0318 Une nouvelle année et son lot de surprises.

- Par l'auteur HDS Fab75du31 -
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Auteur homme.
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Récit libertin : 0318 Une nouvelle année et son lot de surprises. Histoire érotique Publiée sur HDS le 22-02-2023 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0318 Une nouvelle année et son lot de surprises.
Janvier 2003

Jérém.

Pour toi, ailier vedette de l’une des équipes les plus puissantes du Top16, la nouvelle année démarre comme sur des roulettes. Dès le premier match à la reprise du championnat, tu renoues avec une belle forme sportive et de belles prestations. Et ce, malgré l’absence d’Ulysse sur le terrain. Ton coéquipier n’est pas encore complètement remis de sa blessure, les médecins lui ont conseillé de prendre deux semaines de repos supplémentaires. Mais tu arrives quand même à marquer. Une fois, deux fois, trois fois. Tes coéquipiers te félicitent. A la mi-temps, le coach a l’air tout excité comme quand la victoire se profile. Le stade exulte à chacun de tes exploits. Tu te sens bien, tu te sens à ta place. Être admiré, reconnu, aimé, c’est tout ce que tu as toujours voulu par-dessus tout. Et là, ce stade en fibrillation, cette foule qui chante, qui encourage, qui te porte, qui génère cette vibration puissante que tu sens sous tes pieds et qui remonte jusqu’à ton cœur, tout cela ressemble à une sorte d’ivresse, comme l’effet d’un joint, qui te fait perdre pied, et foncer, planer, foncer toujours plus.
Le coup de sifflet scelle la première victoire de l’équipe depuis un mois. Une victoire franche, spectaculaire. Une victoire dont tu n’es pas le seul auteur, mais à laquelle tu as largement contribué. Une très belle façon de démarrer la nouvelle année.
— Tu as fait un match splendide, Jé ! te balance Uly, venu carrément te féliciter sur le terrain, en te prenant dans ses bras et en t’enivrant avec la puissance de son corps et la douce virilité de son parfum.
C’est la première fois qu’il te prend dans ses bras depuis des semaines. Depuis le petit accident avant Noël, tu évites le contact physique avec lui. Pour ne pas qu’il pense que tu le harcèles. Pour ne pas le mettre mal à l’aise. Pour ne pas te mettre mal à l’aise.
Uly a été super avec toi quand tu lui as montré que tu avais envie de lui. Il ne t’en a pas voulu le moins du monde. Mais le malaise que cela a provoqué en toi ne s’est toujours pas complètement dissipé. Même après l’explication au réveillon de la nouvelle année.
Et de toute façon, même si tu sais désormais qu’il t’est définitivement inaccessible, ton attirance pour lui est toujours là. Ça ne t’est pas arrivé souvent qu’on te résiste. Et tu le trouves encore plus sexy, comme si c’était possible. Et cette accolade amicale dans l’élan de la liesse de la victoire te fait du bien autant que ça te vrille les tripes. Quand tu penses tout le bien que tu voudrais lui faire et tu ne pourras jamais… tu te dis, quel gâchis !
— Tu as vu ? Tu te débrouilles très bien sans moi ! il te glisse à l’oreille.
Son souffle chaud sur ton oreille te donne des frissons.
— Imagine ce qu’on aurait pu faire tous les deux !
— T’inquiète, je vais pas tarder à revenir !
Une caméra et un micro t’attendent une fois de plus en embuscade à l’entrée des vestiaires. Tu sais que c’est encore pour ta gueule. Tu détestes ça, tu n’as vraiment pas envie de te prêter à cet exercice. En fait, t’as juste envie de passer à la douche. Mais la direction a été claire, on ne refuse jamais une interview. Alors, tu sais que tu ne peux pas y échapper.
— Quel match, Jérémie ! te lance le journaliste, comme s’il était ton pote.
Il est pas mal, tu te dis que tu le baiserais bien.
— Euh… merci…
— Il semblerait que le Stade retrouve enfin sa forme. De beaux matches en perspective ?
— L’avenir nous le dira. Pour l’instant, on se contente de travailler et de nous préparer au mieux.
— Le tandem avec Klein t’a moins manqué que lors des derniers matches, on dirait…
— Le Stade est une grande équipe avec de grands joueurs. Mais Ulysse est un très bon élément, et il apporte énormément à notre jeu.
— Il doit te tarder qu’il retrouve le chemin du terrain !
— Evidemment !
— C’est pour bientôt ?
— C’est aux soignants de le dire !
— Merci Jérémie ! Et encore félicitations pour ton match !
— Merci.

Nico.

Pour moi, l’année 2003 démarre dans une morosité persistante. Je pense toujours à Jérém. Il me manque, chaque jour un peu plus. Je repense souvent à ce mot, « un homme », qu’il a si clairement et si sonorement prononcé au sujet d’Ulysse. « Un homme », c’est ce qu’était mon cousin Cédric aux yeux de Papa un jour de la Toussaint il y a quelques années déjà, alors qu’il me voyait toujours comme un gamin à ce moment-là. « Un homme », c’est ce qu’est Ulysse aux yeux de Jérém, alors qu’il ne me voit probablement lui aussi que comme un gamin immature. « Un homme », c’est ce dont il semble avoir besoin. Ça avait l’air si clair dans sa tête ! Je me dis qu’il doit ressentir et ressasser cela depuis un certain temps. Ça fait un mal de chien de réaliser qu’on n’arrive pas à combler les attentes et les besoins de celui qu’on aime.
Ça fait mal, mais le pire c’est que je n’arrive même pas à lui en vouloir.
Je repense au chemin parcouru par ce garçon, d'abord tombeur de nanas, qui au début de notre relation ne voulait que me baiser et qui refusait catégoriquement d’assumer son penchant pour les garçons. Même s’il n’est toujours pas prêt à vivre tout ça au grand jour (et pour ça, je ne peux pas lui en vouloir, son contexte familial, et plus encore le contexte professionnel, n’étant pas vraiment propices à cela), il a fini par accepter sa vraie nature.
J’ai le sentiment que le plaisir et les bons moments que nous avons vécus ensemble n’y sont pas pour rien dans ce cheminement. Je pense que notre relation lui a montré qu’il pouvait être aimé, qu’il le méritait, et que son destin n’était pas d’être toujours abandonné par ceux qu’il aime.
Mais aujourd’hui, je ne lui suffis plus.
J’ai toujours pensé que Jérém et moi étions plutôt différents. Au final, je réalise que nous sommes semblables dans ce besoin que nous avons d'être rassurés par l’autre. En avançant dans ma vie, je finirai par comprendre qu’au fond de soi, tout le monde a besoin d’être rassuré. Certains le montrent, d’autres pas.
Jérém a le mérite d’avoir été franc. Je comprends tout à fait qu’il puisse être fasciné par un gars comme Ulysse. Un gars qu’il voit chaque jour, alors que je suis loin.
Parfois j’ai envie de monter à Paris pour aller le voir, pour tenter de lui rappeler à quel point l’histoire d’Ourson et de P’tit Loup était belle. Mais au fond de moi je sais ça ne servirait à rien. L’attirance ne se commande pas, ne se raisonne pas. Pas plus que les sentiments. Et aujourd’hui, l’une et les autres l’amènent vers son coéquipier.
Je préfère le savoir heureux loin de moi que malheureux avec moi. Je l’aime et je sais qu’il m’aime. Mais parfois s’aimer ne suffit pas pour se rendre heureux.
J’essaie de me réconforter en repensant aux mots de Thibault : « Parfois, il faut faire de grands détours pour arriver là où on est destinés à nous rendre ».
Mais cela ne suffit pas à calmer ma tristesse, le sentiment de manque, le sentiment de terrible gâchis.
Janvier avance, et ma morosité ne fait que s’installer chaque jour un peu plus. Notamment lorsque je me retrouve seul. Voilà pourquoi j’accepte si volontiers la main tendue de Ruben, ses élans vers moi, sa tendresse.
Pour ne pas vivre seul…

https://www.youtube.com/watch?v=5WKGwRqRok8

Un soir, le petit Poitevin me propose de mater un DVD. Dès les premières images, ce dessin animé me ramène deux ans en arrière, dans une autre ville, dans un autre appartement, à un autre garçon. Ruben lance le DVD d’Aladdin et je me retrouve propulsé au printemps 2001, à Toulouse, dans un appart au rez-de-chaussée non loin de la Halle aux Grains, en compagnie d’un adorable garçon prénommé Stéphane. Ainsi que de Gabin, son labrador noir, cet être tout poils et amour qui a permis notre rencontre.
Je me souviens de la douceur de ce garçon. Jérém a été mon premier. Mais Stéphane a été le premier à me montrer que l’amour et le plaisir entre garçons pouvaient être plein de tendresse. Thibault me le montrera également par la suite. Bien avant les premières retrouvailles de Campan, bien avant que Jérém ne me laisse entrevoir que derrière le mâle baiseur se cachait un garçon sensible et adorable.
Je me souviens que je m’étais endormi devant Aladdin. Et je me souviens qu’à mon réveil, Stéphane était en train de cuisiner un risotto.
Ça fait un moment que je n’ai pas eu de ses nouvelles. J’espère que sa vie en Suisse se passe bien. Je me demande s’il a rencontré quelqu’un.
Cette fois-ci, c’est Ruben qui s’endort devant Aladdin, la tête appuyée contre mon épaule. Je le regarde dormir, les lèvres entrouvertes, les paupières abandonnées, une expression enfantine sur le visage.

Ruben est un garçon vraiment touchant. Il m’attendrit. Il est aux petits soins avec moi, et son enthousiasme vis-à-vis de notre couple est touchant. Car il considère que nous en sommes un. J’aimerais pouvoir ressentir la même chose, avec le même enthousiasme, avec le même entrain. Hélas, ce n’est pas le cas.
En attendant, de l’entrain le petit Poitevin, en a pour deux. Il est adorable, et il fait tout ce qu’il peut pour me faire me sentir bien avec lui. Je sens qu’il tient vraiment à moi. Ça me touche. Mais ça ne m’empêche pas de penser à Jérém dès que je suis seul. Et parfois même quand je suis avec lui. Même lorsque nous nous faisons des câlins, ou lorsque nous faisons l’amour, il m’arrive de penser à mon beau brun. Il me manque à en crever.
Je n’arrive pas à arrêter de me questionner sur le sens de ce coup de fil le soir du réveillon du 31, suivi de son mutisme après mes rappels et mes messages du lendemain et des jours suivants. Et de ce message, « oublis c était un erreur », qui ne me satisfait pas, auquel je n’arrive pas à croire.
Est-ce qu’il m’a appelé à un moment où il était saoul, et il a regretté de l’avoir fait une fois ses esprits retrouvés ? Qu’est-ce qui s’est passé dans sa tête lorsqu’il a composé mon numéro cette nuit-là ? Que se serait-il passé si j’avais décroché ? Que m’aurait-il dit ? Je ne le saurai jamais.
Alors, je ne peux m’empêcher de regretter amèrement de ne pas avoir pu lui répondre, d’avoir éteint le téléphone pour ménager Ruben. Je sais pertinemment que si Jérém essayait de revenir vers moi, Ruben ne ferait pas le poids, malgré tout son amour. Je m’en veux de ne pas savoir l’aimer comme il le mérite. L’idée de le faire souffrir un jour me meurtrit.
Non, l’attirance ne se commande pas, ne se raisonne pas. Pas plus que les sentiments. Et aujourd’hui, l’une et les autres m’amènent toujours vers le seul garçon qui a su ravir mon cœur.

Jérém.

Les matches des journées de janvier sont tous bons. Fin janvier, ton pote Ulysse revient enfin sur le terrain. Le Stade semble lancé comme une fusée et personne ne semble pouvoir vous résister. Dans la presse sportive, on commence à envisager que ton équipe puisse soulever le Brennus au mois de juin.
L’entraîneur est content, les dirigeants viennent vous féliciter dans les vestiaires à la fin des matches. D’importantes rallonges de salaire sont à la clé. Jamais tu n’aurais cru gagner autant d’argent à 21 ans. Tu ne sais même pas quoi en faire. Alors tu claques sans compter. Tu achètes une nouvelle voiture, une allemande aux quatre anneaux entrelacés, sportive, coupée, d’un beau bleu métallique. Elle peut monter jusqu’à 270 km/heure. Tu envoies aussi de l’argent à Maxime.
Oui, en ce début d’année, tout semble te réussir. Parfois, tu ressens la sensation d’être invincible. Qu’elle est grisante cette illusion propre à la jeunesse ! Fausse, mais grisante.
Alors, la fac, tu t’en branles désormais. Tu te dis que ça ne sert à rien, et que tu n’as pas de temps à perdre pour ces conneries. Quand tu n’es pas aux entraînements ou aux matches, tu n’as qu’une envie, celle de faire la fête.
Il a fallu que le coach menace de ne pas te mettre titulaire pour que tu reviennes sur ta décision d’abandonner les études.
— Tu verras, petit con, tu me remercieras plus tard !
— C’est ça, oui !
— Tu sais, Tommasi, aujourd’hui tu as du mal à l’envisager, mais un jour tout ça pourrait bien s’arrêter. Mais je te le dis, tout ça, ça va bien s’arrêter un jour. Et le pire, c’est que personne ne peut dire quand cela va se produire. Et quand ce moment vient, si tu n’as pas un plan B pour rebondir, tu vas être complètement largué. J’en ai vu des jeunes joueurs comme toi qui ne voulaient que taper dans le ballon et faire la fête. Quand ça s’est arrêté pour eux, ça a très mal tourné. Prépare-toi une voie de secours, mec, juste au cas-où. Tu sais, il suffit de si peu pour que tout s’arrête d’un coup.
Mais tu ne crois pas ses mots. Tu reprends le chemin des cours, mais à contrecœur. De toute façon, tu t’en fiches. Tu n’en branles pas une, tu triches aux exams, ça passe. Tu es un sportif de haut niveau, et à la fac tu as une sorte de pass coupe-file. Les autres étudiants en cursus normal savent qui tu es et que tu as un traitement de faveur parce que tu sais taper dans un ballon. Tu sens leur hostilité. Mais tu t’en tapes, tu n’es pas là pour te faire des potes.
Tout ce qui compte pour toi aujourd’hui, c’est le rugby. Entendre ton nom annoncé dans le stade à chaque fois provoque en toi une sensation de dingue. Au fond de toi, tu n’arrives toujours pas à croire que tu es titulaire dans la plus puissante équipe du championnat. C’est incroyable, oui, mais jouissif.

Nico.

En début d’année, je valide de nouveaux partiels. Je révise avec Monica et Raph et ça ne se passe pas trop mal. Je me demande si Jérém a validé les siens. Je me demande surtout s’il va toujours à la fac. Je me demande ce qu’il fait. Je me demande s’il s’est passé quelque chose entre Ulysse et lui. Je me demande s’il pense à moi. Je me demande si je lui manque parfois un dixième du centième de combien il me manque.
Je ne peux arrêter de me demander pourquoi, alors que nous nous aimons comme des fous, nous n’arrivons pas à nous rendre heureux. Pourquoi je n’arrive pas à le rendre heureux, à le combler ? Pourquoi je n’arrive pas à trouver les mots pour lui expliquer combien je l’aime ?
Peut-être parce que c’est difficile de parler à ceux qu’on aime.
Soudain, je pense à ce qui s’est passé entre Papa et moi, à notre dispute, à notre éloignement. Et à notre réconciliation récente. Nous n’avons jamais su nous parler. Mais j’ai su lui écrire. Et nous nous sommes retrouvés, alors que notre incompréhension semblait insurmontable.
Ma lettre semble avoir eu le pouvoir d’amorcer ce petit miracle. Elle a réussi, là où les mots de visu ont échoué. Peut-être que je suis meilleur à l’écrit qu’à l’oral. Je suis meilleur là où je peux tout contrôler, là où je peux me reprendre autant de fois que nécessaire, là où la pression du regard de l’autre ne me fait pas perdre tous mes moyens. D’ailleurs, ça a toujours été le cas à l’école.
Peut-être que je devrais écrire à Jérém. Mais pas un SMS. Je pense plutôt à une lettre. Une lettre sur laquelle je prendrais le temps d’exprimer ce que je ressens au plus profond de moi. Une lettre écrite de ma main, noir sur blanc. Une lettre pour marquer le coup, pour marquer son esprit.

C’est ce à quoi je m’attèle à la mi-janvier.

Je sais que Jérém n’est pas un fou de lecture, alors je sais que je dois faire court. Une page au plus, si je veux qu’il la lise. Ça prend beaucoup d’énergie que de mettre des mots sur ses propres ressentis, d’ouvrir son cœur. J’écris longtemps. A la fin de la première session, j’ai gratté douze pages. Je reprends tout depuis le début, et j’arrive à réduire à sept. Je reprends encore, j’arrive à cinq. Puis trois. Je relis sans cesse mes phrases, je réorganise, j’affûte mes tournures, jusqu’à leur donner une cohérence qui me satisfait. Au final, je parviens à seulement deux pages. Je suis épuisé, je ne peux pas faire moins. C’est énormément de travail que de faire court et simple.

Salut Jérém, « mon » p’tit Loup,

J’espère que tu vas bien, et que tout se passe bien pour toi.
Je sais que tu casses la baraque au Stade et je suis heureux pour toi.
Je sais aussi que tu n’as pas vraiment envie de me parler, mais il y a des choses que j’ai envie de te dire. Elles me brûlent les lèvres, elles tournent dans ma tête, elles me réveillent la nuit. Alors, j’ai choisi de les écrire. J’aimerais que tu les lises, même si tu n’y répondras pas.
La première chose que j’ai envie de te dire, Jérém, c’est que je t’aime.
Je t’aime parce que j’ai l’impression que ma vie a commencé le jour où je t’ai vu au lycée pour la première fois.
Je suis tombé amoureux ce jour-là et je n’ai rien pu faire pour empêcher que cela arrive. A vrai dire, je n’ai rien fait pour empêcher que cela arrive. Parce que cet amour m’a réveillé, m’a fait me sentir vivant, heureux comme jamais auparavant.
Je pense que j’ai eu beaucoup de chance. La vie t’a mis sur mon chemin. Hasard, coïncidence, destin, je ne sais pas comment on peut appeler cela, à part une évidence. Tout était réuni pour que toi et moi ça le soit.
Tu es arrivé, tu as tout chamboulé. Mon emploi du temps, mes priorités, ma perception du monde, ma vie tout entière. Je n’ai rien compris à ce qu’il se passait, je n’ai surtout pas cherché à comprendre. Pour la première fois de ma vie, je me suis complètement laissé aller. Comme un grand saut dans le vide.
Et je suis tombé amoureux de toi. Je n’aurais jamais pensé que c’était possible d’aimer si fort et tu m’as prouvé le contraire.
Je t’aime quand tu es heureux, je t’aime quand tu es triste, je t’aime quand tu es fort, je t’aime quand tu te renfermes sur toi-même, je t’aime quand tu me fais l’amour et tu me fais me sentir entièrement à toi, je t’aime quand tu me repousses, je t’aime quand tu m’en veux, je t’aime quand tu as la rage, je t’aime pour cette douceur qui est en toi et que tu caches trop souvent.
Je t’aime quand tu me fais l’amour et qu’après tu te colles contre moi, je t’aime aussi quand tu veux que je me colle contre toi. J’aime te regarder dormir, et écouter ta respiration. Je t’aime quand je me réveille dans la nuit et que je sens ta présence à côté de moi.
Je t’aime au réveil quand j’entrouvre les yeux et que je vois ton visage, je t’aime quand je te vois te préparer le matin, prendre ton café, fumer ta cigarette. Je t’aime quand tu m’appelles « Ourson ». Je t’aime quand tu souris alors que je viens de t’appeler « P’tit Loup ».
Je t’aime parce que tu fais battre mon cœur plus vite que lors d’un sprint. Je t’aime tel que tu es. Je t’aime pour tout, je t’aime tout le temps.
Aujourd’hui, je me demande comment était ma vie avant ce jour de mai où je suis venu « réviser » à l’appart de la rue de la Colombette. Imaginer ma vie sans toi m’est tout simplement impossible.
Cette sensation d’inachevé que je ressens au plus profond de moi, est ce qu’il y a de plus insupportable. Ce regret permanent, cette certitude qu’on est passé à côté de notre histoire, de notre vie, de notre amour, du bonheur.
C’est si triste de me dire qu’on a eu la chance de nous rencontrer, de connaître l’amour, mais qu’il nous est impossible de le vivre sereinement.
En fait, je ne crois pas que ce soit impossible. Je me refuse à le croire. Je n’arrive pas à me résigner. C’est plus fort que moi.
Alors, sois assuré que si tu m’appelais demain pour me dire « j’arrive », je t’ouvrirais grand ma porte, mes bras, mon cœur, ma vie.
Quoi que tu décides, tu es et tu resteras l’homme de ma vie. Alors, peu importe la distance, peu importe le temps qui passe, je serai toujours près de toi, je t’emporterai avec moi. Je penserai à toi chaque jour, et à tous ces beaux souvenirs de Toulouse, de Campan, de Paris, de Montmartre, ici à Bordeaux, à l’hôtel, ces souvenirs qui sont les plus beaux des trésors pour moi. Je ne garderai que les plus heureux, parce que je veux me souvenir à quel point j’ai été heureux avec toi.
Je m’endormirai chaque soir en imaginant nos retrouvailles, comme dans les films.
J’ignore si nous nous reverrons un jour. Ce dont je suis certain en revanche, c’est que je ne t’oublierai jamais.
Alors, je souhaite que cette année apporte le meilleur pour toi, et pour ceux qui comptent pour toi.
Sois heureux et fais de beaux matches, p’tit Loup.

Je t’aime, Jérémie Tommasi, je t’aime malgré toutes nos différences, malgré toutes mes maladresses.

Nico

Je dépose cette lettre dans la boîte jaune les mains tremblantes, comme une bouteille à la mer. C’est le 17 janvier.

Jérém.

Janvier 2003

Les matches s’enchaînent, et les petits bobos aussi. C’est le revers de la médaille de ton succès insolent. Tu es l’homme à abattre avant qu’il ne marque des points. Tu reçois des coups, tu tombes, tu te fais plaquer. Rien de grave pour l’instant. Le plus souvent, ce sont les épaules, les cuisses, le dos qui prennent. Tu as des bleus et de petites douleurs partout. Mais tu serres les dents comme un bonhomme et tu avances.
Les bandes chauffantes, les anti-inflammatoires, les massages, la bringue de la troisième mi-temps, l’alcool et la baise t’aident bien à oublier que ton corps souffre.
Tu as vingt et un ans, tu es l'ailier vedette du Stade Français. Paris est à toi, et les portes des boîtes les plus huppées s’ouvrent à toi. Tu te régales.
Il t’arrive de te faire sucer ou de mettre un coup vite fait à des nanas qui veulent à tout prix se faire baiser par un rugbyman. Mais quand tu veux vraiment prendre ton pied, tu sais où te rendre pour baiser un mec. Près de la fac, dans une résidence étudiante.
Tu as croisé le regard de Joris dans les chiottes de la fac. Tu as connu l’entrain de sa bouche sur ta queue dans l’une des cabines des chiottes de la fac, quelques instants plus tard. Tu as connu la douceur de son cul dès le lendemain. Et, depuis, c’est quand tu veux. Tu le sonnes, et il vient chez toi se faire baiser. Ça te rappelle bien quelque chose, tout cela, n’est-ce pas, Jérémie ?

Lundi 20 janvier 2003, envoi lettre + 3 jours.

Les heures et les jours suivant l’envoi de ma lettre sont empreints d’une euphorie fébrile. L’attente ralentit les heures, l’impatience m’empêche de me concentrer sur mes révisions. J’essaie de m’imaginer quand sa lettre arrivera chez lui, à quel moment il la découvrira, à quel moment il l’ouvrira.
J’essaie d’imaginer sa réaction lorsqu’il lira mes mots. Je me demande si j’ai su exprimer ce que je ressens, je me demande si je n’aurais pas pu faire mieux, si je n’ai pas oublié quelque chose d’essentiel.
Et je me dis que j’ai ouvert grand mon cœur et que je n’aurais pas pu faire davantage.
Je m’imagine qu’il soit touché, ému et qu’il m’appelle dans la foulée. L’espoir renouvelé a le pouvoir de chasser ma mélancolie et ma morosité.
Trois jours après, je n’ai toujours pas de nouvelles. Je me demande si la lettre est bien arrivée. Est-ce qu’elle a été ralentie par le week-end ? Est-ce qu’elle s’est perdue dans la masse du courrier et n’arrivera jamais à destination ? Il est bien possible que Jérém n’ouvre que rarement sa boîte aux lettres. Est-ce qu’il a repéré ma lettre parmi les autres courriers ? Est-ce que, s’il a découvert ma lettre, il a eu envie de la lire ?
J’espère au moins que ma démarche ne va pas le contrarier.

Lundi 27 janvier 2003, envoi lettre + 10 jours.

Hélas, les jours passent et deviennent une semaine sans qu’un quelconque signe ne vienne de sa part. Mes illusions s’évaporent, mon euphorie avec. Je dois me rendre à l’évidence. La lettre est certainement arrivée, il l’a certainement vue, lue, et il n’a pas cru bon y répondre. Pourquoi ?
En fait, je crois que je n’existe plus pour lui. Je retrouve ma morosité d’avant, en pire.

Samedi 1er février 2003, envoi lettre + 15 jours.

Il est 14h30, je suis chez Ruben et nous venons de faire l’amour. Son téléphone sonne. C’est sa mère. Le petit Poitevin part dans la chambre pour discuter tranquille. Non pas que ma présence le dérange, mais comme ces coups de fil peuvent durer longtemps, il a pris par habitude de s’isoler.
Seul devant la télé, je zappe. Et je tombe sur lui. Sa tête en plan serré à l’écran. Ses cheveux bruns, ses beaux traits de mec, son sourire incendiaire. Il vient de marquer. Le regard intense, le front perlant de transpiration, son maillot, ses pecs ondulant au rythme de la respiration sous l’effort, il est beau à en pleurer. J’ai envie de lui. J’ai envie d’être possédé et rempli par sa virilité. J’ai envie de le faire jouir. J’ai envie de le voir jouir. J’ai envie de pleurer. Mais j’ai surtout envie de le prendre dans mes bras et de le serrer très fort contre moi. Juste ça. Je donnerais cher, juste pour passer une heure avec lui et le tenir dans mes bras.
Jérém lève les bras, le stade exulte, ses coéquipiers se jettent sur lui. Je suis heureux de le voir heureux. Mais son bonheur ne fait que souligner mon malheur.
Ulysse se jette à son cou et le serre très fort contre lui. Qu’est-ce que ressent mon Jérém à cet instant ? Est-ce que ce contact lui rappelle le bonheur de l’instant où il a pu enfin accéder à la virilité du beau blond ?
J’entends Ruben approcher, et je zappe aussitôt. J’ai plus que jamais envie de pleurer mais je ravale vite mes larmes prêtes à couler sur mes joues. Et j’écoute le récit que Ruben me fait du coup de fil avec sa mère en faisant semblant d’en avoir quelque chose à carrer.

Jérém.
Février 2003.

Mais dans ta vie tout n’est quand-même pas que bling bling, soirées arrosées, et parties de jambes en l’air. Le rugby c’est aussi une bonne tranche de pression sur les épaules des joueurs. Il faut rester au top, toujours, et il n’y a pas de droit à l’erreur. Il faut gagner, coûte que coûte.
Avant de quitter les vestiaires, la tension est palpable. Personne ne moufte.
Quand les joueurs de l’équipe adverse débarquent sur le terrain, ils te font parfois penser à ces taureaux qui déboulent dans les rues de Pampelune (mais peut-être bien que les joueurs adverses vous perçoivent de la même façon, tes coéquipiers et toi), qui écrasent tout sur leur passage et qui parfois embrochent des mecs. Tu as assisté à ça, une fois plus jeune, et ça t’a traumatisé. Tu as peur des blessures. Pour toi, mais pour les autres aussi, pareil. La souffrance physique t’inspire un malaise insupportable.
Le laps de temps entre l’entrée sur le terrain et le début du match, l’attente avant que l’arbitre ne siffle le coup d’envoi te paraît sans fin. Tu retiens ton souffle. Tu as envie d’en découdre, mais tu es inquiet.
Tu te dis que c’est con, que tu ne vas pas quand même à la guerre, que dans l’affrontement qui va avoir lieu il n’y aura pas d’armes. Et pourtant, si, il y en a. Ces armes s’appellent vitesse, masse, envie de gagner à tout prix. Tu sais que les autres, tout comme tes coéquipiers et toi, vont tout donner pour gagner le match. Tu sais qu’ils ne reculeront pas, et que vous ne reculerez pas non plus. Sur le terrain, il y aura de la sueur, des coups, du sang, des blessures.
Lorsque le coup d’envoi est enfin donné, tu as l’impression de sauter du haut d’une falaise. Tu ne sais pas ce qui t’attend.
Le physique est sous pression, mais aussi le mental. Il faut gagner pour rester au top et pour ne pas se faire remonter les bretelles par le staff. Gagner, c’est piétiner les gars de l’équipe adverse, au sens propre comme au sens figuré. Des gars qui ont la même pression que tes coéquipiers et toi pour gagner.
Tu es affolé par les applaudissements, par la musique et les bruits qui s'entrechoquent. Le stress te donne le tournis. Parfois, la scène se fige. Tu n'entends plus rien. Tu te revois, ado, à Toulouse, lorsque tu jouais seulement pour t'amuser. Tu te revois serrer Thib dans tes bras, admirant ton meilleur pote et capitaine de l'époque brandir une coupe devant cinq spectateurs. C’était le plaisir de jouer avant tout.
Jouer dans une grande équipe, ça n’a rien à voir. On joue pour se faire applaudir, on joue pour l’argent, on joue pour ne pas se faire engueuler par le staff et pour ne pas être virés.
Il est où le plaisir dans tout ça ?
Pas étonnant qu’à la fin du match tes coéquipiers et toi ayez tous très envie de boire et de baiser pour décompresser.

Mercredi 5 février 2003, envoi lettre + 19 jours, toujours sans nouvelles de sa part.

Près de trois semaines se sont écoulées depuis l’envoi de ma lettre. J’ai perdu tout espoir d’une réponse. Ça fait deux mois que je ne l’ai pas vu, deux mois que je n’ai pas eu de ses nouvelles. Un soir, je trouve le courage d’appeler Charlène. Elle n’en a pas non plus. Depuis des mois.
— J’imagine que le rugby doit bien l’accaparer, elle me glisse.
— J’imagine aussi.
Elle me parle de son intention désormais arrêtée de fermer sa pension équestre à la fin de l’année pour partir à la retraite. Elle me dit qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de l’annoncer à Jérém. Je pense que quand il va l’apprendre, ça va lui mettre un sacré coup au moral.

Un peu plus tard ce soir-là, alors que je regarde un film sur la 6, la première page de pub démarre avec des images qui me soufflent comme si j’avais reçu un coup de poing en plein ventre. Un spot que je n’avais pas encore vu, et qui doit tout juste venir de sortir.
Première image, trois bogoss rugbymen, arborant avec une aisance impressionnante leurs corps de fou, faits d’épaules solides, de pecs saillants, de tétons on ne peut plus invitants, de torses imberbes ou rasés de près, de tablettes de chocolat dessinées à l’équerre, de cuisses musclées, de plis de l’aine marqués et de délicieux chemins de petits poils s’abimant derrière l’élastique du boxer.
Car c’est le boxer qui est le sujet de cette pub, seul « vêtement » porté sur ces plastiques inspirant un désir intense, épais, par ces trois petits mâles qui ne semblent être venus au monde que dans le but exclusif de faire l’amour. Une magnifique brochette de beaux jeunes mâles, trois rugbymen assumant leur demi-nudité, leur intense virilité devant caméra avec un naturel déconcertant.
Un châtain, un blond, un brun. Un boxer bleu, un noir, un blanc. Un inconnu, Ulysse, Jérém.
Il y a tant de bogossitude à l’écran, tant de virilité, que ça en donne le tournis. Essayer de compter toutes ces tablettes de chocolat réunies dans un seul plan, c'est comme essayer de mesurer l'Univers, ça donne le vertige. On ne sait plus où regarder en premier, on ne sait plus qui désirer en premier. Chacune de ces beautés masculines est déjà insoutenable prise isolément, la somme l’est infiniment plus encore. C’en est trop pour un seul gourmet.
Ils sont tous beaux à en pleurer, mais mon regard ne s’attarde que sur celui qui l’aimante le plus, sur ce visage qu’il connaît mieux que tous les autres, sur ce sourire qui lui fait plus d’effet que tous les autres, sur ce corps qu’il a pu caresser et désirer plus que les autres, et le voir jouir.
Je détaille sa petite barbe de quelques jours, sa peau mate, ses tatouages, son grain de beauté dans le creux du cou, si sensuel. Et je remarque qu’il ne porte plus la chaînette que je lui ai offerte pour ses vingt ans. Est-ce qu’il l’a juste enlevée pour ce petit tournage, comme il l’enlève pendant les matches, pour ne pas se blesser, ou est-ce qu’il l’a enlevée pour de bon pour mieux me rayer de sa vie ?

Moi, la mienne (en fait, la sienne, celle qu’il a toujours eu autour de son cou et qu’il m’a offerte à la fin du premier séjour à Campan), je ne peux me résoudre à la quitter. Cette chaînette, je me surprends très souvent en train de la tripoter. La toucher, l’enrouler autour de mon doigt, ça me fait tu bien. En même temps que ça me donne envie de pleurer.
Je me souviens des ondulations de cette chaînette la première fois où Jérém m’a baisé dans l’appart de la rue de la Colombette. Je me souviens de ses ondulations en tant d’autres occasions lorsqu’il m’a fait l’amour.
Je sais ce que cette chaînette représentait pour lui. Et le geste de me la donner en me disant « comme ça, je serai toujours avec toi » m’a ému aux larmes.
Je me souviens de la première sensation lorsque je l’avais mise autour de mon cou, je me souviens de son poids, de la chaleur et du parfum qu’elle avait accumulés au contact de la peau mate de Jérém.
Aujourd’hui que nous sommes loin l’un de l’autre, que nous sommes séparés, est-ce que ça a encore un sens de porter cette chaînette si chargée en souvenirs heureux, mais appartenant désormais à une époque révolue ?

Dans le premier plan, les garçons posent devant caméra, l’un contre l’autre, les torses en rang d’oignon, les bras de l’un autour du cou de l’autre. Les torses se frôlent, les bras enlacent les épaules, les regards, les sourires s’échangent dans une complicité qui se veut presque suggestive.
Plan suivant, on ajoute du mouvement. De la chorégraphie sportive. D’abord le ballon pivote dans la main d’Ulysse, il a l’air d’un Dieu tenant la Terre en lévitation au-dessus de sa paume. Lorsqu’il est lancé, les corps bondissent avec puissance et dextérité féline, puis plongent pour le rattraper. Les images au ralenti tournées devant un fond clair permettent de capter la beauté des corps avec une précision redoutable. La violence sensuelle des images est inouïe.
Dans les plans suivants, très rapides, ça court, ça s’attrape par la cuisse, ça se plaque. Les pecs, les épaules, les tétons, les cuisses se frôlent lors d’une action de jeu simulée mais néanmoins très sensuelle. Dans l’un des plans, les boxers sont filmés de près, et ils moulent des culs d’enfer. Quant aux paquets à l’avant, ils sont bien suggérés et bien suggestifs grâce au profil de la poche.
Gros plan sur l’élastique du boxer blanc (avec contraste saillant avec la peau mate), et de la lisière de poils bruns juste au-dessus. Une image si familière à mes yeux qui l’ont si souvent vue de très près. La nostalgie et le désir me submergent.
Lorsqu’un simple bout de coton élastique arrive à la fois à mettre autant en valeur ce qu’il est censé dissimuler, moi j’appelle ça de l’œuvre d’art.
A la fin du spot, les garçons posent à nouveau devant l’objectif, arborant à nouveau leur presque nudité avec un naturel qui laisse rêveur. Leur complicité, ces gestes, ces poses, ces attitudes, les regards, certainement très chorégraphiés, semblent néanmoins suggérer une complicité qui déborderait presque dans la sensualité.
Certes, ce sont des rugbymen, des coéquipiers, ils se voient à poil chaque jour, ils prennent des douches ensemble.
Et (…) Les garçons ont dit-on/L'humeur parfois légère/Dans les vestiaires.

Dans le lot, il y en a au moins un pour sûr qui aime les garçons, et qui en pince pour un autre du lot, un blond qui n’aime a priori que les nanas. Mais est-ce qu’un soir, après l’euphorie d’une victoire, après une troisième mi-temps bien arrosée, ils n’auraient pas connu cette humeur légère qui adoucit les mœurs ?
Est-ce que ces corps ont déjà connu le plaisir que peut donner celui du coéquipier ? Jérém, avec Ulysse, et pourquoi pas avec ce bogoss châtain au physique solide et ramassé, lui aussi beau comme un Dieu ?
Je me prends à imaginer Jérém en train de se faire posséder par le beau blond, jusqu’à se faire gicler dans le cul (il a envie de ça, avec Ulysse, il me l’a balancé à la figure), puis de chevaucher le magnifique châtain, jusqu’à lui gicler dans le cul (je pense bien qu’il aurait besoin de ça, juste après, pour rebooster son égo de mâle).
J’imagine les trois jeunes rugbymen mélanger leurs corps musclés, leurs déos, leurs parfums, leurs plaisirs, leurs fougues, leurs semences, jusqu’à plus d’envie (ce sont des fantasmes, et on fantasme rarement avec des capotes, même si ces dernières demeurent obligatoires en dehors de relations stables et de tests fiables).
J’imagine les corps moites de transpiration, et pas seulement. J’imagine les délicieuses petites odeurs qui flotteraient dans l’air après de longs ébats virils. J’imagine les corps abandonnés, repus, les torses ondulant au rythme de la respiration après l’effort. J’imagine les esprits assommés par le plaisir, les ventres brûlants après d’intenses orgasmes. Ce sont des fantasmes qui me donnent une furieuse envie de me branler.
Pendant une poignée de secondes, il est question de maintien, de confort ultime, de seconde peau, de galbe sans couture, d’élastique à la tenue infaillible mais qui ne marque pas la peau, d’accompagnement des mouvements, de fibre de coton extensible qui s’étire et revient en place naturellement.
Ce que je vois, moi, c’est un hymne sublime et hypnotique à la jeunesse, à la puissance masculine et à la virilité. Et éventuellement à l’homoérotisme.
La pub suivante enchaîne, alors que l’image de mon bobrun impressionne encore ma rétine. Soudain, j’ai envie de me branler. Et je me branle. Pour ne pas pleurer, pas tout de suite.

Jérém.

Tu as vingt et un ans, et tu as du succès au rugby. Un succès insolent. Tu voyages de ville en ville chaque week-end à jouer à la baballe devant des stades bondés. Et en plus tu marques des points, de plus en plus de points, et ton équipe gagne. On écrit sur toi dans les journaux sportifs. On t’annonce une carrière fulgurante.
Les sponsors te font les yeux doux. Un fabricant de sous-vêtement te propose un bon paquet de fric pour un après-midi de tournage. Ta gueule est dans les journaux, à la télé, dans les grands affichages dans la rue.
Tu as une femme de ménage, des fringues et des pompes gratuites, des restos payés, des bouteilles offertes et des nanas jamais loin. Avec elles tu simules, il faut garder les apparences.
Tu es un enfant avec la possibilité d’obtenir tous les jouets dont il rêve. Alors, ça te monte peu à peu à la tête. Tu n’as pas le temps de penser. Tu es dans une bulle dorée. Tu n’es pas dans la réalité mais tu ne t’en rends même pas compte.
Tu sors trop et en même temps l'impression de solitude t'étouffe. Certaines nuits, tu es un gosse ivre mort qui erre dans Paris.

Lundi 11 février 2003, envoi lettre + 25 jours, toujours et encore sans nouvelles de sa part.

J’ai beau essayer de ne pas penser à Jérém, désormais son image me suit partout. La campagne de pub télé est accompagnée d’une campagne d’affichage dans les journaux et dans l’espace public. Jérém et ses potes sont partout en 4 mètres sur 3 dans la rue. Tout le monde connait désormais la beauté plastique de mon bobrun et un paquet de nanas et de mecs vont être émoustillés par son aveuglante bogossitude. Les occasions de coucher vont être infinies.
Le spot passe en boucle à la télé, ou du moins c’est l’impression que j’en ai car je tombe dessus au moins une fois par jour. Albert me demande s’il a bien reconnu Jérém dans la pub des boxers. Il me dit que si seulement son corps répondait encore, ça lui donnerait une furieuse envie de se branler. Même Ruben a reconnu Jérém dans la pub. Ça a l’air de le contrarier un peu.
J’ai envie d’envoyer un message à Jérém pour lui dire que je le trouve super beau dans cette pub. J’ai envie de lui redire à quel point il me manque. Mais à quoi bon, alors qu’il n’a même pas daigné réagir à ma lettre ?
Oui, son coup de fil raté de la nuit du réveillon était peut-être une erreur. Peut-être que ma lettre aussi était une erreur. En fait, peut-être que toute notre histoire n’était qu’une erreur. Au fond de moi, je sais que ce n’est pas vrai, car nous avons vécu beaucoup de bons moments ensemble. Mais mon malheur actuel me fait dire parfois que si je ne l’avais pas connu, je ne souffrirais pas comment je souffre aujourd’hui.
La Saint Valentin arrive et je la fête avec Ruben, l’esprit très loin, le cœur complètement en vrac. Je m’en veux parce que Ruben a préparé un bon petit repas, et même un cadeau, et pas n’importe lequel : un bon d’achat d’un grand disquaire. Je lui ai parlé du fait que la sortie du nouvel album de Madonna est imminente. Il a pris les devants.
Quant au casque de vélo que je lui ai offert, il semble lui avoir fait vraiment plaisir.

Jérém.

La bonne séquence sportive continue au mois de février. Tu deviens peu à peu le protégé de ton entraîneur. Tu sens dans son regard sa confiance grandissante en toi. Il te demande de t’amuser, et ça te met vraiment à l’aise. Ses tapes sur l’épaule pour t’encourager te font un bien fou.
Oui, professionnellement, tout va bien pour toi. Mais dans ton cœur, ce n’est pas ça du tout. Malgré tes excellents résultats sportifs, malgré une vie à 1000 à l’heure, malgré l’argent, la notoriété, les soirées, l’alcool, les baises, tes démons ne te quittent pas.
Tu es toujours attiré par Ulysse. Et même si vous vous êtes rabibochés, tu as l’impression qu’une partie de votre complicité s’est envolée à cause de ton faux pas. Pour toujours. Tu essaies de garder les apparences, mais le cœur n’y est pas. Au fond de toi, le malaise est toujours présent. Tu arrives à en faire abstraction sur le terrain. Mais en dehors, c’est autre chose. Ça a été dur de ne rien laisser transparaître de ce malaise et de ton désir persistants sur le tournage de cette pub de sous-vêtements.
Mais il y a autre chose qui te hante. C’est le fait de recevoir des témoignages d’estime de tout le monde, sauf de la part de celui dont tu l’attends le plus, dont tu les attends depuis toujours.
Ton père ne t’a jamais félicité pour tes exploits au Stade. Tu essaies de te dire que tu t’en fiches. Mais ce n’est pas vrai. Au fond de toi, tu espères le voir dans les tribunes à chaque match. Mais il n’est jamais là. Tu espères toujours recevoir un coup de fil, entendre un mot de sa part qui te montrerait qu’il est enfin fier de toi. Mais ça ne vient pas. Tu lui en veux. Tu lui en veux tellement que tu n’as même pas fait le déplacement pour Noël.
Ce qui te hante aussi, c’est de ne pas réussir à comprendre pourquoi ta mère est partie quand tu n’étais qu’un gamin, pourquoi elle vous a abandonnés, Maxime et toi. D’elle aussi, tu attends depuis longtemps un signe qui ne vient pas.
Aussi, ce qui te manque, au quotidien, c’est la sérénité, le sentiment d’être bien dans ta peau et en harmonie avec les autres. Car tu es constamment sur tes gardes. Ce décalage entre celui que tu es et celui que tu prétends être t’empêche d’être serein. Ça te fatigue. Et la peur que ce décalage puisse sortir au grand jour te stresse et te mine le moral. Tu sais que si ça arrivait, tu perdrais tout. Il s’en est fallu de peu, il y a quelques jours. On t’a sauvé le cul de justesse.
Mais au fond de toi tu sais que ce qui te manque dans ta vie par-dessus tout, c’est quelqu’un avec qui partager le bonheur de tes exploits, quelqu’un qui soit heureux de te voir réussir. Quelqu’un qui te fait te sentir bien, quelqu’un qui rend ta vie plus belle. Tu avais Nico, et il te faisait du bien. Mais Nico n’est pas là.
Tu es impressionné par Ulysse, mais Ulysse t’est inaccessible. Et la gifle morale que tu as prise en essayant de le draguer t’a remis les idées en place. Elle t’a aidé à voir clair dans ton esprit. Tu regrettes d’avoir comparé Nico à Ulysse, et de lui avoir laissé entendre qu’il n’était pas à la hauteur de tes attentes.
Il te mettait un peu la pression, certes, mais tu sais qu’il tenait vraiment à toi. Et puis, à l’occasion de cet accident de voiture l’année dernière, il t’a bien montré qu’il était à la hauteur. Il l’a même été pour toi, là tu as vraiment merdé. Tu sens que tu as été très injuste avec lui. Tu as parlé sur le coup de l’ivresse, celui de l’alcool, celui du béguin que tu avais pour Ulysse. Tu t’en veux terriblement.
Sa lettre t’a bouleversé. T’as même pleuré. Ça a été un déchirement de ne pas l’appeler. C’est dur de renoncer à lui, mais c’est mieux ainsi. Car tu te dis que le quitter pour de bon est le prix à payer pour lui rendre sa liberté et pour lui donner une chance d’être heureux. Car au fond de toi, tu as l’impression que tu ne le rendras jamais vraiment, durablement heureux.

Pour l’instant, tu prends sur toi et tu as assez d’énergie en toi pour assurer tes exploits, et les mensonges nécessaires pour te protéger. Jusqu’à quand vas-tu réussir à te convaincre que tu peux tenir à ce rythme en traînant toutes ces blessures sans essayer de les soigner ? Combien de cuites, combien de baises, combien d’argent jeté par la fenêtre va-t-il te falloir pour continuer à faire illusion devant toi-même ?

Mercredi 20 février 2003, envoi lettre + un nombre certain de jours dont j’ai fini par perdre le compte.

Un après midi, alors que je rentre chez moi à pied, je m’arrête à un kiosque à journaux pour regarder les sorties de musique classique périodiques. C’est une bonne façon de découvrir les grandes œuvres à un prix abordable.
Et là, je tombe sur une image qui me décontenance encore plus que les pubs en boxer. Sur la couverture d’un magazine people au graphisme low cost et aux couleurs criardes, je retrouve mon bobrun photographié en compagnie d’un sacré morceau de pétasse.
Blonde, gros seins, maquillage haut en couleur, cette pimbêche tient mon bobrun, t-shirt blanc et blouson en cuir, à hauteur de la taille. Et alors que ma tête se met à tourner comme un tambour de machine à laver à l’essorage et qu’une irrépressible envie de gerber se saisit de moi, j’ai du mal à lire les mots qui tentent d’expliquer l’irréparable :

Titre : Sandrine P., de la Star Ac au rugby, il n’y a qu’un pas.
Sous-titre : La belle lilloise se console de sa victoire manquée dans les bras de Jérémie Tommasi, l’étoile montante du Stade Français.

J’achète le torchon pour lire l’article à l’intérieur. Une double page montre des photos volées des deux vedettes dans une brasserie huppée. Dans l’une d’entre elles, mon bobrun est pris de dos, et il semble embrasser cette caricature de nana. J’ai envie de mourir.
En vrai, l’article ne fait que spéculer sur une rencontre lors d’une soirée, tout en suggérant qu’il y aurait eu des étincelles dans l’air et qu’il y aurait peut-être eu coucherie.
Une partie de moi me dit de ne pas prêter attention à ce torchon, car ce genre de publication ne vaut pas mieux que du PQ. Même moins, puisque le papier n’est même pas bon pour se torcher. Et pourtant, cette « « « info » » » me fait un mal de chien.
Peut-être qu’ils ont bel et bien couché ensemble, ou que ça va arriver. Je sais que Jérém est capable de coucher avec une nana pour conserver son image d’hétéro tombeur. Et le fait de coucher avec une nana connue, au vu et au su du public, peut assurément servir son propos.
S’ils savaient, les gens qui le contemplent au stade, à la télé, dans les matches ou dans la pub, sur les panneaux publicitaires, dans les journaux sportifs, et maintenant les journaux people, à quel point il a été bon amant, avec un garçon !
Je suis tellement dégoûté que je déchire le journal et je le jette dans une poubelle avant d’arriver à l’appart.
Mes derniers espoirs que Jérém puisse m’appeler après ma lettre s’évaporent devant ces photos que je n’arrive pas à me sortir de la tête. L’attente s’était déjà transformée en frustration. Et la frustration se mue alors en tristesse et mélancolie.
Avant ce maudit article, j’arrivais à faire semblant. Mais là, je n’ai plus la force de faire illusion. Cette nouvelle gifle me plonge dans un étant d’amertume et de morosité profonds. Mes camarades de fac remarquent que je ne vais pas bien. Même Ruben finit par le remarquer et par me questionner. Je retorque que je suis tout simplement fatigué, et que tout va bien par ailleurs. Ruben fait mine de se contenter de mon explication, mais je sais que ce n’est pas le cas. Je pense qu’il se doute de quelque chose. Je pense qu’il a remarqué que mon changement d’humeur est venu avec l’apparition de Jérém dans la pub. Il n’ose pas poser des questions directes, mais je sens que ça le démange.
Je sais que j’ai déjà commencé à le faire souffrir.

Jeudi 27 février 2003.

C’est ce jour-là, alors que je suis au plus mal, que je reçois le coup de fil de Thibault. Le jeune pompier m’annonce que le Stade Toulousain va se déplacer à Bordeaux pour un match de championnat le samedi suivant, c’est-à-dire deux jours plus tard. Il m’explique qu’ils ont prévu de rester à Bordeaux le soir et de ne repartir que le dimanche matin. Il me propose d’entamer le début de troisième mi-temps avec ses potes, puis de venir me rejoindre vers 21 heures pour dîner.
Ça tombe bien, ce week-end Ruben a prévu d’aller voir sa famille. Je n’ai pas envie de l’accompagner, même si cela a l’air de bien le décevoir. Mais je n’ai pas non plus envie de le passer seul avec la pub et la vie sexuelle de Jérém qui me hantent à chaque bout de chemin. J’aurais pu passer le week-end chez mes parents, mais j’ai prévu d’y aller le prochain pour l’anniversaire de Papa.
Alors, l’idée de voir Thibault me met du baume au cœur. Et j’accepte avec plaisir.

Samedi 1er mars 2003.

Le match Stade Toulousain-Bordeaux/Begles était télévisé. Les Haut-Garonnais se sont battus comme des lions et ont eu raison des Girondins. Thibault est vraiment très beau dans son maillot blanc et noir. La match Stade Français-Castres Olympique se jouait dans le sud. Il ne passait pas à la télé, mais j’ai appris par la radio qu’il avait été remporté par les Parisiens.
Je retrouve Thibault dans une brasserie du centre-ville. Chemise, costard, cravate, chaussures de ville, brushing soigné, le demi de mêlée est vraiment très élégant, et tout en beauté. Définitivement, le petit brillant à l’oreille ajoute un je-ne-sais-quoi de furieusement sexy à sa personne, le rendant définitivement craquant.
— Eh, beh, tu es très beau ! je ne peux m’empêcher de lui lancer.
— Merci. C’est la ténue règlementaire de l’équipe pour l’après match.
— Ils ont bien choisie…
Je me retiens de justesse d’ajouter que sur un physique comme le sien, même un sac de patates ressemblerait à de la haute couture. Et que la petite traînée de parfum de mec qui flotte autour de lui titille mes narines et vrille mes neurones.
Le jeune pompier sourit, avant d’ajouter :
— Mais toi non plus t’es pas mal du tout !
C’est vrai qu’avec ma chemise grise et mon jeans pas trop mal coupés, je me sens plutôt bien dans mes baskets. Ruben m’a dit et répété qu’il me trouve beau dans cette tenue. Une fois il m’a même sucé dans cette tenue. Et le compliment de Thibault finit de me convaincre que je suis à mon avantage dans ces fringues.
— Si tu permets, je me mets à l’aise, il poursuit.
— Je t’en prie…
Le beau rugbyman ôte sa veste, défait sa cravate, ouvre deux boutons de sa belle chemise bleue, laissant ainsi apparaître quelques petits poils, ainsi qu’un soupçon de la naissance de ses pecs. C’est terriblement sexy.

La compagnie de Thibault est des plus agréables. J’aime l’amitié qui s’est créée entre nous depuis deux ans, j’aime notre complicité. J’aime le fait de me sentir à l’aise pour parler de (presque) tout avec lui. J’aime sa façon de vivre sa vie, bien que si atypique. J’aime sa façon d’assumer son enfant, un enfant qui est arrivé sans vraiment être prévu, mais certainement pas sans être aimé. Car ce petit garçon qui va bientôt avoir un an est à l’évidence le plus grand bonheur de sa vie.
— Et alors, toujours bien avec Paul ? je le questionne après qu’il m’a longuement parlé de Lucas.
« Oui, toujours. Le seul problème, c’est que nous ne nous voyons pas souvent. Une ou deux fois par mois, tout au plus.
— Ah, zut…
— Et depuis le début de l’année, c’est encore plus compliqué. Ça tombe toujours mal. Un coup c’est lui qui ne peut pas, un coup c’est moi. Ça fait plus d’un mois que je ne l’ai pas vu.
— C’est difficile de former un couple avec ce genre d’obstacles… je réfléchis à haute voix.
— Je ne sais pas si nous sommes vraiment un couple. Je sais qu’il m’aime beaucoup et qu’il ferait tout pour moi. Tout comme je ferai n’importe quoi pour lui. Mais il ne m’a jamais rien promis et il m’a toujours laissé toute la liberté de vivre ma vie comme je le sens.
— Et tu n’as pas envie d’autre chose ?
— Comme une vraie vie de couple ?
— Oui, par exemple…
— Pour l’instant, ça me va. Je prends comme ça vient, je profite des bons moments. Je ne veux pas lui mettre la pression.
Je suis touché par sa façon d’aimer, sans jamais regretter de ne pas pouvoir vivre cela en pleine lumière. Par sa façon d’accepter les choses, sans jamais se plaindre, sans jamais proférer un seul mot amer. Par son côté lumineux, positif, cette philosophie qui est la sienne, « l’important ce n’est pas ce qu’on fait de vous, mais ce que vous faites de ce qu’on fait de vous », ou encore « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ».
J’aime son côté bien masculin, j’aime sa droiture. Et j’adore sa profonde gentillesse et sa douceur exquise. Le tout parsemé par une certaine fragilité qui le rend émouvant au possible.
Quand je le regarde, j’ai à la fois envie d'être rassuré par ses bras virils et très envie de le prendre dans les miens pour le rassurer à mon tour. Définitivement, ce gars est un véritable puits à câlins. Je sais à quel point il est bon amant, fringant et doux, viril et tendre. Et je me dis qu’en amour, il doit être adorable au possible.
— Et toi, Nico, tu en es où avec Jé ? il finit par me questionner.
— Je n’ai pas de ses nouvelles depuis près de trois mois.
— Oh, merde ! Il ne t’a même pas appelé pour te souhaiter la bonne année ?
— Non… enfin, je ne sais pas…
— Comment, ça, tu ne sais pas ?
— Le premier janvier, il a essayé de m’appeler dans la nuit. J’avais éteint le portable pour ne pas être dérangé par les messages de vœux. Je n’ai vu son appel en absence que le lendemain. J’ai essayé de le rappeler plusieurs fois, mais il ne m’a jamais répondu. Je lui ai envoyé des messages, et il a fini par me répondre que ce coup de fil était une erreur.
— Comment, ça, « une erreur » ?
— Je ne sais pas. Je ne sais pas s’il voulait dire que l’erreur c’était le fait de m’avoir appelé à la place de quelqu’un d’autre, ou bien si c’est le fait de m’appeler tout court qui était une erreur. Au fait, il t’a appelé pour la bonne année ?
— C’est moi qui l’ai appelé. Mais il était pressé, et nous avons peu discuté. On s’est dit qu’on se rappellerait plus tard, mais nous ne l’avons pas fait.
— Il ne t’a pas parlé de moi…
— Non. Je voulais lui demander de tes nouvelles, mais je n’ai pas eu le temps.
— Je lui ai envoyé une lettre.
— Quand, ça ?
— Il y a un mois et demi environ.
— Et il ne t’a pas répondu…
— Non… et il ne me répondra pas. Je crois que ce coup-ci, il a vraiment tourné la page.
— J’ai du mal à croire ça.
— T’as vu cette histoire avec cette nana de la télé ? je le questionne.
— J’ai vu, oui. Mais à ta place je ne m’inquiéterais pas pour ce genre de sottises. Ça, ce n’est que du marketing, Nico. Les dirigeants se servent de la popularité des joueurs et de la presse people pour essayer d’intéresser un nouveau public au rugby. Et au Stade Français ils sont champions en la matière. C’est eux qui ont inventé le calendrier des joueurs à poil !
— Quoi qu’il en soit, la dernière fois il m’a bien fait comprendre que je ne lui suffisais pas…
— Je trouve qu’il a été injuste avec toi. Quand il a eu son accident de voiture à Paris, tu as pris les choses en main, et tu lui as évité bien des problèmes. Tu as bien agi, tu as agi comme un homme l’aurait fait. Et tu l’as impressionné. Il m’en avait même parlé.
Je regrette de ne pas avoir pensé à lui rappeler cet épisode lorsqu’il m’a balancé que je n’étais qu’un gamin. Je regrette de ne pas avoir su lui rappeler ça et sa gratitude de l’avoir sorti de la merde.
— Il a l’air d’avoir oublié cet épisode…
— Malheureusement, je n’ai pas de solution à te proposer, Nico. Désormais Jérém a pris son envol, et mon avis n’est plus aussi important pour lui qu’il a pu l’être auparavant. Bien sûr que j’aimerais vous voir ensemble et heureux que séparés et malheureux. Bien sûr que ça me démange de l’appeler et de lui dire qu’il me semble qu’il fait une connerie monumentale en te laissant tomber. Mais s’il ne vient pas me solliciter mon avis, il continue, j’estime que je n’ai pas le droit de le lui donner. Jérém a le droit de faire ses propres choix. Je n’ai pas à les juger, à décider s’ils sont bons ou pas. Je pense qu’il a besoin de vivre sa vie, de faire des erreurs.
— Tu as certainement raison…
— Et Ruben dans tout ça ? Tu le vois toujours ? il enchaîne.
— Oui, toujours.
— Et comment ça se passe ?
— Je suis bien avec lui, mais je ne sais pas bien où notre histoire nous mène.
— Fais comme moi, prends le bon qu’il y a à prendre chaque jour.
— J’essaie. Mais je n’arrête pas de penser à Jérém. Et quand j’y arrive, je tombe sur un match, sur cette putain de pub, ou sur cette histoire à la con dans les journaux…
— Il est beau notre Jérém dans cette pub, hein ?
— Il est plus que beau, il est fabuleusement beau ! Quand je le vois à moitié à poil dans cette pub avec Ulysse, je me dis qu’il est impossible qu’il ne se soit rien passé entre eux.
— Je doute fort qu’il se passe quelque chose entre eux, le gars m’a l’air bien branché nanas.
— Admettons. Mais ce qu’il ressent pour Ulysse est bien réel…
— J’imagine qu'il faut vivre des expériences pour pouvoir faire ses choix et ne pas les regretter par la suite. Peut-être que justement de ces expériences il ressortira que le bon choix pour lui c'est toi. Moi, en tout cas, à sa place, je ne te laisserais pas filer !
— T’es mignon, Thibault.
Nous buvons nos cafés et un petit silence s’installe entre nous. Par-dessus le bord des tasses, nos regards s’accrochent, s’aimantent. Je le trouve vraiment sexy à mourir. Et les deux petits verres de vin que j’ai bus un peu trop vite à l’apéro me donnent cette petite ivresse sur laquelle le désir glisse sans freins. Peut-être que je prends mes désirs pour des réalités, mais j’ai l’impression que dans le regard de Thibault une petite lueur sensuelle pétille également.
Je le trouve insupportablement désirable. J’ai très envie de lui ce soir. Ça fait un moment que je ressens une certaine attirance entre nous. A chaque fois que je le revois, j’ai l’impression que nous refusons de la voir. Mais jamais je n’ai ressenti cette attirance aussi intensément, aussi violemment que ce soir. J’ai envie de lui, mais les conséquences d’une aventure entre nous me font peur. Vis-à vis de Jérém, de Ruben, de Thibault lui-même, et probablement de Paul aussi.
— Je dois y aller, sinon les gars vont se demander où je suis passé, m’annonce le beau demi de mêlée en reposant sa tasse sur la table.
La perspective de rentrer seul ce soir me paraît bien triste. L’idée de laisser partir Thibault me déchire les tripes.
— Comme tu voudras… je finis par lâcher, la mort dans le cœur.

Je l’accompagne à l’arrêt du bus. Nous parlons de choses et d’autres, mais je n’ai pas le cœur à la discussion. J’ai une folle envie de lui dire de ne pas partir, de venir chez moi. Mais j’ai peur de sa réaction. Et si je me trompais quant à ses envies à mon égard ? Il est possible que si je lui propose de passer la nuit ensemble, il refuse. Il est possible que je puisse le décevoir. Il est possible que ça mette à mal notre amitié.
— Ça m’a fait plaisir de te revoir, Nico.
— A moi aussi, ça m’a fait plaisir.
— Ça a été un peu court, mais on se rattrapera la prochaine fois. Passe me voir quand tu viens à Toulouse.
— Je viendrai avec plaisir.
— Tiens, il arrive, fait Thibault en voyant l’engin apparaître au loin dans la rue.
La rame avance vite. Dans une poignée de secondes elle sera là, et Thibault disparaîtra de ma vue, sa compagnie me fera défaut, et je m’ennuierai de lui.
Je ne peux me résoudre à être privé de sa présence qui me fait autant de bien. Je ne peux me résoudre à le laisser partir sans rien tenter pour le retenir.
— Tu es vraiment obligé de retrouver tes potes ce soir ?
— Euh… oui… pourquoi ?
— Tu pourrais venir boire un verre chez moi, et dormir chez moi. Je peux te laisser mon lit, j’ai un sac de couchage pour moi, je m’empresse de préciser, devant la moue dubitative du beau pompier.
Le bus vient de s’arrêter pile devant nous. Les portes s’ouvrent et laissent sortir un peu de monde.
— C’est très gentil, Nico, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi ce ne serait pas une bonne idée ?
— Parce que j’ai trop peur de ce qui pourrait se passer si je viens chez toi.
J’avais vu juste. Thibault a lui aussi envie de passer la nuit avec moi. Mais il a peur des conséquences, tout autant que moi.
— Moi aussi, j’en ai peur, j’enchaîne, mais j’en ai très envie aussi !
— Moi aussi j’en ai envie… mais je crois que nous ferions du mal à trop de monde.
— Tu as certainement raison. Au fond, je pense la même chose.
Les portes du bus se ferment et l’engin reprend sa course.
— Ah, crotte, il est reparti ! il s’exclame. Tant pis, je prendrai le prochain. Je ne veux pas causer encore des problèmes, il continue, tu comprends ? J’ai déjà foutu assez le bazar la dernière fois quand j’ai craqué avec Jé. Ça m’a presque couté l’amitié avec mon meilleur pote, et j’ai failli te perdre toi aussi. Avec Jérém, ça s’est un peu arrangé depuis. Mais s’il se passe quelque chose toi et moi et qu’il l’apprend, je vais le perdre définitivement. Et puis, tu as quelqu’un…
— Ruben ne compte pas…
— Et Jé ? Il compte, lui, non ?
— Bien sûr qu’il compte. Il me manque tellement, si tu savais ! Mais je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il fait en ce moment, ni avec qui il est, ni si je le reverrai un jour.
— Je suis certain que vous allez vous revoir.
Le bus suivant se pointe au loin et avance tout aussi vite que le précèdent.
— Et puis, de toute façon, tu as quelqu’un aussi, je considère. Passe une bonne soirée, j’ajoute, en essayant de retenir mes larmes.
Des larmes qui sont le symptôme d’une tristesse dans laquelle se mélangent le manque de Jérém, qui est si loin, et la frustration de ne pas pouvoir retenir Thibault, qui est pourtant tout près de moi.
Le beau rugbyman me prend dans ses bras et me serre fort contre son torse solide. Je plonge mon visage dans son cou, il en fait de même. Ce contact physique et olfactif provoque d’intenses frissons en moi.
— Eh, merde, j’ai vraiment pas envie de partir, je l’entends me glisser à l’oreille.
— Alors, reste.

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Texte coquin : 0318 Une nouvelle année et son lot de surprises.
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