0327 Au cœur de tous les Jérémie.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 21-07-2023 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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0327 Au cœur de tous les Jérémie.
Mars 2004.
Après la parenthèse enchantée de nos retrouvailles à Biarritz, nous reprenons chacun notre vie. Moi, celle d’étudiant, et Jérém celle de rugbyman professionnel. Deux trajectoires qui nous amènent à être loin l’un de l’autre le plus clair du temps. Jour après jour, la distance me pèse.
— Tu ne devrais pas pester contre la distance, car elle entretient la passion, me rappelle le sage Albert.
Il a raison, la distance crée le manque, l’absence fait le bonheur des retrouvailles, l’abstinence, le désir. Se revoir est à chaque fois un aboutissement, la présence de l’autre un cadeau inestimable.
Certes, entre deux retrouvailles, le temps est long. A vingt ans, on est impatient, surtout avec l’amour.
Mais j’ai appris à prendre sur moi. Ou, plutôt, à vivre avec. J'ai cessé de demander à Jérém ce qu'il ne peut pas me donner, une vie de couple assumée et affichée. Je respecte son besoin de discrétion au sujet de sa vie privée. Jérém s’assume en tant qu’homo, et il assume ses sentiments vis-à-vis de moi, il me les a montrés de la plus belle des façons. Et c’est déjà énorme. J’accepte qu’on ne puisse se voir qu’à certaines occasions et sous certaines conditions, quand il peut, comme il peut. J’apprécie à sa juste valeur cette invitation à Biarritz, ce rendez-vous délicieusement clandestin, non dénué de certains risques pour lui.
J’ai même accepté qu’au vu de la distance qui nous sépare, de la rareté de nos rencontres, et de la fougue de nos vingt ans, la fidélité des corps ne soit pas une obligation. J’ai accepté son besoin d'avoir des aventures. J’ai accepté parce qu’il est sincère avec moi, parce qu’il se protège, parce que j’ai appris à lui faire confiance. Parce que je ne veux pas l’obliger à s’abstenir, lui qui est exposé à tant de sollicitations. Et, surtout, je ne veux pas l’obliger à me mentir.
Entre nous, les choses sont claires, posées. Nous avons embrassé ce mode de vie parce que nous sommes désormais certains que les aventures d’un soir n’entachent en rien nos sentiments.
Oui, cette année il est annoncé que Madonna va réinventer sa musique dans un spectacle grandiose. Jérém et moi réinventons aussi notre relation. Et, là aussi, c’est un spectacle grandiose.
Même si nous nous voyons peu, en moyenne une à deux fois par mois, le premier semestre de l’année 2004 s’écoule dans un bonheur ininterrompu. Parfois, lorsqu’il n’a pas match le week-end, Jérém vient me rejoindre à Bordeaux. Aussi, je vais parfois le rejoindre à Paris ou dans la ville où il dispute son match.
Moi qui ne ressens qu’un intérêt très limité pour le sport, et encore moins pour le rugby, un sport que je trouve brutal, dangereux, pour les risques de blessures que chaque action représente, je suis heureux d’assister à ses exploits, de le voir si épanoui sur le terrain. J’adore entendre les stades l’ovationner, vibrer à chacune de ses actions. Et lorsque je lis dans la presse, ou j’entends à la télé, que le jeune espoir est en train de devenir un joueur confirmé, et l’un des meilleurs ailiers du Top16, je suis très fier de lui. Certains commencent même à parler d’Equipe de France. Je réalise que le garçon que j’aime est en train de devenir une véritable star du ballon ovale. Je suis à la fois heureux pour lui, et un peu inquiet. Je ne veux pas qu’il se brûle les ailes, je ne veux pas qu’il se blesse à nouveau.
Tout cet engouement de la presse, sportive et gossip, autour de mon bobrun me fait aussi un peu peur. Une partie de moi craint qu’il soit aspiré par ce monde, et qu’il s’éloigne de moi. Jérém est de plus en plus souvent invité à des soirées, à des réceptions, les sponsors se bousculent pour s’associer à sa notoriété. Les cadeaux s’empilent, l’argent rentre à flots. Pourvu que tout cela ne lui monte pas à la tête, pourvu qu’il ne fasse pas de bêtises, qu’il ne se laisse pas entraîner dans de mauvaises fréquentations. Pourvu qu’il ne touche jamais à la drogue.
Quand je suis présent au match, je ne le quitte pas un seul instant des yeux. C’est idiot, j’en conviens, mais j’ai l’impression que tant que mes yeux ne le lâchent pas, il ne peut rien lui arriver, il ne peut pas se blesser, il ne peut pas faire de conneries. Ma présence n’empêche rien, mais ça me rassure.
Il y a d’autres raisons qui me motivent pour aller le rejoindre dans la ville où il dispute son match du week-end. J’aime tout particulièrement les retrouvailles sexuelles après la compétition.
Quand le match s’est bien passé, quand son équipe a gagné, Jérém est euphorique. Son ego de mâle, galvanisé par la victoire et flottant sur les vapeurs de l’alcool ayant coulé lors de la troisième mi-temps, déborde d’envie de transformer l’essai de son triomphe sportif sur un autre terrain, dans un pieu, dans ma bouche, dans mon cul.
Quand le match ne s’est pas bien passé, quand l’équipe a perdu, Jérém est déçu, le moral dans les chaussettes. Son ego de mâle, malmené par la défaite et flottant là aussi sur les vapeurs de l’alcool ayant coulé lors de la troisième mi-temps, a besoin d’un dérivatif, a besoin de défouler sa frustration sur un autre terrain, au pieu, dans ma bouche, dans mon cul.
Dans tous les cas, la victoire comme la défaite rendent sa virilité bouillonnante.
Dans tous les cas, je suis là pour ça, pour permettre à sa virilité et à ses besoins de jeune mâle fringuant de s’exprimer.
Dans tous les cas, je prends cher, je prends dans la bouche, je prends entre mes fesses, plusieurs fois pendant la nuit après le match.
Jérém me possède d’une façon dont lui seul a le secret.
— J’adore ton cul… j’adore baiser ton cul ! il me glisse parfois, lorsqu’il approche de l’orgasme.
— J’adore ta queue !
— Tu la sens bien là ?
— Oh oui, je la sens bien, très bien…
— Elle est bonne ?
— Oh putain, que oui, elle est très bonne !
— Je te baise bien, hein ?
— Tu fais ça tellement bien !
— Je vais jouir…
— Fais-toi plaisir !
Satisfaire mon homme est le bonheur ultime. Le voir, l’entendre, le sentir prendre son pied, avoir son goût dans ma bouche, savoir qu’il a joui entre mes fesses, sentir son odeur sur moi, en moi, voilà autant d’occasions de bonheur sensuel.
J’adore aussi le regarder dormir après le plaisir, j’aime le savoir satisfait de son match, de son jeu, de sa baise et de sa queue.
L’écho du bonheur sensuel de ces week-ends, de ces quatrièmes mi-temps, retentit en moi pendant les jours qui suivent. Lorsque plusieurs centaines de bornes me séparent à nouveau de Jérém, mes lèvres, ma langue, mon palais et mon cul gardent le souvenir de la présence, du gabarit, du passage de son manche raide, de sa puissance, de son insolence.
Oui, le sexe avec Jérém est à chaque fois un feu d’artifice. Et il l’est d’autant plus depuis que je réalise qu’avant de faire plaisir à un très beau garçon, j’aime faire plaisir au garçon que j’aime.
Samedi 24 avril 2004.
Ce week-end-là, Jérém n’a pas match. Et il me propose de passer le week-end à l’Île de Ré. Nous nous rejoignons à la Rochelle, je gare ma voiture et je prends place à côté de mon beau brun. Je suis heureux de le revoir, et je le suis d’autant plus que c’est lui qui a eu l’initiative de cette escapade.
La première chose qui me saisit en arrivant à l’Île de Ré, c’est cet ouvrage de malade qu’est le pont qui relie l’île au continent. Pendant la traversée, je suis happé par le dégradé vert gris de l’océan, par une intense sensation de dépaysement, d’ailleurs. Le ciel gris, maussade se confond avec l’eau.
Il n’y a pas encore grand monde à cette saison sur l’Île, ce n’est pas encore l’heure de la grande invasion estivale.
Nous nous baladons longuement sur la plage, nous marchons lentement sur le sable fin tassé par l’océan, nos pas rythmés par le bruit du ressac. Le reflet inattendu d’un soleil provisoire arrive à se frayer un chemin parmi les nuages et à poser sur l’océan une robe d’une couleur qui oscille entre le marron et l’orange.
Je suis fasciné par le vol des mouettes, par le mouvement lent de quelques petits bateaux blancs posés sur l’eau, autour de ce pont comme suspendu entre ciel et mer.
Pendant le week-end que nous passons sur l’Île de Ré, il ne cesse jamais de pleuvoir pendant plus d’une demi-heure. C’est une pluie fine, insistante, morose, une pluie qui minerait le moral, si la beauté de cette île, certes mélancolique mais époustouflante, n’était pas là pour en mettre plein la vue. Et puis, quand on est amoureux comme je le suis à cet instant, on a le soleil dans le cœur, et ses rayons jaillissent à tout instant projetant sa lumière et sa chaleur partout autour. Il fait toujours beau, tout est beau à l’Île de Ré quand l’homme que vous aimez se balade à côté de vous, quand vous voyez le désir et l’amour dans ses yeux.
Demain ce sera lundi et chacun partira de son côté. Je sais déjà qu’il va me manquer. Mais j’ai appris à profiter et à jouir de ces moments d’éternité sans les gâcher avec les questions et les peurs que demain peut susciter. Jérém aura été dans ma vie une incroyable leçon de lâcher prise.
Nous montons au phare des baleines. Après une longue ascension, nous pouvons apprécier pleinement la puissance de l’océan déchaîné. A Biarritz, Cap Breton, Bordeaux, l’océan est toujours impressionnant. Mais le côté sauvage de l’Île de Ré, ce côté hors du temps et de l’espace, cette sensation de bout du monde, ajoutent de la magie à cette puissance.
Nous redescendons sur la plage. Le vent souffle très fort, les vagues sont de plus en plus violentes Nous nous faisons surprendre comme des gamins par une vague plus forte, nous nous faisons éclabousser, nous nous retrouvons avec les chaussures et les jeans mouillés. Ça nous amuse, et ça nous fait rire aux éclats, je ris comme quand j’étais enfant, je crois que sur cette plage nous redevenons enfants.
Jérém se pose, s’allonge carrément sur le sable. Nous sommes seuls sur la plage, je me glisse sur lui, je l’embrasse, nous nous embrassons longuement.
A la Flotte-en-Ré, nous faisons un tour sur le petit port, avec ses quelques bateaux à quai, ses mouettes posées sur la rambarde en pierre, alignées face à la mer dans l’attente d’un vent favorable pour prendre l’envol. Avec sa bande son si particulière dans laquelle se mélangent les clapotis de l’eau, le souffle du vent, le cliquetis métallique produit par une corde de voilure que le vent fait taper contre un mat, celui plus sourd d’une passerelle qui se frotte à un ponton. C’est la voix de l’Île de Ré. Une île qui sommeille encore après le départ des touristes à la fin de l’été et qui ne se réveillera vraiment qu’à l’arrivée de la belle saison.
Au fond du cheminement du port, je sens sa main se poser sur mon épaule. Le petit phare comporte un petit creux dans le mur qui nous met à l’abri de tout regard. Sa main saisit mon blouson, Jérém me pousse contre le mur en pierre. Il se tient là devant moi, beau comme un Dieu, ses mains posées fermement sur mes épaules, dans ses yeux ce regard de garçon amoureux qui me rend fou, avec cette tendresse qui vaut mieux que mille paroles. Et puis il approche son visage du mien, ses lèvres des miennes, et il m’embrasse. Nous sommes là, en train de nous bécoter comme deux ados pendant que la mer se déchaîne autour de nous, pendant que les mouettes s’envolent avec leurs cris perçants.
Entre deux retrouvailles avec Jérém, je continue mes études. Après presque une année loin de la fac, je retrouve la vie étudiante, et cela me plaît bien. Je retrouve Monica, Cécile, Fabien, Raphaël. Je me laisse parfois entraîner par ce dernier à des fêtes étudiantes où je bois un peu, où je m’amuse enfin.
Aussi, il m’arrive de croiser des garçons dans la rue, à la fac, dans des soirées, d’accrocher leur regard, d’y voir, ou d’imaginer, des désirs, des promesses.
Il semblerait que lorsque nous sommes bien dans notre peau cela rayonne à l’extérieur de nous et attire les regards et les désirs. Je dois avoir l’air vraiment bien dans ma peau, car j’ai parfois l’impression de me faire mater, chose qui ne m’arrivait que très rarement auparavant. Ou dont je n’avais pas conscience auparavant. Oui, il est possible que j’aie appris à mieux regarder.
Il m’arrive de sortir dans des boîtes pour garçons et de m’amuser avec des regards « moins risqués ». Je laisse parfois ces regards devenir des rencontres, du sexe, mais jamais de l’attachement. Je prends du plaisir, tout en pensant à chaque fois à ce que je n’ai pas avec un inconnu, ce que seul Jérém sait me donner. A savoir, le bonheur des sens couplé à celui de la tendresse, à celui de l’amour.
Jérém est l’unique, il est l’Elu de mon cœur. Je réalise enfin la nature et la portée de ce changement qui s’opère en moi depuis l’accident de Jérém, j’arrive à identifier cette sensation qui m’avait saisi à Biarritz.
Jusqu’à il n’y a encore pas longtemps, à chaque fois que je croisais un beau garçon, je me sentais ravagé par le désir, j’avais à minima envie de l’avoir en bouche, je ressentais une irrépressible envie de le faire jouir d’urgence.
Mais cette année a bousculé tant de choses. Désormais, lorsque je croise un beau garçon, si mon regard est toujours irrépressiblement attiré, voilà que mon désir, pourtant toujours présent, semble plus apaisé. Avant, croiser un beau garçon inaccessible provoquait en moi comme une douloureuse blessure. Désormais, le bonheur que m’apporte la présence d’un beau garçon est plus un fait de tendresse et de bienveillance. C’est comme si dans mon esprit il n’y avait plus la place pour désirer de façon ravageuse. Je ne m’enflamme plus comme avant. Désormais, l’amour de Jérém comble mon cœur. A moins que ce ne soir l’amour que je porte à Jérém qui fait cela.
Si j’ai des aventures, c’est parce qu’à vingt ans, le corps demande à exulter. Mais à chaque fois, je me dis qu’en réalité cela ne m’apporte pas ce dont j’ai besoin. Car, ce dont j’ai besoin, un seul garçon sait me l’apporter.
Ainsi, après l’excitation des sens, après le plaisir, la frustration du cœur revient à chaque fois, et elle est dure à affronter. Alors, les aventures perdent peu à peu d’intérêt à mes yeux. Au fond, je commence à comprendre que je peux plaire. Et cela me suffit pour me sentir bien. Désormais, concrétiser est accessoire.
Un jour, j’ai envie d’appeler Ruben pour savoir comment il va. Nous nous revoyons dans un bar, autour d’un café qui se prolonge pendant tout un après-midi. Le petit Poitevin semble aller plutôt bien, il a l’air serein. Il est toujours célibataire, mais ça ne lui pèse pas. Il n’a pas du tout l’air de m’en vouloir pour notre rupture. Au contraire, il me questionne sur ma relation avec Jérém. Je lui en parle en essayant de ne pas trop étaler mon bonheur, mais il comprend que je suis amoureux et il semble sincèrement ravi pour moi. Ravi et bienveillant comme le serait un ami. Je crois que nous sommes devenus amis. De notre ancienne relation demeure une certaine complicité, pourtant dénuée de toute ambiguïté. D’ailleurs, il me propose de refaire du vélo, si je le souhaite. Je ne refuse pas, mais je ne m’engage pas non plus. Je préfère en parler à Jérém avant, et sonder sa réaction.
— Tu fais ce que tu veux, Nico, tant que tu ne fais pas de bêtises… voilà sa sentence.
Là où, par bêtises, je comprends « tant que tu ne tombes pas amoureux de lui ».
Je recommence alors à faire du vélo. Les sorties nature avec Ruben et son assos sont amusantes et enrichissantes. Je me sens bien avec ces gens passionnés et bienveillants. Comme toujours, ils me rappellent la bande de cavaliers de Campan. J’ai tellement envie de retourner à Campan avec Jérém.
Un jour, sur un panneau d’affichage de la fac je tombe sur une annonce à propos du recrutement d’un rédacteur pour le journal étudiant de la fac. Cela m’a intéressé. J’ai appelé le contact indiqué sur l’affiche, et la nana qui m’a répondu a été très accueillante. Dès le lendemain, je rencontre Sophie, ainsi que ses quelques collègues au journal. Deux jours après, je commence à écrire. Je parle d’événements en lien avec la vie étudiante, des assos présentes sur le campus. Ce ne sont que des articles de service, mais cela occupe mon temps et mon esprit. L’écriture devient un petit refuge où je me sens bien.
Peu à peu, le goût de l'écriture me gagne. Je recommence à écrire sur Jérém, sur notre histoire. J’avais commencé il y a un an, puis l’accident de Jérém avait complètement bousculé les priorités de ma vie. Mais les souvenirs des trois dernières années me sont si précieux que j’ai envie de les fixer noir sur blanc.
La saison de rugby touche à sa fin, le Stade Français remporte haut la main les matches des deux dernières journées de qualification contre Clermont Ferrand et Colomiers.
Jérém est revenu au meilleur de sa forme et match après match ses exploits se succèdent avec une régularité exceptionnelle. En phase finale du Top 16, les deux Stades se retrouvent dans la même poule, la B. Pour la première fois, les anciens coéquipiers, les deux meilleurs potes, Jérém et Thib vont pouvoir jouer l’un contre l’autre dans un grand match de championnat.
Quand je pense qu’il y a un an Jérém était au plus mal, je mesure le chemin parcouru depuis et ça me donne le vertige.
Début mai, Jérém me propose d’aller voir le match à Toulouse. Quand je pense qu’il y a trois ans Jérém n’admettait même pas qu’il prenait son pied à coucher avec moi, je mesure le chemin parcouru depuis, et ça me donne aussi le vertige.
Je repense à la première fois où j’ai vu Jérém, le premier jour du lycée, à ce premier regard qui m’a foudroyé. Ma vie a commencé ce jour-là, à cet instant-là. Je plains ceux qui n'ont jamais ressenti cela, l'intensité d'un regard, le déchirement d'un désir qui tente de faire son chemin sur un terreau de timidité et de crainte, tel une graine qui tente de germer sur un terrain hostile.
Ce désir, tout comme cette graine, est tenace. Dans les deux cas, cette ténacité est un instinct de vie, une aspiration au bonheur.
Samedi 15 mai 2004.
Le match se joue au Stade Ernest Wallon, le haut lieu du rugby toulousain. C’est un retour aux sources pour mon beau brun, un retour dans sa ville natale, comme un retour d’exil, dans le stade de l’équipe dont il rêvait de faire partie mais qui n’a pas voulu de lui.
Evidemment, j’ai fait le déplacement, je ne pourrais rater pour rien au monde un match où Jérém et Thibault s’affrontent. Je sais que Jérém tient à ma présence dans les gradins. D’ailleurs, il a réussi à m’obtenir un placement au bord du terrain juste à côté de l’entrée des équipes.
Ce samedi sur la pelouse du stade des Sept Deniers, c’est le choc des Titans. Deux équipes, probablement les plus fortes du Top16 s’affrontent, à un pas des demi-finales. Des joueurs, et parmi eux des fleurons du rugby français, vont se mesurer sans rien lâcher. Le choc est tel que le stade vibre, tremble, tangue à chaque action, à chaque passe. L’effervescence de l’assistance est palpable, les ovations des supporters font trembler les gradins.
C’est beau de voir les deux potes sur le terrain, eux qui ont longtemps joué dans la même équipe, les voir jouer l’un contre l’autre. J’ai l’impression qu’ils jouent merveilleusement bien.
Je sais que Jérém se met la pression comme jamais, je sais qu’il a envie de gagner comme jamais, qu’il a envie de prouver à ceux qu’ils n’ont pas voulu de lui, et dans leur propre fief qui plus est, qu’ils ont fait une belle connerie. Jérém a besoin d’une revanche.
Pendant deux mi-temps intenses et riches en rebondissements les points sont marqués, arrachés, emportés dans l’effort et la transpiration. Et à la fin du temps réglementaire, le tableau affiche un score de 18-24 en faveur des Parisiens.
Ça y est, Jérém tient sa revanche. Une victoire que lui et ses coéquipiers sont allés chercher au prix d’un match sans répit, une victoire que les Toulousains n’ont laissé filer qu’après de vaillants efforts.
A la fin du match, l’image de Jérém et de Thibault qui se prennent longuement dans les bras l’un de l’autre est très émouvante. Thibault sourit, il a l’air ému et heureux pour la victoire de son pote. Une victoire aussi importante que si c’était la sienne, ou peut-être un peu plus encore.
Un journaliste attaque Jérém et Thibault à la sortie du terrain. Les deux belles gueules viriles des deux potes s’affichent sur les écrans du stade.
— Alors, Tommasi et Pujol, ça fait quoi de jouer l’un contre l’autre, alors que vous avez grandi ensemble, que vous avez été formés ensemble au rugby ?
— Un pur bonheur ! fait Thibault sans hésiter.
— Même si le match a été remporté par l’équipe adverse ?
— Le match a été beau, dur et prenant, on s’est battu jusqu’à la dernière minute… c’est un plaisir d’affronter des adversaires de cette envergure, commente le jeune papa.
— On a gagné, mais ils n’ont pas perdu, fait Jérém.
— Maintenant, l’objectif est de viser le haut du classement de votre poule…
— Bien sûr ! font les deux potes en chœur.
— Et remporter les demi-finales contre les équipes les mieux classées de la poule A…
— Et nous retrouver en finale ! fait Jérém, euphorique.
— Et on va vous mettre une bonne raclée ! plaisante Thibault.
— Rêve toujours ! fait mon beau brun.
— En tout cas, on vous souhaite à tous les deux le meilleur pour la suite…
Les deux potes se serrent la main, puis se prennent dans les bras l’un de l’autre. C’est beau, et bien plus que ça. Je trouve grisant de savoir que ces deux garçons ont un secret que toute cette foule ignore et dont je suis l’un des rares détenteurs. Je veux bien évidemment parler du fait qu’en dépit des apparences, des histoires d’amourettes sur les journaux pour l’un, d’un enfant pour l’autre, en dépit d’allures on ne peut plus viriles, l’un comme l’autre aiment les garçons, qu’ils ont déjà couché avec des garçons, dont moi, et même qu’ils ont déjà couché ensemble.
Aujourd’hui, ce samedi 15 mai 2004, après 80 minutes d’effort sportif et de jeu tout aussi spectaculaire que respectueux, ces deux garçons sont élevés au statut des « héros » par leurs co-équipiers, par leurs supporters, par leurs managements respectifs, ils sont même tenus en grand respect par les joueurs et les supporters de l’équipe adverse. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il en serait de même si leur secret s’ébruitait.
Et alors que leur accolade prend fin, je suis happé par l’image de leurs maillots tendus sur leurs pecs se soulevant au rythme d’une respiration encore accélérée par l’effort sportif, de leurs brushings un peu malmenés par les exploits, de leurs fronts, de leurs cous, de la naissance de leurs pecs perlant de transpiration, par la sensualité qui se dégage de l’un comme de l’autre à cet instant précis.
Cette respiration après l’effort, ces brushing un peu défaits après l’exploit, cette transpiration perlant de leur peau, cette sensualité inouïe du corps qui a tout donné, je la retrouverai quelques heures plus tard, après la quatrième mi-temps, dans l’appart de Thibault, après que les deux potes se soient joui dans le cul à tour de rôle, après qu’ils aient joui dans le mien l’un après l’autre. Une fois de plus, nous fêtons une grande occasion en passant la nuit à nous offrir du plaisir.
Début juin, je valide mes semestres sans trop de difficulté. Entre un match et l’autre, Jérém a lui aussi retrouvé le chemin des cours. Certes, son statut de sportif étudiant lui simplifie pas mal la tâche, mais je vois bien qu’il y met du sien aussi. Ça passe de justesse, mais ça passe, et c’est le plus important.
Les deux Stades se classent bien en tête de leur poule. Le 19 juin, à Lyon, le Stade Français s’impose face à Bourgoin. Ça semble bien engagé pour une finale de Top 16 entre les deux Stades. Jérém et moi nous rendons le lendemain à Montpellier pour assister au match Stade Toulousain-Perpignan. Hélas, la rencontre ne se passe pas comme prévu, en tout cas pas comme nous l’avions souhaité. Après deux mi-temps difficiles, les Haut-Garonnais s’inclinent face aux Frontaliers.
Samedi 26 juin 2004.
La finale du championnat de rugby se joue au Stade de France, rien de moins.
Une fois de plus, Jérém a réussi à obtenir des places de premier choix, en tribune Est, catégorie basse. Je dis bien « des places », car il a invité Papa à venir aussi. Evidemment, Papa était aux anges, et il ne s’est pas fait prier pour faire le déplacement dans la capitale. Je suis heureux de partager ce moment avec lui. Et évidemment, pour cette occasion spéciale, Jérém a également prévu des places pour son père et son jeune frère Maxime. Et Thibault, Thierry et Thomas, bien entendu, ses meilleurs potes de Toulouse. Nous sommes tous là, réunis pour cette occasion spéciale, alignés en brochette sur le même rang.
Habitué à voir jouer Jérém dans des stades de 20-30000 places, je suis scotché par la démesure de l’immense enceinte aux 80000 places. Des places qui se remplissent jusqu’à la dernière. Le brouhaha et l’effervescence de ce genre d’endroit, d’une foule aussi immense sont étourdissants.
Je repense à la première fois où je suis allé voir jouer Jérém à Toulouse, peu après notre première révision. Je me souviens y être allé avec ma cousine, et avoir profité de l’occasion pour faire auprès d’elle mon tout premier coming out. Je me souviens de sa tête quand je lui avais annoncé que je couchais avec cette bombasse de Jérém, je me souviens de son air dépité, puis de sa bienveillance à mon égard. De sa mise en garde, de sa recommandation de ne pas tomber amoureux d’un gars « comme lui », un gars qui ne s’assumait pas et qui me ferait souffrir à coup sûr. Que de chemin parcouru depuis, du petit stade de quartier à Toulouse au Stade de France, des baises de l’appart de la rue de la Colombette à l’amour intense à chacune de nos retrouvailles, depuis le garçon qui ne s’assumait pas au Jérém d’aujourd’hui qui admet pleinement ses sentiments pour moi.
Le début du match est imminent. Le stade gronde, son impatience et son excitation montent de plus en plus. Les tribunes vibrent. Je vibre avec, ça provoque en moi des montées d’adrénaline, ça me donne la chair de poule. L'ambiance de fête me fait perdre pied.
Lorsque les joueurs rentrent enfin sur la pelouse, ils sont accueillis par une ovation qui a la puissance d’une déflagration. Jérém n’a pas du tout l’air intimidé par l’immense enceinte et par la foule surexcitée.
Le match démarre et mon beau brun semble au meilleur de sa forme. Il est rapide comme le vent, il est adroit, rusé, malin, habile, stratège. Sa connexion avec les autres joueurs est parfaite, avec Ulysse en particulier, et ça fait des miracles. Il ne rate aucune action, il marque des points en nombre, et les essais sont quasi systématiquement transformés.
Le match se termine avec une victoire nette pour le Stade Français, 38-20. Dans une longue, assourdissante, interminable ovation, le Stade de France fête les champions de tout un pays.
Quelques minutes après la fin du match, les joueurs de l’équipe gagnante s’alignent au milieu du terrain.
L’année dernière au Stade de France, Jérém rongeait son frein en costard cravate, et il soulevait le Brennus juste pour l’honneur, soutenu par les bras puissants d’Ulysse. Cette année il soulève son véritable premier bouclier de Brennus, bien assuré sur ses pattes, après avoir bien mouillé le maillot, devant une foule en délire.
Son regard à cet instant est émouvant au possible. Il y a de l’incrédulité, de l’éblouissement, de l’émerveillement. C’est le regard d’un gosse à Noël. Il y a une joie immense, mais aussi des larmes d’émotion que les écrans géants montrent impudiquement à de milliers de spectateurs.
J’ai l’impression que le stade tout entier applaudit et félicite le champion qui revient de loin. Et parmi les 80000 paires de mains qui claquent avec ferveur, celles de la petite délégation toulousaine tapent avec encore plus d’énergie que les autres, avec plus de bienveillance et d’affection. Même Thibault, qui rêvait lui aussi de soulever ce bouclier, est visiblement ému par le triomphe de son Jé.
— J’aurais tellement aimé jouer ce match contre le Stade Français, il me glisse.
— Tu aurais aimé soulever le Brennus à sa place ! lui lance Thierry qui a entendu ses mots.
— Peu importe qui aurait soulevé le Brennus. J’aurais surtout aimé jouer cette finale avec Jé.
— L’année prochaine, ce sera la bonne ! Je vois bien une finale Stade Toulousain contre Stade Parigot, et le Brennus qui revient à Toulouse, sa place de droit ! s’avance Thierry.
Hélas, ses prévisions se révéleront largement inexactes. Jamais les deux potes ne se retrouveront en finale du Top16. Déjà, parce que, pendant des décennies, les deux Stades n’accéderont pas en même temps à la finale de ce championnat qui sera bientôt rebaptisé le Top14. Aussi, parce que la carrière de l’un des deux potes s’arrêtera brusquement deux ans plus tard, au terme de la saison 2005-2006.
Nous attendons Jérém à la sortie du stade. Lorsque le champion apparaît enfin, sa première accolade est pour son père. Un père qui est comme jamais ému, comme jamais fier de son fils.
[Ton père ne t’a pas quitté des yeux depuis le coup de sifflet final. Tu le prends dans tes bras et l'étreins de toutes tes forces. Tu lui cries à l'oreille : « On est champions, Papa ! On est champions ! ». Aujourd’hui, ton père a un sourire d'enfant. C’est la première fois qu’il a ce sourire. Et c’est la première fois que tu vois dans son regard cette fierté, cette reconnaissance, ce respect. Aujourd’hui, ton père, tu l’as impressionné. Tu as réalisé tes espoirs et tes rêves les plus fous, et aussi les siens, par la même occasion. A cet instant précis, tu te sens sur un pied d'égalité avec lui. A cet instant précis, tu te sens aimé comme jamais auparavant].
L’étreinte entre les deux Tommasi s’étire, comme si l’un et l’autre avaient besoin de faire retomber la pression, de faire cesser les larmes avant de s’éloigner. La mère de Jérém nous a rejoints, et l’accolade suivante lui est destinée. Vient ensuite le tour de Maxime, puis de Thibault, et de ses autres potes. Chacun a droit à une accolade, à quelques mots. Jérém vient serrer la main de Papa, il est en larmes, Papa aussi. L’image de Papa qui serre Jérém dans ses bras m’émeut encore plus que tout ce qui a précédé.
La dernière accolade m’est destinée. Jérém me prend dans ses bras et il me serre très fort et très longuement contre lui. Sa joue et ses lèvres se posent dans le creux de mon épaule, dans un abandon total, comme s’il s’en foutait qu’on ne soit pas seuls, mais devant ses potes, devant sa famille, un stade tout entier, des caméras.
— Merci Nico, merci, je t’aime Nico, il me chuchote dans le creux de l’oreille.
Juillet 2004.
Après, c’est l’été. Un autre été que je passe avec Jérém. La première étape de nos vacances est Campan. Je retrouve avec bonheur la petite maison, la bonhomie des cavaliers. Jérém est fêté pour sa victoire en Top 16.
— Je te l’avais dit que tu reviendrais au top ! lui lance JP, en le prenant dans ses bras.
— Au top et au-delà de tout espoir ! Un bouclier de Brennus à ta première saison ! Ça c’est un exploit ! le félicite Daniel à son tour.
— C’était pas ma première saison… se défend mon beau brun.
— Avec le Racing, c’était une saison de rodage. La saison dernière, tu ne l’as jouée qu’à moitié. D’ailleurs, cette dernière aussi tu ne l’as jouée qu’à moitié. Donc, ça fait bien une année, ta première année ! insiste Daniel.
— Tu as une curieuse façon de voir les choses… ça doit être le troisième pastis sans eau qui parle à ta place… le casse Lola.
— Ça doit être ça, ma belle…
Le lendemain, nous partons en balade à cheval avec Charlène. Je retrouve avec plaisir ma monture tout terrain et tout confort, la Tequila internationale. Je retrouve le dépaysement de la forêt, de la position en hauteur, l’odeur du cuir, de la transpiration du cheval, l’ivresse de la vitesse, les sensations du contact avec l’animal, le ressenti de ses mouvements. Le bonheur de voir Jérém sur Unico, d’évoluer dans un environnement naturel, sauvage, de retrouver un Jérém nature, pur, en lien avec son enfance. Je passe un magnifique après-midi. Nous passons un magnifique après-midi.
Mais au retour de notre balade, Charlène nous livre une nouvelle qui est de nature à saper notre bonheur. Elle nous annonce que, faute de repreneur, elle compte faire valoir ses droits à la retraite à la fin de l’année et fermer le centre équestre.
Jérém est décontenancé, il a l’air perdu et attristé.
— Ne fais pas cette tête, je ne vais pas t’obliger à replacer tes chevaux, ils peuvent rester. Mais je vais arrêter les balades, et je ne renouvellerai plus les chevaux qui partent. Je vais garder une dizaine de chevaux, histoire de compléter ma retraite.
— Mais tu vas continuer à monter ?
— Oui, tant que mon genou me le permet.
— Ça va plus être pareil…
— Qu’est-ce qui ne va plus être pareil ?
— Cet endroit. S’il n’y a plus de balade, plus d’animation, plus de jeunes chevaux, plus de jeunes cavaliers…
— Il y a un temps pour tout. Je suis fatiguée, je ne vais pas continuer et m’user jusqu’à la corde !
— Oui, je sais.
— Je sais tout ce que ce centre a représenté pour toi…
— Ce qu’il représente toujours…
— Je sais, mon Jérémie. C’est pas faute d’avoir cherché un repreneur. Mais il faut se rendre à l’évidence.
— Stéphanie n’est toujours pas intéressée ?
— Ma fille n’est pas faite pour ça…
— Et ton ouvrier non plus ?
— Marc est doué avec les chevaux, mais il est trop jeune pour chapeauter tout ça.
— Et si je le reprenais moi, ton centre équestre ?
— Tu n’as pas le temps de t’occuper de ça, t’as bien d’autres chats à fouetter !
— Je reprends à mon compte, et tu gères.
— Ça ne changerait rien, je n’ai plus l’âge de me taper tout le taf.
— Embauche quelqu’un d’autre. Forme-le. Transmets-lui ton savoir-faire des chevaux, de la gestion du centre. Je reprends l’affaire. Etudie une solution, je te suivrai.
— Il faudrait déjà que ce soit viable, il ne faut pas que ce soit une charge pour toi.
— Ça l’a été pour toi, je ne vois pas pourquoi ça ne le serait pas pour moi.
— Ça demanderait une réorganisation de fond en comble…
— Je te fais entière confiance, Charlène.
— Tu es sûr de toi, mon garçon ?
— Très sûr.
— Ecoute, je ne te promets rien, mais je vais y réfléchir.
— Moi, c’est tout réfléchi !
— L’idée me séduit aussi…
— Alors réfléchis bien. Il faut que cet endroit continue de vivre.
Jérém m’émeut. A Campan, il est tellement touchant. Son âme de gosse refait surface et c’est son cœur qui guide ses actes. Et ça, ça me fait fondre. Ça, ça m’accroche à lui au-delà de tout, de l’attirance, du sexe. C’est ce qui se tapit dans l’ombre de sa virilité qui me plaît outre mesure. Ça a toujours été le cas, au final. Sauf qu’avant, j’en étais moins conscient.
Pendant que nous prenons la route pour La Mongie, la radio passe une chanson que j’ai découverte en partant de Biarritz quelques mois plus tôt et qui me vrille les tripes à chaque écoute depuis :
https://www.youtube.com/watch?v=Oextk-If8HQ&list=OLAK5uy_nvmHwRQr3hA9gjEl-gB9g-Acz5mcveRg8&index=1
So why don't we go
Alors pourquoi n'allons-nous pas
Somewhere only we know ?
A un endroit qui n'appartient qu'à nous ?
Aujourd’hui notre relation n’est plus autant semée d’embûches qu’elle ne l’était il y a encore un peu plus d’un an. Aujourd’hui, tout va bien entre nous, je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie. Et pourtant, Campan est toujours ce lieu qui n’appartient qu’à nous, notre petit Paradis à nous. Campan a été l’endroit où Jérém m’a embrassé pour la première fois, où il s’est excusé pour la première fois de m’avoir fait du mal, où il s’est assumé et où il a assumé notre amour en public, la première fois où il m’a dit « je t’aime ». C’est un endroit qui dégage une sorte de magie qui met à nu l’âme de Jérém et qui me rend encore plus follement amoureux de lui que je le suis d’ordinaire. Et c’est pas peu dire. Oui, Campan est un endroit qui a été spécial, qui l’est toujours, et qui le sera toujours.
La montée en voiture jusqu’à La Mongie est du genre bucolique, avec ces vaches errantes en bord ou même sur la route. L’arrivée au village l’est aussi, avec des lamas qui divaguent en toute liberté autour des guichets du téléphérique.
Le voyage en télécabine est à couper le souffle. On s’envole vers la cime, et on a l’impression de s’envoler vers le ciel. Le village s’éloigne, le vide que nous laissons derrière nous est impressionnant.
Et puis, il y a l’arrivée, là-haut. Là-Haut, on a l’impression d’être suspendus dans le ciel, en apesanteur, de flotter sur l’air frais des sommets.
Le site autorise une vue à 360 degrés sur la chaîne des Pyrénées, les balcons suspendus sur le vide permettent d’admirer un paysage de pierre et d’eau où le travail de l’homme est à la fois impressionnant et discret. Les coupoles géantes abritant les instruments d’observation se fondent à merveille dans cette scénographie majestueuse.
Oui, tout est à la fois beau et impressionnant là-haut. La vue, le charme brut et puissant des éléments, la table d’orientation indiquant les noms des pics, où je retrouve de nombreux noms associés aux étapes les plus redoutables du Tour de France, le petit lac en contrebas dons les eaux sont d’un bleu profond.
Mais aussi, la prouesse que représente cette construction à cette altitude, sur ce pic rocheux, à une époque où les moyens n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. C’est la même sensation empreinte d’ébahissement et d’admiration que je ressens devant les grandes constructions du passé, celle que j’ai ressentie à Rome, à Florence, à Notre Dame, à Versailles, au Louvre.
J’essaie de m’imaginer la détermination et la bravoure des pionniers qui sont venus ici et qui ont bâti cette merveille avec leurs bras, leur sueur, leur jeunesse, et ça me donne le vertige.
Le paysage change sans arrêt, des nuages apparaissent et cachent des pans entiers de montagne, puis se dispersent quelques minutes plus tard laissant découvrir des moutons autour d’un lac, ou un vol de vautours.
Je suis fasciné par cet horizon dégagé et immense, par la beauté des Pyrénées sublimée par cette belle journée ensoleillée et limpide. Mais il n’y a pas que la beauté des Pyrénées qui est sublimée par la lumière intense et cristalline de cette journée.
Avec son t-shirt noir bien ajusté, sa peau mate, ses lunettes de soleil de kéké, ses cheveux très bruns et son brushing de bogoss, mon Jérém est à craquer. D’ailleurs, ça ne loupe pas, il se fait mater par un gars. Pendant un instant, j’ai cru que le mec, accompagné de sa copine, avait juste reconnu l’ailier Tommasi et qu’il était ému par cette « rencontre » fortuite. Pourtant, très vite, je remarque que dans son regard il n’y a pas que de l’admiration. Dans son regard qui traîne plutôt sur le bogoss Jérém que sur l’ailier Tommasi, dans ces mouvements imperceptibles de sa langue qui se glisse furtivement entre ses lèvres, dans cette petite agitation de sa pomme d’Adam, il me semble qu’il y pourrait y avoir autre chose, quelque chose que sa copine ne voit pas, ou qu’elle ne veut pas voir, mais qui est bien là.
Oui, même à 3000 mètres d’altitude, mon beau Jérém se fait mater. Ça me fait sourire, et ça m’excite.
Sur la grande terrasse ensoleillée, nous prenons un café. Je regarde nos baskets en éventail sur fond de chaîne pyrénéenne, je contemple mon bonheur. J’ai envie de l’embrasser. C’est fou à quel point j’ai envie de lui à cet instant.
— On n’est pas bien, là ? je m’entends lancer, ne pouvant pas garder mon bonheur pour moi tout seul.
— Trop bien !
Et là, je sens le dos de sa main frôler le dos de la mienne. Au départ, je crois que c’est un hasard. Mais le contact se prolonge, se répète. Jérém est en train de me faire un câlin discrétos, sur cette terrasse où il y a pas mal de monde !
Le bobrun a tourné légèrement son visage vers moi. Même si je ne vois pas ses yeux, je sais que derrière ses lunettes noires, Jérém me regarde, guette ma réaction.
— Tu me rends tellement heureux, Tommasi ! je lâche, terriblement ému, me faisant violence pour ne pas me jeter sur lui et l’embrasser de toutes mes forces.
— Quand tu es avec moi, la vie me semble plus simple, et plus douce.
A 4000 mètres d’altitude, je crois que nous nous sommes dit tout l’amour que nous ressentons l’un pour l’autre.
En fin d’après-midi, nous prenons la route pour la région de Toulouse. Jérém est accueilli en héros du rugby par Papa et en beau-fils exemplaire par Maman.
Papa ne tarit pas d’éloges sur sa magnifique saison et sur cette victoire du Top16 qu’il qualifie d’historique. Jérém a une telle cote auprès de Papa, c’est beau à voir. C’était inespéré. Les deux reviennent de loin. Papa d’une réaction épidermique lorsque je lui ai annoncé que Jérém et moi étions ensemble, et Jérém d’un grave accident sportif. Et maintenant que tout est arrangé, maintenant que Papa admire chez Jérém le grand sportif qui a contribué à offrir un Brennus à son équipe de cœur tout autant qu’il respecte le garçon qui rend son fils heureux, la complicité entre les deux hommes est saisissante et me fait chaud au cœur.
Auprès de Maman aussi, Jérém a une cote d’enfer. Maman ne s’intéresse pas au rugby, mais elle s’intéresse à tout ce qui fait mon bonheur. Jérém fait mon bonheur, par conséquent, elle adore son beau-fils. Quand je pense que la première fois qu’elle avait croisé Jérém, nous venions de nous disputer et j’avais le nez en sang. Mon coming out ne s’est pas fait dans la sérénité. Mais ça a bien changé depuis.
Le lendemain, nous changeons de département. Nous passons de la ville à la campagne, des plaines de Garonne aux côteaux du Gers, des étendues de maïs à celles de tournesol. Quelques dizaines de bornes encore, en partant vers le nord du département, la vigne commence à se montrer. Au fur et à mesure que nous nous approchons de notre destination, je ressens une certaine fébrilité. Je sais que je n’ai plus rien à craindre, mais quand-même. Ce n’est pas tous les jours qu’on saute ce pas avec le gars qu’on aime.
Le domaine de M. Tommasi est situé dans la région de Cologne, sur une pente douce orientée plein sud. Au sommet de la colline, la belle maison de maître et ses dépendances trônent au milieu des rangs de vigne aux grappes abondantes.
Après un accueil chaleureux, M. Tommasi m’invite aussitôt à faire le tour du domaine. Nous nous baladons dans les vignes en cette belle fin de matinée. C’est la première fois que je visite un domaine viticole, et je suis immédiatement sous le charme. Ce qui me frappe et m’impressionne c’est que tout est rangé au cordeau et rien ne dépasse. Les rangs de vigne, les abords des parcelles, les corps de fermes, les dépendances. Le vignoble, ça transpire la passion de celui qui le cultive.
Je ne m’y trompe pas. M. Tommasi me parle longuement de cépages, d’hectolitres, de palissage, de taille « noble » faite à la main, et de celle moins noble faite à la machine. Je n’y comprends pas grand-chose, mais son amour et sa passion pour la vigne sont débordants, sa façon de parler de son métier est captivante.
Après la vigne, la visite se poursuit naturellement dans le chai. Au milieu des immenses cuves, dans cette grande salle qui sent le moût, M. Tommasi me parle de fermentation des sucres, d’assemblages, de dates de vendange, d’arômes plus ou moins fruités.
M. Tommasi est passionné et passionnant. On sent que son vignoble fait sa fierté. Mais il s’agit d’une fierté légitime, sans forfanterie, la fierté que pourrait avoir un père pour la réussite de son enfant.
Après la plantation et le chai, la trilogie autour de la vigne s’achève avec la dégustation. D’abord le rouge. Le rouge, ce n’est pas pour moi.
Mais alors, quand M. Tommasi me sert une bonne rasade d’un vin blanc issu d’un cépage nommé Colombard, là, je suis sous le charme. Je fais des infidélités au vin blanc de ma vie, le Jurançon, et je les fais sans complexes, je les réitère même. Putain, qu’est-ce que c’est bon !
— Vous avez un très beau vignoble, ce que vous faites est remarquable, vous devez être content de cette belle réussite, je lance à M. Tommasi en quittant le chai.
— Je le suis. J’aurais aimé qu’au moins l’un de mes enfants s’installe sur le domaine.
— Papa ! fait Maxime.
— Je ne reproche rien à personne, si ce n’est qu’à moi. Je me rends compte que j’ai été trop dur avec eux par le passé, et j’ai fini par les dégoûter. Je les ai fait fuir. Mais je suis fier de leurs réussites, il continue. Jérémie est un joueur exceptionnel et Maxime va devenir un médecin tout aussi exceptionnel. Ils trouveront leur bonheur ailleurs que dans ce domaine.
M. Tommasi, que j’ai toujours entendu décrit comme un homme distant, dur, s’avère être quelqu’un de bienveillant et très ouvert d’esprit. J’imagine qu’il a dû mettre pas mal d’eau dans son vin, un exercice des plus périlleux pour un vigneron, soit dit en passant, pour en arriver là, pour arriver à se mettre à la place de ses enfants, et pour accepter que le bonheur qu’il avait imaginé pour eux et celui qu’eux-mêmes ont imaginé pour leurs vies ne coïncident pas.
— L’important, c’est qu’ils soient heureux, il conclut.
Et dans le regard qu’il me lance en prononçant ces quelques mots, je comprends qu’il parle de tous les bonheurs de ses enfants. Jérém, qui a dû recevoir les mots de son père de la même façon que je les ai reçus, a l’air tout ému.
— Qu’est-ce que tu as changé, Papa ! lui lance Maxime.
— C’était pas trop tôt ! se défend M. Tommasi.
— T’aurais dû changer de copine plus tôt, lui lance le petit con.
Ça m’a toujours impressionné, en particulier les deux fois que j’ai vu père et fils cadet au chevet de Jérém après un accident et une blessure, cette façon de Maxime de balancer des trucs à son père sans y aller par quatre chemins, sans colère, mais tout en justesse et fermeté. Et aussi la réaction de son père, qui ne l’a jamais envoyé paître, même quand, du haut de ses vingt ans, il le recadrait parfois âprement. M. Tommasi doit tenir son fils cadet en grande estime pour accepter de se laisser ainsi parler d’égal à égal. Et aujourd’hui encore, cela se confirme.
— Mais tais-toi ! Allez, on va manger ! réagit M. Tommasi, une façon de botter en touche sans pour autant nier la justesse du propos de son fils cadet.
— Il a raison, me glisse M. Tommasi, tout bas.
Oui, j’ai toujours eu l’impression que Maxime savait tenir tête à son père, alors que Jérém souffrait de se sentir rejeté. Que Maxime osait parler à son père et que Jérém ne l’osait pas. Mais cela aussi, semble avoir changé.
— Ou il aurait fallu que je me blesse plus tôt ! plaisante Jérém.
— J’aimerais dire que tu as tort, mais ce serait mentir. Il a fallu en arriver là pour que je comprenne que je ne pouvais pas continuer à te faire la guerre parce tu étais différent de celui que j’avais imaginé. Pour que je comprenne que le rôle d’un père c’est d’être là pour son enfant, pour ses enfants. J’ai assez perdu de temps avec mes garçons, je ne veux plus perdre une seule seconde.
— Tu t’en sors pas mal, Papa, fait Maxime.
— Pas mal, pas mal, fait Jérém. Pas avec les mots, mais avec ce regard qu’il échange avec son père, un regard empli d’émotion.
Sophie, celle qui a été annoncée par Maxime comme la nouvelle copine de son père, est une femme avenante et accueillante. Si je me fie à l’allusion du petit frère de Jérém, elle aurait sur M. Tommasi une meilleure influence que celle qui l’a précédée, cette dernière étant sans doute celle qui avait pris la place de sa mère après son départ. Et alors que l’ancienne copine aurait provoqué un éloignement entre M. Tommasi et ses deux garçons, la présence de Sophie jouerait positivement sur les relations familiales.
Delphine, la nouvelle copine de Maxime, est du genre réservé. Elle a même l’air un peu mal à l’aise au milieu de cette réunion familiale. Mais l’adorable étudiant en médecine est là pour l’aider à s’intégrer, il est aux petits soins, il est vraiment mignon.
Le repas à six convives et trois couples est une réussite. Le fait d’être accepté dans la famille de Jérém m’émeut profondément. Je n’aurais jamais imaginé il y a trois ans qu’on en arriverait là, un jour, Jérém et moi.
Et ce qui m’émeut aussi, c’est de découvrir les lieux de son enfance. D’autres lieux, après Campan. Le domaine, le chai, la maison. Mais aussi, au gré d’un petit tour en voiture dans l’après-midi, le village, son école primaire, le premier terrain de rugby où il a joué. Et, le soir, sa chambre d’enfant qui est restée dans son jus depuis près de dix ans, depuis son départ à Toulouse.
Je découvre d’anciens ballons de rugby usés, des maillots de l’enfant qu’il a été, des albums de photos de joueurs de rugby.
— Avec Thibault on échangeait les photos en double. Il avait toujours plus de chance que moi, je n’ai jamais réussi à compléter un seul album, alors qu’il y arrivait régulièrement. Tiens, le voilà, lui ! il s’exclame.
— Lui qui ?
— Ce demi de mêlée, il a fait la plus grande partie de sa carrière à Castres, il précise, en me montrant un super beau brun dans l’une des photos en haut de la page.
— C’était un bon joueur ?
— Aussi. Mais il était surtout super bogoss ! Quand j’avais 13 ou 14 ans, je me suis branlé quelques fois en matant cette photo.
— Mais tu savais déjà que tu étais gay ?
— Au fond de moi, je le sais depuis toujours. Et pourtant, quand je me branlais en matant ce type, je me disais tout simplement que je voulais lui ressembler. Qu’est-ce qu’on peut se raconter comme connerie pour ne pas affronter la réalité ! il considère.
Dans sa chambre d’enfant, je découvre également ses cassettes, ses CD. Il y a un peu de rock français, et beaucoup de rock international, Guns And Roses, Aerosmith, Metallica.
— Je ne savais pas que tu aimais le rock !
— Tu ne sais pas tout de moi !
— A croire que non, j’admets.
— Je ne connais pas trop le rock, je glisse en me saisissant d’un CD.
— Evidemment, tu n’écoutes que de la musique de pédé, Madonna et compagnie !
— Madonna et compagnie t’emmerdent !
— Ferme-là et écoute ça ! m’intime le bobrun en glissant un CD dans le lecteur.
https://www.youtube.com/watch?v=8SbUC-UaAxE#t=0m18s
— Ah, ça je connais, j’ai tout juste le temps de répliquer, avant que Jérém ne se glisse sur moi, et m’embrasse fougueusement.
Dans sa chambre d’enfant, sur les notes de « November Rain », ce soir Jérém et moi faisons l’amour. J’adore faire l’amour avec Jérém. Et ce que j’aime tout autant c’est que depuis qu’il ne fume plus, les instants après le plaisir se passent le plus souvent dans ses bras.
Nous passons le reste de l’été à sillonner la France en voiture. Cordes sur Ciel, Sarlat, Rocamadour, Futuroscope. Pour le 14 juillet nous allons voir Ulysse à Dunkerque.
Nous sommes ensemble, nous sommes un vrai petit couple. Qui ne peut pas se tenir la main ou se galocher en public, certes, mais qui s’aime vraiment, un couple qui baise probablement bien plus que la plupart des couples hétéro parfois « trop affichés » que nous croisons. Nous partageons notre bonheur avec les quelques personnes qui méritent notre confiance, dont font partie les amis les plus importants, ainsi que nos familles. Et c’est l’essentiel.
Le dernier week-end des vacances de Jérém, celui du 24 et 25 juillet, nous revenons dans le Gers, dans le domaine de Papa Tommasi. Jérém en a envie, il en a besoin. Il a besoin de passer un peu plus de temps avec ce père qu’il vient de retrouver après tant d’années d’incompréhensions. Il a besoin de retrouver ce lieu où il a été heureux enfant, avant de s’en sentir rejeté après le départ de sa mère. Il a besoin de revenir au pays, après tant d’années d’exil.
C’est la deuxième fois que je reviens dans cet endroit en quelques semaines, mais je ressens toujours la même émotion et la même tendresse au contact des lieux de l’enfance de mon bobrun. J’avais déjà ressenti cette sensation à Campan, au contact des gens et des lieux qui ont connu mon bobrun à une saison de sa vie où j’ignorais tout de lui, y compris son existence. Mais dans sa maison d’enfant, dans sa chambre d’enfant, dans sa famille, là, je suis admis à un degré d’intimité encore supérieur. Et ça m’émeut profondément.
Dans sa chambre d’enfant, Jérém sort une boîte à chaussures. A l’intérieur, des photos de lui, à trois ans, avec un bonnet rouge et un manteau tout aussi rouge, le regard noir, contrarié, le même que je lui ai connu plus tard, lorsque je l’ai vu en pétard. Les traits, sont ceux d’un enfant. Mais le regard très brun est déjà là.
Au fil des photos, Jérém me raconte son enfance, sa relation plutôt fusionnelle avec sa mère, avant. Et puis, le drame que ça a été pour lui le jour où, vers ses neuf ans, cette dernière n’a plus voulu lui faire le bisou avant d’aller au lit, « parce que tu dois devenir un grand garçon ». Il me dit avoir toujours été persuadé que c’était son père qui était à l’origine de ce déchirement, qui avait imposé à sa mère de ne plus le traiter en enfant et de commencer à le traiter comme un grand garçon.
Il me reparle du traumatisme qu’a été la séparation de ses parents, et celui encore plus grand qu’a été pour lui l’abandon de sa mère. Il me remercie encore de l’avoir convaincu de l’écouter à Capbreton, de lui avoir obligé à affronter ce traumatisme, et de commencer à le surmonter.
— Ça ne me rendra jamais une enfance heureuse, mais ça m’a au moins permis d’évacuer la colère qui me suivait comme un boulet depuis plus de dix ans.
Oh que ça fait du bien d’entendre ces mots !
La boîte à chaussures nous livre une photo sur laquelle figure Maxime, sur un petit vélo bleu ciel, l’air pas assuré du tout. Il doit avoir 3 ou 4 ans, et Jérém se tient à côté de lui, une main sur le guidon, l’autre sur son épaule. A l’évidence, Jérém est en train d’apprendre à son petit frère à faire du vélo, ou du moins en train de l’empêcher de tomber. Sur une autre photo, à la neige, toute la famille y figure. Entre les parents, Jérém tient Maxime dans ses bras, c’est mignon comme tout. Ça m’émeut jusqu’aux larmes.
— Tu as dû bien t’occuper de ton petit frère quand vous étiez gamins.
— Je ne sais pas. Ça a peut-être été un peu vrai jusqu’au divorce. Depuis, il faut bien l’admettre, c’est plutôt lui qui s’est occupé de moi. Quand je lui en ai laissé l’occasion, bien évidemment.
Au fil de ces photos, mais aussi des souvenirs qui remontent à table au détour d’une conversation, des mots qui surgissent parfois au détour d’une phrase, je parcours toutes les jeunes années de mon Jérém. Et lorsque je regarde ces lieux, il me semble de le voir gambader en culottes courtes.
Quand je suis dans le jardin, je me dis que derrière ce grand chêne, il a dû se cacher, enfant, en jouant avec Maxime. Je me dis que plus tard, Thibault a dû se joindre à eux pour ces jeux d’insouciance.
Une insouciance qui a été balayée nette par le départ de sa mère. Du jour au lendemain, sans y être préparé, Jérém a réalisé et a dû accepter qu’elle ne serait plus jamais là. Mais ça n’a rien changé au manque, à sa tristesse d’enfant.
Je me dis qu’à cette époque, il s’est peut-être réfugié dans la grange pour être seul. C’est peut-être là qu’il a grillé ses premières clopes. Peut-être que Maxime s’y est réfugié aussi, et que Jérém l’y a rejoint pour le réconforter. Ou bien, c’est Maxime qui l’y a rejoint pour le réconforter.
Je me dis qu’adolescent, il a dû monter le grand escalier de la maison en boudant. Qu’il a dû s’enfermer dans cette chambre et faire exploser sa colère, ou pleurer à l’abri des regards.
Je me dis que dans cette grande maison, il a été heureux, il a été triste, il s’est senti protégé, puis rejeté, il a eu envie de partir.
Je me prends à imaginer ses états d’esprits pendant ses toutes jeunes années. Je voudrais l’avoir connu à cette époque, je voudrais avoir partagé tous ces moments avec lui.
L’image de Jérém enfant que je reconstruis au fil des récits, des objets, des souvenirs, des photos, se superpose à celle du Jérém de bientôt 23 ans, jeune adulte, mon compagnon, qui s’assume, qui assume notre relation, qui affronte et panse peu à peu ses anciennes blessures. Et cette superposition, ce mélange, m’émeut au plus haut point.
Dans ce vignoble, je regarde, pendant des heures, le ciel bleu, les nuages qui passent, j’écoute le vent qui souffle. Je vois de la vigne, je vois cette maison, je vois des fleurs, je te vois toi, Jérémie Tommasi, et je t'aime comme un fou.
Dans ce vignoble, au cœur de tous les Jérémie, j’ai envie de pleurer de bonheur.
Après la parenthèse enchantée de nos retrouvailles à Biarritz, nous reprenons chacun notre vie. Moi, celle d’étudiant, et Jérém celle de rugbyman professionnel. Deux trajectoires qui nous amènent à être loin l’un de l’autre le plus clair du temps. Jour après jour, la distance me pèse.
— Tu ne devrais pas pester contre la distance, car elle entretient la passion, me rappelle le sage Albert.
Il a raison, la distance crée le manque, l’absence fait le bonheur des retrouvailles, l’abstinence, le désir. Se revoir est à chaque fois un aboutissement, la présence de l’autre un cadeau inestimable.
Certes, entre deux retrouvailles, le temps est long. A vingt ans, on est impatient, surtout avec l’amour.
Mais j’ai appris à prendre sur moi. Ou, plutôt, à vivre avec. J'ai cessé de demander à Jérém ce qu'il ne peut pas me donner, une vie de couple assumée et affichée. Je respecte son besoin de discrétion au sujet de sa vie privée. Jérém s’assume en tant qu’homo, et il assume ses sentiments vis-à-vis de moi, il me les a montrés de la plus belle des façons. Et c’est déjà énorme. J’accepte qu’on ne puisse se voir qu’à certaines occasions et sous certaines conditions, quand il peut, comme il peut. J’apprécie à sa juste valeur cette invitation à Biarritz, ce rendez-vous délicieusement clandestin, non dénué de certains risques pour lui.
J’ai même accepté qu’au vu de la distance qui nous sépare, de la rareté de nos rencontres, et de la fougue de nos vingt ans, la fidélité des corps ne soit pas une obligation. J’ai accepté son besoin d'avoir des aventures. J’ai accepté parce qu’il est sincère avec moi, parce qu’il se protège, parce que j’ai appris à lui faire confiance. Parce que je ne veux pas l’obliger à s’abstenir, lui qui est exposé à tant de sollicitations. Et, surtout, je ne veux pas l’obliger à me mentir.
Entre nous, les choses sont claires, posées. Nous avons embrassé ce mode de vie parce que nous sommes désormais certains que les aventures d’un soir n’entachent en rien nos sentiments.
Oui, cette année il est annoncé que Madonna va réinventer sa musique dans un spectacle grandiose. Jérém et moi réinventons aussi notre relation. Et, là aussi, c’est un spectacle grandiose.
Même si nous nous voyons peu, en moyenne une à deux fois par mois, le premier semestre de l’année 2004 s’écoule dans un bonheur ininterrompu. Parfois, lorsqu’il n’a pas match le week-end, Jérém vient me rejoindre à Bordeaux. Aussi, je vais parfois le rejoindre à Paris ou dans la ville où il dispute son match.
Moi qui ne ressens qu’un intérêt très limité pour le sport, et encore moins pour le rugby, un sport que je trouve brutal, dangereux, pour les risques de blessures que chaque action représente, je suis heureux d’assister à ses exploits, de le voir si épanoui sur le terrain. J’adore entendre les stades l’ovationner, vibrer à chacune de ses actions. Et lorsque je lis dans la presse, ou j’entends à la télé, que le jeune espoir est en train de devenir un joueur confirmé, et l’un des meilleurs ailiers du Top16, je suis très fier de lui. Certains commencent même à parler d’Equipe de France. Je réalise que le garçon que j’aime est en train de devenir une véritable star du ballon ovale. Je suis à la fois heureux pour lui, et un peu inquiet. Je ne veux pas qu’il se brûle les ailes, je ne veux pas qu’il se blesse à nouveau.
Tout cet engouement de la presse, sportive et gossip, autour de mon bobrun me fait aussi un peu peur. Une partie de moi craint qu’il soit aspiré par ce monde, et qu’il s’éloigne de moi. Jérém est de plus en plus souvent invité à des soirées, à des réceptions, les sponsors se bousculent pour s’associer à sa notoriété. Les cadeaux s’empilent, l’argent rentre à flots. Pourvu que tout cela ne lui monte pas à la tête, pourvu qu’il ne fasse pas de bêtises, qu’il ne se laisse pas entraîner dans de mauvaises fréquentations. Pourvu qu’il ne touche jamais à la drogue.
Quand je suis présent au match, je ne le quitte pas un seul instant des yeux. C’est idiot, j’en conviens, mais j’ai l’impression que tant que mes yeux ne le lâchent pas, il ne peut rien lui arriver, il ne peut pas se blesser, il ne peut pas faire de conneries. Ma présence n’empêche rien, mais ça me rassure.
Il y a d’autres raisons qui me motivent pour aller le rejoindre dans la ville où il dispute son match du week-end. J’aime tout particulièrement les retrouvailles sexuelles après la compétition.
Quand le match s’est bien passé, quand son équipe a gagné, Jérém est euphorique. Son ego de mâle, galvanisé par la victoire et flottant sur les vapeurs de l’alcool ayant coulé lors de la troisième mi-temps, déborde d’envie de transformer l’essai de son triomphe sportif sur un autre terrain, dans un pieu, dans ma bouche, dans mon cul.
Quand le match ne s’est pas bien passé, quand l’équipe a perdu, Jérém est déçu, le moral dans les chaussettes. Son ego de mâle, malmené par la défaite et flottant là aussi sur les vapeurs de l’alcool ayant coulé lors de la troisième mi-temps, a besoin d’un dérivatif, a besoin de défouler sa frustration sur un autre terrain, au pieu, dans ma bouche, dans mon cul.
Dans tous les cas, la victoire comme la défaite rendent sa virilité bouillonnante.
Dans tous les cas, je suis là pour ça, pour permettre à sa virilité et à ses besoins de jeune mâle fringuant de s’exprimer.
Dans tous les cas, je prends cher, je prends dans la bouche, je prends entre mes fesses, plusieurs fois pendant la nuit après le match.
Jérém me possède d’une façon dont lui seul a le secret.
— J’adore ton cul… j’adore baiser ton cul ! il me glisse parfois, lorsqu’il approche de l’orgasme.
— J’adore ta queue !
— Tu la sens bien là ?
— Oh oui, je la sens bien, très bien…
— Elle est bonne ?
— Oh putain, que oui, elle est très bonne !
— Je te baise bien, hein ?
— Tu fais ça tellement bien !
— Je vais jouir…
— Fais-toi plaisir !
Satisfaire mon homme est le bonheur ultime. Le voir, l’entendre, le sentir prendre son pied, avoir son goût dans ma bouche, savoir qu’il a joui entre mes fesses, sentir son odeur sur moi, en moi, voilà autant d’occasions de bonheur sensuel.
J’adore aussi le regarder dormir après le plaisir, j’aime le savoir satisfait de son match, de son jeu, de sa baise et de sa queue.
L’écho du bonheur sensuel de ces week-ends, de ces quatrièmes mi-temps, retentit en moi pendant les jours qui suivent. Lorsque plusieurs centaines de bornes me séparent à nouveau de Jérém, mes lèvres, ma langue, mon palais et mon cul gardent le souvenir de la présence, du gabarit, du passage de son manche raide, de sa puissance, de son insolence.
Oui, le sexe avec Jérém est à chaque fois un feu d’artifice. Et il l’est d’autant plus depuis que je réalise qu’avant de faire plaisir à un très beau garçon, j’aime faire plaisir au garçon que j’aime.
Samedi 24 avril 2004.
Ce week-end-là, Jérém n’a pas match. Et il me propose de passer le week-end à l’Île de Ré. Nous nous rejoignons à la Rochelle, je gare ma voiture et je prends place à côté de mon beau brun. Je suis heureux de le revoir, et je le suis d’autant plus que c’est lui qui a eu l’initiative de cette escapade.
La première chose qui me saisit en arrivant à l’Île de Ré, c’est cet ouvrage de malade qu’est le pont qui relie l’île au continent. Pendant la traversée, je suis happé par le dégradé vert gris de l’océan, par une intense sensation de dépaysement, d’ailleurs. Le ciel gris, maussade se confond avec l’eau.
Il n’y a pas encore grand monde à cette saison sur l’Île, ce n’est pas encore l’heure de la grande invasion estivale.
Nous nous baladons longuement sur la plage, nous marchons lentement sur le sable fin tassé par l’océan, nos pas rythmés par le bruit du ressac. Le reflet inattendu d’un soleil provisoire arrive à se frayer un chemin parmi les nuages et à poser sur l’océan une robe d’une couleur qui oscille entre le marron et l’orange.
Je suis fasciné par le vol des mouettes, par le mouvement lent de quelques petits bateaux blancs posés sur l’eau, autour de ce pont comme suspendu entre ciel et mer.
Pendant le week-end que nous passons sur l’Île de Ré, il ne cesse jamais de pleuvoir pendant plus d’une demi-heure. C’est une pluie fine, insistante, morose, une pluie qui minerait le moral, si la beauté de cette île, certes mélancolique mais époustouflante, n’était pas là pour en mettre plein la vue. Et puis, quand on est amoureux comme je le suis à cet instant, on a le soleil dans le cœur, et ses rayons jaillissent à tout instant projetant sa lumière et sa chaleur partout autour. Il fait toujours beau, tout est beau à l’Île de Ré quand l’homme que vous aimez se balade à côté de vous, quand vous voyez le désir et l’amour dans ses yeux.
Demain ce sera lundi et chacun partira de son côté. Je sais déjà qu’il va me manquer. Mais j’ai appris à profiter et à jouir de ces moments d’éternité sans les gâcher avec les questions et les peurs que demain peut susciter. Jérém aura été dans ma vie une incroyable leçon de lâcher prise.
Nous montons au phare des baleines. Après une longue ascension, nous pouvons apprécier pleinement la puissance de l’océan déchaîné. A Biarritz, Cap Breton, Bordeaux, l’océan est toujours impressionnant. Mais le côté sauvage de l’Île de Ré, ce côté hors du temps et de l’espace, cette sensation de bout du monde, ajoutent de la magie à cette puissance.
Nous redescendons sur la plage. Le vent souffle très fort, les vagues sont de plus en plus violentes Nous nous faisons surprendre comme des gamins par une vague plus forte, nous nous faisons éclabousser, nous nous retrouvons avec les chaussures et les jeans mouillés. Ça nous amuse, et ça nous fait rire aux éclats, je ris comme quand j’étais enfant, je crois que sur cette plage nous redevenons enfants.
Jérém se pose, s’allonge carrément sur le sable. Nous sommes seuls sur la plage, je me glisse sur lui, je l’embrasse, nous nous embrassons longuement.
A la Flotte-en-Ré, nous faisons un tour sur le petit port, avec ses quelques bateaux à quai, ses mouettes posées sur la rambarde en pierre, alignées face à la mer dans l’attente d’un vent favorable pour prendre l’envol. Avec sa bande son si particulière dans laquelle se mélangent les clapotis de l’eau, le souffle du vent, le cliquetis métallique produit par une corde de voilure que le vent fait taper contre un mat, celui plus sourd d’une passerelle qui se frotte à un ponton. C’est la voix de l’Île de Ré. Une île qui sommeille encore après le départ des touristes à la fin de l’été et qui ne se réveillera vraiment qu’à l’arrivée de la belle saison.
Au fond du cheminement du port, je sens sa main se poser sur mon épaule. Le petit phare comporte un petit creux dans le mur qui nous met à l’abri de tout regard. Sa main saisit mon blouson, Jérém me pousse contre le mur en pierre. Il se tient là devant moi, beau comme un Dieu, ses mains posées fermement sur mes épaules, dans ses yeux ce regard de garçon amoureux qui me rend fou, avec cette tendresse qui vaut mieux que mille paroles. Et puis il approche son visage du mien, ses lèvres des miennes, et il m’embrasse. Nous sommes là, en train de nous bécoter comme deux ados pendant que la mer se déchaîne autour de nous, pendant que les mouettes s’envolent avec leurs cris perçants.
Entre deux retrouvailles avec Jérém, je continue mes études. Après presque une année loin de la fac, je retrouve la vie étudiante, et cela me plaît bien. Je retrouve Monica, Cécile, Fabien, Raphaël. Je me laisse parfois entraîner par ce dernier à des fêtes étudiantes où je bois un peu, où je m’amuse enfin.
Aussi, il m’arrive de croiser des garçons dans la rue, à la fac, dans des soirées, d’accrocher leur regard, d’y voir, ou d’imaginer, des désirs, des promesses.
Il semblerait que lorsque nous sommes bien dans notre peau cela rayonne à l’extérieur de nous et attire les regards et les désirs. Je dois avoir l’air vraiment bien dans ma peau, car j’ai parfois l’impression de me faire mater, chose qui ne m’arrivait que très rarement auparavant. Ou dont je n’avais pas conscience auparavant. Oui, il est possible que j’aie appris à mieux regarder.
Il m’arrive de sortir dans des boîtes pour garçons et de m’amuser avec des regards « moins risqués ». Je laisse parfois ces regards devenir des rencontres, du sexe, mais jamais de l’attachement. Je prends du plaisir, tout en pensant à chaque fois à ce que je n’ai pas avec un inconnu, ce que seul Jérém sait me donner. A savoir, le bonheur des sens couplé à celui de la tendresse, à celui de l’amour.
Jérém est l’unique, il est l’Elu de mon cœur. Je réalise enfin la nature et la portée de ce changement qui s’opère en moi depuis l’accident de Jérém, j’arrive à identifier cette sensation qui m’avait saisi à Biarritz.
Jusqu’à il n’y a encore pas longtemps, à chaque fois que je croisais un beau garçon, je me sentais ravagé par le désir, j’avais à minima envie de l’avoir en bouche, je ressentais une irrépressible envie de le faire jouir d’urgence.
Mais cette année a bousculé tant de choses. Désormais, lorsque je croise un beau garçon, si mon regard est toujours irrépressiblement attiré, voilà que mon désir, pourtant toujours présent, semble plus apaisé. Avant, croiser un beau garçon inaccessible provoquait en moi comme une douloureuse blessure. Désormais, le bonheur que m’apporte la présence d’un beau garçon est plus un fait de tendresse et de bienveillance. C’est comme si dans mon esprit il n’y avait plus la place pour désirer de façon ravageuse. Je ne m’enflamme plus comme avant. Désormais, l’amour de Jérém comble mon cœur. A moins que ce ne soir l’amour que je porte à Jérém qui fait cela.
Si j’ai des aventures, c’est parce qu’à vingt ans, le corps demande à exulter. Mais à chaque fois, je me dis qu’en réalité cela ne m’apporte pas ce dont j’ai besoin. Car, ce dont j’ai besoin, un seul garçon sait me l’apporter.
Ainsi, après l’excitation des sens, après le plaisir, la frustration du cœur revient à chaque fois, et elle est dure à affronter. Alors, les aventures perdent peu à peu d’intérêt à mes yeux. Au fond, je commence à comprendre que je peux plaire. Et cela me suffit pour me sentir bien. Désormais, concrétiser est accessoire.
Un jour, j’ai envie d’appeler Ruben pour savoir comment il va. Nous nous revoyons dans un bar, autour d’un café qui se prolonge pendant tout un après-midi. Le petit Poitevin semble aller plutôt bien, il a l’air serein. Il est toujours célibataire, mais ça ne lui pèse pas. Il n’a pas du tout l’air de m’en vouloir pour notre rupture. Au contraire, il me questionne sur ma relation avec Jérém. Je lui en parle en essayant de ne pas trop étaler mon bonheur, mais il comprend que je suis amoureux et il semble sincèrement ravi pour moi. Ravi et bienveillant comme le serait un ami. Je crois que nous sommes devenus amis. De notre ancienne relation demeure une certaine complicité, pourtant dénuée de toute ambiguïté. D’ailleurs, il me propose de refaire du vélo, si je le souhaite. Je ne refuse pas, mais je ne m’engage pas non plus. Je préfère en parler à Jérém avant, et sonder sa réaction.
— Tu fais ce que tu veux, Nico, tant que tu ne fais pas de bêtises… voilà sa sentence.
Là où, par bêtises, je comprends « tant que tu ne tombes pas amoureux de lui ».
Je recommence alors à faire du vélo. Les sorties nature avec Ruben et son assos sont amusantes et enrichissantes. Je me sens bien avec ces gens passionnés et bienveillants. Comme toujours, ils me rappellent la bande de cavaliers de Campan. J’ai tellement envie de retourner à Campan avec Jérém.
Un jour, sur un panneau d’affichage de la fac je tombe sur une annonce à propos du recrutement d’un rédacteur pour le journal étudiant de la fac. Cela m’a intéressé. J’ai appelé le contact indiqué sur l’affiche, et la nana qui m’a répondu a été très accueillante. Dès le lendemain, je rencontre Sophie, ainsi que ses quelques collègues au journal. Deux jours après, je commence à écrire. Je parle d’événements en lien avec la vie étudiante, des assos présentes sur le campus. Ce ne sont que des articles de service, mais cela occupe mon temps et mon esprit. L’écriture devient un petit refuge où je me sens bien.
Peu à peu, le goût de l'écriture me gagne. Je recommence à écrire sur Jérém, sur notre histoire. J’avais commencé il y a un an, puis l’accident de Jérém avait complètement bousculé les priorités de ma vie. Mais les souvenirs des trois dernières années me sont si précieux que j’ai envie de les fixer noir sur blanc.
La saison de rugby touche à sa fin, le Stade Français remporte haut la main les matches des deux dernières journées de qualification contre Clermont Ferrand et Colomiers.
Jérém est revenu au meilleur de sa forme et match après match ses exploits se succèdent avec une régularité exceptionnelle. En phase finale du Top 16, les deux Stades se retrouvent dans la même poule, la B. Pour la première fois, les anciens coéquipiers, les deux meilleurs potes, Jérém et Thib vont pouvoir jouer l’un contre l’autre dans un grand match de championnat.
Quand je pense qu’il y a un an Jérém était au plus mal, je mesure le chemin parcouru depuis et ça me donne le vertige.
Début mai, Jérém me propose d’aller voir le match à Toulouse. Quand je pense qu’il y a trois ans Jérém n’admettait même pas qu’il prenait son pied à coucher avec moi, je mesure le chemin parcouru depuis, et ça me donne aussi le vertige.
Je repense à la première fois où j’ai vu Jérém, le premier jour du lycée, à ce premier regard qui m’a foudroyé. Ma vie a commencé ce jour-là, à cet instant-là. Je plains ceux qui n'ont jamais ressenti cela, l'intensité d'un regard, le déchirement d'un désir qui tente de faire son chemin sur un terreau de timidité et de crainte, tel une graine qui tente de germer sur un terrain hostile.
Ce désir, tout comme cette graine, est tenace. Dans les deux cas, cette ténacité est un instinct de vie, une aspiration au bonheur.
Samedi 15 mai 2004.
Le match se joue au Stade Ernest Wallon, le haut lieu du rugby toulousain. C’est un retour aux sources pour mon beau brun, un retour dans sa ville natale, comme un retour d’exil, dans le stade de l’équipe dont il rêvait de faire partie mais qui n’a pas voulu de lui.
Evidemment, j’ai fait le déplacement, je ne pourrais rater pour rien au monde un match où Jérém et Thibault s’affrontent. Je sais que Jérém tient à ma présence dans les gradins. D’ailleurs, il a réussi à m’obtenir un placement au bord du terrain juste à côté de l’entrée des équipes.
Ce samedi sur la pelouse du stade des Sept Deniers, c’est le choc des Titans. Deux équipes, probablement les plus fortes du Top16 s’affrontent, à un pas des demi-finales. Des joueurs, et parmi eux des fleurons du rugby français, vont se mesurer sans rien lâcher. Le choc est tel que le stade vibre, tremble, tangue à chaque action, à chaque passe. L’effervescence de l’assistance est palpable, les ovations des supporters font trembler les gradins.
C’est beau de voir les deux potes sur le terrain, eux qui ont longtemps joué dans la même équipe, les voir jouer l’un contre l’autre. J’ai l’impression qu’ils jouent merveilleusement bien.
Je sais que Jérém se met la pression comme jamais, je sais qu’il a envie de gagner comme jamais, qu’il a envie de prouver à ceux qu’ils n’ont pas voulu de lui, et dans leur propre fief qui plus est, qu’ils ont fait une belle connerie. Jérém a besoin d’une revanche.
Pendant deux mi-temps intenses et riches en rebondissements les points sont marqués, arrachés, emportés dans l’effort et la transpiration. Et à la fin du temps réglementaire, le tableau affiche un score de 18-24 en faveur des Parisiens.
Ça y est, Jérém tient sa revanche. Une victoire que lui et ses coéquipiers sont allés chercher au prix d’un match sans répit, une victoire que les Toulousains n’ont laissé filer qu’après de vaillants efforts.
A la fin du match, l’image de Jérém et de Thibault qui se prennent longuement dans les bras l’un de l’autre est très émouvante. Thibault sourit, il a l’air ému et heureux pour la victoire de son pote. Une victoire aussi importante que si c’était la sienne, ou peut-être un peu plus encore.
Un journaliste attaque Jérém et Thibault à la sortie du terrain. Les deux belles gueules viriles des deux potes s’affichent sur les écrans du stade.
— Alors, Tommasi et Pujol, ça fait quoi de jouer l’un contre l’autre, alors que vous avez grandi ensemble, que vous avez été formés ensemble au rugby ?
— Un pur bonheur ! fait Thibault sans hésiter.
— Même si le match a été remporté par l’équipe adverse ?
— Le match a été beau, dur et prenant, on s’est battu jusqu’à la dernière minute… c’est un plaisir d’affronter des adversaires de cette envergure, commente le jeune papa.
— On a gagné, mais ils n’ont pas perdu, fait Jérém.
— Maintenant, l’objectif est de viser le haut du classement de votre poule…
— Bien sûr ! font les deux potes en chœur.
— Et remporter les demi-finales contre les équipes les mieux classées de la poule A…
— Et nous retrouver en finale ! fait Jérém, euphorique.
— Et on va vous mettre une bonne raclée ! plaisante Thibault.
— Rêve toujours ! fait mon beau brun.
— En tout cas, on vous souhaite à tous les deux le meilleur pour la suite…
Les deux potes se serrent la main, puis se prennent dans les bras l’un de l’autre. C’est beau, et bien plus que ça. Je trouve grisant de savoir que ces deux garçons ont un secret que toute cette foule ignore et dont je suis l’un des rares détenteurs. Je veux bien évidemment parler du fait qu’en dépit des apparences, des histoires d’amourettes sur les journaux pour l’un, d’un enfant pour l’autre, en dépit d’allures on ne peut plus viriles, l’un comme l’autre aiment les garçons, qu’ils ont déjà couché avec des garçons, dont moi, et même qu’ils ont déjà couché ensemble.
Aujourd’hui, ce samedi 15 mai 2004, après 80 minutes d’effort sportif et de jeu tout aussi spectaculaire que respectueux, ces deux garçons sont élevés au statut des « héros » par leurs co-équipiers, par leurs supporters, par leurs managements respectifs, ils sont même tenus en grand respect par les joueurs et les supporters de l’équipe adverse. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il en serait de même si leur secret s’ébruitait.
Et alors que leur accolade prend fin, je suis happé par l’image de leurs maillots tendus sur leurs pecs se soulevant au rythme d’une respiration encore accélérée par l’effort sportif, de leurs brushings un peu malmenés par les exploits, de leurs fronts, de leurs cous, de la naissance de leurs pecs perlant de transpiration, par la sensualité qui se dégage de l’un comme de l’autre à cet instant précis.
Cette respiration après l’effort, ces brushing un peu défaits après l’exploit, cette transpiration perlant de leur peau, cette sensualité inouïe du corps qui a tout donné, je la retrouverai quelques heures plus tard, après la quatrième mi-temps, dans l’appart de Thibault, après que les deux potes se soient joui dans le cul à tour de rôle, après qu’ils aient joui dans le mien l’un après l’autre. Une fois de plus, nous fêtons une grande occasion en passant la nuit à nous offrir du plaisir.
Début juin, je valide mes semestres sans trop de difficulté. Entre un match et l’autre, Jérém a lui aussi retrouvé le chemin des cours. Certes, son statut de sportif étudiant lui simplifie pas mal la tâche, mais je vois bien qu’il y met du sien aussi. Ça passe de justesse, mais ça passe, et c’est le plus important.
Les deux Stades se classent bien en tête de leur poule. Le 19 juin, à Lyon, le Stade Français s’impose face à Bourgoin. Ça semble bien engagé pour une finale de Top 16 entre les deux Stades. Jérém et moi nous rendons le lendemain à Montpellier pour assister au match Stade Toulousain-Perpignan. Hélas, la rencontre ne se passe pas comme prévu, en tout cas pas comme nous l’avions souhaité. Après deux mi-temps difficiles, les Haut-Garonnais s’inclinent face aux Frontaliers.
Samedi 26 juin 2004.
La finale du championnat de rugby se joue au Stade de France, rien de moins.
Une fois de plus, Jérém a réussi à obtenir des places de premier choix, en tribune Est, catégorie basse. Je dis bien « des places », car il a invité Papa à venir aussi. Evidemment, Papa était aux anges, et il ne s’est pas fait prier pour faire le déplacement dans la capitale. Je suis heureux de partager ce moment avec lui. Et évidemment, pour cette occasion spéciale, Jérém a également prévu des places pour son père et son jeune frère Maxime. Et Thibault, Thierry et Thomas, bien entendu, ses meilleurs potes de Toulouse. Nous sommes tous là, réunis pour cette occasion spéciale, alignés en brochette sur le même rang.
Habitué à voir jouer Jérém dans des stades de 20-30000 places, je suis scotché par la démesure de l’immense enceinte aux 80000 places. Des places qui se remplissent jusqu’à la dernière. Le brouhaha et l’effervescence de ce genre d’endroit, d’une foule aussi immense sont étourdissants.
Je repense à la première fois où je suis allé voir jouer Jérém à Toulouse, peu après notre première révision. Je me souviens y être allé avec ma cousine, et avoir profité de l’occasion pour faire auprès d’elle mon tout premier coming out. Je me souviens de sa tête quand je lui avais annoncé que je couchais avec cette bombasse de Jérém, je me souviens de son air dépité, puis de sa bienveillance à mon égard. De sa mise en garde, de sa recommandation de ne pas tomber amoureux d’un gars « comme lui », un gars qui ne s’assumait pas et qui me ferait souffrir à coup sûr. Que de chemin parcouru depuis, du petit stade de quartier à Toulouse au Stade de France, des baises de l’appart de la rue de la Colombette à l’amour intense à chacune de nos retrouvailles, depuis le garçon qui ne s’assumait pas au Jérém d’aujourd’hui qui admet pleinement ses sentiments pour moi.
Le début du match est imminent. Le stade gronde, son impatience et son excitation montent de plus en plus. Les tribunes vibrent. Je vibre avec, ça provoque en moi des montées d’adrénaline, ça me donne la chair de poule. L'ambiance de fête me fait perdre pied.
Lorsque les joueurs rentrent enfin sur la pelouse, ils sont accueillis par une ovation qui a la puissance d’une déflagration. Jérém n’a pas du tout l’air intimidé par l’immense enceinte et par la foule surexcitée.
Le match démarre et mon beau brun semble au meilleur de sa forme. Il est rapide comme le vent, il est adroit, rusé, malin, habile, stratège. Sa connexion avec les autres joueurs est parfaite, avec Ulysse en particulier, et ça fait des miracles. Il ne rate aucune action, il marque des points en nombre, et les essais sont quasi systématiquement transformés.
Le match se termine avec une victoire nette pour le Stade Français, 38-20. Dans une longue, assourdissante, interminable ovation, le Stade de France fête les champions de tout un pays.
Quelques minutes après la fin du match, les joueurs de l’équipe gagnante s’alignent au milieu du terrain.
L’année dernière au Stade de France, Jérém rongeait son frein en costard cravate, et il soulevait le Brennus juste pour l’honneur, soutenu par les bras puissants d’Ulysse. Cette année il soulève son véritable premier bouclier de Brennus, bien assuré sur ses pattes, après avoir bien mouillé le maillot, devant une foule en délire.
Son regard à cet instant est émouvant au possible. Il y a de l’incrédulité, de l’éblouissement, de l’émerveillement. C’est le regard d’un gosse à Noël. Il y a une joie immense, mais aussi des larmes d’émotion que les écrans géants montrent impudiquement à de milliers de spectateurs.
J’ai l’impression que le stade tout entier applaudit et félicite le champion qui revient de loin. Et parmi les 80000 paires de mains qui claquent avec ferveur, celles de la petite délégation toulousaine tapent avec encore plus d’énergie que les autres, avec plus de bienveillance et d’affection. Même Thibault, qui rêvait lui aussi de soulever ce bouclier, est visiblement ému par le triomphe de son Jé.
— J’aurais tellement aimé jouer ce match contre le Stade Français, il me glisse.
— Tu aurais aimé soulever le Brennus à sa place ! lui lance Thierry qui a entendu ses mots.
— Peu importe qui aurait soulevé le Brennus. J’aurais surtout aimé jouer cette finale avec Jé.
— L’année prochaine, ce sera la bonne ! Je vois bien une finale Stade Toulousain contre Stade Parigot, et le Brennus qui revient à Toulouse, sa place de droit ! s’avance Thierry.
Hélas, ses prévisions se révéleront largement inexactes. Jamais les deux potes ne se retrouveront en finale du Top16. Déjà, parce que, pendant des décennies, les deux Stades n’accéderont pas en même temps à la finale de ce championnat qui sera bientôt rebaptisé le Top14. Aussi, parce que la carrière de l’un des deux potes s’arrêtera brusquement deux ans plus tard, au terme de la saison 2005-2006.
Nous attendons Jérém à la sortie du stade. Lorsque le champion apparaît enfin, sa première accolade est pour son père. Un père qui est comme jamais ému, comme jamais fier de son fils.
[Ton père ne t’a pas quitté des yeux depuis le coup de sifflet final. Tu le prends dans tes bras et l'étreins de toutes tes forces. Tu lui cries à l'oreille : « On est champions, Papa ! On est champions ! ». Aujourd’hui, ton père a un sourire d'enfant. C’est la première fois qu’il a ce sourire. Et c’est la première fois que tu vois dans son regard cette fierté, cette reconnaissance, ce respect. Aujourd’hui, ton père, tu l’as impressionné. Tu as réalisé tes espoirs et tes rêves les plus fous, et aussi les siens, par la même occasion. A cet instant précis, tu te sens sur un pied d'égalité avec lui. A cet instant précis, tu te sens aimé comme jamais auparavant].
L’étreinte entre les deux Tommasi s’étire, comme si l’un et l’autre avaient besoin de faire retomber la pression, de faire cesser les larmes avant de s’éloigner. La mère de Jérém nous a rejoints, et l’accolade suivante lui est destinée. Vient ensuite le tour de Maxime, puis de Thibault, et de ses autres potes. Chacun a droit à une accolade, à quelques mots. Jérém vient serrer la main de Papa, il est en larmes, Papa aussi. L’image de Papa qui serre Jérém dans ses bras m’émeut encore plus que tout ce qui a précédé.
La dernière accolade m’est destinée. Jérém me prend dans ses bras et il me serre très fort et très longuement contre lui. Sa joue et ses lèvres se posent dans le creux de mon épaule, dans un abandon total, comme s’il s’en foutait qu’on ne soit pas seuls, mais devant ses potes, devant sa famille, un stade tout entier, des caméras.
— Merci Nico, merci, je t’aime Nico, il me chuchote dans le creux de l’oreille.
Juillet 2004.
Après, c’est l’été. Un autre été que je passe avec Jérém. La première étape de nos vacances est Campan. Je retrouve avec bonheur la petite maison, la bonhomie des cavaliers. Jérém est fêté pour sa victoire en Top 16.
— Je te l’avais dit que tu reviendrais au top ! lui lance JP, en le prenant dans ses bras.
— Au top et au-delà de tout espoir ! Un bouclier de Brennus à ta première saison ! Ça c’est un exploit ! le félicite Daniel à son tour.
— C’était pas ma première saison… se défend mon beau brun.
— Avec le Racing, c’était une saison de rodage. La saison dernière, tu ne l’as jouée qu’à moitié. D’ailleurs, cette dernière aussi tu ne l’as jouée qu’à moitié. Donc, ça fait bien une année, ta première année ! insiste Daniel.
— Tu as une curieuse façon de voir les choses… ça doit être le troisième pastis sans eau qui parle à ta place… le casse Lola.
— Ça doit être ça, ma belle…
Le lendemain, nous partons en balade à cheval avec Charlène. Je retrouve avec plaisir ma monture tout terrain et tout confort, la Tequila internationale. Je retrouve le dépaysement de la forêt, de la position en hauteur, l’odeur du cuir, de la transpiration du cheval, l’ivresse de la vitesse, les sensations du contact avec l’animal, le ressenti de ses mouvements. Le bonheur de voir Jérém sur Unico, d’évoluer dans un environnement naturel, sauvage, de retrouver un Jérém nature, pur, en lien avec son enfance. Je passe un magnifique après-midi. Nous passons un magnifique après-midi.
Mais au retour de notre balade, Charlène nous livre une nouvelle qui est de nature à saper notre bonheur. Elle nous annonce que, faute de repreneur, elle compte faire valoir ses droits à la retraite à la fin de l’année et fermer le centre équestre.
Jérém est décontenancé, il a l’air perdu et attristé.
— Ne fais pas cette tête, je ne vais pas t’obliger à replacer tes chevaux, ils peuvent rester. Mais je vais arrêter les balades, et je ne renouvellerai plus les chevaux qui partent. Je vais garder une dizaine de chevaux, histoire de compléter ma retraite.
— Mais tu vas continuer à monter ?
— Oui, tant que mon genou me le permet.
— Ça va plus être pareil…
— Qu’est-ce qui ne va plus être pareil ?
— Cet endroit. S’il n’y a plus de balade, plus d’animation, plus de jeunes chevaux, plus de jeunes cavaliers…
— Il y a un temps pour tout. Je suis fatiguée, je ne vais pas continuer et m’user jusqu’à la corde !
— Oui, je sais.
— Je sais tout ce que ce centre a représenté pour toi…
— Ce qu’il représente toujours…
— Je sais, mon Jérémie. C’est pas faute d’avoir cherché un repreneur. Mais il faut se rendre à l’évidence.
— Stéphanie n’est toujours pas intéressée ?
— Ma fille n’est pas faite pour ça…
— Et ton ouvrier non plus ?
— Marc est doué avec les chevaux, mais il est trop jeune pour chapeauter tout ça.
— Et si je le reprenais moi, ton centre équestre ?
— Tu n’as pas le temps de t’occuper de ça, t’as bien d’autres chats à fouetter !
— Je reprends à mon compte, et tu gères.
— Ça ne changerait rien, je n’ai plus l’âge de me taper tout le taf.
— Embauche quelqu’un d’autre. Forme-le. Transmets-lui ton savoir-faire des chevaux, de la gestion du centre. Je reprends l’affaire. Etudie une solution, je te suivrai.
— Il faudrait déjà que ce soit viable, il ne faut pas que ce soit une charge pour toi.
— Ça l’a été pour toi, je ne vois pas pourquoi ça ne le serait pas pour moi.
— Ça demanderait une réorganisation de fond en comble…
— Je te fais entière confiance, Charlène.
— Tu es sûr de toi, mon garçon ?
— Très sûr.
— Ecoute, je ne te promets rien, mais je vais y réfléchir.
— Moi, c’est tout réfléchi !
— L’idée me séduit aussi…
— Alors réfléchis bien. Il faut que cet endroit continue de vivre.
Jérém m’émeut. A Campan, il est tellement touchant. Son âme de gosse refait surface et c’est son cœur qui guide ses actes. Et ça, ça me fait fondre. Ça, ça m’accroche à lui au-delà de tout, de l’attirance, du sexe. C’est ce qui se tapit dans l’ombre de sa virilité qui me plaît outre mesure. Ça a toujours été le cas, au final. Sauf qu’avant, j’en étais moins conscient.
Pendant que nous prenons la route pour La Mongie, la radio passe une chanson que j’ai découverte en partant de Biarritz quelques mois plus tôt et qui me vrille les tripes à chaque écoute depuis :
https://www.youtube.com/watch?v=Oextk-If8HQ&list=OLAK5uy_nvmHwRQr3hA9gjEl-gB9g-Acz5mcveRg8&index=1
So why don't we go
Alors pourquoi n'allons-nous pas
Somewhere only we know ?
A un endroit qui n'appartient qu'à nous ?
Aujourd’hui notre relation n’est plus autant semée d’embûches qu’elle ne l’était il y a encore un peu plus d’un an. Aujourd’hui, tout va bien entre nous, je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie. Et pourtant, Campan est toujours ce lieu qui n’appartient qu’à nous, notre petit Paradis à nous. Campan a été l’endroit où Jérém m’a embrassé pour la première fois, où il s’est excusé pour la première fois de m’avoir fait du mal, où il s’est assumé et où il a assumé notre amour en public, la première fois où il m’a dit « je t’aime ». C’est un endroit qui dégage une sorte de magie qui met à nu l’âme de Jérém et qui me rend encore plus follement amoureux de lui que je le suis d’ordinaire. Et c’est pas peu dire. Oui, Campan est un endroit qui a été spécial, qui l’est toujours, et qui le sera toujours.
La montée en voiture jusqu’à La Mongie est du genre bucolique, avec ces vaches errantes en bord ou même sur la route. L’arrivée au village l’est aussi, avec des lamas qui divaguent en toute liberté autour des guichets du téléphérique.
Le voyage en télécabine est à couper le souffle. On s’envole vers la cime, et on a l’impression de s’envoler vers le ciel. Le village s’éloigne, le vide que nous laissons derrière nous est impressionnant.
Et puis, il y a l’arrivée, là-haut. Là-Haut, on a l’impression d’être suspendus dans le ciel, en apesanteur, de flotter sur l’air frais des sommets.
Le site autorise une vue à 360 degrés sur la chaîne des Pyrénées, les balcons suspendus sur le vide permettent d’admirer un paysage de pierre et d’eau où le travail de l’homme est à la fois impressionnant et discret. Les coupoles géantes abritant les instruments d’observation se fondent à merveille dans cette scénographie majestueuse.
Oui, tout est à la fois beau et impressionnant là-haut. La vue, le charme brut et puissant des éléments, la table d’orientation indiquant les noms des pics, où je retrouve de nombreux noms associés aux étapes les plus redoutables du Tour de France, le petit lac en contrebas dons les eaux sont d’un bleu profond.
Mais aussi, la prouesse que représente cette construction à cette altitude, sur ce pic rocheux, à une époque où les moyens n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. C’est la même sensation empreinte d’ébahissement et d’admiration que je ressens devant les grandes constructions du passé, celle que j’ai ressentie à Rome, à Florence, à Notre Dame, à Versailles, au Louvre.
J’essaie de m’imaginer la détermination et la bravoure des pionniers qui sont venus ici et qui ont bâti cette merveille avec leurs bras, leur sueur, leur jeunesse, et ça me donne le vertige.
Le paysage change sans arrêt, des nuages apparaissent et cachent des pans entiers de montagne, puis se dispersent quelques minutes plus tard laissant découvrir des moutons autour d’un lac, ou un vol de vautours.
Je suis fasciné par cet horizon dégagé et immense, par la beauté des Pyrénées sublimée par cette belle journée ensoleillée et limpide. Mais il n’y a pas que la beauté des Pyrénées qui est sublimée par la lumière intense et cristalline de cette journée.
Avec son t-shirt noir bien ajusté, sa peau mate, ses lunettes de soleil de kéké, ses cheveux très bruns et son brushing de bogoss, mon Jérém est à craquer. D’ailleurs, ça ne loupe pas, il se fait mater par un gars. Pendant un instant, j’ai cru que le mec, accompagné de sa copine, avait juste reconnu l’ailier Tommasi et qu’il était ému par cette « rencontre » fortuite. Pourtant, très vite, je remarque que dans son regard il n’y a pas que de l’admiration. Dans son regard qui traîne plutôt sur le bogoss Jérém que sur l’ailier Tommasi, dans ces mouvements imperceptibles de sa langue qui se glisse furtivement entre ses lèvres, dans cette petite agitation de sa pomme d’Adam, il me semble qu’il y pourrait y avoir autre chose, quelque chose que sa copine ne voit pas, ou qu’elle ne veut pas voir, mais qui est bien là.
Oui, même à 3000 mètres d’altitude, mon beau Jérém se fait mater. Ça me fait sourire, et ça m’excite.
Sur la grande terrasse ensoleillée, nous prenons un café. Je regarde nos baskets en éventail sur fond de chaîne pyrénéenne, je contemple mon bonheur. J’ai envie de l’embrasser. C’est fou à quel point j’ai envie de lui à cet instant.
— On n’est pas bien, là ? je m’entends lancer, ne pouvant pas garder mon bonheur pour moi tout seul.
— Trop bien !
Et là, je sens le dos de sa main frôler le dos de la mienne. Au départ, je crois que c’est un hasard. Mais le contact se prolonge, se répète. Jérém est en train de me faire un câlin discrétos, sur cette terrasse où il y a pas mal de monde !
Le bobrun a tourné légèrement son visage vers moi. Même si je ne vois pas ses yeux, je sais que derrière ses lunettes noires, Jérém me regarde, guette ma réaction.
— Tu me rends tellement heureux, Tommasi ! je lâche, terriblement ému, me faisant violence pour ne pas me jeter sur lui et l’embrasser de toutes mes forces.
— Quand tu es avec moi, la vie me semble plus simple, et plus douce.
A 4000 mètres d’altitude, je crois que nous nous sommes dit tout l’amour que nous ressentons l’un pour l’autre.
En fin d’après-midi, nous prenons la route pour la région de Toulouse. Jérém est accueilli en héros du rugby par Papa et en beau-fils exemplaire par Maman.
Papa ne tarit pas d’éloges sur sa magnifique saison et sur cette victoire du Top16 qu’il qualifie d’historique. Jérém a une telle cote auprès de Papa, c’est beau à voir. C’était inespéré. Les deux reviennent de loin. Papa d’une réaction épidermique lorsque je lui ai annoncé que Jérém et moi étions ensemble, et Jérém d’un grave accident sportif. Et maintenant que tout est arrangé, maintenant que Papa admire chez Jérém le grand sportif qui a contribué à offrir un Brennus à son équipe de cœur tout autant qu’il respecte le garçon qui rend son fils heureux, la complicité entre les deux hommes est saisissante et me fait chaud au cœur.
Auprès de Maman aussi, Jérém a une cote d’enfer. Maman ne s’intéresse pas au rugby, mais elle s’intéresse à tout ce qui fait mon bonheur. Jérém fait mon bonheur, par conséquent, elle adore son beau-fils. Quand je pense que la première fois qu’elle avait croisé Jérém, nous venions de nous disputer et j’avais le nez en sang. Mon coming out ne s’est pas fait dans la sérénité. Mais ça a bien changé depuis.
Le lendemain, nous changeons de département. Nous passons de la ville à la campagne, des plaines de Garonne aux côteaux du Gers, des étendues de maïs à celles de tournesol. Quelques dizaines de bornes encore, en partant vers le nord du département, la vigne commence à se montrer. Au fur et à mesure que nous nous approchons de notre destination, je ressens une certaine fébrilité. Je sais que je n’ai plus rien à craindre, mais quand-même. Ce n’est pas tous les jours qu’on saute ce pas avec le gars qu’on aime.
Le domaine de M. Tommasi est situé dans la région de Cologne, sur une pente douce orientée plein sud. Au sommet de la colline, la belle maison de maître et ses dépendances trônent au milieu des rangs de vigne aux grappes abondantes.
Après un accueil chaleureux, M. Tommasi m’invite aussitôt à faire le tour du domaine. Nous nous baladons dans les vignes en cette belle fin de matinée. C’est la première fois que je visite un domaine viticole, et je suis immédiatement sous le charme. Ce qui me frappe et m’impressionne c’est que tout est rangé au cordeau et rien ne dépasse. Les rangs de vigne, les abords des parcelles, les corps de fermes, les dépendances. Le vignoble, ça transpire la passion de celui qui le cultive.
Je ne m’y trompe pas. M. Tommasi me parle longuement de cépages, d’hectolitres, de palissage, de taille « noble » faite à la main, et de celle moins noble faite à la machine. Je n’y comprends pas grand-chose, mais son amour et sa passion pour la vigne sont débordants, sa façon de parler de son métier est captivante.
Après la vigne, la visite se poursuit naturellement dans le chai. Au milieu des immenses cuves, dans cette grande salle qui sent le moût, M. Tommasi me parle de fermentation des sucres, d’assemblages, de dates de vendange, d’arômes plus ou moins fruités.
M. Tommasi est passionné et passionnant. On sent que son vignoble fait sa fierté. Mais il s’agit d’une fierté légitime, sans forfanterie, la fierté que pourrait avoir un père pour la réussite de son enfant.
Après la plantation et le chai, la trilogie autour de la vigne s’achève avec la dégustation. D’abord le rouge. Le rouge, ce n’est pas pour moi.
Mais alors, quand M. Tommasi me sert une bonne rasade d’un vin blanc issu d’un cépage nommé Colombard, là, je suis sous le charme. Je fais des infidélités au vin blanc de ma vie, le Jurançon, et je les fais sans complexes, je les réitère même. Putain, qu’est-ce que c’est bon !
— Vous avez un très beau vignoble, ce que vous faites est remarquable, vous devez être content de cette belle réussite, je lance à M. Tommasi en quittant le chai.
— Je le suis. J’aurais aimé qu’au moins l’un de mes enfants s’installe sur le domaine.
— Papa ! fait Maxime.
— Je ne reproche rien à personne, si ce n’est qu’à moi. Je me rends compte que j’ai été trop dur avec eux par le passé, et j’ai fini par les dégoûter. Je les ai fait fuir. Mais je suis fier de leurs réussites, il continue. Jérémie est un joueur exceptionnel et Maxime va devenir un médecin tout aussi exceptionnel. Ils trouveront leur bonheur ailleurs que dans ce domaine.
M. Tommasi, que j’ai toujours entendu décrit comme un homme distant, dur, s’avère être quelqu’un de bienveillant et très ouvert d’esprit. J’imagine qu’il a dû mettre pas mal d’eau dans son vin, un exercice des plus périlleux pour un vigneron, soit dit en passant, pour en arriver là, pour arriver à se mettre à la place de ses enfants, et pour accepter que le bonheur qu’il avait imaginé pour eux et celui qu’eux-mêmes ont imaginé pour leurs vies ne coïncident pas.
— L’important, c’est qu’ils soient heureux, il conclut.
Et dans le regard qu’il me lance en prononçant ces quelques mots, je comprends qu’il parle de tous les bonheurs de ses enfants. Jérém, qui a dû recevoir les mots de son père de la même façon que je les ai reçus, a l’air tout ému.
— Qu’est-ce que tu as changé, Papa ! lui lance Maxime.
— C’était pas trop tôt ! se défend M. Tommasi.
— T’aurais dû changer de copine plus tôt, lui lance le petit con.
Ça m’a toujours impressionné, en particulier les deux fois que j’ai vu père et fils cadet au chevet de Jérém après un accident et une blessure, cette façon de Maxime de balancer des trucs à son père sans y aller par quatre chemins, sans colère, mais tout en justesse et fermeté. Et aussi la réaction de son père, qui ne l’a jamais envoyé paître, même quand, du haut de ses vingt ans, il le recadrait parfois âprement. M. Tommasi doit tenir son fils cadet en grande estime pour accepter de se laisser ainsi parler d’égal à égal. Et aujourd’hui encore, cela se confirme.
— Mais tais-toi ! Allez, on va manger ! réagit M. Tommasi, une façon de botter en touche sans pour autant nier la justesse du propos de son fils cadet.
— Il a raison, me glisse M. Tommasi, tout bas.
Oui, j’ai toujours eu l’impression que Maxime savait tenir tête à son père, alors que Jérém souffrait de se sentir rejeté. Que Maxime osait parler à son père et que Jérém ne l’osait pas. Mais cela aussi, semble avoir changé.
— Ou il aurait fallu que je me blesse plus tôt ! plaisante Jérém.
— J’aimerais dire que tu as tort, mais ce serait mentir. Il a fallu en arriver là pour que je comprenne que je ne pouvais pas continuer à te faire la guerre parce tu étais différent de celui que j’avais imaginé. Pour que je comprenne que le rôle d’un père c’est d’être là pour son enfant, pour ses enfants. J’ai assez perdu de temps avec mes garçons, je ne veux plus perdre une seule seconde.
— Tu t’en sors pas mal, Papa, fait Maxime.
— Pas mal, pas mal, fait Jérém. Pas avec les mots, mais avec ce regard qu’il échange avec son père, un regard empli d’émotion.
Sophie, celle qui a été annoncée par Maxime comme la nouvelle copine de son père, est une femme avenante et accueillante. Si je me fie à l’allusion du petit frère de Jérém, elle aurait sur M. Tommasi une meilleure influence que celle qui l’a précédée, cette dernière étant sans doute celle qui avait pris la place de sa mère après son départ. Et alors que l’ancienne copine aurait provoqué un éloignement entre M. Tommasi et ses deux garçons, la présence de Sophie jouerait positivement sur les relations familiales.
Delphine, la nouvelle copine de Maxime, est du genre réservé. Elle a même l’air un peu mal à l’aise au milieu de cette réunion familiale. Mais l’adorable étudiant en médecine est là pour l’aider à s’intégrer, il est aux petits soins, il est vraiment mignon.
Le repas à six convives et trois couples est une réussite. Le fait d’être accepté dans la famille de Jérém m’émeut profondément. Je n’aurais jamais imaginé il y a trois ans qu’on en arriverait là, un jour, Jérém et moi.
Et ce qui m’émeut aussi, c’est de découvrir les lieux de son enfance. D’autres lieux, après Campan. Le domaine, le chai, la maison. Mais aussi, au gré d’un petit tour en voiture dans l’après-midi, le village, son école primaire, le premier terrain de rugby où il a joué. Et, le soir, sa chambre d’enfant qui est restée dans son jus depuis près de dix ans, depuis son départ à Toulouse.
Je découvre d’anciens ballons de rugby usés, des maillots de l’enfant qu’il a été, des albums de photos de joueurs de rugby.
— Avec Thibault on échangeait les photos en double. Il avait toujours plus de chance que moi, je n’ai jamais réussi à compléter un seul album, alors qu’il y arrivait régulièrement. Tiens, le voilà, lui ! il s’exclame.
— Lui qui ?
— Ce demi de mêlée, il a fait la plus grande partie de sa carrière à Castres, il précise, en me montrant un super beau brun dans l’une des photos en haut de la page.
— C’était un bon joueur ?
— Aussi. Mais il était surtout super bogoss ! Quand j’avais 13 ou 14 ans, je me suis branlé quelques fois en matant cette photo.
— Mais tu savais déjà que tu étais gay ?
— Au fond de moi, je le sais depuis toujours. Et pourtant, quand je me branlais en matant ce type, je me disais tout simplement que je voulais lui ressembler. Qu’est-ce qu’on peut se raconter comme connerie pour ne pas affronter la réalité ! il considère.
Dans sa chambre d’enfant, je découvre également ses cassettes, ses CD. Il y a un peu de rock français, et beaucoup de rock international, Guns And Roses, Aerosmith, Metallica.
— Je ne savais pas que tu aimais le rock !
— Tu ne sais pas tout de moi !
— A croire que non, j’admets.
— Je ne connais pas trop le rock, je glisse en me saisissant d’un CD.
— Evidemment, tu n’écoutes que de la musique de pédé, Madonna et compagnie !
— Madonna et compagnie t’emmerdent !
— Ferme-là et écoute ça ! m’intime le bobrun en glissant un CD dans le lecteur.
https://www.youtube.com/watch?v=8SbUC-UaAxE#t=0m18s
— Ah, ça je connais, j’ai tout juste le temps de répliquer, avant que Jérém ne se glisse sur moi, et m’embrasse fougueusement.
Dans sa chambre d’enfant, sur les notes de « November Rain », ce soir Jérém et moi faisons l’amour. J’adore faire l’amour avec Jérém. Et ce que j’aime tout autant c’est que depuis qu’il ne fume plus, les instants après le plaisir se passent le plus souvent dans ses bras.
Nous passons le reste de l’été à sillonner la France en voiture. Cordes sur Ciel, Sarlat, Rocamadour, Futuroscope. Pour le 14 juillet nous allons voir Ulysse à Dunkerque.
Nous sommes ensemble, nous sommes un vrai petit couple. Qui ne peut pas se tenir la main ou se galocher en public, certes, mais qui s’aime vraiment, un couple qui baise probablement bien plus que la plupart des couples hétéro parfois « trop affichés » que nous croisons. Nous partageons notre bonheur avec les quelques personnes qui méritent notre confiance, dont font partie les amis les plus importants, ainsi que nos familles. Et c’est l’essentiel.
Le dernier week-end des vacances de Jérém, celui du 24 et 25 juillet, nous revenons dans le Gers, dans le domaine de Papa Tommasi. Jérém en a envie, il en a besoin. Il a besoin de passer un peu plus de temps avec ce père qu’il vient de retrouver après tant d’années d’incompréhensions. Il a besoin de retrouver ce lieu où il a été heureux enfant, avant de s’en sentir rejeté après le départ de sa mère. Il a besoin de revenir au pays, après tant d’années d’exil.
C’est la deuxième fois que je reviens dans cet endroit en quelques semaines, mais je ressens toujours la même émotion et la même tendresse au contact des lieux de l’enfance de mon bobrun. J’avais déjà ressenti cette sensation à Campan, au contact des gens et des lieux qui ont connu mon bobrun à une saison de sa vie où j’ignorais tout de lui, y compris son existence. Mais dans sa maison d’enfant, dans sa chambre d’enfant, dans sa famille, là, je suis admis à un degré d’intimité encore supérieur. Et ça m’émeut profondément.
Dans sa chambre d’enfant, Jérém sort une boîte à chaussures. A l’intérieur, des photos de lui, à trois ans, avec un bonnet rouge et un manteau tout aussi rouge, le regard noir, contrarié, le même que je lui ai connu plus tard, lorsque je l’ai vu en pétard. Les traits, sont ceux d’un enfant. Mais le regard très brun est déjà là.
Au fil des photos, Jérém me raconte son enfance, sa relation plutôt fusionnelle avec sa mère, avant. Et puis, le drame que ça a été pour lui le jour où, vers ses neuf ans, cette dernière n’a plus voulu lui faire le bisou avant d’aller au lit, « parce que tu dois devenir un grand garçon ». Il me dit avoir toujours été persuadé que c’était son père qui était à l’origine de ce déchirement, qui avait imposé à sa mère de ne plus le traiter en enfant et de commencer à le traiter comme un grand garçon.
Il me reparle du traumatisme qu’a été la séparation de ses parents, et celui encore plus grand qu’a été pour lui l’abandon de sa mère. Il me remercie encore de l’avoir convaincu de l’écouter à Capbreton, de lui avoir obligé à affronter ce traumatisme, et de commencer à le surmonter.
— Ça ne me rendra jamais une enfance heureuse, mais ça m’a au moins permis d’évacuer la colère qui me suivait comme un boulet depuis plus de dix ans.
Oh que ça fait du bien d’entendre ces mots !
La boîte à chaussures nous livre une photo sur laquelle figure Maxime, sur un petit vélo bleu ciel, l’air pas assuré du tout. Il doit avoir 3 ou 4 ans, et Jérém se tient à côté de lui, une main sur le guidon, l’autre sur son épaule. A l’évidence, Jérém est en train d’apprendre à son petit frère à faire du vélo, ou du moins en train de l’empêcher de tomber. Sur une autre photo, à la neige, toute la famille y figure. Entre les parents, Jérém tient Maxime dans ses bras, c’est mignon comme tout. Ça m’émeut jusqu’aux larmes.
— Tu as dû bien t’occuper de ton petit frère quand vous étiez gamins.
— Je ne sais pas. Ça a peut-être été un peu vrai jusqu’au divorce. Depuis, il faut bien l’admettre, c’est plutôt lui qui s’est occupé de moi. Quand je lui en ai laissé l’occasion, bien évidemment.
Au fil de ces photos, mais aussi des souvenirs qui remontent à table au détour d’une conversation, des mots qui surgissent parfois au détour d’une phrase, je parcours toutes les jeunes années de mon Jérém. Et lorsque je regarde ces lieux, il me semble de le voir gambader en culottes courtes.
Quand je suis dans le jardin, je me dis que derrière ce grand chêne, il a dû se cacher, enfant, en jouant avec Maxime. Je me dis que plus tard, Thibault a dû se joindre à eux pour ces jeux d’insouciance.
Une insouciance qui a été balayée nette par le départ de sa mère. Du jour au lendemain, sans y être préparé, Jérém a réalisé et a dû accepter qu’elle ne serait plus jamais là. Mais ça n’a rien changé au manque, à sa tristesse d’enfant.
Je me dis qu’à cette époque, il s’est peut-être réfugié dans la grange pour être seul. C’est peut-être là qu’il a grillé ses premières clopes. Peut-être que Maxime s’y est réfugié aussi, et que Jérém l’y a rejoint pour le réconforter. Ou bien, c’est Maxime qui l’y a rejoint pour le réconforter.
Je me dis qu’adolescent, il a dû monter le grand escalier de la maison en boudant. Qu’il a dû s’enfermer dans cette chambre et faire exploser sa colère, ou pleurer à l’abri des regards.
Je me dis que dans cette grande maison, il a été heureux, il a été triste, il s’est senti protégé, puis rejeté, il a eu envie de partir.
Je me prends à imaginer ses états d’esprits pendant ses toutes jeunes années. Je voudrais l’avoir connu à cette époque, je voudrais avoir partagé tous ces moments avec lui.
L’image de Jérém enfant que je reconstruis au fil des récits, des objets, des souvenirs, des photos, se superpose à celle du Jérém de bientôt 23 ans, jeune adulte, mon compagnon, qui s’assume, qui assume notre relation, qui affronte et panse peu à peu ses anciennes blessures. Et cette superposition, ce mélange, m’émeut au plus haut point.
Dans ce vignoble, je regarde, pendant des heures, le ciel bleu, les nuages qui passent, j’écoute le vent qui souffle. Je vois de la vigne, je vois cette maison, je vois des fleurs, je te vois toi, Jérémie Tommasi, et je t'aime comme un fou.
Dans ce vignoble, au cœur de tous les Jérémie, j’ai envie de pleurer de bonheur.
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Les avis des lecteurs
Une belle histoire d’amour entre garçons.