HIVERNAGE
Récit érotique écrit par Emile [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 28-04-2012 dans la catégorie Entre-nous, les femmes
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HIVERNAGE
Pendant deux heures elle n'avait pensé qu'a cette émotion quasi charnelle lorsque au lever du jour elle apercevrait "son" premier paysage de montagne enchâssé dans un somptueux manteau neigeux. Au détour de la route c'est fait! Les champs tout prés et la montagne au loin se sont habillés pour l'hiver: océan de pureté dans le rougeoiement du matin. Aux confins du plateau de Millevaches, entre Sioule et Dordogne, ces ombres et lumières si particulières mettent en relief les formes érodées du massif des monts Dore. Elles rendent presque agressif le sommet du Sancy dont la bonhomie et la rondeur rassurent à toute autre heure.
Lucie, qui se remet lentement de sa longue déprime automnale, ne peut résister longtemps à l'envie de profiter plus encore de cet instant. Elle arrête son véhicule au sommet d'une courte côte sur un dégagement immaculé, vestige d'une ancienne et élégante courbe de la route, bordée d'une haie vive sinueuse toute de blanc vêtue. L'engin patine dans la neige fraîche avant de s'arrêter presque brutalement dans un crissement caractéristique. Moteur coupé, Lucie en descend le plus silencieusement qu'elle peut pour ne pas troubler la quiétude de la nature.
Elle reste là, pétrifiée, le cerveau en désordre. Les souvenirs se bousculent comme si l'émotion esthétique faisait resurgir de lointaines sensations. Tout l'automne n'a été qu'une lente et laborieuse introspection. Ses mariages ratés, ses échecs amoureux, ont laissé de profondes stigmates dans son âme. Elle a longuement revécu ces moments difficiles. Elle est remontée dans le temps jusqu'à celui de la pré-adolescence où son dressage de "garçon manqué" par ce père psychologue aussi affectueux que manipulateur l'a laissée habitée de pulsions contradictoires. Son regard parfois étrange, la recherche d'effleurements et certains contacts intimes avaient laissé des traces. Il avait gâché cette agréable complicité des moments privilégiés où ensemble ils bricolaient, dégustaient un vin de Bourgogne ou recherchaient des girolles. Sa rupture avec lui l'an passé, lors de son départ à la retraite dans la propriété familiale du Morvan, était devenue nécessaire. Cela ne résout nullement les questions de fond. Est-il, comme certains l'affirment, un pervers? Jusqu'où les relations semi-incestueuses qu'il lui a imposées l'ont elle précipitée dans un rapport névrotique à toute relation amoureuse. Quel rôle celui-ci a-t-il joué dans l'aggravation de la maladie mentale de sa soeur et dans les relations rivales et tumultueuses avec son frére? Autant de questions sans réponse! Lucie s'impose un court moment de relaxation adossée à la voiture puis lève les yeux.
La beauté du site l'angoisse autant qu'elle la ravit. Elle profite de cet instant de calme pour scruter les paysages alentour. Un écureuil traverse à grands bonds son champ de vision dans un silence ouaté. En contrebas de la route, des empreintes de pas conduisent vers un inquiétant bâtiment noir et mafflu, que l'on devine couvert de lauzes. L'absence de toute autre trace de vie l'intrigue. Des marques légères dans la neige, sans doute celles des pieds d'un enfant, sont orientées vers l'édifice. Celui qui les a faites ne peut qu'y avoir disparu ou, dans le cas contraire, il n'a laissé aucune trace de son retour. Toute à ses questions, Lucie rejoint sa voiture et se munit d'une paire de jumelles.
C'est ainsi, après une longue traque, qu'elle aperçoit, assise sur un banc de granit et appuyée au mur de ce qui s'avère être une grange, une forme humaine vêtue de noir qui semble dormir. Inquiète, imaginant le pire, elle se décide à aller s'enquérir de l'état de santé de celui qu'elle vient de localiser. En s'approchant à pied, elle découvre une minuscule silhouette androgyne, chaudement lovée dans une combinaison de ski, immobile mais bien vivante, l'oeil fixé sur l'horizon: une adolescente sans doute! A ses pieds est posé un gigantesque sac à dos. De plus près la sensation d'être en présence d'une femme d'une quarantaine d'années au physique puéril s'impose. Quelques rides naissantes, de légères pattes d'oie, contredisent l'aspect enfantin du personnage. A l'arrivée de Lucie, elle se lève brutalement et empoigne son sac avec une énergie et une élégance du geste qui dément son apparence gracile. Sans un mot, sans un regard, comme dans un réflexe de peur, l'inconnue la contourne et se dirige d'un pas ferme vers la route. Lucie se surprend à trouver beau ce personnage sorti de nulle part qui intrigue autant qu'il émeut.
Grâce à sa petite taille il échappe à la vue de notre héroïne en sautant le talus. C'est à ce moment que Lucie décide de revenir vers son véhicule. A son retour elle s'étonne de n'entrevoir personne. Elle découvre enfin l'inconnue, assise sur le siège avant, ceinture mise, son sac sur les genoux. Elle démarre sans un mot. Quelques austères et granitiques traversées de villages plus tard, elle essaie de lier la conversation sans poser la moindre question. Rien ne fait dévier celle-ci de son mutisme. Elle semble effrayée par toute rencontre et se raidit dés que la voiture ralentit à proximité d'autres usagers de la route ou de maisons. A aucun moment son visage ne s'éclaire, pas même lorsque, en quittant la haute vallée de la Dordogne la montagne apparaît sous cet aspect bleuté qui ne sied qu'à elle. Les deux femmes semblent intimidées l'une par l'autre, vaguement méfiantes.
C'est également sans un mot, tout juste dans un hochement de tête, que l'inconnue accepte la collation qui lui est offerte au café des arts de La Bourboule. Lucie en profite pour la regarder plus attentivement. Son visage est fin et presque rond, son nez court, ses oreilles légèrement décollées; ses yeux d'un bleu limpide contrastent avec ses cheveux assez sombres. Ses mains courtes et fines rappellent l'impression laissée par ses pieds menus. La vivacité de ses gestes laisse penser qu'il s'agit d'une personne habituée à prendre des décisions. En même temps elle laisse paraître une fébrilité: marque d'un tempérament anxieux ou d'un traumatisme récent. C'est rapidement, le regard perdu, son blouson boutonné jusqu'au col, qu'elle engloutit son frugal repas. Lorsque sa compagne part faire quelques courses, elle l'attend immobile, rongée d'inquiétude. Elle reste ainsi sagement assise devant une tasse de thé, sous l'oeil intrigué des autres consommateurs. Quand Lucie regagne sa voiture, elle l'accompagne à nouveau, d'un pas hésitant, comme vaincue.
A leur arrivée au gîte elle se rue sur la salle de bains. Pendant une heure Lucie, occupée à décharger la voiture et à mettre un peu d'ordre, perçoit le crépitement de la douche. Peu de temps après, elle entend l'inconnue s'enfermer dans la chambre qui lui est désignée. Discrètement, elle quitte la maison pour quelques foulées de ski à Murat le Quaire, vers le lac de Guéry et le col du même nom. Du haut du parcours, la vallée est superbe. L'exercice l'apaise, même si son esprit est encombré par l'angoisse et une multitude de questions sur le comportement de son amie de rencontre. Dés son retour au gîte elle garnit de bûches la large cheminée de la cuisine et y met le feu.
Vers vingt heures, notre "invitée" apparaît à Lucie précédée d'un claquement de serrure. Sa courte chevelure châtain ébouriffée par la sieste lui donne un aspect encore plus enfantin. Quelques rares sillons ont marqué sa peau pendant le sommeil. Lucie la contemple longuement, mais sans ostentation. Elle est maintenant vêtue d'un ample survêtement vert tendre qui laisse un peu mieux deviner ses formes. Une nuque fine et dégagée, marquée de quelques ecchymoses, une petite poitrine ronde fièrement dressée sont les seules confirmations de sa féminité. Son bassin parait étroit, ses petites fesses rebondies, son buste longiligne. Elle laisse à chaque mouvement l'impression d'une tonicité musculaire importante qui confirme l'aspect "garçonnet" de son allure. Elle semble parfaitement proportionnée même si elle ne mesure pas plus d'un mètre cinquante.
Toujours en silence, elle se saisit d'un couteau. Elle semble s'amuser de voir Lucie quelque peu effrayée par son geste. Elle commence à l'aider à peler les légumes de la garbure. Elle ne l'a pas encore regardée une seule fois et a semblé s'en satisfaire. Elle se concentre, tout d'abord sur son ouvrage avec application sans lever les yeux. Ne se sentant pas épiée, elle commence à s'enhardir et quitte du regard son labeur.
Sa compagne lui semble particulièrement rassurante à première vue. Son visage poupin aux larges pomettes laiteuses rosies par l'effort est rehaussé d'une opulente crinière blonde coupée courte. Sa machoire est ombrée d'un court duvet translucide. Le tout respire une sérénité évidente. Corps d'amphore, mouvements amples, celle-ci paraît la fois paisible et d'une douceur peu commune. Sa délicatesse n'est à aucun moment démentie. Son buste étroit, sa poitrine ronde et lourde, ses hanches larges, son habillement de collégienne prolongée, font de Lucie un mélange étonnant entre la mama et le garçon manqué. Elle ne paraît pas ses quarante-cinq ans tant ses rondeurs agréables au regard laissent peu de place aux habituelles fissures de l'âge.
Comme la soupe commence à cuire, l'inconnue, un peu rassurée, prend sa partenaire par la main et la conduit jusqu'à sa chambre. Elle sort de son sac une trousse en tissus qu'elle ouvre pour en extraire baume, pansements et cicatrisant. Elle les tend à Lucie puis entreprend douloureusement de se dévêtir. Au fur et à mesure de ce difficile travail apparaissent ecchymoses et meurtrissures. Avant-bras et jambes, poitrine et ventre sont marqués d'importantes tuméfactions jaunes et bleues. Son dos est lacéré de longues et fines cicatrices aux croutes presques séches. Lucie, sidérée par ce qu'elle voit, l'imagine rouée de coups, traînée par les cheveux dans le plus simple appareil. Elle l'aide à s'allonger sur le lit et commence à traiter ce corps souffrant, seulement vêtu d'une frêle culotte d'un vert délicat. Elle est au comble de l'émotion et imagine que sa compagne a subi les pires outrages. Elle se risque à bredouiller un "mais qui a bien pu...?", aussitôt interrompu par la main de l'inconnue qui se pose délicatement sur ses lèvres. Son geste, à la fois technique et sensuel, semble créer un lien plus fort que la parole ne saurait le faire. Seul un regard reconnaissant et tendre, entre deux grimaces de douleur, vient compléter ce premier contact physique et affectif entre les deux femmes. Lucie y répond machinalement par une brève et distraite caresse sur son front toute à ses questions sur la barbarie de ce qu'elle voit.
De retour dans la cuisine, l'étroite fenêtre à petits carreaux permet d'apercevoir les lumières du hameau de Charlannes, en haut de la télécabine, à la limite d'un sombre relief et du bleu d'encre du ciel. Les deux complices s'attablent et se servent deux bols fumants, devant un feu de cheminée crépitant. La lueur changeante des flammes sied bien au mystère de notre inconnue. Lucie, toute à sa contemplation de sa nouvelle amie ne voit pas le temps passer. Elle a décidé de l'appeler "Vic": Vic comme la victime qu'elle doit être, Vic comme la victoire qu'il lui reste à remporter sur elle-même, mais aussi... comme Victor, son amour de jeunesse. Celle-ci semble, à nouveau, hors du temps, le regard fixe et douloureux. Elle mange et boit dans un réflexe mécanique rapide, sans plaisir, portée par l'absolue nécessité de sa survie. Elle est maintenant vêtue d'un tee-shirt trop grand pour sa taille, assise "en lotus" sur un large banc de ferme, dos à la fenêtre. Lucie savoure la double énigme superposée de l'inconnue qui se détache sur cet étonnant paysage de nuit montagnarde. Vic grignote machinalement un débris de tome puis se lève. Elle dessert la table et quitte la pièce en silence: bruits d'ablutions, de porte... mais pas de serrure.
Après un moment de méditation et de rêverie, Lucie se décide à gagner sa chambre. Elle se surprend à espérer que sa bande d'amis, attendue pour le lendemain, ne viendra pas. A plusieurs reprises, elle entend Vic se retourner sur sa couche. Puis elle sombre dans un profond sommeil fatiguée par tant d'émotions. Aux premières lueurs de l'aube, elle est brutalement réveillée par des sanglots proches. Son amie s'est discrètement glissée dans son lit, le regard embué, la poitrine secouée de spasmes. Elle l'accueille contre elle, dépose un baiser sur sa joue et commence à lui caresser doucement le visage et les cheveux. Vic retrouve peu à peu son calme et se love contre son corps. Lucie est profondément émue de ce contact charnel et reste ainsi pétrifiée pendant un long moment. Au toucher elle découvre des hanches et des épaules plus larges qu'il n'y parait, plus féminines, soulignées par une taille bien marquée. Le grain de peau, d'une finesse peu commune, renforce encore le trouble qu'elle ressent. Le total abandon de sa compagne y contribue également. Elle sent le petit corps retrouver la sérénité et s'endormir profondément entre ses bras. Après une dernière caresse, elle s'applique à dominer son émoi puis le rythme de sa respiration et, après quelques interminables minutes de reprise en main émotionnelle, sommeille à nouveau.
Quelques heures plus tard, l'odeur du feu de bois et du café la fait tranquillement émerger de sa léthargie. Le petit déjeuner est sur la table; la maison est vide. Dehors, un univers bas et floconneux a remplacé les lumières de l'hiver. La voiture a disparu du garage en laissant de grands sillons dans la neige fraîche. Son émotion est de courte durée lorsqu'elle la voit revenir sagement, tous feux allumés. En quelques secondes Vic est auprès d'elle, pain et viennoiseries à la main. Sans un mot elle l'embrasse furtivement sur les lèvres et contemple malicieusement le trouble qu'elle provoque. Lucie est rose de confusion et baisse le regard.
Le petit déjeuner se déroule dans cette atmosphère irréelle et ambiguë. Lorsque Lucie quitte la table pour aller se lover dans un "crapaud", au coin du feu, Vic la suit et s'installe sur ses genoux. Elle commence à l'enlacer et à poser de légers baisers sur un visage maintenant pivoine. Les gestes désordonnés de son amie trahissent une émotion importante. Progressivement elle se calme et finit par accepter un bref baiser sur les lèvres auquel elle n'aurait que difficilement pu se soustraire. Les mains de Vic, qui se laisse doucement glisser vers le sol, effleurent distraitement ce corps livré à elles. Lorsque la droite rejoint son sexe, elle est assise à terre. Elle trousse délicatement sa chemise de nuit pour attirer son pubis au grand jour. Lucie est étonnée tant de la hardiesse du geste que de la relative froideur avec laquelle il est prodigué. La caresse se fait plus insistante et précise au point que ses deux larges cuisses s'écartent et qu'un long murmure s'échappe de ses lèvres. Une larme coule sur ses genoux. C'est ce moment que Vic choisit pour la quitter brutalement dans un sanglot et se réfugier dans sa chambre.
Elle y reste une grande partie de la matinée pendant que Lucie, qui a repris ses esprits, est partie se calmer sur les pistes de Charlannes. Ses premières foulées dans les bois sont difficiles. Son esprit est encombré, sa respiration haletante, son rythme cardiaque trop rapide. Après la longue remontée de la grande allée, le buron du plateau Croizat, bâtisse grise et penchée, apparaît dans un univers de ouate. Elle commence à retrouver ses sensations, son pas se fait plus assuré. Une rapide descente plus tard, Lucie regrette de ne pouvoir apercevoir le sommet du Sancy. La neige épaisse colle aux spatules. De gras flocons, poussés par le vent lui fouettent le visage. L'expérience commence à devenir moins agréable. A la Stèle, elle prend la piste de la Charbonnière pour revenir le plus vite possible à son point de départ. Le froid humide commence à la pénétrer. Dans une pente un peu raide, elle chute lourdement sur sa hanche droite et se relève rapidement, un peu honteuse. Un coup d'oeil circulaire la rassure, personne ne l'a vue! Elle regagne le téléphérique transie, les vêtements trempés par la neige fondante. Pendant la descente, elle ressent la douleur de sa chute. Les nuages se déchirent par moments et laissent entrevoir la vallée. Ils se reconstituent ensuite pour isoler totalement la cabine. Lucie le perçoit d'autant plus qu'elle y est seule, comme coupée du monde.
De retour au gîte elle jette les skis dans le garage et se rue sur la salle de bains, sans aucune précaution. Elle quitte rapidement la totalité de ses vêtements et les étend. Pendant sa douche elle éprouve furtivement le sentiment d’étre épiée. Lorsqu'elle se retourne, elle se trouve entièrement nue, trempée, frémissante et vulnérable. En face d'elle Vic, armée d'un drap de bain, ne laisse aucun doute sur ses intentions. Elle la sèche avec une vigueur et une minutie presque professionnelles. A l'expression du visage de Lucie, elle perçoit le traumatisme de sa hanche, s'arme des restes de sa pommade aux plantes et commence à masser doucement le muscle endolori. La technicité des gestes n'empêche pas celle-ci de se sentir à nouveau troublée par ces attouchements et notamment cette caresse à proximité de son sexe. Elle s'échappe pour enfiler des vêtements chauds et secs, et rejoint Vic dans la cuisine. Pourquoi, mais pourquoi donc, se sent elle aussi fiévreuse à chaque contact de leurs deux épidermes? D'un sourire son amie balaye la question.
Après un long moment de cet intense et étrange contact silencieux qui semble devoir régler les relations entre les deux femmes, Lucie se décide à partir faire quelques courses au village. Les "envahisseurs" ne devraient pas tarder à arriver et il y a des bouches à nourrir. Elle appréhende la venue de Michel et Eliane à cause de leur inséparable ami Christian qu'ils ont toujours rêvé d'accoupler avec elle. Ce dernier cultive, en sus d'un célibat qu'il dit tumultueux, une politesse exacerbée envers les femmes. Lucie l'a toujours perçu comme malsain et fait en sorte de ne jamais se trouver seule avec lui. Lors de son retour au gîte, elle les trouve tous trois affairés à décharger la "B.M..." de Michel. Vic a disparu de la cuisine. Lucie, en bonne maîtresse de maison, affecte immédiatement les chambres. Elle constate que les affaires de Vic ont aussi quitté leur place. Le lit fait, le mobilier sagement rangé, laissent penser que personne n'est venu dans cette partie de la maison. Ses amis s'installent avec entrain. Lucie, songeuse, commence à préparer le déjeuner. Lorsque la crinière blanche de Max et la face anthracite de Zebda apparaissent, le repas est prêt et la table mise.
L'après-midi, le soleil fait partiellement son retour. Tout le groupe est parti skier au Mont Dore, sauf Eliane et Lucie qui sont montées à Charlannes par la télécabine. La vue y est magnifique mais la neige reste collante. Le Sancy brille de tous ses feux hivernaux et donne à celui qui le contemple une émotion esthétique difficilement communicable. L'univers vert et blanc du bois de la Roche apaise nos promeneuses. Elles cheminent prudemment pour éviter les plaques de neige humide, de "soupe". Après une courte randonnée, elles se résignent à faire la pause à l'hôtel local. Lucie s'étonne de trouver Vic au bar, en grande conversation avec un moniteur de ski. Celle-ci quitte les lieux en compagnie de ce dernier sans la regarder.
La soirée s'écoule paisiblement. Les garçons, en achevant la corvée de vaisselle, s'exaltent un moment de leur projet d'escalade du lendemain puis décident de se coucher tôt. Les filles traînent un peu autour d'un verre de gentiane. Zebda dépeint avec fougue ses sensations de l'après-midi avec son habituel enthousiasme égypto-sénégalais. Lorsque s'installe le silence de la nuit, entrecoupé des craquements de bois dans la cheminée, Lucie reste seule. En fermant les volets, elle entr'aperçoit une ombre familière qui s'esquive à sa vue. Elle murmure: "C'est toi Vic...?". Elle n'obtient comme seule réponse que le silence bruyant de la nuit.
Elle arrive difficilement à s'endormir tant elle se pose de questions sur sa nouvelle amie. Leur rencontre est elle aussi fortuite qu'il y parait? Les avances qu'elle lui fait sont elles sincères? Que veulent dire les retraites brutales qui les suivent? Est-elle, encore une fois, manipulée? Vic lui laisse l'impression d'une de ces femmes violentées ou violées qu'elle rencontre si souvent aux urgences psychiatriques où elle travaille. Par contre, elle la perçoit aussi désespérée que déterminée; comme si elle avait réussi à évacuer ce sentiment de culpabilité qui est le propre des victimes. Elle se questionne aussi sur cette passion qui la lie si fortement à Vic, alors qu'elles se connaissent à peine.
Elle n'entend pas les garçons se lever le matin suivant, seulement le bruit de l'accélération de leur voiture dans la courte côte qui longe le mur de sa chambre pour gagner la route. Reprise par un demi-sommeil, elle n'émerge qu'au son de la préparation du petit déjeuner par la fort peu discrète Zebda, en même temps qu'Eliane. La journée entre filles se déroule paisiblement. A plusieurs reprises elle pense à Vic. Elle se demande où celle-ci peut bien nicher dans la vallée et si elle y est toujours. Elle revit les émotions de ces deux journées intensément, convaincue que ce n'est que la première étape d'une histoire qui, en même temps, lui échappe et la concerne. Elle se sent émue par Vic et prisonnière de ce sentiment. Une grande balade collective à skis vers Chambourguet puis la station de Chastreix depuis la Stèle ne suffit pas à la calmer.
A leur retour dans La Bourboule à la nuit tombante, les trois filles sont intriguées par un attroupement devant le bureau des guides. Lucie va aux renseignements pendant que ses compagnes achètent les derniers ingrédients du repas du soir. Les langues vont bon train. On y commente un accident de montagne qui aurait fait un disparu. Elle sent une forme familière l'effleurer dans la foule. A quelques pas derrière elle, sous un puissant réverbère à la lumière orangée Vic lui sourit à demi, l'oeil traversé par une fulgurance de haine. Ce n'est qu'en voyant apparaître Max et Michel le regard terne et la mine harassée que Lucie comprend enfin qui est la victime. La soirée se prolongera fort tard, sinistre, entrecoupée de nombreux coups de téléphone. Les garçons n'ont rien vu du supposé accident. L'absence de Christian a été constatée lorsque le guide, placé en dernière position dans un endroit dangereux le nécessitant, les a hélés pour leur demander si ce dernier les avait dépassés. Il avait donc disparu sans bruit dans le brouillard. Le trio était alors redescendu au premier village pour donner l'alerte, sans pouvoir véritablement découvrir de traces sur la neige gelée.
Lorsque, tard dans la nuit, Lucie finit par s'endormir une voix inconnue murmure à son oreille: "ça y est, je suis vengée..., pardon!". Elle pense rêver et se retourne comme pour chasser cette idée. Mais une sensation de présence la réveille. Dans son demi-sommeil elle sent des lèvres se poser délicatement sur sa joue. "Vic bien sûr!" pense-t-elle. Cette sensation la rend pleinement consciente. Elle ouvre la bouche comme pour s'exprimer. Une petite main se pose fermement sur ses lèvres tandis qu'une autre lui caresse tendrement la base du cou comme pour l'apaiser. Lorsqu'elle essaie de lui rendre son étreinte elle en est empêchée par un nouveau geste autoritaire aussitôt compensé par un nouveau câlin. "Ne me touche pas!" dit elle tendrement. "Enfin elle parle...mais à quel prix!" s'étonne Lucie.
Lorsqu'elle sent sa nouvelle amie se détendre et savourer passivement son contact, Vic s'enhardit à dégrafer le douillet pyjama d'un bleu soutenu. Elle le fait glisser délicatement, une pièce après l'autre le long des membres, avant de le jeter au loin. Lorsque le contact s'interrompt, Lucie entrouvre les yeux et la voit ôter dans un étirement impudique sa noire combinaison de montagne qu'elle porte à même la peau. Ses blessures semblent mieux cicatrisées que l'avant veille. Les attouchements reprennent sans que jamais la participation de notre hôtesse ne puisse se traduire en gestes. Les petites mains de Vic, puis son corps tout entier ne sont plus que l'outil d'une voluptueuse caresse. La forme enfantine semble vouloir recouvrir pleinement l'imposante poitrine, le ventre large, les amples cuisses. L'attouchement se fait précis, pénétrant. Cette autre si différente et si semblable s'écartèle en position tête bêche, offrant l'intimité de son sexe à la bouche de son amante, enfin autorisée à participer.
Lucie, totalement submergée par cette émotion violente, savoure le désordre de sa pensée. Elle rêve de pénétrer totalement son amie, de se fondre en elle, de devenir fœtus et de l'habiter quelques instants, de ressentir ses émotions et de s'infiltrer jusque dans son esprit. Elle alterne les chatteries légères et caresses profondes sur le petit corps écartelé. Les lèvres de Vic s'intéressent alors au pubis de Lucie puis à sa vulve, lorsque ses jambes commencent à s'ouvrir largement. Lucie est surprise de la montée progressive du plaisir. Cette lenteur couplée à une intensité inconnue à ce jour la déroute et la ravit. Quelques longs instants plus tard, la scène s'achève dans un orgasme partagé, frénétique et silencieux, seulement perceptible au rythme des respirations haletantes.
Toute la nuit, les deux corps vont rester unis, vaincus, épuisés, lovés l'un contre l'autre, peau nue contre peau nue sous la chaleur de la couette. Vic sombre rapidement dans un sommeil apaisé. Lucie allie le repos du corps et le tumulte de l'esprit. Comment a-t-elle pu ignorer aussi longtemps sa véritable attirance sexuelle? Lui fallait-il deux mariages et dix amants pour en arriver là? Est-ce cela un "coup de foudre"? Mais surtout, comment peut-elle ressentir un tel attrait pour quelqu'un dont elle ignore tout et qu'elle soupçonne d'être la meurtrière de l'une de ses relations? Au matin, vaincue par la fatigue elle s'assoupit un moment. Quelques longs(?) instants plus tard elle est réveillée par une sensation de fraîcheur. Elle est nue, abandonnée et largement étalée sur le lit découvert comme dans une mise en scène. Elle se réfugie douillettement à l'abri de la couette et se love sur elle-même, pensive. Vic, de nouveau, a disparu.
Comme pour renforcer encore l'isolement moral de Lucie, les jours suivants voient exceptionnellement tomber des monceaux de neige au point que le manteau blanc atteint la hauteur des voitures. La pratique du ski de fond devient citadine. Plusieurs fois elle rôde prés du superbe bâtiment des thermes de La Bourboule dont la très belle architecture 1900 de briques et de pierres l'attire. Entre deux incursions au bourg, elle passe de longues heures seule à rêver ou à lire devant sa fenêtre ou près de l'âtre. Les deux couples ont regagné tristement la ville après avoir laissé à la force publique et à la famille de Christian la responsabilité des recherches. Elle ne veut pas savoir ce qu'est devenu ce dernier. Elle vit ainsi recluse jusqu'à la fin de ses vacances, mobilisée par l'espoir de voir son amante réapparaître.
Au dernier jour de ses congés, personne n'est venu. Elle voit affichée sur la porte de l'établissement thermal une offre d'emploi d'infirmière. Sans réfléchir, elle rentre et postule. Elle sera retenue et va quelques semaines plus tard revenir s'installer là pour attendre, en un lieu familier à toutes deux, son amour impossible.
A l'heure où je vous parle Christian n'a toujours pas été retrouvé... De mauvaises langues racontent que parfois, la nuit, on entend dans le gîte au bout du village de longues conversations et des cris de plaisir. Il est vrai que les collègues de Lucie à l'établissement thermal ont, plus d'une fois, été surpris par son entrain matinal et la chaleur humaine qu'elle sait alors prodiguer aux curistes.
Lucie, qui se remet lentement de sa longue déprime automnale, ne peut résister longtemps à l'envie de profiter plus encore de cet instant. Elle arrête son véhicule au sommet d'une courte côte sur un dégagement immaculé, vestige d'une ancienne et élégante courbe de la route, bordée d'une haie vive sinueuse toute de blanc vêtue. L'engin patine dans la neige fraîche avant de s'arrêter presque brutalement dans un crissement caractéristique. Moteur coupé, Lucie en descend le plus silencieusement qu'elle peut pour ne pas troubler la quiétude de la nature.
Elle reste là, pétrifiée, le cerveau en désordre. Les souvenirs se bousculent comme si l'émotion esthétique faisait resurgir de lointaines sensations. Tout l'automne n'a été qu'une lente et laborieuse introspection. Ses mariages ratés, ses échecs amoureux, ont laissé de profondes stigmates dans son âme. Elle a longuement revécu ces moments difficiles. Elle est remontée dans le temps jusqu'à celui de la pré-adolescence où son dressage de "garçon manqué" par ce père psychologue aussi affectueux que manipulateur l'a laissée habitée de pulsions contradictoires. Son regard parfois étrange, la recherche d'effleurements et certains contacts intimes avaient laissé des traces. Il avait gâché cette agréable complicité des moments privilégiés où ensemble ils bricolaient, dégustaient un vin de Bourgogne ou recherchaient des girolles. Sa rupture avec lui l'an passé, lors de son départ à la retraite dans la propriété familiale du Morvan, était devenue nécessaire. Cela ne résout nullement les questions de fond. Est-il, comme certains l'affirment, un pervers? Jusqu'où les relations semi-incestueuses qu'il lui a imposées l'ont elle précipitée dans un rapport névrotique à toute relation amoureuse. Quel rôle celui-ci a-t-il joué dans l'aggravation de la maladie mentale de sa soeur et dans les relations rivales et tumultueuses avec son frére? Autant de questions sans réponse! Lucie s'impose un court moment de relaxation adossée à la voiture puis lève les yeux.
La beauté du site l'angoisse autant qu'elle la ravit. Elle profite de cet instant de calme pour scruter les paysages alentour. Un écureuil traverse à grands bonds son champ de vision dans un silence ouaté. En contrebas de la route, des empreintes de pas conduisent vers un inquiétant bâtiment noir et mafflu, que l'on devine couvert de lauzes. L'absence de toute autre trace de vie l'intrigue. Des marques légères dans la neige, sans doute celles des pieds d'un enfant, sont orientées vers l'édifice. Celui qui les a faites ne peut qu'y avoir disparu ou, dans le cas contraire, il n'a laissé aucune trace de son retour. Toute à ses questions, Lucie rejoint sa voiture et se munit d'une paire de jumelles.
C'est ainsi, après une longue traque, qu'elle aperçoit, assise sur un banc de granit et appuyée au mur de ce qui s'avère être une grange, une forme humaine vêtue de noir qui semble dormir. Inquiète, imaginant le pire, elle se décide à aller s'enquérir de l'état de santé de celui qu'elle vient de localiser. En s'approchant à pied, elle découvre une minuscule silhouette androgyne, chaudement lovée dans une combinaison de ski, immobile mais bien vivante, l'oeil fixé sur l'horizon: une adolescente sans doute! A ses pieds est posé un gigantesque sac à dos. De plus près la sensation d'être en présence d'une femme d'une quarantaine d'années au physique puéril s'impose. Quelques rides naissantes, de légères pattes d'oie, contredisent l'aspect enfantin du personnage. A l'arrivée de Lucie, elle se lève brutalement et empoigne son sac avec une énergie et une élégance du geste qui dément son apparence gracile. Sans un mot, sans un regard, comme dans un réflexe de peur, l'inconnue la contourne et se dirige d'un pas ferme vers la route. Lucie se surprend à trouver beau ce personnage sorti de nulle part qui intrigue autant qu'il émeut.
Grâce à sa petite taille il échappe à la vue de notre héroïne en sautant le talus. C'est à ce moment que Lucie décide de revenir vers son véhicule. A son retour elle s'étonne de n'entrevoir personne. Elle découvre enfin l'inconnue, assise sur le siège avant, ceinture mise, son sac sur les genoux. Elle démarre sans un mot. Quelques austères et granitiques traversées de villages plus tard, elle essaie de lier la conversation sans poser la moindre question. Rien ne fait dévier celle-ci de son mutisme. Elle semble effrayée par toute rencontre et se raidit dés que la voiture ralentit à proximité d'autres usagers de la route ou de maisons. A aucun moment son visage ne s'éclaire, pas même lorsque, en quittant la haute vallée de la Dordogne la montagne apparaît sous cet aspect bleuté qui ne sied qu'à elle. Les deux femmes semblent intimidées l'une par l'autre, vaguement méfiantes.
C'est également sans un mot, tout juste dans un hochement de tête, que l'inconnue accepte la collation qui lui est offerte au café des arts de La Bourboule. Lucie en profite pour la regarder plus attentivement. Son visage est fin et presque rond, son nez court, ses oreilles légèrement décollées; ses yeux d'un bleu limpide contrastent avec ses cheveux assez sombres. Ses mains courtes et fines rappellent l'impression laissée par ses pieds menus. La vivacité de ses gestes laisse penser qu'il s'agit d'une personne habituée à prendre des décisions. En même temps elle laisse paraître une fébrilité: marque d'un tempérament anxieux ou d'un traumatisme récent. C'est rapidement, le regard perdu, son blouson boutonné jusqu'au col, qu'elle engloutit son frugal repas. Lorsque sa compagne part faire quelques courses, elle l'attend immobile, rongée d'inquiétude. Elle reste ainsi sagement assise devant une tasse de thé, sous l'oeil intrigué des autres consommateurs. Quand Lucie regagne sa voiture, elle l'accompagne à nouveau, d'un pas hésitant, comme vaincue.
A leur arrivée au gîte elle se rue sur la salle de bains. Pendant une heure Lucie, occupée à décharger la voiture et à mettre un peu d'ordre, perçoit le crépitement de la douche. Peu de temps après, elle entend l'inconnue s'enfermer dans la chambre qui lui est désignée. Discrètement, elle quitte la maison pour quelques foulées de ski à Murat le Quaire, vers le lac de Guéry et le col du même nom. Du haut du parcours, la vallée est superbe. L'exercice l'apaise, même si son esprit est encombré par l'angoisse et une multitude de questions sur le comportement de son amie de rencontre. Dés son retour au gîte elle garnit de bûches la large cheminée de la cuisine et y met le feu.
Vers vingt heures, notre "invitée" apparaît à Lucie précédée d'un claquement de serrure. Sa courte chevelure châtain ébouriffée par la sieste lui donne un aspect encore plus enfantin. Quelques rares sillons ont marqué sa peau pendant le sommeil. Lucie la contemple longuement, mais sans ostentation. Elle est maintenant vêtue d'un ample survêtement vert tendre qui laisse un peu mieux deviner ses formes. Une nuque fine et dégagée, marquée de quelques ecchymoses, une petite poitrine ronde fièrement dressée sont les seules confirmations de sa féminité. Son bassin parait étroit, ses petites fesses rebondies, son buste longiligne. Elle laisse à chaque mouvement l'impression d'une tonicité musculaire importante qui confirme l'aspect "garçonnet" de son allure. Elle semble parfaitement proportionnée même si elle ne mesure pas plus d'un mètre cinquante.
Toujours en silence, elle se saisit d'un couteau. Elle semble s'amuser de voir Lucie quelque peu effrayée par son geste. Elle commence à l'aider à peler les légumes de la garbure. Elle ne l'a pas encore regardée une seule fois et a semblé s'en satisfaire. Elle se concentre, tout d'abord sur son ouvrage avec application sans lever les yeux. Ne se sentant pas épiée, elle commence à s'enhardir et quitte du regard son labeur.
Sa compagne lui semble particulièrement rassurante à première vue. Son visage poupin aux larges pomettes laiteuses rosies par l'effort est rehaussé d'une opulente crinière blonde coupée courte. Sa machoire est ombrée d'un court duvet translucide. Le tout respire une sérénité évidente. Corps d'amphore, mouvements amples, celle-ci paraît la fois paisible et d'une douceur peu commune. Sa délicatesse n'est à aucun moment démentie. Son buste étroit, sa poitrine ronde et lourde, ses hanches larges, son habillement de collégienne prolongée, font de Lucie un mélange étonnant entre la mama et le garçon manqué. Elle ne paraît pas ses quarante-cinq ans tant ses rondeurs agréables au regard laissent peu de place aux habituelles fissures de l'âge.
Comme la soupe commence à cuire, l'inconnue, un peu rassurée, prend sa partenaire par la main et la conduit jusqu'à sa chambre. Elle sort de son sac une trousse en tissus qu'elle ouvre pour en extraire baume, pansements et cicatrisant. Elle les tend à Lucie puis entreprend douloureusement de se dévêtir. Au fur et à mesure de ce difficile travail apparaissent ecchymoses et meurtrissures. Avant-bras et jambes, poitrine et ventre sont marqués d'importantes tuméfactions jaunes et bleues. Son dos est lacéré de longues et fines cicatrices aux croutes presques séches. Lucie, sidérée par ce qu'elle voit, l'imagine rouée de coups, traînée par les cheveux dans le plus simple appareil. Elle l'aide à s'allonger sur le lit et commence à traiter ce corps souffrant, seulement vêtu d'une frêle culotte d'un vert délicat. Elle est au comble de l'émotion et imagine que sa compagne a subi les pires outrages. Elle se risque à bredouiller un "mais qui a bien pu...?", aussitôt interrompu par la main de l'inconnue qui se pose délicatement sur ses lèvres. Son geste, à la fois technique et sensuel, semble créer un lien plus fort que la parole ne saurait le faire. Seul un regard reconnaissant et tendre, entre deux grimaces de douleur, vient compléter ce premier contact physique et affectif entre les deux femmes. Lucie y répond machinalement par une brève et distraite caresse sur son front toute à ses questions sur la barbarie de ce qu'elle voit.
De retour dans la cuisine, l'étroite fenêtre à petits carreaux permet d'apercevoir les lumières du hameau de Charlannes, en haut de la télécabine, à la limite d'un sombre relief et du bleu d'encre du ciel. Les deux complices s'attablent et se servent deux bols fumants, devant un feu de cheminée crépitant. La lueur changeante des flammes sied bien au mystère de notre inconnue. Lucie, toute à sa contemplation de sa nouvelle amie ne voit pas le temps passer. Elle a décidé de l'appeler "Vic": Vic comme la victime qu'elle doit être, Vic comme la victoire qu'il lui reste à remporter sur elle-même, mais aussi... comme Victor, son amour de jeunesse. Celle-ci semble, à nouveau, hors du temps, le regard fixe et douloureux. Elle mange et boit dans un réflexe mécanique rapide, sans plaisir, portée par l'absolue nécessité de sa survie. Elle est maintenant vêtue d'un tee-shirt trop grand pour sa taille, assise "en lotus" sur un large banc de ferme, dos à la fenêtre. Lucie savoure la double énigme superposée de l'inconnue qui se détache sur cet étonnant paysage de nuit montagnarde. Vic grignote machinalement un débris de tome puis se lève. Elle dessert la table et quitte la pièce en silence: bruits d'ablutions, de porte... mais pas de serrure.
Après un moment de méditation et de rêverie, Lucie se décide à gagner sa chambre. Elle se surprend à espérer que sa bande d'amis, attendue pour le lendemain, ne viendra pas. A plusieurs reprises, elle entend Vic se retourner sur sa couche. Puis elle sombre dans un profond sommeil fatiguée par tant d'émotions. Aux premières lueurs de l'aube, elle est brutalement réveillée par des sanglots proches. Son amie s'est discrètement glissée dans son lit, le regard embué, la poitrine secouée de spasmes. Elle l'accueille contre elle, dépose un baiser sur sa joue et commence à lui caresser doucement le visage et les cheveux. Vic retrouve peu à peu son calme et se love contre son corps. Lucie est profondément émue de ce contact charnel et reste ainsi pétrifiée pendant un long moment. Au toucher elle découvre des hanches et des épaules plus larges qu'il n'y parait, plus féminines, soulignées par une taille bien marquée. Le grain de peau, d'une finesse peu commune, renforce encore le trouble qu'elle ressent. Le total abandon de sa compagne y contribue également. Elle sent le petit corps retrouver la sérénité et s'endormir profondément entre ses bras. Après une dernière caresse, elle s'applique à dominer son émoi puis le rythme de sa respiration et, après quelques interminables minutes de reprise en main émotionnelle, sommeille à nouveau.
Quelques heures plus tard, l'odeur du feu de bois et du café la fait tranquillement émerger de sa léthargie. Le petit déjeuner est sur la table; la maison est vide. Dehors, un univers bas et floconneux a remplacé les lumières de l'hiver. La voiture a disparu du garage en laissant de grands sillons dans la neige fraîche. Son émotion est de courte durée lorsqu'elle la voit revenir sagement, tous feux allumés. En quelques secondes Vic est auprès d'elle, pain et viennoiseries à la main. Sans un mot elle l'embrasse furtivement sur les lèvres et contemple malicieusement le trouble qu'elle provoque. Lucie est rose de confusion et baisse le regard.
Le petit déjeuner se déroule dans cette atmosphère irréelle et ambiguë. Lorsque Lucie quitte la table pour aller se lover dans un "crapaud", au coin du feu, Vic la suit et s'installe sur ses genoux. Elle commence à l'enlacer et à poser de légers baisers sur un visage maintenant pivoine. Les gestes désordonnés de son amie trahissent une émotion importante. Progressivement elle se calme et finit par accepter un bref baiser sur les lèvres auquel elle n'aurait que difficilement pu se soustraire. Les mains de Vic, qui se laisse doucement glisser vers le sol, effleurent distraitement ce corps livré à elles. Lorsque la droite rejoint son sexe, elle est assise à terre. Elle trousse délicatement sa chemise de nuit pour attirer son pubis au grand jour. Lucie est étonnée tant de la hardiesse du geste que de la relative froideur avec laquelle il est prodigué. La caresse se fait plus insistante et précise au point que ses deux larges cuisses s'écartent et qu'un long murmure s'échappe de ses lèvres. Une larme coule sur ses genoux. C'est ce moment que Vic choisit pour la quitter brutalement dans un sanglot et se réfugier dans sa chambre.
Elle y reste une grande partie de la matinée pendant que Lucie, qui a repris ses esprits, est partie se calmer sur les pistes de Charlannes. Ses premières foulées dans les bois sont difficiles. Son esprit est encombré, sa respiration haletante, son rythme cardiaque trop rapide. Après la longue remontée de la grande allée, le buron du plateau Croizat, bâtisse grise et penchée, apparaît dans un univers de ouate. Elle commence à retrouver ses sensations, son pas se fait plus assuré. Une rapide descente plus tard, Lucie regrette de ne pouvoir apercevoir le sommet du Sancy. La neige épaisse colle aux spatules. De gras flocons, poussés par le vent lui fouettent le visage. L'expérience commence à devenir moins agréable. A la Stèle, elle prend la piste de la Charbonnière pour revenir le plus vite possible à son point de départ. Le froid humide commence à la pénétrer. Dans une pente un peu raide, elle chute lourdement sur sa hanche droite et se relève rapidement, un peu honteuse. Un coup d'oeil circulaire la rassure, personne ne l'a vue! Elle regagne le téléphérique transie, les vêtements trempés par la neige fondante. Pendant la descente, elle ressent la douleur de sa chute. Les nuages se déchirent par moments et laissent entrevoir la vallée. Ils se reconstituent ensuite pour isoler totalement la cabine. Lucie le perçoit d'autant plus qu'elle y est seule, comme coupée du monde.
De retour au gîte elle jette les skis dans le garage et se rue sur la salle de bains, sans aucune précaution. Elle quitte rapidement la totalité de ses vêtements et les étend. Pendant sa douche elle éprouve furtivement le sentiment d’étre épiée. Lorsqu'elle se retourne, elle se trouve entièrement nue, trempée, frémissante et vulnérable. En face d'elle Vic, armée d'un drap de bain, ne laisse aucun doute sur ses intentions. Elle la sèche avec une vigueur et une minutie presque professionnelles. A l'expression du visage de Lucie, elle perçoit le traumatisme de sa hanche, s'arme des restes de sa pommade aux plantes et commence à masser doucement le muscle endolori. La technicité des gestes n'empêche pas celle-ci de se sentir à nouveau troublée par ces attouchements et notamment cette caresse à proximité de son sexe. Elle s'échappe pour enfiler des vêtements chauds et secs, et rejoint Vic dans la cuisine. Pourquoi, mais pourquoi donc, se sent elle aussi fiévreuse à chaque contact de leurs deux épidermes? D'un sourire son amie balaye la question.
Après un long moment de cet intense et étrange contact silencieux qui semble devoir régler les relations entre les deux femmes, Lucie se décide à partir faire quelques courses au village. Les "envahisseurs" ne devraient pas tarder à arriver et il y a des bouches à nourrir. Elle appréhende la venue de Michel et Eliane à cause de leur inséparable ami Christian qu'ils ont toujours rêvé d'accoupler avec elle. Ce dernier cultive, en sus d'un célibat qu'il dit tumultueux, une politesse exacerbée envers les femmes. Lucie l'a toujours perçu comme malsain et fait en sorte de ne jamais se trouver seule avec lui. Lors de son retour au gîte, elle les trouve tous trois affairés à décharger la "B.M..." de Michel. Vic a disparu de la cuisine. Lucie, en bonne maîtresse de maison, affecte immédiatement les chambres. Elle constate que les affaires de Vic ont aussi quitté leur place. Le lit fait, le mobilier sagement rangé, laissent penser que personne n'est venu dans cette partie de la maison. Ses amis s'installent avec entrain. Lucie, songeuse, commence à préparer le déjeuner. Lorsque la crinière blanche de Max et la face anthracite de Zebda apparaissent, le repas est prêt et la table mise.
L'après-midi, le soleil fait partiellement son retour. Tout le groupe est parti skier au Mont Dore, sauf Eliane et Lucie qui sont montées à Charlannes par la télécabine. La vue y est magnifique mais la neige reste collante. Le Sancy brille de tous ses feux hivernaux et donne à celui qui le contemple une émotion esthétique difficilement communicable. L'univers vert et blanc du bois de la Roche apaise nos promeneuses. Elles cheminent prudemment pour éviter les plaques de neige humide, de "soupe". Après une courte randonnée, elles se résignent à faire la pause à l'hôtel local. Lucie s'étonne de trouver Vic au bar, en grande conversation avec un moniteur de ski. Celle-ci quitte les lieux en compagnie de ce dernier sans la regarder.
La soirée s'écoule paisiblement. Les garçons, en achevant la corvée de vaisselle, s'exaltent un moment de leur projet d'escalade du lendemain puis décident de se coucher tôt. Les filles traînent un peu autour d'un verre de gentiane. Zebda dépeint avec fougue ses sensations de l'après-midi avec son habituel enthousiasme égypto-sénégalais. Lorsque s'installe le silence de la nuit, entrecoupé des craquements de bois dans la cheminée, Lucie reste seule. En fermant les volets, elle entr'aperçoit une ombre familière qui s'esquive à sa vue. Elle murmure: "C'est toi Vic...?". Elle n'obtient comme seule réponse que le silence bruyant de la nuit.
Elle arrive difficilement à s'endormir tant elle se pose de questions sur sa nouvelle amie. Leur rencontre est elle aussi fortuite qu'il y parait? Les avances qu'elle lui fait sont elles sincères? Que veulent dire les retraites brutales qui les suivent? Est-elle, encore une fois, manipulée? Vic lui laisse l'impression d'une de ces femmes violentées ou violées qu'elle rencontre si souvent aux urgences psychiatriques où elle travaille. Par contre, elle la perçoit aussi désespérée que déterminée; comme si elle avait réussi à évacuer ce sentiment de culpabilité qui est le propre des victimes. Elle se questionne aussi sur cette passion qui la lie si fortement à Vic, alors qu'elles se connaissent à peine.
Elle n'entend pas les garçons se lever le matin suivant, seulement le bruit de l'accélération de leur voiture dans la courte côte qui longe le mur de sa chambre pour gagner la route. Reprise par un demi-sommeil, elle n'émerge qu'au son de la préparation du petit déjeuner par la fort peu discrète Zebda, en même temps qu'Eliane. La journée entre filles se déroule paisiblement. A plusieurs reprises elle pense à Vic. Elle se demande où celle-ci peut bien nicher dans la vallée et si elle y est toujours. Elle revit les émotions de ces deux journées intensément, convaincue que ce n'est que la première étape d'une histoire qui, en même temps, lui échappe et la concerne. Elle se sent émue par Vic et prisonnière de ce sentiment. Une grande balade collective à skis vers Chambourguet puis la station de Chastreix depuis la Stèle ne suffit pas à la calmer.
A leur retour dans La Bourboule à la nuit tombante, les trois filles sont intriguées par un attroupement devant le bureau des guides. Lucie va aux renseignements pendant que ses compagnes achètent les derniers ingrédients du repas du soir. Les langues vont bon train. On y commente un accident de montagne qui aurait fait un disparu. Elle sent une forme familière l'effleurer dans la foule. A quelques pas derrière elle, sous un puissant réverbère à la lumière orangée Vic lui sourit à demi, l'oeil traversé par une fulgurance de haine. Ce n'est qu'en voyant apparaître Max et Michel le regard terne et la mine harassée que Lucie comprend enfin qui est la victime. La soirée se prolongera fort tard, sinistre, entrecoupée de nombreux coups de téléphone. Les garçons n'ont rien vu du supposé accident. L'absence de Christian a été constatée lorsque le guide, placé en dernière position dans un endroit dangereux le nécessitant, les a hélés pour leur demander si ce dernier les avait dépassés. Il avait donc disparu sans bruit dans le brouillard. Le trio était alors redescendu au premier village pour donner l'alerte, sans pouvoir véritablement découvrir de traces sur la neige gelée.
Lorsque, tard dans la nuit, Lucie finit par s'endormir une voix inconnue murmure à son oreille: "ça y est, je suis vengée..., pardon!". Elle pense rêver et se retourne comme pour chasser cette idée. Mais une sensation de présence la réveille. Dans son demi-sommeil elle sent des lèvres se poser délicatement sur sa joue. "Vic bien sûr!" pense-t-elle. Cette sensation la rend pleinement consciente. Elle ouvre la bouche comme pour s'exprimer. Une petite main se pose fermement sur ses lèvres tandis qu'une autre lui caresse tendrement la base du cou comme pour l'apaiser. Lorsqu'elle essaie de lui rendre son étreinte elle en est empêchée par un nouveau geste autoritaire aussitôt compensé par un nouveau câlin. "Ne me touche pas!" dit elle tendrement. "Enfin elle parle...mais à quel prix!" s'étonne Lucie.
Lorsqu'elle sent sa nouvelle amie se détendre et savourer passivement son contact, Vic s'enhardit à dégrafer le douillet pyjama d'un bleu soutenu. Elle le fait glisser délicatement, une pièce après l'autre le long des membres, avant de le jeter au loin. Lorsque le contact s'interrompt, Lucie entrouvre les yeux et la voit ôter dans un étirement impudique sa noire combinaison de montagne qu'elle porte à même la peau. Ses blessures semblent mieux cicatrisées que l'avant veille. Les attouchements reprennent sans que jamais la participation de notre hôtesse ne puisse se traduire en gestes. Les petites mains de Vic, puis son corps tout entier ne sont plus que l'outil d'une voluptueuse caresse. La forme enfantine semble vouloir recouvrir pleinement l'imposante poitrine, le ventre large, les amples cuisses. L'attouchement se fait précis, pénétrant. Cette autre si différente et si semblable s'écartèle en position tête bêche, offrant l'intimité de son sexe à la bouche de son amante, enfin autorisée à participer.
Lucie, totalement submergée par cette émotion violente, savoure le désordre de sa pensée. Elle rêve de pénétrer totalement son amie, de se fondre en elle, de devenir fœtus et de l'habiter quelques instants, de ressentir ses émotions et de s'infiltrer jusque dans son esprit. Elle alterne les chatteries légères et caresses profondes sur le petit corps écartelé. Les lèvres de Vic s'intéressent alors au pubis de Lucie puis à sa vulve, lorsque ses jambes commencent à s'ouvrir largement. Lucie est surprise de la montée progressive du plaisir. Cette lenteur couplée à une intensité inconnue à ce jour la déroute et la ravit. Quelques longs instants plus tard, la scène s'achève dans un orgasme partagé, frénétique et silencieux, seulement perceptible au rythme des respirations haletantes.
Toute la nuit, les deux corps vont rester unis, vaincus, épuisés, lovés l'un contre l'autre, peau nue contre peau nue sous la chaleur de la couette. Vic sombre rapidement dans un sommeil apaisé. Lucie allie le repos du corps et le tumulte de l'esprit. Comment a-t-elle pu ignorer aussi longtemps sa véritable attirance sexuelle? Lui fallait-il deux mariages et dix amants pour en arriver là? Est-ce cela un "coup de foudre"? Mais surtout, comment peut-elle ressentir un tel attrait pour quelqu'un dont elle ignore tout et qu'elle soupçonne d'être la meurtrière de l'une de ses relations? Au matin, vaincue par la fatigue elle s'assoupit un moment. Quelques longs(?) instants plus tard elle est réveillée par une sensation de fraîcheur. Elle est nue, abandonnée et largement étalée sur le lit découvert comme dans une mise en scène. Elle se réfugie douillettement à l'abri de la couette et se love sur elle-même, pensive. Vic, de nouveau, a disparu.
Comme pour renforcer encore l'isolement moral de Lucie, les jours suivants voient exceptionnellement tomber des monceaux de neige au point que le manteau blanc atteint la hauteur des voitures. La pratique du ski de fond devient citadine. Plusieurs fois elle rôde prés du superbe bâtiment des thermes de La Bourboule dont la très belle architecture 1900 de briques et de pierres l'attire. Entre deux incursions au bourg, elle passe de longues heures seule à rêver ou à lire devant sa fenêtre ou près de l'âtre. Les deux couples ont regagné tristement la ville après avoir laissé à la force publique et à la famille de Christian la responsabilité des recherches. Elle ne veut pas savoir ce qu'est devenu ce dernier. Elle vit ainsi recluse jusqu'à la fin de ses vacances, mobilisée par l'espoir de voir son amante réapparaître.
Au dernier jour de ses congés, personne n'est venu. Elle voit affichée sur la porte de l'établissement thermal une offre d'emploi d'infirmière. Sans réfléchir, elle rentre et postule. Elle sera retenue et va quelques semaines plus tard revenir s'installer là pour attendre, en un lieu familier à toutes deux, son amour impossible.
A l'heure où je vous parle Christian n'a toujours pas été retrouvé... De mauvaises langues racontent que parfois, la nuit, on entend dans le gîte au bout du village de longues conversations et des cris de plaisir. Il est vrai que les collègues de Lucie à l'établissement thermal ont, plus d'une fois, été surpris par son entrain matinal et la chaleur humaine qu'elle sait alors prodiguer aux curistes.
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