Chroniques pénitentiaires d'une rebelle 3

- Par l'auteur HDS Sappho -
Récit érotique écrit par Sappho [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
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Récit libertin : Chroniques pénitentiaires d'une rebelle 3 Histoire érotique Publiée sur HDS le 05-04-2021 dans la catégorie Entre-nous, les femmes
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Chroniques pénitentiaires d'une rebelle 3
3 De surprise en surprise
Cinquième jour d’incarcération, rien ne différenciait le dimanche de la semaine en préventive, qu’en sera-t-il au pénitencier ? Réveil à 7 heures et demi, je me sens proche d’une délicieuse impression de grasse matinée. Perception du linge, draps et tenues, on a une heure, deux fois plus de temps qu’en semaine, pour nous laver puis nettoyer la cellule. La matonne se montre de mauvais poil, ça doit la faire chier d’être de service au lieu de profiter d’une grasse matinée, un mec l’attend peut-être dans le petit logement de fonction fourni par l’administration.
– Seules les gradées mariées habitent à l’extérieur, les autres ont des heures et des jours de sortie autorisée, quartier libre comme à l’armée. Surveillant pénitentiaire n’est pas le job le plus cool au monde, ni le mieux rémunéré, la plupart n’ont pas eu le choix après le lycée.
Froide devant les autres, Christelle se montre charitable entre nous, sensible malgré sa formation de commissaire de police. Les horreurs qu’elle a supportées pendant toutes ces années à la brigade criminelle de la préfecture de police de Paris l’ont humanisée, j’aurais imaginé le contraire. Elle est née en 2020 au domicile familial pour raison de confinement, se rendre à l’hosto représentait un risque au mois d’avril de cette année-là. Une sage-femme libérale a fait le travail, plaisanterie mise à part, c’était facile dans un milieu favorisé.
Je ne suis pas seule à apprendre de nos discussions, la lecture des livres interdits à la fac m’a ouvert les yeux. Les différents confinements jusqu’à l’annonce de la découverte d’un vaccin saisonnier puis d’un traitement efficace, le président de l’époque en était à son deuxième mandat, réélu en grande partie à cause de la peur collective entretenue par le gouvernement ; certains soupçonnèrent des scientifiques d’avoir retardé sur ordre la divulgation de leurs avancées. Plusieurs centaines de millions de morts, directement ou indirectement liés au coronavirus, la plupart dans les pays défavorisés, ça en arrangeait quelques uns de par le monde.
Réalité ou théorie du complot ? Personne ne le saura jamais. Par contre, la volonté du président de rendre à la France, non pas sa grandeur morale, plutôt une place de choix sur les marchés internationaux, guida sa politique. Sitôt réélu, il n’hésita pas à sacrifier un modèle social considéré trop protecteur pour privilégier le capitalisme à outrance, gouvernant par ordonnances au mépris de la démocratie. Les pays riches et émergeants suivirent le mouvement, tous unis derrière l’argent roi, l’humanité perdit une fois encore l’occasion de se choisir un avenir meilleur.
Le déverrouillage automatique de la porte coupe court à des réflexions que j’ai peur de perdre. Dehors, j’aurais pris des notes ; ici, demander la permission d’écrire suffirait à me rendre suspecte, on ne m’a pas interdit l’accès à la bibliothèque dans le but de ménager mes méninges après trois années de fac. Christelle a repéré quelques ouvrages intéressants, une lettrée peut déchiffrer entre les lignes une certaine prise de conscience, du moins une étincelle. Je ne me bats pas seule, la révolution est en marche, à ma sortie dans cinq ans...
– Fais la gueule ou marre-toi, mais ne montre jamais aux autres que tu réfléchis, c’est une marque de faiblesse derrière les barreaux.
La remarque de Christelle est logique ; de son côté, elle a déjà retrouvé la froideur qui la caractérise hors de la cellule. Je choisis la première option, la seconde me paraît hors de portée ce matin.

De la brioche maison facile à cuisiner, un coût de revient minime qui ne grève pas le budget, c’est dimanche. Les discussions dépassent le stade des murmures sans jamais tomber dans l’excès, on se croirait presque au restaurant universitaire où les étudiantes auraient choisi de s’attifer d’une même combinaison rouge. Certaines se servent du rab de café ou de lait au distributeur près duquel deux matonnes ont élu domicile, d’autres changent de table après avoir évacué leur plateau sur le tapis roulant surveillé de près, les couverts en plastique sont comptés à chaque repas. La sécurité avant tout, en toute circonstance, c’est la base ici.
Des affinités mises de côté en semaine, quand les places sont attribuées par cellule, se révèlent. Des amitiés nouées sur place ont évolué, des mains se croisent, des corps se cherchent, se frôlent, s’apprivoisent. L’administration pénitentiaire s’en accommode par intérêt, certainement pas par générosité, personne n’empêchera jamais les êtres humains d’éprouver des sentiments ni de chercher à les exprimer. Les surveillantes ont l’ordre de laisser faire dans la mesure où rien ne trouble la tranquillité du bloc A ; mieux vaut voir les détenues baiser que faire des conneries. Un virage à 180° que j’aurais pu mentionner dans ma thèse de fin d’étude.
La petite blondinette arrivée vendredi peine à trouver ses marques, ses codétenues la tolèrent à leur table, règlement oblige ; mais rien ne les force à lui adresser la parole, les chaises laissées libres autour d’elle témoignent d’une mise à l’écart. Malheureusement, la pauvre est moins solide que ma codétenue satisfaite de son isolement. L’histoire de la récidiviste du vol à l’étalage provoque les moqueries de tout le bloc ou presque ; une troisième présentation au tribunal des délits mineurs devient un crime puni de cinq ans fermes. Elle devait le savoir après deux séjours en maison de redressement, seule une abrutie se permet d’ignorer les avertissements, et personne ne veut se montrer proche d’une imbécile.
– C’était son choix de se faire choper, son père la maltraitait.
Demander à Christelle de dévoiler sa source d’information romprait le charme, je me contente d’écouter les révélations faites sur le ton de la confidence.
– Le salaud est sous-préfet de la Loire Atlantique, personne n’a osé lui chercher des poux dans la tête quand sa fille a voulu porter plainte, tu t’en doutes.
Bien sûr, tant qu’un politique navigue dans les sens du courant, il reste intouchable, encore une raison de vouloir une révolution.
– La pauvre va se faire bouffer toute crue ici.
Le sourire sans joie de Christelle démontre que j’ai raison, Laval à l’autre bout de la table l’a remarquée, on dirait un fauve guettant sa proie. Ne plus être la cible privilégiée de la prédatrice du bloc A me rassure à peine ; d’abord, rien ne prouve que cette salope ne reviendra pas à la charge après avoir obtenu ce qu’elle veut de la nouvelle. Et merde, je ne vais pas rester simple spectatrice comme les autres. Le pied de ma codétenue sous la table me rappelle à l’ordre.
– Laisse tomber, à moins que tu te moques des conséquences, ça ne la protègera pas pour autant. Laval va y aller mollo, les surveillantes interviendraient.
Profiter d’une pauvre fille au prétexte de la protéger, c’était déjà aller trop loin pour moi, la toubib n’est peut-être pas la seule à jouir de sa position. Pourtant, malgré une apparente froideur, Christelle bout d’intervenir.
– C’est bon, soupire-t-elle fataliste, je vais m’en occuper. Toi, tu restes en dehors de cette histoire. J’ai ta parole ?
Mon sourire la rassure à peine. Pourquoi ? Je suis sincère, elle devrait le savoir. La promiscuité imposée amène la complicité, on arrive à se comprendre avec un minimum de mots.

Les portes des cellules resteront déverrouillées jusqu’au repas du soir, les détenues peuvent se déplacer à leur guise sous l’œil indiscret des caméras. Le dimanche après-midi est aussi le moment des visites tant attendues, j’assiste de ma couchette au va-et-vient dans la coursive. Profiter du rez-de-chaussée transformé en salle de jeux, faire semblant d’aller bien quand ma petite sœur me manque ? Très peu pour moi. J’ai hâte d’arriver à demain, de noyer ma solitude dans le tourbillon du boulot, ma haine du système se nourrit de l’ennui. Ma codétenue patiente sur son pieu, silencieuse, les yeux dans le vague. Comment fait-elle ? L’habitude sans doute.
– Vous êtes prête, Maillard ? Il y a du boulot qui nous attend.
J’ouvre les yeux, la surveillante en chef se tient à l’entrée de la cellule, droite, froide, les bras croisés durcissent son attitude bien qu’elle soit la seule à vouvoyer les détenues. Christelle se lève, un léger sourire en coin montre qu’elle patiente depuis tout à l’heure. Je m’attendais à ce qu’elle reçoive une autre visite que celle-là. Trouver du plaisir à se voir attribuer une corvée me dépasse, surtout un dimanche, le seul jour où les matonnes sont censées nous foutre la paix. Au moins, ça nous fera un nouveau sujet de discussion à son retour.
– Elle a envie d’écrire à sa petite sœur, c’est possible ?
La voix délicate, presque suppliante, de ma codétenue m’amuserait en de meilleures circonstances. Quelle comédienne ! La matonne hésite un instant, puis extirpe un drôle de petit tube de sa poche, en fait une clé qui ouvre un panneau dans la cloison au-dessus de la table. Un clavier d’ordinateur s’abaisse, laissant apparaître un petit écran incrusté. Je pensais que le trou servait à maintenir un stylo au bout d’une chaînette, comme la brosse à dent au-dessus du lavabo.
– On lit tout ce que vous écrivez, Marvault, pas de connerie, et inutile de chercher, aucune connexion Internet. L’enregistrement se fait automatiquement, relevez le clavier jusqu’au clic quand vous aurez fini, l’administration enverra la lettre en votre nom. Par contre, je dois verrouiller la cellule.
– Merci madame.
La formule de politesse fait partie des règles, je n’ai aucune envie de rater l’occasion de communiquer avec ma petite sœur pour une connerie largement évitable. Ce qui compte, c’est de parvenir à mes fins.

La fermeture de la porte, le pourquoi de la disparition de ma codétenue, plus rien n’a d’importance sauf écrire, maintenir le lien. Le beau-père ne s’occupe jamais du courrier à la maison, il ne saura rien, maman est assez maligne pour garder le secret, à condition de le vouloir. D’abord quelques lignes à son intention, je tiens à lui dire qu’elle ne doit pas se sentir coupable de ce qui est arrivé, à moi d’assumer mes erreurs, de tirer les leçons de tout ça. J’espère que mes conneries ne vont pas compliquer sa vie, qu’elle me pardonnera un jour.
Je n’en pense pas un mot, évidemment. Ces balivernes sont destinées à l’amadouer pour obtenir des nouvelles de mon adorable Manon. Une chieuse comme toutes les gamines de 10 ans le sont avec leurs grandes sœurs, irrésistible quand elle fait semblant de bouder, si mignonne avec ses bouclettes brunes, les charmantes fossettes qui mettent son sourire entre parenthèses, un caractère fort semblable au mien. Je me souviens du jour où, toute petite, elle s’est glissée à la place de mes vêtements dans la valise que je devais emmener en camp de vacances, un sacré souvenir de l’époque insouciante qui a suivi le divorce des parents. On se tirera ensemble à sa majorité.
On s’en sortait bien toutes les trois, papa payait la pension alimentaire, maman avait un bon travail. Bien sûr, j’aurais accepté qu’elle tombe amoureuse d’un homme gentil, j’aurais expliqué la situation à Manon. Mais là ! Comment ignorer que son nouveau mec participe au système pourri mis en place par le pouvoir central, que son seul plaisir est d’engranger des millions au mépris de la classe ouvrière qu’il exploite sans vergogne, un profiteur de la pire espèce capable de balancer sa propre belle-fille. Son fric ne lui servira à rien le jour du jugement.
Balancer des excuses bidons pour faire passer ma lettre ? Aucune importance, l’heure de la vengeance sonnera dans cinq piges, ma fierté est ailleurs. Je me réjouis à l’idée de tromper ma mère malgré les sentiments qui nous unissent, davantage encore que les garces du personnel administratif chargées de censurer le courrier pour l’administration pénitentiaire. Jamais on ne me transformera en mouton obéissant, plutôt mourir ; mais pas avant d’avoir assisté au réveil des forces vives du pays, de voir les assassins de la démocratie traduits en justice, surtout d’avoir assuré un avenir digne à Manon, et à toutes les petites sœurs.

L’absence de Christelle n’a soulevé aucune question au réfectoire, la surveillante en chef a certainement prévenu ses collègues de service ; quant aux autres détenues, elles ont mangé comme si la situation était normale, comme si une disparition n’avait rien de suspect. Merde ! Quelle corvée peut exiger autant de temps ? Un accident ? La rouquine de l’infirmerie en aurait parlé. J’ai grignoté seule au bout de la table sans que Laval, occupée à lorgner sur la nouvelle, ne profite de l’aubaine.
Maigre consolation, la sensation de solitude s’intensifie dans la cellule, au point de ne pas oser me déshabiller. J’attends devant la télé sans savoir quel programme tient tête au silence. Mon esprit en surchauffe échafaude des hypothèses plus ou moins farfelues, de la mutation de Christelle dans un autre secteur à la volonté de durcir les conditions de détention d’une opposante politique. J’ai peur d’être éliminée ou poussée au suicide. C’est quoi le pire ?
– Bonsoir ma belle.
Enfin ! Le verrouillage de la porte dans son dos résonne joliment à mes oreilles, une musique douce ce soir, l’existence reprend un cours normal, même si l’expression est un peu vide de sens ici. Ma codétenue se pose avec difficulté sur la chaise à moins d’un mètre de ma couchette, les yeux sombres me dévisagent, ça me rappelle le soir de mon arrivée, sauf que là, elle est complètement saoule. Pourquoi, et surtout comment c’est possible ? Christelle hausse des épaules en souriant, son flair d’enquêtrice a senti mon questionnement intérieur.
– Je l’aide à préparer le concours d’entrée à l’école de police judiciaire, c’est difficile vu le niveau d’études générales des surveillantes. Bref ! une chose en entraînant une autre... Pas besoin de te demander de garder le secret.
Inutile en effet, j’ai appris à fermer ma gueule ; au fait, l’avertissement concerne les autres matonnes ou aussi les détenues ? Peu importe, on doit pouvoir se faire confiance, le pacte du silence est signé.
– Tu as pu faire quelque chose pour la nouvelle ?
La combinaison de Christelle tombe à ses pieds, puis elle s’avachit près de moi dans une position équivoque. Je ne la savais pas exhibitionniste, à condition de pouvoir connaître quelqu’un au bout de cinq jours. Peut-être que la taule, ou l’enfermement en général, développe l’intuition.
– La surveillante en chef va essayer de faire remonter l’information. Ça prendra du temps, des semaines, sans garantie de résultat. Ne te fais aucune illusion, Laval sait se montrer persuasive quand l’enjeu l’intéresse vraiment. Une gamine de 18 ans dans un pénitencier, c’est une tentation exceptionnelle, on ne peut pas avoir plus jeune. À quatre mois près, elle était jugée au tribunal des mineurs.
Ma vision de la jeunesse à seulement deux ans de plus se heurte à la réalité du milieu carcéral, la plupart des relations s’inscrivent dans le mode dominante-dominée dont les deux parties tirent un avantage. Même les prédatrices doivent donner de leur personne, leur statut en dépend, et elles ont peut-être plus à perdre que les supposées proies. Ça ne suffit pas à rendre Laval sympathique pour autant.
– Tu vas te pieuter habillée ?
L’haleine chargée de Christelle me rappelle quelques beuveries mémorables à la fac d’Angers, les réjouissances entre potes, l’insouciance, la liberté. Maintenant qu’elle est rentrée, je peux aller prendre une douche, sa présence me rassure. Ne serait-ce pas déjà une forme de soumission ?

Le ronronnement du séchoir automatique s’arrête, dire que cette invention de la fin du 20ème siècle était destinée aux mains dans les toilettes publiques, la qualité de l’air pulsé rassure le plus timbré des écolos aujourd’hui. Christelle, que je pensais endormie sur ma couchette, se redresse ; tant mieux, il y aurait eu un sacré poids mort à déplacer. Une fois encore, son regard brillant me rappelle l’épisode malheureux sous la douche, un accident ? Je me glisse sous le drap, à peine rassurée.
– Tu ne te couches pas ?
– Bientôt, après.
Merde, après quoi ? Le calme devient angoissant, j’attends l’extinction des lumières à 22 heures, impatiente de trouver refuge dans le noir. Dehors, le printemps prend ses marques à travers la lucarne que je fixe dans l’espoir d’échapper à l’emprise mentale de ma codétenue, de l’inciter à rejoindre sa couchette. Les nuits restent supportables sans la climatisation, un temps idéal pour squatter dans le jardin de la maison familiale, après avoir pris la précaution de débrancher l’arrosage automatique... Oh non ! Christelle envoie valser le drap.
– Qu’est-ce que tu fais !
L’autre soir quand j’ai voulu la caresser pour la remercier, elle m’a repoussée, son fantasme est peut-être de se masturber en me regardant. Qu’elle le dise alors ! Je saurai m’y habituer, faire avec. Le voyeurisme, il y a pire comme déviance sexuelle. Là, c’est l’angoisse. La présence des caméras ne suffit pas à me rassurer.
– Chut, profite.
Profiter de quoi ! Je n’ai pas envie de coucher avec une nana, encore moins avec une femme en âge d’être ma mère, c’est dégueu. Elle s’empare de mes seins, les couvre de baisers brûlants, les malaxe trop violement à mon goût. Je devine son sexe sur ma cuisse à travers le drap, le va-et-vient lancinant. Qu’on en finisse, je déniche son clitoris à l’aveugle, le regard toujours rivé à la lucarne. Ne pas voir, ne pas penser à ce que je suis en train de faire ; demain, ma codétenue aura retrouvé sa lucidité. Sa mouille imprègne enfin le drap.

– Oublie, c’est nul.
Mes efforts n’ont servi à rien sauf à me filer une foutue crampe au poignet, Christelle se laisse tomber lourdement près de moi en soupirant. Je la sens frustrée, vulnérable, attendrissante, elle pose la tête sur mon épaule. Pourtant, le plus déstabilisant est sans doute ma déception personnelle, l’amertume de ne pas avoir été à la hauteur me fout en rogne, c’est complètement dingue, le monde à l’envers. Je flatte sa joue d’un doigt distrait histoire de la rassurer un peu.
– Ça arrive, on essaiera plus tard.
Son souffle apaisé, Christelle sombre dans l’inconscience du sommeil, rattrapée par l’abus d’alcool. Il y a bien longtemps que je n’ai pas passé la nuit avec une copine, depuis le lycée. Et encore, on ne pensait qu’à dormir. Aucun problème, les matonnes sont au courant du moindre de nos faits et gestes de toutes façons, nous trouver dans le même pieu demain sera à peine une surprise. Et moi, je me fiche de ce qu’elles pensent. Extinction de la lumière, la tension nerveuse retombe enfin, l’envie de dormir brouille mes pensées, seule l’image de ma sœur fait de la résistance.

Je rêve que je rêve, ça pourrait être marrant, c’est plutôt déstabilisant. La conscience s’impose au réveil d’habitude, dans le flou d’un souvenir dont les détails s’estompent parfois trop vite. Je rêve que je fais l’amour, enfin presque, « on » me fait l’amour, du moins « on » me prépare. Aucun doute malgré le noir total, une présence entre mes cuisses me fait du bien. Ça change, les mecs veulent toujours qu’on les suce, ils sont moins nombreux à nous rendre la politesse. Pourvu que le plaisir arrive, ou je vais me réveiller comme une conne, mal à l’aise.
« Ouvre les yeux ! » Ma conscience travaille aussi la nuit ? Bizarre. Christelle a foutu le camp, sans doute retournée dans son lit. Je rêve que je me réveille maintenant, car j’ai l’habitude de dormir sur le côté, non sur le dos. La présence insiste entre mes cuisses au lieu de se dissiper, la sensation devient... Oh la vache ! C’est bon. Continue, surtout ne t’arrête pas, imagine que je dors encore. C’est le cas ? Peut-être. À chaque fois que j’ai cru prendre du plaisir comme ça, le mec n’a pensé qu’au sien en me fourrant sa bite dans le minou.
Christelle, non, pas elle ! Se faire lécher par une femme, par ma codétenue en plus, dans la cellule qu’on partage, mon pire cauchemar devient réalité. Je hume l’air à pleins poumons pour trouver la force de la repousser. Je dois me libérer de cette étreinte au plus vite, avant de succomber à la montée d’un plaisir toxique, lui faire comprendre que cette relation ne mène nulle part.
Deux mains autoritaires s’égarent sur mes seins, moins violentes que la première fois, avec juste assez de fermeté pour soumettre ma volonté. La garce sait que je ne dors plus, que je ne peux pas m’enfuir, que l’excitation me pousse au contraire à accepter ses caresses. Oh cette langue à l’entrée de mon vagin, dedans, dehors, dedans, merveilleuse sensation de plénitude.
Le plaisir monte, improbable, indomptable, inconnu, Christelle le sent. Je me touche, fébrile, pour lui donner l’impression de participer. La réaction est immédiate, l’air me manque, je mords ma main pour cacher ce maudit orgasme indépendant de ma volonté. Pourquoi le corps dit oui quand la tête affirme le contraire ? La jouissance me cloue sur la couchette, une vague odeur douce-amère flatte mes narines. Et la langue dedans, dehors, dedans, insensible au bouleversement.
Christelle lèche ma vulve maintenant, prolongeant la redescente, je ne l’imaginais pas experte en relations sexuelles lesbiennes. Ses doigts ont libéré mes tétons, elle se contente de caresser mes seins avec une tendresse amoureuse, l’odeur de l’étreinte flotte dans l’air. Je m’attends à sentir monter la bile, écœurée par mon abandon ; rien, sinon un étrange bien-être, une sensation de plénitude aussi inconnue qu’incompréhensible. Je n’arrive même pas à être en colère.
Pourtant, je me déteste d’avoir joui, un putain de pied dont je ne voulais pas. Les besoins du corps ont été plus forts que la voix de la sagesse dans ma tête, l’horreur c’est ma réaction, ce besoin de relativiser. Le bonheur de sa langue en moi reste intact, son désir de m’offrir un deuxième voyage aussi. Non ! Pas question de succomber encore, je m’efforce de la repousser cette fois. Déçue ou heureuse, impossible de savoir à cause de la pénombre, Christelle se lève. J’aurai préféré qu’elle reste dormir avec moi, tant pis.

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