0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 1).
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 04-07-2023 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 1).
En mémoire de JF, mécène de J&N et, avant tout, un ami.
Fin janvier 2004.
Ça fait près d’un mois que je n’ai pas vu Jérém. Après le réveillon passé à Campan, l’ailier redevenu vedette du Stade Français a été très occupé avec les entraînements et les déplacements sportifs. Les premiers ont été très intenses. Quant aux matches de championnat, ils ont été souvent à l’autre bout de la France, et je n’ai pas pu m’y rendre.
Car moi aussi j’ai mis le paquet. J’ai redoublé d’efforts pour rattraper mon retard et pour préparer la nouvelle salve d’examens qui se présentait à moi en janvier. Au final, j’ai validé mon semestre universitaire avec des bonnes notes.
Jérém n’a pas retrouvé pour l’instant le chemin des cours. Il a besoin de se concentrer sur le rugby, et il ne peut se permettre de courir plusieurs lièvres à la fois. Mais il m’a promis qu’il y reviendrait, au plus tard à la rentrée prochaine.
Ainsi, depuis le début de l’année, nous avons dû nous contenter de coups de fil presque quotidiens, et de quelques branlettes au téléphone. Mais même si son retour sur le terrain fait que nous nous voyons moins que pendant sa convalescence, je suis immensément heureux de le voir renouer avec son niveau sportif d’avant. Je ne peux m’empêcher de me dire que je suis pour quelque chose dans sa récupération physique et mentale. Et ça, ça m’emplit de joie. Je sais aussi que Jérém en est conscient, et que cette épreuve nous a beaucoup rapprochés. Comme si, après avoir été confrontés au pire, nous avons maintenant et comme jamais envie d’être unis pour le meilleur.
Faute de ne pouvoir être présent physiquement, je regarde chacun des matches télévisés. Le rugby, je m’en fous. Ce qui m’importe, c’est de voir à nouveau mon Jérém gambader sur le terrain. Ce qui m’ « emporte », c’est de le voir heureux.
Le lendemain de chaque rencontre, mon beau brun me fait un long débrief au téléphone, m’explique ce qu’il a réussi, ce qu’il a raté. Quand le match a été télévisé, je suis en mesure d’échanger avec lui, de lui poser des questions plus précises. A force de bouffer du rugby, je commence à en manier le vocabulaire avec une certaine assurance, à en comprendre les enjeux, à en apprécier les rapports de force, et à mieux saisir son ressenti. Je maîtrise aussi les mots pour célébrer ses victoires, nombreuses, et pour compatir à ses défaites. Ça n’arrive pas souvent, mais c’est quand même arrivé une fois en début d’année.
Cependant, en ces froids derniers jours de janvier, Jérém me manque à en crever. Il me tarde de le serrer dans mes bras, de le couvrir de bisous, de me réchauffer contre son corps. Et de faire l’amour avec lui. Il me tarde de l’avoir en moi, de lui donner du plaisir, de le voir prendre son pied.
Une bonne nouvelle vient égayer la grisaille de ces glaciales journées d’hiver. Faisant suite à cette perle électro qu’est l’album American Life, la nouvelle tournée de Madonna est annoncée pour l’été.
Le Reinvention Tour, un titre plein de promesses. La mise en vente des tickets se fait sur Internet, et il faut aller vite, car ça part comme des petits pains. Je demande à Elodie si elle veut m’accompagner à Bercy. Elle me répond qu’elle adorerait pouvoir venir avec moi, « comme au bon vieux temps ». Mais elle ajoute que Lucie est encore trop petite, et qu’elle ne peut pas encore la laisser la nuit.
— Pas de problème, je comprends, je lui réponds, en essayant de cacher ma déception de ne pas pouvoir partager ce moment avec elle.
Le souvenir de notre folle virée londonienne d’il y a trois ans revient aussitôt à ma mémoire, la nostalgie de notre complicité de cette époque me percute de plein fouet. Je sais que depuis qu’elle est maman, sa vie a changé. L’important, c’est qu’elle soit heureuse, et je suis heureux pour elle. Et je comprends bien que son nouveau bonheur s’accompagne de nouvelles responsabilités, de nouvelles obligations.
Mais la relation que nous avions me manque. Aujourd’hui, nous nous voyons beaucoup moins qu’avant. Et quand nous nous voyons, c’est toujours en présence de son mari et sa petite fille. Philippe est charmant, Lucie est adorable, ce n’est pas le problème. Mais en leur présence, notre complicité n’est pas la même. Nous ne nous confions pas comme nous le faisions, car nous n’en avons plus l’occasion.
Le fait est que le centre de gravité de la vie de ma cousine a bougé. Maintenant, une grande partie de sa vie tourne autour de son mari et de son petit bout de chou. Je le comprends.
D’ailleurs, j’ai aussi une partie de responsabilité dans l’évolution de notre relation. Pour mes études, j’ai mis 300 bornes entre elle et moi. Aussi, j’ai essayé de passer le plus de temps possible avec Jérém. Lorsque nous étions séparés, j’ai rencontré d’autres gars. Je ne suis pas monté à Toulouse autant que j’aurais pu le faire. Et au cours de la dernière année, la convalescence de Jérém m’a absorbé H24. Bref, autant que ma cousine, mon centre de gravité a bougé.
Mais malgré la distance, physique et affective, je sais que nous nous aimons toujours autant. Je le sens. Et Elodie trouve toujours le moyen de me le montrer.
Un jour, elle m’a lancé, au détour d’une conversation :
— Tu le sais que tu es mon cousin préféré ?
— C’est facile pour toi, je suis ton seul cousin ! je lui ai répondu.
— Il y en aurait cent, mille, un million, tu serais toujours mon préféré, elle a insisté.
— J’ai beaucoup de chance d’avoir une cousine comme toi !
Je pense que notre complicité n’a pas changé tant que ça. Le fait est qu’avec les changements de direction de nos vies, elle a moins d’occasions pour l’exprimer. Le changement de nos relations avec nos proches nous donne la mesure du temps qui passe.
Du coup, comme elle ne peut pas m’accompagner au concert, je choisis une destination plus « exotique ». Ce sera donc Lisbonne, lors du dernier concert de la tournée, le 14 septembre. J’achète le ticket sur Internet. Et le long compte à rebours commence dès l’instant où je reçois mon mail de notification de l’achat.
Février 2004.
Début février, une nouvelle prétendue relation de Jérém avec une nouvelle pouffe de compet’ sort dans la presse spécialisée en conneries.
— Tu as encore fait quoi pour avoir besoin d’une autre histoire de pétasse ? je le questionne un soir au téléphone, plus amusé que jaloux.
— Mais rien du tout ! C’est juste qu’au club ils se sont rendu compte qu’avoir des joueurs dans les journaux ça fait vendre des abonnements et des maillots ! D’ailleurs, si tu as remarqué, il y a d’autres joueurs dans l’actu.
— J’ai vu ! D’ailleurs, c’est qui ce beau petit brun maqué avec cette autre pétasse ?
— C’est Damien, le nouveau demi d’ouverture.
— Ah…
— Il est beau, hein ? il me cherche.
— Ah oui ! je fais, rêveur.
— Mais pas touche ! j’enchaîne.
— T’inquiète, il n’y a pas plus hétéro que ce gars !
— Moi aussi je croyais qu’il n’y avait pas plus hétéro que toi !
— C’est pas faux ! Tu m’as bien fait vriller !
— Et qu’est-ce que j’aime la façon dont tu as vrillé !
Dimanche 8 février 2004.
Et puis, l’occasion tant attendue se présente enfin.
— Le Week end prochain je vais jouer à Biarritz, il m’annonce un soir au téléphone. Avant d’ajouter : J’aimerais que tu viennes me rejoindre à l’hôtel.
Je n’en crois pas à mes oreilles ! Jérém m’invite à aller le rejoindre dans un hôtel à Biarritz, alors que toute son équipe sera présente.
— Mais tu n’as pas peur qu’on nous repère ?
— On fera attention. Et puis ce sera marrant d’être un couple clandestin.
Ça non plus, c’est pas faux. Ce sera même grisant. Et le fait que Jérém en ait eu l’idée, que l’initiative vienne de lui, ajoute un frisson supplémentaire, un frisson que je ressens dans tout mon corps rien qu’en imaginant ce séjour au Pays Basque. Aussi, l’entendre utiliser le mot « couple » provoque en moi un délicieux frisson.
Jeudi 12 février 2004, 16h30.
Mon voyage vers Biarritz n’est pas de tout repos. Le ciel est chargé à Bordeaux. Il commence à pleuvoir à Langon. Ça s’empire à Mont de Marsan. Le vent commence à bien souffler à hauteur de Biscarosse. La météo hostile rend la route longue et difficile. Mais la raison, l’occasion et la destination de mon trajet valent largement la peine d’affronter les éléments.
La raison, ce sont ces retrouvailles avec Jérém, après des semaines de séparation. Je n’arrive pas encore à croire que je vais rejoindre mon bobrun à l’hôtel, alors que tous ses coéquipiers seront là. Jérém a vraiment changé, et son envie de me voir est désormais plus grande que sa peur d’être découvert.
L’occasion, c’est le match contre Biarritz, un an après, jour pour jour, après son accident avec un joueur de cette même équipe. Par un heureux hasard du calendrier, cette occasion tombe le week-end du 14 février. Je ne sais pas si Jérém y a pensé, mais je trouve que c’est une belle coïncidence.
Quant à la destination, il s’agit de Biarritz, ce lieu suspendu sur cet Océan qui me fascine depuis toujours.
J’ai un souvenir très cher de Biarritz lors d’un voyage d’école vers mes dix ans. C’est le souvenir d’un temps maussade, de vent, de vagues déchaînées. C’est le souvenir d’avoir été au Rocher de la Vierge avec notre prof d’histoire géo et d’avoir été surpris et trempés par une vague puissante surgie à l’improviste.
0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 1).
Depuis ce voyage, Biarritz a quelque chose de féerique à mes yeux, lié au souvenir d’un prof passionné et passionnant qui nous faisait aimer l’histoire et la géographie parce qu’il savait les rendre vivantes. Un prof qui jouait de la guitare et qui nous faisait chanter autour d’un feu sur la plage. Un prof qui avait toujours un mot pour grandir ses élèves. En y repensant, je me dis que, plus qu’un prof, c’était un Maître.
Il est un peu plus de 20 heures lorsque j’arrive à destination. Il fait nuit, la météo est déchaînée, mais je ne résiste pas à la tentation de baisser la vitre de la voiture. Je tends l’oreille pour capter la voix de l’Océan. Je l’entends gronder, vrombir, rugir. Je ne vois pas les vagues mais je perçois leur force tapie dans le noir. Je suis cueilli par un désir très fort de descendre à la plage pour sentir les embruns sur le visage, pour sentir la puissance des éléments. J’irai demain, à la première heure.
Au poste, ils annoncent un risque de tempête. Mais je m’en fous. Je suis à Biarritz et je vais retrouver le garçon que j’aime. Alors, la météo a beau être pourrie, il a beau faire nuit, pour moi c’est le soleil qui brille. Car il brille dans mon cœur.
L’hôtel est situé juste au-dessus de la plage des Basques. Et c’est un sacré bel hôtel. Le Stade ne refuse rien à ses athlètes.
Je me gare dans une rue à proximité et je marche vers l’entrée avec ma petite valise, impatient de m’extirper de l’emprise du vent et de la pluie et de me retrouver au chaud et à l’abri.
Pendant que la rotation de la porte me fait passer du froid à la chaleur, de la tempête au calme, une question me saute à l’esprit. Je vais avoir la tête de quoi, moi, dans cet hôtel hors de prix, dans cette réception immense, carrelée en marbre, brillant de mille feux, avec un comptoir qui ressemble à un hall de banque, avec des réceptionnistes sapés ultra class que j’aperçois derrière le desk, éclairé comme en plein jour ?
Oui, je suis intimidé par le lieu. Mais je me reprends vite. Car, pour aller à la rencontre de Jérém, il faut bien vaincre mon petit malaise. J’inspire un grand coup et j’avance jusqu’au desk de la réception.
Et là, c’est un autre genre d’intimidation qui me saisit. En m’approchant de la réception, je réalise que deux des trois réceptionnistes sont de jeunes garçons beaux comme des Dieux.
— Bonjour monsieur, m’accueille l’un des deux bogoss.
Lilian, comme je peux le lire sur son badge, est un putain de beau mâle brun de vingt-cinq ans environ, la barbe de trois jours, la peau mate, une mâchoire marquée, des traits bien virils.
Sa chemise blanche et son costume gris foncé épousent parfaitement son corps vigoureux, à la fois élancé et solide, et le mettent diaboliquement en valeur. Oui, sous ces quelques couches de tissu, je devine une ligne d’épaules tout simplement délicieuse, ainsi qu’un torse interminable.
Je suis immédiatement confronté au paradoxe de contempler cette tenue, cette élégance, saisi par une fascination inépuisable, et l’envie de voir le bogoss dans son plus simple appareil. Je ne peux m’empêcher de ressentir une envie brûlante de voir de mes yeux ce que ma vue me laisse imaginer.
Avec ses cheveux bruns frisés et bien fournis, Lilian me rappelle un certain type de beauté masculine dont j’ai fait l’expérience récemment. Il me fait penser à un certain type de garçon italien, comme j’ai pu en voir pendant le voyage avec Jérém. En fait, lorsque je regarde Lilian, je ne peux m’empêcher de penser au David de Michel Ange.
Mais un David à la sensualité débordante. Un David au regard brun est profond, ténébreux, un tantinet impressionnant de premier abord. Un regard que je n’arrive pas à soutenir.
— Bonjour, je me lance.
— Bonjour Monsieur, fait le jeune réceptionniste sur un ton neutre et professionnel. Autrement dit, rien qui m’aide à surmonter mon malaise.
Il y a un je-ne-sais-quoi de sauvage et d’animal qui se niche dans sa bouche, dans ses lèvres, dans sa belle dentition de jeune loup.
— Je suis Nicolas Sabathé, j’ai une réservation… enfin, je suis attendu… je finis par bégayer.
Je ne sais pas trop comment expliquer à ce jeune mâle, beau comme un dieu, mais pas vraiment avenant, que je viens retrouver un gars, qui est par ailleurs un rugbyman déjà bien connu par le grand public, et que je viens le retrouver à l’insu de ses coéquipiers et de ses dirigeants.
D’autant plus que je sens sur moi son regard viril, et que je l’imagine alourdi par le soupçon, le jugement et le mépris que ma démarche pourrait lui inspirer. Je me démène comme quelqu’un en train de se noyer, alors que Lilian me fixe comme quelqu’un qui n’en a rien à foutre. Son silence, ainsi que la fixité de son regard ne font qu’augmenter mon malaise de seconde en seconde. J’ai l’impression d’étouffer.
Jusqu’à ce qu’une main me soit enfin tendue.
— Je vais m’occuper de Monsieur, mon cher ami. Lilian, mon chou, tu pourrais t’occuper d’éditer le journal de demain si tu le veux bien.
— D’accord, Mr Charles.
Le plus âgé des trois réceptionnistes vient donc de prendre le relais du beau mâle brun frisé.
— Bonjour monsieur Nicolas, Mr Jérémie m’a prévenu de votre arrivée.
Mr Charles est un homme d’un âge que je situe autour des 70 ans. Du fait d’une grande stature, par ailleurs déséquilibrée par une largeur insuffisante des épaules et d’un embonpoint que le costume n’arrive plus à masquer, sa silhouette n’est pas vraiment harmonieuse.
On dit de certaines personnes qu’ils ont les traits fins. Avec un nez empâté, des joues proéminentes, un double menton bien installé, il n’y a pas plus éloigné de cette définition que le visage de Mr Charles. Sa calvitie totale, naturelle, mais également entretenue, ainsi qu’un rasage de très près, contribuent à souligner l’empâtement que l’âge a apporté à son visage. Si ses traits manquent de finesse, ils ne sont pas virils non plus. Du haut de son âge, Mr Charles pourrait avoir l’air d’un doyen. Il a en réalité l’allure imposante d’une matrone.
— Voilà, c’est la 130, premier étage juste en face des ascenseurs, il m’explique. Elle est juste à côté de la 132, celle de Mr Tommasi.
— Je croyais… je m’étonne pendant une fraction de seconde.
Oui, je m’étais imaginé que je séjournerais dans la chambre de Jérém. Mais je suis bête, il ne faut pas exagérer quand-même ! Bien sûr que c’est mieux comme ça, une chambre pour moi tout seul. Il viendra me rejoindre, et nous serons ensemble.
Mr Charles semble amusé par ma surprise.
En croisant son regard je réalise que derrière ses lunettes fines se nichent deux petits yeux perçants qui semblent dégager en permanence un je-ne-sais-quoi de féminin, de bienveillant. Mais également une petite étincelle lubrique.
— Passez un bon séjour dans notre hôtel, Monsieur, et n’hésitez pas à venir me voir si vous avez besoin de quelque chose, vous ou votre ami…
La pause que Mr Charles a marqué avant le mot « ami », associée à un petit sourire esquissé juste au coin de l’œil, me confirme qu’il a compris pour Jérém et moi. L’idée me plaît, d’autant plus que le monsieur a l’air de quelqu’un de plutôt discret et bienveillant. Dans son attitude, il semblerait que le fait que j’aille retrouver le garçon que j’aime soit tout à fait normal.
Oui, Monsieur Charles est à un âge où il est difficile d’être attirant. J’ai même du mal à imaginer qu’il ait pu être un jour un homme ou un garçon que j’aurais pu trouver à mon goût. Et pourtant, force est de constater que ce monsieur possède une présence, une prestance. Cela tient à son élégance, à sa profonde gentillesse, à sa disponibilité, à une façon d’être qui sait mettre à l’aise, apaiser.
— Merci Monsieur, je prends congé.
— Moi je retourne au bar, j’entends le troisième réceptionniste lancer à Mr Charles.
— Va, mon lapin, va ! j’entends ce dernier lui glisser. Et sois sage !
Le bogoss prend congé avec un sourire à faire fondre la banquise.
Dorian, et c’est encore le badge qui s’est chargé des « présentations », n’est en réalité pas un réceptionniste comme j’avais imaginé au départ, mais un barman. Sa tenue est en effet différente de celle de Mr Charles et de la bombasse Lilian. Il ne porte pas de veste. Il porte en revanche un gilet de couleur bordeaux enveloppant une chemise blanche, cette dernière enveloppant un autre magnifique torse de jeune mâle. Un nœud papillon noir parfait l’élégance de sa tenue. Une élégance portée avec insolence, tout comme sa jeune virilité.
Dorian est un garçon qui doit avoir entre 22 et 25 ans, de taille moyenne. Sous sa tenue de serveur, je devine un physique délicieusement musclé mais sec, un parfait physique de petit con. Entre ses grands yeux noisette et un petit menton plutôt joli, trouvent place un nez à la fois bien droit et un peu abrupt, et une bouche aux lèvres un brin épaisses et terriblement sensuelle.
Avec ses cheveux châtain clair, ondulés, très fournis, coiffés vers l’arrière, il me fait penser à certaines photos en noir et blanc d’acteurs du cinéma muet. Dorian est un garçon de toute beauté, au regard charmeur, au sourire insolent. Dans son regard, que je n’ai croisé qu’à une seule reprise, il m’a semblé capter une étincelle qui me fait me dire : lui, c’est un coquin.
Un instant plus tard, le bogoss s’active derrière le comptoir du bar. C’est là que je réalise qu’un petit groupe de gars solides est en train de s’y presser. Ces gars, je les connais, car ce sont les rugbymen du Stade. Ça parle fort, ça rigole, c’est l’apéro.
Parmi eux, je capte le beau blond barbu Ulysse. Le demi de mêlée me capte à son tour, me sourit. Il me lance même un petit clin d’œil charmant. Avec ses beaux cheveux et sa barbe fournie mais entretenue, il est beau comme un Dieu Celte. Mais il ne vient pas me voir. Je me dis qu’il a dû recevoir la consigne de Jérém comme quoi je suis là incognito.
D’ailleurs, en parlant de Jérém, je m’imaginais bien qu’il ne serait pas être là pour m’accueillir les bras ouverts. Mais où est-il ?
Mon attente n’est que de courte durée. La porte de l’ascenseur s’ouvre et mon bobrun apparaît enfin. Et il est à tomber ! Chemise bleu intense avec intérieur du col et revers du montant de la boutonnière d’une couleur plus sombre, t-shirt blanc col en V qui dépasse des deux derniers boutons du haut laissés ouverts, la petite chaînette qui brille à la lumière des spots de la réception, un beau jeans gris métal, des chaussures noires. Il est terriblement sexy. Et ce sourire, j’ai beau le connaître, à chaque fois je vibre, je chauffe, je surchauffe. A son contact, je m’embrase.
Hélas, ce beau sourire ne m’est pas destiné. En effet, mon bobrun n’est pas seul. Mais c’est qui cette pouffe maquillée comme un camion volé qui le colle ? Elle m’est d’emblée antipathique. Pas touche, bas les pattes, Jérém couche avec moi et rien qu’avec moi, du moins quand je suis dans les parages ! Et, surtout, jamais il ne trempe sa queue dans une pouffe comme toi !
Je reste planté devant le grand pilier à côté de la réception pendant que le bobrun passe à quelques mètres à peine de moi. Je suis happé par sa présence. Je ne peux décoller mes yeux de lui. Car il me semble que quelque chose a changé chez lui. Comme si, pendant les quelques semaines où nous ne nous sommes pas vus, il avait avancé dans sa vie, comme si sa personnalité avait pris une direction inattendue. Ce n’est peut-être qu'une impression provoquée par le fait de le voir dans un autre contexte que nos « tête à tête ». C’est peut-être un rôle qu’il joue, un personnage qu’il s’est créé pour se fondre dans la masse. Nous jouons tous un rôle différent suivant le contexte dans lequel nous nous trouvons.
Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’observer que Jérém a retrouvé de l’assurance et de l’aisance. Comme avant l’accident, et même plus.
Ça fait déjà presque un an que mon bobrun a été blessé au cours d’un match. Si on m’avait dit à ce moment-là qu’un jour il récupèrerait toute sa forme, si on m’avait dit que cet accident nous rapprocherait et que ça marquerait un nouveau départ dans notre histoire, j’aurais eu du mal à le croire. Et pourtant, ces miracles se sont bel et bien produits.
Sa nouvelle assurance m’impressionne, m’attire. Sa présence me paraît magnétique comme jamais. Je suis impressionné par son élégance, son aisance, son charme. Je suis peut-être troublé par le fait de le retrouver dans un contexte différent, de le voir complice et tactile avec ses coéquipiers, de les voir plaisanter, de le voir si bien intégré à un monde dont je ne fais pas partie.
J’en arrive à me demander si ce soir je vais retrouver le garçon que je connais. Je me demande s’il va me reconnaître, lui. Si, de la même façon que je suis impressionné par ses changements, il ne va pas être déçu par mon absence d’évolution. Est-ce qu’il ne va pas se lasser de retrouver un Nico qui est toujours étudiant, avec des préoccupations d’étudiant, alors que lui est bien installé dans sa vie, dans sa carrière, dans sa notoriété ?
Je suis tellement dérouté par ce « nouveau Jérém » que je ne peux pas m’empêcher de le regarder tout au long de son déplacement depuis l’ascenseur vers le comptoir du bar, comme pour essayer de comprendre, comme pour tenter de mesurer l’étendue de ses changements.
Nos regards finissent par se croiser. Et là, le beau brun me lance l’un de ses sourire les plus charmants. Un instant plus tard, je le vois sortir son téléphone de sa poche et tapoter sur son clavier. Et en même temps qu’il le range à nouveau dans sa poche, le mien émet une courte vibration. Un SMS vient d’arriver.
« J’ai envi de toi, Ourson. Je me libère vite ».
« Moi aussi, j’ai envie de toi. A tout, ptit Loup ! ».
Mes inquiétudes, tout comme l’image écœurante de cette pétasse faisant du gringue à mon beau Jérém se dissipent sous les rayons chauds de notre complicité. Je prends l’ascenseur avec des papillons dans le ventre.
Comme annoncé par Mr Charles, la chambre 130 est en effet juste en face de l’ascenseur. Je plaque ma carte devant le capteur de la serrure et je rentre en vitesse. J’ai atteint mon but, j’ai réussi mon infiltration. Je dois admettre que cette ambiance clandestine est plutôt excitante. Cette piaule est la planque parfaite.
La tête de la piaule ! Elle est immense ! Un petit couloir côtoie la salle de bain et conduit à une chambre spacieuse, lumineuse, très bien décorée, luxueuse. Dans cet espace que la moquette rend tout particulièrement feutré et chaleureux, tout est doux et accueillant. Sur la gauche, un très grand lit à l’allure très confortable. Au fond à droite, un coin salon avec une table basse et deux fauteuils. Dans un autre coin, un petit bureau. Et tout au fond, une grande baie vitrée face au vent qui souffle la tempête.
Les rafales se déchaînent sur les arbustes devant l’hôtel. Ça fait un de ces raffuts ! Certaines d’entre elles sont très violentes. Je me demande comment les vitres peuvent tenir. J’aime cette puissance des éléments, j’aime la voir se déchaîner dehors, en même temps que j’aime m’en sentir protégé par un abri confortable.
Je suis tellement excité à l’idée que dans quelques heures Jérém sera là avec moi. Pourvu que sa soirée ne s’éternise pas !
J’ai faim, je descends pour dîner. Mon beau brun et ses potes rugbyman sont toujours au bar. Ça discute bruyamment, ça rigole tapageusement, ça picole abondement.
Et toujours cette blondasse tout près de lui. Et vas-y qu’elle le colle sans ménagement, vas-y qu’elle lui attrape le biceps, vas-y que sa main se balade sur son dos. Et puis il y a les regards qui caressent, les longs faux cils qui traînent. Naaan, mais ça suffit, hein !
Derrière le comptoir du bar, le petit Dorian semble lui aussi tout particulièrement intrigué et attiré par Jérém. D’ailleurs, profitant d’un instant pendant lequel mon beau brun se retrouve seul, le jeune serveur se penche vers lui et lui chuchote un truc à l’oreille.
Jérém lui tend son verre, tout en appréciant le regard pétillant et charmeur que Dorian laisse longuement et lourdement traîner sur lui. Puis, alors qu’il semble vouloir se lever, le jeune barman se penche une nouvelle fois vers son oreille. Les quelques mots qu’il y glisse doivent être bien marrants, car ils ont le pouvoir de faire éclater Jérém de rire. Quant à la réponse de ce dernier, elle ne doit pas être en reste, puisque cela permet à Dorian de dégainer un grand sourire à la fois lumineux, désarmant et conquérant. Il me semble – je peux me tromper, mais je ne crois pas – que le petit Dorian est en train de faire du gringue à mon Jérém.
Même si je me doute bien que Jérém doit se faire draguer lorsqu’il est loin de moi, et qu’il doit assurément conclure de temps en temps, le fait de voir carrément un autre garçon lui faire des avances c’est carrément autre chose. Je note ça, avec l’intention de lui en parler le moment venu. Qu’est-ce qu’il attend de Dorian ? Ça pourrait être l’occasion d’un nouveau plan à trois comme on en a eu en Italie l’été dernier.
Même si, depuis le temps que je n’ai pas vu Jérém, j’ai bien envie de l’avoir pour moi et rien que pour moi.
En me dirigeant vers le restaurant, je n’ai pas l’occasion de recroiser son regard. Je ne le cherche pas non plus avec trop d’insistance. Le mot d’ordre est « discrétion ». Je ne veux pas me faire remarquer.
Il est près de 21 heures lorsque je m’installe à une table dans un coin de la salle de restaurant. Quelques minutes plus tard, un jeune serveur s’approche de moi pour prendre ma commande. Sur son badge est écrit : « Vivian ».
Vivian est un beau garçon bien typé basque espagnol, un gars du terroir. Il est plutôt élégant dans sa tenue chemise blanche, costume noir, cravate bleu ciel. Il a l’air timide, et un brin maladroit. Je me dis qu’il doit être nouveau dans l’équipe du resto.
Je cherche son regard et je lui souris. Il me sourit en retour. Son sourire est touchant. Je me fais la réflexion que, définitivement, mis à part Mr Charles, dans cet hôtel il semble n’y avoir que des employés bogoss. Est-ce un hasard ? J’aurai ma réponse plus tard.
La main de Vivian tremble lorsqu’il me tend le menu. Elle n’est pas assurée non plus lorsqu’il m’apporte l’entrée. Ce n’est pas mieux lorsqu’il m’amène le poisson. Mais c’est au moment du dessert que les choses se précipitent. Car un accident, que dis-je, un drame, finit par se produire. Oui, en m’apportant ma crème catalane, le jeune hidalgo fait tomber la petite cuillère. Il s’en excuse, l’air confus et perdu.
— Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave, je tente de le rassurer.
Mais il a l’air si mal à l’aise, le pauvre ! Il s’excuse encore et encore, au moins dix fois. Son visage est devenu écarlate. Pendant un instant, je pense qu’il va faire un malaise.
— Ça fait longtemps que vous travaillez ici ? je tente de désamorcer l’« accident » lorsqu’il m’apporte une nouvelle cuillère.
— Deux semaines. Désolé, je ne suis pas encore très à l’aise.
— Ne soyez pas désolé, ça va aller, je m’entends lui répondre. Déjà, vous avez la classe. Et pour ce métier, c’est un grand atout. Le reste, ça va venir.
— Merci, Monsieur.
J’ai l’impression qu’après mes mots, son sourire a pris une petite nuance d’assurance. Comme c’est délicieux que de faire frissonner l’égo d’un beau garçon !
Je commence à déguster mon dessert lorsque j’entends un bruit de foule heureuse et fêtarde approcher. J’avais remarqué à mon arrivé que tout un grand secteur de la salle portait des chevalets avec le logo de l’équipe. L’apéro a joué les prolongations, et le groupe de rugbymen vient enfin prendre place dans le restaurant. Jérém rentre à son tour, avec toujours cette pétasse collée à lui.
A table, Jérém fait du Jérém, comme toujours quand il se sent à l’aise. C’est le mec drôle, celui qui met l’ambiance, comme le soir du dernier repas de classe avant le bac. Oui, définitivement mon beau brun a bien gagné en assurance. A tout juste 22 ans, tout lui sourit, carrière sportive, argent, notoriété, charme. Un claquement de doigts et il peut avoir ce qu’il veut ou qui il veut.
Combien de poufiasses blondes ou de mecs charmeurs comme Dorian doit-il rencontrer lors de ses déplacements, lors de ces nuits à l’hôtel où je ne suis pas présent, lorsque la solitude, et son pendant, le verre de trop, rendent possibles bien des rapprochements ?
Dorian vient prêter main forte à Vivian au restaurant. Les deux serveurs s’affairent autour des tables des rugbymen pour servir les entrées. En les regardant faire côte à côte, je réalise que le contraste de leurs personnalités est saisissant. Dorian voltige entre les tables et les convives avec une aisance naturelle. Vivian est moins rapide, un tantinet maladroit. Vivian est une beauté timide, Dorian une beauté friponne. Vivian est touchant, Dorian est charmeur.
Mon café arrive enfin et je le bois en vitesse, pressé de m’éloigner de cette vision d’horreur, cette conasse pelotant sans vergogne mon Jérém à moi. De ça aussi, il faut que je discute avec Jérém.
Je remonte à la chambre, je me cale sur le lit devant la télé. J’attends avec impatience le moment où il va venir me rejoindre. Mille idées me traversent l’esprit et je ne fais que zapper. C’est qui à la fin cette pétasse qui le colle tout le temps ? Pourquoi il se laisse faire ? Est-ce qu’ils ont couché ensemble ? Est-ce que Dorian a fait des propositions à mon beau brun ? Est-ce qu’il va le faire ? Comment Jérém va-t-il réagir ?
Mais tous ces questionnements sont vite balayés par la fébrilité de l’attente, par l’impatience des retrouvailles. Je crève d’envie de le prendre dans mes bras, de le sentir contre moi, de sentir l’odeur de sa peau, de son parfum, de le couvrir de baisers. Je lui parlerai de cette pétasse, et je lui parlerai de Dorian aussi, mais pas ce soir. Ce soir, il y a bien plus urgent.
Mais l’heure tourne, et Jérém ne vient pas. Je suis de plus en plus excité, je me retiens de justesse de me taper une branlette. Je ne veux pas, je veux me réserver pour Jérém. J’essaie de tromper l’attente et de me calmer en prenant une longue douche. Elle a le pouvoir de m’apaiser. De retour de la salle de bain, je reçois un SMS de ma cousine Elodie. Je la rappelle malgré l’heure tardive. Je passe presque une heure à lui parler de mon présent, du bonheur d’être là à attendre que le mec que j’aime vienne me rejoindre pour une nuit d’amour. Je suis sur un nuage. La vie tout entière me paraît belle et simple.
Après avoir raccroché, je ne tarde pas à m’ennuyer à nouveau. Quoi faire en attendant que Jérém vienne me rejoindre ? Mais combien ça dure, ce dîner, à la fin ?
Soudain, une idée qui me paraît lumineuse traverse mon esprit. Je quitte ma chambre vers 23h30 avec l’intention de m’installer sur un fauteuil de la réception, sous couvert d’un bouquin à lire, tout en surveillant les mouvements de mon beau brun.
Mais mon livre ne me sera pas d’un grand secours. Primo, j’ai l’impression que le resto est vide, car bien silencieux. Je me demande donc où les rugbymen ont bien pu passer. Aussi, la réception est déserte et Dorian est seul au bar. Malgré mes efforts contraires, le bogoss à proximité accapare mon attention. Il faut dire que ce petit gars est vraiment sexy en diable.
Et si mes regards ne cessent de revenir sur le beau serveur, les siens ne sont pas en reste non plus. Et ils finissent par se croiser. Son magnifique sourire me transperce comme une flèche aiguisée décochée par surprise. Et avant que j’aie le réflexe de lui sourire à mon tour, Dorian me lance :
— Vous passez une bonne soirée, Monsieur ?
— Oui pas mal, merci. Vous aussi ?
— Je bosse, vous savez…
— Oui, c’est vrai, pardon !
— J’ai bientôt terminé.
— Vous devez être bien pressé de rentrer.
— Ça va, j’ai cinq minutes.
Puis, il enchaîne, sur un ton si avenant et un autre sourire si charmant rendant tout refus inenvisageable :
— Je peux vous offrir un verre ?
Le petit gars est doté d’une voix bien grave, bien mâle, une voix qui surprend un peu vu son gabarit de jeune petit con, de jeune mâle en devenir, une voix qui touche en moi des cordes sensibles. Putain de mec !
— Pourquoi pas, je finis par lui répondre.
— Je vous sers quoi ?
— Un blanc moelleux, style Jurançon.
— Voilà un garçon raisonnable ! il me lance.
— C’est tout moi, ça, je plaisante.
Et là, après m’avoir servi un verre de blanc, il dégaine un sourire aussi aveuglant que lubrique et il me lance, en me regardant droit dans les yeux :
— Venez chez moi ce soir et vous verrez à quel point je peux vous rendre déraisonnable.
Ah, zut, alors ! Le beau Dorian me fait carrément du rentre dedans. Et avec quel aplomb, quelle assurance, quelle désinvolture, quelle effronterie ! Et, surtout, avec quelle liberté d’esprit. Certes, cet élan n’est pas complétement un « saut dans le vide » pour le jeune barman. Je suis carrément fasciné par son délicieux culot.
Ça me flatte, surtout venant d’un si beau garçon. Car ce mec me plaît vraiment beaucoup. Son regard pétillant et canaille dégage une sensualité de chaque instant, et laisse imaginer un sacré potentiel dans un pieu. Probablement, dans un autre contexte, dans un autre moment, ma réaction serait un grand « oui ». Mais ce soir, j’ai envie d’autre chose. Ce soir, j’ai envie de retrouver mon Jérém, d’être seul avec lui, de retrouver la magie d’Ourson et P’tit Loup.
— Dorian, ça me flatte beaucoup…
— Alors, c’est ok ?
— Je ne peux pas !
— Ah bon ?! Je ne te plais pas ?
Dorian passe du vouvoiement au tutoiement sans transition.
— Oh que si ! Je vous trouve très à mon goût…
— Mais ?
— Mais je ne suis pas seul !
— On va dire que ce qui se passe à Biarritz, reste à Biarritz…
— Certes, mais mon ami est à Biarritz aussi, et dans cet hôtel aussi.
— Ah, voilà autre chose ! Et tu es avec qui, si c’est pas indiscret ? Tu es arrivé seul et tu as dîné seul, il énonce, l’air très intrigué. Certes, tu mates les rugbymen, mais qui ne mate pas les rugbymen… Mais attends… attends, attends, attends un peu… naaaan, c’est pas possible !
— Quoi, donc ?
— Je t’ai vu !
— Tu as vu quoi ?
— J’ai vu que tu ne décroches pas les yeux de l’un des bogoss de l’équipe !
Celui-là, il a vraiment les yeux partout !
— Si tu le dis, je tente de le balader.
— Je l’affirme, même ! C’est le brun canon du groupe, hein ? Jérémie, c’est ça ?
— Ça c’est toi qui l’affirmes, moi j’ai rien dit ! Si on m’interroge, je nierai tout en bloc et je dirai que tu débloques ! D’ailleurs, ils sont passés où ?
— Ils sont sortis picoler ailleurs, il me glisse. Putain, vous êtes ensemble ! il s’enflamme. Je savais qu’il était pédé ! Ça ne se voit pas comme ça, mais ce sont ses regards qui le trahissent. Et c’est pour ça que lui non plus n’a pas voulu, c’est parce qu’il est avec toi !
— Tu lui as fait des propositions ?
— Et comment !
— Tu te gènes pas, toi !
— Et pourquoi, je devrais ? Je dois en profiter tant que je plais, je ne vais pas attendre d’avoir 60 ans pour prendre du bon temps ! Et puis, je pouvais pas deviner qu’il était maqué !
— Mais tu as bien raison, j’admets.
Je suis à la fois enchanté et inquiet d’entendre le récit de Dorian. Enchanté que Jérém ait décliné sa proposition. Au moins dans ce contexte, celui de ma venue. J’aime croire que lui aussi a envie de passer la nuit de nos retrouvailles rien que tous les deux.
— Vous êtes ensemble ou vous couchez juste ensemble ? il m’interroge.
— C’est complexe, je dirais.
— Raconte, j’ai le temps finalement, il se marre.
— Aujourd’hui, je dirais que nous sommes ensemble. Même si la plupart du temps la distance nous empêche de l’être physiquement, nous sommes ensemble.
— Pourquoi, t’es d’où, toi ?
— De Toulouse, tout comme lui. Mais je fais des études à Bordeaux. Et lui il est à Paris.
— Et vous avez des « à côté » ?
— Ça nous arrive. Enfin, ça nous est arrivé.
— Et donc, c’est l’air de Biarritz qui vous rend si sages ?
— Ça fait un moment qu’on ne s’est pas vus, tu comprends ?
— A priori, il ne s’ennuie pas à Paris !
— Je ne sais pas ce qui se passe dans sa vie quand je ne suis pas avec lui, et je ne veux pas savoir.
— Bah, si on sait, un peu, si on croit à une certaine presse !
— Cette histoire est inventée de toute pièce !
— Tu crois ?
— Je l’affirme.
— Je me disais bien que la blonde était juste là pour faire déco. Quand je les ai vus ensemble, j’ai cru assister à un mauvais remake de la « Belle et la Bête », genre le « Beau et la bête de Cirque ».
— C’est ça, exactement ça !
— Et t’as pas peur qu’à Paris il rencontre un autre gars qui lui fasse tourner la tête ?
— C’est un risque à prendre. Faire confiance, c’est toujours prendre un risque…
— C’est pas faux, il admet.
— L’année dernière nous avons traversé une période très difficile. Mais à la fin, ça nous a rapprochés. Perso, aujourd’hui je ne ressens pas le besoin d’aller voir ailleurs, même pour un plan. Nous nous en sommes donné le droit, mais je n’ai pas vraiment envie de m’en saisir. Est-ce que lui va toujours voir ailleurs ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est vraiment important ? Je ne pense pas. L’important, c’est ce qu’il y a entre nous, ce quelque chose que nous ne trouverons pas ailleurs.
— Je te trouve bien confiant !
— Certaines choses on les ressent au plus profond de soi. Et puis, comme on vient de le dire, il faut faire confiance.
— Tu as peut-être raison. Et franchement, je t’envie. Je comprends que tu n’aies pas besoin de plus, et qu’il n’ait pas besoin de plus lui non plus.
— Non, je n’ai pas besoin de plus, je confirme.
— Vous êtes ensemble depuis combien de temps ?
— Trois ans, depuis la dernière année de lycée.
— T’as du bol, toi !
— Ça n’a pas toujours été de tout repos, mais je ne regrette rien. Parce que tous les mauvais moments, toutes les erreurs, tous les jours loin de lui n’ont fait que préparer à chaque fois des retrouvailles géniales. Comme ce séjour à Biarritz.
— Alors, je suis heureux pour vous !
— Merci !
— Ceci étant dit, si tu changes d’avis…
— Je ne changerai pas d’avis !
— Sait-on jamais, si à tout hasard ton beau rugbyman rentre beurré et qu'il n’est pas assez frais, je serai là demain pour rattraper le coup !
Lui, vraiment, il ne perd jamais le nord. En fait, il rigole. A moitié. Je rigole à mon tour, mais sans aucune ambiguïté.
— T’es un mec extra, je lui lance.
— Allez, file dans ta chambre lui chauffer le lit !
— Bonne nuit, Dorian !
— Ouais, c’est ça, bonne nuit ! Toi tu vas t’envoyer en l’air tandis que moi je vais me la mettre sur l’oreille et la fumer plus tard !
Nous nous quittons sur ces mots, et une dernière franche tranche de rigolade. Je remonte dans ma chambre, je me brosse les dents, je m’allonge sur le lit, et je m’assoupis.
Il est une heure et demie lorsque le bruit feutré de la porte qui s’ouvre me tire de mon demi-sommeil. Du lit je ne vois pas l’entrée de la chambre. J’entends la porte se refermer, puis un bruit sourd de pieds qui quittent les chaussures. Mon cœur bat à tout rompre. J’entends ses pas légers. Un instant plus tard, Jérém est là, devant moi. Il s’arrête, l’épaule gauche prenant appui contre l’angle du mur à l’entrée de la chambre. Il me regarde, en silence. Avec sa chemise bleue et ce t-shirt blanc col en V qui dépasse des deux boutons ouverts en haut, il est sexy à se damner.
Il me regarde, sans un mot.
— Bonsoir, toi, je finis par lui lancer.
Jérém ne dit rien. Mais son regard parle pour lui. Et j’y lis un désir identique au mien.
Je ne peux me retenir plus longtemps, je me lève pour aller l’embrasser. Et là, le beau brun s’anime d’un coup, s’avance vers moi, m’attrape les épaules et me renverse sur le lit. Nos visages sont tout juste à dix centimètres l’un de l’autre, je sens son souffle sur mes joues, sur mes yeux. Il ne parle pas, je ne parle pas. Nous nous toisons, nous nous désirons. Sa beauté, son parfum, son haleine qui sent la cigarette et l’alcool me font chavirer.
Je crève d’envie de l’embrasser. J’essaie de relever mon buste pour approcher mes lèvres des siennes. Mais le bogoss me plaque contre le matelas et relève sa tête, il dérobe sa bouche à mes baisers. Sa chaînette pendouille de son cou, effleure la peau de mon cou. Ça provoque mille frissons en moi. Le petit con me fait languir. Et son sourire, putain, qu’est-ce qu’il est beau son sourire ! J’ai envie de lui, et plus rien d’autre ne compte.
Jérém finit par approcher ses lèvres des miennes, d’abord très légèrement. Puis, il m’embrasse à pleine bouche, animé par une fougue insatiable.
Une fougue qu’il met également à saisir mon t-shirt, à le faire voler à une vitesse supersonique. Puis, à déboutonner sa belle chemise avec des gestes précipités, tout en continuant de m'embrasser comme fou, comme ivre, ivre de moi. Sa chemise vole très vite aussi. Le t-shirt immaculé qui moule son torse de fou m’aveugle, m’embrase, me met dans un état second. Mais comment est-il possible d’être aussi beau et sexy ?
J’ai envie de lui, le désir me ravage. Et qu’est-ce que c’est bon ce désir, car c’est déjà du plaisir. Oui, son désir, celui que je vois dans son regard, dans cette étincelle lubrique et enjouée au fond de ses yeux, l’impatience fébrile de ses gestes, son élan vers moi est un plaisir à part entière, puissant. Le simple contact de sa peau, de ses mains, de son torse, fait des étincelles, provoque un embrasement des sens qui est déjà un premier petit orgasme.
J’ai trop envie de m’offrir à lui. J’arrive à nous faire basculer et à me retrouver sur lui. Je l’embrasse à mon tour, je caresse ses cheveux, j’embrasse chaque centimètre de son beau visage et de son cou puissant. Je pince ses tétons à travers le coton du t-shirt. Ma bouche trouve la bosse que fait son jeans sous la puissance de son érection. J’ai l’impression de sentir son odeur de mec passer au travers de la braguette.
Jérém s’installe dans cette position que je trouve sexy par-dessus toutes, accoudé, le buste légèrement relevé, les jambes écartées, offrant sa virilité à ma bouche gourmande, tout en étant aux premières loges pour me regarder pendant que je lui offre une bonne gâterie.
Je défais sa ceinture, je déboutonne sa braguette, je fais glisser son pantalon le long de ses cuisses, de ses mollets, de ses chevilles. Je sens au passage ses cicatrices, au genou, à la cheville. Comment je suis content de le retrouver en forme, lui qui revient de si loin !
Je contemple son magnifique boxer orange et blanc outrageusement déformé par le volume de sa queue plus en forme que jamais. Mais pas longtemps. J’ai besoin d’aller à l’essentiel, j’ai besoin de goûter à sa virilité, après de longues semaines d’abstinence.
Je saisis l’élastique avec des gestes lentes, délicats. C’est avec une douceur extrême que je libère la bête tapie dans l’ombre. Ah, putain, qu’est-ce qu’elle est belle ! Je la prends en bouche et je commence à le pomper avec une fougue non dissimulée.
Sous les assauts de ma langue et de mes lèvres, mon beau Jérém frémit. Dès que ma langue effleure sa rondelle, il vibre sans retenue. Ma langue se déchaîne, elle se pousse de plus en plus loin dans son intimité. Jérém se branle en même temps. Son souffle montant toutes les gammes de la partition de l’excitation est la plus belle des symphonies pour mes oreilles.
Un certain raidissement de ses muscles et une montée en fréquence de ses ahanements m’annoncent que l’apothéose va bientôt arriver. Je reprends sa queue dans ma bouche, je le pompe avec vigueur. Je sens que ça vient. J’entends son râle de plaisir monter de sa gorge. Un instant plus tard, ses jets puissants percutent mon palais. Qu’est-ce que c’est bon, qu’est-ce que ça m’a manqué, qu’est-ce que je m’empresse d’avaler gorgée par gorgée ce délicieux nectar de mec !
Jérém vient de jouir et s’affale sur le lit. Je me cale à côté de lui, sur le flanc. Qu’est-ce que j’aime le caresser, l’embrasser, sentir la chaleur de sa peau contre la mienne après l’amour, alors que l’écho de son orgasme persiste dans sa respiration profonde.
Le temps de se remettre de ses émotions, le bobrun se relève, se défait de son t-shirt. Puis, il vient sur moi à son tour. Sa langue et ses lèvres excitent mes tétons, descendent tout doucement, parcourent mon torse centimètre après centimètre, s’attardent sur mon nombril, descendent encore.
Lorsque je sens ses lèvres enserrer ma queue et sa langue s’enrouler autour de mon gland, je suis débordé par un plaisir inouï. Jérém me suce comme un mec amoureux, et c’est un bonheur absolu. Un bonheur que je voudrais pouvoir prolonger à l’infini. Mais je sens que s’il continue avec cet entrain, je vais jouir très vite.
— Attends, Jérém ! je m’entends lui lancer, la voix cassée par l’excitation.
Le beau rugbyman s’arrête net. Et là, à ma grande surprise, au lieu de s’y remettre en contenant son entrain, il se relève, il se crache dans la main, il enduit sa queue. Il est vraiment incroyable ce mec ! Ça ne fait qu’une poignée de minutes qu’il a joui dans ma bouche et il a déjà envie de recommencer.
Sans un mot, il attrape un oreiller, l’approche de mon flanc. Je sais ce qu’il veut. Je relève mon bassin pour qu’il puisse le faire glisser dessous. Jérém vient en moi, il se laisse lentement glisser entre mes fesses, le regard brun bien excité profondément planté dans le mien. Et il s’enfonce, lentement, délicatement, inexorablement, profondément en moi.
Puis, il s’arrête un instant, bien calé au fond de moi. Il m’a souvent fait ça, avant de commencer ses assauts virils. C’est un instant chargé d’un érotisme insoutenable, un instant pendant lequel je mesure le bonheur de l’avoir en moi, le bonheur de cette connexion non seulement de nos corps emboîtés, mais aussi de nos regards aimantés, de nos esprits entrelacés. A cet instant précis, la communion de nos deux êtres est parfaite.
Jérém me fait l’amour, le buste bien droit, me dominant de tout son beau torse. Ses coups de reins vigoureux m’envoient vers des sommets de plaisir. A un moment il arrête de me pilonner. Il s’allonge sur moi, il m’embrasse. Tout son corps frémit, y compris ses lèvres qui dévorent les miennes, y compris son souffle, chaud, chargé d’excitation et d’un désir débordant. Je sens qu’il se retient, je sens qu’il ne veut pas encore jouir, je sens que lui aussi a envie de faire durer ce moment magique.
C’est beau, c’est bon, j’ai envie de pleurer tellement cette nuit je suis bien avec lui, tellement je le sens proche de moi, attentionné, amoureux.
Lorsqu’il se relève, il me regarde dans les yeux. Puis, il porte ses mains sur mes épaules, il prend appui dessous et recommence à me pilonner de plus belle. Sa chaînette ondule au gré de ses coups de reins. Quant à ses tatouages, ils sont toujours aussi terriblement sexy.
Je règle ma respiration sur ses halètements, je guette la montée de son nouvel orgasme. Je pourrais l’annoncer à la seconde près. Encore quelques coups de reins bien profonds et son plaisir de mec se dessine sur son visage, et s’exprime de façon sonore. Je sais que chaque contraction de ses traits, chaque râle qui monte de sa gorge est la ponctuation d’un pic de plaisir masculin. Et que chaque spasme est la notification d’un jet de sperme chaud et dense qu’il envoie en moi.
Jérém me branle et je jouis à mon tour. Je jouis dans sa main, je jouis de plusieurs jets chauds qui vont dessiner de longues traînées sur mon torse.
Mon beau brun se laisse tomber sur moi de tout son poids. Sa peau est moite, sa respiration intense, les battements de son cœur bien rapides. Je glisse ma main derrière son cou, juste en dessous de la nuque. Je sais qu’il adore ça. Je l’entends pousser un soupir profond. C’est magique.
Et là, il me regarde droit dans les yeux et me lance :
— Tu m'as manqué, Ourson !
J’en ai les larmes aux yeux.
Et je retrouve enfin « mon » Jérém. Je suis toujours son Ourson, et ça me rassure.
— Toi aussi tu m’as manqué, tu m’as trop manqué, p’tit Loup ! je lui réponds, fébrile, ému.
— Je suis content que tu sois venu.
— Je suis content d’être là, et je suis content que tu m’aies demandé de venir, alors qu’il y a tout le monde…
— J’avais trop envie de te voir.
Je passe mes bras derrière son dos et je le serre contre moi, je le serre fort, ivre de son parfum, ivre de ses quelques mots, ivre de lui. Il me serre contre lui à son tour. Je crois que jamais je n’ai été si heureux de ma vie. Plus rien n’a d’importance à présent, plus rien ne représente de danger, ni la pétasse blonde, ni Dorian, ni la tempête qui gronde dehors.
Jérém a arrêté de fumer au retour de notre voyage en Italie, et il n’a pas recommencé depuis. Ça laisse des occasions pour la tendresse. Ma main cherche sa main. Nos doigts s’entrelacent. Je me tourne sur le flanc, Jérém me prend dans ses bras. Je sens la puissance de son torse contre mon dos, je ressens la douce chaleur de sa peau. Je sens son souffle sur ma nuque. Et ses lèvres qui viennent poser un baiser léger dans mon cou, juste au-dessous de la ligne de mes cheveux. C’est dans des instants comme celui-ci que je mesure la distance parcourue depuis notre première rencontre à l’appart de la Colombette et l’instant présent. Nous sommes là, ensemble, et c’est tout ce qui compte.
Mon beau brun glisse très rapidement dans les bras de Morphée. Je l’entends à sa respiration, soudain apaisée.
Le vent souffle fort contre la baie vitrée. Et moi je suis bien calé sous la couette, dans les bras du mec que j’aime. Je me sens bien. Je me sens aimé. Je me sens en sécurité. Si ça ce n’est pas le Paradis, ça doit quand même lui ressembler de très près.
Je suis fatigué, et pourtant je n’arrive pas à m’endormir. En fait, je ne veux pas m’endormir. Je veux écouter son sommeil, je veux profiter de chaque instant de cette incroyable nuit. Je veux la surveiller de près, cette nuit, je ne veux pas qu’elle m’échappe, je veux l’empêcher d’avancer, je veux la retenir pour qu’elle n’arrive jamais jusqu’au bout. Je le ferai par une veille de chaque instant, tant pis pour mon sommeil. Je dormirai demain matin quand il sera parti en séminaire avec ses collègues. Même pas. Parce qu’il n’y aura pas de demain matin. Toi, Nuit, je t’ai à l’œil. Je vais trouver une parade pour arrêter le temps et empêcher que le matin vienne dissiper ce bonheur immense.
Vendredi 13 février 2004.
Une rafale de vent particulièrement violente me tire de mon sommeil. Lorsque je rouvre les yeux, je suis seul dans mon lit. Le réveil marque 8h52. Merde, je me suis endormi ! Je n’ai pas tenu le coup. Je n’ai pas su retenir la nuit, le matin est arrivé. Et Jérém n’est plus là. Je n’ai pas entendu son réveil, je ne l’ai pas entendu se lever, je ne l’ai pas entendu partir. Zut, alors, j’ai tout raté !
Je remarque un mot griffonné sur un bout de papier posé sur la table de nuit.
« Je revien à la pause en milieu de matiné ».
Quel bonheur de retrouver un message de mon beau Jérém avec quelques délicieuses fautes d'orthographe que je trouve si touchantes depuis toujours.
Je passe à la douche, je m’habille, je refais le lit, je me cale devant la télé.
Lorsque la porte s’ouvre sur le coup de 10h30, Jérém n’est pas seul. Ulysse l’accompagne. Le boblond est venu me dire bonjour. Nous prenons un café tous ensemble. Ça me fait plaisir qu’Ulysse soit complice de notre clandestinité.
Les deux coéquipiers repartent quelques minutes plus tard. J’ai très envie de partir me balader, mais je dois me rendre à l’évidence, il fait vraiment trop mauvais aujourd’hui pour sortir. Alors, je révise mes cours. Je ne descends que pour déjeuner.
Lorsque je passe devant la réception, le beau Lilian est visiblement en train de faire l’enregistrement d’une nana qui vient d’arriver. Le jeune réceptionniste semble être complètement sous le charme de cette jeune femme. Par conséquent, il semble être passé en mode charmeur.
— Regardez-le faire du gringue à cette greluche, me lance Mr Charles discrètement. C’est dommage qu’il ne mette pas autant de zèle avec tous les clients. Les italiens disent « tira di più un pelo di donna che une mandria di cento buoi ». Un poil de femme charrie davantage qu’un troupeau de cent bœufs.
En regardant le beau Lilian faire son numéro de séducteur, je réalise que lorsqu’il parle, et encore plus lorsqu’il sourit, quelque chose d’animal et de sauvage se dégage de sa bouche. Aussi, il est un contraste souvent flagrant entre l’expression de celle-ci et celle de son regard. Je veux dire par là, que lorsque sa bouche semble sourire – et c’est toujours un sourire terriblement charnel, de jeune loup carnassier – son regard demeure ténébreux, intimidant. Ce gars est à la fois une incarnation parfaite de la Virilité, et puis il y a cette candeur, cette pureté, cette douceur, presque une innocence qui jaillit de son regard par moments.
Dans ces contrastes déroutants, dont je n’arrive pas à discerner la partie innée de celle « cultivée », se niche une sensualité épaisse, palpable.
— Mais regarde-le, continue Mr Charles, il parle anglais comme une vache espagnole, sur trois mots il fait quatre fautes. Je dois le surveiller comme le lait sur le feu, car il loupe des trucs à longueur de journée. Mais il est tellement agréable à regarder, on lui donne l’absolution à tous ses péchés, on lui donnerait le bon Dieu sans confession.
Au restaurant, je m’installe un peu à l’écart de l’équipe, dans un coin où je peux mater mon beau brun discuter avec ses collègues. La blondasse n’est pas là, et je me sens de suite plus serein.
Après le repas, je remonte aussitôt dans ma chambre. Je compte les heures qui me séparent des retrouvailles avec mon beau brun en fin de journée. Mais mon attente sera de courte durée. Il est 13h35 lorsque j’entends la porte s’ouvrir. Jérém doit tout juste sortir du resto. Et il est venu me voir. Comme lors de nos retrouvailles nocturnes, il s’arrête à l’entrée du couloir, l’épaule appuyée contre le mur. Il me toise, un petit sourire au coin des lèvres, une étincelle coquine dans le regard.
— Ça va mec ? je lui lance.
— Oui ça va. J’espérais te trouver là.
— Je suis là…
— J’ai envie de te faire l’amour…
— Viens !
Je sais qu’il reprend à 14 heures. Alors, nous n’avons pas une seconde à perdre. Je me lève pour me jeter sur lui. Mais avant que j’aie eu le temps de l’embrasser, Jérém s’est débarrassé de sa chemise et se retrouve torse nu.
A mon tour, je me défais de mon pull et de mon t-shirt. Il défait sa ceinture, sa braguette, il se débarrasse de son pantalon. Je l’imite encore. Nous voilà nus, l’un en face de l’autre, les queues pointant le Zénith. Je m’élance vers lui, je le colle contre la cloison, j’appuie mon torse contre son torse, mon bassin contre son bassin, ma queue contre la sienne. Ma bouche se perd dans le creux entre son cou et son épaule, aimantée par la douce tiédeur de sa peau. Je suis dérouté par le parfum qui se dégage de sa nudité. Le visage de Jérém se perd à son tour dans le creux de mon épaule. Nous sommes deux cygnes en parade amoureuse. Deux cygnes mâles. Oui, ça existe.
Jérém relève sa tête et m’emporte avec toute sa puissance. Je sens mes jambes céder à la vigueur du mouvement de son corps qui m’entraîne, inexorable, vers le lit. Jérém me porte carrément dans ses bras, de tout mon poids. Un instant plus tard, il vient en moi. Il attrape mes chevilles, les pose sur ses épaules, il me pilonne avec entrain, et jouit rapidement en moi.
Hélas, l’heure tourne, et cette étreinte doit prendre fin, bien trop vite. Ma peau s’ennuie instantanément de sa peau, de sa chaleur, de sa présence. Jérém se rhabille en vitesse. Je ne le quitte des yeux. J’adore le voir se dessaper, mais j’aime tout autant le voir se rhabiller après l’amour.
— Je repasserai avant de partir pour la soirée en ville, il me glisse.
— Vous mangez dehors ce soir ?
— Oui, ils ont prévu un truc genre « tournée des bars à tapas ».
— Tu rentres tard ?
— Je ne sais pas, je pense pas trop de bonne heure, je te dirai.
— Ok, p’tit Loup, bonne fin d’après-midi.
— J’ai envie d’y retourner comme d’aller me pendre…
Un dernier baiser, et mon bobrun file comme un amant clandestin, ce qu’il est dans cet hôtel. J’entends la porte claquer derrière son beau dos. Jérém vient de me faire l’amour et il part illico à son séminaire. Putain de mec.
Il est près de 19 heures lorsque j’entends la porte s’ouvrir à nouveau. Jérém a l’air fatigué.
— Ça va ? je lui lance.
— Ils m’ont assommé. C’était mortel.
— T’avais pas cru qu’ils t’amenaient en vacances à Biarritz juste pour faire la teuf ?
— Bah oui, ce serait beaucoup plus intéressant !
— Tu sais que t’es incroyable comme mec ?
— Je sais, on me le dit souvent.
— Petit con, va !
— Le petit con va prendre sa douche, sinon il va s’endormir.
Jérém disparaît aussitôt dans la salle de bain. J’ai envie d’aller le rejoindre et de prendre une douche avec lui, ou même tout simplement de le regarder prendre sa douche. Mais je sais qu’il est pressé, et je ne veux pas l’embêter. D’ailleurs, sa douche ne dure pas longtemps. Jérém revient habillé d’une belle chemise blanche et d’un blouson en cuir. Ah, putain, qu’est-ce qu’il est beau et comment il sent bon ce petit con !
— Tu es tout beau ! je ne peux me retenir de lui lancer.
— Ce soir, il faut que je sois sur mon 31, car le photographe sera là…
— Le photographe ?
— Le mec qui va faire les photos, tiens…
— De toi ?
— De moi avec l’autre conasse…
— Cette nana qui te colle tout le temps ?
— C’est ça.
— Mais c’est qui cette nana ?
— C’est la pouffe qui est avec moi dans le journal.
— Ah, je ne l’avais même pas reconnue. Et qu’est-ce qu’elle fout ici ?
— Je viens de te le dire, elle est là pour faire des photos avec moi !
— Encore ?
— T’as pas idée de combien sont prêts à allonger ces journaux à la con pour raconter de la merde !
— T’as couché avec ? je ne peux m’empêcher de le questionner.
— Ah, non, pas avec ça !
— Ah, ça me rassure…
— Et Dorian ?
— Quoi, Dorian ?
— Lui non plus il ne te fait pas envie ?
— Bah, il n’est pas mal…
— Juste pas mal ?
— Il est plutôt beau mec, il finit par admettre. Mais pourquoi tu me demandes ça ? T’es jaloux ?
— Il ne t’a pas dragué hier soir, à l’apéro ?
— Si, un peu. Et certainement dans une autre occasion, il continue, il aurait eu droit à son coup de bite.
Sa franchise me fait un bien fou.
— Après, on pourrait l’inviter nous rejoindre, je suis sûr qu’il ne dirait pas non. Je ne dis pas que ça ne serait pas marrant. Mais j’ai envie plutôt d’être avec toi…
Notre concordance de ressentis et d’envies me met du baume au cœur.
— C’était juste une question. Et moi aussi…
— Et toi, il t’a pas dragué ? il me coupe avant que j’aie terminé ma phrase.
— Si, aussi, il m’a dragué hier soir, j’admets à mon tour.
— Celui-là, je te jure ! fait le beau brun, amusé.
— Mais j’ai dit non car moi aussi j’ai envie d’être avec toi.
Et là, il me regarde, et il me lance :
— Tu es un gars super, Nico !
— Je sais, on me le dit souvent !
Le beau brun m’embrasse et part vers sa soirée.
Au bar, l’équipe du Stade est au grand complet. Je repère Jérém, et la blondasse n’est pas loin. Je repère aussi le photographe, avec son grand appareil en bandoulière.
Les joueurs parisiens portent désormais des foulards rouges autour du cou et un béret basque sur la tête. Qu’est-ce qu’il est beau, mon Jérém, accoudé au bar, assis sur l’un des tabourets, avec son béret basque en biais, retombant sur son front. Un béret comme celui de ses coéquipiers, mais porté comme aucun de ses coéquipiers. A part Ulysse, peut-être.
L’apéro bat son plein. Les verres se remplissent, se vident, encore et encore, le tout soigneusement orchestré par les gestes amples et élégants du beau Dorian. Plus je le regarde, plus je trouve ce gars canon.
Oui, il y a le physique, cette morphologie mince et élancée qui est mise en valeur par sa chemise et son gilet portés bien près du corps. Et oui, il y a la belle petite gueule, avec un regard charmeur et une bouche qui dégage un érotisme sauvage.
Mais il y a aussi ce truc qui se dégage de chacun de ses gestes, de ses regards, de ses mots, de ses attitudes, de sa présence tout entière. C’est un mélange subtil de professionnalisme et d’insolence, d’élégance et de sensualité, de discipline et de jeunesse effrontée. Ça fait de lui une adorable tête à claques qui inspire tour à tour, ou même tout à la fois, une curieuse envie de le gifler et un désir brûlant de le faire exulter de plaisir.
Jérém est maintenant un peu à l’écart du groupe, plutôt près de la réception, en compagnie de deux coéquipiers. Derrière son desk, le beau Lilian regarde le petit groupe de rugbymen en train de discuter. Et j’ai l’impression que l’« inébranlable » est tout particulièrement intrigué par mon Jérém. Que traduit donc cet intérêt ? Une fascination pour le rugbyman ? Un instinct de comparaison avec un garçon tout aussi beau que lui ? Ou bien, un désir inavoué ?
La fille chargée d’accompagner les rugbymen dans cette soirée de découverte gastronomique vient d’arriver. Elle est petite mais elle a une voix qui porte. Elle a le don d’attirer l’attention. Tout le monde se tourne vers elle et s’approche pour l’écouter.
— Savez-vous, Mesdames et Messieurs, que le mot tapas vient du verbe espagnol « tapar » qui signifie « couvrir » ? En effet, le souci des bistrotiers espagnols étant d’empêcher les insectes de tomber dans les boissons des clients, ils utilisèrent des fines tranches de pain pour protéger les verres. Pour couper leurs petites faims, les clients commencèrent alors à grignoter ces fines tranches de pain. Et puisque le pain tout seul n’est pas vraiment engageant, voilà qu’avec le temps, ces simples tranches furent de plus en plus agrémentées avec de bonnes choses, jusqu’à que le tapas prenne la configuration qu’on lui connaît aujourd’hui.
Elle termine son speech en invitant le groupe à la suivre vers le premier des trois lieus de découverte gastronomique prévus dans la soirée. Dans le mouvement vers la porte vitrée de la réception, Jérém passe non loin de moi. Le bobrun cherche mon regard et me lance un clin d’œil qui me fait fondre.
Je sors moi aussi pour aller dîner. Mais seul, on mange vite. Surtout si le service est rapide. Ce qui est le cas ce soir. A 21h30, je règle ma note. Quoi faire en attendant le retour de Jérém ?
La météo semble s’être un peu calmée. Je décide alors d’aller me balader sur la plage. J’aimerais tellement que Jérém soit là, avec moi. Mais je sais que cette nuit encore il viendra dans ma chambre, que nous passerons de belles heures ensemble, à faire l’amour, à faire des câlins. Je sais que ces heures-là n'appartiendront qu’à nous deux, et que ce seront les plus belles de cette journée. Je sais que nous aspirons tous deux à ces moments qui n’appartiennent qu’à tous les deux.
Je voudrais marcher plus longuement, mais le froid et la pluie finissent par me décider à aller retrouver la chaleur bien accueillante de ma chambre.
Il est 23 heures lorsque je m’engage dans la porte tournante de l’hôtel. Dorian est toujours derrière son comptoir. Et il m’accueille avec un grand sourire complice. J’aime cette sorte de familiarité qui s’est installée entre nous depuis que nous jouons cartes sur table.
Le bar est désert. Ainsi, autour d’un verre sur le zinc, comme la veille, Dorian engage une conversation amusante autour des aléas du métier de barman. Le jeune serveur est drôle, en plus. Il est vraiment à craquer.
La réception est déserte aussi. C’est pourquoi Mr Charles ne tarde pas à venir nous rejoindre et à s’installer sur le tabouret juste à côté de celui où je suis assis.
— Vous permettez, les garçons, que je mélange mon âge canonique avec vos heureuses jeunesses ?
— Maintenant t’es assis, on va pas te dire de partir, fait Dorian du tac-au-tac. De toute façon, ça ne servirait à rien, non ?
— J’ai dû faire une erreur de casting quand j’ai embauché ce petit.
— Arrête, tu ne peux pas te passer de moi ! Je suis le meilleur barman du monde !
— Et le plus modeste !
— Et le plus sexy !
— Ah, ça ! Si seulement j’avais 20 ans de moins et toi 20 de plus, je t’aurais déjà coincé dans le back office !
— Mais dans tes rêves ! Si tu avais 20 ans de moins, tu en aurais plus de 50. Et avec 20 ans de plus je n’en aurais que quarante-cinq ! Je ne couche pas avec les vieux !
— Petit con !
— Vieille folle !
— On en reparlera quand tu auras 40 ans, si tu verras toujours les quinquagénaires comme des vieux !
— Je ne suis pas branché gériatrie !
— Toi c’est plutôt Lilian qui te branche !
— Pour ce que ça me rapporte… celui-là, il est incorrigiblement hétéro.
— Il n'y a que Saint Pierre qui est inébranlable. Et encore, si on sait bien s'y prendre...
— Je t’ai déjà dit qu’il est hétéro et qu’il le reste même après s’être fait larguer par sa copine et trois whiskies !
Mr Charles se marre, moqueur.
— Pourquoi, t’as pu lui toucher la queue, toi, à Lilian ? s’agace le beau serveur.
— J’aimerais bien, mais non, hélas, je n’ai pas pu. Mais moi je n’ai plus l’âge de mon image, moi il est temps que je fasse ma goodbye party… A la rigueur, il faudrait même que je convole avec un prince du pétrole. Moi, c’est pas maintenant qu’il faut m’amener à la foire. Mais toi, avec ta belle gueule…
— Eh ben, il faut croire que ma belle gueule ne suffit pas toujours !
— Eh, oui, finit par admettre Mr Charles, il y en a qui aiment la charcuterie et d’autres qui ne jurent que par la marée. D’ailleurs, heureusement que c’est le cas, même si ce n’est pas toujours facile à avaler. Il faut bien que quelqu’un se charge de mettre au monde les garçons qui nous font bander !
— En matière de beaux garçons, je considère, je trouve qu’il y en a une belle brochette dans cet hôtel.
— Normal, c’est moi qui recrute ! fait fièrement Mr Charles. Et tu as ici l’une de mes plus belles prises, il enchaîne, en indiquant Dorian du bout du double menton.
— Arrête, lui non plus il ne veut pas de moi ! s’exclame Dorian.
Sa parfaite mauvaise foi me fait sourire.
— Je suis maqué !
— Ah, tu lui as déjà demandé ? feint de s’étonner Mr Charles.
— Mais bien sûr !
— Dorian est un garçon très attentif au bien être des clients, toujours prêt à leur mettre à disposition son savoir-faire dans plein de domaines…
— Je suis quelqu’un de très professionnel !
— Autrement dit, dès qu’il voit un beau garçon, il court comme un lapin. Il a déjà levé plus de mecs celui-là que moi tout au long de ma vie d’âge canonique !
— Je profite de la vie.
— Tu as bien raison. C’est pas à mon âge qu’on va ferrer de beaux poissons. Déjà il faudrait que l’équipement soit en état de marche. A mon âge, il faut un cric pour la lever et un tuteur chimique pour la maintenir. Avant que je sois prêt, le mec s’est déjà barré !
— Trouve toi un mec de ton âge ! lui lance Dorian.
— Si c’est pour rejouer le sketch des papys du Muppet Show, très peu pour moi !
— Vous ne faites pas votre âge, je lui lance.
— Oui, c’est ça. Les fables de La Fontaine, je connais aussi. Je les ai moi-même déclamées pendant des années à quelques bonnes femmes que je tenais à voir revenir à l’hôtel !
Mr Charles nous laisse pour aller s’occuper d’un client qui vient de sortir de l’ascenseur et de s’approcher de la réception.
— On se taquine, mais on s’adore, me glisse Dorian dès que le concierge s’est éloigné.
— Vous êtes très drôles, tous les deux.
— Mr Charles a beaucoup d’humour. C’est quelqu’un de très cultivé et de profondément généreux. Je lui dois beaucoup.
— Tu lui plais bien, je crois…
— Ouais, mais il a toujours été correct avec moi. Si j’avais été partant, il n’aurait pas dit non, mais il a toujours su que ça ne se ferait pas. Et ça n’a jamais été plus loin que des allusions amusantes.
De retour dans ma chambre, j’allume la télé mais je finis par m’assoupir.
Le radio-réveil affiche deux heures 38 minutes lorsque j’entends enfin la serrure se déverrouiller et porte s’ouvrir. Jérém est là.
Fin janvier 2004.
Ça fait près d’un mois que je n’ai pas vu Jérém. Après le réveillon passé à Campan, l’ailier redevenu vedette du Stade Français a été très occupé avec les entraînements et les déplacements sportifs. Les premiers ont été très intenses. Quant aux matches de championnat, ils ont été souvent à l’autre bout de la France, et je n’ai pas pu m’y rendre.
Car moi aussi j’ai mis le paquet. J’ai redoublé d’efforts pour rattraper mon retard et pour préparer la nouvelle salve d’examens qui se présentait à moi en janvier. Au final, j’ai validé mon semestre universitaire avec des bonnes notes.
Jérém n’a pas retrouvé pour l’instant le chemin des cours. Il a besoin de se concentrer sur le rugby, et il ne peut se permettre de courir plusieurs lièvres à la fois. Mais il m’a promis qu’il y reviendrait, au plus tard à la rentrée prochaine.
Ainsi, depuis le début de l’année, nous avons dû nous contenter de coups de fil presque quotidiens, et de quelques branlettes au téléphone. Mais même si son retour sur le terrain fait que nous nous voyons moins que pendant sa convalescence, je suis immensément heureux de le voir renouer avec son niveau sportif d’avant. Je ne peux m’empêcher de me dire que je suis pour quelque chose dans sa récupération physique et mentale. Et ça, ça m’emplit de joie. Je sais aussi que Jérém en est conscient, et que cette épreuve nous a beaucoup rapprochés. Comme si, après avoir été confrontés au pire, nous avons maintenant et comme jamais envie d’être unis pour le meilleur.
Faute de ne pouvoir être présent physiquement, je regarde chacun des matches télévisés. Le rugby, je m’en fous. Ce qui m’importe, c’est de voir à nouveau mon Jérém gambader sur le terrain. Ce qui m’ « emporte », c’est de le voir heureux.
Le lendemain de chaque rencontre, mon beau brun me fait un long débrief au téléphone, m’explique ce qu’il a réussi, ce qu’il a raté. Quand le match a été télévisé, je suis en mesure d’échanger avec lui, de lui poser des questions plus précises. A force de bouffer du rugby, je commence à en manier le vocabulaire avec une certaine assurance, à en comprendre les enjeux, à en apprécier les rapports de force, et à mieux saisir son ressenti. Je maîtrise aussi les mots pour célébrer ses victoires, nombreuses, et pour compatir à ses défaites. Ça n’arrive pas souvent, mais c’est quand même arrivé une fois en début d’année.
Cependant, en ces froids derniers jours de janvier, Jérém me manque à en crever. Il me tarde de le serrer dans mes bras, de le couvrir de bisous, de me réchauffer contre son corps. Et de faire l’amour avec lui. Il me tarde de l’avoir en moi, de lui donner du plaisir, de le voir prendre son pied.
Une bonne nouvelle vient égayer la grisaille de ces glaciales journées d’hiver. Faisant suite à cette perle électro qu’est l’album American Life, la nouvelle tournée de Madonna est annoncée pour l’été.
Le Reinvention Tour, un titre plein de promesses. La mise en vente des tickets se fait sur Internet, et il faut aller vite, car ça part comme des petits pains. Je demande à Elodie si elle veut m’accompagner à Bercy. Elle me répond qu’elle adorerait pouvoir venir avec moi, « comme au bon vieux temps ». Mais elle ajoute que Lucie est encore trop petite, et qu’elle ne peut pas encore la laisser la nuit.
— Pas de problème, je comprends, je lui réponds, en essayant de cacher ma déception de ne pas pouvoir partager ce moment avec elle.
Le souvenir de notre folle virée londonienne d’il y a trois ans revient aussitôt à ma mémoire, la nostalgie de notre complicité de cette époque me percute de plein fouet. Je sais que depuis qu’elle est maman, sa vie a changé. L’important, c’est qu’elle soit heureuse, et je suis heureux pour elle. Et je comprends bien que son nouveau bonheur s’accompagne de nouvelles responsabilités, de nouvelles obligations.
Mais la relation que nous avions me manque. Aujourd’hui, nous nous voyons beaucoup moins qu’avant. Et quand nous nous voyons, c’est toujours en présence de son mari et sa petite fille. Philippe est charmant, Lucie est adorable, ce n’est pas le problème. Mais en leur présence, notre complicité n’est pas la même. Nous ne nous confions pas comme nous le faisions, car nous n’en avons plus l’occasion.
Le fait est que le centre de gravité de la vie de ma cousine a bougé. Maintenant, une grande partie de sa vie tourne autour de son mari et de son petit bout de chou. Je le comprends.
D’ailleurs, j’ai aussi une partie de responsabilité dans l’évolution de notre relation. Pour mes études, j’ai mis 300 bornes entre elle et moi. Aussi, j’ai essayé de passer le plus de temps possible avec Jérém. Lorsque nous étions séparés, j’ai rencontré d’autres gars. Je ne suis pas monté à Toulouse autant que j’aurais pu le faire. Et au cours de la dernière année, la convalescence de Jérém m’a absorbé H24. Bref, autant que ma cousine, mon centre de gravité a bougé.
Mais malgré la distance, physique et affective, je sais que nous nous aimons toujours autant. Je le sens. Et Elodie trouve toujours le moyen de me le montrer.
Un jour, elle m’a lancé, au détour d’une conversation :
— Tu le sais que tu es mon cousin préféré ?
— C’est facile pour toi, je suis ton seul cousin ! je lui ai répondu.
— Il y en aurait cent, mille, un million, tu serais toujours mon préféré, elle a insisté.
— J’ai beaucoup de chance d’avoir une cousine comme toi !
Je pense que notre complicité n’a pas changé tant que ça. Le fait est qu’avec les changements de direction de nos vies, elle a moins d’occasions pour l’exprimer. Le changement de nos relations avec nos proches nous donne la mesure du temps qui passe.
Du coup, comme elle ne peut pas m’accompagner au concert, je choisis une destination plus « exotique ». Ce sera donc Lisbonne, lors du dernier concert de la tournée, le 14 septembre. J’achète le ticket sur Internet. Et le long compte à rebours commence dès l’instant où je reçois mon mail de notification de l’achat.
Février 2004.
Début février, une nouvelle prétendue relation de Jérém avec une nouvelle pouffe de compet’ sort dans la presse spécialisée en conneries.
— Tu as encore fait quoi pour avoir besoin d’une autre histoire de pétasse ? je le questionne un soir au téléphone, plus amusé que jaloux.
— Mais rien du tout ! C’est juste qu’au club ils se sont rendu compte qu’avoir des joueurs dans les journaux ça fait vendre des abonnements et des maillots ! D’ailleurs, si tu as remarqué, il y a d’autres joueurs dans l’actu.
— J’ai vu ! D’ailleurs, c’est qui ce beau petit brun maqué avec cette autre pétasse ?
— C’est Damien, le nouveau demi d’ouverture.
— Ah…
— Il est beau, hein ? il me cherche.
— Ah oui ! je fais, rêveur.
— Mais pas touche ! j’enchaîne.
— T’inquiète, il n’y a pas plus hétéro que ce gars !
— Moi aussi je croyais qu’il n’y avait pas plus hétéro que toi !
— C’est pas faux ! Tu m’as bien fait vriller !
— Et qu’est-ce que j’aime la façon dont tu as vrillé !
Dimanche 8 février 2004.
Et puis, l’occasion tant attendue se présente enfin.
— Le Week end prochain je vais jouer à Biarritz, il m’annonce un soir au téléphone. Avant d’ajouter : J’aimerais que tu viennes me rejoindre à l’hôtel.
Je n’en crois pas à mes oreilles ! Jérém m’invite à aller le rejoindre dans un hôtel à Biarritz, alors que toute son équipe sera présente.
— Mais tu n’as pas peur qu’on nous repère ?
— On fera attention. Et puis ce sera marrant d’être un couple clandestin.
Ça non plus, c’est pas faux. Ce sera même grisant. Et le fait que Jérém en ait eu l’idée, que l’initiative vienne de lui, ajoute un frisson supplémentaire, un frisson que je ressens dans tout mon corps rien qu’en imaginant ce séjour au Pays Basque. Aussi, l’entendre utiliser le mot « couple » provoque en moi un délicieux frisson.
Jeudi 12 février 2004, 16h30.
Mon voyage vers Biarritz n’est pas de tout repos. Le ciel est chargé à Bordeaux. Il commence à pleuvoir à Langon. Ça s’empire à Mont de Marsan. Le vent commence à bien souffler à hauteur de Biscarosse. La météo hostile rend la route longue et difficile. Mais la raison, l’occasion et la destination de mon trajet valent largement la peine d’affronter les éléments.
La raison, ce sont ces retrouvailles avec Jérém, après des semaines de séparation. Je n’arrive pas encore à croire que je vais rejoindre mon bobrun à l’hôtel, alors que tous ses coéquipiers seront là. Jérém a vraiment changé, et son envie de me voir est désormais plus grande que sa peur d’être découvert.
L’occasion, c’est le match contre Biarritz, un an après, jour pour jour, après son accident avec un joueur de cette même équipe. Par un heureux hasard du calendrier, cette occasion tombe le week-end du 14 février. Je ne sais pas si Jérém y a pensé, mais je trouve que c’est une belle coïncidence.
Quant à la destination, il s’agit de Biarritz, ce lieu suspendu sur cet Océan qui me fascine depuis toujours.
J’ai un souvenir très cher de Biarritz lors d’un voyage d’école vers mes dix ans. C’est le souvenir d’un temps maussade, de vent, de vagues déchaînées. C’est le souvenir d’avoir été au Rocher de la Vierge avec notre prof d’histoire géo et d’avoir été surpris et trempés par une vague puissante surgie à l’improviste.
0326 Ce quelque chose qui n’appartient qu’à nous (partie 1).
Depuis ce voyage, Biarritz a quelque chose de féerique à mes yeux, lié au souvenir d’un prof passionné et passionnant qui nous faisait aimer l’histoire et la géographie parce qu’il savait les rendre vivantes. Un prof qui jouait de la guitare et qui nous faisait chanter autour d’un feu sur la plage. Un prof qui avait toujours un mot pour grandir ses élèves. En y repensant, je me dis que, plus qu’un prof, c’était un Maître.
Il est un peu plus de 20 heures lorsque j’arrive à destination. Il fait nuit, la météo est déchaînée, mais je ne résiste pas à la tentation de baisser la vitre de la voiture. Je tends l’oreille pour capter la voix de l’Océan. Je l’entends gronder, vrombir, rugir. Je ne vois pas les vagues mais je perçois leur force tapie dans le noir. Je suis cueilli par un désir très fort de descendre à la plage pour sentir les embruns sur le visage, pour sentir la puissance des éléments. J’irai demain, à la première heure.
Au poste, ils annoncent un risque de tempête. Mais je m’en fous. Je suis à Biarritz et je vais retrouver le garçon que j’aime. Alors, la météo a beau être pourrie, il a beau faire nuit, pour moi c’est le soleil qui brille. Car il brille dans mon cœur.
L’hôtel est situé juste au-dessus de la plage des Basques. Et c’est un sacré bel hôtel. Le Stade ne refuse rien à ses athlètes.
Je me gare dans une rue à proximité et je marche vers l’entrée avec ma petite valise, impatient de m’extirper de l’emprise du vent et de la pluie et de me retrouver au chaud et à l’abri.
Pendant que la rotation de la porte me fait passer du froid à la chaleur, de la tempête au calme, une question me saute à l’esprit. Je vais avoir la tête de quoi, moi, dans cet hôtel hors de prix, dans cette réception immense, carrelée en marbre, brillant de mille feux, avec un comptoir qui ressemble à un hall de banque, avec des réceptionnistes sapés ultra class que j’aperçois derrière le desk, éclairé comme en plein jour ?
Oui, je suis intimidé par le lieu. Mais je me reprends vite. Car, pour aller à la rencontre de Jérém, il faut bien vaincre mon petit malaise. J’inspire un grand coup et j’avance jusqu’au desk de la réception.
Et là, c’est un autre genre d’intimidation qui me saisit. En m’approchant de la réception, je réalise que deux des trois réceptionnistes sont de jeunes garçons beaux comme des Dieux.
— Bonjour monsieur, m’accueille l’un des deux bogoss.
Lilian, comme je peux le lire sur son badge, est un putain de beau mâle brun de vingt-cinq ans environ, la barbe de trois jours, la peau mate, une mâchoire marquée, des traits bien virils.
Sa chemise blanche et son costume gris foncé épousent parfaitement son corps vigoureux, à la fois élancé et solide, et le mettent diaboliquement en valeur. Oui, sous ces quelques couches de tissu, je devine une ligne d’épaules tout simplement délicieuse, ainsi qu’un torse interminable.
Je suis immédiatement confronté au paradoxe de contempler cette tenue, cette élégance, saisi par une fascination inépuisable, et l’envie de voir le bogoss dans son plus simple appareil. Je ne peux m’empêcher de ressentir une envie brûlante de voir de mes yeux ce que ma vue me laisse imaginer.
Avec ses cheveux bruns frisés et bien fournis, Lilian me rappelle un certain type de beauté masculine dont j’ai fait l’expérience récemment. Il me fait penser à un certain type de garçon italien, comme j’ai pu en voir pendant le voyage avec Jérém. En fait, lorsque je regarde Lilian, je ne peux m’empêcher de penser au David de Michel Ange.
Mais un David à la sensualité débordante. Un David au regard brun est profond, ténébreux, un tantinet impressionnant de premier abord. Un regard que je n’arrive pas à soutenir.
— Bonjour, je me lance.
— Bonjour Monsieur, fait le jeune réceptionniste sur un ton neutre et professionnel. Autrement dit, rien qui m’aide à surmonter mon malaise.
Il y a un je-ne-sais-quoi de sauvage et d’animal qui se niche dans sa bouche, dans ses lèvres, dans sa belle dentition de jeune loup.
— Je suis Nicolas Sabathé, j’ai une réservation… enfin, je suis attendu… je finis par bégayer.
Je ne sais pas trop comment expliquer à ce jeune mâle, beau comme un dieu, mais pas vraiment avenant, que je viens retrouver un gars, qui est par ailleurs un rugbyman déjà bien connu par le grand public, et que je viens le retrouver à l’insu de ses coéquipiers et de ses dirigeants.
D’autant plus que je sens sur moi son regard viril, et que je l’imagine alourdi par le soupçon, le jugement et le mépris que ma démarche pourrait lui inspirer. Je me démène comme quelqu’un en train de se noyer, alors que Lilian me fixe comme quelqu’un qui n’en a rien à foutre. Son silence, ainsi que la fixité de son regard ne font qu’augmenter mon malaise de seconde en seconde. J’ai l’impression d’étouffer.
Jusqu’à ce qu’une main me soit enfin tendue.
— Je vais m’occuper de Monsieur, mon cher ami. Lilian, mon chou, tu pourrais t’occuper d’éditer le journal de demain si tu le veux bien.
— D’accord, Mr Charles.
Le plus âgé des trois réceptionnistes vient donc de prendre le relais du beau mâle brun frisé.
— Bonjour monsieur Nicolas, Mr Jérémie m’a prévenu de votre arrivée.
Mr Charles est un homme d’un âge que je situe autour des 70 ans. Du fait d’une grande stature, par ailleurs déséquilibrée par une largeur insuffisante des épaules et d’un embonpoint que le costume n’arrive plus à masquer, sa silhouette n’est pas vraiment harmonieuse.
On dit de certaines personnes qu’ils ont les traits fins. Avec un nez empâté, des joues proéminentes, un double menton bien installé, il n’y a pas plus éloigné de cette définition que le visage de Mr Charles. Sa calvitie totale, naturelle, mais également entretenue, ainsi qu’un rasage de très près, contribuent à souligner l’empâtement que l’âge a apporté à son visage. Si ses traits manquent de finesse, ils ne sont pas virils non plus. Du haut de son âge, Mr Charles pourrait avoir l’air d’un doyen. Il a en réalité l’allure imposante d’une matrone.
— Voilà, c’est la 130, premier étage juste en face des ascenseurs, il m’explique. Elle est juste à côté de la 132, celle de Mr Tommasi.
— Je croyais… je m’étonne pendant une fraction de seconde.
Oui, je m’étais imaginé que je séjournerais dans la chambre de Jérém. Mais je suis bête, il ne faut pas exagérer quand-même ! Bien sûr que c’est mieux comme ça, une chambre pour moi tout seul. Il viendra me rejoindre, et nous serons ensemble.
Mr Charles semble amusé par ma surprise.
En croisant son regard je réalise que derrière ses lunettes fines se nichent deux petits yeux perçants qui semblent dégager en permanence un je-ne-sais-quoi de féminin, de bienveillant. Mais également une petite étincelle lubrique.
— Passez un bon séjour dans notre hôtel, Monsieur, et n’hésitez pas à venir me voir si vous avez besoin de quelque chose, vous ou votre ami…
La pause que Mr Charles a marqué avant le mot « ami », associée à un petit sourire esquissé juste au coin de l’œil, me confirme qu’il a compris pour Jérém et moi. L’idée me plaît, d’autant plus que le monsieur a l’air de quelqu’un de plutôt discret et bienveillant. Dans son attitude, il semblerait que le fait que j’aille retrouver le garçon que j’aime soit tout à fait normal.
Oui, Monsieur Charles est à un âge où il est difficile d’être attirant. J’ai même du mal à imaginer qu’il ait pu être un jour un homme ou un garçon que j’aurais pu trouver à mon goût. Et pourtant, force est de constater que ce monsieur possède une présence, une prestance. Cela tient à son élégance, à sa profonde gentillesse, à sa disponibilité, à une façon d’être qui sait mettre à l’aise, apaiser.
— Merci Monsieur, je prends congé.
— Moi je retourne au bar, j’entends le troisième réceptionniste lancer à Mr Charles.
— Va, mon lapin, va ! j’entends ce dernier lui glisser. Et sois sage !
Le bogoss prend congé avec un sourire à faire fondre la banquise.
Dorian, et c’est encore le badge qui s’est chargé des « présentations », n’est en réalité pas un réceptionniste comme j’avais imaginé au départ, mais un barman. Sa tenue est en effet différente de celle de Mr Charles et de la bombasse Lilian. Il ne porte pas de veste. Il porte en revanche un gilet de couleur bordeaux enveloppant une chemise blanche, cette dernière enveloppant un autre magnifique torse de jeune mâle. Un nœud papillon noir parfait l’élégance de sa tenue. Une élégance portée avec insolence, tout comme sa jeune virilité.
Dorian est un garçon qui doit avoir entre 22 et 25 ans, de taille moyenne. Sous sa tenue de serveur, je devine un physique délicieusement musclé mais sec, un parfait physique de petit con. Entre ses grands yeux noisette et un petit menton plutôt joli, trouvent place un nez à la fois bien droit et un peu abrupt, et une bouche aux lèvres un brin épaisses et terriblement sensuelle.
Avec ses cheveux châtain clair, ondulés, très fournis, coiffés vers l’arrière, il me fait penser à certaines photos en noir et blanc d’acteurs du cinéma muet. Dorian est un garçon de toute beauté, au regard charmeur, au sourire insolent. Dans son regard, que je n’ai croisé qu’à une seule reprise, il m’a semblé capter une étincelle qui me fait me dire : lui, c’est un coquin.
Un instant plus tard, le bogoss s’active derrière le comptoir du bar. C’est là que je réalise qu’un petit groupe de gars solides est en train de s’y presser. Ces gars, je les connais, car ce sont les rugbymen du Stade. Ça parle fort, ça rigole, c’est l’apéro.
Parmi eux, je capte le beau blond barbu Ulysse. Le demi de mêlée me capte à son tour, me sourit. Il me lance même un petit clin d’œil charmant. Avec ses beaux cheveux et sa barbe fournie mais entretenue, il est beau comme un Dieu Celte. Mais il ne vient pas me voir. Je me dis qu’il a dû recevoir la consigne de Jérém comme quoi je suis là incognito.
D’ailleurs, en parlant de Jérém, je m’imaginais bien qu’il ne serait pas être là pour m’accueillir les bras ouverts. Mais où est-il ?
Mon attente n’est que de courte durée. La porte de l’ascenseur s’ouvre et mon bobrun apparaît enfin. Et il est à tomber ! Chemise bleu intense avec intérieur du col et revers du montant de la boutonnière d’une couleur plus sombre, t-shirt blanc col en V qui dépasse des deux derniers boutons du haut laissés ouverts, la petite chaînette qui brille à la lumière des spots de la réception, un beau jeans gris métal, des chaussures noires. Il est terriblement sexy. Et ce sourire, j’ai beau le connaître, à chaque fois je vibre, je chauffe, je surchauffe. A son contact, je m’embrase.
Hélas, ce beau sourire ne m’est pas destiné. En effet, mon bobrun n’est pas seul. Mais c’est qui cette pouffe maquillée comme un camion volé qui le colle ? Elle m’est d’emblée antipathique. Pas touche, bas les pattes, Jérém couche avec moi et rien qu’avec moi, du moins quand je suis dans les parages ! Et, surtout, jamais il ne trempe sa queue dans une pouffe comme toi !
Je reste planté devant le grand pilier à côté de la réception pendant que le bobrun passe à quelques mètres à peine de moi. Je suis happé par sa présence. Je ne peux décoller mes yeux de lui. Car il me semble que quelque chose a changé chez lui. Comme si, pendant les quelques semaines où nous ne nous sommes pas vus, il avait avancé dans sa vie, comme si sa personnalité avait pris une direction inattendue. Ce n’est peut-être qu'une impression provoquée par le fait de le voir dans un autre contexte que nos « tête à tête ». C’est peut-être un rôle qu’il joue, un personnage qu’il s’est créé pour se fondre dans la masse. Nous jouons tous un rôle différent suivant le contexte dans lequel nous nous trouvons.
Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’observer que Jérém a retrouvé de l’assurance et de l’aisance. Comme avant l’accident, et même plus.
Ça fait déjà presque un an que mon bobrun a été blessé au cours d’un match. Si on m’avait dit à ce moment-là qu’un jour il récupèrerait toute sa forme, si on m’avait dit que cet accident nous rapprocherait et que ça marquerait un nouveau départ dans notre histoire, j’aurais eu du mal à le croire. Et pourtant, ces miracles se sont bel et bien produits.
Sa nouvelle assurance m’impressionne, m’attire. Sa présence me paraît magnétique comme jamais. Je suis impressionné par son élégance, son aisance, son charme. Je suis peut-être troublé par le fait de le retrouver dans un contexte différent, de le voir complice et tactile avec ses coéquipiers, de les voir plaisanter, de le voir si bien intégré à un monde dont je ne fais pas partie.
J’en arrive à me demander si ce soir je vais retrouver le garçon que je connais. Je me demande s’il va me reconnaître, lui. Si, de la même façon que je suis impressionné par ses changements, il ne va pas être déçu par mon absence d’évolution. Est-ce qu’il ne va pas se lasser de retrouver un Nico qui est toujours étudiant, avec des préoccupations d’étudiant, alors que lui est bien installé dans sa vie, dans sa carrière, dans sa notoriété ?
Je suis tellement dérouté par ce « nouveau Jérém » que je ne peux pas m’empêcher de le regarder tout au long de son déplacement depuis l’ascenseur vers le comptoir du bar, comme pour essayer de comprendre, comme pour tenter de mesurer l’étendue de ses changements.
Nos regards finissent par se croiser. Et là, le beau brun me lance l’un de ses sourire les plus charmants. Un instant plus tard, je le vois sortir son téléphone de sa poche et tapoter sur son clavier. Et en même temps qu’il le range à nouveau dans sa poche, le mien émet une courte vibration. Un SMS vient d’arriver.
« J’ai envi de toi, Ourson. Je me libère vite ».
« Moi aussi, j’ai envie de toi. A tout, ptit Loup ! ».
Mes inquiétudes, tout comme l’image écœurante de cette pétasse faisant du gringue à mon beau Jérém se dissipent sous les rayons chauds de notre complicité. Je prends l’ascenseur avec des papillons dans le ventre.
Comme annoncé par Mr Charles, la chambre 130 est en effet juste en face de l’ascenseur. Je plaque ma carte devant le capteur de la serrure et je rentre en vitesse. J’ai atteint mon but, j’ai réussi mon infiltration. Je dois admettre que cette ambiance clandestine est plutôt excitante. Cette piaule est la planque parfaite.
La tête de la piaule ! Elle est immense ! Un petit couloir côtoie la salle de bain et conduit à une chambre spacieuse, lumineuse, très bien décorée, luxueuse. Dans cet espace que la moquette rend tout particulièrement feutré et chaleureux, tout est doux et accueillant. Sur la gauche, un très grand lit à l’allure très confortable. Au fond à droite, un coin salon avec une table basse et deux fauteuils. Dans un autre coin, un petit bureau. Et tout au fond, une grande baie vitrée face au vent qui souffle la tempête.
Les rafales se déchaînent sur les arbustes devant l’hôtel. Ça fait un de ces raffuts ! Certaines d’entre elles sont très violentes. Je me demande comment les vitres peuvent tenir. J’aime cette puissance des éléments, j’aime la voir se déchaîner dehors, en même temps que j’aime m’en sentir protégé par un abri confortable.
Je suis tellement excité à l’idée que dans quelques heures Jérém sera là avec moi. Pourvu que sa soirée ne s’éternise pas !
J’ai faim, je descends pour dîner. Mon beau brun et ses potes rugbyman sont toujours au bar. Ça discute bruyamment, ça rigole tapageusement, ça picole abondement.
Et toujours cette blondasse tout près de lui. Et vas-y qu’elle le colle sans ménagement, vas-y qu’elle lui attrape le biceps, vas-y que sa main se balade sur son dos. Et puis il y a les regards qui caressent, les longs faux cils qui traînent. Naaan, mais ça suffit, hein !
Derrière le comptoir du bar, le petit Dorian semble lui aussi tout particulièrement intrigué et attiré par Jérém. D’ailleurs, profitant d’un instant pendant lequel mon beau brun se retrouve seul, le jeune serveur se penche vers lui et lui chuchote un truc à l’oreille.
Jérém lui tend son verre, tout en appréciant le regard pétillant et charmeur que Dorian laisse longuement et lourdement traîner sur lui. Puis, alors qu’il semble vouloir se lever, le jeune barman se penche une nouvelle fois vers son oreille. Les quelques mots qu’il y glisse doivent être bien marrants, car ils ont le pouvoir de faire éclater Jérém de rire. Quant à la réponse de ce dernier, elle ne doit pas être en reste, puisque cela permet à Dorian de dégainer un grand sourire à la fois lumineux, désarmant et conquérant. Il me semble – je peux me tromper, mais je ne crois pas – que le petit Dorian est en train de faire du gringue à mon Jérém.
Même si je me doute bien que Jérém doit se faire draguer lorsqu’il est loin de moi, et qu’il doit assurément conclure de temps en temps, le fait de voir carrément un autre garçon lui faire des avances c’est carrément autre chose. Je note ça, avec l’intention de lui en parler le moment venu. Qu’est-ce qu’il attend de Dorian ? Ça pourrait être l’occasion d’un nouveau plan à trois comme on en a eu en Italie l’été dernier.
Même si, depuis le temps que je n’ai pas vu Jérém, j’ai bien envie de l’avoir pour moi et rien que pour moi.
En me dirigeant vers le restaurant, je n’ai pas l’occasion de recroiser son regard. Je ne le cherche pas non plus avec trop d’insistance. Le mot d’ordre est « discrétion ». Je ne veux pas me faire remarquer.
Il est près de 21 heures lorsque je m’installe à une table dans un coin de la salle de restaurant. Quelques minutes plus tard, un jeune serveur s’approche de moi pour prendre ma commande. Sur son badge est écrit : « Vivian ».
Vivian est un beau garçon bien typé basque espagnol, un gars du terroir. Il est plutôt élégant dans sa tenue chemise blanche, costume noir, cravate bleu ciel. Il a l’air timide, et un brin maladroit. Je me dis qu’il doit être nouveau dans l’équipe du resto.
Je cherche son regard et je lui souris. Il me sourit en retour. Son sourire est touchant. Je me fais la réflexion que, définitivement, mis à part Mr Charles, dans cet hôtel il semble n’y avoir que des employés bogoss. Est-ce un hasard ? J’aurai ma réponse plus tard.
La main de Vivian tremble lorsqu’il me tend le menu. Elle n’est pas assurée non plus lorsqu’il m’apporte l’entrée. Ce n’est pas mieux lorsqu’il m’amène le poisson. Mais c’est au moment du dessert que les choses se précipitent. Car un accident, que dis-je, un drame, finit par se produire. Oui, en m’apportant ma crème catalane, le jeune hidalgo fait tomber la petite cuillère. Il s’en excuse, l’air confus et perdu.
— Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave, je tente de le rassurer.
Mais il a l’air si mal à l’aise, le pauvre ! Il s’excuse encore et encore, au moins dix fois. Son visage est devenu écarlate. Pendant un instant, je pense qu’il va faire un malaise.
— Ça fait longtemps que vous travaillez ici ? je tente de désamorcer l’« accident » lorsqu’il m’apporte une nouvelle cuillère.
— Deux semaines. Désolé, je ne suis pas encore très à l’aise.
— Ne soyez pas désolé, ça va aller, je m’entends lui répondre. Déjà, vous avez la classe. Et pour ce métier, c’est un grand atout. Le reste, ça va venir.
— Merci, Monsieur.
J’ai l’impression qu’après mes mots, son sourire a pris une petite nuance d’assurance. Comme c’est délicieux que de faire frissonner l’égo d’un beau garçon !
Je commence à déguster mon dessert lorsque j’entends un bruit de foule heureuse et fêtarde approcher. J’avais remarqué à mon arrivé que tout un grand secteur de la salle portait des chevalets avec le logo de l’équipe. L’apéro a joué les prolongations, et le groupe de rugbymen vient enfin prendre place dans le restaurant. Jérém rentre à son tour, avec toujours cette pétasse collée à lui.
A table, Jérém fait du Jérém, comme toujours quand il se sent à l’aise. C’est le mec drôle, celui qui met l’ambiance, comme le soir du dernier repas de classe avant le bac. Oui, définitivement mon beau brun a bien gagné en assurance. A tout juste 22 ans, tout lui sourit, carrière sportive, argent, notoriété, charme. Un claquement de doigts et il peut avoir ce qu’il veut ou qui il veut.
Combien de poufiasses blondes ou de mecs charmeurs comme Dorian doit-il rencontrer lors de ses déplacements, lors de ces nuits à l’hôtel où je ne suis pas présent, lorsque la solitude, et son pendant, le verre de trop, rendent possibles bien des rapprochements ?
Dorian vient prêter main forte à Vivian au restaurant. Les deux serveurs s’affairent autour des tables des rugbymen pour servir les entrées. En les regardant faire côte à côte, je réalise que le contraste de leurs personnalités est saisissant. Dorian voltige entre les tables et les convives avec une aisance naturelle. Vivian est moins rapide, un tantinet maladroit. Vivian est une beauté timide, Dorian une beauté friponne. Vivian est touchant, Dorian est charmeur.
Mon café arrive enfin et je le bois en vitesse, pressé de m’éloigner de cette vision d’horreur, cette conasse pelotant sans vergogne mon Jérém à moi. De ça aussi, il faut que je discute avec Jérém.
Je remonte à la chambre, je me cale sur le lit devant la télé. J’attends avec impatience le moment où il va venir me rejoindre. Mille idées me traversent l’esprit et je ne fais que zapper. C’est qui à la fin cette pétasse qui le colle tout le temps ? Pourquoi il se laisse faire ? Est-ce qu’ils ont couché ensemble ? Est-ce que Dorian a fait des propositions à mon beau brun ? Est-ce qu’il va le faire ? Comment Jérém va-t-il réagir ?
Mais tous ces questionnements sont vite balayés par la fébrilité de l’attente, par l’impatience des retrouvailles. Je crève d’envie de le prendre dans mes bras, de le sentir contre moi, de sentir l’odeur de sa peau, de son parfum, de le couvrir de baisers. Je lui parlerai de cette pétasse, et je lui parlerai de Dorian aussi, mais pas ce soir. Ce soir, il y a bien plus urgent.
Mais l’heure tourne, et Jérém ne vient pas. Je suis de plus en plus excité, je me retiens de justesse de me taper une branlette. Je ne veux pas, je veux me réserver pour Jérém. J’essaie de tromper l’attente et de me calmer en prenant une longue douche. Elle a le pouvoir de m’apaiser. De retour de la salle de bain, je reçois un SMS de ma cousine Elodie. Je la rappelle malgré l’heure tardive. Je passe presque une heure à lui parler de mon présent, du bonheur d’être là à attendre que le mec que j’aime vienne me rejoindre pour une nuit d’amour. Je suis sur un nuage. La vie tout entière me paraît belle et simple.
Après avoir raccroché, je ne tarde pas à m’ennuyer à nouveau. Quoi faire en attendant que Jérém vienne me rejoindre ? Mais combien ça dure, ce dîner, à la fin ?
Soudain, une idée qui me paraît lumineuse traverse mon esprit. Je quitte ma chambre vers 23h30 avec l’intention de m’installer sur un fauteuil de la réception, sous couvert d’un bouquin à lire, tout en surveillant les mouvements de mon beau brun.
Mais mon livre ne me sera pas d’un grand secours. Primo, j’ai l’impression que le resto est vide, car bien silencieux. Je me demande donc où les rugbymen ont bien pu passer. Aussi, la réception est déserte et Dorian est seul au bar. Malgré mes efforts contraires, le bogoss à proximité accapare mon attention. Il faut dire que ce petit gars est vraiment sexy en diable.
Et si mes regards ne cessent de revenir sur le beau serveur, les siens ne sont pas en reste non plus. Et ils finissent par se croiser. Son magnifique sourire me transperce comme une flèche aiguisée décochée par surprise. Et avant que j’aie le réflexe de lui sourire à mon tour, Dorian me lance :
— Vous passez une bonne soirée, Monsieur ?
— Oui pas mal, merci. Vous aussi ?
— Je bosse, vous savez…
— Oui, c’est vrai, pardon !
— J’ai bientôt terminé.
— Vous devez être bien pressé de rentrer.
— Ça va, j’ai cinq minutes.
Puis, il enchaîne, sur un ton si avenant et un autre sourire si charmant rendant tout refus inenvisageable :
— Je peux vous offrir un verre ?
Le petit gars est doté d’une voix bien grave, bien mâle, une voix qui surprend un peu vu son gabarit de jeune petit con, de jeune mâle en devenir, une voix qui touche en moi des cordes sensibles. Putain de mec !
— Pourquoi pas, je finis par lui répondre.
— Je vous sers quoi ?
— Un blanc moelleux, style Jurançon.
— Voilà un garçon raisonnable ! il me lance.
— C’est tout moi, ça, je plaisante.
Et là, après m’avoir servi un verre de blanc, il dégaine un sourire aussi aveuglant que lubrique et il me lance, en me regardant droit dans les yeux :
— Venez chez moi ce soir et vous verrez à quel point je peux vous rendre déraisonnable.
Ah, zut, alors ! Le beau Dorian me fait carrément du rentre dedans. Et avec quel aplomb, quelle assurance, quelle désinvolture, quelle effronterie ! Et, surtout, avec quelle liberté d’esprit. Certes, cet élan n’est pas complétement un « saut dans le vide » pour le jeune barman. Je suis carrément fasciné par son délicieux culot.
Ça me flatte, surtout venant d’un si beau garçon. Car ce mec me plaît vraiment beaucoup. Son regard pétillant et canaille dégage une sensualité de chaque instant, et laisse imaginer un sacré potentiel dans un pieu. Probablement, dans un autre contexte, dans un autre moment, ma réaction serait un grand « oui ». Mais ce soir, j’ai envie d’autre chose. Ce soir, j’ai envie de retrouver mon Jérém, d’être seul avec lui, de retrouver la magie d’Ourson et P’tit Loup.
— Dorian, ça me flatte beaucoup…
— Alors, c’est ok ?
— Je ne peux pas !
— Ah bon ?! Je ne te plais pas ?
Dorian passe du vouvoiement au tutoiement sans transition.
— Oh que si ! Je vous trouve très à mon goût…
— Mais ?
— Mais je ne suis pas seul !
— On va dire que ce qui se passe à Biarritz, reste à Biarritz…
— Certes, mais mon ami est à Biarritz aussi, et dans cet hôtel aussi.
— Ah, voilà autre chose ! Et tu es avec qui, si c’est pas indiscret ? Tu es arrivé seul et tu as dîné seul, il énonce, l’air très intrigué. Certes, tu mates les rugbymen, mais qui ne mate pas les rugbymen… Mais attends… attends, attends, attends un peu… naaaan, c’est pas possible !
— Quoi, donc ?
— Je t’ai vu !
— Tu as vu quoi ?
— J’ai vu que tu ne décroches pas les yeux de l’un des bogoss de l’équipe !
Celui-là, il a vraiment les yeux partout !
— Si tu le dis, je tente de le balader.
— Je l’affirme, même ! C’est le brun canon du groupe, hein ? Jérémie, c’est ça ?
— Ça c’est toi qui l’affirmes, moi j’ai rien dit ! Si on m’interroge, je nierai tout en bloc et je dirai que tu débloques ! D’ailleurs, ils sont passés où ?
— Ils sont sortis picoler ailleurs, il me glisse. Putain, vous êtes ensemble ! il s’enflamme. Je savais qu’il était pédé ! Ça ne se voit pas comme ça, mais ce sont ses regards qui le trahissent. Et c’est pour ça que lui non plus n’a pas voulu, c’est parce qu’il est avec toi !
— Tu lui as fait des propositions ?
— Et comment !
— Tu te gènes pas, toi !
— Et pourquoi, je devrais ? Je dois en profiter tant que je plais, je ne vais pas attendre d’avoir 60 ans pour prendre du bon temps ! Et puis, je pouvais pas deviner qu’il était maqué !
— Mais tu as bien raison, j’admets.
Je suis à la fois enchanté et inquiet d’entendre le récit de Dorian. Enchanté que Jérém ait décliné sa proposition. Au moins dans ce contexte, celui de ma venue. J’aime croire que lui aussi a envie de passer la nuit de nos retrouvailles rien que tous les deux.
— Vous êtes ensemble ou vous couchez juste ensemble ? il m’interroge.
— C’est complexe, je dirais.
— Raconte, j’ai le temps finalement, il se marre.
— Aujourd’hui, je dirais que nous sommes ensemble. Même si la plupart du temps la distance nous empêche de l’être physiquement, nous sommes ensemble.
— Pourquoi, t’es d’où, toi ?
— De Toulouse, tout comme lui. Mais je fais des études à Bordeaux. Et lui il est à Paris.
— Et vous avez des « à côté » ?
— Ça nous arrive. Enfin, ça nous est arrivé.
— Et donc, c’est l’air de Biarritz qui vous rend si sages ?
— Ça fait un moment qu’on ne s’est pas vus, tu comprends ?
— A priori, il ne s’ennuie pas à Paris !
— Je ne sais pas ce qui se passe dans sa vie quand je ne suis pas avec lui, et je ne veux pas savoir.
— Bah, si on sait, un peu, si on croit à une certaine presse !
— Cette histoire est inventée de toute pièce !
— Tu crois ?
— Je l’affirme.
— Je me disais bien que la blonde était juste là pour faire déco. Quand je les ai vus ensemble, j’ai cru assister à un mauvais remake de la « Belle et la Bête », genre le « Beau et la bête de Cirque ».
— C’est ça, exactement ça !
— Et t’as pas peur qu’à Paris il rencontre un autre gars qui lui fasse tourner la tête ?
— C’est un risque à prendre. Faire confiance, c’est toujours prendre un risque…
— C’est pas faux, il admet.
— L’année dernière nous avons traversé une période très difficile. Mais à la fin, ça nous a rapprochés. Perso, aujourd’hui je ne ressens pas le besoin d’aller voir ailleurs, même pour un plan. Nous nous en sommes donné le droit, mais je n’ai pas vraiment envie de m’en saisir. Est-ce que lui va toujours voir ailleurs ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est vraiment important ? Je ne pense pas. L’important, c’est ce qu’il y a entre nous, ce quelque chose que nous ne trouverons pas ailleurs.
— Je te trouve bien confiant !
— Certaines choses on les ressent au plus profond de soi. Et puis, comme on vient de le dire, il faut faire confiance.
— Tu as peut-être raison. Et franchement, je t’envie. Je comprends que tu n’aies pas besoin de plus, et qu’il n’ait pas besoin de plus lui non plus.
— Non, je n’ai pas besoin de plus, je confirme.
— Vous êtes ensemble depuis combien de temps ?
— Trois ans, depuis la dernière année de lycée.
— T’as du bol, toi !
— Ça n’a pas toujours été de tout repos, mais je ne regrette rien. Parce que tous les mauvais moments, toutes les erreurs, tous les jours loin de lui n’ont fait que préparer à chaque fois des retrouvailles géniales. Comme ce séjour à Biarritz.
— Alors, je suis heureux pour vous !
— Merci !
— Ceci étant dit, si tu changes d’avis…
— Je ne changerai pas d’avis !
— Sait-on jamais, si à tout hasard ton beau rugbyman rentre beurré et qu'il n’est pas assez frais, je serai là demain pour rattraper le coup !
Lui, vraiment, il ne perd jamais le nord. En fait, il rigole. A moitié. Je rigole à mon tour, mais sans aucune ambiguïté.
— T’es un mec extra, je lui lance.
— Allez, file dans ta chambre lui chauffer le lit !
— Bonne nuit, Dorian !
— Ouais, c’est ça, bonne nuit ! Toi tu vas t’envoyer en l’air tandis que moi je vais me la mettre sur l’oreille et la fumer plus tard !
Nous nous quittons sur ces mots, et une dernière franche tranche de rigolade. Je remonte dans ma chambre, je me brosse les dents, je m’allonge sur le lit, et je m’assoupis.
Il est une heure et demie lorsque le bruit feutré de la porte qui s’ouvre me tire de mon demi-sommeil. Du lit je ne vois pas l’entrée de la chambre. J’entends la porte se refermer, puis un bruit sourd de pieds qui quittent les chaussures. Mon cœur bat à tout rompre. J’entends ses pas légers. Un instant plus tard, Jérém est là, devant moi. Il s’arrête, l’épaule gauche prenant appui contre l’angle du mur à l’entrée de la chambre. Il me regarde, en silence. Avec sa chemise bleue et ce t-shirt blanc col en V qui dépasse des deux boutons ouverts en haut, il est sexy à se damner.
Il me regarde, sans un mot.
— Bonsoir, toi, je finis par lui lancer.
Jérém ne dit rien. Mais son regard parle pour lui. Et j’y lis un désir identique au mien.
Je ne peux me retenir plus longtemps, je me lève pour aller l’embrasser. Et là, le beau brun s’anime d’un coup, s’avance vers moi, m’attrape les épaules et me renverse sur le lit. Nos visages sont tout juste à dix centimètres l’un de l’autre, je sens son souffle sur mes joues, sur mes yeux. Il ne parle pas, je ne parle pas. Nous nous toisons, nous nous désirons. Sa beauté, son parfum, son haleine qui sent la cigarette et l’alcool me font chavirer.
Je crève d’envie de l’embrasser. J’essaie de relever mon buste pour approcher mes lèvres des siennes. Mais le bogoss me plaque contre le matelas et relève sa tête, il dérobe sa bouche à mes baisers. Sa chaînette pendouille de son cou, effleure la peau de mon cou. Ça provoque mille frissons en moi. Le petit con me fait languir. Et son sourire, putain, qu’est-ce qu’il est beau son sourire ! J’ai envie de lui, et plus rien d’autre ne compte.
Jérém finit par approcher ses lèvres des miennes, d’abord très légèrement. Puis, il m’embrasse à pleine bouche, animé par une fougue insatiable.
Une fougue qu’il met également à saisir mon t-shirt, à le faire voler à une vitesse supersonique. Puis, à déboutonner sa belle chemise avec des gestes précipités, tout en continuant de m'embrasser comme fou, comme ivre, ivre de moi. Sa chemise vole très vite aussi. Le t-shirt immaculé qui moule son torse de fou m’aveugle, m’embrase, me met dans un état second. Mais comment est-il possible d’être aussi beau et sexy ?
J’ai envie de lui, le désir me ravage. Et qu’est-ce que c’est bon ce désir, car c’est déjà du plaisir. Oui, son désir, celui que je vois dans son regard, dans cette étincelle lubrique et enjouée au fond de ses yeux, l’impatience fébrile de ses gestes, son élan vers moi est un plaisir à part entière, puissant. Le simple contact de sa peau, de ses mains, de son torse, fait des étincelles, provoque un embrasement des sens qui est déjà un premier petit orgasme.
J’ai trop envie de m’offrir à lui. J’arrive à nous faire basculer et à me retrouver sur lui. Je l’embrasse à mon tour, je caresse ses cheveux, j’embrasse chaque centimètre de son beau visage et de son cou puissant. Je pince ses tétons à travers le coton du t-shirt. Ma bouche trouve la bosse que fait son jeans sous la puissance de son érection. J’ai l’impression de sentir son odeur de mec passer au travers de la braguette.
Jérém s’installe dans cette position que je trouve sexy par-dessus toutes, accoudé, le buste légèrement relevé, les jambes écartées, offrant sa virilité à ma bouche gourmande, tout en étant aux premières loges pour me regarder pendant que je lui offre une bonne gâterie.
Je défais sa ceinture, je déboutonne sa braguette, je fais glisser son pantalon le long de ses cuisses, de ses mollets, de ses chevilles. Je sens au passage ses cicatrices, au genou, à la cheville. Comment je suis content de le retrouver en forme, lui qui revient de si loin !
Je contemple son magnifique boxer orange et blanc outrageusement déformé par le volume de sa queue plus en forme que jamais. Mais pas longtemps. J’ai besoin d’aller à l’essentiel, j’ai besoin de goûter à sa virilité, après de longues semaines d’abstinence.
Je saisis l’élastique avec des gestes lentes, délicats. C’est avec une douceur extrême que je libère la bête tapie dans l’ombre. Ah, putain, qu’est-ce qu’elle est belle ! Je la prends en bouche et je commence à le pomper avec une fougue non dissimulée.
Sous les assauts de ma langue et de mes lèvres, mon beau Jérém frémit. Dès que ma langue effleure sa rondelle, il vibre sans retenue. Ma langue se déchaîne, elle se pousse de plus en plus loin dans son intimité. Jérém se branle en même temps. Son souffle montant toutes les gammes de la partition de l’excitation est la plus belle des symphonies pour mes oreilles.
Un certain raidissement de ses muscles et une montée en fréquence de ses ahanements m’annoncent que l’apothéose va bientôt arriver. Je reprends sa queue dans ma bouche, je le pompe avec vigueur. Je sens que ça vient. J’entends son râle de plaisir monter de sa gorge. Un instant plus tard, ses jets puissants percutent mon palais. Qu’est-ce que c’est bon, qu’est-ce que ça m’a manqué, qu’est-ce que je m’empresse d’avaler gorgée par gorgée ce délicieux nectar de mec !
Jérém vient de jouir et s’affale sur le lit. Je me cale à côté de lui, sur le flanc. Qu’est-ce que j’aime le caresser, l’embrasser, sentir la chaleur de sa peau contre la mienne après l’amour, alors que l’écho de son orgasme persiste dans sa respiration profonde.
Le temps de se remettre de ses émotions, le bobrun se relève, se défait de son t-shirt. Puis, il vient sur moi à son tour. Sa langue et ses lèvres excitent mes tétons, descendent tout doucement, parcourent mon torse centimètre après centimètre, s’attardent sur mon nombril, descendent encore.
Lorsque je sens ses lèvres enserrer ma queue et sa langue s’enrouler autour de mon gland, je suis débordé par un plaisir inouï. Jérém me suce comme un mec amoureux, et c’est un bonheur absolu. Un bonheur que je voudrais pouvoir prolonger à l’infini. Mais je sens que s’il continue avec cet entrain, je vais jouir très vite.
— Attends, Jérém ! je m’entends lui lancer, la voix cassée par l’excitation.
Le beau rugbyman s’arrête net. Et là, à ma grande surprise, au lieu de s’y remettre en contenant son entrain, il se relève, il se crache dans la main, il enduit sa queue. Il est vraiment incroyable ce mec ! Ça ne fait qu’une poignée de minutes qu’il a joui dans ma bouche et il a déjà envie de recommencer.
Sans un mot, il attrape un oreiller, l’approche de mon flanc. Je sais ce qu’il veut. Je relève mon bassin pour qu’il puisse le faire glisser dessous. Jérém vient en moi, il se laisse lentement glisser entre mes fesses, le regard brun bien excité profondément planté dans le mien. Et il s’enfonce, lentement, délicatement, inexorablement, profondément en moi.
Puis, il s’arrête un instant, bien calé au fond de moi. Il m’a souvent fait ça, avant de commencer ses assauts virils. C’est un instant chargé d’un érotisme insoutenable, un instant pendant lequel je mesure le bonheur de l’avoir en moi, le bonheur de cette connexion non seulement de nos corps emboîtés, mais aussi de nos regards aimantés, de nos esprits entrelacés. A cet instant précis, la communion de nos deux êtres est parfaite.
Jérém me fait l’amour, le buste bien droit, me dominant de tout son beau torse. Ses coups de reins vigoureux m’envoient vers des sommets de plaisir. A un moment il arrête de me pilonner. Il s’allonge sur moi, il m’embrasse. Tout son corps frémit, y compris ses lèvres qui dévorent les miennes, y compris son souffle, chaud, chargé d’excitation et d’un désir débordant. Je sens qu’il se retient, je sens qu’il ne veut pas encore jouir, je sens que lui aussi a envie de faire durer ce moment magique.
C’est beau, c’est bon, j’ai envie de pleurer tellement cette nuit je suis bien avec lui, tellement je le sens proche de moi, attentionné, amoureux.
Lorsqu’il se relève, il me regarde dans les yeux. Puis, il porte ses mains sur mes épaules, il prend appui dessous et recommence à me pilonner de plus belle. Sa chaînette ondule au gré de ses coups de reins. Quant à ses tatouages, ils sont toujours aussi terriblement sexy.
Je règle ma respiration sur ses halètements, je guette la montée de son nouvel orgasme. Je pourrais l’annoncer à la seconde près. Encore quelques coups de reins bien profonds et son plaisir de mec se dessine sur son visage, et s’exprime de façon sonore. Je sais que chaque contraction de ses traits, chaque râle qui monte de sa gorge est la ponctuation d’un pic de plaisir masculin. Et que chaque spasme est la notification d’un jet de sperme chaud et dense qu’il envoie en moi.
Jérém me branle et je jouis à mon tour. Je jouis dans sa main, je jouis de plusieurs jets chauds qui vont dessiner de longues traînées sur mon torse.
Mon beau brun se laisse tomber sur moi de tout son poids. Sa peau est moite, sa respiration intense, les battements de son cœur bien rapides. Je glisse ma main derrière son cou, juste en dessous de la nuque. Je sais qu’il adore ça. Je l’entends pousser un soupir profond. C’est magique.
Et là, il me regarde droit dans les yeux et me lance :
— Tu m'as manqué, Ourson !
J’en ai les larmes aux yeux.
Et je retrouve enfin « mon » Jérém. Je suis toujours son Ourson, et ça me rassure.
— Toi aussi tu m’as manqué, tu m’as trop manqué, p’tit Loup ! je lui réponds, fébrile, ému.
— Je suis content que tu sois venu.
— Je suis content d’être là, et je suis content que tu m’aies demandé de venir, alors qu’il y a tout le monde…
— J’avais trop envie de te voir.
Je passe mes bras derrière son dos et je le serre contre moi, je le serre fort, ivre de son parfum, ivre de ses quelques mots, ivre de lui. Il me serre contre lui à son tour. Je crois que jamais je n’ai été si heureux de ma vie. Plus rien n’a d’importance à présent, plus rien ne représente de danger, ni la pétasse blonde, ni Dorian, ni la tempête qui gronde dehors.
Jérém a arrêté de fumer au retour de notre voyage en Italie, et il n’a pas recommencé depuis. Ça laisse des occasions pour la tendresse. Ma main cherche sa main. Nos doigts s’entrelacent. Je me tourne sur le flanc, Jérém me prend dans ses bras. Je sens la puissance de son torse contre mon dos, je ressens la douce chaleur de sa peau. Je sens son souffle sur ma nuque. Et ses lèvres qui viennent poser un baiser léger dans mon cou, juste au-dessous de la ligne de mes cheveux. C’est dans des instants comme celui-ci que je mesure la distance parcourue depuis notre première rencontre à l’appart de la Colombette et l’instant présent. Nous sommes là, ensemble, et c’est tout ce qui compte.
Mon beau brun glisse très rapidement dans les bras de Morphée. Je l’entends à sa respiration, soudain apaisée.
Le vent souffle fort contre la baie vitrée. Et moi je suis bien calé sous la couette, dans les bras du mec que j’aime. Je me sens bien. Je me sens aimé. Je me sens en sécurité. Si ça ce n’est pas le Paradis, ça doit quand même lui ressembler de très près.
Je suis fatigué, et pourtant je n’arrive pas à m’endormir. En fait, je ne veux pas m’endormir. Je veux écouter son sommeil, je veux profiter de chaque instant de cette incroyable nuit. Je veux la surveiller de près, cette nuit, je ne veux pas qu’elle m’échappe, je veux l’empêcher d’avancer, je veux la retenir pour qu’elle n’arrive jamais jusqu’au bout. Je le ferai par une veille de chaque instant, tant pis pour mon sommeil. Je dormirai demain matin quand il sera parti en séminaire avec ses collègues. Même pas. Parce qu’il n’y aura pas de demain matin. Toi, Nuit, je t’ai à l’œil. Je vais trouver une parade pour arrêter le temps et empêcher que le matin vienne dissiper ce bonheur immense.
Vendredi 13 février 2004.
Une rafale de vent particulièrement violente me tire de mon sommeil. Lorsque je rouvre les yeux, je suis seul dans mon lit. Le réveil marque 8h52. Merde, je me suis endormi ! Je n’ai pas tenu le coup. Je n’ai pas su retenir la nuit, le matin est arrivé. Et Jérém n’est plus là. Je n’ai pas entendu son réveil, je ne l’ai pas entendu se lever, je ne l’ai pas entendu partir. Zut, alors, j’ai tout raté !
Je remarque un mot griffonné sur un bout de papier posé sur la table de nuit.
« Je revien à la pause en milieu de matiné ».
Quel bonheur de retrouver un message de mon beau Jérém avec quelques délicieuses fautes d'orthographe que je trouve si touchantes depuis toujours.
Je passe à la douche, je m’habille, je refais le lit, je me cale devant la télé.
Lorsque la porte s’ouvre sur le coup de 10h30, Jérém n’est pas seul. Ulysse l’accompagne. Le boblond est venu me dire bonjour. Nous prenons un café tous ensemble. Ça me fait plaisir qu’Ulysse soit complice de notre clandestinité.
Les deux coéquipiers repartent quelques minutes plus tard. J’ai très envie de partir me balader, mais je dois me rendre à l’évidence, il fait vraiment trop mauvais aujourd’hui pour sortir. Alors, je révise mes cours. Je ne descends que pour déjeuner.
Lorsque je passe devant la réception, le beau Lilian est visiblement en train de faire l’enregistrement d’une nana qui vient d’arriver. Le jeune réceptionniste semble être complètement sous le charme de cette jeune femme. Par conséquent, il semble être passé en mode charmeur.
— Regardez-le faire du gringue à cette greluche, me lance Mr Charles discrètement. C’est dommage qu’il ne mette pas autant de zèle avec tous les clients. Les italiens disent « tira di più un pelo di donna che une mandria di cento buoi ». Un poil de femme charrie davantage qu’un troupeau de cent bœufs.
En regardant le beau Lilian faire son numéro de séducteur, je réalise que lorsqu’il parle, et encore plus lorsqu’il sourit, quelque chose d’animal et de sauvage se dégage de sa bouche. Aussi, il est un contraste souvent flagrant entre l’expression de celle-ci et celle de son regard. Je veux dire par là, que lorsque sa bouche semble sourire – et c’est toujours un sourire terriblement charnel, de jeune loup carnassier – son regard demeure ténébreux, intimidant. Ce gars est à la fois une incarnation parfaite de la Virilité, et puis il y a cette candeur, cette pureté, cette douceur, presque une innocence qui jaillit de son regard par moments.
Dans ces contrastes déroutants, dont je n’arrive pas à discerner la partie innée de celle « cultivée », se niche une sensualité épaisse, palpable.
— Mais regarde-le, continue Mr Charles, il parle anglais comme une vache espagnole, sur trois mots il fait quatre fautes. Je dois le surveiller comme le lait sur le feu, car il loupe des trucs à longueur de journée. Mais il est tellement agréable à regarder, on lui donne l’absolution à tous ses péchés, on lui donnerait le bon Dieu sans confession.
Au restaurant, je m’installe un peu à l’écart de l’équipe, dans un coin où je peux mater mon beau brun discuter avec ses collègues. La blondasse n’est pas là, et je me sens de suite plus serein.
Après le repas, je remonte aussitôt dans ma chambre. Je compte les heures qui me séparent des retrouvailles avec mon beau brun en fin de journée. Mais mon attente sera de courte durée. Il est 13h35 lorsque j’entends la porte s’ouvrir. Jérém doit tout juste sortir du resto. Et il est venu me voir. Comme lors de nos retrouvailles nocturnes, il s’arrête à l’entrée du couloir, l’épaule appuyée contre le mur. Il me toise, un petit sourire au coin des lèvres, une étincelle coquine dans le regard.
— Ça va mec ? je lui lance.
— Oui ça va. J’espérais te trouver là.
— Je suis là…
— J’ai envie de te faire l’amour…
— Viens !
Je sais qu’il reprend à 14 heures. Alors, nous n’avons pas une seconde à perdre. Je me lève pour me jeter sur lui. Mais avant que j’aie eu le temps de l’embrasser, Jérém s’est débarrassé de sa chemise et se retrouve torse nu.
A mon tour, je me défais de mon pull et de mon t-shirt. Il défait sa ceinture, sa braguette, il se débarrasse de son pantalon. Je l’imite encore. Nous voilà nus, l’un en face de l’autre, les queues pointant le Zénith. Je m’élance vers lui, je le colle contre la cloison, j’appuie mon torse contre son torse, mon bassin contre son bassin, ma queue contre la sienne. Ma bouche se perd dans le creux entre son cou et son épaule, aimantée par la douce tiédeur de sa peau. Je suis dérouté par le parfum qui se dégage de sa nudité. Le visage de Jérém se perd à son tour dans le creux de mon épaule. Nous sommes deux cygnes en parade amoureuse. Deux cygnes mâles. Oui, ça existe.
Jérém relève sa tête et m’emporte avec toute sa puissance. Je sens mes jambes céder à la vigueur du mouvement de son corps qui m’entraîne, inexorable, vers le lit. Jérém me porte carrément dans ses bras, de tout mon poids. Un instant plus tard, il vient en moi. Il attrape mes chevilles, les pose sur ses épaules, il me pilonne avec entrain, et jouit rapidement en moi.
Hélas, l’heure tourne, et cette étreinte doit prendre fin, bien trop vite. Ma peau s’ennuie instantanément de sa peau, de sa chaleur, de sa présence. Jérém se rhabille en vitesse. Je ne le quitte des yeux. J’adore le voir se dessaper, mais j’aime tout autant le voir se rhabiller après l’amour.
— Je repasserai avant de partir pour la soirée en ville, il me glisse.
— Vous mangez dehors ce soir ?
— Oui, ils ont prévu un truc genre « tournée des bars à tapas ».
— Tu rentres tard ?
— Je ne sais pas, je pense pas trop de bonne heure, je te dirai.
— Ok, p’tit Loup, bonne fin d’après-midi.
— J’ai envie d’y retourner comme d’aller me pendre…
Un dernier baiser, et mon bobrun file comme un amant clandestin, ce qu’il est dans cet hôtel. J’entends la porte claquer derrière son beau dos. Jérém vient de me faire l’amour et il part illico à son séminaire. Putain de mec.
Il est près de 19 heures lorsque j’entends la porte s’ouvrir à nouveau. Jérém a l’air fatigué.
— Ça va ? je lui lance.
— Ils m’ont assommé. C’était mortel.
— T’avais pas cru qu’ils t’amenaient en vacances à Biarritz juste pour faire la teuf ?
— Bah oui, ce serait beaucoup plus intéressant !
— Tu sais que t’es incroyable comme mec ?
— Je sais, on me le dit souvent.
— Petit con, va !
— Le petit con va prendre sa douche, sinon il va s’endormir.
Jérém disparaît aussitôt dans la salle de bain. J’ai envie d’aller le rejoindre et de prendre une douche avec lui, ou même tout simplement de le regarder prendre sa douche. Mais je sais qu’il est pressé, et je ne veux pas l’embêter. D’ailleurs, sa douche ne dure pas longtemps. Jérém revient habillé d’une belle chemise blanche et d’un blouson en cuir. Ah, putain, qu’est-ce qu’il est beau et comment il sent bon ce petit con !
— Tu es tout beau ! je ne peux me retenir de lui lancer.
— Ce soir, il faut que je sois sur mon 31, car le photographe sera là…
— Le photographe ?
— Le mec qui va faire les photos, tiens…
— De toi ?
— De moi avec l’autre conasse…
— Cette nana qui te colle tout le temps ?
— C’est ça.
— Mais c’est qui cette nana ?
— C’est la pouffe qui est avec moi dans le journal.
— Ah, je ne l’avais même pas reconnue. Et qu’est-ce qu’elle fout ici ?
— Je viens de te le dire, elle est là pour faire des photos avec moi !
— Encore ?
— T’as pas idée de combien sont prêts à allonger ces journaux à la con pour raconter de la merde !
— T’as couché avec ? je ne peux m’empêcher de le questionner.
— Ah, non, pas avec ça !
— Ah, ça me rassure…
— Et Dorian ?
— Quoi, Dorian ?
— Lui non plus il ne te fait pas envie ?
— Bah, il n’est pas mal…
— Juste pas mal ?
— Il est plutôt beau mec, il finit par admettre. Mais pourquoi tu me demandes ça ? T’es jaloux ?
— Il ne t’a pas dragué hier soir, à l’apéro ?
— Si, un peu. Et certainement dans une autre occasion, il continue, il aurait eu droit à son coup de bite.
Sa franchise me fait un bien fou.
— Après, on pourrait l’inviter nous rejoindre, je suis sûr qu’il ne dirait pas non. Je ne dis pas que ça ne serait pas marrant. Mais j’ai envie plutôt d’être avec toi…
Notre concordance de ressentis et d’envies me met du baume au cœur.
— C’était juste une question. Et moi aussi…
— Et toi, il t’a pas dragué ? il me coupe avant que j’aie terminé ma phrase.
— Si, aussi, il m’a dragué hier soir, j’admets à mon tour.
— Celui-là, je te jure ! fait le beau brun, amusé.
— Mais j’ai dit non car moi aussi j’ai envie d’être avec toi.
Et là, il me regarde, et il me lance :
— Tu es un gars super, Nico !
— Je sais, on me le dit souvent !
Le beau brun m’embrasse et part vers sa soirée.
Au bar, l’équipe du Stade est au grand complet. Je repère Jérém, et la blondasse n’est pas loin. Je repère aussi le photographe, avec son grand appareil en bandoulière.
Les joueurs parisiens portent désormais des foulards rouges autour du cou et un béret basque sur la tête. Qu’est-ce qu’il est beau, mon Jérém, accoudé au bar, assis sur l’un des tabourets, avec son béret basque en biais, retombant sur son front. Un béret comme celui de ses coéquipiers, mais porté comme aucun de ses coéquipiers. A part Ulysse, peut-être.
L’apéro bat son plein. Les verres se remplissent, se vident, encore et encore, le tout soigneusement orchestré par les gestes amples et élégants du beau Dorian. Plus je le regarde, plus je trouve ce gars canon.
Oui, il y a le physique, cette morphologie mince et élancée qui est mise en valeur par sa chemise et son gilet portés bien près du corps. Et oui, il y a la belle petite gueule, avec un regard charmeur et une bouche qui dégage un érotisme sauvage.
Mais il y a aussi ce truc qui se dégage de chacun de ses gestes, de ses regards, de ses mots, de ses attitudes, de sa présence tout entière. C’est un mélange subtil de professionnalisme et d’insolence, d’élégance et de sensualité, de discipline et de jeunesse effrontée. Ça fait de lui une adorable tête à claques qui inspire tour à tour, ou même tout à la fois, une curieuse envie de le gifler et un désir brûlant de le faire exulter de plaisir.
Jérém est maintenant un peu à l’écart du groupe, plutôt près de la réception, en compagnie de deux coéquipiers. Derrière son desk, le beau Lilian regarde le petit groupe de rugbymen en train de discuter. Et j’ai l’impression que l’« inébranlable » est tout particulièrement intrigué par mon Jérém. Que traduit donc cet intérêt ? Une fascination pour le rugbyman ? Un instinct de comparaison avec un garçon tout aussi beau que lui ? Ou bien, un désir inavoué ?
La fille chargée d’accompagner les rugbymen dans cette soirée de découverte gastronomique vient d’arriver. Elle est petite mais elle a une voix qui porte. Elle a le don d’attirer l’attention. Tout le monde se tourne vers elle et s’approche pour l’écouter.
— Savez-vous, Mesdames et Messieurs, que le mot tapas vient du verbe espagnol « tapar » qui signifie « couvrir » ? En effet, le souci des bistrotiers espagnols étant d’empêcher les insectes de tomber dans les boissons des clients, ils utilisèrent des fines tranches de pain pour protéger les verres. Pour couper leurs petites faims, les clients commencèrent alors à grignoter ces fines tranches de pain. Et puisque le pain tout seul n’est pas vraiment engageant, voilà qu’avec le temps, ces simples tranches furent de plus en plus agrémentées avec de bonnes choses, jusqu’à que le tapas prenne la configuration qu’on lui connaît aujourd’hui.
Elle termine son speech en invitant le groupe à la suivre vers le premier des trois lieus de découverte gastronomique prévus dans la soirée. Dans le mouvement vers la porte vitrée de la réception, Jérém passe non loin de moi. Le bobrun cherche mon regard et me lance un clin d’œil qui me fait fondre.
Je sors moi aussi pour aller dîner. Mais seul, on mange vite. Surtout si le service est rapide. Ce qui est le cas ce soir. A 21h30, je règle ma note. Quoi faire en attendant le retour de Jérém ?
La météo semble s’être un peu calmée. Je décide alors d’aller me balader sur la plage. J’aimerais tellement que Jérém soit là, avec moi. Mais je sais que cette nuit encore il viendra dans ma chambre, que nous passerons de belles heures ensemble, à faire l’amour, à faire des câlins. Je sais que ces heures-là n'appartiendront qu’à nous deux, et que ce seront les plus belles de cette journée. Je sais que nous aspirons tous deux à ces moments qui n’appartiennent qu’à tous les deux.
Je voudrais marcher plus longuement, mais le froid et la pluie finissent par me décider à aller retrouver la chaleur bien accueillante de ma chambre.
Il est 23 heures lorsque je m’engage dans la porte tournante de l’hôtel. Dorian est toujours derrière son comptoir. Et il m’accueille avec un grand sourire complice. J’aime cette sorte de familiarité qui s’est installée entre nous depuis que nous jouons cartes sur table.
Le bar est désert. Ainsi, autour d’un verre sur le zinc, comme la veille, Dorian engage une conversation amusante autour des aléas du métier de barman. Le jeune serveur est drôle, en plus. Il est vraiment à craquer.
La réception est déserte aussi. C’est pourquoi Mr Charles ne tarde pas à venir nous rejoindre et à s’installer sur le tabouret juste à côté de celui où je suis assis.
— Vous permettez, les garçons, que je mélange mon âge canonique avec vos heureuses jeunesses ?
— Maintenant t’es assis, on va pas te dire de partir, fait Dorian du tac-au-tac. De toute façon, ça ne servirait à rien, non ?
— J’ai dû faire une erreur de casting quand j’ai embauché ce petit.
— Arrête, tu ne peux pas te passer de moi ! Je suis le meilleur barman du monde !
— Et le plus modeste !
— Et le plus sexy !
— Ah, ça ! Si seulement j’avais 20 ans de moins et toi 20 de plus, je t’aurais déjà coincé dans le back office !
— Mais dans tes rêves ! Si tu avais 20 ans de moins, tu en aurais plus de 50. Et avec 20 ans de plus je n’en aurais que quarante-cinq ! Je ne couche pas avec les vieux !
— Petit con !
— Vieille folle !
— On en reparlera quand tu auras 40 ans, si tu verras toujours les quinquagénaires comme des vieux !
— Je ne suis pas branché gériatrie !
— Toi c’est plutôt Lilian qui te branche !
— Pour ce que ça me rapporte… celui-là, il est incorrigiblement hétéro.
— Il n'y a que Saint Pierre qui est inébranlable. Et encore, si on sait bien s'y prendre...
— Je t’ai déjà dit qu’il est hétéro et qu’il le reste même après s’être fait larguer par sa copine et trois whiskies !
Mr Charles se marre, moqueur.
— Pourquoi, t’as pu lui toucher la queue, toi, à Lilian ? s’agace le beau serveur.
— J’aimerais bien, mais non, hélas, je n’ai pas pu. Mais moi je n’ai plus l’âge de mon image, moi il est temps que je fasse ma goodbye party… A la rigueur, il faudrait même que je convole avec un prince du pétrole. Moi, c’est pas maintenant qu’il faut m’amener à la foire. Mais toi, avec ta belle gueule…
— Eh ben, il faut croire que ma belle gueule ne suffit pas toujours !
— Eh, oui, finit par admettre Mr Charles, il y en a qui aiment la charcuterie et d’autres qui ne jurent que par la marée. D’ailleurs, heureusement que c’est le cas, même si ce n’est pas toujours facile à avaler. Il faut bien que quelqu’un se charge de mettre au monde les garçons qui nous font bander !
— En matière de beaux garçons, je considère, je trouve qu’il y en a une belle brochette dans cet hôtel.
— Normal, c’est moi qui recrute ! fait fièrement Mr Charles. Et tu as ici l’une de mes plus belles prises, il enchaîne, en indiquant Dorian du bout du double menton.
— Arrête, lui non plus il ne veut pas de moi ! s’exclame Dorian.
Sa parfaite mauvaise foi me fait sourire.
— Je suis maqué !
— Ah, tu lui as déjà demandé ? feint de s’étonner Mr Charles.
— Mais bien sûr !
— Dorian est un garçon très attentif au bien être des clients, toujours prêt à leur mettre à disposition son savoir-faire dans plein de domaines…
— Je suis quelqu’un de très professionnel !
— Autrement dit, dès qu’il voit un beau garçon, il court comme un lapin. Il a déjà levé plus de mecs celui-là que moi tout au long de ma vie d’âge canonique !
— Je profite de la vie.
— Tu as bien raison. C’est pas à mon âge qu’on va ferrer de beaux poissons. Déjà il faudrait que l’équipement soit en état de marche. A mon âge, il faut un cric pour la lever et un tuteur chimique pour la maintenir. Avant que je sois prêt, le mec s’est déjà barré !
— Trouve toi un mec de ton âge ! lui lance Dorian.
— Si c’est pour rejouer le sketch des papys du Muppet Show, très peu pour moi !
— Vous ne faites pas votre âge, je lui lance.
— Oui, c’est ça. Les fables de La Fontaine, je connais aussi. Je les ai moi-même déclamées pendant des années à quelques bonnes femmes que je tenais à voir revenir à l’hôtel !
Mr Charles nous laisse pour aller s’occuper d’un client qui vient de sortir de l’ascenseur et de s’approcher de la réception.
— On se taquine, mais on s’adore, me glisse Dorian dès que le concierge s’est éloigné.
— Vous êtes très drôles, tous les deux.
— Mr Charles a beaucoup d’humour. C’est quelqu’un de très cultivé et de profondément généreux. Je lui dois beaucoup.
— Tu lui plais bien, je crois…
— Ouais, mais il a toujours été correct avec moi. Si j’avais été partant, il n’aurait pas dit non, mais il a toujours su que ça ne se ferait pas. Et ça n’a jamais été plus loin que des allusions amusantes.
De retour dans ma chambre, j’allume la télé mais je finis par m’assoupir.
Le radio-réveil affiche deux heures 38 minutes lorsque j’entends enfin la serrure se déverrouiller et porte s’ouvrir. Jérém est là.
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