55.5 Après le déluge (partie 2, Gruissan – Toulouse)
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 28-04-2018 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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55.5 Après le déluge (partie 2, Gruissan – Toulouse)
Le sucer est le bonheur suprême. Lui faire plaisir, le plus exquis des plaisirs. Et sentir, en plus, ses doigts sur mes tétons, c’est juste inouï ; ses doigts qui caressent, pincent légèrement, tout en variant sans cesse les mouvements, la pression, tout en m’offrant d’infinies nuances d’excitation, d’innombrables frissons.
Jusqu’à ce qu’un feu d’artifice dément n’explose dans ma tête : lorsque, à force de tâter et de tâtonner, le bogoss finit par trouver LE toucher et la cadence qui m’apportent LE frisson absolu : position des doigts, pression, toucher, coordination, cadence, tout est parfait…
Vendredi 17 août 2001, au réveil.
Oui, tout est parfait… à part le fait qu’un réveil en sursaut vient interrompre cette magnifique séquence à la saveur de déjà-vu. Enroulé dans mes draps, je suis en nage.
Il me faut un petit moment pour réaliser que je suis à Gruissan, et que j’y suis depuis une semaine. Putain, une semaine !!! Une semaine déjà.
Une poigné de secondes et tout me revient : notre dispute, mon coup, son coup, le bruit de la chair qui morfle ; des mots et des bruits qui me hantent ; maman qui débarque ; son nez en sang, son dernier regard plein de tristesse et de tourment, juste avant son départ.
Oui, son départ. La porte qui claque derrière lui : la dernière note, dure, sèche et dissonante de notre histoire. La sensation d’un gâchis sans nom qui m’arrache le cœur.
Alors, oui, le mien est un réveil en nage ; mais, aussi, un réveil en larmes.
J’attrape mon téléphone sur la table de nuit : toujours aucun message, de personne.
A chaque fois que je regarde l’écran vide de mon portable, c’est une nouvelle, cuisante déception ; une nouvelle confirmation du fait qu’il est passé à autre chose, qu’il m’a oublié, qu’il ne reviendra jamais vers moi ; que sa vie est ailleurs, sans moi. A chaque fois que je regarde l’écran vide, c’est comme si je me faisais quitter un peu plus encore.
Oui, il s’est déjà écoulé une semaine depuis ce vendredi noir, depuis cette triste date du 10 août, cette date qui me hante. Putain d’« anniversaires », si rapprochés, si douloureux juste après une rupture.
Même à Gruissan, mon sommeil est irrégulier, insuffisant, je passe des longues heures nocturnes à ruminer des images, des mots, des souvenirs ; même à Gruissan, je traîne une fatigue dont je n’arrive pas à me débarrasser. Et la migraine me guette à chaque fin de journée.
Depuis une semaine, je suis tellement sonné que je n’ai même pas ressenti le besoin de me branler.
Ce matin, à l’issue de ce maudit rêve, je ne suis pas plus en forme ; pourtant, malgré la tristesse et la désolation qui agissent en moi comme un poison, mon corps semble réclamer ces caresses et ces sensations qu’il a boudées depuis assez longtemps.
Alors, je me branle. Je me branle et je ressens instantanément l’envie violente, déchirante d’avoir sa queue entre mes lèvres, de sentir son gland contre ma langue, de tenir son plaisir dans ma bouche ; je me branle et je pense à ses giclées puissantes, à son goût de petit mec, si doux et si fort à la fois ; je me branle et je frémis dans mon entrejambe, dans mon ventre ; je me branle en écartant mes cuisses, en appelant ses coups de reins de toutes mes forces ; je me branle en pensant à sa petite gueule déformée par l’orgasme.
Et je jouis… je jouis en pensant à son plaisir, ce plaisir que je peux plus, que je ne pourrai plus jamais lui offrir ; ce plaisir, celui de le faire jouir, que je pourrai plus jamais m’offrir.
Lorsque je reviens à moi, je récupéré, étalé sur le matelas, épuisé. Je récupéré en me demandant avec qui il couche désormais, qui a la chance de le faire jouir aujourd’hui… c’est une nana ? Des nanas ? Un autre mec ? Qui fait-il couiner ? Est-ce qu’il a joui, hier soir ? Combien de fois a-t-il joui depuis vendredi dernier ? Comment prend-il son plaisir ? Est-ce qu’il fait des choses qu’il faisait avec moi ? En découvre-t-il d’autres ? Est-ce qu’il couche toujours avec capote, ou bien il a déjà franchi le pas de s’en passer ? A-t-il finalement trouvé ailleurs un plaisir plus grand que celui que j’étais capable de lui offrir ? Est-ce qu’elle – ou lui – se rend compte de la chance d’avoir ce petit Dieu, ce bogoss absolu, cette machine à sexe, dans son lit, dans sa bouche, dans son ventre ?
Ainsi, au sentiment de vide et de désolation, s’ajoute l’immense manque provoqué par l’absence de son corps. Chacune de mes cellules pleure ce manque : la douceur, l’odeur, la chaleur de sa peau ; l’harmonie et la puissance de ses muscles, l’étreinte de ses bras ; et, aussi, la nostalgie de ses regards doux et joueurs, de l’amour pendant la semaine magique ; notre merveilleuse entente sensuelle, notre parfaite complémentarité sexuelle ; son kif, mon kif, mon envie de lui faire plaisir, son envie de me faire plaisir ; nos plaisirs, de plus en plus incroyables ; notre complicité, de plus en plus détonante, avec pour point d’orgue cette pipe fabuleuse dans l’arrière-boutique de la brasserie.
J’ai envie de lui à en crever, et pourtant je sais que je ne l’aurai plus, plus jamais ; je vais devoir supporter l’horrible privation de ne plus l’avoir dans ma bouche, de ne plus le sentir frissonner sous ma langue, de ne plus connaître la puissance de ses giclées, et le goût de son jus ; mes mains, ma peau, ma bouche, mon nez, vont devoir renoncer au contact avec son corps ; je ne l’aurai plus jamais en moi, je ne le sentirai plus jamais coulisser en moi, je ne le verrai plus jamais jouir en moi, je n’aurais plus jamais sa semence en moi. C’est fini. Fini.
J’ai tout perdu : le mec dont j’étais fou amoureux et un mâle fabuleux au lit.
Quand je pense au plaisir sexuel que j’ai connu pendant des mois, j’ai envie de pleurer et de crier ; je me dis que plus jamais je ne retrouverai quelqu’un capable de me faire autant vibrer, de me baiser, de me faire l’amour de cette façon ; c’était trop bon avec lui, parce que c’était si libre, sans soucis.
J’ai pris un risque important avec lui, un risque que je n’aurais jamais dû prendre : coucher avec sans capote, depuis la toute première fois, ça n’a pas été très prudent. Non seulement je me suis laissé faire par ses envies, je me suis laissé porter par mes propres envies, par le désir déraisonnable que ce mec m’inspirait ; mais je lui faisais confiance, je croyais qu’il en valait la peine ; je croyais que tôt ou tard il ne serait qu’à moi.
Je lui ai offert mon corps comme il le voulait, parce que c’était lui. Je lui ai donné tout ce qu’il voulait, et plus encore. Je me sens trahi, humilié. Je regrette de m’être autant donné à lui.
Et maintenant, l’idée que quelqu’un d’autre va en profiter à ma place me rend fou de jalousie. J’ai l’impression qu’on me déchire de l’intérieur ; je me sens doublement humilié, trahi, meurtri. Quand je pense qu’il m’a baisé alors qu’il venait de coucher ailleurs, dans l’heure… le goût de sa queue qui a déjà joui remonte à mes narines et j’ai envie de vomir.
Certes, c’est moi qui a forcé la galipette… à la base, il ne venait que pour récupérer sa chaînette…
Mais comment il a osé me faire ça ? Coucher ailleurs… pourquoi ? Pourquoi ?
Et puisqu’il l’avait fait, il aurait dû être plus ferme, partir malgré mon insistance, ne pas me laisser le prendre en bouche : il pouvait se douter que j’allais comprendre, et que ça allait me faire horriblement mal ! Connard ! Sale connard ! J’ai tellement envie, tellement besoin de le haïr.
Pourtant, je pleure en m’avouant que je donnerais tout ce que je possède, et peut-être même le restant de mes jours, pour goûter une fois encore, une seule, à son corps, à sa queue, à son jus.
Pourtant, lorsque je repense aux trois mois qu’a duré notre relation, je me rends compte que ce qui fait le plus mal, ce que je regrette le plus, c’est de ne pas avoir pu partager grand-chose d’autre avec lui que des bonnes parties de sexe.
J’ai toujours cru que, malgré ses résistances, ses barrières, un jour nos envies profondes, nos attirances, nos besoins d’affection, de tendresse, d’amour, finiraient par se dévoiler l’un à l’autre, par se rencontrer : je me suis trompé : j’ai cru à un moment que je pourrais compter davantage à ses yeux que comme un simple cul à baiser : je me trompais là aussi.
J’aurais tant aimé qu’on ait pu apprendre à se découvrir, à se connaître. Je regrette de ne pas avoir su le mettre en confiance, de ne pas avoir eu les épaules nécessaires pour lui montrer que je pouvais être là pour lui, qu’il pouvait compter sur moi.
Il n’y a que Thibault qui a ce pouvoir vis-à-vis de lui.
Thibault qui m’avait pourtant donné des clés à ce sujet ; le bomécano m’avait appris que, derrière la façade de mec bien dans ses baskets, son pote était un garçon qui doutait de lui-même et qui avait besoin d’être rassuré.
Je regrette de ne pas avoir su utiliser ces éléments pourtant cruciaux.
À distance, facile de refaire le monde. Mais, concrètement, qu’est-ce que j’aurais pu faire pour m’approcher davantage de son cœur, ce cœur qui ne veut pas se laisser approcher ?
Il aurait fallu que je sois capable de me montrer prêt à le soutenir, sans qu’il ait l’impression d’être faible ; car c’est sans doute ce qu’il aurait aimé ressentir, la présence de quelqu’un qui l’aide à être en accord avec lui-même, à être lui tout simplement ; quelqu’un qui le rassure et qui l’aide à s’accepter.
J’ai essayé de lui faire comprendre à quel point je l’aime, à quel point j’ai besoin de lui ; j’ai même fini par le lui crier, en ce triste vendredi, alors qu’il venait de me dire qu’il voulait qu’on arrête tout ; j’ai aussi essayé de lui faire comprendre que je voulais être là pour lui, avec lui, et que je ne laisserais jamais tomber.
Il n’a jamais voulu de l’amour que j’avais à lui offrir, et encore moins du soutien que j’aurais voulu lui apporter : mes difficiles tentatives de lui faire comprendre que je tenais à lui et que je voulais partager avec lui autre chose que du sexe, n’ont fait que le braquer et le faire fuir.
D’ailleurs, même si parfois ses attitudes ont semblé dire le contraire, il a toujours affirmé qu’il n’y avait que du sexe entre nous.
Comment aurais-je pu le toucher davantage, alors ?
Soudainement, je repense au maillot que j’ai ramène de Londres. J’avais fondé de grands espoirs sur ce cadeau. J’avais voulu lui faire plaisir, j’avais imaginé mon plaisir de voir son regard s’illuminer lorsqu’il le recevrait.
J’avais imaginé ce maillot comme le départ d’une nouvelle complicité entre nous, en dehors du sexe ; une complicité qui aurait dû faire écho à cette nuit fantastique, l’une des rares que j’ai passées avec lui, la nuit après le départ de ce Romain levé au On Off ; cette nuit où, troublé par ce plan et par ce mec qui avaient violemment révélé sa jalousie vis-à-vis de moi, il m’avait demandé de rester dormir ; cette nuit où il s’était un peu ouvert à moi, sur le rugby, sur ce qui comptait dans sa vie, cette nuit magique où j’ai essayé de lui dire à quel point je tenais à lui.
Cette nuit-là, moment si rare, si unique, si précieux, une occasion en or pour lui parler : j’ai essayé, j’ai foiré ; je n’ai pas su le toucher, je n’ai pas su trouver les bons mots ; en tout cas, pas avant que son sommeil ne ferme définitivement la petite brèche qui s’était offerte à moi.
Alors, ce maillot, c’était la bonne façon de lui dire qu’il était bien plus pour moi qu’un magnifique étalon baiseur ; ce maillot aurait dû être la première chose que nous aurions « partagée » en dehors du sexe.
Lui offrir ce maillot, c’était lui offrir quelque chose qui était attaché à ce qui compte le plus dans sa vie, le rugby : je ne connaissais rien au rugby, je ne connaissais même pas Wilkinson avant d’entendre ce nom dans sa bouche, entouré de mots admiratifs ; ce maillot ne représentait rien, pour moi, à part un moyen de faire plaisir au garçon que j’aimais.
Et malgré tout, j’en suis certain, il a été qu’il a été touché par ce geste : je l’ai vu à ce regard enfantin et plein de passion qui a illuminé son visage pendant une fraction de seconde ; avant de se « ressaisir », et de refuser ce cadeau, comme pour refuser de créer un lien supplémentaire entre nous, au moment où justement il voulait couper tous les autres.
Mais bien sûr !!! Pourquoi je n’y ai pas pensé ??? Lui donner le maillot plus tôt, pendant la semaine magique, c’est ça que j’aurais dû faire ! Voilà une évidence qui éclate dans mon esprit avec la violence d’un douloureux regret.
Ça aurait été le moyen de créer un lien, à un moment où tout était peut-être possible… lui donner le maillot quand tout allait si bien entre nous… à ce moment-là, il l’aurait accepté avec joie… il aurait été heureux de le recevoir, sans réticences… il m’aurait remercié… j’aurais été heureux de le voir heureux comme un gamin… et le lien aurait été créé… et il aurait peut-être pu peser plus tard dans la balance de ses sentiments.
A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de lui donner le maillot ; ce qui m’a retenu, à chaque fois, c’est sans doute la peur stupide que ce cadeau, en tant que démonstration trop tangible de l’amour qui était le mien, ne l’« effraye » ; j’ai eu peur que ce cadeau, que cet amour ne le fassent fuir, qu’ils ne coupent la magnifique progression sur laquelle nous étions lancés.
Ce maillot, c’était quitte ou double. Il fallait juste oser prendre le risque. Je n’ai pas osé. Ou j’ai osé trop tard. Tant d’occasions ratées, comme autant d’actes manqués.
J’avais un atout dans mon jeu, je l’ai gaspillé.
Sur le coup, laisser le maillot à la brasserie me paraissait une bonne idée ; maintenant, à distance, j’ai l’impression d’avoir fait du forcing, de lui avoir mis un peu plus la pression en l’« obligeant » à accepter mon cadeau ; tout en rendant son patron « témoin » de tout cela.
Il est même probable que le fait de se voir remettre le paquet, « de la part de Nico », l’ait mis mal à l’aise, en rendant encore plus forte sa détermination à s’éloigner de moi.
Qu’est-ce que j’ai pu être idiot de m’imaginer qu’il enverrait un message pour me remercier, ou du moins pour me dire qu’il avait bien eu le maillot !
Samedi 18 août 2001
Ce matin je me réveille une fois de plus avec le moral dans les chaussettes.
J’attrape mon portable et je constate que l’écran est toujours vide.
Je comprends son silence. Il m’a oublié. Ou bien, il veut m’oublier. Il veut que je l’oublie.
Et maintenant ? Est-ce qu’il n’y a que la solitude devant moi ? Comment reprendre goût à la vie, après le déluge qui a tout détruit sur son passage ?
Sortir, rencontrer d’autres gars, réapprendre à faire confiance, tenter de deviner et de comprendre les sentiments de l’autre, faite gaffe de ne pas me faire avoir une autre fois, éviter à tout prix de souffrir encore ; coucher à nouveau, devoir me protéger, devoir me préoccuper des risques, avant de découvrir le plaisir d’autres corps : je n’arrive à envisager rien de tout ça. De toute façon, je ne sais même pas si je vais réussir à plaire. Mon corps peut-être, va plaire, pour une baise « à la Mourad ». Mais qui voudra d’une relation avec moi ? Qu’est-ce que j’ai réellement à offrir à un mec ?
Et qu’est-ce que les mecs ont à m’offrir ? Qui sont les gays ? Que recherchent-ils ? Comment fonctionnent-ils ? Est-ce qu’ils ne pensent tous qu’à tirer leur coup vite fait ? Comment être sûr de bien me protéger, de ne pas choper une saloperie ?
Soudainement, je repense à Stéphane. Un mec bien. Gentil, adorable, très respectueux, et à cheval sur la protection. Ça me ferait tellement de bien qu’il soit là à cet instant précis. Mais pourquoi il a fallu qu’il parte en Suisse ? Peut-être que s’il était resté sur Toulouse, à l’heure qu’il est je connaitrai le bonheur avec lui, au lieu de connaître ce malheur, ce désespoir.
Un autre Stéphane, ça existe ?
Ce matin, je repense également au silence de Thibault. Un silence que je trouve de plus en plus étrange.
Pendant des jours, j’ai cru que dans son silence il y avait de la discrétion, le respect de ma souffrance, et la conviction que si j’avais besoin de lui, je savais où le trouver.
Mais plus le temps passe, plus je commence à me dire qu’il y a peut-être autre chose derrière sa distance : je me dis que le bomécano est peut-être dépité de mon comportement ; il a dû être déçu de moi lorsqu’il a appris que j’ai frappé son pote en premier. Et il a raison d’être déçu de moi. Moi-même, je le suis.
J’ai frappé en premier, je n’ai aucune excuse. J’ai été violent, et son silence est la pire des sanctions : j’ai été violent et je ne mérite plus son estime, ni son amitié.
L’absence de Thibault ajoute encore de la souffrance à ma détresse. J’ai mal à l’idée de le perdre, lui aussi. Thibault est avant tout le meilleur pote du garçon qui me rend si malheureux ; mais c’est aussi un très bon pote, peut-être même, certainement même, mon meilleur pote.
Je voudrais lui envoyer un message mais je n’ose pas.
Et puis, une partie de moi est convaincue que le mieux à faire, c’est peut-être de couper les ponts avec le passé.
Dimanche 19 août 2001
C’est aujourd’hui que Philippe débarque enfin à l’appart ; il est toujours aussi charmant, dans son petit look étudiant à dévergonder, avec ses lunettes carrées plutôt classe, ses cheveux ondulés dans lesquels on a envie d’enfoncer les doigts et de caresser sans modération, sa barbe d’une semaine bien fournie et bien taillée ; vraiment un beau gars, et super gentil en plus.
Elodie est heureuse, et ça me fait vraiment plaisir pour elle. Le revers de la médaille, c’est que, du coup, elle est très accaparée par son homme, ce qui la rend automatiquement moins présente pour moi.
Nous avons passé une semaine collés serrés ; je crois que, à part les nuits, nous n’avons pas passé dix minutes l’un hors de la vue de l’autre. Et là, sans transition, je me retrouve à tenir la chandelle sous un parasol soudainement devenu trop petit.
Et même si j’adore ma cousine et j’apprécie bien son charmant Philippe, très vite je me rends compte que « je hais les couples qui me rappellent que je suis seul ». Je pense qu’on est nombreux à avoir un jour ressenti cette sensation, avant que, quelques années plus tard, une chanteuse n’ait l’inspiration de la chanter à haute voix et d’en faire un tube, ô combien bien vu.
Oui, j’adore Elodie, j’adore Philippe, je suis content pour eux ; pourtant, au bout d’un moment j’ai besoin d’air.
Je pars marcher seul et je finis par m’arrêter à un kiosque sur la plage pour prendre une boisson fraîche ; ainsi que pour chercher du réconfort en regardant une bande de potes en train de jouer au volley.
Mater du bogoss torse nu, les muscles bandés au gré des actions de jeu, les shorts de bain ondulant sur les cuisses, moulant les fesses, glissant parfois un peu sur les hanches ; m’abreuver de leur présence, de leur bonne humeur de potes en vacances qui m’apaise, me réconforte, m’amène loin, très loin ; tout en sirotant un soda bien frais assis à l’ombre d’un parasol en bord de plage : ça ressemble à un aperçu de l’entrée du Paradis. La vue d’une meute de bogoss sur la plage devient alors une sorte d’oasis passagère mais ô combien bienvenue, dans le désert infini de ma détresse.
Des grosses enceintes accrochées au toit en bambou du kiosque diffusent à toute puissance l’une des rengaines insipides de l’été. Lorsque le supplice sonore se termine, une rythmique inédite et puissante le remplace sans transition. Le son est intéressant, la mélodie me plaît d’entrée : la voix du DJ profite de l’intro instrumentale pour annoncer que le King est de retour. Ça, ça sonne à mon oreille comme une bonne nouvelle. Une nouvelle chanson, une nouvelle séquence dans une carrière musicale hors pairs ; comme une préfiguration du nouveau chapitre de ma vie qui n’attend qu’à être écrit.
Lorsque l’intro se termine, cette voix si connue sort enfin des enceintes et apporte à mon oreille des mots qui me parlent, qui me touchent, qui m’émeuvent :
My life… will never be the same/Ma vie… ne sera plus jamais la même
'Cause girl, you came and changed/Parce que chérie, tu es arrivée et tu as changé
The way I walk/Ma façon de marcher/The way I talk/Ma façon de parler
I cannot explain the things I feel for you/Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens pour toi
But girl, you know it's true/Mais chérie, tu sais que c'est la vérité
Stay with me, fulfill my dreams/Reste avec moi, réalise mes rêves
And I'll be all you'll need/Et je serai tout ce dont tu as besoin
Oui, le King est de retour ; ses mots parlent à ma détresse. Et sa voix, sa musique, tout comme les bogoss en train de jouer au volley de plage et mon soda bien frais, sont les ingrédients d’un petit bonheur capable de retarder pendant un instant ma rechute dans la détresse.
Je retrouve Elodie et Philippe en toute fin d’après-midi et nous rentrons à l’appart pour dîner.
Nous ressortons après, pour aller prendre un verre. On rigole bien, tous les trois ; enfin, surtout Elodie et Philippe ; moi, je me contente de faire bonne mine ; en réalité, je suis en train de rechuter. Tous les signes cliniques sont là : j’ai envie d’être seul ; j’ai envie de ruminer ma peine.
Alors, quand aux alentours de minuit ils ont annoncé leur envie de rentrer, j’ai prétexté une forme pétante et une envie soudaine de me balader un peu, beaucoup, pour mieux préparer mon sommeil.
C’est ce que je vais faire, marcher ; marcher sur le port, dans le village, jusqu’à la plage, m’imprégner de la douceur du soir, du son apaisant de la mer, du chant insouciant des cigales, de la présence de quelques bogoss ici et là.
Je marche pour tenter d’échapper à mes démons. Tentative vaine, ils me collent de près. Je n’arrête de penser à lui, ça vire à l’obsession. Ce soir, il me manque horriblement.
La nuit avance, la chaleur disparaît et une brise fraîche vient caresser ma peau ; l’heure tardive est propice aux réflexions, aux angoisses.
Je repense à mon bleu qui disparaît de jour en jour : bientôt, il n’en restera plus aucune trace. Tout comme il ne reste plus de traces, depuis plusieurs jours déjà, de son dernier passage en moi. Quelques jours encore, et ma chair ne gardera plus aucun souvenir de lui.
Alors, ça peut paraître idiot, mais désormais j’y tiens à ce bleu : ce qui est tout bonnement paradoxal.
J’ai envie de tout oublier de cette histoire, jusqu’à même oublier d’avoir été amoureux ; pourtant, je m’accroche à ce bleu, jusqu’à souhaiter qu’il ne disparaisse pas : ce bleu est le dernier contact que j’ai eu avec lui ; j’ai l’impression que du moment où il ne sera plus visible sur mon visage, mon dernier espoir qu’il vienne s’en excuser n’aura plus raison d’être.
Vraiment, ce soir il me manque horriblement. Les images de nos étreintes se bousculent dans ma tête… sa langue qui vient à l’assaut de la mienne… ses mots « Putain, je n’ai jamais joui aussi… »… sa main sur ma queue… le sentir revenir en moi, puis me branler juste pour me faire jouir ; ses doigts sur mes tétons, le toucher magique ; son beau sourire pendant toute cette semaine merveilleuse ; le bonheur de le regarder dormir ; le bonheur le prendre dans mes bras ; et lui faire des bisous…
Déchirante envie d’avoir le pouvoir de remonter le temps pour être avec lui encore, pour revenir à cette semaine magique ou tout était si beau, ou tout semblait possible ; remonter le temps pour tout changer, pour éviter les erreurs qui m’ont conduit là où je suis aujourd’hui, loin de lui ; remonter le temps pour faire l’amour avec lui, pour le voir me sourire et me taquiner comme il y a deux semaines. Remonter le temps pour trouver le moyen de le retenir.
Est-ce qu’il est encore sur Toulouse ou est-ce qu’il est déjà parti à Paris ?
Oui, ce soir il me manque horriblement. Ce soir, j’ai envie d’entendre sa voix ; je sais que ça va me faire plus de mal que de bien, mais j’en ai trop envie. J’ai besoin d’entendre sa voix pour tenter de comprendre s’il va bien ; et pour tenter de déceler un espoir ; j’ai besoin d’un espoir.
Heureusement, mon portable est resté à l’appart ; malheureusement, ma carte bleue est avec moi ; son 06 est gravé dans ma tête ; et je connais l’emplacement des cabines téléphoniques ; cabines qui ont en plus un avantage certain, celui de garantir l’anonymat de l’appelant.
Me voilà devant le petit clavier métallique. J’hésite longuement avant de me lancer. Je finis par taper les dix chiffres, les doigts tremblants, le cœur dans ma gorge ; les voir s’afficher sur le petit écran me donne le tournis.
Ça sonne. Je ne sens plus mes jambes, je suis obligé de m’appuyer contre la paroi vitrée. À chaque sonnerie, mon cœur a des ratés. Troisième sonnerie : je me dis que finalement je préférerais tomber sur son répondeur, juste entendre sa voix enregistrée, et raccrocher juste avant le bip.
Cinquième sonnerie, mon vœu semble en passe de se réaliser.
Pourtant, ça finit par décrocher.
« Oui ? ».
Et le timbre de sa voix de mec, au ton ferme, viril, un brin autoritaire, vient faire vibrer mon oreille ; et, avec elle, tant de cordes sensibles en moi.
Je ne veux pas lui parler. De toute façon, je ne peux pas, ma langue est nouée, mon cerveau paralysé.
Le secondes s’enchaînent, mon silence devient suspect.
« Allo ? » fait le bogoss, agacé.
Je sais que c’est le moment de raccrocher, avant de me faire envoyer chier. Pourtant, je n’arrive pas à m’y résoudre ; une partie de moi voudrait parler, lui dire que c’est moi, lui dire à quel point il me manque, à quel point je crève d’envie d’être avec lui. En attendant, mon silence finit par l’indisposer carrément.
« Alloooooo ? » il relance, déjà emporté.
Putain, qu’est-ce qu’il me manque… tout remonte en moi… une immense, douloureuse nostalgie pour ce Paradis Perdu… je vais encore chialer… je dois me retenir… je dois mettre fin à cette « conversation »… mais je n’en ai pas la force…
Mais lui, si. Une seconde plus tard, j’entends le clic du téléphone lointain qui vient de raccrocher, suivi par le son de la ligne coupée.
Je raccroche à mon tour, en larmes ; et je marche, je marche, je marche pour tenter de me calmer ; je marche jusqu’à l’épuisement.
Je rentre à l’appart vers 3 heures, je suis en miettes, le moral sous les semelles. Tout le monde est couché, le silence règne en maître : si les amoureux avaient envie de faire l’amour, c’est fait ; ils ont pu le faire sans avoir à se soucier de faire attention à ma présence dans la chambre d’à côté, et moi je n’ai pas eu à endurer ça, je n’ai pas eu à détester un peu plus ce couple qui me rappelle que je suis seul.
Lundi 20 août 2001
Le lendemain, j’évite de raconter l’écart « téléphonique » à ma cousine ; d’une part, je n’en suis pas vraiment fier, car ça n’a fait que raviver ma blessure ; d’autre part, je sais qu’elle me pourrirait, et à raison, et je n’ai franchement pas envie de me faire disputer ; de plus, elle a d’autres chats à fouetter que de s’occuper des comportements ridicules de son cousin : elle est très occupée à être heureuse.
Tellement occupée que je ressens de plus en plus fortement le besoin de faire équipe à part.
Je vais à la plage seul, avant qu’ils ne soient levés ; je me balade seul, alors qu’ils vont à la plage en amoureux.
J’ai besoin d’être seul, de ruminer seul, de pleurer seul.
C’est insupportable de penser que je ne le reverrai plus jamais. Que c’est fini pour de bon. Ma migraine est revenue de plus belle. Ma vie n’a plus de sens. La souffrance envahit chaque cellule de mon corps, chaque instant de mes journées, chaque neurone de mon cerveau… ma vie n’est plus que noirceur et détresse. Je n’en peux plus : il faut que cette douleur cesse, coûte que coûte.
Dans l’après-midi, je me décide à aller visiter le château de Gruissan ; et là, sur les ruines majestueuses de l’ancienne bâtisse, au-delà d’une fine barrière métallique bordant la falaise, mes idées se font soudainement très noires.
Une douce brise remonte et caresse ma peau : le vide a l’air si tentant.
Un pas, un seul pas Nico : tu enjambes la barrière, et tu fermes les yeux ; un pas encore, un tout dernier, et toute cette souffrance qui te déchire de l’intérieur et qui t’étouffe va cesser tout de suite et à tout jamais.
Il n’y a rien qui te retient, aucun bonheur ne te parait possible désormais… alors qu’il te suffit d’un petit saut pour ne plus rien ressentir, pour être en paix…
En réalité, oui, quelque chose me retient, non pas vis-à-vis de ma propre vie, mais vis-à-vis de celle des autres : c’est la peur de faire souffrir les gens qui m’aiment : maman, papa, Élodie, Thibault.
Je ne veux pas faire souffrir, je ne veux pas leur infliger ça ; même pas à celui qui m’a rendu si malheureux, je ne veux pas qu’il se sente coupable.
Je voudrais juste disparaître de cette terre d’un coup de baguette magique, sans laisser de trace, disparaître de la mémoire des gens qui m’ont connu, comme si je n’avais jamais existé.
Disparaître pour ne plus souffrir. Rêve impossible.
Alors, l’appel du vide est de plus en plus fort, sa promesse de plus en plus séduisante…
Si je fais ce pas, je vais occasionner une très grande peine à ceux qui restent, certes ; mais, au fond, une fois que je serai parti, leur souffrance ne sera plus mon problème : la souffrance peut rendre terriblement égoïste.
Mais est-ce que tu vas avoir les couilles de faire ça, Nico ?
Soudainement, un souvenir remonte à mon esprit, un souvenir qui revient du fin fond de mon enfance. J’avais genre 9-10 ans, lorsque j’ai vu une scène à la télé qui m’a marqué comme peu d’autres. Je n’ai jamais repensé à cette scène depuis, mais elle refait surface dans ma mémoire aujourd’hui, devant la falaise du château de Gruissan.
Les détails sont flous, il me semble que c’était un film d’animation réalisé dans un style naïf et épuré, en noir et blanc.
Dans la séquence, on voit un bonhomme à l’air complètement désespéré (sans que l’on connaisse les raisons de sa détresse) monter au dernier étage d’un building. Lorsqu’il arrive au sommet, le bonhomme regarde vers le bas et, après un instant d’hésitation, il se jette dans le vide.
L’immeuble est haut, et sa chute dure longtemps ; d’autant plus que, pas la magie de l’animation, sa vitesse de chute n’augmente pas de façon exponentielle, mais elle reste constante ; et, surtout, bien en déca des exigences de la gravité terrestre.
Alors, pendant sa chute « aménagée », le bonhomme voit défiler, fenêtre après fenêtre, étage après étage, des vies qui lui sont inconnues : à travers une fenêtre, il voit une belle femme qu’il a soudainement le regret de ne plus pouvoir connaître ; derrière une autre fenêtre, il voit des gens qui font la fête, et qui lui paraissent très sympathiques ; derrière une troisième, il voit un couple qui s’embrasse et qui a l’air heureux. Etage après étage, le bonhomme se surprend à envier les vies de toutes ces gens.
C’est ainsi que, d’abord déterminé dans son geste, à fur et à mesure que le sol approche, le bonhomme se sent de plus en plus assaillir par le doute et le regret.
Le sol approche inexorablement et en cet instant ultime, le bonhomme n’a plus du tout envie de mourir.
Ainsi, sa dernière pensée avant de se fracasser au sol, c’est le regret de quitter cette vie qui lui semble à nouveau belle, le regret d’avoir commis un geste qu’il considère finalement stupide.
Au final, le bonhomme termine sa vie en se trouvant stupide.
D’un geste brusque, je fais un pas en arrière.
Non, je ne dois pas céder aux sirènes de la falaise ; il faut des couilles, oui, pour se laisser tomber dans le vide ; mais il faut des couilles dix fois plus fortes pour tenir bon et continuer à avancer.
La falaise, c’est égoïste, la falaise c’est stupide. La falaise, c’est me priver de ce cadeau qu’est la vie.
Alors, si je fais un pas en arrière, ce n’est pas pour ne pas faire de la peine aux gens qui m’aiment ou parce que je n’ai pas les couilles ; si je fais un pas en arrière, c’est avant tout et par-dessus tout pour moi, pour moi, pour moi. Je mérite de vivre.
Et puis, peut-être qu’au fond de moi je sais déjà qu’un jour j’aurai envie de raconter cette histoire : si je pars, personne ne saura jamais ce que j’ai vécu avec mon horrible beau ténébreux. « Live to tell ».
If I ran away, I'd never have the strength/Si je fuis, c'est que je n'aurais jamais eu la force
To go very far/D'avancer vraiment
How would they hear the beating of my heart/Comment entendraient-ils le battement de mon cœur
(…) How will they hear/Comment entendront-ils
When will they learn/Quand apprendront-ils
How will they know/Comment sauront ils
Je viens tout juste de faire un pas en arrière, alors que j’entends le son de notification d’un sms.
La surprise qui m’attend est immense et elle m’émeut aux larmes.
Voilà un premier cadeau de la vie que je n’aurais pas pu recevoir si, une minute plus tôt, j’avais cédé à l’appel de la falaise.
« Hello, comment ça va le toulousain ? ».
Le bon message au bon moment. Ça, c’est du Stéphane tout craché.
Nous échangeons quelques messages, et il finit par m’appeler.
Le son de sa voix me fait du bien. Je me souviens de sa gentillesse, de sa maturité, de sa bienveillance, de sa sagesse ; je me souviens de l’amour avec lui, de sa douceur, de sa tendresse. J’ai tellement envie de le revoir.
« Comment va Gabin ? ».
Stéphane veut avoir de mes nouvelles. En quelques mots, je lui raconte les deux derniers mois de ma relation, depuis son départ, jusqu’au clash du 10 août, ce triste vendredi noir.
« Ça va aller, Nico ? ».
« C’est dur… ».
« Je pourrais te dire que je sais combien tu souffres, mais je mentirais… chaque souffrance, comme chaque amour, est unique… ».
« Je ne veux plus être amoureux de lui… ».
« Ça ne se commande pas ça… tu ne peux pas décider de ne plus aimer, même quelqu’un qui t’a blessé… Mais crois-moi, même si aujourd’hui cela te semble impossible, un jour tu oublieras ta rage et ta tristesse, et la vie te semblera à nouveau belle et pleine de promesses…
Tu dois regarder loin, au but que tu dois viser, celui d’être à nouveau heureux… chaque jour, fixe-toi des petites étapes, et veille à les atteindre… ce sont ces petits pas qui vont t’aider à avancer, sans te décourager devant l’énormité du chemin encore à parcourir pour atteindre ton objectif…
Aujourd’hui, tu as peut-être envie de ne rien ressentir… de ne plus jamais rien ressentir… mais te forcer à ne rien ressentir, pour ne plus souffrir... quel gâchis !
Si tu oublies la souffrance, tu oublieras aussi la joie que tu as éprouvée auparavant… et si tu oublies cette joie, ton cœur s’asséchera et tu n’auras rien à offrir aux rencontres que l’avenir t’offrira…
Lorsqu’on accepte de vivre sa vie, il faut l’accepter toute entière, et ne pas en retenir que ce qui est beau ou agréable. Ce qui est difficile, triste et dur fait aussi partie de la vie, les joies comme les peines : les unes sont indissociables des autres, elles sont même parfois les conséquences l’une de l’autre. On ne peut pas espérer l’amour sans avoir peur de souffrir et, surtout, sans accepter de souffrir. La vie est un tout, et il faut faire avec… ».
J’ai pleuré au téléphone, j’ai pleuré après avoir raccroché ; mais pour la première fois, ce ne sont pas que des larmes de souffrance, mais des larmes provoquées par le soulagement d’entrevoir enfin une petite lueur d’espoir au fond du tunnel sans fin de ma détresse.
Je suis tellement bouleversé par les mots de Stéphane que la nuit suivante je n’arrive pas à trouver le sommeil.
Il est trois heures du mat, je viens enfin de me coucher, lorsque mon téléphone émet un petit son de réception de message ; réflexe pavlovien, et mon cœur est à nouveau prêt à casser ma poitrine : au fond de moi, j’espère toujours que ce sera un message de lui ; une fois de plus, ce n’est pas le cas.
« Hey, tu bronzes, le veinard ? Mate pas trop les mâles sur la plage ! ».
C’est un message de Julien, l’adorable jeune loup blond.
Jeudi 23 août 2001, la veille du départ.
C’est décidé, demain nous allons quitter Gruissan et rentrer à Toulouse.
Ça va faire deux semaines que nous sommes partis : deux semaines depuis notre dispute, deux semaines que je ne l’ai pas vu. Deux semaines que j’attends un sms qui n’est jamais venu. Il m’a déjà oublié. Il est passé à autre chose : une nouvelle copine, une nouvelle vie. Je me demande s’il est toujours sur Toulouse ou s’il est déjà à Paris.
Quoi qu’il en soit, il n’y a plus de place pour moi dans sa nouvelle vie.
Alors, c’est peut-être que c’est lui qui a raison finalement : peut-être qu’il fallait tout casser, faire table rase du passé et repartir chacun vers son avenir propre. Oui, peut-être que finalement c’est mieux ainsi.
Deux semaines, rien que deux semaines ; pourtant, j’ai l’impression que ça fait un siècle que j’ai quitté Toulouse, comme si j’avais été carrément sur une autre planète. L’idée de rentrer au bercail me parait bizarre. Et angoissante.
Je réalise que je viens sans doute d’affronter la quinzaine la plus dure, la plus difficile, la plus éprouvante de ma vie : c’est aussi l’occasion de constater que, malgré tout, je suis toujours vivant ; mon bleu a pratiquement disparu de mon visage, ma migraine me laisse enfin du répit ; et mes larmes, aussi.
Je suis conscient que si j’ai pu passer ce cap sans faire des conneries, c’est parce que j’ai eu la chance d’être très bien entouré : la chance d’avoir une maman adorable, une cousine fantastique, des potes formidables comme Stéphane ou Julien… ou encore Thibault, si jamais j’arrive à le « retrouver ».
La chance d’être si bien écouté, compris, accepté, entouré, aimé.
La présence de toutes ces personnes bienveillantes autour de moi me rend plus fort. Grâce à elles, je ne suis pas seul.
C’est important, les amis : ce sont les seuls qui peuvent nous soutenir lorsque tout s’effondre autour de nous. C’est important d’être bien entouré. Sans mes amis, je ne sais pas où j’en serai aujourd’hui.
Elodie a été vraiment géniale : grâce à sa présence bienveillante, je e suis senti pris en charge, accompagné, soutenu, secoué ; et même si, sur la fin, la présence de Philippe a un peu changé la donne, je ne peux pas me plaindre.
Le fait de m’être retrouvé un peu plus seul, dans un deuxième temps, ça a été un mal pour un bien ; finalement, j’avais peut-être besoin d’être seul, pour me retrouver, pour entamer un travail de deuil qui ne peut être fait que par moi-même.
Je repense à ce moment de faiblesse devant la falaise et je me trouve vraiment idiot.
Combien de jeunes gays de 18 ans, découvrant leur sexualité, ont cette « chance » ? Combien de jeunes mettent fin à leurs jours, non pas parce qu’ils se sont faits largués, mais parce qu’ils sont harcelés, battus agressés dans la rue, rejetés, exclus par leur famille, au point que leur vie n’est en effet plus supportable, parce qu’ils ne peuvent compter sur personne ?
Mettre fin à ses jours ce n’est pas la bonne solution, même si ça peut le sembler dans un moment de désarroi : rien ne vaut ce geste, même pas face au chagrin le plus insupportable ; quant aux cons qui s’emploient à rendre insupportable la vie d’autrui, jamais, jamais, jamais, ô grand jamais, ils ne doivent gagner.
La fin d’un amour c’est un gâchis épouvantable ; mais il n’est pas plus grand gâchis que celui de ne pas découvrir ce que l’avenir nous réserve.
Malgré tout, je redoute le retour sur Toulouse et tout ce que cela implique en termes de choc émotionnel : je sais que je ne suis pas encore complètement guéri, loin de là ; je redoute les souvenirs qui vont venir à moi à l’instant où je vais retrouver les lieux familiers, cette ville, ses rues, cette maison, la chambre qui ont servi de décor à ce premier amour fini.
Une seule chose est capable de rendre l’idée de ce retour moins insupportable : c’est la perspective de retrouver ma maman, cette maman que j’adore et qui est désormais au courant.
Pendant le séjour à Gruissan, je l’ai eue régulièrement au téléphone : mais nous n’avons jamais reparlé de ce qui s’est passé ce jour-là. En, fait, je n’ai pas vraiment envie d’en reparler avec elle, j’ai surtout besoin de sentir sa présence, cet amour, cette bienveillance qui chauffe et soigne mes blessures.
Quand j’y pense, j’ai encore du mal à me dire que maman est désormais au courant. C’est une bonne chose qu’elle le soit, je ne regrette pas une seule seconde ; ce que je regrette, c’est le fait que mon coming out ne se soit pas du tout passé comme je l’avais imaginé ; qu’elle ait pu entendre les échos de notre dispute, qu’elle ait été confrontée à l’image du sang, des coups, de la violence ; je regrette les circonstances dans lesquelles elle a eu la confirmation de mon attirance pour les garçons.
Sur le moment, j’ai été triste pour elle, j’ai été inquiet qu’elle s’inquiète pour moi. Mais ma maman a des ressources incroyables, et elle très bien su gérer : c’est grâce à ses mots et ses gestes adorables et pleins d’amour qu’elle a su balayer mes inquiétudes, porter les tout premiers soins d’urgence à mon cœur blessé.
Oui, c’est une bonne chose que maman soit au courant.
Pourtant, et c’est quand même bizarre, je me sens presque nostalgique de ma vie d’avant, quand personne ne savait encore, ou du moins quand je pouvais penser que personne ne savait ; une vie qui me rendait malheureux, certes, mais qui recelait un « jardin secret » qui faisait partie de ma spécificité.
Je me suis construit dans la dissimulation, dans la peur que les parents, les amis ou les connaissances, apprennent qui j’étais vraiment ; mon secret, et la crainte qu’il soit découvert, sont devenus au fil du temps presque des raisons d’être.
Etre gay n’est pas ce qui me définit uniquement en tant que personne, mais ça en fait partie.
Vendredi 24 août 2001
Comme prévu c’est ce vendredi en début d’après-midi que nous quittons Gruissan et nous reprenons la route vers Toulouse.
Depuis deux semaines, après le déluge, j’ai pleuré jusqu’à en perdre toute énergie ; j’ai pleuré pour me délester de ma souffrance, j’ai pleuré pour oublier ; je repense à mon bleu sur le visage dont il ne reste presque plus rien : la distance et le temps m’ont fait du bien.
J’ai eu la chance de commencer ma vie sentimentale, et aussi de connaître mon premier grand chagrin d’amour, à une époque où la distance physique autorisait une véritable absence de l’autre, cette dernière étant un préalable nécessaire au deuil affectif.
C’était une époque où Facebook et Instagram n’existaient pas ; et puisqu’ils n’existaient pas, ils ne pouvaient pas se transformer, dans le cas d’une rupture, en funestes témoins de mondes perdus ; en vitrines, indécentes et impudiques, de nouvelles vies dont nous ne faisons plus partie ; en couteaux remuant sans cesse dans une plaie affective béante qui aura d’autant plus de mal à guérir ; en machines à alimenter la jalousie, à maintenir la souffrance, à annuler la distance mentale, rendant encore plus insupportable la distance physique et affective de l’autre ; en instruments interdisant au passé de devenir le passé, nous privant tout bonnement du salutaire et indispensable droit à oublier.
Alors, loin de lui, loin de tout, j’ai essayé de l’oublier. Je réalise soudainement que ça fait pile deux semaines aujourd’hui ; deux semaines depuis ce vendredi noir, depuis cette triste date du 10 août. Je me rends compte que, depuis deux semaines, je n’ai jamais prononcé son prénom. Elodie non plus, d’ailleurs.
Le seul écart commis, c’est ce maudit coup de fil que je n’ai pas pu m’empêcher de passer un soir de détresse aigue. Si seulement je pouvais oublier aussi les 10 chiffres de son portable. Hélas, j’ai trop la mémoire des chiffres. Mais je suis bien déterminé à ne plus jamais m’en servir. Et, avec un peu de chance, quand il sera à Paris, il en changera.
Au bout de ces deux semaines loin de tout, j’ai l’impression de retrouver un semblant de sérénité et d’équilibre ; enfin, de la résignation du moins.
La cité de Carcassonne fait son apparition sur notre gauche, embrasée par la couleur vive du soleil de l’après-midi.
Nous ne sommes plus qu’à 100 bornes de Toulouse.
Il me manque horriblement… est-il encore sur Toulouse ou est-il déjà parti à Paris ?
Un constat déchirant et un questionnement tout aussi angoissant : voilà ce qui tourne en boucle dans ma tête au réveil de la première nuit passée dans ma chambre.
Sentir en moi le besoin irrépressible d’aller le voir, coûte qui coûte : à Toulouse, ou à Paris…
Voir soudainement, violemment prendre forme en moi l’espoir désespéré de pouvoir rattraper ce qui s’est passé, l’espoir d’aller le voir et de trouver enfin le passage secret qui donne accès à son cœur, les mots qui sauront le toucher ; me dire que, peut-être, depuis deux semaines il a eu le temps et l’occasion de réfléchir, la distance aidant, de se rendre compte du gâchis qu’on est en train de commettre ; me dire que, peut-être il m’attend…
Mais non, il ne m’attend pas ; non, je ne peux pas aller à sa rencontre.
Il est en revanche une autre rencontre que je dois provoquer au plus vite : celle avec mon pote Thibault.
Car, plus j’y pense, plus je me dis que ce silence ne lui ressemble vraiment pas.
D’abord, parce que Thibault est un véritable ami, qui m’a toujours soutenu : s’il avait des choses à me reprocher, il ne se contenterait pas de me faire la gueule, mais il chercherait à savoir ce qui s’est vraiment passé.
Car Thibault n’est pas un mouton, ce n’est pas parce qu’il est fidèle en amitié, qu’il approuve toujours les comportements de son pote ; je ne pense pas qu’il l’aurait cru aveuglement si ce dernier avait essayé de m’adosser toute la faute de notre bagarre.
Non, ce silence, ce n’est vraiment pas son genre. Alors, de plus en plus, je me demande si vraiment le bomécano est au courant de ce qui s’est passé.
Demain je vais le voir, c’est décidé. S’il y a malaise, je tenterai de le dissiper ; et s’il y a autre chose derrière son silence, je serai fixé.
Nous venons de passer la sortie de Villefranche de Lauragais, la dernière avant le périf ; dans une demi-heure, je serai à la maison.
En passant le péage, l’angoisse m’envahit.
Philippe, à la place du passager, roupille paisiblement. J’ai envie de dire à Elodie de s’arrêter, de me laisser un peu de temps pour me préparer à ce retour.
Mon regard croise le sien dans le rétroviseur. L’inquiétude doit se lire en lettres de feu sur mon visage.
« Ca va aller, mon cousin ? ».
« Oui, ça va aller… ».
Sauf que non, ça ne va pas aller du tout.
Le périph’ défile trop vite ; de la même façon, trop vite, je retrouve les allées, les façades, le profil familier de la ville rose, la maison.
Malgré le grand sourire et les mots adorables avec lesquels maman vient m’accueillir, la vitesse à laquelle tout s’enchaîne m’est insupportable.
Elodie vient de partir, je monte dans ma chambre ; je m’assois sur le lit et d’un seul coup, un coup extrêmement violent, tout remonte en moi : les souvenirs, tant de souvenirs.
Je croyais avoir épuisé la source de mes larmes : je me trompais. Je croyais aussi être guéri de mon chagrin : je suis seul dans ma chambre et j’ai envie de crever.
Samedi 25 août 2001
Le t-shirt noir dépassant du zip largement ouvert de son bleu de travail couvert de cambouis, la tête sous le capot d’une jolie voiture de sport, Thibault a l’air très appliqué à sa tache. C’est émouvant de voir ce p’tit mec soigner toujours autant son travail.
L’heure est bien choisie : il est 17 heures et je sais qu’il ne va pas tarder à débaucher.
J’attends que le bomécano capte ma présence pour lui adresser un petit coucou. Un petit coucou qu’il me retourne, certes ; pourtant, ce beau sourire chaleureux et bienveillant auquel il m’a habitué, n’est pas de la partie.
Thibault referme le capot de la voiture, raccroche les outils au tableau, se nettoie les mains dans un essuietout déjà sale. Un instant plus tard, il approche de la grande porte du garage, en marchant droit dans ma direction.
Je traverse la route pour aller à sa rencontre.
Le bomécano a les mains et les avant-bras noirs, il a même des traces sur le visage : mais même couvert de cambouis de la tête aux pieds, il est beau, vraiment beau.
Pourtant, ses beaux yeux noisette tendant au vert ont l’air si tristes, si inquiets aujourd’hui.
« Salut Nico » fait-il, sans tenter la bise.
« Salut Thibault… ».
« Tu vas bien ? ».
« Oui… oui… et toi… ? ».
« Ça peut aller… » fait-il ; avant d’enchaîner, sur un ton empressé, impatient et inquiet : « dis-moi, Nico… tu as des nouvelles de Jéjé ? ».
Je sens les larmes monter en entendant le diminutif amical de ce prénom que je n’ai pas entendu depuis deux semaines ; alors que je suis abasourdi de l’entendre dégainer exactement la même question que j’ai moi-même envie de lui poser.
« Non… ça fait deux semaines que je ne l’ai pas vu… mais il n’est pas chez toi ? » je m’inquiète à mon tour.
« Ça fait plus d’une semaine que je ne l’ai pas vu… ».
« Et tu n’as aucune nouvelle depuis… une semaine ??? » j’angoisse.
« Tu m’attends deux minutes, Nico ? Je vais me laver et on va prendre un truc ensemble… ».
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Jusqu’à ce qu’un feu d’artifice dément n’explose dans ma tête : lorsque, à force de tâter et de tâtonner, le bogoss finit par trouver LE toucher et la cadence qui m’apportent LE frisson absolu : position des doigts, pression, toucher, coordination, cadence, tout est parfait…
Vendredi 17 août 2001, au réveil.
Oui, tout est parfait… à part le fait qu’un réveil en sursaut vient interrompre cette magnifique séquence à la saveur de déjà-vu. Enroulé dans mes draps, je suis en nage.
Il me faut un petit moment pour réaliser que je suis à Gruissan, et que j’y suis depuis une semaine. Putain, une semaine !!! Une semaine déjà.
Une poigné de secondes et tout me revient : notre dispute, mon coup, son coup, le bruit de la chair qui morfle ; des mots et des bruits qui me hantent ; maman qui débarque ; son nez en sang, son dernier regard plein de tristesse et de tourment, juste avant son départ.
Oui, son départ. La porte qui claque derrière lui : la dernière note, dure, sèche et dissonante de notre histoire. La sensation d’un gâchis sans nom qui m’arrache le cœur.
Alors, oui, le mien est un réveil en nage ; mais, aussi, un réveil en larmes.
J’attrape mon téléphone sur la table de nuit : toujours aucun message, de personne.
A chaque fois que je regarde l’écran vide de mon portable, c’est une nouvelle, cuisante déception ; une nouvelle confirmation du fait qu’il est passé à autre chose, qu’il m’a oublié, qu’il ne reviendra jamais vers moi ; que sa vie est ailleurs, sans moi. A chaque fois que je regarde l’écran vide, c’est comme si je me faisais quitter un peu plus encore.
Oui, il s’est déjà écoulé une semaine depuis ce vendredi noir, depuis cette triste date du 10 août, cette date qui me hante. Putain d’« anniversaires », si rapprochés, si douloureux juste après une rupture.
Même à Gruissan, mon sommeil est irrégulier, insuffisant, je passe des longues heures nocturnes à ruminer des images, des mots, des souvenirs ; même à Gruissan, je traîne une fatigue dont je n’arrive pas à me débarrasser. Et la migraine me guette à chaque fin de journée.
Depuis une semaine, je suis tellement sonné que je n’ai même pas ressenti le besoin de me branler.
Ce matin, à l’issue de ce maudit rêve, je ne suis pas plus en forme ; pourtant, malgré la tristesse et la désolation qui agissent en moi comme un poison, mon corps semble réclamer ces caresses et ces sensations qu’il a boudées depuis assez longtemps.
Alors, je me branle. Je me branle et je ressens instantanément l’envie violente, déchirante d’avoir sa queue entre mes lèvres, de sentir son gland contre ma langue, de tenir son plaisir dans ma bouche ; je me branle et je pense à ses giclées puissantes, à son goût de petit mec, si doux et si fort à la fois ; je me branle et je frémis dans mon entrejambe, dans mon ventre ; je me branle en écartant mes cuisses, en appelant ses coups de reins de toutes mes forces ; je me branle en pensant à sa petite gueule déformée par l’orgasme.
Et je jouis… je jouis en pensant à son plaisir, ce plaisir que je peux plus, que je ne pourrai plus jamais lui offrir ; ce plaisir, celui de le faire jouir, que je pourrai plus jamais m’offrir.
Lorsque je reviens à moi, je récupéré, étalé sur le matelas, épuisé. Je récupéré en me demandant avec qui il couche désormais, qui a la chance de le faire jouir aujourd’hui… c’est une nana ? Des nanas ? Un autre mec ? Qui fait-il couiner ? Est-ce qu’il a joui, hier soir ? Combien de fois a-t-il joui depuis vendredi dernier ? Comment prend-il son plaisir ? Est-ce qu’il fait des choses qu’il faisait avec moi ? En découvre-t-il d’autres ? Est-ce qu’il couche toujours avec capote, ou bien il a déjà franchi le pas de s’en passer ? A-t-il finalement trouvé ailleurs un plaisir plus grand que celui que j’étais capable de lui offrir ? Est-ce qu’elle – ou lui – se rend compte de la chance d’avoir ce petit Dieu, ce bogoss absolu, cette machine à sexe, dans son lit, dans sa bouche, dans son ventre ?
Ainsi, au sentiment de vide et de désolation, s’ajoute l’immense manque provoqué par l’absence de son corps. Chacune de mes cellules pleure ce manque : la douceur, l’odeur, la chaleur de sa peau ; l’harmonie et la puissance de ses muscles, l’étreinte de ses bras ; et, aussi, la nostalgie de ses regards doux et joueurs, de l’amour pendant la semaine magique ; notre merveilleuse entente sensuelle, notre parfaite complémentarité sexuelle ; son kif, mon kif, mon envie de lui faire plaisir, son envie de me faire plaisir ; nos plaisirs, de plus en plus incroyables ; notre complicité, de plus en plus détonante, avec pour point d’orgue cette pipe fabuleuse dans l’arrière-boutique de la brasserie.
J’ai envie de lui à en crever, et pourtant je sais que je ne l’aurai plus, plus jamais ; je vais devoir supporter l’horrible privation de ne plus l’avoir dans ma bouche, de ne plus le sentir frissonner sous ma langue, de ne plus connaître la puissance de ses giclées, et le goût de son jus ; mes mains, ma peau, ma bouche, mon nez, vont devoir renoncer au contact avec son corps ; je ne l’aurai plus jamais en moi, je ne le sentirai plus jamais coulisser en moi, je ne le verrai plus jamais jouir en moi, je n’aurais plus jamais sa semence en moi. C’est fini. Fini.
J’ai tout perdu : le mec dont j’étais fou amoureux et un mâle fabuleux au lit.
Quand je pense au plaisir sexuel que j’ai connu pendant des mois, j’ai envie de pleurer et de crier ; je me dis que plus jamais je ne retrouverai quelqu’un capable de me faire autant vibrer, de me baiser, de me faire l’amour de cette façon ; c’était trop bon avec lui, parce que c’était si libre, sans soucis.
J’ai pris un risque important avec lui, un risque que je n’aurais jamais dû prendre : coucher avec sans capote, depuis la toute première fois, ça n’a pas été très prudent. Non seulement je me suis laissé faire par ses envies, je me suis laissé porter par mes propres envies, par le désir déraisonnable que ce mec m’inspirait ; mais je lui faisais confiance, je croyais qu’il en valait la peine ; je croyais que tôt ou tard il ne serait qu’à moi.
Je lui ai offert mon corps comme il le voulait, parce que c’était lui. Je lui ai donné tout ce qu’il voulait, et plus encore. Je me sens trahi, humilié. Je regrette de m’être autant donné à lui.
Et maintenant, l’idée que quelqu’un d’autre va en profiter à ma place me rend fou de jalousie. J’ai l’impression qu’on me déchire de l’intérieur ; je me sens doublement humilié, trahi, meurtri. Quand je pense qu’il m’a baisé alors qu’il venait de coucher ailleurs, dans l’heure… le goût de sa queue qui a déjà joui remonte à mes narines et j’ai envie de vomir.
Certes, c’est moi qui a forcé la galipette… à la base, il ne venait que pour récupérer sa chaînette…
Mais comment il a osé me faire ça ? Coucher ailleurs… pourquoi ? Pourquoi ?
Et puisqu’il l’avait fait, il aurait dû être plus ferme, partir malgré mon insistance, ne pas me laisser le prendre en bouche : il pouvait se douter que j’allais comprendre, et que ça allait me faire horriblement mal ! Connard ! Sale connard ! J’ai tellement envie, tellement besoin de le haïr.
Pourtant, je pleure en m’avouant que je donnerais tout ce que je possède, et peut-être même le restant de mes jours, pour goûter une fois encore, une seule, à son corps, à sa queue, à son jus.
Pourtant, lorsque je repense aux trois mois qu’a duré notre relation, je me rends compte que ce qui fait le plus mal, ce que je regrette le plus, c’est de ne pas avoir pu partager grand-chose d’autre avec lui que des bonnes parties de sexe.
J’ai toujours cru que, malgré ses résistances, ses barrières, un jour nos envies profondes, nos attirances, nos besoins d’affection, de tendresse, d’amour, finiraient par se dévoiler l’un à l’autre, par se rencontrer : je me suis trompé : j’ai cru à un moment que je pourrais compter davantage à ses yeux que comme un simple cul à baiser : je me trompais là aussi.
J’aurais tant aimé qu’on ait pu apprendre à se découvrir, à se connaître. Je regrette de ne pas avoir su le mettre en confiance, de ne pas avoir eu les épaules nécessaires pour lui montrer que je pouvais être là pour lui, qu’il pouvait compter sur moi.
Il n’y a que Thibault qui a ce pouvoir vis-à-vis de lui.
Thibault qui m’avait pourtant donné des clés à ce sujet ; le bomécano m’avait appris que, derrière la façade de mec bien dans ses baskets, son pote était un garçon qui doutait de lui-même et qui avait besoin d’être rassuré.
Je regrette de ne pas avoir su utiliser ces éléments pourtant cruciaux.
À distance, facile de refaire le monde. Mais, concrètement, qu’est-ce que j’aurais pu faire pour m’approcher davantage de son cœur, ce cœur qui ne veut pas se laisser approcher ?
Il aurait fallu que je sois capable de me montrer prêt à le soutenir, sans qu’il ait l’impression d’être faible ; car c’est sans doute ce qu’il aurait aimé ressentir, la présence de quelqu’un qui l’aide à être en accord avec lui-même, à être lui tout simplement ; quelqu’un qui le rassure et qui l’aide à s’accepter.
J’ai essayé de lui faire comprendre à quel point je l’aime, à quel point j’ai besoin de lui ; j’ai même fini par le lui crier, en ce triste vendredi, alors qu’il venait de me dire qu’il voulait qu’on arrête tout ; j’ai aussi essayé de lui faire comprendre que je voulais être là pour lui, avec lui, et que je ne laisserais jamais tomber.
Il n’a jamais voulu de l’amour que j’avais à lui offrir, et encore moins du soutien que j’aurais voulu lui apporter : mes difficiles tentatives de lui faire comprendre que je tenais à lui et que je voulais partager avec lui autre chose que du sexe, n’ont fait que le braquer et le faire fuir.
D’ailleurs, même si parfois ses attitudes ont semblé dire le contraire, il a toujours affirmé qu’il n’y avait que du sexe entre nous.
Comment aurais-je pu le toucher davantage, alors ?
Soudainement, je repense au maillot que j’ai ramène de Londres. J’avais fondé de grands espoirs sur ce cadeau. J’avais voulu lui faire plaisir, j’avais imaginé mon plaisir de voir son regard s’illuminer lorsqu’il le recevrait.
J’avais imaginé ce maillot comme le départ d’une nouvelle complicité entre nous, en dehors du sexe ; une complicité qui aurait dû faire écho à cette nuit fantastique, l’une des rares que j’ai passées avec lui, la nuit après le départ de ce Romain levé au On Off ; cette nuit où, troublé par ce plan et par ce mec qui avaient violemment révélé sa jalousie vis-à-vis de moi, il m’avait demandé de rester dormir ; cette nuit où il s’était un peu ouvert à moi, sur le rugby, sur ce qui comptait dans sa vie, cette nuit magique où j’ai essayé de lui dire à quel point je tenais à lui.
Cette nuit-là, moment si rare, si unique, si précieux, une occasion en or pour lui parler : j’ai essayé, j’ai foiré ; je n’ai pas su le toucher, je n’ai pas su trouver les bons mots ; en tout cas, pas avant que son sommeil ne ferme définitivement la petite brèche qui s’était offerte à moi.
Alors, ce maillot, c’était la bonne façon de lui dire qu’il était bien plus pour moi qu’un magnifique étalon baiseur ; ce maillot aurait dû être la première chose que nous aurions « partagée » en dehors du sexe.
Lui offrir ce maillot, c’était lui offrir quelque chose qui était attaché à ce qui compte le plus dans sa vie, le rugby : je ne connaissais rien au rugby, je ne connaissais même pas Wilkinson avant d’entendre ce nom dans sa bouche, entouré de mots admiratifs ; ce maillot ne représentait rien, pour moi, à part un moyen de faire plaisir au garçon que j’aimais.
Et malgré tout, j’en suis certain, il a été qu’il a été touché par ce geste : je l’ai vu à ce regard enfantin et plein de passion qui a illuminé son visage pendant une fraction de seconde ; avant de se « ressaisir », et de refuser ce cadeau, comme pour refuser de créer un lien supplémentaire entre nous, au moment où justement il voulait couper tous les autres.
Mais bien sûr !!! Pourquoi je n’y ai pas pensé ??? Lui donner le maillot plus tôt, pendant la semaine magique, c’est ça que j’aurais dû faire ! Voilà une évidence qui éclate dans mon esprit avec la violence d’un douloureux regret.
Ça aurait été le moyen de créer un lien, à un moment où tout était peut-être possible… lui donner le maillot quand tout allait si bien entre nous… à ce moment-là, il l’aurait accepté avec joie… il aurait été heureux de le recevoir, sans réticences… il m’aurait remercié… j’aurais été heureux de le voir heureux comme un gamin… et le lien aurait été créé… et il aurait peut-être pu peser plus tard dans la balance de ses sentiments.
A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de lui donner le maillot ; ce qui m’a retenu, à chaque fois, c’est sans doute la peur stupide que ce cadeau, en tant que démonstration trop tangible de l’amour qui était le mien, ne l’« effraye » ; j’ai eu peur que ce cadeau, que cet amour ne le fassent fuir, qu’ils ne coupent la magnifique progression sur laquelle nous étions lancés.
Ce maillot, c’était quitte ou double. Il fallait juste oser prendre le risque. Je n’ai pas osé. Ou j’ai osé trop tard. Tant d’occasions ratées, comme autant d’actes manqués.
J’avais un atout dans mon jeu, je l’ai gaspillé.
Sur le coup, laisser le maillot à la brasserie me paraissait une bonne idée ; maintenant, à distance, j’ai l’impression d’avoir fait du forcing, de lui avoir mis un peu plus la pression en l’« obligeant » à accepter mon cadeau ; tout en rendant son patron « témoin » de tout cela.
Il est même probable que le fait de se voir remettre le paquet, « de la part de Nico », l’ait mis mal à l’aise, en rendant encore plus forte sa détermination à s’éloigner de moi.
Qu’est-ce que j’ai pu être idiot de m’imaginer qu’il enverrait un message pour me remercier, ou du moins pour me dire qu’il avait bien eu le maillot !
Samedi 18 août 2001
Ce matin je me réveille une fois de plus avec le moral dans les chaussettes.
J’attrape mon portable et je constate que l’écran est toujours vide.
Je comprends son silence. Il m’a oublié. Ou bien, il veut m’oublier. Il veut que je l’oublie.
Et maintenant ? Est-ce qu’il n’y a que la solitude devant moi ? Comment reprendre goût à la vie, après le déluge qui a tout détruit sur son passage ?
Sortir, rencontrer d’autres gars, réapprendre à faire confiance, tenter de deviner et de comprendre les sentiments de l’autre, faite gaffe de ne pas me faire avoir une autre fois, éviter à tout prix de souffrir encore ; coucher à nouveau, devoir me protéger, devoir me préoccuper des risques, avant de découvrir le plaisir d’autres corps : je n’arrive à envisager rien de tout ça. De toute façon, je ne sais même pas si je vais réussir à plaire. Mon corps peut-être, va plaire, pour une baise « à la Mourad ». Mais qui voudra d’une relation avec moi ? Qu’est-ce que j’ai réellement à offrir à un mec ?
Et qu’est-ce que les mecs ont à m’offrir ? Qui sont les gays ? Que recherchent-ils ? Comment fonctionnent-ils ? Est-ce qu’ils ne pensent tous qu’à tirer leur coup vite fait ? Comment être sûr de bien me protéger, de ne pas choper une saloperie ?
Soudainement, je repense à Stéphane. Un mec bien. Gentil, adorable, très respectueux, et à cheval sur la protection. Ça me ferait tellement de bien qu’il soit là à cet instant précis. Mais pourquoi il a fallu qu’il parte en Suisse ? Peut-être que s’il était resté sur Toulouse, à l’heure qu’il est je connaitrai le bonheur avec lui, au lieu de connaître ce malheur, ce désespoir.
Un autre Stéphane, ça existe ?
Ce matin, je repense également au silence de Thibault. Un silence que je trouve de plus en plus étrange.
Pendant des jours, j’ai cru que dans son silence il y avait de la discrétion, le respect de ma souffrance, et la conviction que si j’avais besoin de lui, je savais où le trouver.
Mais plus le temps passe, plus je commence à me dire qu’il y a peut-être autre chose derrière sa distance : je me dis que le bomécano est peut-être dépité de mon comportement ; il a dû être déçu de moi lorsqu’il a appris que j’ai frappé son pote en premier. Et il a raison d’être déçu de moi. Moi-même, je le suis.
J’ai frappé en premier, je n’ai aucune excuse. J’ai été violent, et son silence est la pire des sanctions : j’ai été violent et je ne mérite plus son estime, ni son amitié.
L’absence de Thibault ajoute encore de la souffrance à ma détresse. J’ai mal à l’idée de le perdre, lui aussi. Thibault est avant tout le meilleur pote du garçon qui me rend si malheureux ; mais c’est aussi un très bon pote, peut-être même, certainement même, mon meilleur pote.
Je voudrais lui envoyer un message mais je n’ose pas.
Et puis, une partie de moi est convaincue que le mieux à faire, c’est peut-être de couper les ponts avec le passé.
Dimanche 19 août 2001
C’est aujourd’hui que Philippe débarque enfin à l’appart ; il est toujours aussi charmant, dans son petit look étudiant à dévergonder, avec ses lunettes carrées plutôt classe, ses cheveux ondulés dans lesquels on a envie d’enfoncer les doigts et de caresser sans modération, sa barbe d’une semaine bien fournie et bien taillée ; vraiment un beau gars, et super gentil en plus.
Elodie est heureuse, et ça me fait vraiment plaisir pour elle. Le revers de la médaille, c’est que, du coup, elle est très accaparée par son homme, ce qui la rend automatiquement moins présente pour moi.
Nous avons passé une semaine collés serrés ; je crois que, à part les nuits, nous n’avons pas passé dix minutes l’un hors de la vue de l’autre. Et là, sans transition, je me retrouve à tenir la chandelle sous un parasol soudainement devenu trop petit.
Et même si j’adore ma cousine et j’apprécie bien son charmant Philippe, très vite je me rends compte que « je hais les couples qui me rappellent que je suis seul ». Je pense qu’on est nombreux à avoir un jour ressenti cette sensation, avant que, quelques années plus tard, une chanteuse n’ait l’inspiration de la chanter à haute voix et d’en faire un tube, ô combien bien vu.
Oui, j’adore Elodie, j’adore Philippe, je suis content pour eux ; pourtant, au bout d’un moment j’ai besoin d’air.
Je pars marcher seul et je finis par m’arrêter à un kiosque sur la plage pour prendre une boisson fraîche ; ainsi que pour chercher du réconfort en regardant une bande de potes en train de jouer au volley.
Mater du bogoss torse nu, les muscles bandés au gré des actions de jeu, les shorts de bain ondulant sur les cuisses, moulant les fesses, glissant parfois un peu sur les hanches ; m’abreuver de leur présence, de leur bonne humeur de potes en vacances qui m’apaise, me réconforte, m’amène loin, très loin ; tout en sirotant un soda bien frais assis à l’ombre d’un parasol en bord de plage : ça ressemble à un aperçu de l’entrée du Paradis. La vue d’une meute de bogoss sur la plage devient alors une sorte d’oasis passagère mais ô combien bienvenue, dans le désert infini de ma détresse.
Des grosses enceintes accrochées au toit en bambou du kiosque diffusent à toute puissance l’une des rengaines insipides de l’été. Lorsque le supplice sonore se termine, une rythmique inédite et puissante le remplace sans transition. Le son est intéressant, la mélodie me plaît d’entrée : la voix du DJ profite de l’intro instrumentale pour annoncer que le King est de retour. Ça, ça sonne à mon oreille comme une bonne nouvelle. Une nouvelle chanson, une nouvelle séquence dans une carrière musicale hors pairs ; comme une préfiguration du nouveau chapitre de ma vie qui n’attend qu’à être écrit.
Lorsque l’intro se termine, cette voix si connue sort enfin des enceintes et apporte à mon oreille des mots qui me parlent, qui me touchent, qui m’émeuvent :
My life… will never be the same/Ma vie… ne sera plus jamais la même
'Cause girl, you came and changed/Parce que chérie, tu es arrivée et tu as changé
The way I walk/Ma façon de marcher/The way I talk/Ma façon de parler
I cannot explain the things I feel for you/Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens pour toi
But girl, you know it's true/Mais chérie, tu sais que c'est la vérité
Stay with me, fulfill my dreams/Reste avec moi, réalise mes rêves
And I'll be all you'll need/Et je serai tout ce dont tu as besoin
Oui, le King est de retour ; ses mots parlent à ma détresse. Et sa voix, sa musique, tout comme les bogoss en train de jouer au volley de plage et mon soda bien frais, sont les ingrédients d’un petit bonheur capable de retarder pendant un instant ma rechute dans la détresse.
Je retrouve Elodie et Philippe en toute fin d’après-midi et nous rentrons à l’appart pour dîner.
Nous ressortons après, pour aller prendre un verre. On rigole bien, tous les trois ; enfin, surtout Elodie et Philippe ; moi, je me contente de faire bonne mine ; en réalité, je suis en train de rechuter. Tous les signes cliniques sont là : j’ai envie d’être seul ; j’ai envie de ruminer ma peine.
Alors, quand aux alentours de minuit ils ont annoncé leur envie de rentrer, j’ai prétexté une forme pétante et une envie soudaine de me balader un peu, beaucoup, pour mieux préparer mon sommeil.
C’est ce que je vais faire, marcher ; marcher sur le port, dans le village, jusqu’à la plage, m’imprégner de la douceur du soir, du son apaisant de la mer, du chant insouciant des cigales, de la présence de quelques bogoss ici et là.
Je marche pour tenter d’échapper à mes démons. Tentative vaine, ils me collent de près. Je n’arrête de penser à lui, ça vire à l’obsession. Ce soir, il me manque horriblement.
La nuit avance, la chaleur disparaît et une brise fraîche vient caresser ma peau ; l’heure tardive est propice aux réflexions, aux angoisses.
Je repense à mon bleu qui disparaît de jour en jour : bientôt, il n’en restera plus aucune trace. Tout comme il ne reste plus de traces, depuis plusieurs jours déjà, de son dernier passage en moi. Quelques jours encore, et ma chair ne gardera plus aucun souvenir de lui.
Alors, ça peut paraître idiot, mais désormais j’y tiens à ce bleu : ce qui est tout bonnement paradoxal.
J’ai envie de tout oublier de cette histoire, jusqu’à même oublier d’avoir été amoureux ; pourtant, je m’accroche à ce bleu, jusqu’à souhaiter qu’il ne disparaisse pas : ce bleu est le dernier contact que j’ai eu avec lui ; j’ai l’impression que du moment où il ne sera plus visible sur mon visage, mon dernier espoir qu’il vienne s’en excuser n’aura plus raison d’être.
Vraiment, ce soir il me manque horriblement. Les images de nos étreintes se bousculent dans ma tête… sa langue qui vient à l’assaut de la mienne… ses mots « Putain, je n’ai jamais joui aussi… »… sa main sur ma queue… le sentir revenir en moi, puis me branler juste pour me faire jouir ; ses doigts sur mes tétons, le toucher magique ; son beau sourire pendant toute cette semaine merveilleuse ; le bonheur de le regarder dormir ; le bonheur le prendre dans mes bras ; et lui faire des bisous…
Déchirante envie d’avoir le pouvoir de remonter le temps pour être avec lui encore, pour revenir à cette semaine magique ou tout était si beau, ou tout semblait possible ; remonter le temps pour tout changer, pour éviter les erreurs qui m’ont conduit là où je suis aujourd’hui, loin de lui ; remonter le temps pour faire l’amour avec lui, pour le voir me sourire et me taquiner comme il y a deux semaines. Remonter le temps pour trouver le moyen de le retenir.
Est-ce qu’il est encore sur Toulouse ou est-ce qu’il est déjà parti à Paris ?
Oui, ce soir il me manque horriblement. Ce soir, j’ai envie d’entendre sa voix ; je sais que ça va me faire plus de mal que de bien, mais j’en ai trop envie. J’ai besoin d’entendre sa voix pour tenter de comprendre s’il va bien ; et pour tenter de déceler un espoir ; j’ai besoin d’un espoir.
Heureusement, mon portable est resté à l’appart ; malheureusement, ma carte bleue est avec moi ; son 06 est gravé dans ma tête ; et je connais l’emplacement des cabines téléphoniques ; cabines qui ont en plus un avantage certain, celui de garantir l’anonymat de l’appelant.
Me voilà devant le petit clavier métallique. J’hésite longuement avant de me lancer. Je finis par taper les dix chiffres, les doigts tremblants, le cœur dans ma gorge ; les voir s’afficher sur le petit écran me donne le tournis.
Ça sonne. Je ne sens plus mes jambes, je suis obligé de m’appuyer contre la paroi vitrée. À chaque sonnerie, mon cœur a des ratés. Troisième sonnerie : je me dis que finalement je préférerais tomber sur son répondeur, juste entendre sa voix enregistrée, et raccrocher juste avant le bip.
Cinquième sonnerie, mon vœu semble en passe de se réaliser.
Pourtant, ça finit par décrocher.
« Oui ? ».
Et le timbre de sa voix de mec, au ton ferme, viril, un brin autoritaire, vient faire vibrer mon oreille ; et, avec elle, tant de cordes sensibles en moi.
Je ne veux pas lui parler. De toute façon, je ne peux pas, ma langue est nouée, mon cerveau paralysé.
Le secondes s’enchaînent, mon silence devient suspect.
« Allo ? » fait le bogoss, agacé.
Je sais que c’est le moment de raccrocher, avant de me faire envoyer chier. Pourtant, je n’arrive pas à m’y résoudre ; une partie de moi voudrait parler, lui dire que c’est moi, lui dire à quel point il me manque, à quel point je crève d’envie d’être avec lui. En attendant, mon silence finit par l’indisposer carrément.
« Alloooooo ? » il relance, déjà emporté.
Putain, qu’est-ce qu’il me manque… tout remonte en moi… une immense, douloureuse nostalgie pour ce Paradis Perdu… je vais encore chialer… je dois me retenir… je dois mettre fin à cette « conversation »… mais je n’en ai pas la force…
Mais lui, si. Une seconde plus tard, j’entends le clic du téléphone lointain qui vient de raccrocher, suivi par le son de la ligne coupée.
Je raccroche à mon tour, en larmes ; et je marche, je marche, je marche pour tenter de me calmer ; je marche jusqu’à l’épuisement.
Je rentre à l’appart vers 3 heures, je suis en miettes, le moral sous les semelles. Tout le monde est couché, le silence règne en maître : si les amoureux avaient envie de faire l’amour, c’est fait ; ils ont pu le faire sans avoir à se soucier de faire attention à ma présence dans la chambre d’à côté, et moi je n’ai pas eu à endurer ça, je n’ai pas eu à détester un peu plus ce couple qui me rappelle que je suis seul.
Lundi 20 août 2001
Le lendemain, j’évite de raconter l’écart « téléphonique » à ma cousine ; d’une part, je n’en suis pas vraiment fier, car ça n’a fait que raviver ma blessure ; d’autre part, je sais qu’elle me pourrirait, et à raison, et je n’ai franchement pas envie de me faire disputer ; de plus, elle a d’autres chats à fouetter que de s’occuper des comportements ridicules de son cousin : elle est très occupée à être heureuse.
Tellement occupée que je ressens de plus en plus fortement le besoin de faire équipe à part.
Je vais à la plage seul, avant qu’ils ne soient levés ; je me balade seul, alors qu’ils vont à la plage en amoureux.
J’ai besoin d’être seul, de ruminer seul, de pleurer seul.
C’est insupportable de penser que je ne le reverrai plus jamais. Que c’est fini pour de bon. Ma migraine est revenue de plus belle. Ma vie n’a plus de sens. La souffrance envahit chaque cellule de mon corps, chaque instant de mes journées, chaque neurone de mon cerveau… ma vie n’est plus que noirceur et détresse. Je n’en peux plus : il faut que cette douleur cesse, coûte que coûte.
Dans l’après-midi, je me décide à aller visiter le château de Gruissan ; et là, sur les ruines majestueuses de l’ancienne bâtisse, au-delà d’une fine barrière métallique bordant la falaise, mes idées se font soudainement très noires.
Une douce brise remonte et caresse ma peau : le vide a l’air si tentant.
Un pas, un seul pas Nico : tu enjambes la barrière, et tu fermes les yeux ; un pas encore, un tout dernier, et toute cette souffrance qui te déchire de l’intérieur et qui t’étouffe va cesser tout de suite et à tout jamais.
Il n’y a rien qui te retient, aucun bonheur ne te parait possible désormais… alors qu’il te suffit d’un petit saut pour ne plus rien ressentir, pour être en paix…
En réalité, oui, quelque chose me retient, non pas vis-à-vis de ma propre vie, mais vis-à-vis de celle des autres : c’est la peur de faire souffrir les gens qui m’aiment : maman, papa, Élodie, Thibault.
Je ne veux pas faire souffrir, je ne veux pas leur infliger ça ; même pas à celui qui m’a rendu si malheureux, je ne veux pas qu’il se sente coupable.
Je voudrais juste disparaître de cette terre d’un coup de baguette magique, sans laisser de trace, disparaître de la mémoire des gens qui m’ont connu, comme si je n’avais jamais existé.
Disparaître pour ne plus souffrir. Rêve impossible.
Alors, l’appel du vide est de plus en plus fort, sa promesse de plus en plus séduisante…
Si je fais ce pas, je vais occasionner une très grande peine à ceux qui restent, certes ; mais, au fond, une fois que je serai parti, leur souffrance ne sera plus mon problème : la souffrance peut rendre terriblement égoïste.
Mais est-ce que tu vas avoir les couilles de faire ça, Nico ?
Soudainement, un souvenir remonte à mon esprit, un souvenir qui revient du fin fond de mon enfance. J’avais genre 9-10 ans, lorsque j’ai vu une scène à la télé qui m’a marqué comme peu d’autres. Je n’ai jamais repensé à cette scène depuis, mais elle refait surface dans ma mémoire aujourd’hui, devant la falaise du château de Gruissan.
Les détails sont flous, il me semble que c’était un film d’animation réalisé dans un style naïf et épuré, en noir et blanc.
Dans la séquence, on voit un bonhomme à l’air complètement désespéré (sans que l’on connaisse les raisons de sa détresse) monter au dernier étage d’un building. Lorsqu’il arrive au sommet, le bonhomme regarde vers le bas et, après un instant d’hésitation, il se jette dans le vide.
L’immeuble est haut, et sa chute dure longtemps ; d’autant plus que, pas la magie de l’animation, sa vitesse de chute n’augmente pas de façon exponentielle, mais elle reste constante ; et, surtout, bien en déca des exigences de la gravité terrestre.
Alors, pendant sa chute « aménagée », le bonhomme voit défiler, fenêtre après fenêtre, étage après étage, des vies qui lui sont inconnues : à travers une fenêtre, il voit une belle femme qu’il a soudainement le regret de ne plus pouvoir connaître ; derrière une autre fenêtre, il voit des gens qui font la fête, et qui lui paraissent très sympathiques ; derrière une troisième, il voit un couple qui s’embrasse et qui a l’air heureux. Etage après étage, le bonhomme se surprend à envier les vies de toutes ces gens.
C’est ainsi que, d’abord déterminé dans son geste, à fur et à mesure que le sol approche, le bonhomme se sent de plus en plus assaillir par le doute et le regret.
Le sol approche inexorablement et en cet instant ultime, le bonhomme n’a plus du tout envie de mourir.
Ainsi, sa dernière pensée avant de se fracasser au sol, c’est le regret de quitter cette vie qui lui semble à nouveau belle, le regret d’avoir commis un geste qu’il considère finalement stupide.
Au final, le bonhomme termine sa vie en se trouvant stupide.
D’un geste brusque, je fais un pas en arrière.
Non, je ne dois pas céder aux sirènes de la falaise ; il faut des couilles, oui, pour se laisser tomber dans le vide ; mais il faut des couilles dix fois plus fortes pour tenir bon et continuer à avancer.
La falaise, c’est égoïste, la falaise c’est stupide. La falaise, c’est me priver de ce cadeau qu’est la vie.
Alors, si je fais un pas en arrière, ce n’est pas pour ne pas faire de la peine aux gens qui m’aiment ou parce que je n’ai pas les couilles ; si je fais un pas en arrière, c’est avant tout et par-dessus tout pour moi, pour moi, pour moi. Je mérite de vivre.
Et puis, peut-être qu’au fond de moi je sais déjà qu’un jour j’aurai envie de raconter cette histoire : si je pars, personne ne saura jamais ce que j’ai vécu avec mon horrible beau ténébreux. « Live to tell ».
If I ran away, I'd never have the strength/Si je fuis, c'est que je n'aurais jamais eu la force
To go very far/D'avancer vraiment
How would they hear the beating of my heart/Comment entendraient-ils le battement de mon cœur
(…) How will they hear/Comment entendront-ils
When will they learn/Quand apprendront-ils
How will they know/Comment sauront ils
Je viens tout juste de faire un pas en arrière, alors que j’entends le son de notification d’un sms.
La surprise qui m’attend est immense et elle m’émeut aux larmes.
Voilà un premier cadeau de la vie que je n’aurais pas pu recevoir si, une minute plus tôt, j’avais cédé à l’appel de la falaise.
« Hello, comment ça va le toulousain ? ».
Le bon message au bon moment. Ça, c’est du Stéphane tout craché.
Nous échangeons quelques messages, et il finit par m’appeler.
Le son de sa voix me fait du bien. Je me souviens de sa gentillesse, de sa maturité, de sa bienveillance, de sa sagesse ; je me souviens de l’amour avec lui, de sa douceur, de sa tendresse. J’ai tellement envie de le revoir.
« Comment va Gabin ? ».
Stéphane veut avoir de mes nouvelles. En quelques mots, je lui raconte les deux derniers mois de ma relation, depuis son départ, jusqu’au clash du 10 août, ce triste vendredi noir.
« Ça va aller, Nico ? ».
« C’est dur… ».
« Je pourrais te dire que je sais combien tu souffres, mais je mentirais… chaque souffrance, comme chaque amour, est unique… ».
« Je ne veux plus être amoureux de lui… ».
« Ça ne se commande pas ça… tu ne peux pas décider de ne plus aimer, même quelqu’un qui t’a blessé… Mais crois-moi, même si aujourd’hui cela te semble impossible, un jour tu oublieras ta rage et ta tristesse, et la vie te semblera à nouveau belle et pleine de promesses…
Tu dois regarder loin, au but que tu dois viser, celui d’être à nouveau heureux… chaque jour, fixe-toi des petites étapes, et veille à les atteindre… ce sont ces petits pas qui vont t’aider à avancer, sans te décourager devant l’énormité du chemin encore à parcourir pour atteindre ton objectif…
Aujourd’hui, tu as peut-être envie de ne rien ressentir… de ne plus jamais rien ressentir… mais te forcer à ne rien ressentir, pour ne plus souffrir... quel gâchis !
Si tu oublies la souffrance, tu oublieras aussi la joie que tu as éprouvée auparavant… et si tu oublies cette joie, ton cœur s’asséchera et tu n’auras rien à offrir aux rencontres que l’avenir t’offrira…
Lorsqu’on accepte de vivre sa vie, il faut l’accepter toute entière, et ne pas en retenir que ce qui est beau ou agréable. Ce qui est difficile, triste et dur fait aussi partie de la vie, les joies comme les peines : les unes sont indissociables des autres, elles sont même parfois les conséquences l’une de l’autre. On ne peut pas espérer l’amour sans avoir peur de souffrir et, surtout, sans accepter de souffrir. La vie est un tout, et il faut faire avec… ».
J’ai pleuré au téléphone, j’ai pleuré après avoir raccroché ; mais pour la première fois, ce ne sont pas que des larmes de souffrance, mais des larmes provoquées par le soulagement d’entrevoir enfin une petite lueur d’espoir au fond du tunnel sans fin de ma détresse.
Je suis tellement bouleversé par les mots de Stéphane que la nuit suivante je n’arrive pas à trouver le sommeil.
Il est trois heures du mat, je viens enfin de me coucher, lorsque mon téléphone émet un petit son de réception de message ; réflexe pavlovien, et mon cœur est à nouveau prêt à casser ma poitrine : au fond de moi, j’espère toujours que ce sera un message de lui ; une fois de plus, ce n’est pas le cas.
« Hey, tu bronzes, le veinard ? Mate pas trop les mâles sur la plage ! ».
C’est un message de Julien, l’adorable jeune loup blond.
Jeudi 23 août 2001, la veille du départ.
C’est décidé, demain nous allons quitter Gruissan et rentrer à Toulouse.
Ça va faire deux semaines que nous sommes partis : deux semaines depuis notre dispute, deux semaines que je ne l’ai pas vu. Deux semaines que j’attends un sms qui n’est jamais venu. Il m’a déjà oublié. Il est passé à autre chose : une nouvelle copine, une nouvelle vie. Je me demande s’il est toujours sur Toulouse ou s’il est déjà à Paris.
Quoi qu’il en soit, il n’y a plus de place pour moi dans sa nouvelle vie.
Alors, c’est peut-être que c’est lui qui a raison finalement : peut-être qu’il fallait tout casser, faire table rase du passé et repartir chacun vers son avenir propre. Oui, peut-être que finalement c’est mieux ainsi.
Deux semaines, rien que deux semaines ; pourtant, j’ai l’impression que ça fait un siècle que j’ai quitté Toulouse, comme si j’avais été carrément sur une autre planète. L’idée de rentrer au bercail me parait bizarre. Et angoissante.
Je réalise que je viens sans doute d’affronter la quinzaine la plus dure, la plus difficile, la plus éprouvante de ma vie : c’est aussi l’occasion de constater que, malgré tout, je suis toujours vivant ; mon bleu a pratiquement disparu de mon visage, ma migraine me laisse enfin du répit ; et mes larmes, aussi.
Je suis conscient que si j’ai pu passer ce cap sans faire des conneries, c’est parce que j’ai eu la chance d’être très bien entouré : la chance d’avoir une maman adorable, une cousine fantastique, des potes formidables comme Stéphane ou Julien… ou encore Thibault, si jamais j’arrive à le « retrouver ».
La chance d’être si bien écouté, compris, accepté, entouré, aimé.
La présence de toutes ces personnes bienveillantes autour de moi me rend plus fort. Grâce à elles, je ne suis pas seul.
C’est important, les amis : ce sont les seuls qui peuvent nous soutenir lorsque tout s’effondre autour de nous. C’est important d’être bien entouré. Sans mes amis, je ne sais pas où j’en serai aujourd’hui.
Elodie a été vraiment géniale : grâce à sa présence bienveillante, je e suis senti pris en charge, accompagné, soutenu, secoué ; et même si, sur la fin, la présence de Philippe a un peu changé la donne, je ne peux pas me plaindre.
Le fait de m’être retrouvé un peu plus seul, dans un deuxième temps, ça a été un mal pour un bien ; finalement, j’avais peut-être besoin d’être seul, pour me retrouver, pour entamer un travail de deuil qui ne peut être fait que par moi-même.
Je repense à ce moment de faiblesse devant la falaise et je me trouve vraiment idiot.
Combien de jeunes gays de 18 ans, découvrant leur sexualité, ont cette « chance » ? Combien de jeunes mettent fin à leurs jours, non pas parce qu’ils se sont faits largués, mais parce qu’ils sont harcelés, battus agressés dans la rue, rejetés, exclus par leur famille, au point que leur vie n’est en effet plus supportable, parce qu’ils ne peuvent compter sur personne ?
Mettre fin à ses jours ce n’est pas la bonne solution, même si ça peut le sembler dans un moment de désarroi : rien ne vaut ce geste, même pas face au chagrin le plus insupportable ; quant aux cons qui s’emploient à rendre insupportable la vie d’autrui, jamais, jamais, jamais, ô grand jamais, ils ne doivent gagner.
La fin d’un amour c’est un gâchis épouvantable ; mais il n’est pas plus grand gâchis que celui de ne pas découvrir ce que l’avenir nous réserve.
Malgré tout, je redoute le retour sur Toulouse et tout ce que cela implique en termes de choc émotionnel : je sais que je ne suis pas encore complètement guéri, loin de là ; je redoute les souvenirs qui vont venir à moi à l’instant où je vais retrouver les lieux familiers, cette ville, ses rues, cette maison, la chambre qui ont servi de décor à ce premier amour fini.
Une seule chose est capable de rendre l’idée de ce retour moins insupportable : c’est la perspective de retrouver ma maman, cette maman que j’adore et qui est désormais au courant.
Pendant le séjour à Gruissan, je l’ai eue régulièrement au téléphone : mais nous n’avons jamais reparlé de ce qui s’est passé ce jour-là. En, fait, je n’ai pas vraiment envie d’en reparler avec elle, j’ai surtout besoin de sentir sa présence, cet amour, cette bienveillance qui chauffe et soigne mes blessures.
Quand j’y pense, j’ai encore du mal à me dire que maman est désormais au courant. C’est une bonne chose qu’elle le soit, je ne regrette pas une seule seconde ; ce que je regrette, c’est le fait que mon coming out ne se soit pas du tout passé comme je l’avais imaginé ; qu’elle ait pu entendre les échos de notre dispute, qu’elle ait été confrontée à l’image du sang, des coups, de la violence ; je regrette les circonstances dans lesquelles elle a eu la confirmation de mon attirance pour les garçons.
Sur le moment, j’ai été triste pour elle, j’ai été inquiet qu’elle s’inquiète pour moi. Mais ma maman a des ressources incroyables, et elle très bien su gérer : c’est grâce à ses mots et ses gestes adorables et pleins d’amour qu’elle a su balayer mes inquiétudes, porter les tout premiers soins d’urgence à mon cœur blessé.
Oui, c’est une bonne chose que maman soit au courant.
Pourtant, et c’est quand même bizarre, je me sens presque nostalgique de ma vie d’avant, quand personne ne savait encore, ou du moins quand je pouvais penser que personne ne savait ; une vie qui me rendait malheureux, certes, mais qui recelait un « jardin secret » qui faisait partie de ma spécificité.
Je me suis construit dans la dissimulation, dans la peur que les parents, les amis ou les connaissances, apprennent qui j’étais vraiment ; mon secret, et la crainte qu’il soit découvert, sont devenus au fil du temps presque des raisons d’être.
Etre gay n’est pas ce qui me définit uniquement en tant que personne, mais ça en fait partie.
Vendredi 24 août 2001
Comme prévu c’est ce vendredi en début d’après-midi que nous quittons Gruissan et nous reprenons la route vers Toulouse.
Depuis deux semaines, après le déluge, j’ai pleuré jusqu’à en perdre toute énergie ; j’ai pleuré pour me délester de ma souffrance, j’ai pleuré pour oublier ; je repense à mon bleu sur le visage dont il ne reste presque plus rien : la distance et le temps m’ont fait du bien.
J’ai eu la chance de commencer ma vie sentimentale, et aussi de connaître mon premier grand chagrin d’amour, à une époque où la distance physique autorisait une véritable absence de l’autre, cette dernière étant un préalable nécessaire au deuil affectif.
C’était une époque où Facebook et Instagram n’existaient pas ; et puisqu’ils n’existaient pas, ils ne pouvaient pas se transformer, dans le cas d’une rupture, en funestes témoins de mondes perdus ; en vitrines, indécentes et impudiques, de nouvelles vies dont nous ne faisons plus partie ; en couteaux remuant sans cesse dans une plaie affective béante qui aura d’autant plus de mal à guérir ; en machines à alimenter la jalousie, à maintenir la souffrance, à annuler la distance mentale, rendant encore plus insupportable la distance physique et affective de l’autre ; en instruments interdisant au passé de devenir le passé, nous privant tout bonnement du salutaire et indispensable droit à oublier.
Alors, loin de lui, loin de tout, j’ai essayé de l’oublier. Je réalise soudainement que ça fait pile deux semaines aujourd’hui ; deux semaines depuis ce vendredi noir, depuis cette triste date du 10 août. Je me rends compte que, depuis deux semaines, je n’ai jamais prononcé son prénom. Elodie non plus, d’ailleurs.
Le seul écart commis, c’est ce maudit coup de fil que je n’ai pas pu m’empêcher de passer un soir de détresse aigue. Si seulement je pouvais oublier aussi les 10 chiffres de son portable. Hélas, j’ai trop la mémoire des chiffres. Mais je suis bien déterminé à ne plus jamais m’en servir. Et, avec un peu de chance, quand il sera à Paris, il en changera.
Au bout de ces deux semaines loin de tout, j’ai l’impression de retrouver un semblant de sérénité et d’équilibre ; enfin, de la résignation du moins.
La cité de Carcassonne fait son apparition sur notre gauche, embrasée par la couleur vive du soleil de l’après-midi.
Nous ne sommes plus qu’à 100 bornes de Toulouse.
Il me manque horriblement… est-il encore sur Toulouse ou est-il déjà parti à Paris ?
Un constat déchirant et un questionnement tout aussi angoissant : voilà ce qui tourne en boucle dans ma tête au réveil de la première nuit passée dans ma chambre.
Sentir en moi le besoin irrépressible d’aller le voir, coûte qui coûte : à Toulouse, ou à Paris…
Voir soudainement, violemment prendre forme en moi l’espoir désespéré de pouvoir rattraper ce qui s’est passé, l’espoir d’aller le voir et de trouver enfin le passage secret qui donne accès à son cœur, les mots qui sauront le toucher ; me dire que, peut-être, depuis deux semaines il a eu le temps et l’occasion de réfléchir, la distance aidant, de se rendre compte du gâchis qu’on est en train de commettre ; me dire que, peut-être il m’attend…
Mais non, il ne m’attend pas ; non, je ne peux pas aller à sa rencontre.
Il est en revanche une autre rencontre que je dois provoquer au plus vite : celle avec mon pote Thibault.
Car, plus j’y pense, plus je me dis que ce silence ne lui ressemble vraiment pas.
D’abord, parce que Thibault est un véritable ami, qui m’a toujours soutenu : s’il avait des choses à me reprocher, il ne se contenterait pas de me faire la gueule, mais il chercherait à savoir ce qui s’est vraiment passé.
Car Thibault n’est pas un mouton, ce n’est pas parce qu’il est fidèle en amitié, qu’il approuve toujours les comportements de son pote ; je ne pense pas qu’il l’aurait cru aveuglement si ce dernier avait essayé de m’adosser toute la faute de notre bagarre.
Non, ce silence, ce n’est vraiment pas son genre. Alors, de plus en plus, je me demande si vraiment le bomécano est au courant de ce qui s’est passé.
Demain je vais le voir, c’est décidé. S’il y a malaise, je tenterai de le dissiper ; et s’il y a autre chose derrière son silence, je serai fixé.
Nous venons de passer la sortie de Villefranche de Lauragais, la dernière avant le périf ; dans une demi-heure, je serai à la maison.
En passant le péage, l’angoisse m’envahit.
Philippe, à la place du passager, roupille paisiblement. J’ai envie de dire à Elodie de s’arrêter, de me laisser un peu de temps pour me préparer à ce retour.
Mon regard croise le sien dans le rétroviseur. L’inquiétude doit se lire en lettres de feu sur mon visage.
« Ca va aller, mon cousin ? ».
« Oui, ça va aller… ».
Sauf que non, ça ne va pas aller du tout.
Le périph’ défile trop vite ; de la même façon, trop vite, je retrouve les allées, les façades, le profil familier de la ville rose, la maison.
Malgré le grand sourire et les mots adorables avec lesquels maman vient m’accueillir, la vitesse à laquelle tout s’enchaîne m’est insupportable.
Elodie vient de partir, je monte dans ma chambre ; je m’assois sur le lit et d’un seul coup, un coup extrêmement violent, tout remonte en moi : les souvenirs, tant de souvenirs.
Je croyais avoir épuisé la source de mes larmes : je me trompais. Je croyais aussi être guéri de mon chagrin : je suis seul dans ma chambre et j’ai envie de crever.
Samedi 25 août 2001
Le t-shirt noir dépassant du zip largement ouvert de son bleu de travail couvert de cambouis, la tête sous le capot d’une jolie voiture de sport, Thibault a l’air très appliqué à sa tache. C’est émouvant de voir ce p’tit mec soigner toujours autant son travail.
L’heure est bien choisie : il est 17 heures et je sais qu’il ne va pas tarder à débaucher.
J’attends que le bomécano capte ma présence pour lui adresser un petit coucou. Un petit coucou qu’il me retourne, certes ; pourtant, ce beau sourire chaleureux et bienveillant auquel il m’a habitué, n’est pas de la partie.
Thibault referme le capot de la voiture, raccroche les outils au tableau, se nettoie les mains dans un essuietout déjà sale. Un instant plus tard, il approche de la grande porte du garage, en marchant droit dans ma direction.
Je traverse la route pour aller à sa rencontre.
Le bomécano a les mains et les avant-bras noirs, il a même des traces sur le visage : mais même couvert de cambouis de la tête aux pieds, il est beau, vraiment beau.
Pourtant, ses beaux yeux noisette tendant au vert ont l’air si tristes, si inquiets aujourd’hui.
« Salut Nico » fait-il, sans tenter la bise.
« Salut Thibault… ».
« Tu vas bien ? ».
« Oui… oui… et toi… ? ».
« Ça peut aller… » fait-il ; avant d’enchaîner, sur un ton empressé, impatient et inquiet : « dis-moi, Nico… tu as des nouvelles de Jéjé ? ».
Je sens les larmes monter en entendant le diminutif amical de ce prénom que je n’ai pas entendu depuis deux semaines ; alors que je suis abasourdi de l’entendre dégainer exactement la même question que j’ai moi-même envie de lui poser.
« Non… ça fait deux semaines que je ne l’ai pas vu… mais il n’est pas chez toi ? » je m’inquiète à mon tour.
« Ça fait plus d’une semaine que je ne l’ai pas vu… ».
« Et tu n’as aucune nouvelle depuis… une semaine ??? » j’angoisse.
« Tu m’attends deux minutes, Nico ? Je vais me laver et on va prendre un truc ensemble… ».
L’épisode complet sur jerem-nico.com
Jérém&Nico, premier livre à paraître en juillet 2018.
Format papier, au prix de 30 euros
Format pdf + epub (format liseuses), au prix de 15 euros
Sur www.tipeee.com/jerem-nico-s1
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