Jérém&Nico 0402 Le passé engage le présent dans l'avenir.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 06-03-2024 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Jérém&Nico 0402 Le passé engage le présent dans l'avenir.
Décembre 2007.
Les fêtes de fin d’année arrivent, elles passent et se terminent sans un signe de la part de Jérém, même pas un message pour la bonne année. S’il ne le fait pas, je ne le ferai pas non plus. Ce n’est pas de la mesquinerie. S’il a tourné la page, autant que je l’accepte et que j’en fasse de même. Il me semble qu’il serait pathétique de quémander son attention, et de recevoir en retour des bribes de politesse, en lieu et place des étincelles et de la tendresse qu’il y a eu entre nous auparavant. Pire que tout, ce serait de recevoir au contraire son silence, son indifférence. Je ne le supporterais pas. En fait, je me protège, comme je peux.
Lors d’une nuit d’insomnie, d’angoisse et de larmes, celle du réveillon de Noël, j’ai effacé son numéro anglais, numéro que je n’ai pas eu le temps d’apprendre par cœur comme le premier. Donc, même en voulant, je ne pourrais pas lui envoyer de vœux.
Et pourtant, parfois, l’envie, violente, me prend d’appeler Maxime pour lui redemander ce numéro, de lui envoyer des vœux et guetter sa réaction. Mais à chaque fois j’y renonce. Au fond de moi, je crois que j’ai fait le bon choix. Le fait de ne plus avoir son numéro est un premier pas, un petit pas, mais un pas certain, dans la direction de passer à autre chose.
S’il veut m’envoyer des messages, il sait comment me joindre. A moins que lui aussi ait effacé mon numéro.
Mais, au fond de moi, je préfère qu’il me fiche la paix. Un message de sa part, ce serait comme retourner un couteau dans une plaie. La plaie est là, béante, saignante, et elle a besoin de temps et de calme pour cicatriser.
Pourtant, encore plus au fond de moi, j’aimerais tellement recevoir un SMS de sa part ! Seul un message venant de lui pourrait venir à bout de ma tristesse, de mon désarroi. Mais pour ce faire, il faudrait que ce soit un message capable de restaurer d’un seul coup le règne d’Ourson et P’tit Loup.
Mais je sais que cela est impossible.
Lors de mes nombreuses autres nuits d’insomnie, je laisse la radio en fond sonore pour me tenir compagnie, pour tromper ma solitude et ma tristesse. Je suis tellement mal que j’ai envie de rien, même pas d’écouter de la musique, elle qui a été mon premier amour, au début de mon adolescence, lorsque l’amour pour les garçons me semblait hors de ma portée.
Aujourd’hui, même Madonna n’arrive pas à m’extirper de ma morosité. Alors, je laisse aux programmateurs musicaux d’une fréquence qui ne passe que de la bonne musique millésimée le choix des morceaux que je vais écouter. Et une nuit, une voix, une mélodie, un texte m’arrachent le cœur.
https://www.youtube.com/watch?v=1hhv3RaCWNs
I remember when (…)/Je me souviens quand…
Et soudain le souvenir d’un jour déjà lointain remonte instantanément. Un jour de bonheur, le jour de mes vingt ans. Jérém qui débarque à Bordeaux par surprise, avec la belle voiture que lui avait prêtée Ulysse. C’était la première fois qu’il venait à Bordeaux, il m’avait amené au resto, et puis nous étions rentrés à l’appart en lisière de la cour au sol rouge, et nous avions fait l’amour. J’étais si heureux cette nuit-là !
Hélas, ce bonheur a pris fin.
Then one day you came/Puis un jour tu es venu
You told me you were leaving/Tu m'as dit que tu partais (…)
And made me cry again/Et tu m'as fait pleurer à nouveau
When you said/Quand tu as dit (…)
Please don't wait for me/S'il te plait ne m'attends pas (…)
And I'm still waiting/Et j'attends toujours (…)
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre
Jérém m’a dit de ne pas l’attendre. Et, pourtant, je l’attends. Malgré le fait qu’il ait donné son amour à un autre, malgré ces jours, ces semaines, ces mois de souffrance que cela m’inflige. Je sais que s’il débarquait à l’improviste, s’il venait me chercher, ma porte serait grande ouverte, et je l’accueillerais les bras pleins d’amour et je lui pardonnerais tout, tout, tout.
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre (…)
And I'm still waiting/Et j'attends toujours
2007 se termine. Je crois que ça a été la pire année de ma vie.
L’année 2008.
La nouvelle année commence de la même façon que s’est terminée l’ancienne, c’est à dire dans une infinie tristesse, ma tête et mon cœur pris dans un incessant et déchirant tourbillon de sentiments d’inachevé, de gâchis, et d’injustice. Au fond, je n’en veux pas à Jérém d’être tombé amoureux d’un autre gars. Je ne peux pas lui en vouloir. L’amour, ça ne se commande pas.
Et pourtant, je ne cesse de me demander pourquoi cela s’est produit, et si vite. Certes, après ce qui nous était arrivé à Paris le jour de ses vingt-cinq ans, il avait besoin de changer d’air pour pouvoir reprendre sa carrière sportive sereinement. C’est même moi qui l’ai poussé à y aller, à ne pas écouter ses réticences. Je me souviens de sa question quand je lui ai dit de ne pas rester pour moi.
« Et nous ? ».
C’est bien qu’à ce moment-là, il y avait encore un « Nous », un « Ourson et P’tit Loup ». Et trois mois plus tard, ce n’était déjà plus le cas. Le rapprochement avec Rodney s’est fait très vite après son arrivée à Londres. Lors de son retour d’Australie, il y avait encore ce « Nous ». Mais était-ce vraiment le cas ? Sa réticence à partir, à rester pour « Nous », n’était-ce pas juste la peur de me faire souffrir en me quittant ? Est-ce que l’éloignement n’avait pas commencé en Australie ? Ou encore bien avant ?
Janvier 2008/1.
La rentrée arrive, le travail reprend. Je dois me faire violence pour me lever, pour me doucher, m’habiller, prendre ma voiture, affronter les bouchons, pour aller au bureau, dire bonjour à mes collègues, traiter mes dossiers. Je vais au bureau chaque matin, mais je suis ailleurs. Partout où je vais, je porte ma tristesse avec moi. Le manque, l’absence sont insupportables.
Dans ma chambre, le soir, dans le noir, j’ai envie de lui. Je crève d’envie de lui. Si je ferme les yeux et me concentre sur la branlette, j’ai encore l’impression de sentir son parfum, la chaleur de sa peau, le poids de son corps, la solidité de son torse, la présence de sa queue dans ma bouche, entre mes fesses, la puissance de ses coups de reins. Sa façon de chercher son pied, les râles contenus de son orgasme, la puissance, la chaleur humide, l’odeur, le goût de ses giclées.
Je le revois en train de me baiser, dans son plus simple appareil, tous pecs et abdos et biceps et tatouages et chaînette de mec dehors, torse nu, poils noirs virils et insolents ou rasés, ou bien enveloppé d’un t-shirt blanc tellement ajusté à sa plastique qu’il en devenait presque une deuxième peau.
Je me souviens de sa façon de porter le t-shirt ou le débardeur blanc, la couleur immaculée mettant tellement en valeur sa plastique de fou, la nuance mate de sa peau, m’inspirant à chaque regard la double furieuse envie de les lui arracher pour voir ses tétons, ses poils, ses pecs, ses abdos, et celle qu’il les garde, tant le blanc lui allait bien, tant le tissu était ajusté à son torse, à ses épaules, à l’arrondi de son cou, et se définissait presque comme une deuxième peau, douce, tiède, bandante.
Nous avons baisé dans cette chambre, sur ce lit, juste après le bac, pendant ses pauses de l’après-midi lorsqu’il travaillait à la brasserie à Esquirol. Il m’a giclé dans la bouche, il m’a sommé d’avaler, il m’a baisé, une, deux, trois fois par après-midi, en espaçant ses assauts le temps d’une courte cigarette. J’ai tout encaissé, jusqu’au dernier coup de reins, jusqu’à la dernière secousse de son orgasme, jusqu’à la dernière giclée, jusqu’à la dernière trace de son nectar de jeune mâle. Son plaisir était le mien.
Dans cette chambre, nous avons également fait l’amour, c’était juste après la catastrophe qui avait frappé Toulouse le premier jour de l’automne de l’année 2001. Et nous l’avons fait d’autres fois, par la suite, lorsqu’il était reçu dans cette maison comme le beau-fils bien aimé.
Imaginer Jérém en train de coucher avec Rodney m’arrache les tripes. Mais, il faut bien l’avouer, pendant que mon orgasme approche sous l’effet des va-et-vient de ma main, c’est aussi furieusement excitant. Je donnerais cher juste pour le regarder prendre son pied et jouir, même si c’est avec Rodney.
Pendant l’ascension vers le plaisir, sous l’effet de l’excitation, les fantasmes masquent la souffrance.
Mais après l’orgasme, tout change instantanément. L’excitation retombée, mon mal-être revient aussitôt.
Et l’imaginer prendre son pied avec un autre, faire profiter un autre de son corps et de sa virilité, idée qui m’avait bien chauffé une seconde plus tôt, m’est à nouveau insupportable.
Et ce qui est insupportable aussi, c’est de me poser mille questions sur ce qui se passe dans ce lit de Londres. Jérém est un garçon actif. Il a parfois voulu essayer de recevoir la virilité d’un autre garçon, j’ai été le premier à qui il s’est donné. Il s’est donné parfois à Thibault, lors de nos plans de fin de championnat, et une ou deux fois lors de nos plans à trois occasionnels.
Et avec Rodney, ce garçon bien viril ? Qui tient le rôle de l’actif et qui celui du passif ?
Janvier 2008/2.
Depuis la rentrée, ma vie se résume à peu de choses. Je vais au taf, je rentre à la maison. J’évite de traîner sur le trajet. Je sors le moins possible.
Toulouse est ma ville, et je l’aime de tout mon cœur. Mais elle est aussi le théâtre de mes premiers émois avec Jérém, un théâtre désormais vide, horriblement vide. Et ce théâtre fantôme contribue à alimenter mon désarroi et ma mélancolie. Je n’ai envie de rien. Même pas d’aller boire un verre avec Thibault, pourtant si gentiment proposé.
Pour mon ami Julien, qui prend régulièrement de mes nouvelles, la recette pour tourner la page et cesser de souffrir qu’il m’a exposée un soir au téléphone paraît simple : baise, nique, jouis jusqu’à que la queue t’en tombe, fais toi plaisir !
Mais franchement, ça ne me dit rien. Je n’ai pas envie de ça, ni de sortir, ni de faire des rencontres, ni de baiser.
En dehors du travail, j’ai envie de me glisser sous la couette et de chialer.
Et accessoirement de regarder des matches de rugby anglais.
On tient là un bel exemple de l’incohérence de ma nature et de mon manque de mental. J’essaie d’oublier Jérém depuis des mois et puis, un samedi après-midi, je craque. Je m’installe avec Papa devant la télé pour regarder le beau brun jouer avec Rodney.
Je sais que je me fais du mal, mais j’ai besoin de le voir. C’est plus fort que moi.
Son apparition à l’écran m’arrache les tripes. Et pourtant, je reste devant l’écran. Maintenant que j’ai commencé à regarder, maintenant que je sais qu’il est en train de jouer, je ne peux pas partir. J’ai besoin de veiller sur lui, de m’assurer qu’il arrive à la fin du match sans se blesser.
Vers la fin de la première mi-temps, alors que Jérém vient de marquer un magnifique essai, Papa me questionne.
— Tu ne m’as jamais raconté comment s’est passé ton voyage à Londres…
C’est vrai qu’à mon retour à Toulouse, je n’avais pas du tout envie de parler de ça. J’ai juste dit que c’était fini entre Jérém et moi, et que je n’avais pas envie d’épiloguer. Mon souhait a été respecté. Mais je sais que mes parents se posent des questions, et je crois que je suis enfin prêt à y répondre.
— Il est amoureux d’un autre…
— C’est vrai ?
— Oui, Papa. Il est tombé amoureux de Rodney Williams…
— Son coéquipier ?
— C’est ça…
— Mais lui aussi il est…
— Il faut croire… ils habitent ensemble !
— Si vite ?
— Apparemment, ça a été le coup de foudre.
— Mais ils ne craignent pas de se faire repérer ?
— Officiellement, ils sont colocataires.
— Et tu le connais, ce Rodney Williams ?
— J’ai dormi une nuit chez eux.
— Ça n’a pas dû être facile.
— Non, pas vraiment. Et le pire, c’est que Rodney est un gars très sympa, et je n’arrive même pas lui en vouloir !
— Comment tu te sens ?
— Très mal.
— Tu devrais sortir, essayer de voir du monde.
— Ça ne me dit rien.
— Ce n’est pas en restant enfermé que tu vas rencontrer le gars qui va te faire oublier Jérémie.
— Je pense que ce gars n’est pas encore né.
— Moi je crois que si. Il faut juste que tu ailles à sa rencontre. Tu es un beau garçon et tu es intelligent. Tu trouveras quelqu’un qui saura te rendre heureux.
— J’ai du mal à le croire.
— Se faire quitter pour un autre, c’est dur, car ça oblige à se remettre en question. Mais ne laisse pas le bonheur passé t’empêcher d’en vivre d’autres.
— Est-ce qu’il en existe seulement « d’autres », après avoir été si heureux que je l’ai été ?
— Un nouveau bonheur viendra quand tu seras prêt à le recevoir.
Les mots de Papa me font chaud au cœur, ils me ramènent une nouvelle fois aux couplets de la chanson de Diana Ross.
Wait patiently for love/Attends patiemment l'amour
Someday it will surely come/Un jour ça viendra sûrement (…)
Mais quand on pleure l’amour perdu, on n’attend que le retour de celui dont l’absence est insupportable.
Le match est la chronique d’une belle victoire des Wasps. Jérém est de plus en plus à l’aise, et cet après-midi il marque pas moins de trois essais. Le petit Français se fait remarquer Outre-Manche. Je suis heureux pour lui, même si le fait de le voir sur un écran et de le savoir désormais inaccessible me fend le cœur. Lorsque la caméra capte sa belle gueule en premier plan, j’ai envie de pleurer, mon cœur a des ratés, ma gorge se serre, j’étouffe.
Son grain de beauté dans le creux du cou, sa peau mate, sa transpiration, ses tatouages, son brushing, sa belle petite gueule de jeune mâle, tout crie au sexe chez lui. Mais ce qui me manque le plus, c’est de le serrer dans mes bras, et de me sentir enserré dans ses bras musclés. Comme il me manque le bonheur qu’il savait m’apporter !
Dans un autre plan de caméra, voilà Rodney, le beau garçon qui a pris ma place dans le cœur et dans la vie de Jérém. Son regard est tellement clair, son sourire tellement lumineux et chaleureux. Je comprends tout à fait pourquoi Jérém est tombé amoureux de lui. Et ça me donne terriblement envie de chialer.
Après le coup de sifflet final, les Wasps témoignent leur liesse en faisant tomber les maillots. Jérém tombe le sien. Son torse dévoilé est une claque inouïe, une sculpture grecque aux proportions et aux reliefs parfaits, le tout parsemé de délicieux petits poils qui recommencent tout juste à repousser. Ça faisait longtemps qu’il ne les avait pas coupés, ils ne l’étaient pas la dernière fois où il m’a fait l’amour en août dernier, il les a donc coupés depuis. Pourquoi ? Pour faire plaisir à Rodney ? Pour être comme Rodney ? Rodney qui arbore, lui aussi, un torse spectaculaire, avec des tétons à donner le tournis, un torse complètement imberbe.
Les joueurs se félicitent entre eux, et je n’ai pas à attendre longtemps pour assister à une accolade virile entre Jérém et Rodney. Les pecs se pressent les uns contre les autres, les mains se glissent dans le dos de l’autre, un contact viril et sensuel, torse nu contre torse nu, comme pendant l’amour. Le désir est toujours là, toujours aussi évident, aussi brûlant, toujours aussi violent. Ça crève les yeux, en tout cas les miens, qui connaissent ce qu’il y a entre ces deux beaux garçons.
Une fois de plus, j’essaie de me dire que je devrais être heureux qu’il soit heureux, même sans moi. Mais c’est au-dessus de mes forces.
Au fond de moi, je ne sais pas si j’ai envie d’aller de l’avant, je ne sais pas si j’ai envie d’arrêter d’attendre Jérém.
Printemps (mars) 2008.
J’ai toujours trouvé que Toulouse est une très belle ville, de par son architecture, ses espaces verts, ses couleurs, sa gastronomie, son terroir, sa faune masculine. Et je trouve qu’au printemps, au moment où tout le vivant bourgeonne et frémit, elle est encore plus engageante. Mais cette année, lorsque le beau temps revient, et que les jours s’allongent, c’est à ce moment-là que ma tristesse devient encore plus dure à porter.
Le vent d’Autan se lève, et ses rafales charrient de vieux souvenirs. Des souvenirs emplis de nostalgie, des souvenirs de Paradis Perdu.
Je repense à tous ces moments passés avec Jérém, au lycée, dans l’appart de la rue de la Colombette, puis à Campan, à Paris, à Bordeaux, en Islande, au Québec, en Italie, au Pays Basque. Je repense au soir où nous nous sommes baladés à Montmartre, à cette journée où nous sommes allés voir un glacier aux couleurs féeriques se déliter dans la mer à Jökulsárlón, à cet autre où nous nous sommes baladés dans les rues moyenâgeuses d’Arezzo, au jour où nous nous sommes promenés à la Chaussée des Géants en Irlande du Nord. Je repense aux jours heureux de notre amour.
J’aurais tellement aimé continuer à visiter le monde avec Jérém.
Maintenant qu’il est avec Rodney, il fera des choses avec lui, il partira en vacances avec lui, il se créera des souvenirs avec lui. Et ces souvenirs prendront la place de ceux qu’il s’était fabriqués avec moi. Je ne serai plus le seul avec qui il aura visité des lieux, plus le seul copain avec qui il aura partagé de bons moments. Peut-être pas le seul à qui il aura donné un petit surnom mignon. J’étais son Ourson, que sera Rodney, pour lui ? Son beau « Wasps », son beau guêpe mâle ?
J’imagine qu’un jour il aura envie de présenter Rodney aux personnes qui comptent pour lui. Aux cavaliers de Campan, à Charlène, Martine, Jean-Paul, Daniel, à Thibault, à Maxime, à son père.
Et je me dis qu’une fois que Rodney aura été introduit auprès de ses amis et de sa famille, une fois qu’il aura découvert Campan et le domaine viticole de son père, il sera définitivement installé dans sa vie, et notre séparation sera définitivement actée. Car elle le sera dans l’esprit des gens qui ont connu notre couple et il n'y aura plus de retour en arrière possible.
Oui, cette année le vent d’Antan ravive ma tristesse, la fait flamber comme une braise tapie sous des cendres encore fumantes. J’ai l’impression de couler de plus en plus, dans un puits sans fond.
Puis, un soir où je suis vraiment mal, où j’ai vraiment l’impression de toucher le fond, je ressens au fond de moi comme un réflexe de survie. Alors, je donne un coup de pied contre le plancher de ma souffrance, je rassemble mon énergie, je me fais même un peu violence, et je me saisis de mon téléphone.
J’appelle Julien. Dès le lendemain, je passe une soirée avec lui et ses potes dans un bar à proximité du pont Saint-Pierre. Je suis entouré de monde, mais ma solitude ne me lâche pas, même au milieu de tous ces étudiants, même au milieu de tous ces bogoss. Je bois, encore et encore, pour essayer de lâcher prise, pour essayer d’oublier cette souffrance qui ne me quitte pas. J’ai peut-être été un peu vite en besogne, quitter ma retraite alors que ma convalescence n’était pas terminée n’était pas vraiment une bonne idée, je crois que je fais une rechute.
A trois heures du matin, je rentre chez moi à pied, accompagné par Julien qui, inquiété par mon état d’alcoolémie inhabituel, a insisté pour m’escorter jusqu’à la porte de l’appartement de mes parents.
Sur la route, nous faisons une halte, et Julien se grille une clope. C’est effet de l’alcool, ou la peur de me retrouver seul chez moi, de retrouver ma chambre avec tous ses souvenirs de Jérém. Je n’ai pas envie de quitter Julien, ce soir. Plus je le regarde, plus je le trouve sexy. J’ai envie de lui, j’ai terriblement envie de lui. Je réalise que je bande dur. Ce gars dégage une aura sexuelle de fou. Ce mec, il pue carrément le cul. J’ai envie de lui à en crever.
Et si je lui proposais une pipe ? Une pipe, ce n’est pas grand-chose, et ça ne se refuse pas. Surtout pas un queutard comme lui. Une pipe, ce n’est rien, et ça me ferait tellement de bien…
Pendant un instant, l’espace des deux dernières taffes avant d’écraser le mégot, son regard croise le mien et l’aimante. Pendant un instant, je crois que Julien a lu dans mes pensées, dans mon désir. Pendant un instant, je crois voir son visage s’illuminer d’un léger sourire, un sourire qui vaudrait encouragement vis-à-vis de mes intentions, des intentions qu’il aurait devinées et qu’il pourrait faire devenir des réalités. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il hésite, qu’il serait peut-être partant. Pendant un instant, dans ma tête, je suis à genoux devant le beau moniteur, je le fais jouir dans ma bouche, puis il vient en moi, il me pilonne longuement, avant de rincer mes entrailles avec ses bonnes giclées de coureur invétéré.
Mais l’instant est court, et il passe vite. Je le laisse filer. Et lui aussi. Ou alors, je me fais juste des films. Mais comment j’ai envie de me faire baiser par ce mec !
L’instant est désormais derrière nous, et nous recommençons à marcher, et à discuter de choses parfaitement inutiles. Devant la porte de chez mes parents, avant de partir, Julien me fait un bisou sur la joue et me glisse :
— Si j’étais pédé, ça ferait longtemps que je t’aurais déglingué !
Je n’ai pas la présence d’esprit ni la répartie pour lui rétorquer qu’il n’a pas besoin d’être pédé pour me déglinguer. Il suffit juste qu’il en ait envie.
Au fond de moi, je sais que c’est mieux qu’il ne se passe rien entre nous. Mais ça fait du bien d’entendre ce genre de propos dans la bouche d’un si joli garçon.
Avril 2008/1.
J’ai encore rêvé de Jérém. Il était là, nous faisions l’amour, ou la baise, ou les deux.
Je me réveille en sursaut, et je suis seul dans mon lit. Je bande. Et pendant que je me branle, je parcours les nombreuses fois où il a joui en moi. Je parcours les positions, les attitudes, les lieux où il m’a pris, où il m’a fait l’amour, où il a joui, où j’ai joui juste en me faisant limer.
La sensation de me sentir rempli de lui, de me sentir complètement à lui, l’énergie intense qui se dégageait du mélange de nos plaisirs parfaitement complémentaires me manque horriblement. Le voir perdre pied, le voir souffler son plaisir, soufflé de plaisir, savoir que son jus s’extrait de ses couilles et vient fourrer mes entrailles, ça me manque à me rendre fou.
Je donnerais très cher pour le regarder en train de me faire l’amour, ou même le regarder simplement rechercher son propre plaisir, sans se soucier du mien, comme lors des premières révisions dans l’appart de la rue de la Colombette.
Et pour assister à la transformation soudaine de mâle fougueux pendant la recherche du plaisir à garçon perdu une fois qu’il l’a trouvé, la respiration haletante, la peau mate – le front, le creux de son cou et de ses pecs – parsemés de transpiration…
Je jouis, et je pleure.
Avril 2008/2.
Mi-avril, je me décide enfin à rappeler Thibault. Je pense que s’il y a une personne sur terre capable d’alléger un peu mon fardeau, c’est bien le jeune pompier.
Arthur étant d’astreinte au SDIS, il n’a pas pu être avec à nous. Au fond de moi, je suis content que ce soit le cas. Non pas que je n’aime pas Arthur, bien au contraire, ce garçon est bien sous tout point de vue. Mais je sais que je serai davantage à l’aise juste avec Thibault, car nous avons des souvenirs communs, et une connaissance commune qui nous unit. Je sais que je pourrai me laisser aller avec Thibault, parler de ma tristesse, pleurer.
Nous nous faisons un resto au centre-ville. Je n’ai pas vraiment envie de parler tout de suite de mes malheurs. Je sais que ça va venir à un moment ou à un autre, mais j’essaie de gagner du temps. Pour ce faire, je m’emploie à prendre d’abord des nouvelles du jeune pompier.
J’apprends ainsi qu’il est en passe de devenir chef de centre, avec à la clé plusieurs dizaines d’hommes sous sa responsabilité. J’apprends qu’il est toujours heureux avec Arthur, et ça me met du baume au cœur. Thibault mérite tellement ce bonheur ! J’apprends également qu’il est heureux lorsqu’il commence sa journée « en amenant le petit Lucas à l’école ». Si c'est pas mignon, ça ! Thibault est un véritable papa-poule.
Mais le jeune papa ne tarde pas à me questionner.
— Comment tu vas, Nico ?
— J’ai connu mieux.
— Ça peut pas s’arranger entre vous deux, vraiment pas ?
— Non, je ne crois pas…
— J’avoue que je ne comprends pas ce qui s’est passé dans sa tête… vous aviez l’air tellement heureux tous les deux !
— Et moi donc !
— Au fait, tu as eu de ses nouvelles depuis qu’il est parti en Angleterre ? j’enchaîne pour ne pas pleurer
— Pas beaucoup. Je ne l’ai eu au téléphone que pour les vœux de la bonne année.
Ainsi, Thibault y a eu droit. Il n’y a donc que moi qui n’y a pas eu droit. Il veut vraiment couper les ponts.
— Il t’a raconté, pour lui et Rodney ?
— Un peu, mais il ne s’est pas éternisé sur le sujet. Je crois qu’il avait peur que je lui fasse la morale…
— Il avait l’air heureux ?
— Nico…
— Dis-moi, s’il te plaît.
— Je ne sais pas, il avait l’air d’aller bien.
— Il a emménagé avec lui, et il a l’air d’avoir trouvé l’équilibre qui lui manquait avec moi.
— Ne dis pas ça, Nico, Jérém a été très heureux avec toi.
— Il ne l’était pas assez, visiblement !
— Ce qui s’est passé à Paris il y a deux ans ça l’a vraiment secoué. Et ça a tout bousculé dans sa tête.
— Et il m’a oublié !
— Ce n’est pas vrai. Quand on s’est eus au téléphone, il m’a demandé de tes nouvelles.
Je sais que le fait qu’il demande de mes nouvelles ne signifie rien de plus, qu’il n’envisage pas pour autant de revenir auprès de moi. Mais ça me touche d’entendre ça.
La soirée continue chez lui, autour d’un verre. Thibault me parle de son taf qui le passionne et j’aime le sentir si épanoui, si heureux. Le bonheur ajoute encore des degrés à sa sexytude déjà affolante. Sous l’effet de l’alcool et de cette proximité nocturne, je repense à nos plans à trois avec Jérém, celui dans l’appart de la rue de la Colombette, mais aussi à ceux dans l’appart à Paris, à l’occasion des finales de championnat. Et je repense aussi à cette nuit que nous avons passée tous les deux à Bordeaux. Qu’est-ce que ça avait été bien cette nuit de plaisir et de tendresse !
Et qu’est-ce que j’aurais envie de réitérer l’expérience me sentir tour à tour saisi, dominé, enveloppé par ses gros bras ! Ce soir, j’ai envie de lui, furieusement envie de lui.
A la faveur d’un blanc dans la conversation, nos regards se croisent. Thibault semble déceler le désir qui suinte de mon regard, et il a l’air tout autant troublé que moi. C’est sans doute ce trouble, ou bien l’empathie envers ma tristesse, qui le pousse à me prendre dans ses bras puissants et à me serrer très fort contre lui. J’accepte ce gage d’amitié, de bienveillance et de tendresse. Et même si je crève d’envie de l’embrasser, de le revoir à poil et de faire l’amour avec lui, je me retiens ce soir encore. Je respecte son bonheur avec Arthur et je ne veux pas qu’il se passe quelque chose entre nous qu’on pourrait regretter par la suite. Je tiens trop à notre amitié.
Avril 2008/3.
Je me demande quand Jérém amènera Rodney dans sa famille ou à Campan (ou peut-être est-ce déjà fait ?), je me demande comment réagiront tous ces gens quand ils les verront arriver. Je me demande s’ils seront touchés par ce changement, comment ils accueilleront ce nouveau gars dans la vie de Jérém. Je me demande s’ils auront une pensée pour moi. Une partie de moi aimerait qu’ils soient révoltés, qu’ils disent à Jérém qu’il a fait une connerie en me quittant, qu’ils le poussent à revenir vers moi.
C’est on ne peut plus stupide que de penser que lors d’une séparation les proches doivent prendre parti, en particulier vis-à-vis de celui qui est quitté. Et c’est encore plus surréaliste d’imaginer qu’ils doivent œuvrer pour « l’ordre naturel des choses », celui du couple momentanément perturbé par l’« intrus », soit rétabli au plus tôt.
Oui, tout cela est immensément stupide. Et pourtant, cela nous effleure l’esprit à un moment ou à un autre.
Les proches ne peuvent pas prendre parti, car ils n’ont pas à interférer dans la vie de quelqu’un. Si on leur en donne l’occasion, ils côtoieront tout aussi facilement celui ou celle qui quitte que celui ou celle qui est quitté(e). Et ils accepteront également « l’intrus ». Intrus qui, à la simple condition d’être un tant soit peu avenant, ne le restera pas en tant que tel pendant longtemps. L’intrus sera bientôt promu « légitime » dans l’esprit des proches.
Au fond de moi, je sais que Rodney sera accueilli comme je l’ai été et que, le temps de le connaître un peu, ils l’adopteront comme ils m’ont adopté. Ils seront peut-être un peu déroutés sur le coup, mais ils s’y feront très vite. D’autant plus que ce garçon a l’air d’un garçon adorable.
Et le souvenir de Nico s’effacera très vite de leur tête. D’autant plus que, pour me protéger, pour ne pas risquer de croiser Jérém, son nouveau mec et son nouveau bonheur, je cesserai de voir ces gens et que, de ce fait, je cesserai d’exister pour eux.
La douceur de Maxime, le soutien de Mr Tommasi, le franc parler de Charlène, la grande gueule de Martine, la guitare de Daniel, la sagesse de Jean Paul, les boutades de Satine, l’amabilité de Ginette, la bonne humeur des cavaliers, les bons gueuletons, la présence de cette grande famille d’adoption, tout cela va immensément me manquer. La séparation d’avec Jérém m’a également exclu de tout un monde où je me sentais apprécié, accepté, entouré de bienveillance. Un monde où je me sentais bien.
Avril 2008/4
Il y a des jours, où je m’imagine qu’il se souviendra de notre bonheur, que ça lui manquera, et qu’il reviendra m’appeler Ourson. Il y a des nuits où je rêve de cela. Il y a des matins où je me réveille en larmes tellement le décalage entre le rêve et la réalité est violent.
Il y a des heures où je me dis que ce n’est pas possible, que ça ne peut pas se terminer comme ça, que ça devrait être illégal, qu’il devrait exister un délit de « privation volontaire du bonheur d’autrui ».
J’ai beau me dire que je n’ai pas le droit de lui en vouloir d’aimer un autre garçon, la privation de mon bonheur me rend fou. Coincé entre ces deux sentiments contradictoires, comme dans un étau qui ne cesse de se resserrer, j’ai l’impression que ma tête subit une telle pression qu’elle est au bord de l’explosion. J’ai l’impression d’avoir du plomb sur mes épaules, du béton dans mes poumons. J’étouffe, physiquement, mentalement. Je vois tout en noir, et mon avenir me paraît infiniment sombre.
Avril 2008 MadonnaNews.
Le 11 avril, le nouveau single « 4 minutes » est en radio.
L’album sort quelques jours plus tard, le 19 avril. Je me rends à la Fnac à la sortie du taf. Comme pour un astronome qui peut observer des phénomènes célestes une fois tous les X années, pour le fan que je suis, la découverte d’un nouvel album de Madonna est un événement, car cela ne se produit qu’une fois tous les 2 à 4 ans. Alors, j’apprécie à sa juste valeur cette occasion rare. La première écoute, celle à laquelle, par définition, on n’a droit qu’une fois, est une expérience presque « mystique ».
Le CD passe plusieurs fois en boucle dans mon lecteur et dans mon casque.
Impression à chaud : il y a du bon et du moins bon. Hard Candy, c’est le début de l’ère des featurings, des collaborations avec des artistes plus jeunes et plus à la mode pour tenter d’atteindre un public plus large. Un choix artistique peut-être inévitable, mais à l’efficacité plutôt discutable pour le fan que je suis.
Pour moi, Madonna, c’est de la pop et c’est en solo. Là, ce n’est plus vraiment de la pop, et c’est trop souvent en featuring. Le son est plus dur, plus acidulé. Pour moi, c’est moins du Madonna. Après plusieurs écoutes, et sous réserve d’un changement d’avis lorsque le disque aura un peu vieilli et se sera installé dans ma mémoire « madonnienne », je me dis que le chef d’œuvre pop « Confessions » sorti trois ans plus tôt n’est pas égalé par cette nouvelle galette.
Ce qui n’empêche pas cet album, et les chansons qui le composent, de se mélanger très rapidement aux événements actuels de ma vie, et à se constituer en icônes sonores de nouveaux souvenirs personnels et intimes. Au même titre que les albums précédents.
En 1998, « Ray of Light » a été l’album de mon entrée au lycée, et de l’entrée de Jérém dans mon cœur.
En 2001, « Music » a été la bande son des premières révisions sexuelles dans l’appart de la rue de la Colombette, des baises à répétitions, des fois où j’ai été réveillé par sa queue raide et insatiable qui cherchait mon cul pour lui gicler dedans une fois de plus.
En 2003, American Life a été le support sonore des longues semaines à Cap Breton pendant la rééducation de Jérém après son accident au rugby. Et de sa guérison, de son grand retour au rugby, et de nos jours heureux, des câlins avant, pendant, et après l’amour.
En 2005, Confessions on a Dancefloor a été la symphonie pop des jours heureux, de l’apothéose de mon bonheur avec Jérém.
Et en 2008, Hard Candy est l’album qui sonne le glas de ce bonheur, l’album de l’ère post-Jérém, celle du manque et du déchirement, une nouvelle ère de ma vie où je me perds dans un infini de tristesse dans lequel je n’ai plus de repères.
Et, malgré tout, Madonna est là une fois encore pour m’en donner un, avec sa musique.
Mai 2008.
Après le match auquel j’avais assisté avec Papa, j’ai pris et tenu la résolution d’arrêter de regarder les matches de rugby anglais. Voir Jérém m’est encore trop douloureux. J’ai besoin de prendre de la distance, j’ai besoin de penser à autre chose.
Et pourtant, à l’occasion de l’anniversaire de notre première révision dans l’appart de la rue de la Colombette, alors que la morsure du manque se fait particulièrement cruelle, je vais sur Internet, satanée invention qui rend le « sevrage » de l’Autre et le processus de deuil amoureux encore plus problématiques, en quête d’articles sur le championnat anglais et sur Jérém.
J’apprends alors qu’après un début de saison en dents de scie et par moments franchement chaotique, en cette fin de tournoi, les Wasps reprennent du poil de la bête. Et je constate que la presse est unanime, le rôle de la nouvelle recrue française, et du tandem de choc qu’elle forme avec un joueur plus expérimenté, Rodney William, est le moteur de cet exploit sportif.
Les photos de mon Jérém en maillot ne sont pas moins insoutenables que les images filmées de la télé.
Retrouver sa belle gueule marquée par les séquelles de notre agression est toujours une épreuve. Et voir son nom et prénom associés à ceux de Rodney presque à chaque article en est une autre. Non, je ne suis pas près de guérir de la blessure, de la déchirure, de l’absence, de cet amour perdu.
J’apprends également que le 18 mai, lors de la demi-finale de la Guiness Premiership, Jérém a marqué pas moins de trois essais, des point décisifs pour la victoire remportée contre le Bath Rugby pour 21-10.
Le 31 mai, lors de la finale contre les Leicester Tigers au stade Twickenham à Londres, les Wasps s’imposent 26 à 16 et remportent haut la main le championnat anglais. Et, une fois de plus, les exploits Tommasi-Williams sont salués par la presse sportive.
Comment Jérém doit être heureux de partager ces moments, ces exploits, cette réussite avec le gars qu’il aime ! C’est peut-être ça qui lui manquait avec moi, partager sa passion pour le rugby. Et il a trouvé ça auprès de Rodney. Il a peut-être été heureux avec moi, je l’ai cru pendant un moment, d’autres l’ont cru, et Jérém lui-même a pu le croire. Mais le fait est que le bonheur qu’il vit aujourd’hui est probablement si intense qu’il finira par éclipser celui qu’il a vécu avec moi.
Les derniers espoirs qu’ils puisse revenir un jour vers moi fondent dans mes larmes comme un sucre dans le café.
Début juin 2008.
Début juin, je tombe sur un article indiquant que Jérémie Tommasi et Rodney Williams auraient signé pour au moins une saison en Afrique du Sud. Il est prévu qu’ils intègrent l’équipe des Sharks pour y disputer début 2009 le Super 14, une compétition de rugby internationale entre équipes sudafricaines, néo-zélandaises et anglaises.
Partir en couple en quête du graal du rugby mondial, partir comme deux jeunes premiers que rien ne semble pouvoir arrêter, la route devant eux toute tracée vers la gloire sportive. Ça doit être tellement beau. Ils doivent être tellement heureux, les deux amoureux !
Je lis également que si le retour de Jérém dans le XV de France avait un temps été envisagé au vu de ses exploits anglais, désormais, suite à ce transfert en Afrique du Sud, cela n’est à nouveau plus d’actualité. Jérém s’éloigne un peu plus de moi, de plusieurs milliers de bornes.
Adieu, Jérém, mon Amour.
Début juin 2008, juste avant les épreuves du bac.
Un mercredi, un jour de RTT, je décide d’aller faire un tour en ville. J’ai envie de passer à la FNAC. Mais ma nostalgie inconsolable détourne mon trajet, aimante mes pas vers le lieu où tout a commencé.
Sans vraiment le vouloir, mais sans m’y opposer pour autant, je me retrouve devant l’entrée de mon ancien lycée. J’ai envie de revoir l’endroit où mon existence et celle de Jérém se sont croisées. Je le redoute aussi. L’absence est une présence en négatif, mais une présence quand-même. Un lieu, le lieu, ce lieu est un support formidable pour la mémoire, pour le souvenir.
Pour que ma visite ne paraisse pas bizarre, le prétexte est tout trouvé. J’aimerais passer dire bonjour à mon ancienne prof de français, Mme Talon.
Dès que je pénètre dans la cour du lycée où je ne suis pas rendu depuis le bac, soit depuis sept ans, j’ai un sentiment de vertige en contemplant le temps passé depuis. Cela a filé si vite ! Je réalise que je ne connais plus personne ici, car même « les premières années » lorsque j’étais en terminale ont passé leur bac depuis belle lurette.
Dans la cour qui n’a pas changé, je cherche le vieux chêne sous lequel se tenait Jérém en ce fameux matin de septembre 1998. Bientôt dix ans ! Je le revois toujours, en train de discuter avec ses potes, je revois son t-shirt noir, sa casquette noire à l’envers, son insolence, sa beauté surnaturelle, son sourire ravageur, et je ressens à nouveau les papillons dans le ventre que j’avais ressentis ce jour-là. Mon cœur se serre, mes larmes coulent sur mon cœur, montent à mes yeux, et je les arrête de justesse pour qu’elles ne débordent pas sur mes joues.
J’essaie de détourner mon attention sur ce que la vie peut offrir de plus beau, de plus rafraîchissant, de plus réconfortant, le spectacle de la jeunesse, la jeunesse masculine en ce qui me concerne.
Partout dans cette cour qui « fut un temps mon terrain de jeu », pour citer le titre d’une très belle ballade madonnienne sortie en 1992,
https://www.youtube.com/watch?v=RhXDO2a3-sE
Oui, partout dans cette cour qui fut le « terrain » de mon premier amour, et qui ne l’est plus, hélas, ici et là, des grappes de lycéens distribués de façon homogène dans l’espace verdoyant offrent un spectacle saisissant.
Leur insouciance me fascine, leur position dans la vie, juste avant le bac, c’est-à-dire à l’aune du début de leur âge adulte, avec tant de possibilités devant eux, avec tant de futurs possibles pour chacun d’entre eux. Eux, que la vie n’a pas encore abîmés, meurtris.
Il y a quelques garçons qui attirent mon attention plus que d’autres, quelques physiques déjà bien développés, quelques formats rugbyman, quelques belles petites gueules, quelques brushings insolents, quelques jeunes virilités qui ne doutent de rien et qui ne semblent demander qu’à être défrisées par un orgasme d’intensité inattendue.
Il règne dans cette cour, tout comme dans les couloirs du lycée, un air de nonchalance de fin d’année, comme un avant-goût de vacances. Je me souviens de cette ambiance des derniers jours avant le bac où tout le monde était pressé d’en finir avec le lycée. Je me souviens de la tristesse que cela provoquait en moi, car cela annonçait la disparition de Jérém de ma vie. Je me souviens du déchirement qu’était l’arrivée de l’été qui annonçait la fin des jours où je pouvais encore le côtoyer. Et ça, je ne pouvais pas l’accepter. C’est de ce déchirement que j’avais puisé la force de lui proposer de réviser ensemble. La suite est une histoire connue.
Je passe devant les portes ouvertes des classes, et mon cœur se serre un peu plus à chaque pas qui m’approche de mon ancienne classe de cours. Et dans cette pièce qui, elle tout particulièrement, « fut un temps mon terrain de jeu », une prof que je ne connais pas fait un cours de rattrapage à une poignée d’élevés tout aussi inconnus.
L’un d’entre eux, un délicieux petit con brun, une fabuleuse tête à claques à l’air de sacré branleur, ce qui le rend furieusement sexy par ailleurs, est assis à SA place. Une place qui en aura connu plus d’un, des branleurs sexy.
Je me fige sur le seuil de la porte, incapable de m’éloigner de ce lieu de souvenirs. Je reste figé jusqu’à me faire repérer.
— Je peux vous aider, Monsieur ? me demande la prof.
— Vous vous sentez bien, m’sieur ? me demande d’une façon adorablement insolente le petit con brun assis à la place de Jérém.
Monsieur… ça fait quelque chose d’entendre un petit con de près de dix ans mon cadet m’appeler ainsi.
— Je… je cherche Mme Talon, je finis par articuler comme en apnée.
— Je crois qu’elle n’a plus cours. Mais allez voir en salle des profs, elle y sera certainement.
— M… Merci… je bégaie, tout en me faisant violence pour m’extirper de ce lieu de souvenirs.
Mme Talon est effectivement dans la salle des profs. Elle est en train de corriger des copies. En me voyant arriver, elle me sourit et vient me saluer. Elle me propose un café.
— Nicolas, ça me fait plaisir de te revoir, alors, qu’est-ce que tu deviens ?
En quelques minutes, je lui parle de mes études à Bordeaux, de mon travail à Montaudran.
— Et tu es marié, fiancé ?
— Non…
J’ai toujours considéré Mme Talon comme une bonne prof, une prof qui a su me faire aimer les classiques de la littérature française, car elle a su les rendre vivants, en portant sur les auteurs et leur œuvre un regard moderne, décomplexé, en mettant en évidence l’universalité du message que ces textes portaient en eux, en les mettant à notre portée sans pédanterie, souvent avec humour, l’humour qui est le sel de l’existence.
J’ai aussi toujours considéré Mme Talon comme une femme forte, avec un caractère bien trempé, drôle mais ferme, exigeante mais juste. Une femme dotée d’une élégance et d’une grâce naturelles, d’un charisme qui en impose. Et, par-dessus tout, une femme intelligente. Une femme que je portais en grande considération, car elle a toujours fait preuve d’une profonde bienveillance à mon égard.
Cette intelligence et cette bienveillance, je les retrouve aujourd’hui, lorsque, après lui avoir dit que je n’étais pas marié parce que les filles ne sont pas ma tasse de thé et que depuis le lycée j’étais tombé amoureux d’un camarade de classe, elle m’a répondu :
— Je me suis toujours dit que le regard que tu posais sur lui était un regard d’amoureux.
— Vous saviez ?
— Toutes les filles étaient amoureuses de lui, alors, pourquoi pas toi ?
— Oui, pourquoi pas moi…
— Il a fait une belle carrière.
— Oui…
— Et tu l’as revu après le lycée ?
— Nous avons eu une relation qui a duré jusqu’à l’année dernière.
— C’est vrai ?
— Oui, nous avons été heureux. Mais ça s’est terminé.
— Hélas, la vie est ainsi faite. Mais il ne faut pas se laisser abattre. Tu es jeune, et à ton âge le bonheur est là, il suffit de tendre la main pour le saisir. Je suis désolée mais je dois y retourner, elle enchaîne. Reviens me voir, mais plutôt en début d’année scolaire, car là c’est le rush.
— Je reviendrai, je lui réponds, alors que je sais pertinemment que je ne le ferai pas.
— Ressaisis-toi, Nico. Fais confiance à la vie, elle te le rendra. J’ai envie de te dire cette phrase que disent les Italiens et qui est intraduisible en français, « faccio il tifo per te ».
— Ce qui veut dire ?
— « Fare il tifo », c’est supporter une équipe de foot. Donc, « fare il tifo » pour quelqu’un, c’est croire en lui, tout en lui souhaitant le meilleur.
— Merci, Madame, je sais que vous avez toujours cru en moi, et vous me l’avez montré quand j’en avais le plus besoin.
— Je n’ai fait que mon travail.
— Non, vous avez fait bien plus que ça. Vous m’avez appris à croire en moi, j’arrive à articuler de justesse, alors que les sanglots chatouillent mes cordes vocales.
— C’est bien ce que je dis, je n’ai fait que mon travail de prof.
Je traverse la cour en caressant une nouvelle fois du regard ces grappes de délicieux petits mâles en fleurs que la vie n’a pas encore abîmés, en leur enviant la magnifique page de vie vierge qui se dresse devant eux, tout en ignorant qu’il y a eu un jour Jérém&Nico dans ce lycée, dans cette cour.
Je me demande combien d’entre eux ont déjà connu l’amour. L’amour physique, l’amour du cœur. Combien d’entre eux ont aimé ou aiment secrètement d’autres garçons. Je me demande s’il y en a qui ont osé proposer à ce gars qui les troublait depuis le premier jour du lycée de réviser pour le bac.
Je me demande, parmi ces lycéens qui me semblent si jeunes par rapport à moi, combien de « Jéréms » enfermés dans leur rôle d’hétéro, combien de « Nicos » soupirant secrètement se cherchent et vont se trouver un jour, ou pas. Ou pas.
A tous les Nicos, j’ai envie de dire, de crier : soyez patients, persévérants.
A tous les Jéréms, j’ai envie de hurler : laissez-vous aller !
A tous, j’ai envie de brailler : N’ayez pas peur d’aimer ni de vous laisser aimer, jamais !
Car il n’y a que lorsqu’on aime, et que l’on se sent aimé en retour, qu’on est vraiment et pleinement heureux.
Les mots de Mme Talon m’ont ému aux larmes. Mais ma tristesse en ressortant de l’enceinte du lycée n’est que plus grande.
Juin-Juillet 2008.
Après un printemps pluvieux, la belle saison s’installe peu à peu. Au début, j’ai voulu l’ignorer, cette belle saison, et continuer à rester enfermé chez moi. La pluie était un parfait support à ma tristesse. Mais les beaux jours semblent appeler avec insistance à oublier ses propres malheurs et à s’ouvrir à nouveau à la vie. Il me semble qu’il est encore plus dur d’être triste quand les beaux jours sont là.
Je souffre comme un chien, et cette souffrance est devenue une partie de moi, elle a remplacé mon bonheur. Alors, au fond, à ma souffrance, j’y tiens. Je n’ai pas le courage d’oublier le bonheur passé, d’oublier Jérém. J’ai l’impression que sans cette souffrance, je me sentirais encore plus seul, encore plus malheureux, que je me sentirais nu. Que je trahirais l’amour de mes vingt ans. Déjà que Jérém semble avoir tout oublié, je reste le dernier témoin de ce bonheur. Si moi aussi je l’oublie, ce sera comme s’il n’avait jamais existé.
Je ne peux l’oublier, non, jamais. Alors, je prends des notes, je trace des lignes, je remplis des feuilles de mots, d’épisodes, de souvenirs, de larmes. Je ne sais pas ce que je vais faire de tout ça, peut être juste laisser une trace, pour ne pas laisser l’oubli engloutir l’amour de mes vingt ans.
Oublier c’est dur, mais me replonger dans les souvenirs ça l’est tout autant, dur et épuisant. Je ne peux jamais écrire très longtemps. Les larmes finissent par brouiller mes yeux, et je suis obligé d’arrêter. Souvent. Mais je reviens régulièrement à mes cahiers. Mes notes, mes textes, mes divagations ressemblent à un sacré bazar. Mais à mon bazar, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Car c’est tout ce qui me reste de Jérém.
Juillet 2008.
L’été avance, avec ses journées chaudes propices à l’observation du Masculin. Lors de mes trajets maison-boulot, j’observe le spectacle des « fleurs du mâle ». Les bras se découvrent en premier. Parfois, au bonheur des débardeurs, les épaules se dévoilent également. Au gré des échancrures généreuses, on peut observer la naissance des pecs, quelques poils, parfois.
Le bonheur tient parfois en une manchette qui épouse de près un biceps solide, dans une façon de porter le t-shirt sur un beau torse, dans une chute d’épaules à l’angle solide, dans l’arrondi d’un col, dans une chaînette nonchalamment posée sur la peau, dans un brushing, un regard, un sourire, des lunettes de soleil, une barbe, un grain de beauté, dans un brushing brun, châtain, blond, insolent. Délicieux détails du Masculin. Le Masculin qui est parfois dans un détail, parfois un tout, ou les deux à la fois.
Les journées chaudes peuplées de délicieuses visions masculines toutes plus émoustillantes les unes que les autres sont suivies de nuits tièdes appelant à l’amour physique. Pendant un temps, ma morosité efface mon désir. Je contemple les beaux garçons, sans vraiment les désirer.
J’ai l’impression qu’en allant de l’avant, je fermerais définitivement la porte à un éventuel retour de Jérém. C’est tellement dur de tourner le dos aux souvenirs heureux, à l’amour de sa vie.
Mais l’été sait se montrer persuasif. Il me chuchote à l’oreille qu’il est un péché mortel que de gaspiller de si belles journées, et de si douces nuits, à se morfondre.
Puis, un vendredi, le vent d’Autan se met à souffler. Il se lève dans l’après-midi, et continue de gronder bruyamment dans la rue le soir venu.
Le vent d’Autan semble lui aussi m’encourager à aller de l’avant, à prendre ma vie en main, à me secouer de ma morosité. Il semble dire, répéter, encore et encore que la belle saison est là, et que ce serait un énorme gâchis de la gaspiller en broyant du noir.
Le vent d’Autan. Il m’en a fait, des coups, celui-là ! Il m’a conduit à Jérém un jour de printemps, et il m’en a éloigné un jour d’automne.
Et maintenant, il voudrait que je lui fasse à nouveau confiance pour aller de l’avant ? Mais pour aller où au juste ?
Je ne sais pas si j’en ai envie, de lui faire confiance. Je n’ai envie d’aller nulle part, au juste. En fait, j’ai peur. Peur de bouger dans ma vie, peur de rater Jérém si jamais il décidait de revenir me chercher.
Le déclic arrive le soir même, tard dans la nuit, lorsque de ma radio surgissent les accords de guitare d’une chanson chantée par un charmant garçon.
https://www.youtube.com/watch?v=hSdpfzS_Y1g
« J’ai toujours préféré, aux voisins les voisines »
Ce couplet m’a toujours fait sourire, car j’ai toujours trouvé que chanter :
« J’ai toujours préféré aux voisines les voisins », ça sonnait tellement mieux.
Déjà, car il y a effectivement dans le voisinage proche de chez mes parents un garçon qui est tout à fait à mon goût. Hors de ma portée, mais terriblement à mon goût.
Mais ce soir, cette nuit, la légèreté et la sensualité de cette chanson prennent une nouvelle dimension pour moi, elles ont l’effet d’un électrochoc, d’une caresse, d’une brise excitante sur ma peau. Ses accords de guitare frais comme un sirop de grenadine semblent me pousser à aller de l’avant.
Je réalise à quel point j’ai envie de sortir de ma morosité, de sortir tout court. Au fond de moi, je sais que j’étouffe dans cette chambre, que je me noie dans cette chambre. Je sais que j’ai besoin de prendre l’air, de boire un peu, de danser, d’oublier. Je sais que je ne pourrai pas oublier. Mais je peux cesser de penser, de broyer du noir, de pleurer. Du moins, l’espace de quelques heures.
Alors, pour tenter d’apaiser la douleur qui meurtrit mon esprit, qui déchire mon cœur et transperce mes entrailles, je me jette tête la première dans mon été de nouveau célibataire.
L’instinct de survie finit par gagner. Après des mois de réclusion volontaire, changement de cap à 180 degrés.
Dès le soir suivant, le samedi, je sors pour me rendre dans ces lieux où je peux croiser des garçons comme moi. Des lieux où je peux faire des rencontres. Je n’ai aucune envie de construire une nouvelle histoire. Non, j’ai juste envie de tester mon pouvoir de séduction et de baiser.
Le quartier de la rue de la Colombette m’étant impossible à approcher à cause des souvenirs encore trop vifs, la Ciguë et le On Off me sont interdits. Alors, je me rends au B-Machine. J’ai un pincement au cœur, un gros pincement, en franchissant le seuil de cette boîte où je ne me suis pas rendu depuis près de sept ans, après le premier clash avec Jérém, le soir où il s’était retrouvé mêlé à une bagarre qui l’avait plongé dans le coma. Ça m’arrache les tripes de revenir à la case départ, en tant que nouveau célibataire, après avoir été si heureux et avoir tout perdu de mon bonheur passé.
Je me fais violence, et j’y vais.
Une fois installé au comptoir avec ma bière, je ne sais plus exactement ce que je viens chercher ici, je ne sais même plus pourquoi je suis venu. En vrai, je n’ai même pas envie de boire, ni de danser, ni de baiser. Au final, j’ai juste envie de rentrer chez moi et de m’abandonner à ma tristesse familière.
Et, pourtant, je me fais une nouvelle fois violence pour rester.
Mais cette soirée est une déception totale. Pendant deux heures, je me retrouve comme un con derrière ma bière, personne ne vient me parler. Je ne vais pas non plus parler à qui que ce soit, je ne croise aucun regard, j’ai l’impression d’être transparent. Ou repoussant. Je dois porter sur moi mon malheur, ma tristesse. Et il n’y a rien de tel pour faire fuir les garçons.
Il n’est pas encore minuit lorsque je repars bredouille, sans même avoir eu envie de me mélanger à la foule qui a pris d’assaut la piste de danse au sous-sol.
Et pourtant, j’y reviens, dès le lendemain. Je prends un verre et je descends au sous-sol pour m’étourdir de décibels et mater les garçons, sans espérer davantage de cette soirée. Mais c’est souvent quand on ne s’y attend plus que les choses finissent par arriver.
Sous l’effet des lumières polarisées, son t-shirt blanc bien ajusté à sa plastique avantageuse brille de façon aveuglante dans la pénombre à l’autre bout de la piste de danse. Il brille dans le contraste avec sa peau bien mâte, avec son intense brunitude. Il brille également dans le contraste, on ne peut plus intense, avec mon souvenir, avec ce t-shirt noir qu’il portait, si bien, par ailleurs, lors de notre première « rencontre ». C’était il y a longtemps, à l’entrée du On Off. J’étais avec Jérém, il était là avec ses potes, une petite cour d’admirateurs de son intense mâlitude.
Le bobarbu bien viril m’a capté et il me fixe depuis l’autre bout de la piste. Son regard de chasseur mâle, de chasseur de mâles m’intrigue, m’intimide, m’excite.
C’est lui qui fait le premier pas, au sens propre comme au sens figuré. Le premier est son sourire, un sourire carnassier, conquérant, assuré, lubrique, arme de séduction massive. Les suivants, ce sont des vrais pas par lesquels il contourne la piste en se faufilant entre les torses, en frôlant les torses et les biceps, en se frayant avec aisance un chemin entre les regards qui tentent de le retenir, pour s’approcher de moi. Le fauve fonce sur moi, je n’ai plus qu’à bien me tenir.
— Salut, ça fait un bail, il me glisse, tout en me claquant la bise.
Sa barbe est toujours aussi douce, aussi excitante, son parfum toujours aussi entêtant, sa présence toujours aussi troublante. En fait, le mot juste est « bandante ».
— Salut, oui, ça fait sept ans, jour pour jour.
— Déjà ?
— Eh, oui, ça passe vite…
— Tu as bien changé, tu es devenu beau garçon !
— T’as qu’à dire que j’étais moche à l’époque !
— Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Tu as grandi, tu as mûri, tu as l’air d’avoir pris de l’assurance. Tu n’es plus le minet perdu que tu étais il y a sept ans. T’as l’air d’un mec qui a quelques heures de vol au compteur…
— Si tu le dis…
— Ce qui fait que j’ai encore plus envie de te baiser maintenant que l’autre fois ! il me lance, cash.
— Je prends ça pour un compliment…
— Ça en est un !
— Toi, t’es toujours aussi bandant…
— Je sais, il fait, sans ciller.
— Et toujours aussi insupportable !
— C’est ça qui fait mon charme, entre autres…
Je souris.
— Alors, qu’est-ce qui t’amène ici, dans ce lieu de perdition ?
— Mon nouveau célibat, je suppose.
— T’as été maqué pendant tout ce temps ?
— Oui, pendant sept ans, ou presque.
— Ne me dis pas que pendant tout ce temps tu te tapais ce gars qui a fait une sacrée carrière au rugby ?!
— Si !
— Ah, cool pour toi ! Comment il s’appelait déjà… Jérôme, je crois…
— Jérémie, il s’appelait Jérémie.
— Je n’en reviens pas que je me suis fait baiser par un futur titulaire du XV de France ! Et alors, c’est fini entre vous ?
— Oui…
— Dommage…
— Oui, dommage.
— Tu veux un truc à boire ? il me propose, sans chercher à en savoir davantage sur ma rupture, chose que j’apprécie, car je n’ai vraiment pas envie d’en parler dans ce contexte, avec tout ce bruit autour.
— Avec plaisir.
Une minute plus tard, Romain et moi trinquons à nos retrouvailles imprévues.
— Et toi, toujours à la chasse aux mecs ? je lui lance.
— On ne se refait pas, il se marre. Son sourire est toujours aussi furieusement charmeur et lubrique. Mais maintenant, j’ai un régulier, il continue. Il est là, à côté de l’entrée, c’est le gars avec le t-shirt orange. Il s’appelle Rémi. On vient de temps à autre pour chercher un mec pour un plan à trois. C’est pour ça qu’on est là ce soir.
Son regard me déshabille.
— Et d’ailleurs, il enchaîne, si ça te dit d’être ce gars, ce soir, j’en serais ravi. Et lui aussi, à en juger d’après la façon dont il te mate.
La beauté virile de ce mec se rapproche de celle de Jérém. Ce gars, a côtoyé Jérém, a dragué Jérém, a défié Jérém, a sucé Jérém, s’est fait baiser par Jérém. En couchant cette nuit avec lui, j’aurais peut-être un peu l’impression que Jérém soit là, avec nous, avec moi, en moi.
— Pourquoi pas…
Une demi-heure plus tard, dans un appartement aux Sept Deniers, nous sommes deux à nous « disputer » la queue bien tendue du bobrun barbu à qui j’ai demandé de garder le t-shirt blanc pendant cette longue séance de fellation.
Rémi finit par monopoliser la queue de son régulier, et moi je me retrouve sur le carreau. Alors, je me remets debout, et je sors ma queue. Remi ne tarde pas à venir me pomper. Mon plaisir est décuplé par le regard que le beau barbu pose sur moi, un regard intrigué et chargé d’une lubricité brûlante. En fait, j’ai compris ce qu’il kiffe, Romain. Il kiffe baiser des mecs « actifs de base », des mecs qui le font penser à des hétéros. Plus je me montre « actif », « viril », plus je l’excite, tout comme ça l’avait excité de se frotter à la virilité de Jérém. Il aime être l’actif de mecs actif qu’il aime être le seul capable à rendre passifs.
Romain chausse une capote, il se positionne derrière moi et s’enfonce en moi pendant que Rémi me suce. C’est génial de se sentir en même temps actif et passif. Ses coups de reins se prolongent sur le lit, avec Rémi allongé sur le ventre juste à côté, avec ses belles fesses offertes, attendant patiemment que son maître vienne honorer son cul.
Ce que le beau brun barbu ne tarde pas à faire. Il sort de moi, il se débarrasse de sa capote, et il s’enfonce entre les fesses de son régulier. En quelques coups de reins, il remplit le beau Rémi de quelques bonnes giclées chaudes.
C’est terriblement excitant de voir un aussi beau mâle jouir. Mon excitation est à son paroxysme. Alors, lorsque le beau barbu se retire de son régulier, je pose ma main entre les reins de ce dernier pour l’empêcher de se redresser.
— Attends un peu, t’as pas fini de te faire baiser, je lui lance, sur un ton désinvolte. Un ton qui fait son effet, car Rémi écarte à nouveau ses cuisses et cambre à nouveau ses jolies fesses.
— Mets une capote, il me glisse.
— C’était prévu !
— Tu fais ça maintenant ? j’entends Romain me glisser, sur un ton tout aussi surpris qu’excité pendant que je me saisis d’une capote et que je la déroule le long de ma queue tendue.
Je ne réagis pas à son interrogation, bien assez satisfait de l’avoir surpris, et peut-être troublé un fois de plus cette nuit.
Un instant plus tard, je me laisse glisser entre les fesses de Rémi, je m’enfonce lentement dans son trou bien préparé par les assauts du beau barbu, lubrifié par sa semence, comme dans du beurre.
Dans l’état d’excitation qui est le mien à ce stade de la soirée, il ne me faut pas longtemps pour venir. Pendant toute la durée de mes va-et-vient, le regard de Romain ne m’a jamais quitté. Et sa trique ne l’a jamais quitté non plus. Je devine ce qui m’attend « après ». Et cette idée précipite et décuple mon orgasme.
Je viens tout juste de jouir lorsque je me retrouve plaqué sur le matelas, la capote pleine toujours sur ma queue qui ne saurait débander. Mon corps vibre encore sous les dernières répliques du séisme de mon orgasme, alors que la langue du beau barbu s’affaire déjà sur ma rondelle pour m’offrir d’autres intenses frissons.
Ça ne fait pas une minute que j’ai joui, mais l’envie de me faire baiser par un Romain excité au possible fait remonter illico mon excitation et mon envie de m’offrir à lui.
— Vas-y, baise-moi… beau brun ! je lui lance, comme un écho aux échanges passés avec Jérém.
Romain ne se fait pas prier, il vient en moi aussitôt. Je ferme les yeux, je me concentre sur la présence de sa queue en moi, sur son gabarit, sur sa façon de me posséder, sur sa façon de me saisir avec ses mains, sur sa façon de me signifier que j’ai beau jouer les actifs, le mâle alpha c’est toujours lui, un point c’est tout.
Il s’enfonce en moi jusqu’à la garde et il commence à me limer.
— Vas-y, fais-toi plaisir, bomec, baise-moi autant que tu veux ! je le chauffe.
— Je vais te baiser comme une chienne !
— C’est tout ce que je demande.
— T’aimes prendre une bonne queue dans le cul, hein ?
— Oh que oui…
— Et ma queue, tu la kiffes ?
— Ta queue est super bonne !
Elle est bonne, certes. Mais aucune ne saura égaler celle du gars que j’aimais plus que tout.
— Elle est aussi bonne que celle de Jérémie ? il me poignarde dans le dos en même temps qu’il me baise dans le dos.
J’ai envie de pleurer, mais mon excitation m’aide à tenir bon, et à mentir.
— Aussi bonne, j’affabule pour le chauffer encore un peu plus.
— Peut-être plus bonne encore… il siffle, malicieusement.
— Peut-être bien… je sur-mens pour le chauffer à blanc.
J’ai envie qu’il sorte toute sa fougue de mâle, j’ai envie qu’il me défonce comme il sait bien le faire quand on sait lui parler, le chercher, le provoquer, j’ai envie que ce soit animal, j’ai envie de me sentir à lui, j’ai envie que ce soit comme avec Jérém.
Pour être animal, c’est bien animal. Je ne sais pas s’il a cru à mes mensonges, mais ce qui est certain c’est qu’il est sacrement excité et que ses assauts sont bien fougueux. Et pourtant, ils ne provoquent pas l’extase à laquelle je m’attendais.
J’ai beau fermer les yeux, rejouer des répliques de pieu iconiques, mentir sans pudeur. Romain est un sacré mâle, un sacré baiseur. Mais Romain ce n’est pas Jérém. Avec Romain, c’est bon, très bon même. Là où avec Jérém, c’était un feu d’artifice. Cette capote entre nous est du bon sens en caoutchouc, du bon sens non négociable, mais il enlève toute spontanéité de ma part. Après la mésaventure avec Benjamin il y a quelques années, je suis toujours sur le qui-vive, de peur que ça casse. Je ne veux pas revivre la frayeur que j’ai vécue à l’époque. Peut-être que j’attends trop de ce plan, c’est même certain, dans la mesure où je demande plus ou moins consciemment à mon amant d’être quelqu’un d’autre.
Romain finit par venir quelques instants plus tard, en lâchant un beau râle de jouissance et de satisfaction.
Quant à moi, je n’ai plus envie de jouir, j’ai même débandé.
Inutile d’attendre les câlins qui savent amortir l’atterrissage après l’extase, ils ne viendront pas. Romain n’est pas câlin après avoir baisé. Ça aussi, ça le différencie de mon Jérém.
Romain n’est pas non plus le genre à garder dormir chez lui l’outsider d’un plan à trois. Il est près de deux heures du mat, et il m’appelle un taxi. L’attente est longue et le silence dans l’appart assommant. Il n’y a que l’humour de Ruquier et la folie de Foresti jouant un sketch ponctué de la réplique « Je ne suis pas folle, vous savez ? » pour rendre ce long moment d’attente un brin moins glauque.
https://www.youtube.com/watch?v=C3RiazetBmM
Avec Romain, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Tout simplement parce que ce que je cherche, est inatteignable. Aucun gars ne saura jouer les Jérémies. Je redescends alors mes attentes d’un cran, et je passe en mode « j’ai besoin de baiser pour oublier, alors je cherche simplement un mec pour baiser ».
Je sors à nouveau. Dès le lendemain. Toujours au B-Machine. Un gars vient me parler, je finis la nuit dans son pieu. J’aimerais le revoir, mais je sens que ce n’est pas à l’ordre du jour de son côté.
Le week-end suivant, je recroise Romain au B-Machine, il drague d’autres mecs, d’autres proies. Lorsque je l’approche, il me dit tout juste bonjour. Ce gars n’est que le gars d’un soir, un soir tous les sept ans, éventuellement. Alors, peut-être rendez-vous en 2015…
Un autre soir, je tombe sur un gars prénommé… Jérémie, « Jérém pour les potes ». Quand il m’a appris son prénom, j’ai eu envie de pleurer. Dans le noir que j’ai demandé pour nos ébats prétextant que cela m’excite à mort, je ne me prive pas de lancer encore et encore, moins une exhortation qu’une supplication :
— Vas-y, défonce-moi, Jérém !
Mais Jérém ne me défonce pas du tout comme Jérém. Car Jérém n’est pas Jérém. Il n’a même pas du tout le genre, le corps, ni la gueule de mon Jérém. Mais il y a quelque chose d’excitant, à la fois de douloureux, frustrant et excitant dans cette sorte de mantra : Vas-y, défonce-moi, Jérém !
Je continue de sortir, d’avoir des aventures. Mais avec ces quelques inconnus, le manque de complicité sensuelle et de tendresse me fait cruellement défaut. L’inquiétude vis-à-vis des IST et MST que je pourrais choper rien qu’en prenant un mec en bouche ou en laissant un mec me prendre en bouche, la peur que la capote casse, le gars pressé de partir, le gars pressé que je parte, moi pressé de partir une fois que nous avons fait ce que nous avions à faire, l’envie de pleurer lorsque je me retrouve seul dans la rue, en train de rentrer chez moi, seul comme un chien, tout cela enlève toute une grande partie de l’insouciance et de la spontanéité qui fait d’une baise une bonne baise.
Jamais je ne retrouverai un amant comme Jérém, un amant qui savait me faire jouir comme personne d’autre. Un amant en qui je pourrai avoir assez confiance pour faire l’amour sans capote. C’est tellement bon de pouvoir faire assez confiance à un garçon pour être rempli de son jus. Sans cela, pour moi, le plaisir est incomplet, saboté, inachevé.
Oui, je donnerais cher juste pour l’avoir une dernière fois en moi, ne serait-ce que dans ma bouche, pour recevoir une dernière fois ses giclées chaudes dans mon palais, pour retrouver son goût de jeune mâle, et pouvoir avaler sans avoir à réfléchir, et profitant de ce plaisir l’esprit libre.
Pendant les nombreuses branlettes avec lesquelles je m’assomme, j’en viens même à envisager de prendre un avion pour Londres pour aller lui proposer, réclamer, quémander une pipe en souvenir du bon vieux temps. Au fond, une pipe, ça ne se refuse pas, et une pipe ce n’est pas vraiment tromper…
Je me dis qu’il doit se souvenir d’à quel point il les aimait, mes pipes, et qu’il serait donc sensible à ma proposition.
Quand on a eu un amant comme Jérém, le sevrage est une épreuve inhumaine.
Quand on se branle, tous les fantasmes semblent à portée de main.
Evidemment, de celui-ci, comme pour d’autres, je n’en fais rien. Car il s’évapore aussitôt mon orgasme passé.
Je regrette de ne pas avoir proposé à Jérém de filmer au moins une fois nos ébats, comme je l’avais envisagé à un moment dans ma tête, après l’achat de mon premier appareil numérique à l’occasion de notre voyage au Québec. A l’époque, l’idée me paraissait bien excitante. Mais je n’ai jamais osé lui en parler, de peur d’essuyer un refus. Je l’avais envisagé pour pouvoir me branler devant ces images lorsqu’il était loin de moi. Mais ça ne s’est jamais fait.
Au fond, c’est mieux ainsi, ça me ferait trop mal de regarder en boucle ce bonheur sensuel perdu.
D’ailleurs, toute image de Jérém me fait mal. Il y a des mois, le premier janvier, en guise de bonne résolution pour la nouvelle année, j’ai rassemblé toutes nos photos papier, j’ai gravé les images numériques et les quelques vidéos sur un cd avant de les effacer de mon ordi et de mon appareil photo. J’ai tout mis dans une boîte à chaussures que j’ai scellé avec beaucoup de scotch, avant de la ranger sur l’étagère la plus haute de mon placard, bien au fond, vers le mur, derrière d’autres boîtes.
Loin de me faire oublier Jérém, ces quelques aventures estivales me rendent le manque encore plus insupportable. Car chez tous ces gars, dans tous ces lits, derrière toutes ces braguettes, dans tous ces boxers, c’est Jérém que je cherche. Son corps, sa queue, sa façon de me faire sentir à lui, sa façon de me faire sentir en sécurité, ses gros bras solides qui ont su pendant un long moment être si rassurants…
Lorsqu’en baisant avec un gars vous pleurez intérieurement le grand absent, lorsque vous vous sentez comme sali par l’amant d’un soir à qui votre corps a dit oui, sans que votre cœur, à mille lieues de là, ait donné son assentiment, lorsque vous avez l’impression que chaque baise vous éloigne un peu plus de celui que vous n’arrivez pas à oublier, qu’elle vous rend un peu plus indigne de lui et de ce que vous avez vécu ensemble, lorsque vous pensez aux beaux jours de l’amour en les comparant avec votre misère sentimentale et sensuelle actuelle, lorsque vous pensez sans cesse au grand absent, lorsque vous criez intérieurement son prénom tout en l’imaginant heureux avec l’autre, alors que votre amant du soir ne vous donne pas le centième du plaisir et du bonheur que vous avez connu avec ce grand absent, voilà, quand tous ces signes se cumulent, c’est que le remède à votre malheur n’est certainement pas baiser à tout va.
Il faut un temps pour le deuil d’un amour. Chaque deuil demande un temps qui lui est propre. Et ce temps est incompressible. Il est inutile d’essayer de le raccourcir avec une ivresse, de quelle nature qu’elle soit. Au mieux, on le reporte. Au pire, on le multiplie.
C’est décidé, je suis fatigué des plans. Time out jusqu’à nouvel ordre.
Fin juillet 2008.
Ça fait déjà plus de six mois, et ça fera bientôt un an, que Jérém m’a quitté, et ma douleur est toujours aussi vive, aussi saillante, elle transperce mon âme de part en part, elle coupe mon souffle par moments.
Au final, ce qui me manque le plus, ce n’est même pas le sexe. Ce qui me manque par-dessus tout, c’est sa présence à mes côtés. Dans ma vie. Savoir qu’il y a quelqu’un qui pense à moi, qui tient à moi. Ce qui me manque, c’est de passer la nuit avec le gars que j’aime, de sentir sa chaleur, son parfum, sa présence rassurante dans le lit, de l’enlacer. Et de le retrouver au réveil, de le retrouver le lendemain et le surlendemain encore.
Non, jamais je ne retrouverai un amant comme Jérém, et encore moins un garçon comme Jérém. Jamais je ne retrouverai la façon qu’il avait de m’aimer. De m’aimer.
Je donnerais tout ce que je possède pour sentir à nouveau sur moi sa tendresse, son amour. Son amour. Pour l’entendre m’appeler « Ourson ».
Et l’imaginer partager ses jours et ses nuits avec un autre, l’imaginer en ménage avec un autre, alors qu’il n’a jamais voulu l’être avec moi, ça me donne le tournis, le vertige.
J’essaie de m’apaiser en me disant que peut-être le milieu du rugby anglais est moins homophobe. Ou alors, qu’en changeant d’air, il s’est senti moins oppressé, plus à l’aise.
Mais au fond de moi, je sais que Rodney a su le mettre en confiance et le rassurer comme je n’ai jamais su le faire.
En dessous de la colère de surface, au fond de moi je vis le fait de m’être fait larguer comme un désaveu, je me dis que s’il m’a quitté c’est que je n’étais pas assez bien pour lui. Et ça fait un mal de chien.
Je pleure le bonheur passé, je désespère d’en connaître à l’avenir, et je me noie dans la peur panique d’une immense solitude qui se profile dans mon horizon.
Début août 2008.
Il fait très chaud en ce mois d’août. L’irrigation bat son plein. Tout comme mon travail de relevé et de contrôle du bon fonctionnement des appareils de mesure.
Un matin, je suis amené à me rendre dans une ferme dont l’accès au comptage est particulièrement compliqué. Par chance, j’arrive à avoir l’agriculteur au téléphone et à lui demander des renseignements. A mon arrivée, il m’attend dans la cour du corps de ferme, et me propose de m’accompagner à la station de pompage.
M. S. a la quarantaine, il est un peu enrobé, mais il n’est pas dépourvu d’un certain charme. Il a aussi un accent, espagnol, sans doute. Un accent qui, ajouté à son nom, confirme ses origines. Sous son marcel informe et son short tâché de terre et de cambouis, et malgré ses bottes en caoutchouc-tue-l-amour, il me semble déceler un ensemble masculin qui, sans vraiment être canon, m’inspire l’envie de la découverte, contre lequel j’aimerais me blottir, par lequel je ne dédaignerais pas me faire posséder. L’arrondi de ses épaules me paraît très sensuel. Parfois, le désir est un tout, et parfois il ne tient qu’à un détail. Parfois, c’est les deux à la fois.
C’est peut-être mon imagination, mais il me semble déceler chez M. S. un regard insistant, traînant. Un regard qui doit ressembler au mien. L’agriculteur m’invite à le suivre. Il monte dans sa vieille 205 blanche et je le suis avec ma camionnette de service.
Une 205, qu’elle soit rouge ou pas, est pour moi une accroche de souvenir. Une madeleine. Un QR code. L’image d’une 205 traverse ma rétine, et je plonge instantanément des années en arrière, dans une époque, le bac et l’été qui a suivi, une rue, la Colombette, un studio, celui de Jérém lycéen, des sensations, celles de mes premiers émois sensuels, des images, le corps de Jérém, sa queue, sa jouissance, des questionnements, est-ce qu’il va continuer à m’appeler pour me baiser ou bien va-t-il bientôt se lasser de moi ? Est-ce que baiser avec ce gars me suffit ou bien j’ai envie de plus ? Est-ce qu’un jour il saura me donner plus ?
Nous arrivons à la cabane de pompage et le réel m’arrache aussitôt aux souvenirs. Pour y accéder, il faut emprunter une descente, et l’homme me propose de monter en voiture avec lui. Je m’exécute et sa proximité dans l’espace clos de la voiture me trouble. Le mélange olfactif qui se dégage de lui, entre la lessive propre et le cambouis, je trouve ça plutôt excitant.
Quelques secondes plus tard, nous arrivons enfin aux compteurs. Je fais mon relevé en quelques instants, enveloppé par le bruit assourdissant des pompes qui tournent à plein régime. Au moment de repartir, je croise le regard de M. S. qui s’attarde sur moi et je n’ai pas envie de repartir. L’endroit est on ne peut plus tranquille, personne ne peut nous surprendre. J’ai envie de lui. Dans le ventre, un frisson intense irradie dans tout mon corps et rend mes tétons hypersensibles contre le coton de mon t-shirt.
Le désir est un bon anesthésiant de la souffrance, de l’angoisse, de la peur. Depuis quelques minutes que je désire cet agriculteur, mes inquiétudes au sujet de Jérém sont comme anesthésiées. Je sais qu’elles reviendront bien assez vite, mais j’apprécie ce répit d’un instant.
J’ai envie de le sucer ici, dans la nature.
Mais l’une des pompes se met à gigoter de façon inquiétante, et le gars est obligé de l’arrêter. D’autres complications surgissent, et je l’entends pester. Et me donner congé, car « il va en avoir pour un moment ». Le moment magique est rompu, son désir éclipsé par la contingence.
Je n’ai pas la présence d’esprit de lui proposer mon aide, et je me résous à remonter la pente à pied, pour aller récupérer ma camionnette. Je me retourne deux fois, mais le gars est désormais dans le canal, l’eau jusqu’à mi-cuisse, les bottes certainement pleines d’eau, en train de sortir la crépine bouchée par le feuillage qui a commencé à tomber à cause de la canicule, toujours en pestant bruyamment.
Je m’éloigne du bel agriculteur – oui, le fait de ne pas pouvoir l’avoir l’a fait passer de désirable à beau – hanté par la frustration d’avoir raté l’occasion de faire se rencontrer nos désirs réciproques. J’aurais pu lui dire que j’avais le temps, ce qui est le cas, car il est mon dernier irriguant de la matinée. Mais je n’ai pas su le faire, et je repars comme un con.
Une fois dans ma voiture, je ne peux me résoudre à la démarrer. Je me dis que je vais attendre que M. S. remonte. Il aura résolu son problème de pompe, et son esprit sera à nouveau disposé au désir. Je lui demanderai à boire, il me fera rentrer chez lui, et je le sucerai dans sa cuisine. Peut-être même qu’il me baisera dans son lit. J’ai désormais très envie, et je me fais violence pour ne pas ouvrir ma braguette et me branler.
J’attends de longues minutes, des minutes insupportables, la trique compressée par mon short, les tétons dégageant des décharges électriques au moindre frottement contre mon t-shirt, la chaleur décuplant mon envie de jouir, saisi par le tournis en imaginant les mots que je lui adresserai quand il remontera, pour lui demander à boire, pour lui proposer de le sucer. Parce que je ne vais pas tourner autour du pot, je vais lui proposer de le sucer, j’ai trop envie, je ne peux pas ne pas exprimer cette envie.
Je guette le bourdonnement de la pompe qui redémarre, et par ricochet des soucis levés. Mais je n’entends que le bruit du vent, ponctué par quelques imprécations du charmant agriculteur.
Ce n’est qu’au bout d’une demi-heure que la 205 blanche remonte enfin. La pompe n’a toujours pas redémarré. A priori, la panne n’est pas résolue. J’ai le cœur qui bat à tout rompre, j’ai la tête qui tourne, le souffle coupé. J’avais prévu de sortir de ma voiture, de l’arrêter, de lui demander un truc à boire. Mais mes jambes n’obéissent pas. Je suis saisi par le doute, plombé par le doute. Et si je me trompais, et si dans ses regards il n’y avait pas de désir ? Est-ce que le besoin irrépressible d’en avoir le cœur net qui ravage mon ventre vaut le risque de me faire jeter comme un malpropre ? Et s’il m’en collait une ? Le bruit des coups et l’odeur du sang de cette horrible nuit où Jérém et moi avons été agressés à Paris surgissent dans mon esprit comme une décharge électrique.
Au fond, s’il ressent du désir lui aussi, il pourrait faire le premier pas. Il est plus âgé que moi, il devrait être plus assuré. Il est plus costaud que moi, il ne devrait pas craindre que je lui en colle une. Je découvrirai plus tard que l’assurance n’a rien à voir avec l’âge, et que la peur du regard, du jugement et de l’attaque verbale est aussi puissante que celle de l’agression physique. Aussi, que si on attend toujours que l’autre fasse le premier pas, on rate bien des occasions.
Pendant que sa voiture passe à côté de la mienne, je le regarde, fixement, intensément. Je croise son regard. Mon cœur est sur le point d’exploser. Le gars a l’air surpris de me retrouver encore là. Il est trempé de la tête aux pieds, et il a l’air contrarié. Non, visiblement la panne à la pompe n’est pas résolue. Et, visiblement, son esprit n’est pas revenu dans des dispositions propices au désir. Il y a également du regret dans son regard, me semble-t-il. Peut-être que, tout comme moi, il en avait envie, mais il n’a pas osé.
Le mec trace sa route, et je le vois accélérer en direction du corps de ferme.
Je le suis, accroché à un dernier espoir, qu’il s’arrête à la maison pour se changer, et que je trouve le courage de le rattraper. Mais je le vois bifurquer sur un chemin de traverse, et disparaître dans le maïs. Dès lors, je sais que c’est foutu pour de bon. Je regagne la départementale et reprends ma route, comme vidé, avec un sentiment de défaite qui plombe mon esprit comme un bloc de granit. Et je retrouve toutes mes angoisses, mes peurs, peur de la solitude, mes larmes. Et l’immense tristesse d’avoir perdu Jérém, le bonheur de ma vie.
Plage de Gruissan, août 2008.
A l’occasion du long week-end de l’Assomption, je viens rejoindre Elodie et sa famille pendant un week-end. J’arrive le vendredi soir et le lendemain Lucie est malade. Un peu de fièvre, rien de grave, mais les parents n’arrivent pas à gérer autre chose que ce petit imprévu. Ils s’occupent d’elle, naturellement. Pour la petite famille, pas question de sortir avec cette chaleur.
Alors, je me retrouve seul sur la plage, sur cette plage où pendant tant d’années j’ai refait le monde avec ma cousine, des après-midis entiers de discussions à bâtons rompus qui ont scellé notre profonde affection, seul sur cette plage où j’ai attendu Jérém, seul sur cette plage où je suis venu avec Jérém, seul avec mes souvenirs, ma solitude, mes larmes.
Heureusement, la plage est aussi ce lieu magique où le Masculin se manifeste dans sa sensualité la plus exacerbée.
Plage de sable fin, mer chaude, soleil brûlant, air de vacances, d’insouciance.
Tri visuel automatique rapide, pointage de bogosses.
Pecs, biceps, poils du torse, casquette portée à l'envers, lunettes de soleil, y compris dans l'eau.
Ôter casquette, cheveux mouillés, ruisselants, en bataille.
Autour du cou, une chaînette brillante, nonchalamment posée, sexy à mort.
A la lisière de l’élastique du short de bain, poils mouillés bien alignés en direction du nombril, d’autres bien plus insolents, noirs et saillants.
Corps ruisselants d’eau salée, peau luisante, tentante. Tétons saillants, durcis par la fraîcheur de l’eau.
Sourires, jeux entre potes. Jouer au ballon dans l’eau, coups de tête, de main, de pied, tout est permis, surtout s’amuser entre potes joueurs.
Envie d’un, deux, dix garçons.
La mer, la plage, théâtre parfait pour apprécier les moindres détails, les infinies délices du Masculin.
Toujours août 2008.
Un soir, mon téléphone sonne.
Pendant un instant, je crois à l’Impossible. Lorsque je regarde l’écran de mon portable, je réalise que ce n’est pas CET impossible, mais un impossible quand-même. Un improbable, du moins.
— Salut, Nico ! j’entends Charlène me lancer.
Dans sa voix, j’ai l’impression de déceler l’intention de se montrer à la fois avenante et compatissante, comme vis-à-vis d’un malade ou d’un malheureux avec qui on ne sait pas vraiment quelle posture adopter. Un numéro d’équilibriste dans lequel elle ne se débrouille pas mal.
— Ça va, je mens.
— C’est un petit « ça va », ça…
— Tout petit, oui. Disons que j’ai connu des jours meilleurs.
— J’imagine bien.
— Ceux que j’ai passé à Campan, chez toi, par exemple, étaient bien meilleurs… ils étaient parmi les plus heureux de ma vie.
— Tu n’arrives pas à l’oublier…
— Il me manque à en crever !
— Il me manque aussi.
J’imagine bien à quel point Jérém doit manquer à Charlène aussi. Et je n’arrive pas à retenir mes larmes.
— Oh, Nico, ne pleure pas, sinon je vais pleurer aussi !
— C’est tellement dur !
— Tu n’as pas de vacances devant toi ?
— Si, j’ai deux semaines début septembre.
— Tu as prévu quelque chose ?
— Pas vraiment.
— Viens quelques jours à la maison… enfin… si ça te dit.
— C’est gentil, mais je ne sais pas si c’est une bonne idée…
— Il n’y a pas que Jérémie qui nous manque, tu sais ? Tu nous manques aussi, Nico. Tout le monde me demande de tes nouvelles, tout le monde est triste pour toi. Viens quelques jours, on se fera quelques bons repas et on pourra parler tranquillement.
— Je ne sais pas.
— Quand plus rien ne va, elle me glisse calmement, il reste les amis dans la vie.
Samedi 30 août 2008.
Aujourd’hui, je file vers Campan. Je parcours la même route que j’avais empruntée la première fois où je m’y étais rendu il y a sept ans, jour pour jour. La route qui quitte la « quatre voies », celle qui traverse les villages, celle qui passe par Saint Martory, celle qui laisse admirer le changement progressif d’architecture entre la plaine et la montagne.
Je refais la route qui, ce jour-là, devait m’amener au premier baiser de Jérém après le clash chez moi quelques semaines plus tôt. Je refais la route qui devait m’amener à nos retrouvailles magiques sous la halle en pierre frappée par une pluie ruisselante. Je refais la route qui devait m’amener à l’amour de Jérém.
Il y a sept ans, la pluie était battante. Aujourd’hui, c’est la fougue du soleil de l’été qui joue les prolongations, et elle est tout aussi insistante. Mais je sais que septembre est là, que la rentrée va arriver, que l’été est en train de s’en aller, comme mon bonheur perdu.
En voyant les panneaux « Campan », mon cœur a des ratés. Les larmes, elles, ne me ratent pas. En passant devant la halle en pierre léchée par les rayons orange du couchant, je chiale comme une madeleine. Pendant un instant, je pense à m’arrêter pour aller faire un petit coucou à Martine dans sa supérette. Mais je n’en ai pas l’énergie, je trace tout droit vers le centre équestre de Charlène.
Enfin, c’est ce que je voudrais faire. Je voudrais savoir résister à l’appel de cette bifurcation sur la droite qui m’appelle tel un chant des Sirènes. Mais je n’y résiste pas. Je m’y engouffre, sans savoir vraiment pourquoi, en sachant pertinemment que je ne vais rien trouver de l’ancien bonheur dont la petite maison dans la montagne a été le théâtre. Et que dans ce lieu chargé de symbolique pour moi, je ne vais trouver que la tristesse sans fond de ma nostalgie.
La réalité est encore plus triste que celle que j’avais imaginée. La petite maison n’est pas seulement vide, pas seulement à l’abandon. Elle a été violée. La porte d’entrée a été salement fracturée et l’intimité du foyer est désormais accessible à tout regard, à toute intrusion. Mon cœur se fracture lui aussi un peu plus. La cheminée éteinte paraît morte. Le lit où nous avons fait l’amour, est en vrac, la table où nous avons mangé a été utilisée pour un banquet alcoolisé, comme en témoignent des bouteilles abandonnées. Visiblement, la petite maison dans la montagne a été squattée par des visiteurs indélicats. Tout est en vrac, tout est sale. Je m’assois sur le bord du perron et je fonds en larmes.
Chez Charlène, rien n’a changé ou presque. Même si la patronne a cédé son affaire à Jérém et passé la main à une nouvelle gérante, il y a toujours des chevaux dans les prés, il y a toujours son sourire accueillant et son regard profondément bienveillant.
Il y a toujours du feu dans la cheminée, du thé et des cookies maison. Et des mots qui réconfortent.
Charlène est au courant de ce qui s’est passé à la petite maison, « l’œuvre d’une poignée de petits cons », comme elle le dit, et ça la rend triste elle aussi.
— Jérém est au courant ? je la questionne.
— Oui, je lui en ai parlé. Il a dit qu’il s’en occupera à Noël.
— Il compte venir ici ?
— Je ne sais pas, c’est pas sûr… elle bafouille en réalisant s’être aventurée par mégarde sur un terrain miné.
— Dis-moi !
— J’en ai déjà trop dit, de toute façon.
— Exactement !
— Oui, il m’a dit qu’il viendrait.
— Avec… l’autre ?
L’ « autre » est le nom qu’on donne à celui qu’on ne veut pas nommer, le fossoyeur de notre bonheur, pour nous donner l’illusion qu’on peut lui refuser le droit d’exister tout simplement en refusant de l’appeler par son vrai prénom.
— Oui, avec Rodney.
Je lui ai demandé de la franchise, j’en ai pour mon argent. Comme une droite en pleine gueule. Ainsi, Rodney compte assez pour Jérém pour être, lui aussi, « éligible » à l’univers magique de Campan, il compte assez pour avoir le droit de faire connaissance avec ses racines, avec ses amis cavaliers, avec ses chevaux. J’aurai été le premier, mais bientôt je ne serai plus le seul. La venue de Rodney va sceller officiellement la fin de notre histoire. Quand nos amis communs auront vu « l’autre », ils sauront que c’en est vraiment fini de Jérém et Nico et ce sera acté pour de bon.
— Il va bien ? je lui demande, comme assommé par la nouvelle, arrivant tout juste à respirer.
— Il me semble que oui.
— Il est heureux ? Parce que moi, je suis malheureux, je n’ai jamais été aussi malheureux !
— Tu sais, Nico, Jérémie s’en veut de t’avoir fait du mal. Malgré tout ce qui s’est passé, il tient toujours énormément à toi.
— Ça me fait une belle jambe qu’il tienne à moi alors qu’il couche avec un autre !
— Nico !
Pendant le week-end que je passe à Campan, j’ai l’occasion de retrouver Bille, Tzigane et Unico, les équidés de Jérém. J’ai l’impression qu’ils me reconnaissent et qu’ils savent le pourquoi des larmes chaudes que leur présence fait couler sur mes joues.
J’ai aussi l’occasion de refaire un tour à cheval en petit comité avec Charlène, Martine, Jean-Paul et Carine. De retrouver l’odeur de sous-bois humide, d’automne imminent. De retrouver les souvenirs chargés de nostalgie de nos séjours à Campan, des balades à cheval, des soirées avec les amis cavaliers, de cet instant jour où Jérém m’a serré dans ses bras devant la grande cascade à Gavarnie. Du soir où il m’a embrassé devant tout le monde.
Mais aussi de retrouver la sagesse de Jean-Paul, la fraîcheur de Carine, les rires de Martine et de Charlène, l’odeur rassurante d’un bon feu de cheminée, d’une potée qui cuit pendant des heures et qu’on partage avec les amis les plus proches, et le sourire éclatant des étoiles, si belles, si pétillantes à la montagne.
Pendant tout le week-end, Charlène s’occupe de moi comme une mère, une deuxième mère qui sait précisément ce que je traverse et qui sait trouver les mots, les gestes, la chaleur humaine qu’il faut pour me réconforter.
Je suis revenu à Campan, j’ai naufragé vers Campan, j’ai échoué à Campan.
Et après ce week-end, je me sens comme un convalescent remis sur pied après un traitement de choc. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, et mes amis les ont essuyées. Charlène a raison. Quand tout va mal dans la vie, quand tout semble perdu, une seule chose demeure, les amis, les vrais, ceux qu’on peut compter sur les doigts d’une main. Un ami c’est comme la famille, l’excès de pudeur qui inhibe les échanges les plus intimes en moins.
En revenant vers Toulouse, j’ai l’impression que ma vie a enfin retrouvé quelques couleurs.
Septembre 2008.
La semaine après mon week-end à Campan, mon téléphone se met à déconner. Vu son âge, un remplacement s’impose. J’aimerais prendre l’un de ces nouveaux appareils qu’on appelle désormais les smartphones, mais ils sont hors de prix et il me semble que je n’en aurais pas l’utilité. Alors, j’opte pour un nouveau modèle à clapet au design épuré.
Suite à une fausse manipulation, j’efface l’intégralité de la mémoire de mon ancien téléphone, contacts et sms. Je m’en veux à mort. Je tente le tout pour tout, je l’apporte même chez un réparateur. Mais il n’y a rien à faire, tous les échanges avec Jérém sont irrémédiablement perdus. Des messages que je n’ai pas consultés depuis des mois, mais dont la présence, inscrite à la fois dans ma mémoire consciente et dans celle subconsciente, constituait l’un des seuls piliers qui m’empêchait de m’effondrer.
Les messages pleins des délicieuses fautes d’orthographe de Jérém perdus, je me sens encore un peu plus éloigné de lui, encore un peu plus seul, encore un peu plus triste et inconsolable.
Mais si sur le coup cet accident numérique constitue un choc, dès le lendemain il sait se métamorphoser en électrochoc salutaire. Le déclic qu’il me fallait pour commencer réellement à tourner la page, à aller de l’avant, et prendre un nouveau départ.
Un nouveau départ qui passe par un nouvel appart. J’adore mes parents, depuis des mois, des années, ils m’entourent sans être intrusifs, ils tissent autour de moi un cocon qui m’aide énormément à tenir le coup. Mais je sens que j’ai besoin de prendre mon indépendance. J’ai besoin d’avoir un chez moi. Je dois avancer dans ma vie, je dois vivre ma propre vie. Si un jour je rencontre un gars, je ne peux pas l’amener dans ma chambre d’enfant, avec les parents qui dorment au fond du couloir.
— Tu es sûr que tu es prêt ? Rien ne presse, tu sais… me glisse Papa lorsque j’expose mon projet à table, à l’heure du dîner.
— Je n’en ai aucune idée, mais j’ai envie d’essayer.
— Tu es un homme maintenant, mon fils, c’est toi qui sais ce qui est bon pour toi.
Maman est triste que j’envisage de quitter à nouveau le cocon familial, car elle sait pertinemment que cette fois-ci ce sera pour de bon et que je ne reviendrai pas.
— Je ne pars pas loin, tu sais, je vais rester à Toulouse, je tente de la réconforter.
— Mais tu pars quand même. C’est dans l’ordre des choses, je sais, ça s’appelle « grandir ». Mais je sais déjà que tu vas me manquer.
Moins de deux semaines plus tard, la veille de mon anniversaire, l’agence immobilière me remet les clefs du charmant petit appartement qu’elle m’a déniché à Labège, vraiment pas loin de mon travail.
En contemplant cet appart encore vide où chaque petit bruit résonne contre les murs nus, je fais un parallèle avec ma vie. Une nouvelle page blanche s’ouvre à moi, une page dont ces pièces et ces murs vides sont une excellente représentation, et j’aime l’idée de l’ouvrir dès demain, de remettre les compteurs à zéro, pile le jour de mon anniversaire. Mais avant d’aborder cette nouvelle page et de commencer à la remplir avec de nouveaux magnifiques couleurs, je dois clôturer l’ancienne.
Et pour ce faire, il faut que j’arrive enfin à accepter que Jérém soit heureux sans moi. Je dois apprendre à l’être sans lui.
15 septembre 2008.
Aujourd’hui, j’ai 26 ans. Aujourd’hui, j’ai reçu des sms et des coups de fil d’amis voulant me souhaiter bon anniversaire. Mais les vœux les plus attendus, ceux que j’espérais depuis des mois, ceux qui représentaient tant de choses à mes yeux, ceux dans lesquels je ne croyais pas vraiment, tout en les espérant de toutes mes forces, de toutes mes tripes, ne sont pas venus. Je les ai attendus jusqu’à ce que mon téléphone affiche « 16 septembre 2008 ». Et j’ai fondu en larmes.
20 septembre 2008.
C’est aujourd’hui que Madonna vient à Paris pour la première des deux dates consécutives au Stade de France. En pénétrant dans l’immense enceinte, j’ai l’impression d’entendre les acclamations de la foule des 80000 spectateurs des grands matches. Combien de fois, je suis venu voir Jérém jouer dans cette enceinte. J’ai l’impression qu’il pourrait être là, dans la pelouse, au milieu des milliers de fans attendant l’arrivée de la Star.
Ce soir, Jérém me manque horriblement. Il y a deux ans, j’avais partagé cette expérience avec lui. Certes, ce n’était pas dans ce lieu, c’était à Bercy, et il avait vraiment aimé. Je me souviens m’être dit qu’on en partagerait d’autres, des concerts de Madonna, lui et moi. Hélas, ce ne sera pas le cas.
Comme les albums, les tournées marquent des périodes de ma vie.
Le Drowned World Tour de 2001 était la bande son de mes escapades nocturnes vers l’appart de la rue de la Colombette. C’est aussi le souvenir de mon premier concert de Madonna, à Londres, de cette folle virée avec ma cousine, de cette époque d’insouciance.
Le ReInvention Tour de 2004 est lié au souvenir de la plus belle période avec Jérém, après son accident au rugby et son rétablissement, cette période où notre amour semblait si fort, intarissable.
Le Confessions Tour de 2006 était le moment de la « rencontre » entre la Star de ma vie et l’Homme de ma vie. Notre amour vivait ses derniers jours, mais nous l’ignorions, et nous étions si heureux !
L’ambiance est folle dans l’immense enceinte. La Star se fait attendre, mais lorsqu’elle apparaît enfin, tout s’embrase. Le concert est très travaillé, très esthétique. Mais le cadre très inadapté. Dans un si grand espace, le visuel est frustrant, malgré les grands écrans, et le son est vraiment, vraiment mauvais.
Et ça gâche l’expérience tout entière. Quand je compare le concert de 2006 avec celui de ce jour, le verdict est sans appel. Sur le papier, un stade est un choix de prestige, qui montre à quel point l’artiste sait fédérer. Dans la pratique, c’est le pire endroit pour assister à un concert.
Au final, cette soirée est une grosse déception. Non pas à cause de la prestation de l’artiste, mais à cause de l’endroit choisi. Vivement le DVD !
16 octobre 2008.
Jérém a 27 ans. Si le beau brun a oublié mon anniversaire (ou bien il a fait exprès de ne pas me le souhaiter pour garder de la distance entre nous), moi je n’oublie pas le sien. Je n’ai plus son numéro et pendant toute la journée la tentation est forte à chaque instant d’appeler Maxime pour le lui redemander. Mais je me fais violence, de plus en plus violence au fil des heures, de plus en plus de violence jusqu’à ce qu’il ne soit plus temps, jusqu’à ce que mon téléphone, que je fixe depuis des heures, affiche enfin « 17 octobre 2008 ».
Automne 2008.
En ces derniers jours du mois d’octobre, seul dans mon appart, la tristesse, la mélancolie, la nostalgie, les larmes me rattrapent de plus belle. J’ai enfin un chez moi, je pourrais voir qui je veux quand je veux, et pourtant, je n’ai envie de voir personne. Personne, même pas des mecs pour des plans.
En dehors de mon taf et des courses, je me terre dans mon deux pièces, je broie du noir. J’en viens même à me demander si ça a été vraiment une bonne idée d’aménager seul, alors que je ne suis toujours pas guéri de ma rupture, alors que le manque leste mon cœur, écrase mon âme, noue mes tripes.
Octobre 2008.
Oui, en ces derniers jours du mois d’octobre de celle qui a été la deuxième pire année de ma vie ex-aequo avec celle qui l’a précédée, je me noie à nouveau dans cet abîme de tristesse désormais bien familier. La chaleur humaine de Campan est déjà lointaine, et la « couverture », l’état de grâce que cette piqûre de rappel contre la morosité m’avait apporté s’estompe jour après jour.
Alors, je dérive à nouveau et plus que jamais dans cette lutte impossible contre l’inéluctable, la perte de l’amour de ma vie, une perte que ma raison et mon cœur refusent, à laquelle ils n’arrivent pas à se faire, une perte inconcevable, inacceptable, insupportable.
C’est à ce moment que le vent d’Autan recommence à souffler. C’est à ce moment, lorsque je suis à nouveau au plus mal, qu’un ange tombé du ciel revient dans ma vie. Le hasard a fait que tous deux avons choisi d’aller voir le même film, plusieurs semaines après sa sortie, dans la même salle de cinéma, et à la même séance.
C’est après deux heures passées à suivre les pérégrinations de Meryl Streep sur une île grecque tout en chantant du ABBA a tout va, après avoir attendu religieusement, lui comme moi, à des emplacements plutôt éloignés dans la salle, que le fondu au noir et le silence tombent après les titres de fin, et que les lumières se rallument, c’est au moment de quitter la salle que nous nous croisons, que nous tombons littéralement l’un sur l’autre. Je m’arrête pour le laisser passer, il insiste pour me laisser passer. Je le regarde, je le reconnais.
Il n’a pas changé, il est toujours aussi gentil garçon. Et soudain, mon cœur s’emplit de bonheur, comme lorsqu’on rencontre un visage familier après s’être longtemps égarés dans un désert ou une forêt.
Vendredi 15 septembre 2017.
Aujourd’hui, j’ai 35 ans. Le temps passe, et je réalise que j’ai plus du double de l’âge que j’avais au moment où j’ai connu Jérém au premier jour du lycée.
Pendant longtemps, le fait d’imaginer Jérém amoureux d’un autre, coucher avec un autre, partager la vie d’un autre, me donnait le vertige. Chaque fois que le vent d’Autan se levait, je me surprenais à être dans l’attente d’un miracle. Auquel je ne croyais plus depuis longtemps. Et pourtant, à chaque fois mon cœur sursautait, ma peau était parcourue par des frissons, et dans mon cœur et dans mes tripes tout se remettait à remuer violemment, tout me ramenait à lui. J’ai longtemps attendu son retour, comme dans la chanson de Diana Ross.
And I'm still waiting/Et j'attends toujours
(…)
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre
J’ai longtemps regretté Jérém, l’amant, l’amoureux, le P’tit Loup qui donnait de si belles couleurs à ma vie. J’ai longtemps regretté sa présence à mes côtés, de ses jambes contre les miennes sous la couette, de quelques petits jeux de pieds tout mignons avant de nous endormir, le souvenir de la chaleur de son corps, du parfum de sa peau, de la solidité de ses bras qui me serraient à la fois solidement et doucement contre lui, de la douce puissance de son torse contre les miens, tout ce qui fait le partage avec l’être aimé, tout cela m’a manqué comme un membre qu’on m’aurait arraché.
Je lui en ai parfois voulu d’avoir oublié le bonheur et les promesses d’Ourson et P’tit Loup. D’être parti, d’avoir choisi le rugby plutôt que me choisir moi. Certes, c’est moi qui lui ai donné ce choix. Si je l’ai fait, c’est pour ne pas le rendre malheureux. Papa avait raison, il aurait été très malheureux de tirer un trait sur le rugby. Mais le choix qu’il a fait m’a rendu malheureux, moi.
Mais au final j’en ai surtout voulu au destin, je lui en ai voulu de m’avoir offert le bonheur de ces cinq années avec Jérém, un bonheur avec ses hauts et ses bas, certes, mais un bonheur insensé, vertigineux, et de me l’avoir retiré si brutalement.
Le deuil de cet amour a été pendant longtemps chose impossible. Pendant près de dix ans, ça m’a empêché de profiter pleinement de la vie, de faire confiance, d’accepter l’amour qu’on m’offrait.
Oui, aujourd’hui, j’ai 35 ans. Et cet anniversaire plus que d’autres m’a poussé à faire un bilan de ma vie.
Je suis encore jeune, mais je sais que le temps passe, et qu’il passe vite, et que Demain n’est que spéculation, car pour mille raisons il pourrait ne pas être.
Alors, au milieu de ma trentaine, j’ai l’impression que ma quarantaine m’attend au tournant. Je n’ai pas peur de vieillir. J’ai surtout peur de rater les occasions, les belles choses que la vie a à m’offrir. Je ne veux plus gaspiller mon temps avec les regrets. Je ne veux plus vivre dans le passé. Ça fait longtemps qu’espérer un retour de Jérém n’a plus de sens.
Je crois que je suis enfin prêt à m’ouvrir à de nouvelles expériences, à l’amour, à la vie tout simplement.
Les fêtes de fin d’année arrivent, elles passent et se terminent sans un signe de la part de Jérém, même pas un message pour la bonne année. S’il ne le fait pas, je ne le ferai pas non plus. Ce n’est pas de la mesquinerie. S’il a tourné la page, autant que je l’accepte et que j’en fasse de même. Il me semble qu’il serait pathétique de quémander son attention, et de recevoir en retour des bribes de politesse, en lieu et place des étincelles et de la tendresse qu’il y a eu entre nous auparavant. Pire que tout, ce serait de recevoir au contraire son silence, son indifférence. Je ne le supporterais pas. En fait, je me protège, comme je peux.
Lors d’une nuit d’insomnie, d’angoisse et de larmes, celle du réveillon de Noël, j’ai effacé son numéro anglais, numéro que je n’ai pas eu le temps d’apprendre par cœur comme le premier. Donc, même en voulant, je ne pourrais pas lui envoyer de vœux.
Et pourtant, parfois, l’envie, violente, me prend d’appeler Maxime pour lui redemander ce numéro, de lui envoyer des vœux et guetter sa réaction. Mais à chaque fois j’y renonce. Au fond de moi, je crois que j’ai fait le bon choix. Le fait de ne plus avoir son numéro est un premier pas, un petit pas, mais un pas certain, dans la direction de passer à autre chose.
S’il veut m’envoyer des messages, il sait comment me joindre. A moins que lui aussi ait effacé mon numéro.
Mais, au fond de moi, je préfère qu’il me fiche la paix. Un message de sa part, ce serait comme retourner un couteau dans une plaie. La plaie est là, béante, saignante, et elle a besoin de temps et de calme pour cicatriser.
Pourtant, encore plus au fond de moi, j’aimerais tellement recevoir un SMS de sa part ! Seul un message venant de lui pourrait venir à bout de ma tristesse, de mon désarroi. Mais pour ce faire, il faudrait que ce soit un message capable de restaurer d’un seul coup le règne d’Ourson et P’tit Loup.
Mais je sais que cela est impossible.
Lors de mes nombreuses autres nuits d’insomnie, je laisse la radio en fond sonore pour me tenir compagnie, pour tromper ma solitude et ma tristesse. Je suis tellement mal que j’ai envie de rien, même pas d’écouter de la musique, elle qui a été mon premier amour, au début de mon adolescence, lorsque l’amour pour les garçons me semblait hors de ma portée.
Aujourd’hui, même Madonna n’arrive pas à m’extirper de ma morosité. Alors, je laisse aux programmateurs musicaux d’une fréquence qui ne passe que de la bonne musique millésimée le choix des morceaux que je vais écouter. Et une nuit, une voix, une mélodie, un texte m’arrachent le cœur.
https://www.youtube.com/watch?v=1hhv3RaCWNs
I remember when (…)/Je me souviens quand…
Et soudain le souvenir d’un jour déjà lointain remonte instantanément. Un jour de bonheur, le jour de mes vingt ans. Jérém qui débarque à Bordeaux par surprise, avec la belle voiture que lui avait prêtée Ulysse. C’était la première fois qu’il venait à Bordeaux, il m’avait amené au resto, et puis nous étions rentrés à l’appart en lisière de la cour au sol rouge, et nous avions fait l’amour. J’étais si heureux cette nuit-là !
Hélas, ce bonheur a pris fin.
Then one day you came/Puis un jour tu es venu
You told me you were leaving/Tu m'as dit que tu partais (…)
And made me cry again/Et tu m'as fait pleurer à nouveau
When you said/Quand tu as dit (…)
Please don't wait for me/S'il te plait ne m'attends pas (…)
And I'm still waiting/Et j'attends toujours (…)
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre
Jérém m’a dit de ne pas l’attendre. Et, pourtant, je l’attends. Malgré le fait qu’il ait donné son amour à un autre, malgré ces jours, ces semaines, ces mois de souffrance que cela m’inflige. Je sais que s’il débarquait à l’improviste, s’il venait me chercher, ma porte serait grande ouverte, et je l’accueillerais les bras pleins d’amour et je lui pardonnerais tout, tout, tout.
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre (…)
And I'm still waiting/Et j'attends toujours
2007 se termine. Je crois que ça a été la pire année de ma vie.
L’année 2008.
La nouvelle année commence de la même façon que s’est terminée l’ancienne, c’est à dire dans une infinie tristesse, ma tête et mon cœur pris dans un incessant et déchirant tourbillon de sentiments d’inachevé, de gâchis, et d’injustice. Au fond, je n’en veux pas à Jérém d’être tombé amoureux d’un autre gars. Je ne peux pas lui en vouloir. L’amour, ça ne se commande pas.
Et pourtant, je ne cesse de me demander pourquoi cela s’est produit, et si vite. Certes, après ce qui nous était arrivé à Paris le jour de ses vingt-cinq ans, il avait besoin de changer d’air pour pouvoir reprendre sa carrière sportive sereinement. C’est même moi qui l’ai poussé à y aller, à ne pas écouter ses réticences. Je me souviens de sa question quand je lui ai dit de ne pas rester pour moi.
« Et nous ? ».
C’est bien qu’à ce moment-là, il y avait encore un « Nous », un « Ourson et P’tit Loup ». Et trois mois plus tard, ce n’était déjà plus le cas. Le rapprochement avec Rodney s’est fait très vite après son arrivée à Londres. Lors de son retour d’Australie, il y avait encore ce « Nous ». Mais était-ce vraiment le cas ? Sa réticence à partir, à rester pour « Nous », n’était-ce pas juste la peur de me faire souffrir en me quittant ? Est-ce que l’éloignement n’avait pas commencé en Australie ? Ou encore bien avant ?
Janvier 2008/1.
La rentrée arrive, le travail reprend. Je dois me faire violence pour me lever, pour me doucher, m’habiller, prendre ma voiture, affronter les bouchons, pour aller au bureau, dire bonjour à mes collègues, traiter mes dossiers. Je vais au bureau chaque matin, mais je suis ailleurs. Partout où je vais, je porte ma tristesse avec moi. Le manque, l’absence sont insupportables.
Dans ma chambre, le soir, dans le noir, j’ai envie de lui. Je crève d’envie de lui. Si je ferme les yeux et me concentre sur la branlette, j’ai encore l’impression de sentir son parfum, la chaleur de sa peau, le poids de son corps, la solidité de son torse, la présence de sa queue dans ma bouche, entre mes fesses, la puissance de ses coups de reins. Sa façon de chercher son pied, les râles contenus de son orgasme, la puissance, la chaleur humide, l’odeur, le goût de ses giclées.
Je le revois en train de me baiser, dans son plus simple appareil, tous pecs et abdos et biceps et tatouages et chaînette de mec dehors, torse nu, poils noirs virils et insolents ou rasés, ou bien enveloppé d’un t-shirt blanc tellement ajusté à sa plastique qu’il en devenait presque une deuxième peau.
Je me souviens de sa façon de porter le t-shirt ou le débardeur blanc, la couleur immaculée mettant tellement en valeur sa plastique de fou, la nuance mate de sa peau, m’inspirant à chaque regard la double furieuse envie de les lui arracher pour voir ses tétons, ses poils, ses pecs, ses abdos, et celle qu’il les garde, tant le blanc lui allait bien, tant le tissu était ajusté à son torse, à ses épaules, à l’arrondi de son cou, et se définissait presque comme une deuxième peau, douce, tiède, bandante.
Nous avons baisé dans cette chambre, sur ce lit, juste après le bac, pendant ses pauses de l’après-midi lorsqu’il travaillait à la brasserie à Esquirol. Il m’a giclé dans la bouche, il m’a sommé d’avaler, il m’a baisé, une, deux, trois fois par après-midi, en espaçant ses assauts le temps d’une courte cigarette. J’ai tout encaissé, jusqu’au dernier coup de reins, jusqu’à la dernière secousse de son orgasme, jusqu’à la dernière giclée, jusqu’à la dernière trace de son nectar de jeune mâle. Son plaisir était le mien.
Dans cette chambre, nous avons également fait l’amour, c’était juste après la catastrophe qui avait frappé Toulouse le premier jour de l’automne de l’année 2001. Et nous l’avons fait d’autres fois, par la suite, lorsqu’il était reçu dans cette maison comme le beau-fils bien aimé.
Imaginer Jérém en train de coucher avec Rodney m’arrache les tripes. Mais, il faut bien l’avouer, pendant que mon orgasme approche sous l’effet des va-et-vient de ma main, c’est aussi furieusement excitant. Je donnerais cher juste pour le regarder prendre son pied et jouir, même si c’est avec Rodney.
Pendant l’ascension vers le plaisir, sous l’effet de l’excitation, les fantasmes masquent la souffrance.
Mais après l’orgasme, tout change instantanément. L’excitation retombée, mon mal-être revient aussitôt.
Et l’imaginer prendre son pied avec un autre, faire profiter un autre de son corps et de sa virilité, idée qui m’avait bien chauffé une seconde plus tôt, m’est à nouveau insupportable.
Et ce qui est insupportable aussi, c’est de me poser mille questions sur ce qui se passe dans ce lit de Londres. Jérém est un garçon actif. Il a parfois voulu essayer de recevoir la virilité d’un autre garçon, j’ai été le premier à qui il s’est donné. Il s’est donné parfois à Thibault, lors de nos plans de fin de championnat, et une ou deux fois lors de nos plans à trois occasionnels.
Et avec Rodney, ce garçon bien viril ? Qui tient le rôle de l’actif et qui celui du passif ?
Janvier 2008/2.
Depuis la rentrée, ma vie se résume à peu de choses. Je vais au taf, je rentre à la maison. J’évite de traîner sur le trajet. Je sors le moins possible.
Toulouse est ma ville, et je l’aime de tout mon cœur. Mais elle est aussi le théâtre de mes premiers émois avec Jérém, un théâtre désormais vide, horriblement vide. Et ce théâtre fantôme contribue à alimenter mon désarroi et ma mélancolie. Je n’ai envie de rien. Même pas d’aller boire un verre avec Thibault, pourtant si gentiment proposé.
Pour mon ami Julien, qui prend régulièrement de mes nouvelles, la recette pour tourner la page et cesser de souffrir qu’il m’a exposée un soir au téléphone paraît simple : baise, nique, jouis jusqu’à que la queue t’en tombe, fais toi plaisir !
Mais franchement, ça ne me dit rien. Je n’ai pas envie de ça, ni de sortir, ni de faire des rencontres, ni de baiser.
En dehors du travail, j’ai envie de me glisser sous la couette et de chialer.
Et accessoirement de regarder des matches de rugby anglais.
On tient là un bel exemple de l’incohérence de ma nature et de mon manque de mental. J’essaie d’oublier Jérém depuis des mois et puis, un samedi après-midi, je craque. Je m’installe avec Papa devant la télé pour regarder le beau brun jouer avec Rodney.
Je sais que je me fais du mal, mais j’ai besoin de le voir. C’est plus fort que moi.
Son apparition à l’écran m’arrache les tripes. Et pourtant, je reste devant l’écran. Maintenant que j’ai commencé à regarder, maintenant que je sais qu’il est en train de jouer, je ne peux pas partir. J’ai besoin de veiller sur lui, de m’assurer qu’il arrive à la fin du match sans se blesser.
Vers la fin de la première mi-temps, alors que Jérém vient de marquer un magnifique essai, Papa me questionne.
— Tu ne m’as jamais raconté comment s’est passé ton voyage à Londres…
C’est vrai qu’à mon retour à Toulouse, je n’avais pas du tout envie de parler de ça. J’ai juste dit que c’était fini entre Jérém et moi, et que je n’avais pas envie d’épiloguer. Mon souhait a été respecté. Mais je sais que mes parents se posent des questions, et je crois que je suis enfin prêt à y répondre.
— Il est amoureux d’un autre…
— C’est vrai ?
— Oui, Papa. Il est tombé amoureux de Rodney Williams…
— Son coéquipier ?
— C’est ça…
— Mais lui aussi il est…
— Il faut croire… ils habitent ensemble !
— Si vite ?
— Apparemment, ça a été le coup de foudre.
— Mais ils ne craignent pas de se faire repérer ?
— Officiellement, ils sont colocataires.
— Et tu le connais, ce Rodney Williams ?
— J’ai dormi une nuit chez eux.
— Ça n’a pas dû être facile.
— Non, pas vraiment. Et le pire, c’est que Rodney est un gars très sympa, et je n’arrive même pas lui en vouloir !
— Comment tu te sens ?
— Très mal.
— Tu devrais sortir, essayer de voir du monde.
— Ça ne me dit rien.
— Ce n’est pas en restant enfermé que tu vas rencontrer le gars qui va te faire oublier Jérémie.
— Je pense que ce gars n’est pas encore né.
— Moi je crois que si. Il faut juste que tu ailles à sa rencontre. Tu es un beau garçon et tu es intelligent. Tu trouveras quelqu’un qui saura te rendre heureux.
— J’ai du mal à le croire.
— Se faire quitter pour un autre, c’est dur, car ça oblige à se remettre en question. Mais ne laisse pas le bonheur passé t’empêcher d’en vivre d’autres.
— Est-ce qu’il en existe seulement « d’autres », après avoir été si heureux que je l’ai été ?
— Un nouveau bonheur viendra quand tu seras prêt à le recevoir.
Les mots de Papa me font chaud au cœur, ils me ramènent une nouvelle fois aux couplets de la chanson de Diana Ross.
Wait patiently for love/Attends patiemment l'amour
Someday it will surely come/Un jour ça viendra sûrement (…)
Mais quand on pleure l’amour perdu, on n’attend que le retour de celui dont l’absence est insupportable.
Le match est la chronique d’une belle victoire des Wasps. Jérém est de plus en plus à l’aise, et cet après-midi il marque pas moins de trois essais. Le petit Français se fait remarquer Outre-Manche. Je suis heureux pour lui, même si le fait de le voir sur un écran et de le savoir désormais inaccessible me fend le cœur. Lorsque la caméra capte sa belle gueule en premier plan, j’ai envie de pleurer, mon cœur a des ratés, ma gorge se serre, j’étouffe.
Son grain de beauté dans le creux du cou, sa peau mate, sa transpiration, ses tatouages, son brushing, sa belle petite gueule de jeune mâle, tout crie au sexe chez lui. Mais ce qui me manque le plus, c’est de le serrer dans mes bras, et de me sentir enserré dans ses bras musclés. Comme il me manque le bonheur qu’il savait m’apporter !
Dans un autre plan de caméra, voilà Rodney, le beau garçon qui a pris ma place dans le cœur et dans la vie de Jérém. Son regard est tellement clair, son sourire tellement lumineux et chaleureux. Je comprends tout à fait pourquoi Jérém est tombé amoureux de lui. Et ça me donne terriblement envie de chialer.
Après le coup de sifflet final, les Wasps témoignent leur liesse en faisant tomber les maillots. Jérém tombe le sien. Son torse dévoilé est une claque inouïe, une sculpture grecque aux proportions et aux reliefs parfaits, le tout parsemé de délicieux petits poils qui recommencent tout juste à repousser. Ça faisait longtemps qu’il ne les avait pas coupés, ils ne l’étaient pas la dernière fois où il m’a fait l’amour en août dernier, il les a donc coupés depuis. Pourquoi ? Pour faire plaisir à Rodney ? Pour être comme Rodney ? Rodney qui arbore, lui aussi, un torse spectaculaire, avec des tétons à donner le tournis, un torse complètement imberbe.
Les joueurs se félicitent entre eux, et je n’ai pas à attendre longtemps pour assister à une accolade virile entre Jérém et Rodney. Les pecs se pressent les uns contre les autres, les mains se glissent dans le dos de l’autre, un contact viril et sensuel, torse nu contre torse nu, comme pendant l’amour. Le désir est toujours là, toujours aussi évident, aussi brûlant, toujours aussi violent. Ça crève les yeux, en tout cas les miens, qui connaissent ce qu’il y a entre ces deux beaux garçons.
Une fois de plus, j’essaie de me dire que je devrais être heureux qu’il soit heureux, même sans moi. Mais c’est au-dessus de mes forces.
Au fond de moi, je ne sais pas si j’ai envie d’aller de l’avant, je ne sais pas si j’ai envie d’arrêter d’attendre Jérém.
Printemps (mars) 2008.
J’ai toujours trouvé que Toulouse est une très belle ville, de par son architecture, ses espaces verts, ses couleurs, sa gastronomie, son terroir, sa faune masculine. Et je trouve qu’au printemps, au moment où tout le vivant bourgeonne et frémit, elle est encore plus engageante. Mais cette année, lorsque le beau temps revient, et que les jours s’allongent, c’est à ce moment-là que ma tristesse devient encore plus dure à porter.
Le vent d’Autan se lève, et ses rafales charrient de vieux souvenirs. Des souvenirs emplis de nostalgie, des souvenirs de Paradis Perdu.
Je repense à tous ces moments passés avec Jérém, au lycée, dans l’appart de la rue de la Colombette, puis à Campan, à Paris, à Bordeaux, en Islande, au Québec, en Italie, au Pays Basque. Je repense au soir où nous nous sommes baladés à Montmartre, à cette journée où nous sommes allés voir un glacier aux couleurs féeriques se déliter dans la mer à Jökulsárlón, à cet autre où nous nous sommes baladés dans les rues moyenâgeuses d’Arezzo, au jour où nous nous sommes promenés à la Chaussée des Géants en Irlande du Nord. Je repense aux jours heureux de notre amour.
J’aurais tellement aimé continuer à visiter le monde avec Jérém.
Maintenant qu’il est avec Rodney, il fera des choses avec lui, il partira en vacances avec lui, il se créera des souvenirs avec lui. Et ces souvenirs prendront la place de ceux qu’il s’était fabriqués avec moi. Je ne serai plus le seul avec qui il aura visité des lieux, plus le seul copain avec qui il aura partagé de bons moments. Peut-être pas le seul à qui il aura donné un petit surnom mignon. J’étais son Ourson, que sera Rodney, pour lui ? Son beau « Wasps », son beau guêpe mâle ?
J’imagine qu’un jour il aura envie de présenter Rodney aux personnes qui comptent pour lui. Aux cavaliers de Campan, à Charlène, Martine, Jean-Paul, Daniel, à Thibault, à Maxime, à son père.
Et je me dis qu’une fois que Rodney aura été introduit auprès de ses amis et de sa famille, une fois qu’il aura découvert Campan et le domaine viticole de son père, il sera définitivement installé dans sa vie, et notre séparation sera définitivement actée. Car elle le sera dans l’esprit des gens qui ont connu notre couple et il n'y aura plus de retour en arrière possible.
Oui, cette année le vent d’Antan ravive ma tristesse, la fait flamber comme une braise tapie sous des cendres encore fumantes. J’ai l’impression de couler de plus en plus, dans un puits sans fond.
Puis, un soir où je suis vraiment mal, où j’ai vraiment l’impression de toucher le fond, je ressens au fond de moi comme un réflexe de survie. Alors, je donne un coup de pied contre le plancher de ma souffrance, je rassemble mon énergie, je me fais même un peu violence, et je me saisis de mon téléphone.
J’appelle Julien. Dès le lendemain, je passe une soirée avec lui et ses potes dans un bar à proximité du pont Saint-Pierre. Je suis entouré de monde, mais ma solitude ne me lâche pas, même au milieu de tous ces étudiants, même au milieu de tous ces bogoss. Je bois, encore et encore, pour essayer de lâcher prise, pour essayer d’oublier cette souffrance qui ne me quitte pas. J’ai peut-être été un peu vite en besogne, quitter ma retraite alors que ma convalescence n’était pas terminée n’était pas vraiment une bonne idée, je crois que je fais une rechute.
A trois heures du matin, je rentre chez moi à pied, accompagné par Julien qui, inquiété par mon état d’alcoolémie inhabituel, a insisté pour m’escorter jusqu’à la porte de l’appartement de mes parents.
Sur la route, nous faisons une halte, et Julien se grille une clope. C’est effet de l’alcool, ou la peur de me retrouver seul chez moi, de retrouver ma chambre avec tous ses souvenirs de Jérém. Je n’ai pas envie de quitter Julien, ce soir. Plus je le regarde, plus je le trouve sexy. J’ai envie de lui, j’ai terriblement envie de lui. Je réalise que je bande dur. Ce gars dégage une aura sexuelle de fou. Ce mec, il pue carrément le cul. J’ai envie de lui à en crever.
Et si je lui proposais une pipe ? Une pipe, ce n’est pas grand-chose, et ça ne se refuse pas. Surtout pas un queutard comme lui. Une pipe, ce n’est rien, et ça me ferait tellement de bien…
Pendant un instant, l’espace des deux dernières taffes avant d’écraser le mégot, son regard croise le mien et l’aimante. Pendant un instant, je crois que Julien a lu dans mes pensées, dans mon désir. Pendant un instant, je crois voir son visage s’illuminer d’un léger sourire, un sourire qui vaudrait encouragement vis-à-vis de mes intentions, des intentions qu’il aurait devinées et qu’il pourrait faire devenir des réalités. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il hésite, qu’il serait peut-être partant. Pendant un instant, dans ma tête, je suis à genoux devant le beau moniteur, je le fais jouir dans ma bouche, puis il vient en moi, il me pilonne longuement, avant de rincer mes entrailles avec ses bonnes giclées de coureur invétéré.
Mais l’instant est court, et il passe vite. Je le laisse filer. Et lui aussi. Ou alors, je me fais juste des films. Mais comment j’ai envie de me faire baiser par ce mec !
L’instant est désormais derrière nous, et nous recommençons à marcher, et à discuter de choses parfaitement inutiles. Devant la porte de chez mes parents, avant de partir, Julien me fait un bisou sur la joue et me glisse :
— Si j’étais pédé, ça ferait longtemps que je t’aurais déglingué !
Je n’ai pas la présence d’esprit ni la répartie pour lui rétorquer qu’il n’a pas besoin d’être pédé pour me déglinguer. Il suffit juste qu’il en ait envie.
Au fond de moi, je sais que c’est mieux qu’il ne se passe rien entre nous. Mais ça fait du bien d’entendre ce genre de propos dans la bouche d’un si joli garçon.
Avril 2008/1.
J’ai encore rêvé de Jérém. Il était là, nous faisions l’amour, ou la baise, ou les deux.
Je me réveille en sursaut, et je suis seul dans mon lit. Je bande. Et pendant que je me branle, je parcours les nombreuses fois où il a joui en moi. Je parcours les positions, les attitudes, les lieux où il m’a pris, où il m’a fait l’amour, où il a joui, où j’ai joui juste en me faisant limer.
La sensation de me sentir rempli de lui, de me sentir complètement à lui, l’énergie intense qui se dégageait du mélange de nos plaisirs parfaitement complémentaires me manque horriblement. Le voir perdre pied, le voir souffler son plaisir, soufflé de plaisir, savoir que son jus s’extrait de ses couilles et vient fourrer mes entrailles, ça me manque à me rendre fou.
Je donnerais très cher pour le regarder en train de me faire l’amour, ou même le regarder simplement rechercher son propre plaisir, sans se soucier du mien, comme lors des premières révisions dans l’appart de la rue de la Colombette.
Et pour assister à la transformation soudaine de mâle fougueux pendant la recherche du plaisir à garçon perdu une fois qu’il l’a trouvé, la respiration haletante, la peau mate – le front, le creux de son cou et de ses pecs – parsemés de transpiration…
Je jouis, et je pleure.
Avril 2008/2.
Mi-avril, je me décide enfin à rappeler Thibault. Je pense que s’il y a une personne sur terre capable d’alléger un peu mon fardeau, c’est bien le jeune pompier.
Arthur étant d’astreinte au SDIS, il n’a pas pu être avec à nous. Au fond de moi, je suis content que ce soit le cas. Non pas que je n’aime pas Arthur, bien au contraire, ce garçon est bien sous tout point de vue. Mais je sais que je serai davantage à l’aise juste avec Thibault, car nous avons des souvenirs communs, et une connaissance commune qui nous unit. Je sais que je pourrai me laisser aller avec Thibault, parler de ma tristesse, pleurer.
Nous nous faisons un resto au centre-ville. Je n’ai pas vraiment envie de parler tout de suite de mes malheurs. Je sais que ça va venir à un moment ou à un autre, mais j’essaie de gagner du temps. Pour ce faire, je m’emploie à prendre d’abord des nouvelles du jeune pompier.
J’apprends ainsi qu’il est en passe de devenir chef de centre, avec à la clé plusieurs dizaines d’hommes sous sa responsabilité. J’apprends qu’il est toujours heureux avec Arthur, et ça me met du baume au cœur. Thibault mérite tellement ce bonheur ! J’apprends également qu’il est heureux lorsqu’il commence sa journée « en amenant le petit Lucas à l’école ». Si c'est pas mignon, ça ! Thibault est un véritable papa-poule.
Mais le jeune papa ne tarde pas à me questionner.
— Comment tu vas, Nico ?
— J’ai connu mieux.
— Ça peut pas s’arranger entre vous deux, vraiment pas ?
— Non, je ne crois pas…
— J’avoue que je ne comprends pas ce qui s’est passé dans sa tête… vous aviez l’air tellement heureux tous les deux !
— Et moi donc !
— Au fait, tu as eu de ses nouvelles depuis qu’il est parti en Angleterre ? j’enchaîne pour ne pas pleurer
— Pas beaucoup. Je ne l’ai eu au téléphone que pour les vœux de la bonne année.
Ainsi, Thibault y a eu droit. Il n’y a donc que moi qui n’y a pas eu droit. Il veut vraiment couper les ponts.
— Il t’a raconté, pour lui et Rodney ?
— Un peu, mais il ne s’est pas éternisé sur le sujet. Je crois qu’il avait peur que je lui fasse la morale…
— Il avait l’air heureux ?
— Nico…
— Dis-moi, s’il te plaît.
— Je ne sais pas, il avait l’air d’aller bien.
— Il a emménagé avec lui, et il a l’air d’avoir trouvé l’équilibre qui lui manquait avec moi.
— Ne dis pas ça, Nico, Jérém a été très heureux avec toi.
— Il ne l’était pas assez, visiblement !
— Ce qui s’est passé à Paris il y a deux ans ça l’a vraiment secoué. Et ça a tout bousculé dans sa tête.
— Et il m’a oublié !
— Ce n’est pas vrai. Quand on s’est eus au téléphone, il m’a demandé de tes nouvelles.
Je sais que le fait qu’il demande de mes nouvelles ne signifie rien de plus, qu’il n’envisage pas pour autant de revenir auprès de moi. Mais ça me touche d’entendre ça.
La soirée continue chez lui, autour d’un verre. Thibault me parle de son taf qui le passionne et j’aime le sentir si épanoui, si heureux. Le bonheur ajoute encore des degrés à sa sexytude déjà affolante. Sous l’effet de l’alcool et de cette proximité nocturne, je repense à nos plans à trois avec Jérém, celui dans l’appart de la rue de la Colombette, mais aussi à ceux dans l’appart à Paris, à l’occasion des finales de championnat. Et je repense aussi à cette nuit que nous avons passée tous les deux à Bordeaux. Qu’est-ce que ça avait été bien cette nuit de plaisir et de tendresse !
Et qu’est-ce que j’aurais envie de réitérer l’expérience me sentir tour à tour saisi, dominé, enveloppé par ses gros bras ! Ce soir, j’ai envie de lui, furieusement envie de lui.
A la faveur d’un blanc dans la conversation, nos regards se croisent. Thibault semble déceler le désir qui suinte de mon regard, et il a l’air tout autant troublé que moi. C’est sans doute ce trouble, ou bien l’empathie envers ma tristesse, qui le pousse à me prendre dans ses bras puissants et à me serrer très fort contre lui. J’accepte ce gage d’amitié, de bienveillance et de tendresse. Et même si je crève d’envie de l’embrasser, de le revoir à poil et de faire l’amour avec lui, je me retiens ce soir encore. Je respecte son bonheur avec Arthur et je ne veux pas qu’il se passe quelque chose entre nous qu’on pourrait regretter par la suite. Je tiens trop à notre amitié.
Avril 2008/3.
Je me demande quand Jérém amènera Rodney dans sa famille ou à Campan (ou peut-être est-ce déjà fait ?), je me demande comment réagiront tous ces gens quand ils les verront arriver. Je me demande s’ils seront touchés par ce changement, comment ils accueilleront ce nouveau gars dans la vie de Jérém. Je me demande s’ils auront une pensée pour moi. Une partie de moi aimerait qu’ils soient révoltés, qu’ils disent à Jérém qu’il a fait une connerie en me quittant, qu’ils le poussent à revenir vers moi.
C’est on ne peut plus stupide que de penser que lors d’une séparation les proches doivent prendre parti, en particulier vis-à-vis de celui qui est quitté. Et c’est encore plus surréaliste d’imaginer qu’ils doivent œuvrer pour « l’ordre naturel des choses », celui du couple momentanément perturbé par l’« intrus », soit rétabli au plus tôt.
Oui, tout cela est immensément stupide. Et pourtant, cela nous effleure l’esprit à un moment ou à un autre.
Les proches ne peuvent pas prendre parti, car ils n’ont pas à interférer dans la vie de quelqu’un. Si on leur en donne l’occasion, ils côtoieront tout aussi facilement celui ou celle qui quitte que celui ou celle qui est quitté(e). Et ils accepteront également « l’intrus ». Intrus qui, à la simple condition d’être un tant soit peu avenant, ne le restera pas en tant que tel pendant longtemps. L’intrus sera bientôt promu « légitime » dans l’esprit des proches.
Au fond de moi, je sais que Rodney sera accueilli comme je l’ai été et que, le temps de le connaître un peu, ils l’adopteront comme ils m’ont adopté. Ils seront peut-être un peu déroutés sur le coup, mais ils s’y feront très vite. D’autant plus que ce garçon a l’air d’un garçon adorable.
Et le souvenir de Nico s’effacera très vite de leur tête. D’autant plus que, pour me protéger, pour ne pas risquer de croiser Jérém, son nouveau mec et son nouveau bonheur, je cesserai de voir ces gens et que, de ce fait, je cesserai d’exister pour eux.
La douceur de Maxime, le soutien de Mr Tommasi, le franc parler de Charlène, la grande gueule de Martine, la guitare de Daniel, la sagesse de Jean Paul, les boutades de Satine, l’amabilité de Ginette, la bonne humeur des cavaliers, les bons gueuletons, la présence de cette grande famille d’adoption, tout cela va immensément me manquer. La séparation d’avec Jérém m’a également exclu de tout un monde où je me sentais apprécié, accepté, entouré de bienveillance. Un monde où je me sentais bien.
Avril 2008/4
Il y a des jours, où je m’imagine qu’il se souviendra de notre bonheur, que ça lui manquera, et qu’il reviendra m’appeler Ourson. Il y a des nuits où je rêve de cela. Il y a des matins où je me réveille en larmes tellement le décalage entre le rêve et la réalité est violent.
Il y a des heures où je me dis que ce n’est pas possible, que ça ne peut pas se terminer comme ça, que ça devrait être illégal, qu’il devrait exister un délit de « privation volontaire du bonheur d’autrui ».
J’ai beau me dire que je n’ai pas le droit de lui en vouloir d’aimer un autre garçon, la privation de mon bonheur me rend fou. Coincé entre ces deux sentiments contradictoires, comme dans un étau qui ne cesse de se resserrer, j’ai l’impression que ma tête subit une telle pression qu’elle est au bord de l’explosion. J’ai l’impression d’avoir du plomb sur mes épaules, du béton dans mes poumons. J’étouffe, physiquement, mentalement. Je vois tout en noir, et mon avenir me paraît infiniment sombre.
Avril 2008 MadonnaNews.
Le 11 avril, le nouveau single « 4 minutes » est en radio.
L’album sort quelques jours plus tard, le 19 avril. Je me rends à la Fnac à la sortie du taf. Comme pour un astronome qui peut observer des phénomènes célestes une fois tous les X années, pour le fan que je suis, la découverte d’un nouvel album de Madonna est un événement, car cela ne se produit qu’une fois tous les 2 à 4 ans. Alors, j’apprécie à sa juste valeur cette occasion rare. La première écoute, celle à laquelle, par définition, on n’a droit qu’une fois, est une expérience presque « mystique ».
Le CD passe plusieurs fois en boucle dans mon lecteur et dans mon casque.
Impression à chaud : il y a du bon et du moins bon. Hard Candy, c’est le début de l’ère des featurings, des collaborations avec des artistes plus jeunes et plus à la mode pour tenter d’atteindre un public plus large. Un choix artistique peut-être inévitable, mais à l’efficacité plutôt discutable pour le fan que je suis.
Pour moi, Madonna, c’est de la pop et c’est en solo. Là, ce n’est plus vraiment de la pop, et c’est trop souvent en featuring. Le son est plus dur, plus acidulé. Pour moi, c’est moins du Madonna. Après plusieurs écoutes, et sous réserve d’un changement d’avis lorsque le disque aura un peu vieilli et se sera installé dans ma mémoire « madonnienne », je me dis que le chef d’œuvre pop « Confessions » sorti trois ans plus tôt n’est pas égalé par cette nouvelle galette.
Ce qui n’empêche pas cet album, et les chansons qui le composent, de se mélanger très rapidement aux événements actuels de ma vie, et à se constituer en icônes sonores de nouveaux souvenirs personnels et intimes. Au même titre que les albums précédents.
En 1998, « Ray of Light » a été l’album de mon entrée au lycée, et de l’entrée de Jérém dans mon cœur.
En 2001, « Music » a été la bande son des premières révisions sexuelles dans l’appart de la rue de la Colombette, des baises à répétitions, des fois où j’ai été réveillé par sa queue raide et insatiable qui cherchait mon cul pour lui gicler dedans une fois de plus.
En 2003, American Life a été le support sonore des longues semaines à Cap Breton pendant la rééducation de Jérém après son accident au rugby. Et de sa guérison, de son grand retour au rugby, et de nos jours heureux, des câlins avant, pendant, et après l’amour.
En 2005, Confessions on a Dancefloor a été la symphonie pop des jours heureux, de l’apothéose de mon bonheur avec Jérém.
Et en 2008, Hard Candy est l’album qui sonne le glas de ce bonheur, l’album de l’ère post-Jérém, celle du manque et du déchirement, une nouvelle ère de ma vie où je me perds dans un infini de tristesse dans lequel je n’ai plus de repères.
Et, malgré tout, Madonna est là une fois encore pour m’en donner un, avec sa musique.
Mai 2008.
Après le match auquel j’avais assisté avec Papa, j’ai pris et tenu la résolution d’arrêter de regarder les matches de rugby anglais. Voir Jérém m’est encore trop douloureux. J’ai besoin de prendre de la distance, j’ai besoin de penser à autre chose.
Et pourtant, à l’occasion de l’anniversaire de notre première révision dans l’appart de la rue de la Colombette, alors que la morsure du manque se fait particulièrement cruelle, je vais sur Internet, satanée invention qui rend le « sevrage » de l’Autre et le processus de deuil amoureux encore plus problématiques, en quête d’articles sur le championnat anglais et sur Jérém.
J’apprends alors qu’après un début de saison en dents de scie et par moments franchement chaotique, en cette fin de tournoi, les Wasps reprennent du poil de la bête. Et je constate que la presse est unanime, le rôle de la nouvelle recrue française, et du tandem de choc qu’elle forme avec un joueur plus expérimenté, Rodney William, est le moteur de cet exploit sportif.
Les photos de mon Jérém en maillot ne sont pas moins insoutenables que les images filmées de la télé.
Retrouver sa belle gueule marquée par les séquelles de notre agression est toujours une épreuve. Et voir son nom et prénom associés à ceux de Rodney presque à chaque article en est une autre. Non, je ne suis pas près de guérir de la blessure, de la déchirure, de l’absence, de cet amour perdu.
J’apprends également que le 18 mai, lors de la demi-finale de la Guiness Premiership, Jérém a marqué pas moins de trois essais, des point décisifs pour la victoire remportée contre le Bath Rugby pour 21-10.
Le 31 mai, lors de la finale contre les Leicester Tigers au stade Twickenham à Londres, les Wasps s’imposent 26 à 16 et remportent haut la main le championnat anglais. Et, une fois de plus, les exploits Tommasi-Williams sont salués par la presse sportive.
Comment Jérém doit être heureux de partager ces moments, ces exploits, cette réussite avec le gars qu’il aime ! C’est peut-être ça qui lui manquait avec moi, partager sa passion pour le rugby. Et il a trouvé ça auprès de Rodney. Il a peut-être été heureux avec moi, je l’ai cru pendant un moment, d’autres l’ont cru, et Jérém lui-même a pu le croire. Mais le fait est que le bonheur qu’il vit aujourd’hui est probablement si intense qu’il finira par éclipser celui qu’il a vécu avec moi.
Les derniers espoirs qu’ils puisse revenir un jour vers moi fondent dans mes larmes comme un sucre dans le café.
Début juin 2008.
Début juin, je tombe sur un article indiquant que Jérémie Tommasi et Rodney Williams auraient signé pour au moins une saison en Afrique du Sud. Il est prévu qu’ils intègrent l’équipe des Sharks pour y disputer début 2009 le Super 14, une compétition de rugby internationale entre équipes sudafricaines, néo-zélandaises et anglaises.
Partir en couple en quête du graal du rugby mondial, partir comme deux jeunes premiers que rien ne semble pouvoir arrêter, la route devant eux toute tracée vers la gloire sportive. Ça doit être tellement beau. Ils doivent être tellement heureux, les deux amoureux !
Je lis également que si le retour de Jérém dans le XV de France avait un temps été envisagé au vu de ses exploits anglais, désormais, suite à ce transfert en Afrique du Sud, cela n’est à nouveau plus d’actualité. Jérém s’éloigne un peu plus de moi, de plusieurs milliers de bornes.
Adieu, Jérém, mon Amour.
Début juin 2008, juste avant les épreuves du bac.
Un mercredi, un jour de RTT, je décide d’aller faire un tour en ville. J’ai envie de passer à la FNAC. Mais ma nostalgie inconsolable détourne mon trajet, aimante mes pas vers le lieu où tout a commencé.
Sans vraiment le vouloir, mais sans m’y opposer pour autant, je me retrouve devant l’entrée de mon ancien lycée. J’ai envie de revoir l’endroit où mon existence et celle de Jérém se sont croisées. Je le redoute aussi. L’absence est une présence en négatif, mais une présence quand-même. Un lieu, le lieu, ce lieu est un support formidable pour la mémoire, pour le souvenir.
Pour que ma visite ne paraisse pas bizarre, le prétexte est tout trouvé. J’aimerais passer dire bonjour à mon ancienne prof de français, Mme Talon.
Dès que je pénètre dans la cour du lycée où je ne suis pas rendu depuis le bac, soit depuis sept ans, j’ai un sentiment de vertige en contemplant le temps passé depuis. Cela a filé si vite ! Je réalise que je ne connais plus personne ici, car même « les premières années » lorsque j’étais en terminale ont passé leur bac depuis belle lurette.
Dans la cour qui n’a pas changé, je cherche le vieux chêne sous lequel se tenait Jérém en ce fameux matin de septembre 1998. Bientôt dix ans ! Je le revois toujours, en train de discuter avec ses potes, je revois son t-shirt noir, sa casquette noire à l’envers, son insolence, sa beauté surnaturelle, son sourire ravageur, et je ressens à nouveau les papillons dans le ventre que j’avais ressentis ce jour-là. Mon cœur se serre, mes larmes coulent sur mon cœur, montent à mes yeux, et je les arrête de justesse pour qu’elles ne débordent pas sur mes joues.
J’essaie de détourner mon attention sur ce que la vie peut offrir de plus beau, de plus rafraîchissant, de plus réconfortant, le spectacle de la jeunesse, la jeunesse masculine en ce qui me concerne.
Partout dans cette cour qui « fut un temps mon terrain de jeu », pour citer le titre d’une très belle ballade madonnienne sortie en 1992,
https://www.youtube.com/watch?v=RhXDO2a3-sE
Oui, partout dans cette cour qui fut le « terrain » de mon premier amour, et qui ne l’est plus, hélas, ici et là, des grappes de lycéens distribués de façon homogène dans l’espace verdoyant offrent un spectacle saisissant.
Leur insouciance me fascine, leur position dans la vie, juste avant le bac, c’est-à-dire à l’aune du début de leur âge adulte, avec tant de possibilités devant eux, avec tant de futurs possibles pour chacun d’entre eux. Eux, que la vie n’a pas encore abîmés, meurtris.
Il y a quelques garçons qui attirent mon attention plus que d’autres, quelques physiques déjà bien développés, quelques formats rugbyman, quelques belles petites gueules, quelques brushings insolents, quelques jeunes virilités qui ne doutent de rien et qui ne semblent demander qu’à être défrisées par un orgasme d’intensité inattendue.
Il règne dans cette cour, tout comme dans les couloirs du lycée, un air de nonchalance de fin d’année, comme un avant-goût de vacances. Je me souviens de cette ambiance des derniers jours avant le bac où tout le monde était pressé d’en finir avec le lycée. Je me souviens de la tristesse que cela provoquait en moi, car cela annonçait la disparition de Jérém de ma vie. Je me souviens du déchirement qu’était l’arrivée de l’été qui annonçait la fin des jours où je pouvais encore le côtoyer. Et ça, je ne pouvais pas l’accepter. C’est de ce déchirement que j’avais puisé la force de lui proposer de réviser ensemble. La suite est une histoire connue.
Je passe devant les portes ouvertes des classes, et mon cœur se serre un peu plus à chaque pas qui m’approche de mon ancienne classe de cours. Et dans cette pièce qui, elle tout particulièrement, « fut un temps mon terrain de jeu », une prof que je ne connais pas fait un cours de rattrapage à une poignée d’élevés tout aussi inconnus.
L’un d’entre eux, un délicieux petit con brun, une fabuleuse tête à claques à l’air de sacré branleur, ce qui le rend furieusement sexy par ailleurs, est assis à SA place. Une place qui en aura connu plus d’un, des branleurs sexy.
Je me fige sur le seuil de la porte, incapable de m’éloigner de ce lieu de souvenirs. Je reste figé jusqu’à me faire repérer.
— Je peux vous aider, Monsieur ? me demande la prof.
— Vous vous sentez bien, m’sieur ? me demande d’une façon adorablement insolente le petit con brun assis à la place de Jérém.
Monsieur… ça fait quelque chose d’entendre un petit con de près de dix ans mon cadet m’appeler ainsi.
— Je… je cherche Mme Talon, je finis par articuler comme en apnée.
— Je crois qu’elle n’a plus cours. Mais allez voir en salle des profs, elle y sera certainement.
— M… Merci… je bégaie, tout en me faisant violence pour m’extirper de ce lieu de souvenirs.
Mme Talon est effectivement dans la salle des profs. Elle est en train de corriger des copies. En me voyant arriver, elle me sourit et vient me saluer. Elle me propose un café.
— Nicolas, ça me fait plaisir de te revoir, alors, qu’est-ce que tu deviens ?
En quelques minutes, je lui parle de mes études à Bordeaux, de mon travail à Montaudran.
— Et tu es marié, fiancé ?
— Non…
J’ai toujours considéré Mme Talon comme une bonne prof, une prof qui a su me faire aimer les classiques de la littérature française, car elle a su les rendre vivants, en portant sur les auteurs et leur œuvre un regard moderne, décomplexé, en mettant en évidence l’universalité du message que ces textes portaient en eux, en les mettant à notre portée sans pédanterie, souvent avec humour, l’humour qui est le sel de l’existence.
J’ai aussi toujours considéré Mme Talon comme une femme forte, avec un caractère bien trempé, drôle mais ferme, exigeante mais juste. Une femme dotée d’une élégance et d’une grâce naturelles, d’un charisme qui en impose. Et, par-dessus tout, une femme intelligente. Une femme que je portais en grande considération, car elle a toujours fait preuve d’une profonde bienveillance à mon égard.
Cette intelligence et cette bienveillance, je les retrouve aujourd’hui, lorsque, après lui avoir dit que je n’étais pas marié parce que les filles ne sont pas ma tasse de thé et que depuis le lycée j’étais tombé amoureux d’un camarade de classe, elle m’a répondu :
— Je me suis toujours dit que le regard que tu posais sur lui était un regard d’amoureux.
— Vous saviez ?
— Toutes les filles étaient amoureuses de lui, alors, pourquoi pas toi ?
— Oui, pourquoi pas moi…
— Il a fait une belle carrière.
— Oui…
— Et tu l’as revu après le lycée ?
— Nous avons eu une relation qui a duré jusqu’à l’année dernière.
— C’est vrai ?
— Oui, nous avons été heureux. Mais ça s’est terminé.
— Hélas, la vie est ainsi faite. Mais il ne faut pas se laisser abattre. Tu es jeune, et à ton âge le bonheur est là, il suffit de tendre la main pour le saisir. Je suis désolée mais je dois y retourner, elle enchaîne. Reviens me voir, mais plutôt en début d’année scolaire, car là c’est le rush.
— Je reviendrai, je lui réponds, alors que je sais pertinemment que je ne le ferai pas.
— Ressaisis-toi, Nico. Fais confiance à la vie, elle te le rendra. J’ai envie de te dire cette phrase que disent les Italiens et qui est intraduisible en français, « faccio il tifo per te ».
— Ce qui veut dire ?
— « Fare il tifo », c’est supporter une équipe de foot. Donc, « fare il tifo » pour quelqu’un, c’est croire en lui, tout en lui souhaitant le meilleur.
— Merci, Madame, je sais que vous avez toujours cru en moi, et vous me l’avez montré quand j’en avais le plus besoin.
— Je n’ai fait que mon travail.
— Non, vous avez fait bien plus que ça. Vous m’avez appris à croire en moi, j’arrive à articuler de justesse, alors que les sanglots chatouillent mes cordes vocales.
— C’est bien ce que je dis, je n’ai fait que mon travail de prof.
Je traverse la cour en caressant une nouvelle fois du regard ces grappes de délicieux petits mâles en fleurs que la vie n’a pas encore abîmés, en leur enviant la magnifique page de vie vierge qui se dresse devant eux, tout en ignorant qu’il y a eu un jour Jérém&Nico dans ce lycée, dans cette cour.
Je me demande combien d’entre eux ont déjà connu l’amour. L’amour physique, l’amour du cœur. Combien d’entre eux ont aimé ou aiment secrètement d’autres garçons. Je me demande s’il y en a qui ont osé proposer à ce gars qui les troublait depuis le premier jour du lycée de réviser pour le bac.
Je me demande, parmi ces lycéens qui me semblent si jeunes par rapport à moi, combien de « Jéréms » enfermés dans leur rôle d’hétéro, combien de « Nicos » soupirant secrètement se cherchent et vont se trouver un jour, ou pas. Ou pas.
A tous les Nicos, j’ai envie de dire, de crier : soyez patients, persévérants.
A tous les Jéréms, j’ai envie de hurler : laissez-vous aller !
A tous, j’ai envie de brailler : N’ayez pas peur d’aimer ni de vous laisser aimer, jamais !
Car il n’y a que lorsqu’on aime, et que l’on se sent aimé en retour, qu’on est vraiment et pleinement heureux.
Les mots de Mme Talon m’ont ému aux larmes. Mais ma tristesse en ressortant de l’enceinte du lycée n’est que plus grande.
Juin-Juillet 2008.
Après un printemps pluvieux, la belle saison s’installe peu à peu. Au début, j’ai voulu l’ignorer, cette belle saison, et continuer à rester enfermé chez moi. La pluie était un parfait support à ma tristesse. Mais les beaux jours semblent appeler avec insistance à oublier ses propres malheurs et à s’ouvrir à nouveau à la vie. Il me semble qu’il est encore plus dur d’être triste quand les beaux jours sont là.
Je souffre comme un chien, et cette souffrance est devenue une partie de moi, elle a remplacé mon bonheur. Alors, au fond, à ma souffrance, j’y tiens. Je n’ai pas le courage d’oublier le bonheur passé, d’oublier Jérém. J’ai l’impression que sans cette souffrance, je me sentirais encore plus seul, encore plus malheureux, que je me sentirais nu. Que je trahirais l’amour de mes vingt ans. Déjà que Jérém semble avoir tout oublié, je reste le dernier témoin de ce bonheur. Si moi aussi je l’oublie, ce sera comme s’il n’avait jamais existé.
Je ne peux l’oublier, non, jamais. Alors, je prends des notes, je trace des lignes, je remplis des feuilles de mots, d’épisodes, de souvenirs, de larmes. Je ne sais pas ce que je vais faire de tout ça, peut être juste laisser une trace, pour ne pas laisser l’oubli engloutir l’amour de mes vingt ans.
Oublier c’est dur, mais me replonger dans les souvenirs ça l’est tout autant, dur et épuisant. Je ne peux jamais écrire très longtemps. Les larmes finissent par brouiller mes yeux, et je suis obligé d’arrêter. Souvent. Mais je reviens régulièrement à mes cahiers. Mes notes, mes textes, mes divagations ressemblent à un sacré bazar. Mais à mon bazar, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Car c’est tout ce qui me reste de Jérém.
Juillet 2008.
L’été avance, avec ses journées chaudes propices à l’observation du Masculin. Lors de mes trajets maison-boulot, j’observe le spectacle des « fleurs du mâle ». Les bras se découvrent en premier. Parfois, au bonheur des débardeurs, les épaules se dévoilent également. Au gré des échancrures généreuses, on peut observer la naissance des pecs, quelques poils, parfois.
Le bonheur tient parfois en une manchette qui épouse de près un biceps solide, dans une façon de porter le t-shirt sur un beau torse, dans une chute d’épaules à l’angle solide, dans l’arrondi d’un col, dans une chaînette nonchalamment posée sur la peau, dans un brushing, un regard, un sourire, des lunettes de soleil, une barbe, un grain de beauté, dans un brushing brun, châtain, blond, insolent. Délicieux détails du Masculin. Le Masculin qui est parfois dans un détail, parfois un tout, ou les deux à la fois.
Les journées chaudes peuplées de délicieuses visions masculines toutes plus émoustillantes les unes que les autres sont suivies de nuits tièdes appelant à l’amour physique. Pendant un temps, ma morosité efface mon désir. Je contemple les beaux garçons, sans vraiment les désirer.
J’ai l’impression qu’en allant de l’avant, je fermerais définitivement la porte à un éventuel retour de Jérém. C’est tellement dur de tourner le dos aux souvenirs heureux, à l’amour de sa vie.
Mais l’été sait se montrer persuasif. Il me chuchote à l’oreille qu’il est un péché mortel que de gaspiller de si belles journées, et de si douces nuits, à se morfondre.
Puis, un vendredi, le vent d’Autan se met à souffler. Il se lève dans l’après-midi, et continue de gronder bruyamment dans la rue le soir venu.
Le vent d’Autan semble lui aussi m’encourager à aller de l’avant, à prendre ma vie en main, à me secouer de ma morosité. Il semble dire, répéter, encore et encore que la belle saison est là, et que ce serait un énorme gâchis de la gaspiller en broyant du noir.
Le vent d’Autan. Il m’en a fait, des coups, celui-là ! Il m’a conduit à Jérém un jour de printemps, et il m’en a éloigné un jour d’automne.
Et maintenant, il voudrait que je lui fasse à nouveau confiance pour aller de l’avant ? Mais pour aller où au juste ?
Je ne sais pas si j’en ai envie, de lui faire confiance. Je n’ai envie d’aller nulle part, au juste. En fait, j’ai peur. Peur de bouger dans ma vie, peur de rater Jérém si jamais il décidait de revenir me chercher.
Le déclic arrive le soir même, tard dans la nuit, lorsque de ma radio surgissent les accords de guitare d’une chanson chantée par un charmant garçon.
https://www.youtube.com/watch?v=hSdpfzS_Y1g
« J’ai toujours préféré, aux voisins les voisines »
Ce couplet m’a toujours fait sourire, car j’ai toujours trouvé que chanter :
« J’ai toujours préféré aux voisines les voisins », ça sonnait tellement mieux.
Déjà, car il y a effectivement dans le voisinage proche de chez mes parents un garçon qui est tout à fait à mon goût. Hors de ma portée, mais terriblement à mon goût.
Mais ce soir, cette nuit, la légèreté et la sensualité de cette chanson prennent une nouvelle dimension pour moi, elles ont l’effet d’un électrochoc, d’une caresse, d’une brise excitante sur ma peau. Ses accords de guitare frais comme un sirop de grenadine semblent me pousser à aller de l’avant.
Je réalise à quel point j’ai envie de sortir de ma morosité, de sortir tout court. Au fond de moi, je sais que j’étouffe dans cette chambre, que je me noie dans cette chambre. Je sais que j’ai besoin de prendre l’air, de boire un peu, de danser, d’oublier. Je sais que je ne pourrai pas oublier. Mais je peux cesser de penser, de broyer du noir, de pleurer. Du moins, l’espace de quelques heures.
Alors, pour tenter d’apaiser la douleur qui meurtrit mon esprit, qui déchire mon cœur et transperce mes entrailles, je me jette tête la première dans mon été de nouveau célibataire.
L’instinct de survie finit par gagner. Après des mois de réclusion volontaire, changement de cap à 180 degrés.
Dès le soir suivant, le samedi, je sors pour me rendre dans ces lieux où je peux croiser des garçons comme moi. Des lieux où je peux faire des rencontres. Je n’ai aucune envie de construire une nouvelle histoire. Non, j’ai juste envie de tester mon pouvoir de séduction et de baiser.
Le quartier de la rue de la Colombette m’étant impossible à approcher à cause des souvenirs encore trop vifs, la Ciguë et le On Off me sont interdits. Alors, je me rends au B-Machine. J’ai un pincement au cœur, un gros pincement, en franchissant le seuil de cette boîte où je ne me suis pas rendu depuis près de sept ans, après le premier clash avec Jérém, le soir où il s’était retrouvé mêlé à une bagarre qui l’avait plongé dans le coma. Ça m’arrache les tripes de revenir à la case départ, en tant que nouveau célibataire, après avoir été si heureux et avoir tout perdu de mon bonheur passé.
Je me fais violence, et j’y vais.
Une fois installé au comptoir avec ma bière, je ne sais plus exactement ce que je viens chercher ici, je ne sais même plus pourquoi je suis venu. En vrai, je n’ai même pas envie de boire, ni de danser, ni de baiser. Au final, j’ai juste envie de rentrer chez moi et de m’abandonner à ma tristesse familière.
Et, pourtant, je me fais une nouvelle fois violence pour rester.
Mais cette soirée est une déception totale. Pendant deux heures, je me retrouve comme un con derrière ma bière, personne ne vient me parler. Je ne vais pas non plus parler à qui que ce soit, je ne croise aucun regard, j’ai l’impression d’être transparent. Ou repoussant. Je dois porter sur moi mon malheur, ma tristesse. Et il n’y a rien de tel pour faire fuir les garçons.
Il n’est pas encore minuit lorsque je repars bredouille, sans même avoir eu envie de me mélanger à la foule qui a pris d’assaut la piste de danse au sous-sol.
Et pourtant, j’y reviens, dès le lendemain. Je prends un verre et je descends au sous-sol pour m’étourdir de décibels et mater les garçons, sans espérer davantage de cette soirée. Mais c’est souvent quand on ne s’y attend plus que les choses finissent par arriver.
Sous l’effet des lumières polarisées, son t-shirt blanc bien ajusté à sa plastique avantageuse brille de façon aveuglante dans la pénombre à l’autre bout de la piste de danse. Il brille dans le contraste avec sa peau bien mâte, avec son intense brunitude. Il brille également dans le contraste, on ne peut plus intense, avec mon souvenir, avec ce t-shirt noir qu’il portait, si bien, par ailleurs, lors de notre première « rencontre ». C’était il y a longtemps, à l’entrée du On Off. J’étais avec Jérém, il était là avec ses potes, une petite cour d’admirateurs de son intense mâlitude.
Le bobarbu bien viril m’a capté et il me fixe depuis l’autre bout de la piste. Son regard de chasseur mâle, de chasseur de mâles m’intrigue, m’intimide, m’excite.
C’est lui qui fait le premier pas, au sens propre comme au sens figuré. Le premier est son sourire, un sourire carnassier, conquérant, assuré, lubrique, arme de séduction massive. Les suivants, ce sont des vrais pas par lesquels il contourne la piste en se faufilant entre les torses, en frôlant les torses et les biceps, en se frayant avec aisance un chemin entre les regards qui tentent de le retenir, pour s’approcher de moi. Le fauve fonce sur moi, je n’ai plus qu’à bien me tenir.
— Salut, ça fait un bail, il me glisse, tout en me claquant la bise.
Sa barbe est toujours aussi douce, aussi excitante, son parfum toujours aussi entêtant, sa présence toujours aussi troublante. En fait, le mot juste est « bandante ».
— Salut, oui, ça fait sept ans, jour pour jour.
— Déjà ?
— Eh, oui, ça passe vite…
— Tu as bien changé, tu es devenu beau garçon !
— T’as qu’à dire que j’étais moche à l’époque !
— Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Tu as grandi, tu as mûri, tu as l’air d’avoir pris de l’assurance. Tu n’es plus le minet perdu que tu étais il y a sept ans. T’as l’air d’un mec qui a quelques heures de vol au compteur…
— Si tu le dis…
— Ce qui fait que j’ai encore plus envie de te baiser maintenant que l’autre fois ! il me lance, cash.
— Je prends ça pour un compliment…
— Ça en est un !
— Toi, t’es toujours aussi bandant…
— Je sais, il fait, sans ciller.
— Et toujours aussi insupportable !
— C’est ça qui fait mon charme, entre autres…
Je souris.
— Alors, qu’est-ce qui t’amène ici, dans ce lieu de perdition ?
— Mon nouveau célibat, je suppose.
— T’as été maqué pendant tout ce temps ?
— Oui, pendant sept ans, ou presque.
— Ne me dis pas que pendant tout ce temps tu te tapais ce gars qui a fait une sacrée carrière au rugby ?!
— Si !
— Ah, cool pour toi ! Comment il s’appelait déjà… Jérôme, je crois…
— Jérémie, il s’appelait Jérémie.
— Je n’en reviens pas que je me suis fait baiser par un futur titulaire du XV de France ! Et alors, c’est fini entre vous ?
— Oui…
— Dommage…
— Oui, dommage.
— Tu veux un truc à boire ? il me propose, sans chercher à en savoir davantage sur ma rupture, chose que j’apprécie, car je n’ai vraiment pas envie d’en parler dans ce contexte, avec tout ce bruit autour.
— Avec plaisir.
Une minute plus tard, Romain et moi trinquons à nos retrouvailles imprévues.
— Et toi, toujours à la chasse aux mecs ? je lui lance.
— On ne se refait pas, il se marre. Son sourire est toujours aussi furieusement charmeur et lubrique. Mais maintenant, j’ai un régulier, il continue. Il est là, à côté de l’entrée, c’est le gars avec le t-shirt orange. Il s’appelle Rémi. On vient de temps à autre pour chercher un mec pour un plan à trois. C’est pour ça qu’on est là ce soir.
Son regard me déshabille.
— Et d’ailleurs, il enchaîne, si ça te dit d’être ce gars, ce soir, j’en serais ravi. Et lui aussi, à en juger d’après la façon dont il te mate.
La beauté virile de ce mec se rapproche de celle de Jérém. Ce gars, a côtoyé Jérém, a dragué Jérém, a défié Jérém, a sucé Jérém, s’est fait baiser par Jérém. En couchant cette nuit avec lui, j’aurais peut-être un peu l’impression que Jérém soit là, avec nous, avec moi, en moi.
— Pourquoi pas…
Une demi-heure plus tard, dans un appartement aux Sept Deniers, nous sommes deux à nous « disputer » la queue bien tendue du bobrun barbu à qui j’ai demandé de garder le t-shirt blanc pendant cette longue séance de fellation.
Rémi finit par monopoliser la queue de son régulier, et moi je me retrouve sur le carreau. Alors, je me remets debout, et je sors ma queue. Remi ne tarde pas à venir me pomper. Mon plaisir est décuplé par le regard que le beau barbu pose sur moi, un regard intrigué et chargé d’une lubricité brûlante. En fait, j’ai compris ce qu’il kiffe, Romain. Il kiffe baiser des mecs « actifs de base », des mecs qui le font penser à des hétéros. Plus je me montre « actif », « viril », plus je l’excite, tout comme ça l’avait excité de se frotter à la virilité de Jérém. Il aime être l’actif de mecs actif qu’il aime être le seul capable à rendre passifs.
Romain chausse une capote, il se positionne derrière moi et s’enfonce en moi pendant que Rémi me suce. C’est génial de se sentir en même temps actif et passif. Ses coups de reins se prolongent sur le lit, avec Rémi allongé sur le ventre juste à côté, avec ses belles fesses offertes, attendant patiemment que son maître vienne honorer son cul.
Ce que le beau brun barbu ne tarde pas à faire. Il sort de moi, il se débarrasse de sa capote, et il s’enfonce entre les fesses de son régulier. En quelques coups de reins, il remplit le beau Rémi de quelques bonnes giclées chaudes.
C’est terriblement excitant de voir un aussi beau mâle jouir. Mon excitation est à son paroxysme. Alors, lorsque le beau barbu se retire de son régulier, je pose ma main entre les reins de ce dernier pour l’empêcher de se redresser.
— Attends un peu, t’as pas fini de te faire baiser, je lui lance, sur un ton désinvolte. Un ton qui fait son effet, car Rémi écarte à nouveau ses cuisses et cambre à nouveau ses jolies fesses.
— Mets une capote, il me glisse.
— C’était prévu !
— Tu fais ça maintenant ? j’entends Romain me glisser, sur un ton tout aussi surpris qu’excité pendant que je me saisis d’une capote et que je la déroule le long de ma queue tendue.
Je ne réagis pas à son interrogation, bien assez satisfait de l’avoir surpris, et peut-être troublé un fois de plus cette nuit.
Un instant plus tard, je me laisse glisser entre les fesses de Rémi, je m’enfonce lentement dans son trou bien préparé par les assauts du beau barbu, lubrifié par sa semence, comme dans du beurre.
Dans l’état d’excitation qui est le mien à ce stade de la soirée, il ne me faut pas longtemps pour venir. Pendant toute la durée de mes va-et-vient, le regard de Romain ne m’a jamais quitté. Et sa trique ne l’a jamais quitté non plus. Je devine ce qui m’attend « après ». Et cette idée précipite et décuple mon orgasme.
Je viens tout juste de jouir lorsque je me retrouve plaqué sur le matelas, la capote pleine toujours sur ma queue qui ne saurait débander. Mon corps vibre encore sous les dernières répliques du séisme de mon orgasme, alors que la langue du beau barbu s’affaire déjà sur ma rondelle pour m’offrir d’autres intenses frissons.
Ça ne fait pas une minute que j’ai joui, mais l’envie de me faire baiser par un Romain excité au possible fait remonter illico mon excitation et mon envie de m’offrir à lui.
— Vas-y, baise-moi… beau brun ! je lui lance, comme un écho aux échanges passés avec Jérém.
Romain ne se fait pas prier, il vient en moi aussitôt. Je ferme les yeux, je me concentre sur la présence de sa queue en moi, sur son gabarit, sur sa façon de me posséder, sur sa façon de me saisir avec ses mains, sur sa façon de me signifier que j’ai beau jouer les actifs, le mâle alpha c’est toujours lui, un point c’est tout.
Il s’enfonce en moi jusqu’à la garde et il commence à me limer.
— Vas-y, fais-toi plaisir, bomec, baise-moi autant que tu veux ! je le chauffe.
— Je vais te baiser comme une chienne !
— C’est tout ce que je demande.
— T’aimes prendre une bonne queue dans le cul, hein ?
— Oh que oui…
— Et ma queue, tu la kiffes ?
— Ta queue est super bonne !
Elle est bonne, certes. Mais aucune ne saura égaler celle du gars que j’aimais plus que tout.
— Elle est aussi bonne que celle de Jérémie ? il me poignarde dans le dos en même temps qu’il me baise dans le dos.
J’ai envie de pleurer, mais mon excitation m’aide à tenir bon, et à mentir.
— Aussi bonne, j’affabule pour le chauffer encore un peu plus.
— Peut-être plus bonne encore… il siffle, malicieusement.
— Peut-être bien… je sur-mens pour le chauffer à blanc.
J’ai envie qu’il sorte toute sa fougue de mâle, j’ai envie qu’il me défonce comme il sait bien le faire quand on sait lui parler, le chercher, le provoquer, j’ai envie que ce soit animal, j’ai envie de me sentir à lui, j’ai envie que ce soit comme avec Jérém.
Pour être animal, c’est bien animal. Je ne sais pas s’il a cru à mes mensonges, mais ce qui est certain c’est qu’il est sacrement excité et que ses assauts sont bien fougueux. Et pourtant, ils ne provoquent pas l’extase à laquelle je m’attendais.
J’ai beau fermer les yeux, rejouer des répliques de pieu iconiques, mentir sans pudeur. Romain est un sacré mâle, un sacré baiseur. Mais Romain ce n’est pas Jérém. Avec Romain, c’est bon, très bon même. Là où avec Jérém, c’était un feu d’artifice. Cette capote entre nous est du bon sens en caoutchouc, du bon sens non négociable, mais il enlève toute spontanéité de ma part. Après la mésaventure avec Benjamin il y a quelques années, je suis toujours sur le qui-vive, de peur que ça casse. Je ne veux pas revivre la frayeur que j’ai vécue à l’époque. Peut-être que j’attends trop de ce plan, c’est même certain, dans la mesure où je demande plus ou moins consciemment à mon amant d’être quelqu’un d’autre.
Romain finit par venir quelques instants plus tard, en lâchant un beau râle de jouissance et de satisfaction.
Quant à moi, je n’ai plus envie de jouir, j’ai même débandé.
Inutile d’attendre les câlins qui savent amortir l’atterrissage après l’extase, ils ne viendront pas. Romain n’est pas câlin après avoir baisé. Ça aussi, ça le différencie de mon Jérém.
Romain n’est pas non plus le genre à garder dormir chez lui l’outsider d’un plan à trois. Il est près de deux heures du mat, et il m’appelle un taxi. L’attente est longue et le silence dans l’appart assommant. Il n’y a que l’humour de Ruquier et la folie de Foresti jouant un sketch ponctué de la réplique « Je ne suis pas folle, vous savez ? » pour rendre ce long moment d’attente un brin moins glauque.
https://www.youtube.com/watch?v=C3RiazetBmM
Avec Romain, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Tout simplement parce que ce que je cherche, est inatteignable. Aucun gars ne saura jouer les Jérémies. Je redescends alors mes attentes d’un cran, et je passe en mode « j’ai besoin de baiser pour oublier, alors je cherche simplement un mec pour baiser ».
Je sors à nouveau. Dès le lendemain. Toujours au B-Machine. Un gars vient me parler, je finis la nuit dans son pieu. J’aimerais le revoir, mais je sens que ce n’est pas à l’ordre du jour de son côté.
Le week-end suivant, je recroise Romain au B-Machine, il drague d’autres mecs, d’autres proies. Lorsque je l’approche, il me dit tout juste bonjour. Ce gars n’est que le gars d’un soir, un soir tous les sept ans, éventuellement. Alors, peut-être rendez-vous en 2015…
Un autre soir, je tombe sur un gars prénommé… Jérémie, « Jérém pour les potes ». Quand il m’a appris son prénom, j’ai eu envie de pleurer. Dans le noir que j’ai demandé pour nos ébats prétextant que cela m’excite à mort, je ne me prive pas de lancer encore et encore, moins une exhortation qu’une supplication :
— Vas-y, défonce-moi, Jérém !
Mais Jérém ne me défonce pas du tout comme Jérém. Car Jérém n’est pas Jérém. Il n’a même pas du tout le genre, le corps, ni la gueule de mon Jérém. Mais il y a quelque chose d’excitant, à la fois de douloureux, frustrant et excitant dans cette sorte de mantra : Vas-y, défonce-moi, Jérém !
Je continue de sortir, d’avoir des aventures. Mais avec ces quelques inconnus, le manque de complicité sensuelle et de tendresse me fait cruellement défaut. L’inquiétude vis-à-vis des IST et MST que je pourrais choper rien qu’en prenant un mec en bouche ou en laissant un mec me prendre en bouche, la peur que la capote casse, le gars pressé de partir, le gars pressé que je parte, moi pressé de partir une fois que nous avons fait ce que nous avions à faire, l’envie de pleurer lorsque je me retrouve seul dans la rue, en train de rentrer chez moi, seul comme un chien, tout cela enlève toute une grande partie de l’insouciance et de la spontanéité qui fait d’une baise une bonne baise.
Jamais je ne retrouverai un amant comme Jérém, un amant qui savait me faire jouir comme personne d’autre. Un amant en qui je pourrai avoir assez confiance pour faire l’amour sans capote. C’est tellement bon de pouvoir faire assez confiance à un garçon pour être rempli de son jus. Sans cela, pour moi, le plaisir est incomplet, saboté, inachevé.
Oui, je donnerais cher juste pour l’avoir une dernière fois en moi, ne serait-ce que dans ma bouche, pour recevoir une dernière fois ses giclées chaudes dans mon palais, pour retrouver son goût de jeune mâle, et pouvoir avaler sans avoir à réfléchir, et profitant de ce plaisir l’esprit libre.
Pendant les nombreuses branlettes avec lesquelles je m’assomme, j’en viens même à envisager de prendre un avion pour Londres pour aller lui proposer, réclamer, quémander une pipe en souvenir du bon vieux temps. Au fond, une pipe, ça ne se refuse pas, et une pipe ce n’est pas vraiment tromper…
Je me dis qu’il doit se souvenir d’à quel point il les aimait, mes pipes, et qu’il serait donc sensible à ma proposition.
Quand on a eu un amant comme Jérém, le sevrage est une épreuve inhumaine.
Quand on se branle, tous les fantasmes semblent à portée de main.
Evidemment, de celui-ci, comme pour d’autres, je n’en fais rien. Car il s’évapore aussitôt mon orgasme passé.
Je regrette de ne pas avoir proposé à Jérém de filmer au moins une fois nos ébats, comme je l’avais envisagé à un moment dans ma tête, après l’achat de mon premier appareil numérique à l’occasion de notre voyage au Québec. A l’époque, l’idée me paraissait bien excitante. Mais je n’ai jamais osé lui en parler, de peur d’essuyer un refus. Je l’avais envisagé pour pouvoir me branler devant ces images lorsqu’il était loin de moi. Mais ça ne s’est jamais fait.
Au fond, c’est mieux ainsi, ça me ferait trop mal de regarder en boucle ce bonheur sensuel perdu.
D’ailleurs, toute image de Jérém me fait mal. Il y a des mois, le premier janvier, en guise de bonne résolution pour la nouvelle année, j’ai rassemblé toutes nos photos papier, j’ai gravé les images numériques et les quelques vidéos sur un cd avant de les effacer de mon ordi et de mon appareil photo. J’ai tout mis dans une boîte à chaussures que j’ai scellé avec beaucoup de scotch, avant de la ranger sur l’étagère la plus haute de mon placard, bien au fond, vers le mur, derrière d’autres boîtes.
Loin de me faire oublier Jérém, ces quelques aventures estivales me rendent le manque encore plus insupportable. Car chez tous ces gars, dans tous ces lits, derrière toutes ces braguettes, dans tous ces boxers, c’est Jérém que je cherche. Son corps, sa queue, sa façon de me faire sentir à lui, sa façon de me faire sentir en sécurité, ses gros bras solides qui ont su pendant un long moment être si rassurants…
Lorsqu’en baisant avec un gars vous pleurez intérieurement le grand absent, lorsque vous vous sentez comme sali par l’amant d’un soir à qui votre corps a dit oui, sans que votre cœur, à mille lieues de là, ait donné son assentiment, lorsque vous avez l’impression que chaque baise vous éloigne un peu plus de celui que vous n’arrivez pas à oublier, qu’elle vous rend un peu plus indigne de lui et de ce que vous avez vécu ensemble, lorsque vous pensez aux beaux jours de l’amour en les comparant avec votre misère sentimentale et sensuelle actuelle, lorsque vous pensez sans cesse au grand absent, lorsque vous criez intérieurement son prénom tout en l’imaginant heureux avec l’autre, alors que votre amant du soir ne vous donne pas le centième du plaisir et du bonheur que vous avez connu avec ce grand absent, voilà, quand tous ces signes se cumulent, c’est que le remède à votre malheur n’est certainement pas baiser à tout va.
Il faut un temps pour le deuil d’un amour. Chaque deuil demande un temps qui lui est propre. Et ce temps est incompressible. Il est inutile d’essayer de le raccourcir avec une ivresse, de quelle nature qu’elle soit. Au mieux, on le reporte. Au pire, on le multiplie.
C’est décidé, je suis fatigué des plans. Time out jusqu’à nouvel ordre.
Fin juillet 2008.
Ça fait déjà plus de six mois, et ça fera bientôt un an, que Jérém m’a quitté, et ma douleur est toujours aussi vive, aussi saillante, elle transperce mon âme de part en part, elle coupe mon souffle par moments.
Au final, ce qui me manque le plus, ce n’est même pas le sexe. Ce qui me manque par-dessus tout, c’est sa présence à mes côtés. Dans ma vie. Savoir qu’il y a quelqu’un qui pense à moi, qui tient à moi. Ce qui me manque, c’est de passer la nuit avec le gars que j’aime, de sentir sa chaleur, son parfum, sa présence rassurante dans le lit, de l’enlacer. Et de le retrouver au réveil, de le retrouver le lendemain et le surlendemain encore.
Non, jamais je ne retrouverai un amant comme Jérém, et encore moins un garçon comme Jérém. Jamais je ne retrouverai la façon qu’il avait de m’aimer. De m’aimer.
Je donnerais tout ce que je possède pour sentir à nouveau sur moi sa tendresse, son amour. Son amour. Pour l’entendre m’appeler « Ourson ».
Et l’imaginer partager ses jours et ses nuits avec un autre, l’imaginer en ménage avec un autre, alors qu’il n’a jamais voulu l’être avec moi, ça me donne le tournis, le vertige.
J’essaie de m’apaiser en me disant que peut-être le milieu du rugby anglais est moins homophobe. Ou alors, qu’en changeant d’air, il s’est senti moins oppressé, plus à l’aise.
Mais au fond de moi, je sais que Rodney a su le mettre en confiance et le rassurer comme je n’ai jamais su le faire.
En dessous de la colère de surface, au fond de moi je vis le fait de m’être fait larguer comme un désaveu, je me dis que s’il m’a quitté c’est que je n’étais pas assez bien pour lui. Et ça fait un mal de chien.
Je pleure le bonheur passé, je désespère d’en connaître à l’avenir, et je me noie dans la peur panique d’une immense solitude qui se profile dans mon horizon.
Début août 2008.
Il fait très chaud en ce mois d’août. L’irrigation bat son plein. Tout comme mon travail de relevé et de contrôle du bon fonctionnement des appareils de mesure.
Un matin, je suis amené à me rendre dans une ferme dont l’accès au comptage est particulièrement compliqué. Par chance, j’arrive à avoir l’agriculteur au téléphone et à lui demander des renseignements. A mon arrivée, il m’attend dans la cour du corps de ferme, et me propose de m’accompagner à la station de pompage.
M. S. a la quarantaine, il est un peu enrobé, mais il n’est pas dépourvu d’un certain charme. Il a aussi un accent, espagnol, sans doute. Un accent qui, ajouté à son nom, confirme ses origines. Sous son marcel informe et son short tâché de terre et de cambouis, et malgré ses bottes en caoutchouc-tue-l-amour, il me semble déceler un ensemble masculin qui, sans vraiment être canon, m’inspire l’envie de la découverte, contre lequel j’aimerais me blottir, par lequel je ne dédaignerais pas me faire posséder. L’arrondi de ses épaules me paraît très sensuel. Parfois, le désir est un tout, et parfois il ne tient qu’à un détail. Parfois, c’est les deux à la fois.
C’est peut-être mon imagination, mais il me semble déceler chez M. S. un regard insistant, traînant. Un regard qui doit ressembler au mien. L’agriculteur m’invite à le suivre. Il monte dans sa vieille 205 blanche et je le suis avec ma camionnette de service.
Une 205, qu’elle soit rouge ou pas, est pour moi une accroche de souvenir. Une madeleine. Un QR code. L’image d’une 205 traverse ma rétine, et je plonge instantanément des années en arrière, dans une époque, le bac et l’été qui a suivi, une rue, la Colombette, un studio, celui de Jérém lycéen, des sensations, celles de mes premiers émois sensuels, des images, le corps de Jérém, sa queue, sa jouissance, des questionnements, est-ce qu’il va continuer à m’appeler pour me baiser ou bien va-t-il bientôt se lasser de moi ? Est-ce que baiser avec ce gars me suffit ou bien j’ai envie de plus ? Est-ce qu’un jour il saura me donner plus ?
Nous arrivons à la cabane de pompage et le réel m’arrache aussitôt aux souvenirs. Pour y accéder, il faut emprunter une descente, et l’homme me propose de monter en voiture avec lui. Je m’exécute et sa proximité dans l’espace clos de la voiture me trouble. Le mélange olfactif qui se dégage de lui, entre la lessive propre et le cambouis, je trouve ça plutôt excitant.
Quelques secondes plus tard, nous arrivons enfin aux compteurs. Je fais mon relevé en quelques instants, enveloppé par le bruit assourdissant des pompes qui tournent à plein régime. Au moment de repartir, je croise le regard de M. S. qui s’attarde sur moi et je n’ai pas envie de repartir. L’endroit est on ne peut plus tranquille, personne ne peut nous surprendre. J’ai envie de lui. Dans le ventre, un frisson intense irradie dans tout mon corps et rend mes tétons hypersensibles contre le coton de mon t-shirt.
Le désir est un bon anesthésiant de la souffrance, de l’angoisse, de la peur. Depuis quelques minutes que je désire cet agriculteur, mes inquiétudes au sujet de Jérém sont comme anesthésiées. Je sais qu’elles reviendront bien assez vite, mais j’apprécie ce répit d’un instant.
J’ai envie de le sucer ici, dans la nature.
Mais l’une des pompes se met à gigoter de façon inquiétante, et le gars est obligé de l’arrêter. D’autres complications surgissent, et je l’entends pester. Et me donner congé, car « il va en avoir pour un moment ». Le moment magique est rompu, son désir éclipsé par la contingence.
Je n’ai pas la présence d’esprit de lui proposer mon aide, et je me résous à remonter la pente à pied, pour aller récupérer ma camionnette. Je me retourne deux fois, mais le gars est désormais dans le canal, l’eau jusqu’à mi-cuisse, les bottes certainement pleines d’eau, en train de sortir la crépine bouchée par le feuillage qui a commencé à tomber à cause de la canicule, toujours en pestant bruyamment.
Je m’éloigne du bel agriculteur – oui, le fait de ne pas pouvoir l’avoir l’a fait passer de désirable à beau – hanté par la frustration d’avoir raté l’occasion de faire se rencontrer nos désirs réciproques. J’aurais pu lui dire que j’avais le temps, ce qui est le cas, car il est mon dernier irriguant de la matinée. Mais je n’ai pas su le faire, et je repars comme un con.
Une fois dans ma voiture, je ne peux me résoudre à la démarrer. Je me dis que je vais attendre que M. S. remonte. Il aura résolu son problème de pompe, et son esprit sera à nouveau disposé au désir. Je lui demanderai à boire, il me fera rentrer chez lui, et je le sucerai dans sa cuisine. Peut-être même qu’il me baisera dans son lit. J’ai désormais très envie, et je me fais violence pour ne pas ouvrir ma braguette et me branler.
J’attends de longues minutes, des minutes insupportables, la trique compressée par mon short, les tétons dégageant des décharges électriques au moindre frottement contre mon t-shirt, la chaleur décuplant mon envie de jouir, saisi par le tournis en imaginant les mots que je lui adresserai quand il remontera, pour lui demander à boire, pour lui proposer de le sucer. Parce que je ne vais pas tourner autour du pot, je vais lui proposer de le sucer, j’ai trop envie, je ne peux pas ne pas exprimer cette envie.
Je guette le bourdonnement de la pompe qui redémarre, et par ricochet des soucis levés. Mais je n’entends que le bruit du vent, ponctué par quelques imprécations du charmant agriculteur.
Ce n’est qu’au bout d’une demi-heure que la 205 blanche remonte enfin. La pompe n’a toujours pas redémarré. A priori, la panne n’est pas résolue. J’ai le cœur qui bat à tout rompre, j’ai la tête qui tourne, le souffle coupé. J’avais prévu de sortir de ma voiture, de l’arrêter, de lui demander un truc à boire. Mais mes jambes n’obéissent pas. Je suis saisi par le doute, plombé par le doute. Et si je me trompais, et si dans ses regards il n’y avait pas de désir ? Est-ce que le besoin irrépressible d’en avoir le cœur net qui ravage mon ventre vaut le risque de me faire jeter comme un malpropre ? Et s’il m’en collait une ? Le bruit des coups et l’odeur du sang de cette horrible nuit où Jérém et moi avons été agressés à Paris surgissent dans mon esprit comme une décharge électrique.
Au fond, s’il ressent du désir lui aussi, il pourrait faire le premier pas. Il est plus âgé que moi, il devrait être plus assuré. Il est plus costaud que moi, il ne devrait pas craindre que je lui en colle une. Je découvrirai plus tard que l’assurance n’a rien à voir avec l’âge, et que la peur du regard, du jugement et de l’attaque verbale est aussi puissante que celle de l’agression physique. Aussi, que si on attend toujours que l’autre fasse le premier pas, on rate bien des occasions.
Pendant que sa voiture passe à côté de la mienne, je le regarde, fixement, intensément. Je croise son regard. Mon cœur est sur le point d’exploser. Le gars a l’air surpris de me retrouver encore là. Il est trempé de la tête aux pieds, et il a l’air contrarié. Non, visiblement la panne à la pompe n’est pas résolue. Et, visiblement, son esprit n’est pas revenu dans des dispositions propices au désir. Il y a également du regret dans son regard, me semble-t-il. Peut-être que, tout comme moi, il en avait envie, mais il n’a pas osé.
Le mec trace sa route, et je le vois accélérer en direction du corps de ferme.
Je le suis, accroché à un dernier espoir, qu’il s’arrête à la maison pour se changer, et que je trouve le courage de le rattraper. Mais je le vois bifurquer sur un chemin de traverse, et disparaître dans le maïs. Dès lors, je sais que c’est foutu pour de bon. Je regagne la départementale et reprends ma route, comme vidé, avec un sentiment de défaite qui plombe mon esprit comme un bloc de granit. Et je retrouve toutes mes angoisses, mes peurs, peur de la solitude, mes larmes. Et l’immense tristesse d’avoir perdu Jérém, le bonheur de ma vie.
Plage de Gruissan, août 2008.
A l’occasion du long week-end de l’Assomption, je viens rejoindre Elodie et sa famille pendant un week-end. J’arrive le vendredi soir et le lendemain Lucie est malade. Un peu de fièvre, rien de grave, mais les parents n’arrivent pas à gérer autre chose que ce petit imprévu. Ils s’occupent d’elle, naturellement. Pour la petite famille, pas question de sortir avec cette chaleur.
Alors, je me retrouve seul sur la plage, sur cette plage où pendant tant d’années j’ai refait le monde avec ma cousine, des après-midis entiers de discussions à bâtons rompus qui ont scellé notre profonde affection, seul sur cette plage où j’ai attendu Jérém, seul sur cette plage où je suis venu avec Jérém, seul avec mes souvenirs, ma solitude, mes larmes.
Heureusement, la plage est aussi ce lieu magique où le Masculin se manifeste dans sa sensualité la plus exacerbée.
Plage de sable fin, mer chaude, soleil brûlant, air de vacances, d’insouciance.
Tri visuel automatique rapide, pointage de bogosses.
Pecs, biceps, poils du torse, casquette portée à l'envers, lunettes de soleil, y compris dans l'eau.
Ôter casquette, cheveux mouillés, ruisselants, en bataille.
Autour du cou, une chaînette brillante, nonchalamment posée, sexy à mort.
A la lisière de l’élastique du short de bain, poils mouillés bien alignés en direction du nombril, d’autres bien plus insolents, noirs et saillants.
Corps ruisselants d’eau salée, peau luisante, tentante. Tétons saillants, durcis par la fraîcheur de l’eau.
Sourires, jeux entre potes. Jouer au ballon dans l’eau, coups de tête, de main, de pied, tout est permis, surtout s’amuser entre potes joueurs.
Envie d’un, deux, dix garçons.
La mer, la plage, théâtre parfait pour apprécier les moindres détails, les infinies délices du Masculin.
Toujours août 2008.
Un soir, mon téléphone sonne.
Pendant un instant, je crois à l’Impossible. Lorsque je regarde l’écran de mon portable, je réalise que ce n’est pas CET impossible, mais un impossible quand-même. Un improbable, du moins.
— Salut, Nico ! j’entends Charlène me lancer.
Dans sa voix, j’ai l’impression de déceler l’intention de se montrer à la fois avenante et compatissante, comme vis-à-vis d’un malade ou d’un malheureux avec qui on ne sait pas vraiment quelle posture adopter. Un numéro d’équilibriste dans lequel elle ne se débrouille pas mal.
— Ça va, je mens.
— C’est un petit « ça va », ça…
— Tout petit, oui. Disons que j’ai connu des jours meilleurs.
— J’imagine bien.
— Ceux que j’ai passé à Campan, chez toi, par exemple, étaient bien meilleurs… ils étaient parmi les plus heureux de ma vie.
— Tu n’arrives pas à l’oublier…
— Il me manque à en crever !
— Il me manque aussi.
J’imagine bien à quel point Jérém doit manquer à Charlène aussi. Et je n’arrive pas à retenir mes larmes.
— Oh, Nico, ne pleure pas, sinon je vais pleurer aussi !
— C’est tellement dur !
— Tu n’as pas de vacances devant toi ?
— Si, j’ai deux semaines début septembre.
— Tu as prévu quelque chose ?
— Pas vraiment.
— Viens quelques jours à la maison… enfin… si ça te dit.
— C’est gentil, mais je ne sais pas si c’est une bonne idée…
— Il n’y a pas que Jérémie qui nous manque, tu sais ? Tu nous manques aussi, Nico. Tout le monde me demande de tes nouvelles, tout le monde est triste pour toi. Viens quelques jours, on se fera quelques bons repas et on pourra parler tranquillement.
— Je ne sais pas.
— Quand plus rien ne va, elle me glisse calmement, il reste les amis dans la vie.
Samedi 30 août 2008.
Aujourd’hui, je file vers Campan. Je parcours la même route que j’avais empruntée la première fois où je m’y étais rendu il y a sept ans, jour pour jour. La route qui quitte la « quatre voies », celle qui traverse les villages, celle qui passe par Saint Martory, celle qui laisse admirer le changement progressif d’architecture entre la plaine et la montagne.
Je refais la route qui, ce jour-là, devait m’amener au premier baiser de Jérém après le clash chez moi quelques semaines plus tôt. Je refais la route qui devait m’amener à nos retrouvailles magiques sous la halle en pierre frappée par une pluie ruisselante. Je refais la route qui devait m’amener à l’amour de Jérém.
Il y a sept ans, la pluie était battante. Aujourd’hui, c’est la fougue du soleil de l’été qui joue les prolongations, et elle est tout aussi insistante. Mais je sais que septembre est là, que la rentrée va arriver, que l’été est en train de s’en aller, comme mon bonheur perdu.
En voyant les panneaux « Campan », mon cœur a des ratés. Les larmes, elles, ne me ratent pas. En passant devant la halle en pierre léchée par les rayons orange du couchant, je chiale comme une madeleine. Pendant un instant, je pense à m’arrêter pour aller faire un petit coucou à Martine dans sa supérette. Mais je n’en ai pas l’énergie, je trace tout droit vers le centre équestre de Charlène.
Enfin, c’est ce que je voudrais faire. Je voudrais savoir résister à l’appel de cette bifurcation sur la droite qui m’appelle tel un chant des Sirènes. Mais je n’y résiste pas. Je m’y engouffre, sans savoir vraiment pourquoi, en sachant pertinemment que je ne vais rien trouver de l’ancien bonheur dont la petite maison dans la montagne a été le théâtre. Et que dans ce lieu chargé de symbolique pour moi, je ne vais trouver que la tristesse sans fond de ma nostalgie.
La réalité est encore plus triste que celle que j’avais imaginée. La petite maison n’est pas seulement vide, pas seulement à l’abandon. Elle a été violée. La porte d’entrée a été salement fracturée et l’intimité du foyer est désormais accessible à tout regard, à toute intrusion. Mon cœur se fracture lui aussi un peu plus. La cheminée éteinte paraît morte. Le lit où nous avons fait l’amour, est en vrac, la table où nous avons mangé a été utilisée pour un banquet alcoolisé, comme en témoignent des bouteilles abandonnées. Visiblement, la petite maison dans la montagne a été squattée par des visiteurs indélicats. Tout est en vrac, tout est sale. Je m’assois sur le bord du perron et je fonds en larmes.
Chez Charlène, rien n’a changé ou presque. Même si la patronne a cédé son affaire à Jérém et passé la main à une nouvelle gérante, il y a toujours des chevaux dans les prés, il y a toujours son sourire accueillant et son regard profondément bienveillant.
Il y a toujours du feu dans la cheminée, du thé et des cookies maison. Et des mots qui réconfortent.
Charlène est au courant de ce qui s’est passé à la petite maison, « l’œuvre d’une poignée de petits cons », comme elle le dit, et ça la rend triste elle aussi.
— Jérém est au courant ? je la questionne.
— Oui, je lui en ai parlé. Il a dit qu’il s’en occupera à Noël.
— Il compte venir ici ?
— Je ne sais pas, c’est pas sûr… elle bafouille en réalisant s’être aventurée par mégarde sur un terrain miné.
— Dis-moi !
— J’en ai déjà trop dit, de toute façon.
— Exactement !
— Oui, il m’a dit qu’il viendrait.
— Avec… l’autre ?
L’ « autre » est le nom qu’on donne à celui qu’on ne veut pas nommer, le fossoyeur de notre bonheur, pour nous donner l’illusion qu’on peut lui refuser le droit d’exister tout simplement en refusant de l’appeler par son vrai prénom.
— Oui, avec Rodney.
Je lui ai demandé de la franchise, j’en ai pour mon argent. Comme une droite en pleine gueule. Ainsi, Rodney compte assez pour Jérém pour être, lui aussi, « éligible » à l’univers magique de Campan, il compte assez pour avoir le droit de faire connaissance avec ses racines, avec ses amis cavaliers, avec ses chevaux. J’aurai été le premier, mais bientôt je ne serai plus le seul. La venue de Rodney va sceller officiellement la fin de notre histoire. Quand nos amis communs auront vu « l’autre », ils sauront que c’en est vraiment fini de Jérém et Nico et ce sera acté pour de bon.
— Il va bien ? je lui demande, comme assommé par la nouvelle, arrivant tout juste à respirer.
— Il me semble que oui.
— Il est heureux ? Parce que moi, je suis malheureux, je n’ai jamais été aussi malheureux !
— Tu sais, Nico, Jérémie s’en veut de t’avoir fait du mal. Malgré tout ce qui s’est passé, il tient toujours énormément à toi.
— Ça me fait une belle jambe qu’il tienne à moi alors qu’il couche avec un autre !
— Nico !
Pendant le week-end que je passe à Campan, j’ai l’occasion de retrouver Bille, Tzigane et Unico, les équidés de Jérém. J’ai l’impression qu’ils me reconnaissent et qu’ils savent le pourquoi des larmes chaudes que leur présence fait couler sur mes joues.
J’ai aussi l’occasion de refaire un tour à cheval en petit comité avec Charlène, Martine, Jean-Paul et Carine. De retrouver l’odeur de sous-bois humide, d’automne imminent. De retrouver les souvenirs chargés de nostalgie de nos séjours à Campan, des balades à cheval, des soirées avec les amis cavaliers, de cet instant jour où Jérém m’a serré dans ses bras devant la grande cascade à Gavarnie. Du soir où il m’a embrassé devant tout le monde.
Mais aussi de retrouver la sagesse de Jean-Paul, la fraîcheur de Carine, les rires de Martine et de Charlène, l’odeur rassurante d’un bon feu de cheminée, d’une potée qui cuit pendant des heures et qu’on partage avec les amis les plus proches, et le sourire éclatant des étoiles, si belles, si pétillantes à la montagne.
Pendant tout le week-end, Charlène s’occupe de moi comme une mère, une deuxième mère qui sait précisément ce que je traverse et qui sait trouver les mots, les gestes, la chaleur humaine qu’il faut pour me réconforter.
Je suis revenu à Campan, j’ai naufragé vers Campan, j’ai échoué à Campan.
Et après ce week-end, je me sens comme un convalescent remis sur pied après un traitement de choc. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, et mes amis les ont essuyées. Charlène a raison. Quand tout va mal dans la vie, quand tout semble perdu, une seule chose demeure, les amis, les vrais, ceux qu’on peut compter sur les doigts d’une main. Un ami c’est comme la famille, l’excès de pudeur qui inhibe les échanges les plus intimes en moins.
En revenant vers Toulouse, j’ai l’impression que ma vie a enfin retrouvé quelques couleurs.
Septembre 2008.
La semaine après mon week-end à Campan, mon téléphone se met à déconner. Vu son âge, un remplacement s’impose. J’aimerais prendre l’un de ces nouveaux appareils qu’on appelle désormais les smartphones, mais ils sont hors de prix et il me semble que je n’en aurais pas l’utilité. Alors, j’opte pour un nouveau modèle à clapet au design épuré.
Suite à une fausse manipulation, j’efface l’intégralité de la mémoire de mon ancien téléphone, contacts et sms. Je m’en veux à mort. Je tente le tout pour tout, je l’apporte même chez un réparateur. Mais il n’y a rien à faire, tous les échanges avec Jérém sont irrémédiablement perdus. Des messages que je n’ai pas consultés depuis des mois, mais dont la présence, inscrite à la fois dans ma mémoire consciente et dans celle subconsciente, constituait l’un des seuls piliers qui m’empêchait de m’effondrer.
Les messages pleins des délicieuses fautes d’orthographe de Jérém perdus, je me sens encore un peu plus éloigné de lui, encore un peu plus seul, encore un peu plus triste et inconsolable.
Mais si sur le coup cet accident numérique constitue un choc, dès le lendemain il sait se métamorphoser en électrochoc salutaire. Le déclic qu’il me fallait pour commencer réellement à tourner la page, à aller de l’avant, et prendre un nouveau départ.
Un nouveau départ qui passe par un nouvel appart. J’adore mes parents, depuis des mois, des années, ils m’entourent sans être intrusifs, ils tissent autour de moi un cocon qui m’aide énormément à tenir le coup. Mais je sens que j’ai besoin de prendre mon indépendance. J’ai besoin d’avoir un chez moi. Je dois avancer dans ma vie, je dois vivre ma propre vie. Si un jour je rencontre un gars, je ne peux pas l’amener dans ma chambre d’enfant, avec les parents qui dorment au fond du couloir.
— Tu es sûr que tu es prêt ? Rien ne presse, tu sais… me glisse Papa lorsque j’expose mon projet à table, à l’heure du dîner.
— Je n’en ai aucune idée, mais j’ai envie d’essayer.
— Tu es un homme maintenant, mon fils, c’est toi qui sais ce qui est bon pour toi.
Maman est triste que j’envisage de quitter à nouveau le cocon familial, car elle sait pertinemment que cette fois-ci ce sera pour de bon et que je ne reviendrai pas.
— Je ne pars pas loin, tu sais, je vais rester à Toulouse, je tente de la réconforter.
— Mais tu pars quand même. C’est dans l’ordre des choses, je sais, ça s’appelle « grandir ». Mais je sais déjà que tu vas me manquer.
Moins de deux semaines plus tard, la veille de mon anniversaire, l’agence immobilière me remet les clefs du charmant petit appartement qu’elle m’a déniché à Labège, vraiment pas loin de mon travail.
En contemplant cet appart encore vide où chaque petit bruit résonne contre les murs nus, je fais un parallèle avec ma vie. Une nouvelle page blanche s’ouvre à moi, une page dont ces pièces et ces murs vides sont une excellente représentation, et j’aime l’idée de l’ouvrir dès demain, de remettre les compteurs à zéro, pile le jour de mon anniversaire. Mais avant d’aborder cette nouvelle page et de commencer à la remplir avec de nouveaux magnifiques couleurs, je dois clôturer l’ancienne.
Et pour ce faire, il faut que j’arrive enfin à accepter que Jérém soit heureux sans moi. Je dois apprendre à l’être sans lui.
15 septembre 2008.
Aujourd’hui, j’ai 26 ans. Aujourd’hui, j’ai reçu des sms et des coups de fil d’amis voulant me souhaiter bon anniversaire. Mais les vœux les plus attendus, ceux que j’espérais depuis des mois, ceux qui représentaient tant de choses à mes yeux, ceux dans lesquels je ne croyais pas vraiment, tout en les espérant de toutes mes forces, de toutes mes tripes, ne sont pas venus. Je les ai attendus jusqu’à ce que mon téléphone affiche « 16 septembre 2008 ». Et j’ai fondu en larmes.
20 septembre 2008.
C’est aujourd’hui que Madonna vient à Paris pour la première des deux dates consécutives au Stade de France. En pénétrant dans l’immense enceinte, j’ai l’impression d’entendre les acclamations de la foule des 80000 spectateurs des grands matches. Combien de fois, je suis venu voir Jérém jouer dans cette enceinte. J’ai l’impression qu’il pourrait être là, dans la pelouse, au milieu des milliers de fans attendant l’arrivée de la Star.
Ce soir, Jérém me manque horriblement. Il y a deux ans, j’avais partagé cette expérience avec lui. Certes, ce n’était pas dans ce lieu, c’était à Bercy, et il avait vraiment aimé. Je me souviens m’être dit qu’on en partagerait d’autres, des concerts de Madonna, lui et moi. Hélas, ce ne sera pas le cas.
Comme les albums, les tournées marquent des périodes de ma vie.
Le Drowned World Tour de 2001 était la bande son de mes escapades nocturnes vers l’appart de la rue de la Colombette. C’est aussi le souvenir de mon premier concert de Madonna, à Londres, de cette folle virée avec ma cousine, de cette époque d’insouciance.
Le ReInvention Tour de 2004 est lié au souvenir de la plus belle période avec Jérém, après son accident au rugby et son rétablissement, cette période où notre amour semblait si fort, intarissable.
Le Confessions Tour de 2006 était le moment de la « rencontre » entre la Star de ma vie et l’Homme de ma vie. Notre amour vivait ses derniers jours, mais nous l’ignorions, et nous étions si heureux !
L’ambiance est folle dans l’immense enceinte. La Star se fait attendre, mais lorsqu’elle apparaît enfin, tout s’embrase. Le concert est très travaillé, très esthétique. Mais le cadre très inadapté. Dans un si grand espace, le visuel est frustrant, malgré les grands écrans, et le son est vraiment, vraiment mauvais.
Et ça gâche l’expérience tout entière. Quand je compare le concert de 2006 avec celui de ce jour, le verdict est sans appel. Sur le papier, un stade est un choix de prestige, qui montre à quel point l’artiste sait fédérer. Dans la pratique, c’est le pire endroit pour assister à un concert.
Au final, cette soirée est une grosse déception. Non pas à cause de la prestation de l’artiste, mais à cause de l’endroit choisi. Vivement le DVD !
16 octobre 2008.
Jérém a 27 ans. Si le beau brun a oublié mon anniversaire (ou bien il a fait exprès de ne pas me le souhaiter pour garder de la distance entre nous), moi je n’oublie pas le sien. Je n’ai plus son numéro et pendant toute la journée la tentation est forte à chaque instant d’appeler Maxime pour le lui redemander. Mais je me fais violence, de plus en plus violence au fil des heures, de plus en plus de violence jusqu’à ce qu’il ne soit plus temps, jusqu’à ce que mon téléphone, que je fixe depuis des heures, affiche enfin « 17 octobre 2008 ».
Automne 2008.
En ces derniers jours du mois d’octobre, seul dans mon appart, la tristesse, la mélancolie, la nostalgie, les larmes me rattrapent de plus belle. J’ai enfin un chez moi, je pourrais voir qui je veux quand je veux, et pourtant, je n’ai envie de voir personne. Personne, même pas des mecs pour des plans.
En dehors de mon taf et des courses, je me terre dans mon deux pièces, je broie du noir. J’en viens même à me demander si ça a été vraiment une bonne idée d’aménager seul, alors que je ne suis toujours pas guéri de ma rupture, alors que le manque leste mon cœur, écrase mon âme, noue mes tripes.
Octobre 2008.
Oui, en ces derniers jours du mois d’octobre de celle qui a été la deuxième pire année de ma vie ex-aequo avec celle qui l’a précédée, je me noie à nouveau dans cet abîme de tristesse désormais bien familier. La chaleur humaine de Campan est déjà lointaine, et la « couverture », l’état de grâce que cette piqûre de rappel contre la morosité m’avait apporté s’estompe jour après jour.
Alors, je dérive à nouveau et plus que jamais dans cette lutte impossible contre l’inéluctable, la perte de l’amour de ma vie, une perte que ma raison et mon cœur refusent, à laquelle ils n’arrivent pas à se faire, une perte inconcevable, inacceptable, insupportable.
C’est à ce moment que le vent d’Autan recommence à souffler. C’est à ce moment, lorsque je suis à nouveau au plus mal, qu’un ange tombé du ciel revient dans ma vie. Le hasard a fait que tous deux avons choisi d’aller voir le même film, plusieurs semaines après sa sortie, dans la même salle de cinéma, et à la même séance.
C’est après deux heures passées à suivre les pérégrinations de Meryl Streep sur une île grecque tout en chantant du ABBA a tout va, après avoir attendu religieusement, lui comme moi, à des emplacements plutôt éloignés dans la salle, que le fondu au noir et le silence tombent après les titres de fin, et que les lumières se rallument, c’est au moment de quitter la salle que nous nous croisons, que nous tombons littéralement l’un sur l’autre. Je m’arrête pour le laisser passer, il insiste pour me laisser passer. Je le regarde, je le reconnais.
Il n’a pas changé, il est toujours aussi gentil garçon. Et soudain, mon cœur s’emplit de bonheur, comme lorsqu’on rencontre un visage familier après s’être longtemps égarés dans un désert ou une forêt.
Vendredi 15 septembre 2017.
Aujourd’hui, j’ai 35 ans. Le temps passe, et je réalise que j’ai plus du double de l’âge que j’avais au moment où j’ai connu Jérém au premier jour du lycée.
Pendant longtemps, le fait d’imaginer Jérém amoureux d’un autre, coucher avec un autre, partager la vie d’un autre, me donnait le vertige. Chaque fois que le vent d’Autan se levait, je me surprenais à être dans l’attente d’un miracle. Auquel je ne croyais plus depuis longtemps. Et pourtant, à chaque fois mon cœur sursautait, ma peau était parcourue par des frissons, et dans mon cœur et dans mes tripes tout se remettait à remuer violemment, tout me ramenait à lui. J’ai longtemps attendu son retour, comme dans la chanson de Diana Ross.
And I'm still waiting/Et j'attends toujours
(…)
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre
J’ai longtemps regretté Jérém, l’amant, l’amoureux, le P’tit Loup qui donnait de si belles couleurs à ma vie. J’ai longtemps regretté sa présence à mes côtés, de ses jambes contre les miennes sous la couette, de quelques petits jeux de pieds tout mignons avant de nous endormir, le souvenir de la chaleur de son corps, du parfum de sa peau, de la solidité de ses bras qui me serraient à la fois solidement et doucement contre lui, de la douce puissance de son torse contre les miens, tout ce qui fait le partage avec l’être aimé, tout cela m’a manqué comme un membre qu’on m’aurait arraché.
Je lui en ai parfois voulu d’avoir oublié le bonheur et les promesses d’Ourson et P’tit Loup. D’être parti, d’avoir choisi le rugby plutôt que me choisir moi. Certes, c’est moi qui lui ai donné ce choix. Si je l’ai fait, c’est pour ne pas le rendre malheureux. Papa avait raison, il aurait été très malheureux de tirer un trait sur le rugby. Mais le choix qu’il a fait m’a rendu malheureux, moi.
Mais au final j’en ai surtout voulu au destin, je lui en ai voulu de m’avoir offert le bonheur de ces cinq années avec Jérém, un bonheur avec ses hauts et ses bas, certes, mais un bonheur insensé, vertigineux, et de me l’avoir retiré si brutalement.
Le deuil de cet amour a été pendant longtemps chose impossible. Pendant près de dix ans, ça m’a empêché de profiter pleinement de la vie, de faire confiance, d’accepter l’amour qu’on m’offrait.
Oui, aujourd’hui, j’ai 35 ans. Et cet anniversaire plus que d’autres m’a poussé à faire un bilan de ma vie.
Je suis encore jeune, mais je sais que le temps passe, et qu’il passe vite, et que Demain n’est que spéculation, car pour mille raisons il pourrait ne pas être.
Alors, au milieu de ma trentaine, j’ai l’impression que ma quarantaine m’attend au tournant. Je n’ai pas peur de vieillir. J’ai surtout peur de rater les occasions, les belles choses que la vie a à m’offrir. Je ne veux plus gaspiller mon temps avec les regrets. Je ne veux plus vivre dans le passé. Ça fait longtemps qu’espérer un retour de Jérém n’a plus de sens.
Je crois que je suis enfin prêt à m’ouvrir à de nouvelles expériences, à l’amour, à la vie tout simplement.
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C'est vrai, les histoires, une fois partagées, n'appartient plus à son auteur, mais aux interprétations des lecteurs
C'est vrai, les histoires, une fois partagées, n'appartient plus à son auteur, mais aux interprétations des lecteurs
J'espérais un peu le bond temporel, j'avoue. L'idée-même de lentement mourir d'amour pour un mec - fusse-t-il LE mec - pendant deux ans, sans pour autant vraiment revivre ensuite m'est tellement abstraite... J'ai eu plusieurs fois envie de baffer Nico ! D'autres te diront avoir eu de la compassion pour lui, ça compensera ;) Puis, je peux, on m'a un jour dit qu'une fois qu'on a posé une histoire, elle ne nous appartient plus entièrement, chacun y voit un peu ce qu'il veut, voilà... ¯\_(ツ)_/¯ Après, 35 ans, ce n'est pas trop tard pour se poser, et commencer à se dire qu'entre la relation absolue, et les baises impersonnelles, il y a plein d'autres niveaux de relation finalement assez satisfaisantes.
Bonne idée scénaristique, la perte des données qui le force à fermer quelques portes, pour enfin imaginer d'en ouvrir d'autres. Quand j'ai changé mon petit portable pour mon premier smartphone, le technicien avait proposé d'en faire le transfert pcq "Ce serait dommage de perdre tes contacts et tes conv', à ton âge c'est important, hein!". Je m'était demandé si ce le serait vraiment et j'avais ensuite très vite fait un petit nettoyage salutaire.
Bonne idée scénaristique, la perte des données qui le force à fermer quelques portes, pour enfin imaginer d'en ouvrir d'autres. Quand j'ai changé mon petit portable pour mon premier smartphone, le technicien avait proposé d'en faire le transfert pcq "Ce serait dommage de perdre tes contacts et tes conv', à ton âge c'est important, hein!". Je m'était demandé si ce le serait vraiment et j'avais ensuite très vite fait un petit nettoyage salutaire.