0323 Une course contre la montre et beaucoup d’endurance.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 06-05-2023 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0323 Une course contre la montre et beaucoup d’endurance.
Alors que la rééducation de Jérém entrait dans une phase prometteuse, un nouvel accident est venu ternir l’horizon de mon beau brun. Le tendon d’Achille a lâché de nouveau. Et une nouvelle opération s’avère nécessaire. Mais Jérém n’y croit plus.
— Je ne me ferai pas charcuter à nouveau ! il rugit.
— Et tu vas faire comment pour récupérer ?
— Le rugby c’est fini pour moi. De toute façon, je l’ai su au moment même où le mec m’a percuté pendant le match.
Le voir pleurer me fait un mal de chien. Je tente de lui faire sentir ma proximité et mon empathie en le prenant dans mes bras. Mais le rejet que je redoutais tant finit par tomber.
— Putain, mais lâche-moi ! Casse-toi, Nico, casse-toi ! Casse-toi et fiche-moi la paix pour de bon !
Malgré ses mots durs et blessants, je décide une fois de plus de prendre sur moi et de tenir bon. Je m’accroche. L’enjeu est trop important pour faiblir maintenant.
Il faut trouver un moyen de le convaincre de se faire réopérer par un chirurgien qui veuille bien le réopérer. Il faut à tout prix que je trouve une issue à ce problème. Ça ne peux pas se terminer comme ça !
Mais j’ai beau réfléchir, je me sens dans une impasse. Je sais que chaque minute qui passe amenuise un peu plus l’espoir de réussite d’une nouvelle intervention. Je me sens emporté par une véritable course contre la montre, et j’ai du mal à réfléchir. Dans la salle commune du Centre, j’étouffe. J’ai l’impression de vivre un cauchemar. Je me sens horriblement impuissant face à la malchance qui vient encore de frapper le garçon que j’aime.
J’ai l’impression de devenir fou. Je ne peux plus rester à attendre assis sans rien faire. Je me lève d’un bond, je sors du Centre. Je vais me balader sur la plage, sans but, emporté par une force qui me dépasse. Le jour décline, et le soir approche en amenant avec lui toutes les angoisses dont il a le secret. Le vrombissement des vagues accompagne mes pas et mes pensées.
Je marche longtemps, je marche loin. Je marche avec l’océan à ma gauche, je marche en direction de Bordeaux. Comme si ma vie d’étudiant m’appelait, loin d’ici, de toute cette souffrance. J’ai envie de revoir Albert et Daniel, Monica, Raphaël, Cécile, Fabien. J’ai envie de retrouver ma vie d’avant, avec ses hauts et ses bas, mais relativement sereine. Je n’en peux plus de cette inquiétude, de cette violence morale. Je n’en peux plus de voir Jérém souffrir, tirer la gueule, me hurler dessus, me balancer des mots qui me font mal. Je comprends que ce n’est pas lui, je comprends que c’est la peur qui le fait réagir ainsi. Mais c’est dur, très dur.
Et pourtant, je ne peux pas le laisser tomber, je ne peux pas. Il faut que je trouve le moyen de faire en sorte que Jérém accepte d’être opéré. Mais comment m’y prendre ? Comment contrer son refus catégorique ? J’ai l’impression que ma tête va exploser.
Soudain, au milieu de ce désarroi total, un souvenir, une image, un mot remonte à ma conscience et allume une petite lumière d’espoir dans mon horizon totalement bouché.
La silhouette, le visage, les cheveux grisonnants, l’allure, les lunettes, la chemise, le pantalon, la voix, les mots du chirurgien rencontré dans le train entre Toulouse et Paris le lendemain du premier accident de Jérém me reviennent à l’esprit. De ce souvenir, une idée qui me semble à la fois complétement folle et absolument fabuleuse jaillit incontrôlée, en rallumant l’espoir.
Je me suis éloigné du Centre en marchant. Je reviens vers mon appartement en courant comme un fou.
Je dois retrouver sa carte, je dois la retrouver vite. Je ne sais plus où je l’ai rangée, mais je dois la retrouver, à tout prix.
J’arrive à l’appart épuisé, en nage, essoufflé, avec un point de côté douloureux. Mais je ne me pose pas. Je cherche, je cherche, je cherche. Mais je ne la trouve pas. J’ouvre tous les tiroirs et toutes les portes de mon placard, j’inspecte toutes mes poches de pantalon, de veste de mon sac de la fac. Je feuillète tous mes dossiers de notes de cours. Je mets à sac l’appart, mais je ne trouve pas.
Ce n’est qu’au bout de longues minutes, lorsque mon studio semble désormais avoir été traversé par une tornade, que je me souviens que je l’ai tout bonnement rangée dans mon portefeuille.
Te voilà, toi, petite carte, avec le nom de ce chirurgien et celui de la clinique où il bosse. Et au verso, griffonné avec des signes tout juste lisibles, son numéro de portable. Ma joie est immense.
Je repense aux derniers mots qu’il nous avait lancés en se préparant à quitter le train, « vous pouvez m’appeler à n’importe quelle heure ». C’est adorable, mais quand-même, il est déjà 22 heures. Mais le temps presse.
Je compose le numéro du médecin, le cœur vibrant des espoirs les plus fous. Je tombe sur son répondeur. Je lui laisse un message en lui disant que nous nous sommes croisés dans le train Toulouse-Paris un mois plus tôt et que nous avions parlé de l’accident de rugby de Mr Tommasi. Je lui explique que son tendon d’Achille n’a pas tenu, et qu’il a besoin d’une nouvelle opération. Et d’un autre avis.
J’espère qu’il va me rappeler rapidement.
J’appelle le Centre pour avoir des nouvelles. Il n’y en a pas vraiment. L’infirmière que j’arrive à avoir dans le service me confirme que le transfert sur Paris a été commandé pour le lendemain à la première heure, mais que Jérém refuse toujours d’en entendre parler.
Pourvu que le chirurgien de Toulouse me rappelle à temps ! Pourvu que Jérém tienne bon dans son obstination et qu’il ne change pas d’avis ! Je voudrais tant aller le voir, lui parler de mon idée, mais je sais que je risque de me faire jeter à nouveau. Et puis, avant de lui parler de tout ça, je voudrais parler au chirurgien. Je suis anéanti par le fait de ne pas pouvoir être à ses côtés en ce moment si difficile. Il me manque tellement !
Ce soir, je suis dans un état de grande fébrilité. Le CD d’American life résonne en boucle dans mon casque. J’ai du mal à trouver le sommeil. Je ne dors pas beaucoup cette nuit.
Lundi 28 avril 2003, 8h00.
Je suis réveillé depuis plusieurs heures, depuis toute la nuit en fait. A force de compter les minutes, mon impatience est devenue insoutenable. Et la fatigue ne fait que la rendre encore plus insupportable.
Je rappelle le chirurgien à huit heures trente, je tombe encore sur son répondeur. Je commence à me sentir irrité, frustré, je commence à perdre espoir. Je n’ai pas de nouvelles de Jérém, et je ne peux pas aller le voir sans un dossier solide pour lui redonner de l’espoir.
Il est 9h30 lorsque mon téléphone sonne enfin. La sonnerie me fait bondir, le numéro qui s’affiche, avec l’indicatif de Toulouse, met mon cœur en fibrillation.
— Je me rappelle très bien de vous, me lance le chirurgien. Il va comment Mr Tommasi ?
— Pas bien en ce moment. La rééducation commençait à porter des fruits, mais le tendon d’Achille n’a pas tenu.
— La rupture itérative est ce qu’on redoute le plus dans ce genre d’opération. Il suffit d’une imprudence, un peu trop tôt, pour anéantir tout le travail du chirurgien et devoir tout recommencer à zéro. Il faut réopérer au plus vite.
— C’est ce qu’a dit le chirurgien du Centre. Mais il ne veut pas l’opérer car il pense que c’est très risqué, plus risqué que la première fois.
— Toute action est risquée, mais rien n’est impossible. Je vais aller le voir, je vais regarder son imagerie, et je vais me faire ma propre idée.
— Il faut que vous sachiez que Jérém refuse d’entendre parler d’être opéré à nouveau.
— Ouais, c’est ce qu’on va voir. Je m’en occupe. Je pars en fin de matinée et je suis au Centre dans l’après-midi.
— Je vous préviens, il n’est pas facile en ce moment !
— Un sportif blessé est rarement un gars facile. Mais ça fait plus de trente ans que j’en vois, et je commence à savoir comment m’y prendre. Votre ami va entendre ce que j’ai à lui dire. Et je vous promets que je vais lui faire entendre raison.
— Merci Monsieur.
— Avec plaisir, jeune homme.
Les mots du chirurgien et son assurance m’ont beaucoup touché. Sa confiance en la réussite d’une nouvelle opération m’a redonné espoir. Je suis au bord des larmes.
A 15 heures, le chirurgien est au Centre. Son entretien avec Jérém ne dure guère plus qu’une petite demi-heure. Juste le temps de regarder l’imagerie du patient et de donner son avis.
Le mec ne plaisantait pas. C’est pas un rigolo. L’assurance qu’il m’a montrée le matin au téléphone n’était pas en toc. Et ses arguments ont visiblement fait mouche chez le rugbyman blessé.
— Je l’opère demain matin à la première heure. Vous verrez que demain soir il sera un autre homme.
— Je ne sais pas comment vous avez fait pour le convaincre, mais merci, merci infiniment, docteur.
— Avec plaisir, jeune homme.
Le docteur Dupuy s’occupe d’obtenir l’accord de la direction du Stade. Le fax tombe en fin d’après-midi. A 19 heures, une ambulance quitte le Centre en direction de Toulouse avec Jérém à bord. Et moi je la colle au cul, à bord de sa belle allemande. Quand je regarde au fond de moi, je suis heureux. Car ce transfert est une première victoire. C’est le premier pas vers la sortie de toute cette merde.
A 23 heures, l’ambulance se gare devant la clinique toulousaine. Il est tard, je tombe de fatigue. Je n’ai pas le courage d’aller voir Jérém. Il doit être fatigué, et il a besoin de se reposer pour être en forme demain matin.
Qu’est-ce que ça me fait du bien, ce soir, de retrouver ma ville aimée, ma maison douillette, mes parents aimants.
Cette nuit encore, le sommeil est difficile. Mais cette fois, c’est l’espoir qui me tient éveillé.
Mardi 29 avril 2003.
La nouvelle opération de Jérém est programmée pour le matin. Je passe toute la journée à attendre. Heureusement, je ne suis pas seul à attendre. Maxime est là à la première heure. Le petit brun est aussi inquiet que moi, mais du mélange de nos peurs nous tirons un certain soulagement. Nous nous soutenons mutuellement, avec des mots, avec la simple présence de l’autre.
Nous parlons longuement de la chance inouïe d’avoir rencontré ce chirurgien dans le train, et du fait que jai gardé sa carte, ce qu’il n’a pas fait.
— Je suis confiant dans le fait que l’opération va bien se passer, me glisse le petit brun. Ce qui me fait le plus peur, c’est comment Jérém va affronter la convalescence. Ça a été dur la première fois de lui garder la tête hors de l’eau, j’imagine que là ça va être encore pire.
— Je préfère ne pas y penser pour l’instant, j’admets.
— Ça a été dur, hein ?
— Ne m’en parle pas. Je comprends qu’il souffre, mais rester à côté de lui est très dur.
— Si tu veux, je peux prendre le relais.
— Non, ça ira, merci. Je vais aller jusqu’au bout.
— Tu es vraiment un bon gars, Nico.
— Je fais juste ce que je peux pour l’aider.
— Je ne sais pas comment tu as fait…
— J’ai pris sur moi, et j’ai essayé de penser à des jours meilleurs.
— Oui, ça j’imagine bien. Mais je parlais de comment tu t’y es pris pour convaincre Jérém de laisser Maman lui parler.
— Ah, ça… je lui ai juste dit qu’il serait plus heureux en se débarrassant de sa colère.
— En tout cas, ça a été une réussite. Maman en pleurait de joie quand elle m’a appelé pour me l’annoncer.
— Ça me fait plaisir. Jérém était très heureux aussi. Ça lui a fait du bien d’évacuer tout ça de son esprit.
— Jérém t’écoute quand-même, plus que moi. T’as un bel ascendant sur lui, beau-frère !
Beau-frère. Comment ils me font du bien ces deux mots reliés par un tiret. Je n’avais jamais réfléchi à cela, au fait que techniquement Maxime et moi étions beaux-frères. Mais le petit brun y a pensé. Et ça me met du baume au cœur.
L’intervention prend fin vers midi. Maxime arrive à parler au chirurgien dans la foulée. L’intervention s’est très bien passée. Nous sommes tellement soulagés, nous avons besoin de laisser notre joie s’exprimer, nous nous enserrons dans les bras l’un de l’autre, en pleurs.
Maxime et moi passons quelques coups de fil pour annoncer la bonne nouvelle. J’appelle Papa, qui est très soulagé. Puis, j’appelle Thibault. Le jeune pompier vient nous rejoindre en fin d’après-midi. Il est accompagné de Thierry et Thomas, les inséparables de la joyeuse bande du rugby amateur toulousain des années du lycée.
En attendant de pouvoir rendre visite à Jérém, les trois copains se remémorent cette époque, à grands coups de rires, et de nostalgie. Les deux rugbymen amateurs interrogent également Thibault sur sa carrière au Stade.
— Tu es toujours à Toulouse, mais on ne te voit plus, depuis que tu es devenu une star ! lui lance Thierry.
— C’est vrai, c’est vrai. Je suis désolé !
— Il est aussi papa, et pompier volontaire, faut pas oublier ça, fait Thomas. C’est dommage que Nathalie et toi vous soyez séparés. Tu nous as jamais dit ce qui s’était passé…
Il s’est passé qu’il kiffe les mecs ! Cette évidence est si assourdissante dans ma tête que je la retiens de justesse alors qu’elle est à un poil de glisser sur mes lèvres.
— C’est la vie. Les choses arrivent, et parfois on ne peut rien y faire, se contente de lâcher le jeune rugbyman.
— Et tu as le temps de te chercher une poulette ? lui demande Thierry
— Pas vraiment…
— Il doit en avoir un peu partout, des poulettes ! avance Thomas.
Thibault sourit, l’air amusé. Le regard complice qu’il me lance me fait sourire aussi.
— Je crois que Nicolas sait quelque chose que nous ne savons pas ! fait Thierry qui a dû capter notre petite connivence.
— Non, je ne sais rien, rien du tout. Et si j’ai su, j’ai oublié, je m’en sors avec une pirouette.
Il est 19 heures lorsqu’une infirmière vient nous annoncer que les visites sont enfin autorisées. Mais pas plus que trois personnes à la fois. Sans nous concerter, Thibault et moi laissons d’abord Maxime y aller, avec Thierry et Thomas. J’aime autant qu’ils préparent le terrain, qu’ils mettent Jérém dans de bonnes dispositions avec leur humour, leur joie de vivre à la fois enfantine et virile, leur enthousiasme et leur optimisme encore intact, pas abîmé par tant de semaines de négativité. Aussi, Thibault et moi avons besoin de quelques instants pour parler seul à seul.
— Putain, Nico ! Tu as fait un miracle ! Quelle trouvaille que de faire appel à ce chirurgien ! C’est une légende dans le milieu du rugby. Il a réparé tant de mecs qui pensaient être foutus !
— Je ne sais pas ce qu’il a dit à Jérém pour le convaincre, mais ça a été une réussite, je rebondis.
— Il lui a donné quelques-uns des noms de joueurs très connus à qui il a offert des années de carrière après une sale blessure. Et ça, je peux te dire que c’est un argument imparable. Il a même appelé Lucas S., l’un de nos ailiers, un joueur extraordinaire, qui avait eu lui aussi une blessure grave il y a quelques années. Lucas a parlé à Jérém au téléphone et lui a expliqué tout le bien qu’il pensait de ce chirurgien.
— Trop bien !
— Mais sans toi, rien n’aurait été possible.
— Je n’ai rien fait de plus que ce qui s’imposait.
— Certes, mais tu l’as fait. Et tu as renversé une situation qui semblait sans issue. Alors là, je te tire mon chapeau, l’artiste.
La reconnaissance de Thibault, et sa façon de me la montrer, son regard plein de tendresse et d’estime, tout cela me va droit au cœur. Nous nous serrons très fort l’un contre l’autre, pendant un long moment.
— Tiens bon, Nico. Jérém est sensible à tes efforts, à ta présence. Au fond de lui, il sait ce que cela signifie. Tu penses que tu peux encore rester à ses côtés ?
— S’il m’en laisse l’occasion, oui, sans problème.
— Tu vas tenir le coup ?
— Il le faut…
— Et la fac ?
— Je m’en fous de la fac, je n’ai pas la tête à ça. Et même si je rentrais à Bordeaux, je n’arriverais à rien. Parce que mon cœur resterait avec Jérém.
— Tu es adorable Nico, il me glisse, l’air ému, en saisissant ma main entre ses deux grosses paluches bien chaudes, bien rassurantes.
— Tu as tout ce qu’il te faut à Capbreton ? il enchaîne.
— Oui, ça va merci beaucoup à toi.
— S’il te faut une rallonge, n’hésite pas.
— Merci Thibault, j’ai encore de quoi voir venir.
Maxime, Thierry et Thomas reviennent de la chambre de Jérém moins emballés que lorsqu’ils s’y sont rendus.
— Il est à cran… m’annonce le petit brun.
— Il est très fatigué, ajoute Thierry.
— On l’a un peu décrispé, mais il y a du taf encore, admet Thomas.
— Là, vu les circonstances, il faut une séance Thib… se marre Thierry.
— Tu es le seul qu’il a toujours écouté, tu es le seul qui arrivait à le raisonner, abonde Thomas. Même quand il était saoul comme une barrique !
— Il a fait du chemin depuis, c’est pas sûr qu’il m’écoute comme avant…
— On parie ?
J’appréhende un peu ces retrouvailles, mais la présence de Thibault à mes côtés me rassure beaucoup.
Maxime et ses potes avaient raison, Jérém est d’une humeur massacrante.
— Allez, Jé, ne tire pas cette tête, lui lance le jeune pompier. L’intervention s’est très bien passée, pourquoi tu n’essaies pas de te détendre ?
— Parce que je sais tout ce qui m’attend, et je ne sais pas si je vais avoir le courage d’affronter tout ça à nouveau.
— Tu ne vas pas l’affronter seul. Et ça, ça n’a pas de prix.
Jérém pousse un long soupir.
— Nico a encore envie de rester à tes côtés, malgré toutes les misères que tu lui as faites… il lance sur un ton plus léger.
— Mais qu’est-ce que tu es allé raconter ?
— Rien du tout, mais je te connais, Jé. Quand tu vas mal, il faut s’accrocher pour rester ton pote !
— Je n’ai rien demandé !
— Non, mais tu as besoin de tout, si tu veux te remettre sur pattes. Et surtout de Nico. Alors, accepte son aide. Il n’y a pas de honte à se faire aider quand on en a besoin.
— Au point où j’en suis…
— Et ne lui rends pas la vie impossible. Ce qu’il fait pour toi, c’est la plus belle preuve d’amour qu’il puisses te donner.
— Salut champion ! En fait, salut, les champions !
Sur ces mots, qui me vont droit au cœur, Thibault se retire, nous laissant seul à seul. Les quelques instants qui suivent son départ sont plombés par un silence assommant.
— Comment tu te sens ? je ne trouve pas mieux pour essayer de rompre la glace.
— Comme un mec qui s’est encore fait charcuter !
— Je ne vais pas te dire que ça va aller, sinon je vais encore me faire jeter ! je tente de plaisanter.
— Il parait que c’est toi qui as fait venir ce mec… il me lance de but en blanc.
— Quel mec ?
— Le type qui m’a opéré…
— Euh… oui !
— Tu le connais d’où ?
— Je l’ai rencontré dans le train le lendemain de ton premier accident quand je suis monté te voir à Paris avec Maxime.
J’ai l’impression que Jérém a envie de me dire quelque chose, mais j’ai l’impression que ses mots restent bloqués au fond de sa gorge. Les secondes s’égrènent et installent un nouveau silence d’une lourdeur épuisante.
— Je suis content qu’il ait pu te convaincre de sauter le pas.
— Si ça se trouve, je vais être encore plus mal foutu après. Si ça se trouve, je viens de faire une belle connerie !
— La connerie aurait été de ne rien faire. Je te promets que ça va bien se passer.
— Arrête de dire ça, tu n’en sais rien ! Cette opération ne me garantit pas que je rejouerai un jour !
— Tu as raison, je n’en sais rien. Et non, cette opération ne te garantit pas que tu rejoueras au rugby. Mais elle était quand même nécessaire pour pouvoir espérer y arriver un jour.
— Nico…
— Oui, Jérém ?
— Merci. Merci Merci.
Ce sont des petits « mercis », lancés du bout des lèvres, à peine chuchotés. Mais ils signifient tellement pour moi.
Mai 2003.
Oui, l’opération a été un succès. Un franc succès. Tout s’est bien passé, et le chirurgien a l’air très optimiste.
Pas Jérém. Après être retourné au Centre de Capbreton pour le suivi plus rapproché, la nouvelle immobilisation post-opératoire le plonge dans un état de prostration totale. D’autant que cela lui interdit également de progresser dans la rééducation des ligaments croisés de son genou, ce qui n’est pas du tout une bonne chose à ce stade.
Son mauvais état moral s’accompagne d’un mutisme irradiant une hostilité sourde, une agressivité latente et angoissante. Les jours, les semaines qui ont suivi cette deuxième opération ont été durs, éprouvants. J’avais considéré les premiers jours à ses côtés après le départ de Maxime comme les pires moments de ma vie. Je n’imaginais pas que ce triste record allait être allègrement battu un mois plus tard.
Jérém est tendu, à fleur de peau, envahi par une colère bouillonnante et prête à jaillir à chaque instant. Je marche sur des œufs à longueur de temps. Il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’il ne me hurle dessus pour un oui ou pour un non, sans qu’il ne me balance de me casser, qu’il n’a pas besoin de moi.
Et pourtant je reste. Je reste parce que je sais que je ne pourrais pas être ailleurs qu’ici, à ses côtés. Ma place est ici.
Dans cette épreuve, je peux compter sur le soutien de ma cousine Elodie. Nous nous appelons deux fois par semaine, et elle sait trouver les mots pour m’apaiser. Elle sait aussi me faire rire. Comme au bon vieux temps, où nous étions tous les deux célibataires, le temps où nous refaisions le monde assis en terrasse dans un bar à Toulouse, ou sur la plage de Gruissan. Je me rends compte que ce temps est révolu, car ma cousine a sa vie, sa petite famille. Et moi aussi j’ai ma vie. Il y a la distance géographique entre nous, et celle, encore plus inéluctable, des obligations personnelles, les circonstances personnelles, les chemins empruntés. Je sens toujours son amour, mais quelque chose a changé. Je me rends compte que notre complicité se situe désormais sur des souvenirs communs, heureux, certes, mais appartenant au passé. Le changement de nos relations avec les autres nous donne la mesure du temps qui glisse sournoisement.
Parfois, il m’arrive de penser à Ruben. Je me demande ce qu’il devient. Je me demande s’il a eu beaucoup de peine suite à notre rupture. Le dernier soir où nous nous sommes vus, il m’a semblé très fort. C’est lui qui a pris les choses en main face à mon hésitation. Je m’en veux de lui avoir fait du mal. J’espère qu’il a rencontré quelqu’un. Parfois, lorsque la solitude, la détresse et la tristesse me happent, je pense au petit Poitevin, et je m’en veux terriblement. Je pense aux bons moments que nous avons passés ensemble, aux balades à vélo, à son sourire, à son regard amoureux, à ses attentions, à son envie de m’installer dans sa vie. Je crois que Ruben m’aimait vraiment, tendrement. J’espère qu’il a rencontré quelqu’un qui le rend heureux. Certains soirs, je pars faire un tour avant d’aller me coucher. Certains soir, j’ai envie de l’appeler. Mais j’y renonce. Je me dis que c’est par altruisme, pour ne pas raviver la blessure de ma trahison. A moins que ce ne soit par lâcheté, pour ne pas être confronté à sa souffrance, dont je suis responsable, pour ne pas ajouter de la détresse à celle que je porte chaque jour.
Malgré le soutien d’Elodie, ainsi que celui de Papa et Maman, de Thib et de Maxime, au bout de quelques semaines mon moral accuse le coup. Je dors mal, je suis de plus en plus fatigué, physiquement et mentalement. J’ai du mal à me montrer positif, car tout élan dans ce sens est balayé par Jérém d’un revers de main. Si j’insiste, je me fais jeter. Il me faut garder le moral, il me faut le garder pour deux. Ou plutôt pour un régiment, tant Jérém s’emploie à le saper.
Un soir, après l’un de ses accès de colère, parti d’une broutille, je craque. Je ne peux retenir mes larmes, je pleure devant lui.
Lorsque je lève les yeux, je réalise que Jérém pleure lui aussi. Je m’approche de lui, je le prends dans mes bras. Son torse est secoué par des sanglots incontrôlables.
— Ne sois pas si méchant avec moi, s’il te plaît ! Je ne te veux que du bien ! Je t’aime, Jérém Tommasi !
— Je sais… je sais. Je suis désolé.
J’ai l’impression que tant de tensions se relâchent enfin, les miennes, les siennes. Je le serre encore plus fort contre moi, nous pleurons ensemble.
— Merci, Nico, merci.
Si je tiens, c’est grâce à ses « merci ». Parfois, sans que je m’y attende, ce petit mot glisse de ses lèvres. Ça tombe lorsque je lui apporte une boisson, lorsque je l’aide à se lever. Et si ces « merci » me touchent autant, c’est parce que je sais que c’est non seulement sa façon de me montrer sa reconnaissance pour tout, pour ma présence avant tout, malgré tout, mais aussi sa façon de s’excuser d’être aussi difficile à vivre, d’avouer son incapacité à faire autrement, sa souffrance et sa peur.
En ce mois de mai, il m’arrive de repenser régulièrement au mois de mai d’il y a deux ans, à cette insouciance, à cette magie sensuelle qu’il y avait entre nous. Il y a deux ans, à cette même époque de l’année, je découvrais le sexe avec Jérém. Tout n’était pas parfait, certes. A l’époque déjà il m’était difficile d’apprivoiser le beau brun. Je me trouvais face à un mur qui refoulait avec violence toute tendresse venant de ma part. Comme aujourd’hui, au fond. Avec la différence qu’à l’époque Jérém n’était pas si malheureux qu’il l’est aujourd’hui.
Il l’était, certes, parce qu’il n’acceptait pas ce qui se dévoilait en lui au fil de nos révisions. Mais il avait des exutoires, comme le rugby, la fête, les potes. Aujourd’hui, immobilisé pendant de longues journées, il s’ennuie, il est frustré, il a du mal à voir le bout du tunnel. Il se sent prisonnier d’un corps abîmé.
Un corps qui, au bout de deux mois d’immobilisation, commence à perdre de sa tonicité. Je n’ai pas souvent l’occasion de le voir torse nu, à part les rares fois où il m’invite à passer clandestinement la nuit avec lui. Mais lorsque cela arrive, j’observe que sa musculature, au repos forcé depuis des semaines, devient peu à peu un brin moins saillante. Jérém a sans doute pris quelques petits kilos. Rien d’alarmant, il reste une sacrée marge avant que cela cesse d’être furieusement attirant.
Au contraire, même. Je dirais même que cet adoucissement des lignes de sa musculature, combiné à sa magnifique pilosité brune laissée libre de son expression naturelle, le rend encore plus sexy. Il existe en effet une sensualité propre aux corps masculins se situant juste un poil en dessous de la pure perfection plastique. La perfection peut parfois intimider. Ce « poil » en dessous de la perfection, cette virilité sans artifices, semble rendre ces corps masculins un brin plus accessibles, et excessivement érotiques.
Et puis il y a le regard, le mien, celui de la tendresse, ce regard qui embrasse bien plus de choses que la beauté et le désir pur.
N’empêche que l’on peut constater la différence entre le Jérém d’il y a six mois, la dernière fois où j’ai fait l’amour avec lui, et le Jérém d’aujourd’hui. Une différence que le principal intéressé n’apprécie guère et qui contribue à lui saper un peu plus le moral.
— Mes abdos s’effacent, il me lance, un soir en revenant de la salle de bain.
— T’exagère, j’aimerais bien avoir des abdos effacés comme les tiens !
— Moi j’aimais bien avoir mes abdos d’avant !
— Je te trouve terriblement sexy comme tu es…
— Moi je ne me trouve pas sexy du tout.
— J’ai tellement envie de te sucer ! je m’entends lui lancer, comme un cri du cœur. Désolé, je me reprends, ça m’a échappé.
— J’ai envie aussi. Mais ça ne marche toujours pas.
— J’ai envie d’essayer…
Un instant plus tard mon nez et ma bouche parcourent son torse, agacent ses tétons, je m’enivre de la nouvelle sensualité de ce corps adouci. Je sens que Jérém est tendu, je le suis aussi. Lorsque j’arrive à proximité de sa queue, après un bon moment de préliminaires, je constate qu’elle est toujours au repos. Je cogite, je m’inquiète. L’enjeu est de taille, au sens propre comme au sens figuré. Je sais que s’il n’arrive pas à bander, ça va encore mettre un coup à son moral, à son égo de mec, que ça va le mettre en pétard, et qu’il ne va plus jamais vouloir recommencer.
J’ai pris un risque en lui proposant de lui offrir du plaisir. J’ai été surpris qu’il accepte, et ça m’a fait un plaisir fou de l’entendre dire qu’il en avait envie. Maintenant le train est lancé. Il faut qu’il arrive au terminus, ou au moins qu’il gagne quelques arrêts. J’aimerais au moins arriver à le faire bander un peu, quitte à le finir à la main ou à le regarder se finir à la main.
Je me lance, je le prends en bouche. Je me concentre sur son gland, toujours complètement détendu. J’y vais doucement, mais avec passion. J’insiste pendant un petit moment. Et mes efforts finissent par être récompensés. J’arrive à lui offrir une demi-molle.
Je continue de le pomper, confiant de pouvoir faire mieux. J’y vais franco, dans le but de le faire jouir dans ma bouche. J’aimerais tellement renouer avec cette sexualité qui nous a toujours si bien réussi à tous les deux. J’aimerais tellement lui faire sentir qu’il est en train de récupérer et de redevenir le sacré baiseur qu’il a toujours été. J’ai envie de flatter son ego de jeune mâle.
Mais les choses ne se passent pas comme j’aurais aimé. Au bout d’un moment, je sens que son érection ne progresse plus, elle faiblit, même. Je ne peux pas renoncer, je ne veux pas qu’il subisse ce nouvel échec. Mais c’est fichu.
— Arrête ! je l’entends m’intimer.
Cette fois-ci, je n’insiste pas.
— On réessaiera une autre fois.
— Non, on ne réessaiera pas.
— C’était idiot de ma part de te chauffer, c’est trop tôt.
Mais Jérém ne réagit pas. Il remonte son boxer, il se glisse sous les draps et se tourne sur le côté.
— Tu devrais rentrer à l’appart, je l’entends ajouter.
— Et pourquoi ?
— Parce que j’ai envie de rester seul.
— J’ai pas envie de rentrer à l’appart.
— Tu devrais même rentrer à Bordeaux.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— Je ne sais même pas ce que tu fous encore là, alors que je ne peux même plus te baiser !
— Je m’en fous que tu ne puisses plus me baiser ! Je suis certain que ce n’est qu’une mauvaise passe, et que tout va revenir dans l’ordre.
— Peut-être que ça ne reviendra pas !
— Je te dis que si. Et même si ça ne revenait pas, tu crois que je te laisserais tomber à cause de ça ?
— T’as toujours kiffé ma queue, et maintenant, elle ne marche plus. Je ne vaux plus rien !
— Bien sûr que je kiffe ta queue ! Mais c’est toi que j’aime, avant ta queue ! Et tu vaux tout l’or du monde à mes yeux, que tu bandes ou pas ! Putain, mais tu n’as pas compris ça encore ?!
— Tu serais peut-être plus heureux avec un autre gars, plutôt que de t’enterrer, ici, avec moi !
Ce qu’il vient de dire me touche énormément. Je reçois ces derniers mots, ce sacrifice qu’il serait prêt à faire, de me laisser partir pour ne pas me noyer avec lui, comme des mots d’amour.
— Je ne te laisserai pas tomber, tu entends ?! Je t’aime, espèce d’idiot !
Je m’allonge à côté de lui et je le prends dans mes bras. Je ressens toutes les tensions et les inquiétudes qui secouent son esprit et qui irradient dans son corps. Jérém est déçu et soucieux. J’essaie de l’apaiser en le couvrant de câlins.
Lundi 19 mai 2003.
Ce matin, Jérém a passé des examens au genou et au pied. C’est en début d’après-midi que le docteur Dupuy doit faire le voyage depuis Toulouse pour faire un bilan sur son opération. Jérém est très silencieux ce matin. Je devine qu’il est très inquiet. Je sens qu’il a besoin d’être soutenu. J’ai envie de lui proposer de l’accompagner, mais je redoute sa réaction. A ma grande surprise, c’est de lui que vient cette proposition.
— J’aimerais que tu viennes avec moi au rendez-vous avec Dupuy…
— Mais c’est avec grand plaisir que je t’accompagne, chéri !
Le docteur Dupuy regarde attentivement l’imagerie réalisée le matin. Puis, il examine le patient. Il l’invite à faire des mouvements avec ses articulations blessées, articulations qu’il ausculte avec ses mains. Il est extrêmement concentré, et son regard affiche une certaine gravité. Pourvu qu’il n’ait pas encore de mauvaises nouvelles à annoncer !
— Vous pouvez vous rhabiller.
— Alors ? lance Jérém, impatient et inquiet.
— Alors, alors. Ce que je vois, c’est exactement ce que j’avais envie de voir. Autrement dit, tout se passe on ne peut mieux. Le tendon est bien accroché, il est souple. Et même les croisés du genou n’ont pas trop perdu de leur souplesse. Le travail du kiné est excellent.
Jérém a l’air soulagé, et apaisé. Il est ému. Je suis tellement heureux que j’ai du mal à contenir mon émotion.
— Tout va bien, mon garçon, il n’y a qu’à reprendre la rééducation dans une semaine, et le tour est joué. Mais il faut être patient, il faut que ça cuise à feu doux, sinon tu vas tout cramer à nouveau. Autrement dit, tu n’auras pas d’autres sursis. Si ça recasse, on ne pourra plus réparer.
Le docteur Dupuy est très professionnel, mais aussi avenant et drôle. Au final, il est très rassurant.
— Mais ôtez-moi d’un doute, il nous lance. Vous êtes potes tous les deux, c’est ça…
— Oui, c’est ça.
— Et dites-moi, en toute franchise. Vous êtes potes comme ces potes qui n’ont pas besoin de femmes pour être heureux ?
Je suis surpris autant par sa démarche que par la formule qu’il a employée. Jérém a l’air abasourdi.
— Tu ne crois pas vraiment que tu es le premier joueur connu et pédé qui passe sur mon billard, hein ? il essaie de le mettre à l’aise. Je te rassure, j’en ai vu d’autres !
Son franc parler, sa bienveillance, son ouverture d’esprit, couplé à un solide professionnalisme rendent le personnage extrêmement sympathique et rassurant.
— Je ne veux pas m’occuper de vie privée, rassurez-vous, et tout ça, ça ne sortira pas d’ici.
— En quoi ça vous concerne ce qu’il y a entre nous ? demande Jérém.
— Je veux juste vous aider, si je peux.
— Nous aider ?
— Hétéro ou pas, il y a une complication qui survient très souvent après ce genre d’accident, et qui contribue à pourrir la vie des blessés et de leurs partenaires.
Soudain, je comprends où il veut en venir. Le sujet est sensible, mais je lui fais confiance pour savoir comment s’y prendre une fois de plus.
— Je veux dire, il se peut que certaines choses qu’on aimait faire dans le couple dans les moments d’intimité soient impossibles à faire pendant un certain temps.
— Combien de temps ? lâche Jérém, soudainement intéressé par les arguments du chirurgien.
— Je ne peux pas te dire. Chaque cas est unique et chaque corps réagit de façon différente. En fait, ce n’est pas le corps qui est à l’origine de ces troubles, mais plutôt le mental. Avec le moral au fond du seau, il est très dur… d’être dur.
— Et puis, les médocs que tu prends n’arrangent rien de ce côté-là. Mais rien n’est perdu, tu es jeune et en bonne santé par ailleurs, et une fois qu’on t’aura arrangé tout ce bazar, ça va revenir tout seul.
— C’est chiant d’avoir envie et de n’arriver à rien !
— Je sais. Mais il faut être patient, et surtout ne pas faire une fixette là-dessus. Plus tu cogites là-dessus, plus tu te bloques, et plus tu as du mal à bander. Ne cogite pas, ça viendra quand il sera temps. Et puis, dis-toi bien que dans ton malheur, tu as de la chance, Jérémie.
— De la chance ?
— Je t’ai dit que tu n’es pas le premier joueur gay que je soigne. Mais tu es sans doute celui qui est le plus soutenu, le plus entouré, le plus aimé. Tu as de la chance d’avoir Nicolas qui t’épaule avec tant de dévouement et d’abnégation. En plus, je suis sûr que tu lui as rendu la vie impossible !
— J’ai même été un vrai gros con !
Le docteur Dupuy se marre et nous libère.
Les bonnes nouvelles au sujet de ses blessures ont vachement détendu mon beau brun. Sa négativité se dissipe peu à peu. Les derniers mots du chirurgien ne sont pas non plus tombés dans l’oreille d’un sourd. Son attitude à mon égard a changé. Jérém est désormais plus aimable, plus touchant. Son envie de tendresse est revenue. Je reste dormir avec lui de plus en plus souvent, mon bonheur est total.
Nuit après nuit, les caresses de plus en plus audacieuses. Et le temps dont a parlé le docteur Dupuy ne tarde pas à arriver. Un soir, après un long câlin devenu de plus en plus sensuel au fil des minutes, je l’entends prononcer le genre de réplique qui me met dans tous mes états :
— Vas-y, suce !
Ooooooohhhhh, putaaaaiiiin !!! Comment je l’avais attendue, celle-là, comment elle m’avait manqué ! Et comment ça me fait plaisir de l’entendre prononcer ces mots, sur ce ton en plus, un ton chargé d’excitation et qui n’admet pas de réplique mais juste de l’action.
Evidemment, je m’exécute avec un bonheur inouï. Lorsque je me glisse entre ses cuisses, je trouve sa queue dans une forme qui n’est toujours pas celle du bon vieux temps, mais qui est tout à fait honorable.
Je le prends en bouche sans tarder, et je m’affaire à rendre inoubliables ces retrouvailles sexuelles.
Je le pompe longuement, doucement, et j’arrive à le faire bander davantage, j’arrive à lui arracher des soupirs et des frissons de plaisir. Quel bonheur que de retrouver cela, après tant de temps, après tant d’inquiétudes et de mauvais moments !
Ses doigts n’ont pas perdu le réflexe de caresser mes tétons pour augmenter mon excitation et mon entrain par ricochet.
Au bout d’un moment, sa queue semble reperdre un peu de vigueur. Mais je ne me laisse pas décourager. Je mets les bouchées doubles et j’arrive à l’envoyer en orbite.
— Putain, je vais jouir ! je l’entends s’exclamer, dans un long et profond soupir.
Son corps est secoué par des frissons. Le mien aussi. Ses giclées n’ont pas la puissance que je leur ai toujours connue, mais elles sont copieuses, denses, bien chaudes. Je retrouve son goût de mec avec un bonheur indicible. Et je laisse couler son jus dans ma gorge. Je savoure enfin son goût de mec, mélangé à l’enivrante sensation d’une belle victoire, celle de lui faire enfin retrouver le plaisir de l’orgasme.
Je suis tellement excité que j’ai envie de jouir. Je m’allonge à côté de Jérém et je me branle. Ses doigts caressent mes tétons et je ne tarde pas à parsemer mon torse de longues traînées brillantes et chaudes.
— Putain, tu as réussi ! je l’entends me lancer, sur un ton enthousiaste et enjoué.
— C’est toi qui as réussi, mec !
Nuit après nuit, à grands coups de caresses, de câlins, de douceur et de sensualité, Jérém retrouve sa virilité. Ce ne sont que des pipes, pour l’instant. Mais le processus de réparation de son ego de petit mec est bien lancé, et je suis confiant. Le beau brun retrouve de l’assurance, il dépasse ses angoisses, la peur de la panne.
Un soir, j’arrive à me faire posséder en me laissant glisser sur sa queue à nouveau bien raide alors qu’il reste allongé sur le dos. J’ai vu l’orgasme déformer sa belle petite gueule, j’ai vu dans son regard cette ivresse, cette satisfaction de se répandre en moi. J’ai senti sa main qui a branlé ma queue et qui m’a fait jouir sur son torse, sur ses pecs, sur ses beaux poils bruns.
— C’était un truc de fou ! il me glisse, le souffle court, un beau sourire de garçon repu dans son regard.
— Moi aussi j’ai adoré.
— Merci, Nico.
— Merci de quoi ?
— D’avoir été si patient, de ne pas être parti quand je te faisais la misère. En plus je t’ai dit tellement de fois de te casser…
— Je n’aurais jamais pu.
— Au fait, il faut que je te rembourse, Nico. Ça doit te coûter une blinde de rester ici.
— T’inquiète, ça va. J’ai de l’argent de côté.
— Comment tu peux avoir autant de thune de côté ?
— Ça va, je te dis.
— Je pense que tu me caches quelque chose.
— Pourquoi je te cacherais quelque chose ?
— Parce que je m’étais transformé en horrible con et que tu ne pouvais plus me parler.
— Y a un peu de ça… j’admets.
— Mais je vais me ressaisir, et j’aimerais bien que tu me parles à nouveau.
— Je n’ai rien à te dire !
— Moi je pense que si.
— Pense ce que tu veux !
— On fait un jeu…
— Quel jeu ?
— Tu ne me dis rien, mais je te pose des questions et tu réponds oui ou non.
— Non !
— Si ! Allez, on joue. Moi je pense que tu n’as pas toute cette thune. Oui ou non ?
— Euh… non !
J’accepte finalement de jouer à ce petit jeu, parce que je pense que Jérém a envie de savoir et qu’il va être touché par ce qu’il va apprendre. Il est désormais assez fort pour ne pas se sentir humilié par cet élan de générosité de ses potes, mais pour en ressentir une immense gratitude. Il pourra ainsi les remercier, ils le méritent tellement !
— Donc c’est quelqu’un d’autre qui casque. Oui ou non ?
— Euh… oui…
— Ça ne peut pas être mon père, j’espère que ce n’est pas le tien non plus… c’est pas eux, hein ?
— Non !
— Alors, c’est forcément quelqu’un qui me connaît et qui m’aime bien.
— Oui, ils t’aiment vraiment beaucoup.
— Ils ? Quoi, ils sont plusieurs ?
— Oui…
— Combien ?
— Deux. Même trois, en fait.
— Trois ?
— Autant de monde m’aime à ce point ?
— Oui, et beaucoup plus de monde que tu ne le crois.
— Voyons… l’un d’entre eux ne jouerait pas au Stade Toulousain par hasard ?
— Evidemment ! C’est lui qui a ouvert la souscription, je plaisante.
— Thib, putain, lui c’est vraiment le gars le plus cool de l’Univers !
— C’est clair !
— Et qui d’autre ?
— A toi de trouver ! je m’amuse.
— Voyons… Thierry ou Thomas ? Non, ils ne gagnent pas assez bien leur vie…
— Je vais t’aider… il joue aussi au rugby…
— Naaan… pas lui ?
— Lui, qui ?
— Pas Ulysse ?
— Si !
— Lui aussi, il est adorable !
— C’est vrai. J’ai discuté avec lui. Il est vraiment adorable.
— Et qui d’autre alors ?
— Tu ne devineras jamais !
— Alors dis-moi !
— Tu te souviens de mes proprios à Bordeaux ?
— Oui, très bien ! Quoi, eux aussi participent ?
— De façon indirecte. Ils m’ont annoncé que tant que je suis à tes côtés je n’aurai pas à payer mon loyer.
— Oh, ils sont incroyables !
— Ils le sont, en effet.
— A partir de maintenant, c’est moi qui prends le relais. Et je vais rembourser tout le monde.
— A ta place, je commencerais à faire un tour de coups de fils de remerciements.
Dès le lendemain soir, Jérém s’attèle à passer ces coups de fil.
Evidemment, aucun des trois sponsors n’a voulu être remboursé. Les trois ont exigé de continuer à financer mon séjour à Capbreton jusqu’à la fin de la rééducation.
— Si c’est toi qui payes, le jour où t’as un pet de travers, tu es capable de tout faire capoter. Si tu y tiens, tu me rembourseras le jour où tu disputeras ton premier match. Voilà ce qu’il m’a dit. Thib est un vrai pote, me lance Jérém, en raccrochant d’avec son meilleur ami.
— C’est évident, c’est un gars exceptionnel.
Je ne sais pas si c’est le bon moment pour passer aux aveux, pour me délester de ce poids que je traîne depuis des mois. Un poids qui n’est pas celui des remords, car je ne regrette pas ce qui s’est passé entre Thib et moi lorsqu’il est venu à Bordeaux. C’est plutôt le poids de la cachotterie, de la non franchise qui me mine depuis des mois. Je ne peux pas cacher cela à Jérém. Et non pas seulement car il risque de l’apprendre un jour, et de m’en vouloir encore plus. Non, le fait est que je ne peux pas cacher cela au garçon que j’aime. Je dois assumer mes choix. Je lui dois la franchise.
Ça fait longtemps que je veux parler à Jérém de ce qui s’est passé, mais comme me l’avait fait remarquer Thibault lors de notre première visite à Paris après l’accident, ce n’était pas le moment. Depuis trois mois, ce n’est pas le moment. Est-ce que ça l’est maintenant ? Je ne le sais pas. Au fond de moi, je redoute la réaction de Jérém. Mais ce soir, je me sens assez fort pour lui expliquer comment et pourquoi cela s’est passé. Je nous sens assez forts pour affronter cela.
— A propos de Thibault…
Les mots glissent de mes lèvres. Et une fois lancé, je ne peux plus revenir en arrière.
— Quoi, Thibault ?
— Il faut que je te dise quelque chose, Jérém.
— Vous avez couché ensemble, c’est ça ? il me glisse, le plus naturellement du monde.
— C’est ça… j’admets, désarmé par son regard, un regard qui demeure calme, aimant.
— Comment tu sais ?
— Je me suis posé la question quand vous êtes venus à Paris.
— Pourquoi ? On a fait quelque chose…
— Non, rien du tout, il me coupe. Mais j’ai vu une complicité, et aussi un malaise. Je me suis dit que ça cachait quelque chose.
— Ah…
— Ça s’est passé quand ? il m’interroge.
— Au mois de février, avant ton accident.
— D’accord.
— D’accord ? C’est tout ce que ça te fait ? je m’étonne à haute voix.
— Ça m’a fait un peu chier au début. Mais après, je me suis dit que je serais vraiment mal placé pour te faire la morale pour ça. Primo, j’ai fait la même chose il y a deux ans. Deuxio, je t’avais encore laissé tomber comme une merde. Et tertio, je préfère que ça se soit passé avec Thib plutôt qu’avec un connard qui t’aurait jeté après. Et puis, ce n’est pas comme si c’était la première fois que vous couchez ensemble ! On a fait ça deux fois, je te rappelle !
— C’est pas faux !
— Alors, je comprends parfaitement que vous ayez pu avoir envie de vous faire du bien, rien que tous les deux. Je n’avais qu’à être là avec vous. J’ai été con, tant pis pour moi…
Je suis ébahi par la réaction de Jérém, par sa lucidité, son ouverture d’esprit, sa propre remise en question, par le fait qu’il pense à mon bien-être.
— Vraiment, tu n’es pas fâche ?
— Non, pas du tout. C’était plus le fait de ne pas savoir si j’avais vu juste ou pas qui me minait.
— Alors, là, tu m’épates !
— C’était une seule fois ?
— Une seule fois.
— Même la nuit où vous êtes venus à Paris, à l’hôtel…
— Non, il ne s’est rien passé cette nuit-là.
— Et s’il n’y avait pas eu l’accident ?
— Je ne peux pas te dire Jérém…
— C’était que du sexe ?
J’hésite un peu sur la réponse. Mais je lui dois la franchise et je ne veux rien lui cacher.
— Si je te disais oui, je ne te dirais pas toute la vérité. Thibault est un garçon attachant, adorable. Je crois qu’il est impossible de ne pas ressentir de l’affection pour un gars comme lui, et encore plus impossible de coucher avec lui sans ressentir de la tendresse.
— Je sais, je sais… il admet, le regard rêveur. Tu es amoureux de lui ? il rebondit.
— Non, je ne crois pas. Thibault est quelqu’un de spécial. Mais pas aussi spécial que toi. Je pense que je pourrais ressentir de la tendresse pour pas mal de garçons. Mais ce que je ressens pour toi, je ne l’ai jamais ressenti avec aucun autre.
— C’est pareil pour moi, Nico, c’est pareil pour moi.
— Je t’aime, Jérémie Tommasi.
— Moi aussi je t’aime, Ourson !
Nous faisons l’amour. C’est doux, c’est intense.
— Merci de m’avoir parlé de tout ça, il me chuchote à l’oreille, après être venu se caler contre mon dos et m’avoir pris dans ses bras.
— Merci à toi de l’avoir pris de cette façon.
Jour après jour, je trouve Jérém de mieux en mieux dans sa peau. Entre les mots rassurants du docteur Dupuy concernant sa rééducation, sa sexualité retrouvée, ainsi que la réponse aux questionnements autour de Thibault et moi qui devaient le tarauder depuis tout ce temps, son esprit semble s’être délesté d’un grand poids. Tout cela doit jouer sur la motivation qu’il affiche désormais pour la reprise de la rééducation. Toute son attitude face à la vie a changé.
L’horizon de Jérém, et le mien avec, semble à nouveau s’éclaircir. Je suis tellement heureux ! La vie me paraît soudainement à nouveau si belle.
Et peu importe si, malgré les enveloppes remplies de notes de cours qui depuis des semaines atterrissent régulièrement dans ma boîte aux lettres, un grand merci, Monica, je ne suis pas arrivé à préparer mes examens. Peu importe si je vais rater mon semestre. Je ne regrette rien, le jeu en valait grandement la chandelle.
Papa a raison, « Des cours, ça peut se rattraper plus tard. Des blessures comme les siennes, il faut les panser maintenant ».
Voir Jérém aller mieux, ça n’a pas de prix.
— Je ne me ferai pas charcuter à nouveau ! il rugit.
— Et tu vas faire comment pour récupérer ?
— Le rugby c’est fini pour moi. De toute façon, je l’ai su au moment même où le mec m’a percuté pendant le match.
Le voir pleurer me fait un mal de chien. Je tente de lui faire sentir ma proximité et mon empathie en le prenant dans mes bras. Mais le rejet que je redoutais tant finit par tomber.
— Putain, mais lâche-moi ! Casse-toi, Nico, casse-toi ! Casse-toi et fiche-moi la paix pour de bon !
Malgré ses mots durs et blessants, je décide une fois de plus de prendre sur moi et de tenir bon. Je m’accroche. L’enjeu est trop important pour faiblir maintenant.
Il faut trouver un moyen de le convaincre de se faire réopérer par un chirurgien qui veuille bien le réopérer. Il faut à tout prix que je trouve une issue à ce problème. Ça ne peux pas se terminer comme ça !
Mais j’ai beau réfléchir, je me sens dans une impasse. Je sais que chaque minute qui passe amenuise un peu plus l’espoir de réussite d’une nouvelle intervention. Je me sens emporté par une véritable course contre la montre, et j’ai du mal à réfléchir. Dans la salle commune du Centre, j’étouffe. J’ai l’impression de vivre un cauchemar. Je me sens horriblement impuissant face à la malchance qui vient encore de frapper le garçon que j’aime.
J’ai l’impression de devenir fou. Je ne peux plus rester à attendre assis sans rien faire. Je me lève d’un bond, je sors du Centre. Je vais me balader sur la plage, sans but, emporté par une force qui me dépasse. Le jour décline, et le soir approche en amenant avec lui toutes les angoisses dont il a le secret. Le vrombissement des vagues accompagne mes pas et mes pensées.
Je marche longtemps, je marche loin. Je marche avec l’océan à ma gauche, je marche en direction de Bordeaux. Comme si ma vie d’étudiant m’appelait, loin d’ici, de toute cette souffrance. J’ai envie de revoir Albert et Daniel, Monica, Raphaël, Cécile, Fabien. J’ai envie de retrouver ma vie d’avant, avec ses hauts et ses bas, mais relativement sereine. Je n’en peux plus de cette inquiétude, de cette violence morale. Je n’en peux plus de voir Jérém souffrir, tirer la gueule, me hurler dessus, me balancer des mots qui me font mal. Je comprends que ce n’est pas lui, je comprends que c’est la peur qui le fait réagir ainsi. Mais c’est dur, très dur.
Et pourtant, je ne peux pas le laisser tomber, je ne peux pas. Il faut que je trouve le moyen de faire en sorte que Jérém accepte d’être opéré. Mais comment m’y prendre ? Comment contrer son refus catégorique ? J’ai l’impression que ma tête va exploser.
Soudain, au milieu de ce désarroi total, un souvenir, une image, un mot remonte à ma conscience et allume une petite lumière d’espoir dans mon horizon totalement bouché.
La silhouette, le visage, les cheveux grisonnants, l’allure, les lunettes, la chemise, le pantalon, la voix, les mots du chirurgien rencontré dans le train entre Toulouse et Paris le lendemain du premier accident de Jérém me reviennent à l’esprit. De ce souvenir, une idée qui me semble à la fois complétement folle et absolument fabuleuse jaillit incontrôlée, en rallumant l’espoir.
Je me suis éloigné du Centre en marchant. Je reviens vers mon appartement en courant comme un fou.
Je dois retrouver sa carte, je dois la retrouver vite. Je ne sais plus où je l’ai rangée, mais je dois la retrouver, à tout prix.
J’arrive à l’appart épuisé, en nage, essoufflé, avec un point de côté douloureux. Mais je ne me pose pas. Je cherche, je cherche, je cherche. Mais je ne la trouve pas. J’ouvre tous les tiroirs et toutes les portes de mon placard, j’inspecte toutes mes poches de pantalon, de veste de mon sac de la fac. Je feuillète tous mes dossiers de notes de cours. Je mets à sac l’appart, mais je ne trouve pas.
Ce n’est qu’au bout de longues minutes, lorsque mon studio semble désormais avoir été traversé par une tornade, que je me souviens que je l’ai tout bonnement rangée dans mon portefeuille.
Te voilà, toi, petite carte, avec le nom de ce chirurgien et celui de la clinique où il bosse. Et au verso, griffonné avec des signes tout juste lisibles, son numéro de portable. Ma joie est immense.
Je repense aux derniers mots qu’il nous avait lancés en se préparant à quitter le train, « vous pouvez m’appeler à n’importe quelle heure ». C’est adorable, mais quand-même, il est déjà 22 heures. Mais le temps presse.
Je compose le numéro du médecin, le cœur vibrant des espoirs les plus fous. Je tombe sur son répondeur. Je lui laisse un message en lui disant que nous nous sommes croisés dans le train Toulouse-Paris un mois plus tôt et que nous avions parlé de l’accident de rugby de Mr Tommasi. Je lui explique que son tendon d’Achille n’a pas tenu, et qu’il a besoin d’une nouvelle opération. Et d’un autre avis.
J’espère qu’il va me rappeler rapidement.
J’appelle le Centre pour avoir des nouvelles. Il n’y en a pas vraiment. L’infirmière que j’arrive à avoir dans le service me confirme que le transfert sur Paris a été commandé pour le lendemain à la première heure, mais que Jérém refuse toujours d’en entendre parler.
Pourvu que le chirurgien de Toulouse me rappelle à temps ! Pourvu que Jérém tienne bon dans son obstination et qu’il ne change pas d’avis ! Je voudrais tant aller le voir, lui parler de mon idée, mais je sais que je risque de me faire jeter à nouveau. Et puis, avant de lui parler de tout ça, je voudrais parler au chirurgien. Je suis anéanti par le fait de ne pas pouvoir être à ses côtés en ce moment si difficile. Il me manque tellement !
Ce soir, je suis dans un état de grande fébrilité. Le CD d’American life résonne en boucle dans mon casque. J’ai du mal à trouver le sommeil. Je ne dors pas beaucoup cette nuit.
Lundi 28 avril 2003, 8h00.
Je suis réveillé depuis plusieurs heures, depuis toute la nuit en fait. A force de compter les minutes, mon impatience est devenue insoutenable. Et la fatigue ne fait que la rendre encore plus insupportable.
Je rappelle le chirurgien à huit heures trente, je tombe encore sur son répondeur. Je commence à me sentir irrité, frustré, je commence à perdre espoir. Je n’ai pas de nouvelles de Jérém, et je ne peux pas aller le voir sans un dossier solide pour lui redonner de l’espoir.
Il est 9h30 lorsque mon téléphone sonne enfin. La sonnerie me fait bondir, le numéro qui s’affiche, avec l’indicatif de Toulouse, met mon cœur en fibrillation.
— Je me rappelle très bien de vous, me lance le chirurgien. Il va comment Mr Tommasi ?
— Pas bien en ce moment. La rééducation commençait à porter des fruits, mais le tendon d’Achille n’a pas tenu.
— La rupture itérative est ce qu’on redoute le plus dans ce genre d’opération. Il suffit d’une imprudence, un peu trop tôt, pour anéantir tout le travail du chirurgien et devoir tout recommencer à zéro. Il faut réopérer au plus vite.
— C’est ce qu’a dit le chirurgien du Centre. Mais il ne veut pas l’opérer car il pense que c’est très risqué, plus risqué que la première fois.
— Toute action est risquée, mais rien n’est impossible. Je vais aller le voir, je vais regarder son imagerie, et je vais me faire ma propre idée.
— Il faut que vous sachiez que Jérém refuse d’entendre parler d’être opéré à nouveau.
— Ouais, c’est ce qu’on va voir. Je m’en occupe. Je pars en fin de matinée et je suis au Centre dans l’après-midi.
— Je vous préviens, il n’est pas facile en ce moment !
— Un sportif blessé est rarement un gars facile. Mais ça fait plus de trente ans que j’en vois, et je commence à savoir comment m’y prendre. Votre ami va entendre ce que j’ai à lui dire. Et je vous promets que je vais lui faire entendre raison.
— Merci Monsieur.
— Avec plaisir, jeune homme.
Les mots du chirurgien et son assurance m’ont beaucoup touché. Sa confiance en la réussite d’une nouvelle opération m’a redonné espoir. Je suis au bord des larmes.
A 15 heures, le chirurgien est au Centre. Son entretien avec Jérém ne dure guère plus qu’une petite demi-heure. Juste le temps de regarder l’imagerie du patient et de donner son avis.
Le mec ne plaisantait pas. C’est pas un rigolo. L’assurance qu’il m’a montrée le matin au téléphone n’était pas en toc. Et ses arguments ont visiblement fait mouche chez le rugbyman blessé.
— Je l’opère demain matin à la première heure. Vous verrez que demain soir il sera un autre homme.
— Je ne sais pas comment vous avez fait pour le convaincre, mais merci, merci infiniment, docteur.
— Avec plaisir, jeune homme.
Le docteur Dupuy s’occupe d’obtenir l’accord de la direction du Stade. Le fax tombe en fin d’après-midi. A 19 heures, une ambulance quitte le Centre en direction de Toulouse avec Jérém à bord. Et moi je la colle au cul, à bord de sa belle allemande. Quand je regarde au fond de moi, je suis heureux. Car ce transfert est une première victoire. C’est le premier pas vers la sortie de toute cette merde.
A 23 heures, l’ambulance se gare devant la clinique toulousaine. Il est tard, je tombe de fatigue. Je n’ai pas le courage d’aller voir Jérém. Il doit être fatigué, et il a besoin de se reposer pour être en forme demain matin.
Qu’est-ce que ça me fait du bien, ce soir, de retrouver ma ville aimée, ma maison douillette, mes parents aimants.
Cette nuit encore, le sommeil est difficile. Mais cette fois, c’est l’espoir qui me tient éveillé.
Mardi 29 avril 2003.
La nouvelle opération de Jérém est programmée pour le matin. Je passe toute la journée à attendre. Heureusement, je ne suis pas seul à attendre. Maxime est là à la première heure. Le petit brun est aussi inquiet que moi, mais du mélange de nos peurs nous tirons un certain soulagement. Nous nous soutenons mutuellement, avec des mots, avec la simple présence de l’autre.
Nous parlons longuement de la chance inouïe d’avoir rencontré ce chirurgien dans le train, et du fait que jai gardé sa carte, ce qu’il n’a pas fait.
— Je suis confiant dans le fait que l’opération va bien se passer, me glisse le petit brun. Ce qui me fait le plus peur, c’est comment Jérém va affronter la convalescence. Ça a été dur la première fois de lui garder la tête hors de l’eau, j’imagine que là ça va être encore pire.
— Je préfère ne pas y penser pour l’instant, j’admets.
— Ça a été dur, hein ?
— Ne m’en parle pas. Je comprends qu’il souffre, mais rester à côté de lui est très dur.
— Si tu veux, je peux prendre le relais.
— Non, ça ira, merci. Je vais aller jusqu’au bout.
— Tu es vraiment un bon gars, Nico.
— Je fais juste ce que je peux pour l’aider.
— Je ne sais pas comment tu as fait…
— J’ai pris sur moi, et j’ai essayé de penser à des jours meilleurs.
— Oui, ça j’imagine bien. Mais je parlais de comment tu t’y es pris pour convaincre Jérém de laisser Maman lui parler.
— Ah, ça… je lui ai juste dit qu’il serait plus heureux en se débarrassant de sa colère.
— En tout cas, ça a été une réussite. Maman en pleurait de joie quand elle m’a appelé pour me l’annoncer.
— Ça me fait plaisir. Jérém était très heureux aussi. Ça lui a fait du bien d’évacuer tout ça de son esprit.
— Jérém t’écoute quand-même, plus que moi. T’as un bel ascendant sur lui, beau-frère !
Beau-frère. Comment ils me font du bien ces deux mots reliés par un tiret. Je n’avais jamais réfléchi à cela, au fait que techniquement Maxime et moi étions beaux-frères. Mais le petit brun y a pensé. Et ça me met du baume au cœur.
L’intervention prend fin vers midi. Maxime arrive à parler au chirurgien dans la foulée. L’intervention s’est très bien passée. Nous sommes tellement soulagés, nous avons besoin de laisser notre joie s’exprimer, nous nous enserrons dans les bras l’un de l’autre, en pleurs.
Maxime et moi passons quelques coups de fil pour annoncer la bonne nouvelle. J’appelle Papa, qui est très soulagé. Puis, j’appelle Thibault. Le jeune pompier vient nous rejoindre en fin d’après-midi. Il est accompagné de Thierry et Thomas, les inséparables de la joyeuse bande du rugby amateur toulousain des années du lycée.
En attendant de pouvoir rendre visite à Jérém, les trois copains se remémorent cette époque, à grands coups de rires, et de nostalgie. Les deux rugbymen amateurs interrogent également Thibault sur sa carrière au Stade.
— Tu es toujours à Toulouse, mais on ne te voit plus, depuis que tu es devenu une star ! lui lance Thierry.
— C’est vrai, c’est vrai. Je suis désolé !
— Il est aussi papa, et pompier volontaire, faut pas oublier ça, fait Thomas. C’est dommage que Nathalie et toi vous soyez séparés. Tu nous as jamais dit ce qui s’était passé…
Il s’est passé qu’il kiffe les mecs ! Cette évidence est si assourdissante dans ma tête que je la retiens de justesse alors qu’elle est à un poil de glisser sur mes lèvres.
— C’est la vie. Les choses arrivent, et parfois on ne peut rien y faire, se contente de lâcher le jeune rugbyman.
— Et tu as le temps de te chercher une poulette ? lui demande Thierry
— Pas vraiment…
— Il doit en avoir un peu partout, des poulettes ! avance Thomas.
Thibault sourit, l’air amusé. Le regard complice qu’il me lance me fait sourire aussi.
— Je crois que Nicolas sait quelque chose que nous ne savons pas ! fait Thierry qui a dû capter notre petite connivence.
— Non, je ne sais rien, rien du tout. Et si j’ai su, j’ai oublié, je m’en sors avec une pirouette.
Il est 19 heures lorsqu’une infirmière vient nous annoncer que les visites sont enfin autorisées. Mais pas plus que trois personnes à la fois. Sans nous concerter, Thibault et moi laissons d’abord Maxime y aller, avec Thierry et Thomas. J’aime autant qu’ils préparent le terrain, qu’ils mettent Jérém dans de bonnes dispositions avec leur humour, leur joie de vivre à la fois enfantine et virile, leur enthousiasme et leur optimisme encore intact, pas abîmé par tant de semaines de négativité. Aussi, Thibault et moi avons besoin de quelques instants pour parler seul à seul.
— Putain, Nico ! Tu as fait un miracle ! Quelle trouvaille que de faire appel à ce chirurgien ! C’est une légende dans le milieu du rugby. Il a réparé tant de mecs qui pensaient être foutus !
— Je ne sais pas ce qu’il a dit à Jérém pour le convaincre, mais ça a été une réussite, je rebondis.
— Il lui a donné quelques-uns des noms de joueurs très connus à qui il a offert des années de carrière après une sale blessure. Et ça, je peux te dire que c’est un argument imparable. Il a même appelé Lucas S., l’un de nos ailiers, un joueur extraordinaire, qui avait eu lui aussi une blessure grave il y a quelques années. Lucas a parlé à Jérém au téléphone et lui a expliqué tout le bien qu’il pensait de ce chirurgien.
— Trop bien !
— Mais sans toi, rien n’aurait été possible.
— Je n’ai rien fait de plus que ce qui s’imposait.
— Certes, mais tu l’as fait. Et tu as renversé une situation qui semblait sans issue. Alors là, je te tire mon chapeau, l’artiste.
La reconnaissance de Thibault, et sa façon de me la montrer, son regard plein de tendresse et d’estime, tout cela me va droit au cœur. Nous nous serrons très fort l’un contre l’autre, pendant un long moment.
— Tiens bon, Nico. Jérém est sensible à tes efforts, à ta présence. Au fond de lui, il sait ce que cela signifie. Tu penses que tu peux encore rester à ses côtés ?
— S’il m’en laisse l’occasion, oui, sans problème.
— Tu vas tenir le coup ?
— Il le faut…
— Et la fac ?
— Je m’en fous de la fac, je n’ai pas la tête à ça. Et même si je rentrais à Bordeaux, je n’arriverais à rien. Parce que mon cœur resterait avec Jérém.
— Tu es adorable Nico, il me glisse, l’air ému, en saisissant ma main entre ses deux grosses paluches bien chaudes, bien rassurantes.
— Tu as tout ce qu’il te faut à Capbreton ? il enchaîne.
— Oui, ça va merci beaucoup à toi.
— S’il te faut une rallonge, n’hésite pas.
— Merci Thibault, j’ai encore de quoi voir venir.
Maxime, Thierry et Thomas reviennent de la chambre de Jérém moins emballés que lorsqu’ils s’y sont rendus.
— Il est à cran… m’annonce le petit brun.
— Il est très fatigué, ajoute Thierry.
— On l’a un peu décrispé, mais il y a du taf encore, admet Thomas.
— Là, vu les circonstances, il faut une séance Thib… se marre Thierry.
— Tu es le seul qu’il a toujours écouté, tu es le seul qui arrivait à le raisonner, abonde Thomas. Même quand il était saoul comme une barrique !
— Il a fait du chemin depuis, c’est pas sûr qu’il m’écoute comme avant…
— On parie ?
J’appréhende un peu ces retrouvailles, mais la présence de Thibault à mes côtés me rassure beaucoup.
Maxime et ses potes avaient raison, Jérém est d’une humeur massacrante.
— Allez, Jé, ne tire pas cette tête, lui lance le jeune pompier. L’intervention s’est très bien passée, pourquoi tu n’essaies pas de te détendre ?
— Parce que je sais tout ce qui m’attend, et je ne sais pas si je vais avoir le courage d’affronter tout ça à nouveau.
— Tu ne vas pas l’affronter seul. Et ça, ça n’a pas de prix.
Jérém pousse un long soupir.
— Nico a encore envie de rester à tes côtés, malgré toutes les misères que tu lui as faites… il lance sur un ton plus léger.
— Mais qu’est-ce que tu es allé raconter ?
— Rien du tout, mais je te connais, Jé. Quand tu vas mal, il faut s’accrocher pour rester ton pote !
— Je n’ai rien demandé !
— Non, mais tu as besoin de tout, si tu veux te remettre sur pattes. Et surtout de Nico. Alors, accepte son aide. Il n’y a pas de honte à se faire aider quand on en a besoin.
— Au point où j’en suis…
— Et ne lui rends pas la vie impossible. Ce qu’il fait pour toi, c’est la plus belle preuve d’amour qu’il puisses te donner.
— Salut champion ! En fait, salut, les champions !
Sur ces mots, qui me vont droit au cœur, Thibault se retire, nous laissant seul à seul. Les quelques instants qui suivent son départ sont plombés par un silence assommant.
— Comment tu te sens ? je ne trouve pas mieux pour essayer de rompre la glace.
— Comme un mec qui s’est encore fait charcuter !
— Je ne vais pas te dire que ça va aller, sinon je vais encore me faire jeter ! je tente de plaisanter.
— Il parait que c’est toi qui as fait venir ce mec… il me lance de but en blanc.
— Quel mec ?
— Le type qui m’a opéré…
— Euh… oui !
— Tu le connais d’où ?
— Je l’ai rencontré dans le train le lendemain de ton premier accident quand je suis monté te voir à Paris avec Maxime.
J’ai l’impression que Jérém a envie de me dire quelque chose, mais j’ai l’impression que ses mots restent bloqués au fond de sa gorge. Les secondes s’égrènent et installent un nouveau silence d’une lourdeur épuisante.
— Je suis content qu’il ait pu te convaincre de sauter le pas.
— Si ça se trouve, je vais être encore plus mal foutu après. Si ça se trouve, je viens de faire une belle connerie !
— La connerie aurait été de ne rien faire. Je te promets que ça va bien se passer.
— Arrête de dire ça, tu n’en sais rien ! Cette opération ne me garantit pas que je rejouerai un jour !
— Tu as raison, je n’en sais rien. Et non, cette opération ne te garantit pas que tu rejoueras au rugby. Mais elle était quand même nécessaire pour pouvoir espérer y arriver un jour.
— Nico…
— Oui, Jérém ?
— Merci. Merci Merci.
Ce sont des petits « mercis », lancés du bout des lèvres, à peine chuchotés. Mais ils signifient tellement pour moi.
Mai 2003.
Oui, l’opération a été un succès. Un franc succès. Tout s’est bien passé, et le chirurgien a l’air très optimiste.
Pas Jérém. Après être retourné au Centre de Capbreton pour le suivi plus rapproché, la nouvelle immobilisation post-opératoire le plonge dans un état de prostration totale. D’autant que cela lui interdit également de progresser dans la rééducation des ligaments croisés de son genou, ce qui n’est pas du tout une bonne chose à ce stade.
Son mauvais état moral s’accompagne d’un mutisme irradiant une hostilité sourde, une agressivité latente et angoissante. Les jours, les semaines qui ont suivi cette deuxième opération ont été durs, éprouvants. J’avais considéré les premiers jours à ses côtés après le départ de Maxime comme les pires moments de ma vie. Je n’imaginais pas que ce triste record allait être allègrement battu un mois plus tard.
Jérém est tendu, à fleur de peau, envahi par une colère bouillonnante et prête à jaillir à chaque instant. Je marche sur des œufs à longueur de temps. Il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’il ne me hurle dessus pour un oui ou pour un non, sans qu’il ne me balance de me casser, qu’il n’a pas besoin de moi.
Et pourtant je reste. Je reste parce que je sais que je ne pourrais pas être ailleurs qu’ici, à ses côtés. Ma place est ici.
Dans cette épreuve, je peux compter sur le soutien de ma cousine Elodie. Nous nous appelons deux fois par semaine, et elle sait trouver les mots pour m’apaiser. Elle sait aussi me faire rire. Comme au bon vieux temps, où nous étions tous les deux célibataires, le temps où nous refaisions le monde assis en terrasse dans un bar à Toulouse, ou sur la plage de Gruissan. Je me rends compte que ce temps est révolu, car ma cousine a sa vie, sa petite famille. Et moi aussi j’ai ma vie. Il y a la distance géographique entre nous, et celle, encore plus inéluctable, des obligations personnelles, les circonstances personnelles, les chemins empruntés. Je sens toujours son amour, mais quelque chose a changé. Je me rends compte que notre complicité se situe désormais sur des souvenirs communs, heureux, certes, mais appartenant au passé. Le changement de nos relations avec les autres nous donne la mesure du temps qui glisse sournoisement.
Parfois, il m’arrive de penser à Ruben. Je me demande ce qu’il devient. Je me demande s’il a eu beaucoup de peine suite à notre rupture. Le dernier soir où nous nous sommes vus, il m’a semblé très fort. C’est lui qui a pris les choses en main face à mon hésitation. Je m’en veux de lui avoir fait du mal. J’espère qu’il a rencontré quelqu’un. Parfois, lorsque la solitude, la détresse et la tristesse me happent, je pense au petit Poitevin, et je m’en veux terriblement. Je pense aux bons moments que nous avons passés ensemble, aux balades à vélo, à son sourire, à son regard amoureux, à ses attentions, à son envie de m’installer dans sa vie. Je crois que Ruben m’aimait vraiment, tendrement. J’espère qu’il a rencontré quelqu’un qui le rend heureux. Certains soirs, je pars faire un tour avant d’aller me coucher. Certains soir, j’ai envie de l’appeler. Mais j’y renonce. Je me dis que c’est par altruisme, pour ne pas raviver la blessure de ma trahison. A moins que ce ne soit par lâcheté, pour ne pas être confronté à sa souffrance, dont je suis responsable, pour ne pas ajouter de la détresse à celle que je porte chaque jour.
Malgré le soutien d’Elodie, ainsi que celui de Papa et Maman, de Thib et de Maxime, au bout de quelques semaines mon moral accuse le coup. Je dors mal, je suis de plus en plus fatigué, physiquement et mentalement. J’ai du mal à me montrer positif, car tout élan dans ce sens est balayé par Jérém d’un revers de main. Si j’insiste, je me fais jeter. Il me faut garder le moral, il me faut le garder pour deux. Ou plutôt pour un régiment, tant Jérém s’emploie à le saper.
Un soir, après l’un de ses accès de colère, parti d’une broutille, je craque. Je ne peux retenir mes larmes, je pleure devant lui.
Lorsque je lève les yeux, je réalise que Jérém pleure lui aussi. Je m’approche de lui, je le prends dans mes bras. Son torse est secoué par des sanglots incontrôlables.
— Ne sois pas si méchant avec moi, s’il te plaît ! Je ne te veux que du bien ! Je t’aime, Jérém Tommasi !
— Je sais… je sais. Je suis désolé.
J’ai l’impression que tant de tensions se relâchent enfin, les miennes, les siennes. Je le serre encore plus fort contre moi, nous pleurons ensemble.
— Merci, Nico, merci.
Si je tiens, c’est grâce à ses « merci ». Parfois, sans que je m’y attende, ce petit mot glisse de ses lèvres. Ça tombe lorsque je lui apporte une boisson, lorsque je l’aide à se lever. Et si ces « merci » me touchent autant, c’est parce que je sais que c’est non seulement sa façon de me montrer sa reconnaissance pour tout, pour ma présence avant tout, malgré tout, mais aussi sa façon de s’excuser d’être aussi difficile à vivre, d’avouer son incapacité à faire autrement, sa souffrance et sa peur.
En ce mois de mai, il m’arrive de repenser régulièrement au mois de mai d’il y a deux ans, à cette insouciance, à cette magie sensuelle qu’il y avait entre nous. Il y a deux ans, à cette même époque de l’année, je découvrais le sexe avec Jérém. Tout n’était pas parfait, certes. A l’époque déjà il m’était difficile d’apprivoiser le beau brun. Je me trouvais face à un mur qui refoulait avec violence toute tendresse venant de ma part. Comme aujourd’hui, au fond. Avec la différence qu’à l’époque Jérém n’était pas si malheureux qu’il l’est aujourd’hui.
Il l’était, certes, parce qu’il n’acceptait pas ce qui se dévoilait en lui au fil de nos révisions. Mais il avait des exutoires, comme le rugby, la fête, les potes. Aujourd’hui, immobilisé pendant de longues journées, il s’ennuie, il est frustré, il a du mal à voir le bout du tunnel. Il se sent prisonnier d’un corps abîmé.
Un corps qui, au bout de deux mois d’immobilisation, commence à perdre de sa tonicité. Je n’ai pas souvent l’occasion de le voir torse nu, à part les rares fois où il m’invite à passer clandestinement la nuit avec lui. Mais lorsque cela arrive, j’observe que sa musculature, au repos forcé depuis des semaines, devient peu à peu un brin moins saillante. Jérém a sans doute pris quelques petits kilos. Rien d’alarmant, il reste une sacrée marge avant que cela cesse d’être furieusement attirant.
Au contraire, même. Je dirais même que cet adoucissement des lignes de sa musculature, combiné à sa magnifique pilosité brune laissée libre de son expression naturelle, le rend encore plus sexy. Il existe en effet une sensualité propre aux corps masculins se situant juste un poil en dessous de la pure perfection plastique. La perfection peut parfois intimider. Ce « poil » en dessous de la perfection, cette virilité sans artifices, semble rendre ces corps masculins un brin plus accessibles, et excessivement érotiques.
Et puis il y a le regard, le mien, celui de la tendresse, ce regard qui embrasse bien plus de choses que la beauté et le désir pur.
N’empêche que l’on peut constater la différence entre le Jérém d’il y a six mois, la dernière fois où j’ai fait l’amour avec lui, et le Jérém d’aujourd’hui. Une différence que le principal intéressé n’apprécie guère et qui contribue à lui saper un peu plus le moral.
— Mes abdos s’effacent, il me lance, un soir en revenant de la salle de bain.
— T’exagère, j’aimerais bien avoir des abdos effacés comme les tiens !
— Moi j’aimais bien avoir mes abdos d’avant !
— Je te trouve terriblement sexy comme tu es…
— Moi je ne me trouve pas sexy du tout.
— J’ai tellement envie de te sucer ! je m’entends lui lancer, comme un cri du cœur. Désolé, je me reprends, ça m’a échappé.
— J’ai envie aussi. Mais ça ne marche toujours pas.
— J’ai envie d’essayer…
Un instant plus tard mon nez et ma bouche parcourent son torse, agacent ses tétons, je m’enivre de la nouvelle sensualité de ce corps adouci. Je sens que Jérém est tendu, je le suis aussi. Lorsque j’arrive à proximité de sa queue, après un bon moment de préliminaires, je constate qu’elle est toujours au repos. Je cogite, je m’inquiète. L’enjeu est de taille, au sens propre comme au sens figuré. Je sais que s’il n’arrive pas à bander, ça va encore mettre un coup à son moral, à son égo de mec, que ça va le mettre en pétard, et qu’il ne va plus jamais vouloir recommencer.
J’ai pris un risque en lui proposant de lui offrir du plaisir. J’ai été surpris qu’il accepte, et ça m’a fait un plaisir fou de l’entendre dire qu’il en avait envie. Maintenant le train est lancé. Il faut qu’il arrive au terminus, ou au moins qu’il gagne quelques arrêts. J’aimerais au moins arriver à le faire bander un peu, quitte à le finir à la main ou à le regarder se finir à la main.
Je me lance, je le prends en bouche. Je me concentre sur son gland, toujours complètement détendu. J’y vais doucement, mais avec passion. J’insiste pendant un petit moment. Et mes efforts finissent par être récompensés. J’arrive à lui offrir une demi-molle.
Je continue de le pomper, confiant de pouvoir faire mieux. J’y vais franco, dans le but de le faire jouir dans ma bouche. J’aimerais tellement renouer avec cette sexualité qui nous a toujours si bien réussi à tous les deux. J’aimerais tellement lui faire sentir qu’il est en train de récupérer et de redevenir le sacré baiseur qu’il a toujours été. J’ai envie de flatter son ego de jeune mâle.
Mais les choses ne se passent pas comme j’aurais aimé. Au bout d’un moment, je sens que son érection ne progresse plus, elle faiblit, même. Je ne peux pas renoncer, je ne veux pas qu’il subisse ce nouvel échec. Mais c’est fichu.
— Arrête ! je l’entends m’intimer.
Cette fois-ci, je n’insiste pas.
— On réessaiera une autre fois.
— Non, on ne réessaiera pas.
— C’était idiot de ma part de te chauffer, c’est trop tôt.
Mais Jérém ne réagit pas. Il remonte son boxer, il se glisse sous les draps et se tourne sur le côté.
— Tu devrais rentrer à l’appart, je l’entends ajouter.
— Et pourquoi ?
— Parce que j’ai envie de rester seul.
— J’ai pas envie de rentrer à l’appart.
— Tu devrais même rentrer à Bordeaux.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— Je ne sais même pas ce que tu fous encore là, alors que je ne peux même plus te baiser !
— Je m’en fous que tu ne puisses plus me baiser ! Je suis certain que ce n’est qu’une mauvaise passe, et que tout va revenir dans l’ordre.
— Peut-être que ça ne reviendra pas !
— Je te dis que si. Et même si ça ne revenait pas, tu crois que je te laisserais tomber à cause de ça ?
— T’as toujours kiffé ma queue, et maintenant, elle ne marche plus. Je ne vaux plus rien !
— Bien sûr que je kiffe ta queue ! Mais c’est toi que j’aime, avant ta queue ! Et tu vaux tout l’or du monde à mes yeux, que tu bandes ou pas ! Putain, mais tu n’as pas compris ça encore ?!
— Tu serais peut-être plus heureux avec un autre gars, plutôt que de t’enterrer, ici, avec moi !
Ce qu’il vient de dire me touche énormément. Je reçois ces derniers mots, ce sacrifice qu’il serait prêt à faire, de me laisser partir pour ne pas me noyer avec lui, comme des mots d’amour.
— Je ne te laisserai pas tomber, tu entends ?! Je t’aime, espèce d’idiot !
Je m’allonge à côté de lui et je le prends dans mes bras. Je ressens toutes les tensions et les inquiétudes qui secouent son esprit et qui irradient dans son corps. Jérém est déçu et soucieux. J’essaie de l’apaiser en le couvrant de câlins.
Lundi 19 mai 2003.
Ce matin, Jérém a passé des examens au genou et au pied. C’est en début d’après-midi que le docteur Dupuy doit faire le voyage depuis Toulouse pour faire un bilan sur son opération. Jérém est très silencieux ce matin. Je devine qu’il est très inquiet. Je sens qu’il a besoin d’être soutenu. J’ai envie de lui proposer de l’accompagner, mais je redoute sa réaction. A ma grande surprise, c’est de lui que vient cette proposition.
— J’aimerais que tu viennes avec moi au rendez-vous avec Dupuy…
— Mais c’est avec grand plaisir que je t’accompagne, chéri !
Le docteur Dupuy regarde attentivement l’imagerie réalisée le matin. Puis, il examine le patient. Il l’invite à faire des mouvements avec ses articulations blessées, articulations qu’il ausculte avec ses mains. Il est extrêmement concentré, et son regard affiche une certaine gravité. Pourvu qu’il n’ait pas encore de mauvaises nouvelles à annoncer !
— Vous pouvez vous rhabiller.
— Alors ? lance Jérém, impatient et inquiet.
— Alors, alors. Ce que je vois, c’est exactement ce que j’avais envie de voir. Autrement dit, tout se passe on ne peut mieux. Le tendon est bien accroché, il est souple. Et même les croisés du genou n’ont pas trop perdu de leur souplesse. Le travail du kiné est excellent.
Jérém a l’air soulagé, et apaisé. Il est ému. Je suis tellement heureux que j’ai du mal à contenir mon émotion.
— Tout va bien, mon garçon, il n’y a qu’à reprendre la rééducation dans une semaine, et le tour est joué. Mais il faut être patient, il faut que ça cuise à feu doux, sinon tu vas tout cramer à nouveau. Autrement dit, tu n’auras pas d’autres sursis. Si ça recasse, on ne pourra plus réparer.
Le docteur Dupuy est très professionnel, mais aussi avenant et drôle. Au final, il est très rassurant.
— Mais ôtez-moi d’un doute, il nous lance. Vous êtes potes tous les deux, c’est ça…
— Oui, c’est ça.
— Et dites-moi, en toute franchise. Vous êtes potes comme ces potes qui n’ont pas besoin de femmes pour être heureux ?
Je suis surpris autant par sa démarche que par la formule qu’il a employée. Jérém a l’air abasourdi.
— Tu ne crois pas vraiment que tu es le premier joueur connu et pédé qui passe sur mon billard, hein ? il essaie de le mettre à l’aise. Je te rassure, j’en ai vu d’autres !
Son franc parler, sa bienveillance, son ouverture d’esprit, couplé à un solide professionnalisme rendent le personnage extrêmement sympathique et rassurant.
— Je ne veux pas m’occuper de vie privée, rassurez-vous, et tout ça, ça ne sortira pas d’ici.
— En quoi ça vous concerne ce qu’il y a entre nous ? demande Jérém.
— Je veux juste vous aider, si je peux.
— Nous aider ?
— Hétéro ou pas, il y a une complication qui survient très souvent après ce genre d’accident, et qui contribue à pourrir la vie des blessés et de leurs partenaires.
Soudain, je comprends où il veut en venir. Le sujet est sensible, mais je lui fais confiance pour savoir comment s’y prendre une fois de plus.
— Je veux dire, il se peut que certaines choses qu’on aimait faire dans le couple dans les moments d’intimité soient impossibles à faire pendant un certain temps.
— Combien de temps ? lâche Jérém, soudainement intéressé par les arguments du chirurgien.
— Je ne peux pas te dire. Chaque cas est unique et chaque corps réagit de façon différente. En fait, ce n’est pas le corps qui est à l’origine de ces troubles, mais plutôt le mental. Avec le moral au fond du seau, il est très dur… d’être dur.
— Et puis, les médocs que tu prends n’arrangent rien de ce côté-là. Mais rien n’est perdu, tu es jeune et en bonne santé par ailleurs, et une fois qu’on t’aura arrangé tout ce bazar, ça va revenir tout seul.
— C’est chiant d’avoir envie et de n’arriver à rien !
— Je sais. Mais il faut être patient, et surtout ne pas faire une fixette là-dessus. Plus tu cogites là-dessus, plus tu te bloques, et plus tu as du mal à bander. Ne cogite pas, ça viendra quand il sera temps. Et puis, dis-toi bien que dans ton malheur, tu as de la chance, Jérémie.
— De la chance ?
— Je t’ai dit que tu n’es pas le premier joueur gay que je soigne. Mais tu es sans doute celui qui est le plus soutenu, le plus entouré, le plus aimé. Tu as de la chance d’avoir Nicolas qui t’épaule avec tant de dévouement et d’abnégation. En plus, je suis sûr que tu lui as rendu la vie impossible !
— J’ai même été un vrai gros con !
Le docteur Dupuy se marre et nous libère.
Les bonnes nouvelles au sujet de ses blessures ont vachement détendu mon beau brun. Sa négativité se dissipe peu à peu. Les derniers mots du chirurgien ne sont pas non plus tombés dans l’oreille d’un sourd. Son attitude à mon égard a changé. Jérém est désormais plus aimable, plus touchant. Son envie de tendresse est revenue. Je reste dormir avec lui de plus en plus souvent, mon bonheur est total.
Nuit après nuit, les caresses de plus en plus audacieuses. Et le temps dont a parlé le docteur Dupuy ne tarde pas à arriver. Un soir, après un long câlin devenu de plus en plus sensuel au fil des minutes, je l’entends prononcer le genre de réplique qui me met dans tous mes états :
— Vas-y, suce !
Ooooooohhhhh, putaaaaiiiin !!! Comment je l’avais attendue, celle-là, comment elle m’avait manqué ! Et comment ça me fait plaisir de l’entendre prononcer ces mots, sur ce ton en plus, un ton chargé d’excitation et qui n’admet pas de réplique mais juste de l’action.
Evidemment, je m’exécute avec un bonheur inouï. Lorsque je me glisse entre ses cuisses, je trouve sa queue dans une forme qui n’est toujours pas celle du bon vieux temps, mais qui est tout à fait honorable.
Je le prends en bouche sans tarder, et je m’affaire à rendre inoubliables ces retrouvailles sexuelles.
Je le pompe longuement, doucement, et j’arrive à le faire bander davantage, j’arrive à lui arracher des soupirs et des frissons de plaisir. Quel bonheur que de retrouver cela, après tant de temps, après tant d’inquiétudes et de mauvais moments !
Ses doigts n’ont pas perdu le réflexe de caresser mes tétons pour augmenter mon excitation et mon entrain par ricochet.
Au bout d’un moment, sa queue semble reperdre un peu de vigueur. Mais je ne me laisse pas décourager. Je mets les bouchées doubles et j’arrive à l’envoyer en orbite.
— Putain, je vais jouir ! je l’entends s’exclamer, dans un long et profond soupir.
Son corps est secoué par des frissons. Le mien aussi. Ses giclées n’ont pas la puissance que je leur ai toujours connue, mais elles sont copieuses, denses, bien chaudes. Je retrouve son goût de mec avec un bonheur indicible. Et je laisse couler son jus dans ma gorge. Je savoure enfin son goût de mec, mélangé à l’enivrante sensation d’une belle victoire, celle de lui faire enfin retrouver le plaisir de l’orgasme.
Je suis tellement excité que j’ai envie de jouir. Je m’allonge à côté de Jérém et je me branle. Ses doigts caressent mes tétons et je ne tarde pas à parsemer mon torse de longues traînées brillantes et chaudes.
— Putain, tu as réussi ! je l’entends me lancer, sur un ton enthousiaste et enjoué.
— C’est toi qui as réussi, mec !
Nuit après nuit, à grands coups de caresses, de câlins, de douceur et de sensualité, Jérém retrouve sa virilité. Ce ne sont que des pipes, pour l’instant. Mais le processus de réparation de son ego de petit mec est bien lancé, et je suis confiant. Le beau brun retrouve de l’assurance, il dépasse ses angoisses, la peur de la panne.
Un soir, j’arrive à me faire posséder en me laissant glisser sur sa queue à nouveau bien raide alors qu’il reste allongé sur le dos. J’ai vu l’orgasme déformer sa belle petite gueule, j’ai vu dans son regard cette ivresse, cette satisfaction de se répandre en moi. J’ai senti sa main qui a branlé ma queue et qui m’a fait jouir sur son torse, sur ses pecs, sur ses beaux poils bruns.
— C’était un truc de fou ! il me glisse, le souffle court, un beau sourire de garçon repu dans son regard.
— Moi aussi j’ai adoré.
— Merci, Nico.
— Merci de quoi ?
— D’avoir été si patient, de ne pas être parti quand je te faisais la misère. En plus je t’ai dit tellement de fois de te casser…
— Je n’aurais jamais pu.
— Au fait, il faut que je te rembourse, Nico. Ça doit te coûter une blinde de rester ici.
— T’inquiète, ça va. J’ai de l’argent de côté.
— Comment tu peux avoir autant de thune de côté ?
— Ça va, je te dis.
— Je pense que tu me caches quelque chose.
— Pourquoi je te cacherais quelque chose ?
— Parce que je m’étais transformé en horrible con et que tu ne pouvais plus me parler.
— Y a un peu de ça… j’admets.
— Mais je vais me ressaisir, et j’aimerais bien que tu me parles à nouveau.
— Je n’ai rien à te dire !
— Moi je pense que si.
— Pense ce que tu veux !
— On fait un jeu…
— Quel jeu ?
— Tu ne me dis rien, mais je te pose des questions et tu réponds oui ou non.
— Non !
— Si ! Allez, on joue. Moi je pense que tu n’as pas toute cette thune. Oui ou non ?
— Euh… non !
J’accepte finalement de jouer à ce petit jeu, parce que je pense que Jérém a envie de savoir et qu’il va être touché par ce qu’il va apprendre. Il est désormais assez fort pour ne pas se sentir humilié par cet élan de générosité de ses potes, mais pour en ressentir une immense gratitude. Il pourra ainsi les remercier, ils le méritent tellement !
— Donc c’est quelqu’un d’autre qui casque. Oui ou non ?
— Euh… oui…
— Ça ne peut pas être mon père, j’espère que ce n’est pas le tien non plus… c’est pas eux, hein ?
— Non !
— Alors, c’est forcément quelqu’un qui me connaît et qui m’aime bien.
— Oui, ils t’aiment vraiment beaucoup.
— Ils ? Quoi, ils sont plusieurs ?
— Oui…
— Combien ?
— Deux. Même trois, en fait.
— Trois ?
— Autant de monde m’aime à ce point ?
— Oui, et beaucoup plus de monde que tu ne le crois.
— Voyons… l’un d’entre eux ne jouerait pas au Stade Toulousain par hasard ?
— Evidemment ! C’est lui qui a ouvert la souscription, je plaisante.
— Thib, putain, lui c’est vraiment le gars le plus cool de l’Univers !
— C’est clair !
— Et qui d’autre ?
— A toi de trouver ! je m’amuse.
— Voyons… Thierry ou Thomas ? Non, ils ne gagnent pas assez bien leur vie…
— Je vais t’aider… il joue aussi au rugby…
— Naaan… pas lui ?
— Lui, qui ?
— Pas Ulysse ?
— Si !
— Lui aussi, il est adorable !
— C’est vrai. J’ai discuté avec lui. Il est vraiment adorable.
— Et qui d’autre alors ?
— Tu ne devineras jamais !
— Alors dis-moi !
— Tu te souviens de mes proprios à Bordeaux ?
— Oui, très bien ! Quoi, eux aussi participent ?
— De façon indirecte. Ils m’ont annoncé que tant que je suis à tes côtés je n’aurai pas à payer mon loyer.
— Oh, ils sont incroyables !
— Ils le sont, en effet.
— A partir de maintenant, c’est moi qui prends le relais. Et je vais rembourser tout le monde.
— A ta place, je commencerais à faire un tour de coups de fils de remerciements.
Dès le lendemain soir, Jérém s’attèle à passer ces coups de fil.
Evidemment, aucun des trois sponsors n’a voulu être remboursé. Les trois ont exigé de continuer à financer mon séjour à Capbreton jusqu’à la fin de la rééducation.
— Si c’est toi qui payes, le jour où t’as un pet de travers, tu es capable de tout faire capoter. Si tu y tiens, tu me rembourseras le jour où tu disputeras ton premier match. Voilà ce qu’il m’a dit. Thib est un vrai pote, me lance Jérém, en raccrochant d’avec son meilleur ami.
— C’est évident, c’est un gars exceptionnel.
Je ne sais pas si c’est le bon moment pour passer aux aveux, pour me délester de ce poids que je traîne depuis des mois. Un poids qui n’est pas celui des remords, car je ne regrette pas ce qui s’est passé entre Thib et moi lorsqu’il est venu à Bordeaux. C’est plutôt le poids de la cachotterie, de la non franchise qui me mine depuis des mois. Je ne peux pas cacher cela à Jérém. Et non pas seulement car il risque de l’apprendre un jour, et de m’en vouloir encore plus. Non, le fait est que je ne peux pas cacher cela au garçon que j’aime. Je dois assumer mes choix. Je lui dois la franchise.
Ça fait longtemps que je veux parler à Jérém de ce qui s’est passé, mais comme me l’avait fait remarquer Thibault lors de notre première visite à Paris après l’accident, ce n’était pas le moment. Depuis trois mois, ce n’est pas le moment. Est-ce que ça l’est maintenant ? Je ne le sais pas. Au fond de moi, je redoute la réaction de Jérém. Mais ce soir, je me sens assez fort pour lui expliquer comment et pourquoi cela s’est passé. Je nous sens assez forts pour affronter cela.
— A propos de Thibault…
Les mots glissent de mes lèvres. Et une fois lancé, je ne peux plus revenir en arrière.
— Quoi, Thibault ?
— Il faut que je te dise quelque chose, Jérém.
— Vous avez couché ensemble, c’est ça ? il me glisse, le plus naturellement du monde.
— C’est ça… j’admets, désarmé par son regard, un regard qui demeure calme, aimant.
— Comment tu sais ?
— Je me suis posé la question quand vous êtes venus à Paris.
— Pourquoi ? On a fait quelque chose…
— Non, rien du tout, il me coupe. Mais j’ai vu une complicité, et aussi un malaise. Je me suis dit que ça cachait quelque chose.
— Ah…
— Ça s’est passé quand ? il m’interroge.
— Au mois de février, avant ton accident.
— D’accord.
— D’accord ? C’est tout ce que ça te fait ? je m’étonne à haute voix.
— Ça m’a fait un peu chier au début. Mais après, je me suis dit que je serais vraiment mal placé pour te faire la morale pour ça. Primo, j’ai fait la même chose il y a deux ans. Deuxio, je t’avais encore laissé tomber comme une merde. Et tertio, je préfère que ça se soit passé avec Thib plutôt qu’avec un connard qui t’aurait jeté après. Et puis, ce n’est pas comme si c’était la première fois que vous couchez ensemble ! On a fait ça deux fois, je te rappelle !
— C’est pas faux !
— Alors, je comprends parfaitement que vous ayez pu avoir envie de vous faire du bien, rien que tous les deux. Je n’avais qu’à être là avec vous. J’ai été con, tant pis pour moi…
Je suis ébahi par la réaction de Jérém, par sa lucidité, son ouverture d’esprit, sa propre remise en question, par le fait qu’il pense à mon bien-être.
— Vraiment, tu n’es pas fâche ?
— Non, pas du tout. C’était plus le fait de ne pas savoir si j’avais vu juste ou pas qui me minait.
— Alors, là, tu m’épates !
— C’était une seule fois ?
— Une seule fois.
— Même la nuit où vous êtes venus à Paris, à l’hôtel…
— Non, il ne s’est rien passé cette nuit-là.
— Et s’il n’y avait pas eu l’accident ?
— Je ne peux pas te dire Jérém…
— C’était que du sexe ?
J’hésite un peu sur la réponse. Mais je lui dois la franchise et je ne veux rien lui cacher.
— Si je te disais oui, je ne te dirais pas toute la vérité. Thibault est un garçon attachant, adorable. Je crois qu’il est impossible de ne pas ressentir de l’affection pour un gars comme lui, et encore plus impossible de coucher avec lui sans ressentir de la tendresse.
— Je sais, je sais… il admet, le regard rêveur. Tu es amoureux de lui ? il rebondit.
— Non, je ne crois pas. Thibault est quelqu’un de spécial. Mais pas aussi spécial que toi. Je pense que je pourrais ressentir de la tendresse pour pas mal de garçons. Mais ce que je ressens pour toi, je ne l’ai jamais ressenti avec aucun autre.
— C’est pareil pour moi, Nico, c’est pareil pour moi.
— Je t’aime, Jérémie Tommasi.
— Moi aussi je t’aime, Ourson !
Nous faisons l’amour. C’est doux, c’est intense.
— Merci de m’avoir parlé de tout ça, il me chuchote à l’oreille, après être venu se caler contre mon dos et m’avoir pris dans ses bras.
— Merci à toi de l’avoir pris de cette façon.
Jour après jour, je trouve Jérém de mieux en mieux dans sa peau. Entre les mots rassurants du docteur Dupuy concernant sa rééducation, sa sexualité retrouvée, ainsi que la réponse aux questionnements autour de Thibault et moi qui devaient le tarauder depuis tout ce temps, son esprit semble s’être délesté d’un grand poids. Tout cela doit jouer sur la motivation qu’il affiche désormais pour la reprise de la rééducation. Toute son attitude face à la vie a changé.
L’horizon de Jérém, et le mien avec, semble à nouveau s’éclaircir. Je suis tellement heureux ! La vie me paraît soudainement à nouveau si belle.
Et peu importe si, malgré les enveloppes remplies de notes de cours qui depuis des semaines atterrissent régulièrement dans ma boîte aux lettres, un grand merci, Monica, je ne suis pas arrivé à préparer mes examens. Peu importe si je vais rater mon semestre. Je ne regrette rien, le jeu en valait grandement la chandelle.
Papa a raison, « Des cours, ça peut se rattraper plus tard. Des blessures comme les siennes, il faut les panser maintenant ».
Voir Jérém aller mieux, ça n’a pas de prix.
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