jouis.
Puis, assommé par l’intensité du plaisir qui a traversé mon corps comme une décharge de courant, je m’affale sur le torse de mon bobrun, j’atterris sur sa douce toison mâle, et je cherche l’apaisement dans le creux de son épaule. Ses bras se referment autour de mon corps, et je suis aux anges.
« Encore aujourd’hui je n’arrive pas à croire qu’un mec aussi viril que toi ait envie de ça, avec moi…— T’es le seul avec qui j’ai fait ça… t’es le seul parce que t’es un beau petit mec… et parce que je me sens bien avec toi. »Je le serre fort dans mes bras et j’ai envie de lui dire à quel point je l’aime, mais je me retiens. Je ne suis pas encore prêt, je ne sais pas si j’ai le droit de lui dire de tels mots.
« Tu as envie de jouir ? je le questionne.
— Et comment !
— Fais-moi l’amour, alors, je lui glisse, en me retirant de lui.
— Tu as envie, là, tout de suite ?
— Oui, grave ! »
Je m’allonge sur le dos et Jérém passe l’oreiller sous mes fesses. Ses mains écartent fermement mes cuisses alors que ses lèvres et sa langue donnent l’assaut à mon trou.
Son gland prend rapidement le relais, mais sans me pénétrer tout de suite. Je crève d’envie de le sentir venir en moi, de le sentir en moi, de le sentir coulisser en moi. Il le sait, et il me fait languir.
Lorsque sa queue essaie de se frayer un chemin en moi, il rencontre quelques difficultés. Je suis serré, et je ressens intensément chaque millimètre gagné par son bel engin. A un moment j’ai mal. Je n’ai pas besoin de le lui dire, il le ressent à la crispation de mon corps, et il se retire aussitôt. Il pose de nouveaux baisers sur mes lèvres, et un peu plus de salive entre mes fesses. Et il revient en moi. Cette fois-ci, il s’enfonce jusqu’à la garde. Je kiffe à fond me sentir rempli par ce beau manche bien chaud et bien raide. Et je kiffe tout autant voir mon Jérém frissonner de plaisir.
Le beau brun commence de me limer. Je le sens bien coulisser en moi, et c’est divinement bon. Son torse bien droit dégage une sensualité virile renversante. Je suis happé, hypnotisé par la puissance, la souplesse et la nonchalance de ses coups de reins. Tous mes sens sont en ébullition. L’amour avec Jérém, c’est un bonheur visuel, olfactif et sensuel inouï. Et lorsque ses mains se posent sur mes tétons, j’ai l’impression de décoller.
Et alors que je viens tout juste de gicler en lui, le beau brun n’a pas son pareil pour me faire me sentir à lui. J’ai envie qu’il me défonce, qu’il me baise pendant toute la nuit, j’ai envie qu’il gicle en moi, qu’il me remplisse. Mais ce n’est pas assez. Je ressens une envie déchirante de lui montrer à quel point sa virilité m’impressionne. Je tâte fébrilement ses biceps, ses pecs, une sorte d’hommage animal à la puissance sexuelle qui me rend dingue.
Puis, nos regards se happent, se verrouillent. Le sien est à la fois animal et tendre. Jérém me baise comme le plus chaud des amants, et en même temps il me fait l’amour les yeux dans les yeux, comme un garçon amoureux. L’animalité, la sensualité, la tendresse fusionnent dans un mélange de plaisir explosif.
« Je vais jouir, Nico… » je l’entends m’annoncer, la voix basse, alors que déjà son visage est traversé par la vague de l’orgasme.
Là encore, une note dissonante retentit dans cette parfaite symphonie du bonheur. Je réalise que même si Jérém me garantit d’être clean, ce qui est en train de se passer repousse mon test avec Ruben à la mi-décembre. Car au fond de moi je sais que je ne peux pas lui faire ça, je ne peux pas l’exposer à un risque, aussi minime soit-il, en plus de le tromper. Comment vais-je lui annoncer tout cela, alors qu’il est impatient de faire ce test (en fait, je commence à penser que si Ruben attend ce test avec tant d’impatience, c’est pour se sentir à l’aise pour se donner à moi) ?
En attendant (en attendant quoi ? est-ce que je vais oser recoucher avec lui, après avoir refait l’amour avec Jérém ? Est-ce que je ne vais pas avoir d’autre choix que de le quitter ?), je devrais même lui demander d’arrêter d’avaler. Comment vais-je pouvoir lui expliquer cela, alors qu’il kiffe à fond et que je kiffe à fond ?
Mais aujourd’hui, c’est aujourd’hui, et demain, c’est demain.
« Vas-y, fais toi plaisir…— Je vais te remplir le cul…— Autant que tu veux, beau mec ! »Jérém jouit, le regard planté dans le mien. Puis, il s’abandonne lourdement sur moi et me fait plein de bisous dans le cou. J’écoute sa respiration profonde, les battements rapides de son cœur. Je sens sa peau chaude et humide contre la mienne, je sens son poids sur moi, sa virilité en moi, et je suis bien.
Nous venons de faire l’amour, nous venons de nous faire l’amour l’un à l’autre. J’ai l’impression que nous venons carrément de donner un nouveau sens à l’expression « faire l’amour ».
Et pourtant, mon bonheur n’est pas parfait. Car il est une fois de plus parasité par le fantôme de Ruben, par la culpabilité et les remords. Pourvu que Jérém ne se rende pas compte qu’une partie de moi est ailleurs…Si seulement je pouvais être certain que ce bonheur est le début d’un bonheur en CDI avec lui, si seulement Ruben pouvait m’oublier en l’espace d’une nuit…
Il se passe un bon petit moment avant que le beau brun se relève et se retire de moi, l’air complètement à l’ouest, comme ivre.
« Ça va, Jérém ? je le questionne.
— Très bien… c’était trop bon… tu m’as assommé… toi, t’es une tornade au pieu !
— Et toi, donc !
— Moi, c’est normal, je suis un dieu du sexe !
— Petit con, va !
— T’as eu beaucoup de mecs cet été ? » il me questionne, de but en blanc.
Je suis étonné et gêné par sa question directe, sans détours. Je ne sais pas si j’ai envie de parler de ça avec lui. Je suis pris au dépourvu, je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas jusqu’où vont aller ces retrouvailles, mais ce que je sais, c’est que je ne veux pas risquer de les faire capoter en lui parlant de Ruben.
« Je t’ai laissé tomber comme un idiot, et je ne peux pas imaginer que tu m’aies attendu sagement depuis tous ces mois…— Pourquoi tu veux savoir ?
— Je pense que c’est mieux savoir que d’imaginer des choses. Après, c’est comme tu veux… »Je suis impressionné par la logique implacable de son raisonnement et par son ouverture d’esprit. Au fond, je sais qu’il a raison. Mais je ne peux m’empêcher de cogiter sur le fait que Jérém n’a pas l’air jaloux. En amour, nous avons un rapport ambigu avec la jalousie. Lorsqu’elle se manifeste à notre égard, nous nous sentons souvent étouffer. Mais lorsqu’au contraire elle ne se manifeste pas, nous nous sentons aussitôt délaissés.
Est-ce que Jérém veut savoir pour moi parce qu’il culpabilise vis-à-vis des aventures qu’il a eues ? Est-ce qu’il se dit que si moi aussi je me suis lâché, il culpabiliserait moins ? Ou bien, tout comme moi, certaines questions le taraudent et il veut en avoir le cœur net ? Vaut-il mieux faire semblant, garder chacun nos questions pour nous et les laisser empoisonner nos retrouvailles ? Ou bien vaut-il mieux savoir, et nous accepter tels que nous sommes ?
« Oui, ça m’est arrivé » je finis par admettre.
Bien évidemment, même si je pense à lui à cet instant précis, je me garde bien de lui parler de Ruben.
« Beaucoup de mecs ?
— Quelques-uns. Et toi ?
— Et c’était que des plans ?
— Oui, que des plans…— Rien de plus ? Jamais il y a eu un mec qui…— Non, non ! J’ai rencontré des gars juste pour baiser. » Je m’en veux de lui mentir, et je m’en veux aussi de renier le bonheur que j’ai vécu avec Ruben, de le piétiner de cette façon. Mais je n’ai pas le courage de lui dire que mon cœur a sautillé pour un autre garçon.
« Et toi, tu as fait des rencontres ? je détourne cette conversation qui commence vraiment à devenir embarrassante.
— Ça m’est arrivé aussi…— Avec des nanas ou des mecs ?
— Les deux… »Je prends ces deux petits mots comme un coup de poing dans le ventre. Au fond de moi, je m’en doutais. Mais l’entendre me le dire me fait un mal de chien.
« Tu as toujours envie de coucher avec des nanas ?
— Pas du tout !
— Et donc ?
— Et donc, quand je suis arrivé au Stade, j’ai eu besoin de me faire des potes tout de suite…— Et ça passe par le fait de baiser avec des nanas ?
— Ça passe par les sorties avant tout. Mais oui, baiser des nanas qui nous tournent autour pendant les soirées, et en parler après dans les vestiaires, ça en fait partie aussi. Si je ne faisais rien avec elles, ils se poseraient des questions. Je ne veux pas que les rumeurs recommencent à circuler. Me forcer à coucher avec des nanas, c’est une façon de me protéger.
— Tu ne pourras jamais arrêter de coucher avec des nanas, alors…— J’ai besoin de leur en mettre plein la vue, maintenant. Après, quand j’aurai gagné leur respect, je me calmerai.
— Et les gars, il y en a eu beaucoup ? j’enchaîne.
— Quelques-uns… mais pareil que pour toi, ce n’était que du cul. Personne ne compte à part toi, Nico… »
[Oui, Jérém, les quelques gars que tu as levé dans certains bars, tu les as baisés sans même te souvenir de leur prénom au moment où tu jouissais dans leur bouche ou entre leurs fesses.
Après, il y a bien un gars qui te fait craquer bien plus que les autres. Un gars qui t’inspire des branlettes quasi quotidiennes. Mais ce gars, ce blond magnifique, ce barbu bien viril au regard d’ange, tu sais qu’il t’est inaccessible].
« Tu es quelqu’un de spécial pour moi… et personne ne peut prendre ta place dans mon cœur… »
[Tu sais qu’au fond, c’est la vérité. Parce qu’avec Nico, tu te sens vraiment bien. Parce qu’il te fait te sentir bien. Et pourtant, quand tu es avec Ulysse, tu te sens bien aussi. Parce que lui aussi sait te faire te sentir bien. Parce qu’il est profondément bon avec toi. Et parce que tu te dis que dans ses bras tu te sentirais en sécurité, et que plus jamais tu aurais peur, parce qu’il saurait apaiser la solitude intérieure qui te hante].
Ses mots me touchent profondément. Et même si je ne peux m’empêcher de repenser au bonheur que j’ai ressenti avec Ruben à certains moments, le bonheur de cet instant est si grand, si fort, et si aveuglant, qu’il fait tout disparaître derrière lui.
« Toi aussi tu es le seul qui fait battre mon cœur de cette façon, je lui glisse, en saisissant sa main avec la mienne et en la posant sur ma poitrine.
— Mon petit Nico, mon Ourson ! » s’exclame Jérém, tout en me prenant dans ses bras et en me serrant très fort contre lui.
Mon bonheur est si fort que je ne peux que l’exprimer avec les mots les plus forts qui existent, les larmes aux yeux :« Je t’aime, P’tit Loup ! »
Notes de l'auteur.
1/ Les réflexions de Nico pendant le voyage vers Campan sont inspirées du texte de la chanson « Vedi cara » de Francesco Guccini. Merci à FanB pour m’avoir fait découvrir cette très belle chanson.
https://www.youtube.com/watch?v=GuXbAC5zsEc
Merci FanB pour ton travail de correction et ton regard positivement contradictoire sur mes textes.
2/ Le chat Discord de Jérém&Nico est toujours ouvert et Yann y poste régulièrement des sujets aussi intéressants que variés.
Merci Yann pour ton travail.
https://discord.com/channels/717731300680925277/717736066915762207
3/ Médecins gay friendly.
Dernièrement, Yann a fait un focus sur Discord (lien ci-dessus) au sujet des médecins gays friendly.
Il n’est pas toujours aisé de raconter son intimité à un médecin, notamment ce qui touche à la sexualité, et encore moins la sexualité homosexuelle, et aux maladies inhérentes. On a parfois peur de « se taper la honte ».
Or, si on ne peut pas tout dire à son médecin, on ne peut pas être
Nous sommes deux meurtris de la vie et que nous avons besoin du réconfort et de la douceur que nous avons trouvés dans les bras de l’autre. Ruben a été ma bouée de sauvetage, et j’ai probablement été la sienne. Lorsqu’on se noie, on ne refuse pas une main tendue.
Je me souviens très bien de l’instant où je me suis fait ces réflexions. C’était un soir, un samedi soir plus précisément, et c’était la veille de mon anniversaire. Et c’était aussi la veille du jour où « un coup de tonnerre » allait faire dangereusement vaciller mon fragile équilibre sentimental.
Dimanche 15 septembre 2002.
Un anniversaire, et en particulier celui de ses 20 ans, devrait être une journée heureuse. Elle ne l’est pas vraiment pour moi. Dès le matin, je suis d’une humeur morose. Car en ce jour, encore plus que les précédents, la nostalgie tenaille mon cœur et elle ne me lâche pas d’une semelle.
En fait, ça fait des mois qu’elle m’assiège. Et, malgré la présence de Ruben dans ma vie, elle n’a cessé de me harceler un peu plus chaque jour. Dès que je me retrouve seul, je ressasse le bonheur passé. Le bonheur perdu.
A une époque où le plus puissant des moteurs de recherche n’était pas là pour nous rappeler en images sur un écran ce que nous faisions un an plus tôt, c’était notre cœur qui nous le rappelait.
Il y a un an, jour pour jour, j’étais à Campan, et je venais de retrouver Jérém après notre clash dans la maison de mes parents. Il y a un an, je découvrais un nouveau Jérém. Je le découvrais entouré d’un cadre nouvel et inattendu – la montagne, les chevaux, et une sorte de grande famille aimante composée d’une bande de joyeux lurons, les cavaliers de l’ABCR. Un garçon beaucoup plus simple et naturel que celui que j’avais connu à Toulouse. Je faisais la connaissance de la petite maison en pierre, et de l’amour qu’il portait à ses grands-parents. En connaissant son histoire, ses peurs, ses faiblesses, je tombais une deuxième fois amoureux de Jérém. J’avais été fou d’un petit con sexy en diable, je tombais véritablement amoureux d’un garçon touchant.
Je repense aux balades sur le dos de Tequila, je me rappelle la bienveillance de Charlène, la bonne humeur de Martine, la sagesse et l’humour de Jean-Paul. Je repense aux fins de soirée rythmées par la guitare et par les blagues de Denis. Je repense aux belles discussions avec ces gens ouverts. Je me souviens du coming out de Jérém devant tout le monde.
Et je me souviens surtout d’un Jérém tendre, attentionné, amoureux. Je me souviens d’à quel point ce Jérém m’a touché, ému, bouleversé. Je me rappelle qu’il y a un an, nous nous câlinions devant le feu dans la petite maison, nous faisions l’amour plus tendrement que nous ne l’avions jamais fait. Je me souviens qu’il y a un an, j’étais heureux.
Je mentirais si je disais que je suis complètement malheureux aujourd’hui. Je suis heureux aussi, d’une certaine manière. Après un mois de juillet au fond du trou, j’ai retrouvé une certaine sérénité, un équilibre relatif depuis que Ruben est entré dans ma vie.
Et pourtant, au fond de moi je sais que mon cœur est resté ailleurs. J’ai eu beau essayer de lui imposer de changer de cap. Le cœur ne sait tendre ailleurs que dans la direction qu’il a choisie de son propre chef. Oui, parfois notre raison voudrait lui imposer des choix. Parfois ils se bagarrent. Mais la raison a beau s’acharner, elle n’a jamais remporté le moindre le duel. Il y a un seul Pôle Nord Magnétique, il y a un seul Pôle Magnétique du Cœur. Et Jérém, c’est le mien.
Le matin de mon anniversaire, j’ai reçu deux coups de fil. Le premier de Maman, l’autre de ma cousine Elodie. Ruben m’a souhaité bon anniversaire avec plein de bisous et un petit déj soigné. Tous mes proches, du moins ceux qui connaissent ma date d’anniversaire, se sont manifestés. Je devrais être comblé. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de me prendre la tête avec le « bon anniversaire » qui est le grand absent en ce jour.
Je sais que je ne devrais même pas y penser. Parce que, de toute façon, ça ne viendra pas. Je sais qu’il n’y pensera pas. Et que même s’il y pensait, il se dirait qu’il vaut mieux faire profil bas. Et une partie de moi se dit qu’il est mieux ainsi.
Et pourtant, quand je pense au bonheur que j’avais ressenti il y a un an lorsque Jérém m’avait appelé pour cette occasion spéciale, j’ai envie de pleurer. Et je ne peux m’empêcher, pendant toute la journée, de guetter régulièrement l’écran de mon téléphone en espérant y trouver l’arrivée d’un message ou l’apparition d’un appel en absence (après les appels de Maman et d’Elodie, j’ai mis le téléphone en mode « silence », pour éviter de devoir rendre des comptes, au cas où).
C’est une belle journée et Ruben m’entraîne dans une longue boucle à vélo avec les cyclistes de l’asso. Le soir de mon anniversaire, nous la passons évidemment en amoureux. Pour le dîner, il me prépare un bon petit plat de chez lui, un délicieux farci poitevin. Je suis vraiment touché par ses attentions. Cuisiner pour quelqu’un est une belle façon de lui montrer qu’on l’aime. Je lis dans ses gestes, dans son regard, son bonheur de me faire plaisir.
J’ai même droit à un cadeau. Un jour le titre « The Scientist » était passé à la radio et je lui avais dit que j’aimais bien. Le soir de mon anniversaire, le cd « A Rush of Blood to the Head » apparaît sous le papier cadeau.
« Merci beaucoup, Ruben — De rien… chaton… — Chaton ? je m’étonne en l’entendant m’appeler pour la première fois de cette façon.
— Tu n’aimes pas ?
— Si, si, c’est juste que je m’y attendais pas…— Il va falloir que tu trouves un petit nom pour moi aussi, maintenant…— Oui », je le seconde, sans avoir la moindre idée de quoi je pourrais bien trouver. Le seul petit nom qui me vient en tête, c’est… « P’tit Loup ». Mais jamais je ne pourrais l’appeler de cette façon, jamais.
« Chaton » marque un pas supplémentaire dans notre intimité. « Chaton » me rapproche un peu plus de ces trois petits mots que je crains de m’entendre dire un jour à Ruben, ces trois petits mots qui engagent et qui me font peur. « Chaton » rime bien évidemment avec Ourson, et ça me ramène une fois de plus à mes souvenirs, à ma nostalgie, à ma tristesse.
Après le repas, nous passons la soirée à nous faire des câlins avec mon cadeau d’anniversaire en fond sonore.
https://www.youtube.com/watch?v=RB-RcX5DS5A
La tendresse laisse peu à peu la place à la sensualité. Ruben finit par me prendre en bouche et me sucer longuement. Je le suce à mon tour, j’essaie une fois de plus de lui faire apprécier ce plaisir. Mais, une fois de plus, sans grand succès. Je sais qu’il préfère que ma langue aille titiller doucement sa rondelle. S’il n’est pas prêt à ce que je vienne en lui, il a peu à peu appris à apprécier ce plaisir intime. Je suis content de le sentir vibrer sous les caresses de ma langue.
Après plusieurs nuits passées sur son clic clac moyennement confortable, j’ai du sommeil à rattraper. Le lendemain nous avons cours tous les deux, alors nous décidons de dormir séparément. Je rentre donc chez moi peu avant minuit.
Je retrouve mon appart, et son empreinte olfactive caractéristique, un mélange entre l’odeur persistante de cigarette très probablement laissée par l’ancien locataire et celle de la lessive que j’utilise pour laver mes fringues.
Et je « retrouve » mon portable, qui demeurait au fond de ma poche, en panne de batterie depuis midi. C’est l’autre raison qui m’a poussé à rentrer chez moi ce soir. Le besoin de le rallumer, pour savoir, au cas où…Je le branche au chargeur, et je l’allume. J’attends quelques secondes, les yeux rivés sur le petit écran. J’attends qu’il ait complètement démarré, j’attends de voir si je n’ai pas loupé un message important. Lorsque le téléphone affiche le nom de l’opérateur et les cinq barres de réseau, j’attends encore de longues secondes. Mais rien ne vient. Je finis même par composer le numéro de la messagerie pour voir si un message y a été déposé sans être notifié.
« Vous n’avez aucun message ». Par l’intermédiaire d’une voix enregistrée sans émotion et sans empathie, la sentence tombe comme une lame de couperet, arrachant de mon esprit les derniers espoirs d’un « miracle ». Frustré, déçu, malheureux, j’ai du mal à accuser le coup. Je balance le téléphone sur la table de nuit comme si je voulais le punir de ne pas m’annoncer ce que j’attendais secrètement au fond de moi.
Je prends une douche, je me brosse les dents, je me glisse sous la couette et j’éteins la lumière. Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque que la petite led verte de mon téléphone signalant l’arrivée du message clignote impatiemment dans le noir. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
J’attrape le téléphone, j’allume le petit écran. Et là, je n’en crois pas mes yeux.
23h41 « Appel en absence Jérém ».
Le téléphone était resté en mode « silence » depuis le matin, et la sonnerie n’a pas retenti. En haut de l’écran, l’indication de l’heure affiche 23h45. Merde, merde, merde, je l’ai raté, je l’ai raté de peu, de si peu ! Et à côté de l’heure, l’icône du message vocal clignote de façon insistante.
J’ai le souffle coupé, et le cœur sur le point d’exploser.
PUTAIN ! Il y a pensé !!!
Ça me fait un plaisir fou, et ça me remplit de joie. Mais à côté de ça, ça me terrorise, ça me donne envie de chialer. Ça fait près de deux mois que je n’ai pas de ses nouvelles. Deux mois que j’essaie de faire le deuil de notre relation avortée, que j’essaie de l’oublier. Près de deux mois que j’essaie de me convaincre que Ruben me comblerait.
Et là, il suffit de voir son nom s’afficher sur mon portable pour sentir tout remonter, mes sentiments, mes espoirs, mes peurs. Pour que mon cœur se mette à battre un rythme qu’il n’a pas joué depuis des mois, celui de la Chamade.
Le portable toujours enserré dans mes doigts tremblants, je fixe l’icône de message clignotant sur l’écran. J’ai terriblement envie de l’écouter, et j’en ai peur en même temps. J’ai envie d’entendre sa voix, mais j’ai peur de connaître la raison de son appel. J’ai envie de croire que Jérém a tenu parole, que ce coup de fil annonce sa volonté de revenir vers moi, et pour de bon. Mais j’en ai peur aussi. J’ai peur de le retrouver poli et distant, comme un amant qui nous a regardés un jour avec les yeux de l’amour et qui ne nous regarde désormais qu’avec une bienveillance meurtrière. J’ai envie de le retrouver, et j’ai peur de souffrir encore.
En fait, je me retrouve dans la même situation qu’un an plus tôt, lorsqu’il m’avait rappelé après notre clash pour que j’aille le rejoindre à Campan. Il y a un an, j’avais répondu à son appel. Je nous avais donné une deuxième chance, en mettant de côté mon amour propre blessé.
Cette fois-ci, ce n’est pas que mon amour propre blessé et le besoin de me protéger qui me retiennent de me laisser aller à un élan inconditionnel vers lui. Il y a aussi le fait que j’ai commencé à me reconstruire, et que j’ai commencé à me bâtir une nouvelle vie. Je ne veux pas trahir Ruben, je ne veux pas lui faire du mal. Je ne veux plus que Jérém vienne à nouveau tout chambouler dans ma vie avant de disparaître encore en laissant des ruines fumantes derrière lui.
Mon esprit tangue ainsi pendant de longues minutes entre l’envie d’écouter ce message et celle de l’effacer sans l’écouter, et de poursuivre ainsi mon nouveau chemin.
Je laisse le petit écran du téléphone s’éteindre. Mais la petite led verte au sommet de l’appareil ne cesse de clignoter et de me balancer sournoisement : « Vas-y, il y a un message, vas-y, écoute-le, je ne vais pas arrêter de clignoter et de te casser les couilles tant que tu ne l’auras pas écouté ! »Soudain, je me dis que si ça se trouve, il vient de m’appeler pour m’annoncer quelque chose de grave. Peut-être qu’il a une galère, et qu’il a besoin de moi. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Oui, j’ai besoin de savoir s’il va bien. C’est en prétextant ce genre d’arguments dans mon esprit, que je trouve le courage d’écouter enfin le message.
Je me glisse sous les couvertures, je ferme les yeux et je lance le répondeur.
« Salut Nico. »
Deux petits mots et déjà sa voix mâle me fait vibrer. Entendre mon prénom dans sa bouche me met dans tous mes états. Une petite pause suit ces premiers mots, comme une hésitation que je trouve terriblement touchante. When you call my name…
« Je sais qu’il est tard. Je voulais t’appeler plus tôt, mais je n’y arrivais pas… tu vois, j’ai dû boire un bon peu pour y arriver. J’espère que tu vas bien, Nico. Je…. »
Une nouvelle fois il prononce mon prénom, une nouvelle fois je sens mes trips se vriller. Sa voix sent le degré d’alcoolémie relativement avancé, et la sincérité et la clairvoyance que cet état peut donner à l’esprit. Une nouvelle fois, ses mots semblent suspendus à une grande hésitation.
« Ecoute, Nico, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je sais que je n’ai pas été cool la dernière fois. Par du tout, même. J’avais besoin d’être seul, et je t’ai encore jeté, alors que tu avais été vraiment génial après l’accident. Cet été j’étais vraiment très mal… je sais, ça n’excuse pas mon comportement. Parce que je me suis encore comporté comme un con avec toi… oui, comme un con, il n’y a pas d’autres mots. J’espère que tu vas pouvoir me pardonner et que tu voudras au moins me reparler. Bonne soirée, et j’espère à bientôt… au fait… bon anniversaire, Ourson. »
An, non, pas Ourson ! Il n’a pas le droit de m’appeler de cette façon alors qu’il ne m’a pas appelé ainsi depuis des mois ! Il ne peut pas évoquer l’Ourson, et prétendre qu’il se ranime au quart de tour après avoir été jeté dans un coin, comme s’il ne servait plus à rien, pendant des longs mois !
Et pourtant, qu’est-ce que ça me fait plaisir d’entendre cela ! Car ce petit nom « dans sa bouche » ça ouvre plein d’espoirs, tout un nouvel horizon. Est-ce qu’il voudrait que je sois à nouveau son Ourson ? Est-ce que je vais accepter de l’être à nouveau ? Et Ruben dans tout ça ?
J’ai les larmes aux yeux, j’ai très envie de l’appeler de suite.
Le rappeler, pour lui dire quoi ? Pour lui dire à quel point il m’a manqué et à quel point il me manque toujours ? Pour l’engueuler pour m’avoir autant fait souffrir à nouveau ? Pour lui dire qu’un Ourson n’est pas fait pour être câliné, aimé, puis jeté, délaissé, oublié, puis repris quand ça lui chante ?
Caché sous ma couette, je cherche un abri. Un abri de moi-même, un abri de mes peurs. Mon pouce glisse tout seul sur le bouton vert et le dernier contact s’affiche. « Jérém », appel manqué à 23h41.
Je regarde cette mention fixement, longuement, jusqu’à ce que l’écran s’éteigne à nouveau. Je rappuie alors sur le bouton vert, l’écran se rallume, la même mention s’affiche à nouveau. Je répète l’opération une bonne dizaine de fois. Juste avant que l’écran ne s’éteigne pour la dernière fois, j’ai lu l’heure : 00h14. Ça fait donc une demi-heure que je fixe l’écran et son prénom en essayant de me décider au sujet de quoi faire. Chacune des options semble me demande un effort surhumain.
Et pourtant, ne rien faire, ignorer son coup de fil et son message, ignorer ses mots et ses hésitations, son humilité et son mea culpa, me paraît encore plus inimaginable. Je ne pense qu’à ça, je ne pense qu’à lui. Dans ma tête, dans mon cœur, dans mon ventre, ça tourbillonne méchamment.
Puis, à un moment, je ferme les yeux, je prends une grande respiration, je porte le téléphone à mon oreille. Et j’appuie sur le bouton vert d’un geste précipité, presque violent. Parfois il faut arrêter de penser et agir.
La première sonnerie retentit dans mon oreille. J’ai l’impression que mon cœur va exploser. J’ai l’impression de faire une connerie, j’ai l’impression de trahir Ruben, et je m’en veux. Et pourtant, je laisse sonner.
Chaque sonnerie dans le vide est un nouveau coup de poing dans le ventre. Je suis comme en apnée, je me demande bien ce que je vais pouvoir lui dire, et de quelle façon. J’ai envie de raccrocher, mais je n’ose pas, c’est trop tard. Je commence à espérer tomber sur sa messagerie. C’est trop dur tout ça, trop difficile, trop douloureux. Je me dis que ça va être plus simple de parler à une machine qu’au gars que j’aime.
« Ecoute Jérém, ça fait des mois que tu ne m’as pas donné de nouvelles. J’ai respecté ton besoin d’être seul, et je commence à m’en faire une raison. Alors, ne gâche pas tout. Ne me donne pas de nouveaux espoirs que tu briseras un jour ou l’autre. Ne m’appelle plus, s’il te plaît. Je t’ai beaucoup aimé, et je t’aimerai toujours. Mais à l’évidence, je n’arrive pas à te rendre heureux. Alors, essayons d’être soyons heureux chacun de notre côté. Bonne chance, P’tit Loup. Enfin, non, bonne chance Jérém. »
Mais le destin en décide autrement.
« Ah Nico ! C’est cool que tu me rappelles… »
C’est au bout de nombreuses sonneries que ça décroche enfin. J’ai l’impression que mon cœur a cessé de battre, j’ai l’impression de m’étouffer. J’ai la tête qui tourne.
« Désolé de t’appeler si tard… je t’ai pas réveillé au moins… ?
— Non ça va.
— Bon anniversaire ! »J’ai envie de pleurer, et je me retiens de justesse.
« Merci…— Comment tu vas ?
— Ça va… » j’arrive à lui glisser, complètement en apnée.
Après quoi, mon cerveau se met en mode veille et je n’arrive plus à construire la moindre phrase dans mon esprit ni à débiter le moindre mot. Je suis en état de paralysie de l’élocution. Le silence s’installe et devient vite gênant.
« Nico… je sais que je n’ai pas donné de nouvelles depuis un bail je comprends que tu m’en veuilles… »Oui, je lui en veux de m’avoir laissé des mois sans nouvelles et de revenir ainsi dans ma vie, alors que je commençais à faire mon deuil. Je lui en veux de raviver mes sentiments, de les refaire flamber de but en blanc de leurs propres braises, alors que je commençais à tourner la page avec un gars adorable comme Ruben. Et pourtant mon cœur est en fibrillation et je ressens au fond de moi un bonheur inouï.
« Pourquoi je t’en voudrais ? je coupe court, sans faire attention à ses excuses que je n’ai pas envie d’entendre, même si elles me font du bien.
— Je ne sais pas… il fait, comme déstabilisé.
— Et toi, comment ça va ? j’arrive à enchaîner.
— Moi, ça va aussi.
— Heureux de l’apprendre.
— Tu me manques, Nico…— Ah bon ? On l’aurait pas dit jusque-là !
— C’est pourtant vrai. Ça fait trop longtemps qu’on s’est pas vus…— A qui la faute ?
— A moi, à moi, à personne d’autre. Tu me manques et tu m’as toujours manqué. Si j’ai voulu te tenir à distance, c’est pour ne pas te faire de mal.
— Me tenir à distance C’EST me faire du mal !
— Je sais mais je me connais et je sais que quand ça va pas, je suis insupportable.
— Et là ça va mieux, alors tu me rappelles et moi je devrais faire comme si on s’était quittés hier en se faisant des bisous ?
— Je suis désolé d’être comme ça…— T’as que ça à balancer ? Des excuses, avant de disparaître à nouveau ?
— Tu as raison, je me comporte toujours comme un con avec toi…— Tu travailles toujours à la brasserie ? j’enchaîne pour faire diversion de cette conversation qui devient de plus en plus pénible.
— Non, pas vraiment…— Tu t’es fait virer ?
— Non, j’ai démissionné…— Et t’es au chômage ?
— Non, j’ai trouvé un autre taf…— Et tu fais quoi alors ?
— Je joue au rugby…— Ah bon ? Ils t’ont repris au Racing ?
— Non… »Mon cœur fait un bond. Je me mets à cogiter à vitesse grand V et je pars vite en besogne.
« Mais tu as quitté Paris ?
— Non, je suis toujours à Paris. »Soudain je crois saisir. Et ce que je crois comprendre est tellement énorme que j’ai du mal à l’admettre.
« Ne me dis pas que t’as été pris au Sta…— Au Stade… Si ! Si ! Si !
— Mais c’est fabuleux !
— C’est plus que ça même, j’ai pas de mots. C’est juste WAOOOUH ! Depuis un mois, je suis comme sur un nuage…— Un mois ?!?! Et tu pouvais pas me l’annoncer avant ?
— J’ai attendu de passer la période d’essai, au cas où ça foire. Tu es la première personne à qui je l’annonce, je ne l’ai même pas encore dit à Maxime. Il va halluciner, et ensuite il va m’engueuler de ne pas le lui avoir dit avant.
— Mais le Stade c’est l’une des équipes les plus fortes du top 16, non ?
— C’est le top du top du rugby. C’est une chance inouïe pour moi, et c’est grâce à Ulysse. Il a fait des pieds et des mains, et il a même accepté une baisse de salaire la première année pour les convaincre de me donner une chance. »Une partie de moi a toujours envie de le pourrir, mais une autre partie est heureuse pour lui. Et émue, très émue. Ça me fait tellement plaisir de le sentir heureux, et je me laisse transporter par sa joie. J’ai l’impression de retrouver le Jérém de Campan, le Jérém enthousiaste que j’aime tant.
« Je suis content pour toi. Et ça se passe bien ?
— Très bien, vraiment très bien. Ça ne fait que quelques semaines que j’y suis, mais je me sens bien, comme à Toulouse. Depuis que je suis à Paris, je ne me suis jamais senti à ma place. Et là, j’ai l’impression d’y être à nouveau. Les gars sont sympas, et le coach aussi. Je me sens bien et je joue beaucoup mieux. Je sais que j’ai tout à prouver une nouvelle fois. Mais là, j’ai l’impression que je vais y arriver. J’ai l’impression de courir enfin dans la bonne direction, Nico ! »
Je le laisse parler et je suis de plus en plus bouleversé par mes sentiments contradictoires. Je suis heureux pour lui, mais aussi triste que nous soyons loin, physiquement, sentimentalement. Je ne sais même pas si nous sommes toujours ensemble. J’ai envie de pleurer.
Je ne sais pas comment ce coup de fil va se terminer, ce qu’il a en tête. J’ai à la fois envie et peur de le découvrir. J’ai envie qu’il me propose de monter à Paris et de fêter ça avec lui. J’ai envie qu’il se cantonne à ça, à me donner ces bonnes nouvelles, et à me dire « à l’un de ces quatre », comme il le ferait avec un pote. J’ai envie d’être à nouveau son Ourson et j’ai envie de continuer à l’oublier. Dans cette tempête d’attentes contraires, les mots me manquent.
« Au fait, je ne t’ai jamais remercié comme il se doit pour ce que tu as fait après l’accident. Tu as été génial, Nico. Tu m’as vraiment sorti de la panade.
— Je ne pouvais pas te laisser tomber.
— Tu aurais pu. Rien ne t’obligeait à mentir et à prendre le risque d’avoir des soucis à cause de moi. Tu m’as sauvé la vie ! Je ne l’ai pas oublié et je ne l’oublierai pas.
— C’était aussi de ma faute, ce qui s’est passé…— Non, c’était de la mienne. J’avais bu et j’avais fumé, et je n’avais pas à prendre le volant. Je n’avais pas non plus à te sortir ce que je t’ai balancé en voiture. C’est moi qui ai provoqué cette dispute. Alors, merci encore.
— De rien, de rien…— Au fait, tu as des nouvelles du gars du scooter ?
— Oui, la Police m’a rappelé quelques temps après pour me dire que « mon » dossier d’accident était clos sans poursuites, car il était en tort. Et ils m’ont dit aussi que son opération au genou s’est bien passée, qu’il fait de la rééducation et qu’il devrait le retrouver presque comme neuf…— Je suis soulagé, vraiment. Tu peux pas savoir comment je m’en suis voulu de l’avoir blessé…— Tu n’as pas tous les torts, il a quand-même grillé une priorité…— Nico…— Quoi ?
— Samedi prochain l’équipe joue à Pau. Je ne serai pas titulaire, mais je serai du voyage. »Je commence enfin à entrevoir où il veut en venir. Mon cœur s’emballe, et je sens une immense et irrépressible joie teintée de panique m’envahir.
« J’aurai deux jours de repos après et j’ai prévu de les passer à Campan. »Rien qu’en entendant le mot « Campan », je sens une joie immense m’envahir, comme un réflexe pavlovien. Car Campan est un mot magique, le plus magique de tous, celui qui évoque le bonheur avec Jérém, le bonheur le plus parfait.
« Et je me demandais, il continue, hésitant… si tu voudrais venir me rejoindre…— Je ne sais pas… » je ne trouve pas mieux à répondre.
Car, si je pense à la joie qu’éprouverait Ourson à retrouver P’tit Loup dans sa douce tanière au pied de la montagne, je pense aussi à sa souffrance de l’été et à la rancœur qu’il en a gardée.
Et je pense à Ruben, que je n’ai pas envie de trahir.
Et je pense à Ruben, à qui je ne saurais pas comment expliquer cette absence.
Et je pense à Ruben à qui je serais obligé de mentir.
Et je pense à Ruben, et à comment je pourrais lui mentir sans qu’il ne se doute de rien.
Et je pense au bobard que je devrais lui servir pour partir tout un week-end, et à la façon dont je pourrais gérer ses éventuels appels pendant mon absence.
Et je pense à comment je pourrais faire pour que non seulement Ruben ne se rende compte de rien de ce qui se passerait à Campan, mais aussi sans que Jérém se rende compte de ce qui se passe à Bordeaux. Car non, je ne veux pas que Jérém sache non plus. Je ne veux pas qu’il sache que son Ourson est devenu Chaton pendant qu’il le délaissait.
« Je comprends que tu hésites, je l’entends galérer, je me suis vraiment mal comporté avec toi.
— On peut dire ça oui…— Nico, je vais fêter ça avec les cavaliers. J’espère qu’il y aura Maxime. Il y aura toutes les personnes qui comptent le plus pour moi. Et si tu ne viens pas, ce ne sera pas pareil…— Pourtant, tu t’es bien passé de moi pendant des mois !
— Tu m’as manqué chaque jour. »
J’ai envie de pleureur.
J’ai envie de pleurer parce que je le crois sincère.
J’ai envie de pleurer parce nous avons gaspillé tout ce temps, parce que j’ai souffert pour rien, parce qu’il aurait suffi d’attendre.
J’ai envie de pleurer à cause de tout ce qui nous sépare, l’intolérance, l’homophobie, l’ignorance.
J’ai envie de pleurer parce que je sais qu’il suffirait de si peu pour que nous soyons heureux ensemble.
J’ai envie de pleurer parce que j’ai l’impression que tout est pareil entre nous, malgré la distance et les mois sans se voir, sans se parler. Et pourtant j’ai l’impression que plus rien ne sera plus jamais pareil.
Samedi 21 septembre 2002.
Un week-end chez mes parents à Toulouse. Voilà le mensonge que je sers à Ruben pour justifier mon départ, alors qu’il se faisait une joie de le passer avec moi. Ce garçon me touche, vraiment. Je m’en veux de lui mentir, alors que hier soir encore nous nous sommes câlinés, embrassés, offert du plaisir. Et pourtant, je lui mens et je prends la route en direction des Pyrénées Atlantiques.
En partant de Bordeaux, je me dis que c’est la dernière fois que je laisse Jérém bouleverser ma vie, la dernière fois que je reviens vers lui après m’être fait jeter, après avoir souffert, après avoir cru que je ne le reverrai plus jamais.
En fait, je réalise que Jérém ne m’a jamais quitté. Je repense à ses mots à Paris, lorsqu’il m’a demandé de rentrer chez moi parce qu’il avait besoin d’être seul. « Laisse-moi un peu de temps, le temps que je me sorte de cette merde, le temps que je me retrouve ». Et aussi : « Encore merci, vraiment merci, pour ce que tu as fait pour moi l’autre soir ». Certes, le fait de me demander de partir était difficile à encaisser pour moi. Mais ce n’était pas un adieu. D’autant plus qu’il semblait vraiment touché par ce que je venais de faire pour lui.
C’est son long silence, ainsi que la rencontre avec Ruben, qui a fait que j’ai cru que c’était vraiment terminé entre nous.
Je me demande ce qui se va se passer pendant ces deux jours. Est-ce que nous allons nous expliquer ? Est-ce que nous allons nous serrer très fort et nous faire plein de câlins ? Est-ce que nous allons faire l’amour ? J’en ai tellement envie.
Aujourd’hui, tant d’années plus tard, je me dis que le problème fondamental entre Jérém et moi, c’était que nous avions deux manières différentes de ressentir les choses, deux manières différentes d'aimer et de réagir aux difficultés de la vie. De plus, nous avions du mal à communiquer, ce qui nous conduisait régulièrement à des crises inévitables.
J’avais du mal à appréhender les fantômes qui peuplaient son esprit, à suivre les soubresauts de son âme changeante, à seconder son immense euphorie lorsqu’il se sentait bien, comme à ce moment-là, après son recrutement inespéré par le Stade Français, et à comprendre son désarroi profond, ses crises quand il devait faire face à des moments plus difficiles.
Certaines crises ne sont que le signe de quelque chose à l'intérieur qui crie pour sortir. Ainsi, ses sautes d’humeur étaient les signes d’un tourment qui peinait à se faire jour. Car, sous ses airs de petit frimeur, Jérém cachait bien des fêlures. Il les cachait, car on lui avait appris qu’un vrai mec ne montre pas de faiblesse.
Jérém m’aimait, mais il n’arrivait pas à s’ouvrir à moi quand il n’allait pas bien. Quand il souffrait, il préférait essayer d’oublier son mal-être. Son besoin de faire la fête, de se sentir intégré, accepté, admiré, en cachait un autre plus profond, celui d’oublier ses tourments et ses peurs. Jérém avait besoin de se sentir entouré. C’est la peur d’être seul qu’il cherchait à noyer dans l’alcool, le joint, le sexe, l’admiration.
J’aurais aimé que ma présence suffise à Jérém pour être bien, pour éloigner ses fantômes. Mais ce n’était pas possible, pas toujours. Et cela me faisait énormément souffrir.
J’ai réalisé plus tard, avec plus de maturité et plus de recul, que j’étais « beaucoup » pour lui, mais que je n’étais « pas assez ». En tout cas, pas toujours. Et que si Jérém avait parfois besoin de prendre le large, il ne cherchait pas à me fuir. Je n’aurais pas dû avoir peur de le voir s’éloigner, car il finissait toujours par revenir vers moi. Parce que, comme il me l’avait dit une fois à la gare à Paris, j’étais « spécial » pour lui. Je n’étais peut-être pas toujours suffisant pour faire son bonheur, mais j’étais nécessaire.
A ce moment-là, ses blessures étaient trop profondes pour espérer les soigner avec l’amour, si grand soit-il. Le seul remède efficace pour en venir à bout, était le temps. J’aurais dû être plus patient. Mais quand on a 20 ans et qu’on a pourtant tout le temps devant soi, on ne sait pas attendre, pas encore.
Ainsi, à cet instant précis, pendant ce voyage nocturne entre Bordeaux et Pau pour retrouver le garçon que j’aime, je me jure à moi-même que c’est la dernière fois que je le laisse faire le Yo-yo avec mon cœur, la dernière fois que je fais mon deuil de notre histoire, de mon amour pour rien.
Je me promets d’être cool avec lui. Je ne veux même pas me prendre la tête pour essayer de savoir ce qui s’est passé dans sa vie et dans sa braguette depuis la dernière fois que nous avons fait l’amour. Je vais accepter de continuer à être un couple ouvert, je vais accepter de le voir quand il peut. Mais j’ai besoin de sentir que je compte pour lui. Je veux qu’il me parle, même quand ça ne va pas.
Mais je sais maintenant où sont mes limites et ce que je peux endurer. Si Jérém me fait encore souffrir, je ne reviendrai plus vers lui.
En attendant, je n’arrive toujours pas à réaliser que je vais retrouver Jérém. Je n’y croyais plus, vraiment plus. Je suis heureux d’aller le retrouver, et ma joie s’embrase kilomètres après kilomètres. Je suis impatient de le prendre dans mes bras. J’ai tellement envie de l’embrasser. Rien que d’y penser, je frissonne. J’ai envie de faire l’amour avec lui. Rien que d’y penser, je bande.
Dans cette mélodie du bonheur, une note dissonante s’invite pourtant à chaque mouvement. Je pense à Ruben, au fait que je suis en train de trahir sa confiance, au fait que très probablement je vais le tromper. Il ne mérite pas ça ce petit bonhomme.
Si j’aime Jérém à la folie, je commence à avoir des sentiments pour Ruben. Comment vais-je pouvoir être à la fois « Ourson » et « Chaton » ? Comment ces retrouvailles vont-elles affecter mon histoire avec Ruben ? A quel point vais-je culpabiliser au moment de le retrouver après ce week-end ?
Pourtant, je ne peux m’en empêcher, je ne peux pas imaginer un seul instant refuser l’invitation de Jérém sous prétexte que j’ai peur des conséquences. Si je me privais de ce bonheur, je serais très malheureux, et mon histoire avec Ruben en ferait probablement les frais. A la fin de ce week-end, j’aurais certainement des remords. Alors, il vaut toujours mieux avoir des remords que des regrets. Aujourd’hui, c’est aujourd’hui, et demain c’est demain.
Ma cassette de tubes de Madonna compilée maison vient d’arriver au bout, et la radio prend le relais. Je cherche une station qui capte à peu près bien, et je tombe sur une émission qui parle de la catastrophe d’AZF. Dans le rush de mon départ pour Bordeaux, je n’ai pas réalisé qu’hier, c’est-à-dire il y a encore une demi-heure à peine, avant minuit, nous étions le 21 septembre.
Le journaliste parle des nombreux morts, des blessés, des traumatismes qui mettront des années à guérir (je pense à ce qu’a enduré Thibault, au-delà de ses blessures physiques), et de ceux qui ne guériront pas (je pense à ma cousine, et à ses problèmes d’audition permanents). Et je pense aussi aux traumatismes psychologiques de tous ceux qui ont eu un proche blessé, ou qui ont perdu un proche. Je pense à ceux qui ont vu la mort de près ce jour-là, et qui ne sont pas près de s’en remettre.
Le journaliste parle également des dégâts matériels, des stigmates toujours visibles dans la Ville Rose, de la reconstruction qui prendra des années, et de l’enquête en cours.
J’ai le cœur serré par l’évocation de cette catastrophe. Et pourtant, mon bonheur ne fait que croître minute après minute. Et lorsque le panneau « Pau 14 km » apparaît dans les phares de la voiture, je suis fou de joie. Je me dis que la vie est courte, et fragile, et qu’il faut profiter des cadeaux qu’elle nous apporte.
Avec la nuit, je galère à trouver la place Clémenceau, lieu du rendez-vous. J’appelle Jérém, mais lui non plus ne sait pas bien m’expliquer le chemin depuis la sortie d’autoroute. Il finit par me passer un gars, probablement un joueur de l’équipe de Pau. Avec sa voix grave de mâle et son intense accent béarnais, le type me guide patiemment à destination.
Je retrouve Jérém devant les Galeries Lafayette en compagnie d’un gars, certainement mon GPS d’un soir. Mon beau brun est planté là, un gros sac de sport posé à terre à côté de lui. Dès que je le vois, mon cœur a des ratés. Je prends de profondes inspirations et j’essaie de contenir mon émotion. Son blouson d’étudiant américain blanc et bleu ouvert sur un t-shirt blanc col rond embrase mes neurones l’un après l’autre. Le beau sourire avec lequel il m’accueille me fait fondre. Je descends de la voiture en état d’apnée avancée.
A cet instant précis, tu es heureux, Jérémie. Car tu as attendu ce moment depuis un long moment. Il te tardait vraiment de revoir Nico. Avoue-le, tu as eu la trouille qu’il ne vienne pas, et tu aurais été triste et peiné qu’il ne soit pas là pour fêter ton bonheur actuel avec toi.
Oui, tu as eu peur de l’avoir perdu pour de bon. Tu as eu peur qu’il ait rencontré quelqu’un d’autre capable de le rendre plus heureux que toi. Tu as eu peur qu’il t’oublie.
Alors, tu es tellement heureux qu’il soit là ! Ses cheveux, ses grands yeux, son regard amoureux, son cou sensuel, son petit physique bandant, tout te plaît en lui.
Tu as envie de lui faire mille câlins, tu as envie de lui faire l’amour, tu as envie de le voir prendre son pied. Parce que le voir prendre son pied rend le tien vraiment dingue. Et tu as également envie qu’il soit en toi, car Nico est le seul garçon avec qui tu te sens assez à l’aise pour te donner de cette façon. Car jamais tu ne t’es senti aussi bien après avoir joui que dans ses bras et dans son regard. Comparé à tout ça, les aventures à Paris, ce n’est rien, rien du tout, juste un moyen de se vider les couilles de temps à autre.
Tu as envie de retrouver ton Ourson, car lorsqu’il est avec toi, tu te sens bien, et la vie te semble vraiment plus simple. Tu as envie de le retrouver, et de le retrouver à Campan. Car tu sais que vous n’êtes jamais aussi bien que là-haut.
« Salut… » me lance Jérém, tout en s’approchant de très près pour me claquer une bise très appuyée. J’ai capté dans son regard ému son bonheur de me voir arriver, j’ai senti qu’il crève d’envie de m’embrasser. Je crève aussi d’envie de l’embrasser, mais il faut préserver les apparences.
Je suis heureux de remarquer qu’il porte toujours la chaînette que je lui avais offerte pour son anniversaire l’an dernier. Ce n’est peut-être rien, mais ça compte beaucoup pour moi. Je suis heureux et ému à un point que j’ai du mal à retenir mes larmes.
« Salut », me lance son « pote », une belle bête brune à peine un peu plus âgée que nous, une montagne de muscles avec une sacrée gueule virile qui me fait la bise à son tour, pendant que Jérém fait les présentations.
« Nico, Laurent, un joueur de Pau, Laurent voici Nico, un pote.
— Au plaisir, fait le beau Laurent. Alors, j’ai pas été trop brouillon pour t’expliquer la route ?
— C’était parfait. D’ailleurs, merci. Je n’aurais pas trouvé tout seul.
— C’est pas simple quand on ne connaît pas, surtout avec la nuit.
— C’est clair, merci encore.
— Allez, on ne va pas traîner, on a encore de la route, fait Jérém, en attrapant son gros sac de sport pour le fourguer dans la malle de ma voiture.
— Salut, Laurent, fait-il en claquant la bise à son pote, et au plaisir de te retrouver sur le terrain…— Je suis sûr que tu vas bientôt être sélectionné… les quelques minutes où je t’ai vu jouer, je t’ai trouvé formidable.
— Ah, mais tu as joué finalement ? je demande, l’air surpris.
— C’était pas prévu, mais j’ai remplacé un gars en fin de match…— Et alors, qui a gagné ? je veux savoir.
— Personne n’a gagné, fait Laurent, taquin.
— On vous a écrasés, fait Jérém.
— Tu parles… deux points d’écart… c’est pas une victoire, c’est une ruse de Parigot…— Je ne suis pas Parigot !
— Pardon, pardon, le Toulousain ! Allez, bonne chance à toi, Jérémie, je suis sûr que tu as une belle carrière devant toi.
— Je l’espère… »
« Tu as fait bonne route ? me questionne Jérém, alors que je viens tout juste de redémarrer.
— Pas mal, ça roulait bien. »Nous venons de laisser la place derrière nous, lorsqu’il me lance :« Tu veux bien te garer, Nico ?
— Me garer ? je fais, interloqué.
— Oui, tiens, regarde il y a des places là…— Pourquoi tu veux que je me gare ?
— Parce que je crois que j’ai oublié un truc…— Quel truc ?
— Gare-toi, s’il te plaît…— D’accord, d’accord. »Les places vides sont nombreuses, je me faufile facilement entre deux voitures. Jérém coupe le contact, se tourne vers moi et me lance, la voix cassée par l’émotion : « Tu ne peux pas savoir comment je suis heureux que tu sois là… »Et sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il glisse ses bras autour de mon torse, il se penche vers moi, il m’attire vers lui, et m’embrasse comme un fou.
J’ai envie de pleurer, et je pleure de bonheur. Nous nous embrassons longuement, nous nous caressons, nous nous câlinons et ça nous fait un bien fou.
« Moi aussi je suis content d’être là ! » j’arrive à lui glisser lorsque nos lèvres se décollent enfin.
Pendant la petite heure que dure le voyage vers Campan, Jérém me parle de sa nouvelle équipe, de ses nouveaux potes, et du nouveau départ qu’il est en train de prendre dans le rugby grâce à cette chance merveilleuse.
« Je ne sais pas encore quand je vais être titulaire dans un match de championnat, mais je me sens prêt, et ça me tarde ! Aujourd’hui, quand j’ai fait ce petit remplacement, tu peux pas savoir comme j’étais heureux ! »En effet, il a l’air heureux comme un gosse à Noël, et c’est beau à voir.
« Je peux fumer ?
— Oui, bien sûr… »Jérém sort le paquet de clopes, il en attrape une, puis l’allume. Dans sa main, je reconnais le briquet que j’avais acheté dans la superette de Martine à Campan au moment de nous séparer, il y a un an, jour pour jour. Ça aussi, ça compte beaucoup pour moi.
« Je n’y croyais plus, tu sais ? il enchaîne. Ça faisait des mois que je me disais qu’en vrai j’étais nul au rugby et que je ne serai jamais un joueur pro ! Ulysse a vraiment été formidable, encore une fois !
— Je suis vraiment heureux pour toi, Jérém !
— Merci Nico.
— Au fait, tu crèches toujours chez Ulysse ?
— Oui, mais plus pour longtemps.
— Tu as trouvé un autre appart ?
— L’équipe m’en a trouvé un dans le 17ème. J’emménage le week-end prochain.
— C’est cool ! Tu as besoin d’aide ? » je lui demande, dans un élan irrépressible.
Un élan qui ne tient ni compte du fait que je ne connais pas encore ses intentions pour « nous » à l’avenir, ni du grand mal que j’aurais à expliquer à Ruben un nouveau week-end « à Toulouse ». Mais depuis ces distances, distance physique de Ruben, distance temporelle du week-end prochain, et porté par le bonheur de l’instant, tous les options me paraissent possibles et envisageables.
« Non, tu sais, je n’ai pas grand-chose à déménager… ça tient largement dans ma voiture ! »Eh oui, il y a ça aussi, c’est pas comme s’il avait des meubles à faire suivre.
« C’est vrai, je suis bête.
— Non, Nico, tu n’es pas bête. Et je suis touché par ta proposition » fait le bobrun, en posant sa main chaude sur ma cuisse. Ce petit contact me fait frissonner.
Jérém incline un peu son siège et se cale contre le dossier, la nuque posée contre l’appui-tête. Puis, il lâche un grand soupir, et ferme les yeux.
« Ça va ? je le questionne.
— Très bien. Je suis juste fatigué. En vrai, je suis vraiment naze. Je ne me souviens pas d’avoir été aussi naze…— C’est l’âge, monsieur, je le charrie…— Quoi ?
— Bah oui, bientôt 21…— Mais ta gueule ! C’est surtout les entraînements et la muscu, oui ! Cette semaine je n’ai pas arrêté. Et puis, j’ai trop bu ce soir… je suis KO.
— On est bientôt arrivés, je pense…— Moi non plus, je n’y croyais plus, tu sais ? j’enchaîne de but en blanc.
— Je t’ai beaucoup fait attendre, je sais, fait le bobrun en saisissant parfaitement le sens de mes mots.
— Ne me fais plus un coup comme ça, Jérém.
— Promis, Nico, promis ! »
Lorsque le panneau Campan apparaît dans le cône de lumière de mes phares, il pleut. Je regarde Jérém et je réalise qu’il s’est assoupi. Je rate l’embranchement du chemin qui mène à ce Paradis sur terre qu’est la petite maison en pierre, et je me retrouve au village. La pluie tombe sur la petite place comme il y a un an. Sur ma gauche, l’allée bordée d’arbres où je me suis garé il y a un an. La masse solennelle de la grande halle s’impose à mon regard malgré une illumination publique faible.
Et mon esprit est happé par les souvenirs. Je me vois descendre l’allée, le cœur prêt à exploser, je me vois marcher vers la halle, vers le garçon que j’aime, tiraillé entre le bonheur de le retrouver et la colère qu’il ait fallu tant morfler avant cet instant inespéré. Je me souviens de notre baiser, son véritable premier baiser.
Un an plus tard, le scénario se répète. Qu’est-ce que ça me fait mal à chaque fois le voir s’éloigner de moi, et penser que je vais le perdre. Et pourtant, qu’est-ce que c’est bon, à chaque fois, ces retrouvailles ! Je regarde Jérém assoupi dans la pénombre de ma voiture, beau comme un enfant. J’écoute sa respiration, et je suis heureux, tellement heureux.
Je fais demi tout et je reprends la route. Je roule doucement, je repère enfin le fameux embranchement, et je m’engage dans la petite route. Je reconnais chaque virage, je retrouve chaque émotion. J’arrive dans la petite cour, et je me gare. Et là, à ma grande surprise, alors que je m’attendais à retrouver la petite maison complètement plongée dans le noir, je remarque une lueur mouvante à travers les vitres des petites fenêtres.
Jérém dort toujours. Ça me fait mal au cœur de le réveiller, mais il le faut pourtant.
« Jérém…— Quoi ? il marmonne en se retournant de l’autre côté.
— Nous sommes arrivés… »Aucune réponse vient de sa part.
« Jérém !
— Laisse-moi dormir !
— Tu seras mieux dans la maison et dans un lit, non ? »Un grognement prolongé est sa seule réponse.
« En plus, j’ai l’impression que la cheminée est allumée…— Quoi ? fait le bobrun en se redressant d’un bond. Ah tiens, oui c’est vrai…, il fait hagard, d’une voix pâteuse.
— Quelqu’un a dû l’allumer, je considère.
— J’ai ma petite idée, fait le bobrun en ouvrant la porte de la voiture.
— Mais putain, il pleut toujours ici ! » il s’exclame, agacé.
Nous sortons de la voiture et nous courons vers le petit appentis devant la maison. L’odeur de bois qui brûle saisit mes narines, « and I feel like home ».
Jérém attrape la clé cachée dans un trou entre deux pierres du mur de façade et ouvre la porte. Une intense chaleur nous accueille, nous enveloppe.
Jérém essaie d’allumer la lumière, mais rien ne se passe.
« Merde, il y a encore une couille ! »Il s’avance vers la table, d’un pas titubant. Un petit papier y est posé, bloqué par une baguette. Je le lis avec lui :
Charlène m’a dit que tu voulais à tout prix dormir chez toi, alors je me suis dit qu’un peu de chaleur et une baguette pour le petit déj te seraient agréables. A demain, champion. Jean Paul.
« Ça fait du bien d’avoir des potes », il lâche, la voix basse. Puis, il se dirige vers la cheminée, et il ajoute quelques bûches par-dessus les braises.
L’appel du sommeil est plus fort que tout. Un instant plus tard, le bobrun est assis sur le bord du lit en train de se déshabiller machinalement. Je le regarde quitter son blouson d’étudiant, faire apparaître son t-shirt blanc divinement ajusté à sa plastique, ses biceps, ses tatouages. C’est beau à en pleurer. Je le regarde quitter ses baskets, son jeans, garder son boxer à la poche bien remplie et se glisser direct sous la couette.
Je me déshabille à mon tour et je le rejoins. Je le prends dans mes bras, je le serre très fort contre moi, je l’embrasse comme un fou. Je n’arrive pas encore à croire que je suis avec Jérém, à Campan, dans la petite maison, et que nous nous sommes retrouvés.
J’ai envie de lui. Je glisse mes mains sous son t-shirt, je rencontre ses poils, je cherche ses tétons. Le bobrun frissonne. Je soulève le t-shirt, je plonge mon nez dans ses beaux poils bruns, je m’enivre de la délicieuse fragrance de sa peau mate. Puis, sans plus attendre, ma langue et mes lèvres sont attirées par ses tétons somptueux.
« Nico… je ne vais pas pouvoir ce soir… »Ah, zut…« Ça ne fait rien, je lui glisse sans hésiter.
— Je suis désolé…— Je te dis que ça ne fait rien, vraiment.
— Mais tu en as envie…— Bien sûr que j’en ai envie, mais le plus important, c’est de t’avoir à côté de moi.
— Moi aussi, j’en ai envie… mais là, je suis vraiment HS…— On s’en fout !
— J’ai froid…— Viens par là… je lui glisse, tout en remettant le devant du t-shirt à sa place, et en le serrant un peu plus fort encore dans mes bras.
— Merci Nico…— Je suis heureux.
— Moi aussi. »Jérém se tourne sur le côté, et je me cale contre son corps musclé et chaud, je plonge mon visage dans ses cheveux bruns. C’est tellement bon que j’ai envie de pleurer.
Jérém glisse très rapidement dans un sommeil profond. Je reste un bon petit moment à écouter sa respiration, à humer le bouquet olfactif qui se dégage de sa peau, à considérer le doux bonheur de cet instant magique.
Lorsque j’émerge de mon sommeil, il fait toujours nuit. Je cherche Jérém dans le lit, mais je ne le trouve pas. Je balaie la petite pièce du regard et je le trouve assis contre la cheminée en train de fumer.
« Je t’ai réveillé… désolé, il me glisse à mi-voix.
— J’ai un sommeil léger… »Le bobrun jette son mégot dans le feu. Puis, il se lève, ôte son t-shirt d’un geste nonchalant et pourtant chargé d’un érotisme fou, me claque à la figure ses pecs et ses tablettes de chocolat, et vient me rejoindre au lit. Il se glisse sous la couette, puis se glisse sur moi. Il me regarde droit dans les yeux, il passe sa main dans mes cheveux, il me caresse doucement. Ses lèvres cherchent les miennes, nos langues se rencontrent. C’est doux et terriblement excitant.
Peu à peu, les baisers deviennent plus coquins, les mains plus audacieuses. Nous sommes emportés par le désir fougueux. Jérém soulève mon t-shirt. Le contact direct avec sa peau chaude et sa douce toison mâle embrase mes neurones. J’ai envie de tout avec lui, de le sucer, de l’avoir en moi, mais aussi de me faire sucer et d’être en lui. J’ai envie de lui à un point indescriptible, et je ne saurais pas choisir quoi faire en premier.
Et c’est Jérém qui se charge de trancher. Au bout d’un long moment de câlins de plus en plus sensuels, le bobrun passe « aux choses sérieuses ». Pendant qu’il lèche fougueusement mes tétons, sa main se faufile dans mon boxer, saisit ma queue raide et commence de la branler.
Ses lèvres glissent le long de la ligne médiane de mon torse, en ponctuant ce délicieux petit voyage d’un chapelet ininterrompu de doux bisous. Le bobrun baisse mon boxer et me prend en bouche. Je frissonne. Il me pompe avec une douceur extrême, il me suce comme un mec amoureux, et c’est divinement bon. Je suis obligé de lui demander de ralentir pour ne pas jouir trop vite.
Mais ça n’y fait rien. Le simple fait de sentir sa langue s’enrouler autour de mon gland et ses lèvres enserrer ma queue me met dans un état d’excitation qui m’approche inexorablement de l’orgasme. Pour ralentir sa venue, je n’ai pas d’autre choix que de me faire violence, me retirer de sa bouche, alors que tout mon corps crie son envie de jouir. Mais je ne veux jouir si vite. Car il y a tant de plaisirs urgents qui se pressent à mon esprit avant l’apothéose des sens.
Comme le sucer, déjà. A mon tour, j’agace ses tétons, je m’attarde dans sa belle toison mâle brune entre ses pecs, je tâte ses pecs, ses biceps et ses abdos d’acier. Et je retrouve enfin, après des mois d’éloignement, sa belle queue raide et conquérante. J’ai eu quelques aventures, mais jamais je n’ai trouvé une queue aussi belle, aussi appétissante. Ça fait tellement de temps que je ne l’ai pas touchée, que le simple fait de la tenir dans ma main, dure, gonflée à bloc, brûlante, me bouleverse. C’est comme si je la voyais et l’empoignais pour la première fois.
Et en même temps, lorsque je la prends en bouche, ma langue et mes lèvres reconnaissent instantanément son gabarit, la texture de sa peau fine, le relief des veines qui la parcourent, le profil de son gland délicieux. C’est une sensation étonnante, que ce bonheur après une si longue privation.
Je le pompe comme un fou, excité par ses mains qui ne cessent de caresser mes tétons avec un doigté magique, ainsi que par le petit goût d’excitation qui ne cesse de suinter de son frein, comme un petit cadeau de retrouvailles.
« Attends, Nico, tu vas me faire jouir ! » je l’entends me glisser.
Et je continue de le pomper, car je veux le faire jouir, je veux retrouver son goût de mec, je veux m’enivrer de la puissance de ses giclées.
« Je ne veux pas jouir de suite, il insiste, tout en se retirant de ma bouche.
— J’en ai trop envie ! je proteste.
— Viens ! », il me lance, tout en écartant ses cuisses musclées, s’offrant à moi sans réserve. Le bogoss crache sur ses doigts et prépare son entrejambe pour se faire pénétrer.
Un instant plus tôt j’avais envie de recevoir son jus dans la bouche. Et là, en une fraction de seconde, mon envie a complètement changé de signe. Désormais, j’ai envie de pénétrer, de coulisser et de gicler dans son magnifique cul.
Au milieu de cette excitation de fou, mon esprit arrive quand-même à m’envoyer un flash de raison.
« Dis-moi, Jérém…— Quoi ?
— Est-ce que tu as pris des risques ?
— Non… enfin, pas trop, en tout cas. Et puis, à mon arrivé au club, j’ai eu droit à tous les bilans de santé qui existent. Tout était bon. Et… toi ?
— Non, je n’ai pas pris de risques… je… je me suis toujours… protégé…— J’ai envie de toi, Nico…— Moi aussi, j’ai envie de toi… »
Un instant plus tard, ma langue caresse son trou avec gourmandise. Le bobrun vibre d’excitation.
Je culpabilise par rapport à Ruben, je me sens mal à l’idée de lui mentir et de le tromper. Même si c’est avec Jérém. Et pourtant je ne peux pas ne pas m’abandonner à ce bonheur parfait.
Lorsque je sens mon gland vaincre la résistance de ses muscles et ces derniers enserrer ma queue, lorsque je retrouve la chaude douceur de son intimité, lorsque je me sens glisser en lui, là encore je ressens cette double impression de retrouver un Paradis perdu et d’en découvrir un tout nouveau.
Voir ce corps de dieu grec, ce torse, ces pecs, ces abdos, ces poils et cette gueule, sa belle petite gueule, ce jeune mâle imposant prendre manifestement du plaisir au gré de mes va-et-vient, l’entendre ahaner, gémir même, de bonheur, c’est juste inouï. Pour me convaincre que c’est bien réel, j’ai besoin de tâter ses biceps, ses pecs, de l’embrasser, de caresser ses cheveux, sans cesse.
En nous ayant longuement sucés à tour de rôle, nous nous sommes largement chauffés auparavant. Alors, lorsque Jérém plaque ses mains sur mes tétons et que ses doigts commencent malicieusement de les pincer, je me sens décoller. Mon orgasme se ramène au grand galop. J’arrive à le stopper, en arrêtant brusquement mes coups de reins.
« N’arrête pas, m’encourage le bobrun.
— Si je continue, je vais jouir…— N’arrête pas… »Je me penche sur lui et je l’embrasse. Le contact de mon torse avec ses poils est le frisson de trop, celui qui me fait perdre pied. Je me relève, alors que l’orgasme m’envahit. Je rencontre son regard, fixement braqué sur moi. Les yeux dans ses yeux, je jouis comme un malade.
Tu n’iras pas voir un autre gars pour faire ce que tu ne peux pas faire avec moi ?
Les mots et le regard de Ruben transpercent mon esprit pendant que je jouis.
Puis, assommé par l’intensité du plaisir qui a traversé mon corps comme une décharge de courant, je m’affale sur le torse de mon bobrun, j’atterris sur sa douce toison mâle, et je cherche l’apaisement dans le creux de son épaule. Ses bras se referment autour de mon corps, et je suis aux anges.
« Encore aujourd’hui je n’arrive pas à croire qu’un mec aussi viril que toi ait envie de ça, avec moi…— T’es le seul avec qui j’ai fait ça… t’es le seul parce que t’es un beau petit mec… et parce que je me sens bien avec toi. »Je le serre fort dans mes bras et j’ai envie de lui dire à quel point je l’aime, mais je me retiens. Je ne suis pas encore prêt, je ne sais pas si j’ai le droit de lui dire de tels mots.
« Tu as envie de jouir ? je le questionne.
— Et comment !
— Fais-moi l’amour, alors, je lui glisse, en me retirant de lui.
— Tu as envie, là, tout de suite ?
— Oui, grave ! »
Je m’allonge sur le dos et Jérém passe l’oreiller sous mes fesses. Ses mains écartent fermement mes cuisses alors que ses lèvres et sa langue donnent l’assaut à mon trou.
Son gland prend rapidement le relais, mais sans me pénétrer tout de suite. Je crève d’envie de le sentir venir en moi, de le sentir en moi, de le sentir coulisser en moi. Il le sait, et il me fait languir.
Lorsque sa queue essaie de se frayer un chemin en moi, il rencontre quelques difficultés. Je suis serré, et je ressens intensément chaque millimètre gagné par son bel engin. A un moment j’ai mal. Je n’ai pas besoin de le lui dire, il le ressent à la crispation de mon corps, et il se retire aussitôt. Il pose de nouveaux baisers sur mes lèvres, et un peu plus de salive entre mes fesses. Et il revient en moi. Cette fois-ci, il s’enfonce jusqu’à la garde. Je kiffe à fond me sentir rempli par ce beau manche bien chaud et bien raide. Et je kiffe tout autant voir mon Jérém frissonner de plaisir.
Le beau brun commence de me limer. Je le sens bien coulisser en moi, et c’est divinement bon. Son torse bien droit dégage une sensualité virile renversante. Je suis happé, hypnotisé par la puissance, la souplesse et la nonchalance de ses coups de reins. Tous mes sens sont en ébullition. L’amour avec Jérém, c’est un bonheur visuel, olfactif et sensuel inouï. Et lorsque ses mains se posent sur mes tétons, j’ai l’impression de décoller.
Et alors que je viens tout juste de gicler en lui, le beau brun n’a pas son pareil pour me faire me sentir à lui. J’ai envie qu’il me défonce, qu’il me baise pendant toute la nuit, j’ai envie qu’il gicle en moi, qu’il me remplisse. Mais ce n’est pas assez. Je ressens une envie déchirante de lui montrer à quel point sa virilité m’impressionne. Je tâte fébrilement ses biceps, ses pecs, une sorte d’hommage animal à la puissance sexuelle qui me rend dingue.
Puis, nos regards se happent, se verrouillent. Le sien est à la fois animal et tendre. Jérém me baise comme le plus chaud des amants, et en même temps il me fait l’amour les yeux dans les yeux, comme un garçon amoureux. L’animalité, la sensualité, la tendresse fusionnent dans un mélange de plaisir explosif.
« Je vais jouir, Nico… » je l’entends m’annoncer, la voix basse, alors que déjà son visage est traversé par la vague de l’orgasme.
Là encore, une note dissonante retentit dans cette parfaite symphonie du bonheur. Je réalise que même si Jérém me garantit d’être clean, ce qui est en train de se passer repousse mon test avec Ruben à la mi-décembre. Car au fond de moi je sais que je ne peux pas lui faire ça, je ne peux pas l’exposer à un risque, aussi minime soit-il, en plus de le tromper. Comment vais-je lui annoncer tout cela, alors qu’il est impatient de faire ce test (en fait, je commence à penser que si Ruben attend ce test avec tant d’impatience, c’est pour se sentir à l’aise pour se donner à moi) ?
En attendant (en attendant quoi ? est-ce que je vais oser recoucher avec lui, après avoir refait l’amour avec Jérém ? Est-ce que je ne vais pas avoir d’autre choix que de le quitter ?), je devrais même lui demander d’arrêter d’avaler. Comment vais-je pouvoir lui expliquer cela, alors qu’il kiffe à fond et que je kiffe à fond ?
Mais aujourd’hui, c’est aujourd’hui, et demain, c’est demain.
« Vas-y, fais toi plaisir…— Je vais te remplir le cul…— Autant que tu veux, beau mec ! »Jérém jouit, le regard planté dans le mien. Puis, il s’abandonne lourdement sur moi et me fait plein de bisous dans le cou. J’écoute sa respiration profonde, les battements rapides de son cœur. Je sens sa peau chaude et humide contre la mienne, je sens son poids sur moi, sa virilité en moi, et je suis bien.
Nous venons de faire l’amour, nous venons de nous faire l’amour l’un à l’autre. J’ai l’impression que nous venons carrément de donner un nouveau sens à l’expression « faire l’amour ».
Et pourtant, mon bonheur n’est pas parfait. Car il est une fois de plus parasité par le fantôme de Ruben, par la culpabilité et les remords. Pourvu que Jérém ne se rende pas compte qu’une partie de moi est ailleurs…Si seulement je pouvais être certain que ce bonheur est le début d’un bonheur en CDI avec lui, si seulement Ruben pouvait m’oublier en l’espace d’une nuit…
Il se passe un bon petit moment avant que le beau brun se relève et se retire de moi, l’air complètement à l’ouest, comme ivre.
« Ça va, Jérém ? je le questionne.
— Très bien… c’était trop bon… tu m’as assommé… toi, t’es une tornade au pieu !
— Et toi, donc !
— Moi, c’est normal, je suis un dieu du sexe !
— Petit con, va !
— T’as eu beaucoup de mecs cet été ? » il me questionne, de but en blanc.
Je suis étonné et gêné par sa question directe, sans détours. Je ne sais pas si j’ai envie de parler de ça avec lui. Je suis pris au dépourvu, je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas jusqu’où vont aller ces retrouvailles, mais ce que je sais, c’est que je ne veux pas risquer de les faire capoter en lui parlant de Ruben.
« Je t’ai laissé tomber comme un idiot, et je ne peux pas imaginer que tu m’aies attendu sagement depuis tous ces mois…— Pourquoi tu veux savoir ?
— Je pense que c’est mieux savoir que d’imaginer des choses. Après, c’est comme tu veux… »Je suis impressionné par la logique implacable de son raisonnement et par son ouverture d’esprit. Au fond, je sais qu’il a raison. Mais je ne peux m’empêcher de cogiter sur le fait que Jérém n’a pas l’air jaloux. En amour, nous avons un rapport ambigu avec la jalousie. Lorsqu’elle se manifeste à notre égard, nous nous sentons souvent étouffer. Mais lorsqu’au contraire elle ne se manifeste pas, nous nous sentons aussitôt délaissés.
Est-ce que Jérém veut savoir pour moi parce qu’il culpabilise vis-à-vis des aventures qu’il a eues ? Est-ce qu’il se dit que si moi aussi je me suis lâché, il culpabiliserait moins ? Ou bien, tout comme moi, certaines questions le taraudent et il veut en avoir le cœur net ? Vaut-il mieux faire semblant, garder chacun nos questions pour nous et les laisser empoisonner nos retrouvailles ? Ou bien vaut-il mieux savoir, et nous accepter tels que nous sommes ?
« Oui, ça m’est arrivé » je finis par admettre.
Bien évidemment, même si je pense à lui à cet instant précis, je me garde bien de lui parler de Ruben.
« Beaucoup de mecs ?
— Quelques-uns. Et toi ?
— Et c’était que des plans ?
— Oui, que des plans…— Rien de plus ? Jamais il y a eu un mec qui…— Non, non ! J’ai rencontré des gars juste pour baiser. » Je m’en veux de lui mentir, et je m’en veux aussi de renier le bonheur que j’ai vécu avec Ruben, de le piétiner de cette façon. Mais je n’ai pas le courage de lui dire que mon cœur a sautillé pour un autre garçon.
« Et toi, tu as fait des rencontres ? je détourne cette conversation qui commence vraiment à devenir embarrassante.
— Ça m’est arrivé aussi…— Avec des nanas ou des mecs ?
— Les deux… »Je prends ces deux petits mots comme un coup de poing dans le ventre. Au fond de moi, je m’en doutais. Mais l’entendre me le dire me fait un mal de chien.
« Tu as toujours envie de coucher avec des nanas ?
— Pas du tout !
— Et donc ?
— Et donc, quand je suis arrivé au Stade, j’ai eu besoin de me faire des potes tout de suite…— Et ça passe par le fait de baiser avec des nanas ?
— Ça passe par les sorties avant tout. Mais oui, baiser des nanas qui nous tournent autour pendant les soirées, et en parler après dans les vestiaires, ça en fait partie aussi. Si je ne faisais rien avec elles, ils se poseraient des questions. Je ne veux pas que les rumeurs recommencent à circuler. Me forcer à coucher avec des nanas, c’est une façon de me protéger.
— Tu ne pourras jamais arrêter de coucher avec des nanas, alors…— J’ai besoin de leur en mettre plein la vue, maintenant. Après, quand j’aurai gagné leur respect, je me calmerai.
— Et les gars, il y en a eu beaucoup ? j’enchaîne.
— Quelques-uns… mais pareil que pour toi, ce n’était que du cul. Personne ne compte à part toi, Nico… »
[Oui, Jérém, les quelques gars que tu as levé dans certains bars, tu les as baisés sans même te souvenir de leur prénom au moment où tu jouissais dans leur bouche ou entre leurs fesses.
Après, il y a bien un gars qui te fait craquer bien plus que les autres. Un gars qui t’inspire des branlettes quasi quotidiennes. Mais ce gars, ce blond magnifique, ce barbu bien viril au regard d’ange, tu sais qu’il t’est inaccessible].
« Tu es quelqu’un de spécial pour moi… et personne ne peut prendre ta place dans mon cœur… »
[Tu sais qu’au fond, c’est la vérité. Parce qu’avec Nico, tu te sens vraiment bien. Parce qu’il te fait te sentir bien. Et pourtant, quand tu es avec Ulysse, tu te sens bien aussi. Parce que lui aussi sait te faire te sentir bien. Parce qu’il est profondément bon avec toi. Et parce que tu te dis que dans ses bras tu te sentirais en sécurité, et que plus jamais tu aurais peur, parce qu’il saurait apaiser la solitude intérieure qui te hante].
Ses mots me touchent profondément. Et même si je ne peux m’empêcher de repenser au bonheur que j’ai ressenti avec Ruben à certains moments, le bonheur de cet instant est si grand, si fort, et si aveuglant, qu’il fait tout disparaître derrière lui.
« Toi aussi tu es le seul qui fait battre mon cœur de cette façon, je lui glisse, en saisissant sa main avec la mienne et en la posant sur ma poitrine.
— Mon petit Nico, mon Ourson ! » s’exclame Jérém, tout en me prenant dans ses bras et en me serrant très fort contre lui.
Mon bonheur est si fort que je ne peux que l’exprimer avec les mots les plus forts qui existent, les larmes aux yeux :« Je t’aime, P’tit Loup ! »
Notes de l'auteur.
1/ Les réflexions de Nico pendant le voyage vers Campan sont inspirées du texte de la chanson « Vedi cara » de Francesco Guccini. Merci à FanB pour m’avoir fait découvrir cette très belle chanson.
https://www.youtube.com/watch?v=GuXbAC5zsEc
Merci FanB pour ton travail de correction et ton regard positivement contradictoire sur mes textes.
2/ Le chat Discord de Jérém&Nico est toujours ouvert et Yann y poste régulièrement des sujets aussi intéressants que variés.
Merci Yann pour ton travail.
https://discord.com/channels/717731300680925277/717736066915762207
3/ Médecins gay friendly.
Dernièrement, Yann a fait un focus sur Discord (lien ci-dessus) au sujet des médecins gays friendly.
Il n’est pas toujours aisé de raconter son intimité à un médecin, notamment ce qui touche à la sexualité, et encore moins la sexualité homosexuelle, et aux maladies inhérentes. On a parfois peur de « se taper la honte ».
Or, si on ne peut pas tout dire à son médecin, on ne peut pas être
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1 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Ces retrouvailles entre Jerem et Nico sont assez inattendues. J'ai adoré, même si je me dis que quelque part ça ne règle rien entre eux. Après avoir été recruté par le Stade de France, Jérém a retrouvé confiance en lui et revient vers Nico, mais il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas encore prêt à s'assumer devant ses coéquipiers et que, pour couper court aux rumeurs, il couche avec des filles. Nico s'est montré très lucide, et même s'il a quand même cédé à la tentation de revoir Jérém. Je pense qu'une discussion sera nécessaire entre eux, car Nico ne veut pas revivre une troisième fois une nouvelle déception. Avoir accepté de revoir Jérém ne le place pas dans une situation facile que ce soit vis-à-vis de Jérém ou de Ruben. Sans présager de ce qui va se décider pendant ces deux jours à Campan, j'ai quand même à l'esprit qu'il passera le réveillon du nouvel an avec Ruben.
Il y a aussi dans cet épisode un passage très touchant où, plusieurs années après, c'est Nico le narrateur de son histoire qui parle de sa relation avec Jérém et de ce qu'elle avait de compliqué.
" J’aurais aimé que ma présence suffise à Jérém pour être bien, pour éloigner ses fantômes. Mais ce n’était pas possible, pas toujours. Et cela me faisait énormément souffrir.
J’ai réalisé plus tard, avec plus de maturité et plus de recul, que j’étais « beaucoup » pour lui… mais qu'il avait parfois besoin de prendre le large. Je n’étais peut-être pas toujours suffisant pour faire son bonheur, mais j’étais nécessaire. A ce moment-là, ses blessures étaient trop profondes pour espérer les soigner avec l’amour, si grand soit-il. J’aurais dû être plus patient."
Je voudrais aussi ajouter que, passé l'effet de surprise de ces retrouvailles inattendues, j'avoue ressentir de la tristesse. D'abord parce qu'après cette pause de quelques mois, durant laquelle Jerem voulait prendre du recul, il n'a pas vraiment progressé. Même s'il accepte d'avoir tous les torts, il n'a rien d'autre à offrir à Nico que de continuer à le voir épisodiquement sachant qu'il va tout faire pour entretenir l'illusion qu'il est hétéro et qu'il ne prendra aucun risque de ce côté. On le voit bien, quand il écarte la proposition de Nico pour l'aider à déménager. Il se condamne, et Nico par la même occasion, à se voir en catimini pour du sexe, mais ne se donne pas la possibilité d'avoir une vie de couple, sortir ensemble au resto, dans les bars, au ciné, en boîte et de pouvoir se tenir par la main sans crainte d'être vus. Ce qui m'attriste aussi, c'est que, quelque part, je trouve Jérém profondément sincère. Simplement, il veut deux choses incompatibles. Etre avec Nico, mais sans que cela soit su ou vu et ce n'est pas à cela qu'aspire Nico. Il est difficile d'être un couple gay dans une société majoritairement hétéro sans accepter de prendre sur soi.
Il y a aussi dans cet épisode un passage très touchant où, plusieurs années après, c'est Nico le narrateur de son histoire qui parle de sa relation avec Jérém et de ce qu'elle avait de compliqué.
" J’aurais aimé que ma présence suffise à Jérém pour être bien, pour éloigner ses fantômes. Mais ce n’était pas possible, pas toujours. Et cela me faisait énormément souffrir.
J’ai réalisé plus tard, avec plus de maturité et plus de recul, que j’étais « beaucoup » pour lui… mais qu'il avait parfois besoin de prendre le large. Je n’étais peut-être pas toujours suffisant pour faire son bonheur, mais j’étais nécessaire. A ce moment-là, ses blessures étaient trop profondes pour espérer les soigner avec l’amour, si grand soit-il. J’aurais dû être plus patient."
Je voudrais aussi ajouter que, passé l'effet de surprise de ces retrouvailles inattendues, j'avoue ressentir de la tristesse. D'abord parce qu'après cette pause de quelques mois, durant laquelle Jerem voulait prendre du recul, il n'a pas vraiment progressé. Même s'il accepte d'avoir tous les torts, il n'a rien d'autre à offrir à Nico que de continuer à le voir épisodiquement sachant qu'il va tout faire pour entretenir l'illusion qu'il est hétéro et qu'il ne prendra aucun risque de ce côté. On le voit bien, quand il écarte la proposition de Nico pour l'aider à déménager. Il se condamne, et Nico par la même occasion, à se voir en catimini pour du sexe, mais ne se donne pas la possibilité d'avoir une vie de couple, sortir ensemble au resto, dans les bars, au ciné, en boîte et de pouvoir se tenir par la main sans crainte d'être vus. Ce qui m'attriste aussi, c'est que, quelque part, je trouve Jérém profondément sincère. Simplement, il veut deux choses incompatibles. Etre avec Nico, mais sans que cela soit su ou vu et ce n'est pas à cela qu'aspire Nico. Il est difficile d'être un couple gay dans une société majoritairement hétéro sans accepter de prendre sur soi.