Jérém&Nico - 0407 Parfois, les réponses n’apportent que plus de questions.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 02-06-2024 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Jérém&Nico - 0407 Parfois, les réponses n’apportent que plus de questions.
L’année 2017.
Cette année commence pour moi dans une ambiance de morosité persistante. Car c’est une année particulière. Elle marque les dix ans du départ de Jérém. Dix ans qu’il est sorti de ma vie, dix ans depuis la dernière fois où je l’ai vu.
Dix ans passés à essayer de me préserver, à éviter de prendre de ses nouvelles, et à subir de plein fouet celles qui venaient malgré moi par les amis communs, ou par la presse. Dix ans passés à essayer de l’oublier.
Dix ans, c’est en général l’un de ces anniversaires qui se « fêtent », qui nous font prendre conscience de la distance parcourue depuis l’événement « célébré », et nous font constater que l’on n’a pas vu passer les années.
Depuis le début de l’année, c’est comme si tout mon esprit était projeté vers cette date, ce 23 août qui clôturera la décennie écoulée depuis notre dernière soirée à Toulouse, depuis la dernière fois où « Ourson » et « P’tit Loup » ont existé.
Et dans cet élan, dans cette fébrilité, des tas de questions se pressent dans ma tête. Ce sont les mêmes qui me hantent depuis des années. Mais elles sont de plus en plus étouffantes, de plus en plus déchirantes.
Je me demande comment il a surmonté le choc de la publication des photos avec Rodney, si ça l’a poussé à assumer son orientation sexuelle.
Je me demande s’il a fait le deuil de sa vie d’avant, après son éloignement brutal du monde du rugby professionnel.
Je me demande ce qu’il fait de ses journées, s’il a trouvé une nouvelle passion, un nouveau rêve, ou du moins un emploi dans lequel il s’épanouit.
Je me demande ce qu’il devient depuis sa séparation d’avec Rodney. S’il a retrouvé quelqu’un, s’il a trouvé une stabilité affective.
Je me demande s’il est serein, apaisé. Je me demande s’il est heureux.
Et je me demande aussi s’il est toujours aussi beau, aussi sexy, aussi fougueux au pieu.
Je me demande qui a la chance de profiter de sa beauté, de sa virilité, de sa queue.
Evidemment, je l’imagine toujours aussi canon, et aussi bon baiseur. Bien sûr, je suis conscient que les années ont passé pour lui aussi. Je suis conscient qu’il a dû changer lui aussi.
Alors, j’aimerais tellement savoir comment la trentaine s’exprime sur sa belle gueule, sur son corps, dans son regard, dans son style. Je ne doute pas que cela doit être à tomber.
Parfois, en croisant dans la rue un beau brun dans son genre, dans sa tranche d’âge, je me dis : « Tiens, Jérém pourrait ressembler à « ça », aujourd’hui ».
Je n’ai aucun doute sur le fait que sa petitconitude d’origine, tel un bon cru, n’a pu que bien « vieillir », se muer en une virilité encore plus affirmée, une virilité aux arômes capiteux, donnant un millésime de mâlitude à même de faire bugger le plus blasé des « sommeliers ».
Il m’arrive toujours de me branler en pensant à son corps musclé, à sa queue – dans ma bouche, entre mes fesses – à ses coups de reins, à sa façon de me baiser, à sa façon de me faire l’amour, à la puissance de ses giclées, au goût de son jus chaud.
Je ne sais pas ce que je donnerais pour refaire une dernière fois l’amour avec lui.
D’un autre côté, je me demande s’il voudrait encore de moi. Les années ont passé pour moi aussi, et j’ai changé. Mes cheveux ont commencé à tomber, lentement mais inexorablement, et désormais les dégâts commencent à être visibles. Je les coupe de plus en plus courts, et je cultive une barbe de dix jours pour tenter de faire diversion. Mais ma barbe n’est pas assez drue. Je ne suis pas satisfait du résultat. Alors, dans le milieu de ma trentaine, je cherche à nouveau à me réconcilier avec mon apparence comme le faisait l’adolescent que j’ai été il y a vingt ans. Sans succès.
Oui, cette année les souvenirs me hantent encore plus que par le passé. Au fond de moi, j’attends cette date symbolique des dix ans du départ de Jérém comme pour boucler une boucle. Tout en moi tend vers cette journée, comme s’il s’agissait d’un rendez-vous à ne pas manquer.
Je ne sais pas ce que j’attends au juste. Car je sais parfaitement qu’il n’y a rien à attendre. Je sais très bien que le 23 août finira par arriver, et par passer, sans que rien ne change dans ma vie. Jérém ne reviendra pas. Et je n’arrêterai pas de penser à lui.
Un jour de mars 2017.
Ce soir, de retour à la maison après ma journée de travail, mon « comité d’accueil » à poil noir est comme toujours au rendez-vous, trépignant d’impatience derrière le portail, débordant d’énergie et d’affection, bondissant avec son ballon de rugby dans la gueule.
Contrairement à tant d’autres soirs où, fatigué de ma journée ou bien accaparé par d’autres tâches, je ne donne pas suite à ses propositions de jeu, ce soir je me lance dans une longue session de « rugby » avec mon chien d’amour.
Entre deux lancers de ballon, je suis particulièrement touché et ému par sa fougue. Et je suis fasciné par cette joie immense qui est la sienne, une joie simple et intense provoquée par un simple jouet, par le son du « pouic pouic », par le mouvement de lancer, par la course pour aller le rattraper, par ce moment de partage avec son maître.
Je lui envie cette insouciance, cette capacité à être totalement dans le présent. Galaak est juste dans l'instant, et dans l’instinct. Quand il mange, il mange, quand il dort, il dort, quand il court, il court, quand il joue, il joue, quand il fait des câlins, il fait des câlins, et il ne fait que ça. Une chose à la fois, avec tout son corps, et tout son esprit. Quand il est heureux, il l’est à 100%.
Je l’envie quand je le vois allongé sur la pelouse, la truffe en l’air, ou bien concentré sur le vol d’un oiseau qui traverse le ciel, sur le ballet aérien d’une feuille qui tombe, comme si c'était la chose la plus importante au monde. Je l’envie quand il regarde parfois la rue et les voitures qui passent comme s’il jugeait nos vies effrénées et insensées d'humains. Je l'envie quand je le vois chercher le spot le mieux pour une petite sieste, sera-ce dans le jardin ou bien dans la maison ?
Certes, sans la conscience du Temps, l’esprit est soulagé d’un grand poids.
J’imagine qu’il n’a pas conscience d’avoir un passé. Il a peut-être des souvenirs, des bons, des mauvais. Mais même les mauvais ne semblent pas l’empêcher pas de vivre pleinement le présent.
Par ailleurs, je peux affirmer qu’il n’a pas d’agenda, d’échéance, d’obligation, de responsabilité, de contrainte, de conventions sociales à respecter.
Aussi, j’imagine qu’il ignore qu’un jour il ne sera plus là.
Sans la conscience du Temps, seul le Présent existe. Ce qui est vrai, dans tous les cas. Car, par définition, le Passé n’est plus, et l’Avenir n’est pas encore. Le Présent est donc le seul à mériter notre attention, le seul sur lequel nous avons un quelconque « pouvoir ». Je crois que nous, les humains, nous avons un peu perdu le sens des priorités.
En revenant à mon Galakou, je suis immensément touché par sa façon de donner son amour, sa tendresse, sa joie, sans compter, à n’importe quel moment, dès lors que je lui accorde un peu de mon attention. Il ne remet jamais à plus tard le moment d'être avec moi, de jouer, d'accepter les câlins que je lui donne. Il ne remet jamais à plus tard une occasion de jouer et d'être heureux.
Alors que je ne suis pas toujours prêt à répondre à ses sollicitations.
Lorsqu’il approche avec son ballon de rugby dans la gueule, c’est sa façon de me dire qu’il a envie de jouer.
Attends, Galaak, je suis claqué, ou occupé à regarder une série…
Lorsqu’il finit par se coucher sur le ventre, le ballon coincé sous une patte, c’est qu’il s’impatiente.
Je suis en train de faire du ménage, je termine et j’arrive…
Lorsqu’il vient se frotter contre ma cuisse, lorsqu’il passe son museau humide entre mon aisselle et le bureau, soulevant mon coude, en faisant couiner son ballon, c’est le dernier appel de phares.
Encore une minute, Galaak, je termine juste un truc…
Et puis les minutes passent, Galaak s’en va dans son panier, laissant le ballon au milieu de la pièce, comme le témoin d’une occasion ratée de partager du bonheur, comme une marque de sa déception et de sa frustration.
Je m’en veux de ne pas lui consacrer plus de temps, de ne pas toujours répondre à ses invitations. Je me dis que le temps passe vite et que je regretterai les instants que je ne lui ai pas consacrés.
Alors que, je le sais, c’est si bon de laisser tomber ce qui m’accapare, et dont l’urgence est très souvent discutable et relative, pour me payer une bonne « pause Galaak ».
Il suffit de saisir le ballon, là et maintenant, et de le lancer.
Martres Tolosane, avril 2017.
Lorsque je regarde en arrière, je me dis que j’ai quand même eu de la chance. Pendant cinq ans, j’ai vécu un amour extraordinaire, magique, un véritable feu d’artifice. J’ai pu profiter de sa beauté, de sa jeunesse, de sa virilité, de sa fougue. Et de son amour, par-dessus tout. Quelle chance inouïe et inespérée, après trois années de lycée passées à le croire totalement inaccessible !
J’ai été chanceux, terriblement chanceux, j’ai vécu un bonheur immense, un bonheur dont nombre de garçons comme moi n’osent même pas rêver. C’était comme un rêve éveillé.
Mais parfois on se réveille en plein rêve et tout a disparu. C’est ce qui m’est arrivé.
En perdant Jérém, j’ai perdu mon bonheur. Et j’ai beaucoup, beaucoup souffert.
Avec la souffrance, il y a eu la colère. Dès lors, j’en ai voulu à la Terre entière.
J’en ai terriblement voulu à ces cons qui nous ont agressés le soir de ses 25 ans. Je les ai haïs de toutes mes forces, et pas seulement pour nous avoir battus sans raison, mais aussi pour avoir exposé Jérém au jugement et à la honte, pour l’avoir replongé dans ses anciens fantômes. Et de nous avoir retiré de ce fait notre bonheur. Et, ceci, pour la seule raison que leur bêtise était irrécupérable.
J’en ai voulu à notre société, à la mentalité dominante qui méprise la différence, qui juge sans savoir et qui traite les victimes comme des coupables.
Mais j’en ai également voulu à Jérém.
Je lui en ai voulu de ne pas avoir eu le courage de se battre, de montrer qu’être gay ça n’a rien de honteux, que ce n’est pas une tare, que ça ne change rien au fait d’être un bon joueur. Et qu’en tant que gay on mérite le respect comme tout un chacun.
Je m’en suis ensuite voulu de lui en avoir voulu pour ça. Je sais très bien que s’il avait essayé de se battre frontalement contre tout un système, une société, une mentalité hostiles, ça l’aurait détruit.
Ensuite, je lui en ai voulu d’avoir oublié le bonheur et les promesses d’Ourson et P’tit Loup. D’être parti, d’avoir choisi le rugby, au lieu de me choisir, moi. Certes, c’est moi qui lui avais donné ce choix. Si je l’avais fait, c’était pour son bonheur. Papa avait raison, il aurait été très malheureux de tirer un trait sur le rugby. Mais le choix qu’il avait fait m’avait rendu malheureux.
Et je lui en ai voulu de ne pas avoir eu les couilles de me dire qu’il était tombé amoureux d’un autre garçon, de m’avoir obligé à partir à Londres, à me rendre à son appart, à rencontrer le garçon qui avait pris la place qui avait été la mienne dans son cœur.
L’imaginer amoureux d’un autre, coucher avec un autre, partager la vie d’un autre, être heureux avec un autre, c’était au-dessus de mes forces. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée, je n’arrivais pas à l’accepter. Ce que je n’arrivais pas à accepter, c’était de l’avoir perdu.
Parfois, j’ai envie de me dire que notre histoire s’est arrêtée le soir de ses 25 ans, juste après la petite fête qu’avait concoctée Ulysse chez lui pour célébrer l’événement, juste après avoir fait l’amour dans le couloir qui menait aux parkings de l’immeuble.
Ma mémoire a besoin d’occulter ce qui s’est passé après, l’agression, notre éloignement. Et aussi, les mois, les années d’errance sentimentale après notre séparation, la douleur de l’absence, la difficile reconstruction de mon cœur salement abîmé.
Martres Tolosane, fin avril 2017.
Le mois d’avril va bientôt se terminer, le printemps s’installe. Tout autour de moi éclot, verdoie, sourit à la vie. Mon Galaak est plus fou fou que jamais, le retour des beaux jours lui donne encore plus envie de jouer.
C’est à l’approche de l’anniversaire de notre première révision avant le bac qu’une image traverse ma rétine et me replonge dans des souvenirs vieux de seize ans.
C’est en revenant des courses que je la croise. Et soudain mon cœur s’emballe, ma respiration s’arrête. Le temps s’arrête. Et je ne peux plus la quitter des yeux. Mon regard doit ressembler à celui d’un fou, car le mec au volant me dévisage à son tour. Je suis tellement ailleurs que je suis obligé donner un coup de volant pour ne pas me manger les bordures.
La 205 rouge est là, arrêtée à l’entrée du rond-point, alors que je circule à l’intérieur. Elle est conduite par un jeune garçon à casquette. Un garçon qui n’est pas Jérém, mais qui aurait très bien pu l’être. Un petit con comme il l’a été, un jeune loup terriblement sexy.
Et soudain je me revois dans sa 205 rouge, je me revois lors des retours de boîte de nuit, direction l’appart de la rue de la Colombette, direction son pieu, sa queue, sa virilité. Je me souviens tout particulièrement de cette nuit où il était venu à mon secours dans ces chiottes de boîte de nuit où ce gars éméché voulait me tabasser parce que je l’avais un peu trop maté. Je me souviens de son t-shirt blanc taché de sang. Je me souviens de sa façon de conduire d’une main et de fumer de l’autre, je me souviens de son parfum, de l’odeur de la cigarette, du désir qui ravageait mes tripes.
Je suis tellement ailleurs que je rate ma sortie, et je suis obligé de refaire un tour du rond-point.
Mais la 205 a déjà décollé, et elle s’est engagée dans une direction qui n’est pas celle que je dois emprunter. Je la regarde s’éloigner, puis disparaître au gré de la circulation, le cœur comme serré dans un étau.
Une 205 rouge pour « madeleine de Proust », une image capable, en un instant, de faire revivre tout un monde, celui de ma première jeunesse, celui de mon plus grand bonheur, celui d’un Paradis Perdu.
Le Fousseret, le mardi 2 mai 2017, 17 h 03.
Aujourd’hui, c’est la première date-anniversaire de l’année, celle de notre première révision dans l’appart de la rue de la Colombette. Dès le matin, je ne suis pas bien. Je passe une journée vraiment pas terrible. En sortant du boulot, je constate que le vent d’Autan est là, puissant, insistant, impitoyablement chargé de souvenirs.
Ce soir, je repense à certains de ses messages. Je les ai tous perdus il y a quelques années, mais je ne les ai pas oubliés pour autant. Certains sont gravés dans ma mémoire à la virgule près. Non, je n’ai jamais oublié ses SMS bourrés de fautes d’orthographe, à la fois si directs, si peu emphatiques, et pourtant si touchants.
Tout comme je n’ai jamais oublié son numéro de portable. Ça fait dix ans que je ne l’ai pas composé. Et je sais pertinemment qu’il a résilié la ligne dès son départ en Angleterre.
Mais ce soir, je suis irrépressiblement saisi par l’envie de faire un truc fou, désespéré. Ce soir, j’ai envie de composer son ancien numéro.
Je sais bien que je n’ai rien à espérer de cette petite folie. Jérém ne sera pas à l’autre bout des ondes. Mais je ne suis pas à une folie près. Je n’ai jamais cru non plus que je pourrais le revoir sur la terrasse de son premier appart. Mais ça ne m’a jamais empêché, bien longtemps après qu’il avait quitté les lieux, de passer devant son ancien immeuble, de lever les yeux et de le chercher du regard.
Alors, ce soir, même si je sais que ce ne sera pas lui qui décrochera, je compose ce numéro. J’ai envie de savoir s’il a été réattribué, et qui en a hérité.
Mon cœur fait des bonds entre chaque tonalité. Ça sonne dans le vide, et je commence à croire que je vais arriver sur le répondeur. Je me dis que c’est la meilleure chose qui puisse m’arriver, car ça me permettra de savoir qui est le nouveau titulaire, tout en m’évitant le malaise de justifier le but inexplicable de mon appel.
Mais ça décroche juste avant. A l’autre bout, la voix d’une nana.
— Allô, oui ?
Je suis tétanisé, je ne sais pas quoi lui raconter.
— Allô, c’est qui à l’appareil ? elle s’impatiente, confrontée à un silence qui pourrait paraître suspect.
— Allô ? je lance, par dépit.
— Oui, je vous écoute.
— Je… je… je bégaie.
— Vous êtes qui, Monsieur ?
— Je suis Nicolas…
— Nicolas qui ?
— Je cherche à joindre… Jérémie… je lance, comme un appel à l’aide.
— Vous avez dû composer le mauvais numéro. Il n’y a pas de Jérémie ici. Ce numéro est le mien…
— Ce numéro est celui de Jérém ! j’affirme contre vents et marées, le cœur serré, les larmes aux yeux.
— Il a peut-être été celui de votre Jérémie… mais maintenant c’est le mien, et depuis de nombreuses années !
Je ne sais plus quoi ajouter à cette conversation complètement surréaliste. Evidemment cette nana ne connaît pas le Jérémie que je cherche, ni l’histoire qui nous a liés pendant plus de cinq ans. Je ne peux rien faire d’autre que pousser un profond soupir de désespoir.
— Vous êtes sûr que ça va ?
— Ça va aller, excusez-moi pour le dérangement.
— De rien, je vous souhaite d’arriver à joindre ce monsieur.
— Si seulement c’était possible…
Toulouse, un peu plus tard ce même soir.
Ce soir, je n’ai pas eu le cœur de rester tout seul à Martres. En fait, Toulouse semble m’appeler. Alors, je pars dîner chez Papa et Maman, et j’ai même prévu d’y rester dormir.
Après le dîner, le vent d’Autan s’est levé. Il s’est mis à taper contre la fenêtre de ma chambre d’enfant, insistant, inlassable, violent. Comme s’il m’appelait, comme s’il voulait me dire quelque chose. Je l’ai écouté, je suis sorti. Je suis parti me balader.
Mes pas m’ont conduit dans ceux des souvenirs des derniers jours avant le bac. Et, en particulier, en ce mercredi 2 mai 2001 où j’avais traversé les allées pour aller à la rencontre de Jérém, le garçon qui avait ravi mon cœur depuis le premier jour du lycée.
Ce jour-là, le vent d’Autan soufflait très fort dans les rues de la ville Rose. J’ai le net souvenir de ce vent qui soufflait dans mon dos, accompagnant mes pas, encourageant ma démarche, comme pour faire taire mon hésitation. C’était le printemps, c’était la première année du nouveau millénaire. Mais c’était surtout et avant tout l’année de mes 18 ans.
Ce jour-là, le vent d’Autan me poussait à aller au bout de mon trajet, il me poussait à marcher tout droit vers la première révision de maths avec Jérém, vers la première révision de ma vie sentimentale, et de ma vie d’adulte.
J’avais passé le Grand Rond, j’avais filé sur le Boulevard Carnot, je m’étais engagé dans la rue de la Colombette, comme sur un nuage. C’était le début de cette histoire, de mon histoire.
Ce soir, comme en ce jour lointain, je traverse le pont sur la Garonne, je remonte les allées. Mais au lieu de continuer vers Jean Jaurès, je coupe vers la Halle aux Grains. Je continue jusqu’au Canal, et je le longe.
Je passe devant le « Grand Cirque » une boîte gay qui n’existait pas du temps où je fréquentais le quartier. Je continue et je passe devant cet autre haut-lieu de la vie gay toulousaine qui s’appelait jadis le « On Off », et qui s’appelle désormais le « Limelight ».
Je continue, jusqu’à croiser LA plaque. Je me laisse happer par l’appel du toponyme qui résume à lui seul à tout le bonheur de mes 18 ans, ainsi que l’immense nostalgie pour ce temps irrémédiablement révolu. En tournant dans cette rue, je ressens un immense frisson. Je viens de me souvenir que tout au bout se trouvait un autre local qui s’appelait la « Ciguë » et qui, Stéphane me l’a appris à ma pendaison de crémaillère, a également fermé ses portes il y a quelques temps.
Le frisson devient de plus en plus intense au fur et à mesure que je m’approche de la porte par laquelle j’avais tant de fois accédé au bonheur de mes premières révisions avec Jérém. Et lorsque je l’aperçois, je sens mon cœur imploser.
Elle était verte, elle est désormais bleu nuit. La façade aussi a changé. Elle était presque blanche, la voilà repeinte d’un jaune moutarde. Le tableau des boutons de sonnettes sur lequel j’avais tant de fois cherché « Tommasi » a été remplacé par un clavier numérique. Et la terrasse sur laquelle Jérém était tant de fois sorti fumer après m’avoir baisé, a tout simplement disparu, intégrée dans une extension de celui qui avait été l’appart de toutes mes premières fois.
Le constat est sans appel. Les éléments du décor urbain de mon histoire avec Jérém sont en train de disparaître les uns après les autres. Au fond de moi, je suis conscient que ce mouvement naturel des choses ne va pas s’arrêter, qu’il va continuer jusqu’à effacer chacun des repères de mon bonheur passé, comme le ressac anéantit les traces de pas sur le sable.
J’ai le cœur en miettes, l’estomac noué, j’en ai mal au ventre. Je ressens un vertige, et mes yeux s’embuent de larmes.
Que ne donnerais-je pour avoir dix-huit ans à nouveau, pour retrouver le Toulouse de ma toute première jeunesse, et revivre les frissons de mon premier amour !
J’ai souvent repensé à la phrase que m’avait dite Elodie, au Noël d’il y a dix ans : « seul le temps apaisera la blessure ». J’y ai repensé à chaque fois que la nostalgie me saisissait, que la tristesse m’emportait, que la mélancolie déchirait mon cœur.
Ma cousine avait raison, le temps est le meilleur pansement des blessures de l’esprit. Il est aussi la meilleure et la seule réponse aux questions qui n’ont et qui n’auront pas d’autre réponse.
Oui, le Temps a apaisé ma blessure. Il l’a guérie, même. Et pourtant, la cicatrice reste. Et parfois, au gré des changements de météo sentimentale et affective de ma vie, elle durcit, se contracte, redevient douloureuse.
Elle est toujours là, et je sais qu’elle ne partira pas. Je la contemple régulièrement, comme le témoin de la fin du bonheur de mes vingt ans, un bonheur dont je n’ai trouvé l’égal depuis, et dont j’ai du mal à imaginer retrouver l’égal un jour.
Toulouse, le mercredi 23 août 2017.
Ça y est, le « grand jour » est enfin là. Aujourd’hui, ça fait pile dix ans que Jérém est parti. Dix ans, déjà. Je n’ai presque pas vu passer ces dix ans. Quand j’y pense, ça me donne le vertige.
Il n’y a pas un jour pendant ces dix ans où je n’ai pas regretté l’amant, l’amoureux, le P’tit Loup qui donnait de si belles couleurs à ma vie. J’ai regretté la solidité de ses bras qui m’enserraient à la fois solidement et doucement, la douce puissance de son torse contre les mien, la chaleur de son corps, le parfum de sa peau, ses jambes contre les miennes sous la couette. Bref, j’ai regretté tous ces petits riens qui font le bonheur du Partage avec l’être aimé.
Au fil du temps, j’ai fini par en vouloir surtout au destin de m’avoir offert le bonheur de ces cinq années avec Jérém, un bonheur avec ses hauts et ses bas, certes, mais un bonheur insensé, vertigineux, et de me l’avoir retiré si brutalement. Pendant longtemps, sa présence dans ma vie m’a manqué comme un membre qu’on m’aurait arraché.
Au fond de moi, j’ai toujours pensé que nous nous retrouverions, que le destin nous réunirait un jour. C’est une promesse que j’avais cru lire dans ses yeux émus lors de cette belle soirée d'été d’il y a dix ans, la dernière que nous avions passée ensemble à Toulouse, après son premier retour d’Australie. C’est une promesse, ou une illusion, qui avait amorti le choc au moment de nous quitter, après avoir fait l’amour une dernière fois. Une promesse que je serre contre moi depuis tout ce temps.
Alors, depuis dix ans, et aujourd’hui encore, à chaque fois que le vent d’Autan se lève, je me surprends à être dans l’attente d’un miracle. Mon cœur sursaute, ma peau est parcourue par des frissons, et dans mes tripes tout se remet à remuer violemment. Car tout me ramène à lui.
Tout était beau, tout était parfait ce dernier soir à Toulouse d’il y a dix ans. Et je n’ai qu’un seul, immense regret. Celui de ne pas avoir su trouver les mots qui auraient pu l’apaiser, ce petit rien qui aurait pu le retenir.
En fait, si, j’en ai un deuxième. Celui de pas m’être battu davantage pour le suivre au bout du monde. Car, au fond de moi, je savais qu’il choisirait de partir.
Jérém est toujours dans mon cœur, et il l’est dans la lumière de mes plus belles années, les plus heureuses de ma vie. Et j’ai l’impression qu’il le sera toujours. Et que je ne pourrai plus jamais aimer aussi entièrement, aussi « corps et âme », aussi follement que je l’ai aimé.
C’est certainement pour cette raison que depuis dix ans j’ai été incapable de faire confiance, d’accepter l’amour qu’on m’offrait. Depuis dix ans, j’ai regardé ma vie défiler devant moi, comme un passager d’un train qui ne descendrait à aucune station.
And I'm still waiting/Et j'attends toujours
(…)
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre
Non, je n’ai jamais pu t’oublier, mon Jérém. Et, au fond de moi, je t’attends toujours. Bien que depuis tant de temps déjà, nos vies ne marchent plus ensemble.
Martres Tolosane, le vendredi 15 septembre 2017.
Aujourd’hui, j’ai 35 ans. Et je réalise que j’ai plus du double de l’âge que j’avais au moment où j’avais connu Jérém en ce premier jour du lycée. Au milieu de ma trentaine, j’ai l’impression que la quarantaine m’attend au tournant. Je n’ai pas peur de vieillir. J’ai surtout peur de rater les occasions, les belles choses que la vie a à m’offrir. Je suis encore jeune, certes, mais je sais que le temps passe, et qu’il passe vite. Je sais que Demain n’est que spéculation, car pour mille raisons il pourrait ne pas être.
Je ne veux plus gaspiller mon temps avec les regrets. Je ne veux plus vivre dans le passé.
Ça fait longtemps qu’espérer un retour de Jérém n’a plus de sens. Ça fait longtemps que j’aurais dû me faire une raison de notre séparation, faire mon deuil, passer à autre chose, tourner la page, construire une nouvelle relation, être à nouveaux heureux.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Et pourtant, je n’ai jamais réussi. Je me suis demandé comment cela était possible. J’ai fini par penser que mon attachement à Jérém et à cette époque de ma vie était pathologique, qu’il y avait un truc qui clochait en moi. J’ai pensé que j’avais besoin de voir un psy. Mais j’ai toujours tergiversé, procrastiné, et je n’ai jamais réussi à franchir le pas. Je ne saurais jamais si cela aurait pu m’aider.
Mais avec le temps, j’ai fini par me dire que si je n’arrive pas à me faire une raison de ma séparation d’avec Jérém et à avancer, c’est peut-être que trop de questions demeurent sans réponse.
Exemple. J’ai souvent repensé à ce soir d’août 2007 à Toulouse. Et je me suis toujours demandé ce qui se passait réellement dans sa tête à ce moment-là, quand on était au resto, pendant la balade sur la Garonne, lorsqu’il m’avait parlé de son intention de renoncer au rugby pour ne pas être harcelé et pour donner une chance à notre couple. Je me le suis demandé, car je n’ai jamais pu m’expliquer comment il avait pu affirmer ces choses à cet instant-là, et partir en Angleterre quelques jours plus tard à peine, et sans explications. Est-ce que ce soir-là il était venu chercher une sorte de « bénédiction » de ma part ? Est-ce qu’il était venu pour m’obliger donc à choisir à sa place ?
Par ailleurs, la liste des questions sans réponse est longue.
Comment s’est faite la rencontre avec Rodney, et quand ?
A-t-il été autant amoureux de lui que de moi ?
Pourquoi Rodney est parti ? Comment s’est terminée leur histoire ?
Pourquoi en 2013, lors de sa venue en France, et alors qu’il était déjà séparé d’avec Rodney, il n’avait pas eu l’idée de passer me voir, de renouer le contact ?
Est-ce qu’il avait seulement envie de me revoir ?
Peut-être qu’il n’a pas osé. Et, dans ce cas, pourquoi ? Craignait-il que je le rejette ?
Et s’il était venu me retrouver, est-ce que nous nous serions retrouvés « comme avant », comme « Ourson et P’tit Loup », ou bien nous n’aurions été que des « ex » ?
Ça, je n’aurais pas pu le supporter.
Alors, au final, est-ce que ça aurait été une bonne chose de le revoir ?
Peut-être qu’il a eu raison de ne pas revenir vers moi, de laisser le passé au passé.
Est-ce qu’il lui arrive de penser à moi et de prendre de mes nouvelles ?
Que sait-il de moi, depuis dix ans ? A qui a-t-il demandé ? Qu’est-ce qu’il a reçu comme réponse ?
La fin de mon histoire avec Jérém est à mes yeux un tableau inachevé. Un puzzle auquel il manque des pièces, des pièces qui pourraient m’aider à comprendre. Et comprendre est le premier pas pour se faire une raison et avancer.
Lundi 16 octobre 2017.
Aujourd’hui, Jérém a 36 ans.
Après m’être longtemps protégé des nouvelles à son sujet, je ressens à présent le besoin d’en demander pour tenter de combler les espaces vides des derniers instants de notre histoire et des dix années qui ont suivi.
Pendant la semaine de son anniversaire, j’appelle Thibault, Maxime, Ulysse. Je les questionne au sujet de mon beau brun. J’ai vraiment besoin de savoir. J’obtiens quelques infos, mais rien de particulièrement intéressant. Au final, je n’ai que des réponses partielles, insatisfaisantes.
J’apprends que Jérém ne leur a jamais vraiment parlé de ce qui s’était passé entre lui et moi, pas plus que de ce qui s’était passé entre Rodney et lui, comment avait commencé leur histoire, comment elle s’était terminée. Il ne leur avait jamais dit non plus pourquoi il avait choisi de ne pas reprendre contact avec moi lors de son voyage en France, alors qu’il était déjà séparé de Rodney.
Aussi, plus inquiétant, j’ai appris que Jérém a été extrêmement discret sur sa vie depuis quelques années, ce qui fait que personne ne sait pas vraiment ce qu’il trafique à l’autre bout de la Planète, quel est son état d’esprit réel, notamment depuis le départ de Rodney.
Maxime m’a confié que Jérém n’a jamais envisagé de voyage en France depuis des années, et qu’il ne semble vraiment pas chaud à l’idée, plusieurs fois émise de sa part, d’aller lui rendre visite. Maxime m’avoue être de plus en plus inquiet, car il ignore presque tout de la vie actuelle de son grand frère, tandis que leurs contacts récents s’apparentent plus à des simples notifications d’existence en vie qu’à de véritables échanges.
Bref, à la fin de mon « enquête », je n’ai pas appris grand-chose. A part que l’attitude récente de Jérém semble être assez inquiétante. Non seulement, il me manque toujours de nombreuses pièces pour compléter mon puzzle, mais je réalise que le puzzle est bien plus vaste que je ne l’imaginais. Et que les questions sont plus nombreuses que je l’avais imaginé.
Toutes sortes d’interrogations traversent mon esprit, toutes sans réponse.
Mais je ne désespère pas. Car il me reste une source à interroger. Et pas des moindres.
Au moment où j’essaie de prendre contact avec elle, Charlène est injoignable sur son portable. Après être tombé plusieurs fois directement sur son répondeur, je commence à m’inquiéter. Je finis par appeler au centre équestre. Je suis rassuré d’apprendre qu’elle est injoignable car elle est en déplacement à l’étranger chez l’un de ses enfants et qu’elle souhaite préserver la tranquillité de son séjour en coupant son téléphone. On me promet de lui faire part de mon coup de fil à la première occasion.
Quelques jours plus tard, je reçois un SMS de sa part m’annonçant qu’elle sera de retour pour les fêtes de fin d’année. Et qu’elle sera ravie de me retrouver à ce moment-là.
Toulouse, fin octobre 2017.
Il est de ces films, comme « Brokeback Moutain », « Week-end » ou « Free Fall », qui transpercent l’âme, qui vrillent les tripes, qui vous bouleversent, qui vous hantent pendant longtemps, et ce dimanche après-midi il y en a un qui s’est ajouté à cette liste.
Je suis allé voir « Call me by your name » et, depuis, cette histoire me hante. Le film est un véritable bijou, et les deux acteurs sont absolument sublimes et parfaits. Armie Hamer est d'une beauté fulgurante et aveuglante, et Timothée Chalamet est magnifiquement touchant. Le « couple » qu'ils forment est d'une telle évidence !
Tout dans le film est d'une pureté et d'une intensité rares, rien n’est superflu, beaucoup se niche dans tous ces « petits riens », des gestes, des regards, des petits mots. Comme lorsqu’Armie murmure de sa voix sexy la fameuse phrase qui donne son titre au film : « call me by your name and I’ll call you by mine », ou bien lorsqu’Elio dit : « I don’t want you to leave ».
La scène de leur « première fois » est magique, celle de la conversation avec le père après le départ d’Arnie est bouleversante. Quant à la scène finale (jusqu'au générique, qu'il faut regarder en entier) est poignante. J’ai fini en larmes. Et je ne peux pas m'empêcher de pleurer à nouveau en écoutant en boucle le CD de la musique du film, baignant dans cette atmosphère envoûtante, insouciante et sensuelle, une BO à la fois belle et d'une mélancolie déchirante.
La musique glisse comme de l’eau ou des larmes qu’on ne peut pas arrêter, il y a à la fois de la joie, de la tristesse, de la nostalgie.
C’est l’histoire d’un premier amour, le plus pur, le plus absolu, celui qui n’a pas peur de s’exprimer, et qui fait terriblement mal aussi.
Toulouse, le samedi 04 novembre 2017.
Hier soir, je suis retourné à Toulouse pour passer une partie du week-end avec mes parents. Et ce matin, après le petit-déjeuner, j’ai envie de faire un tour en ville.
Je me promène du côté des Carmes sans but précis, si ce n’est celui de prendre l’air, lorsque soudain, dans cette matinée grise et froide, dans mon horizon bouché par une intense mélancolie, un rayon de soleil apparaît. Il est intense, il est lumineux, il est aveuglant.
Une fraction de seconde, une image incomplète de toi captée du coin de l’œil, et je suis complètement subjugué. Car tu viens de m’arracher de ma morosité, tu viens de remettre des couleurs dans mon horizon terne.
Tu es rentré dans mon champ de vision, ton existence vient de m’être révélée. Et dès la toute première seconde, mon regard s’est trouvé comme verrouillé sur ta personne. Et plus rien n’existe autour de toi, et en dehors de toi.
Alors, je pile net. Tellement net que je manque de peu de me faire renverser par la nana qui me suit sur le trottoir, les yeux rivés sur son portable, ce qui lui la rend tout autant fautive que moi.
Ce matin, je n’avais pas prévu de faire une pause-café. Et pourtant, me voilà avec une soudaine envie de cappuccino.
Alors, sans te quitter des yeux, j’avance vers toi par le chemin le plus court. Je ne peux pas ne pas venir vers toi, j’ai besoin de voir ta belle petite gueule de plus près. J’ai besoin de capter tous les détails de ta beauté. J’ai besoin de comprendre si tu es réel ou bien si je n’ai fait que rêver de cette sublime beauté.
Je m’approche de l’entrée du café et, pendant un instant, je te contemple à travers la baie vitrée. Et là, en te regardant d’un peu plus près, le constat se confirme. Tu es vraiment, vraiment splendide.
Tu as des cheveux châtains très clairs, avec des reflets dorés comme le blé au mois de juin, et tu les as façonnés avec une petite crête impertinente à la Cristiano Ronaldo des premières années. Tu as des yeux gris sublimes qui semblent capturer, refléter et décupler toute la beauté du monde. Tu portes un t-shirt blanc bien ajusté à ton torse élancé, avec un col en V qui laisse dépasser quelques poils bien virils, ainsi que des portions d’une chaînette de mec aux mailles épaisses.
En rentrant dans le café, je suis saisi par une folle envie de faire un truc dingue. J’ai envie de venir te voir direct, j’ai envie de te parler en toute simplicité et en toute honnêteté, j’ai envie de te parler de l’Evidence. J’ai envie de te dire, tout simplement : « Tu vas me prendre pour un taré, mais il faut vraiment que je te dise que tu es incroyablement beau ».
Evidemment, je n’ose pas le faire. Tout ce que j’arrive à faire, c’est m’installer à une table vide, dans un coin du café, en attendant que tu viennes me voir pour prendre ma commande.
Je te regarde sortir de derrière ton comptoir, un plateau à la main, je te regarde traverser la salle et partir servir une table éloignée de la mienne.
Mon regard te suit à la trace, et finit par croiser le tien. J’ai l’impression de me liquéfier.
Ça ne fait pas plus d’une minute que j’ai découvert ton existence, et je suis déjà complètement sous ton charme.
Lorsque je te vois enfin approcher de moi, j’en ai instantanément le souffle coupé. Je ne te donne pas plus que 22, 24 ans au plus. J’en ai déjà 35. Et, pourtant, tu m’impressionnes. J’ai du mal à soutenir ton regard que je viens de croiser pour la deuxième fois et qui me donne toujours autant de frissons.
Avec un sourire à faire tomber des remparts de citadelle fortifiée, avec un entrain charmant, tu me lances :
— Bonjour !
— Bonjour, je te salue à mon tour.
— Qu’est-ce que je vous sers ?
J’aime ta voix un peu nasale, une voix jeune, avec un accent du sud assez marqué. Une voix qui m’apporte d’autres frissons encore.
J’aimerais qu’on me « serve » le serveur ! je manque de peu de te répondre.
— Je voudrais un cappuccino, s’il vous plaît, je finis par te répondre.
— Chantilly ou mousse de lait ? tu m’interroges.
— Un cappuccino à la Chantilly, ce n’est pas un cappuccino, je pontifie.
— C’est bien vrai, ça, tu me réponds du tac-au-tac, en me faisant une nouvelle fois le sublime cadeau de ton sourire magnifique.
Seule ombre au tableau, ce vouvoiement qui est une forme de politesse réciproque, mais qui instaure d’entrée une double distance entre nous. Celle qu’il y a entre le professionnel et le client. Mais aussi celle qui subsiste entre tes vingt ans et mes trente-cinq ans…
Cette année commence pour moi dans une ambiance de morosité persistante. Car c’est une année particulière. Elle marque les dix ans du départ de Jérém. Dix ans qu’il est sorti de ma vie, dix ans depuis la dernière fois où je l’ai vu.
Dix ans passés à essayer de me préserver, à éviter de prendre de ses nouvelles, et à subir de plein fouet celles qui venaient malgré moi par les amis communs, ou par la presse. Dix ans passés à essayer de l’oublier.
Dix ans, c’est en général l’un de ces anniversaires qui se « fêtent », qui nous font prendre conscience de la distance parcourue depuis l’événement « célébré », et nous font constater que l’on n’a pas vu passer les années.
Depuis le début de l’année, c’est comme si tout mon esprit était projeté vers cette date, ce 23 août qui clôturera la décennie écoulée depuis notre dernière soirée à Toulouse, depuis la dernière fois où « Ourson » et « P’tit Loup » ont existé.
Et dans cet élan, dans cette fébrilité, des tas de questions se pressent dans ma tête. Ce sont les mêmes qui me hantent depuis des années. Mais elles sont de plus en plus étouffantes, de plus en plus déchirantes.
Je me demande comment il a surmonté le choc de la publication des photos avec Rodney, si ça l’a poussé à assumer son orientation sexuelle.
Je me demande s’il a fait le deuil de sa vie d’avant, après son éloignement brutal du monde du rugby professionnel.
Je me demande ce qu’il fait de ses journées, s’il a trouvé une nouvelle passion, un nouveau rêve, ou du moins un emploi dans lequel il s’épanouit.
Je me demande ce qu’il devient depuis sa séparation d’avec Rodney. S’il a retrouvé quelqu’un, s’il a trouvé une stabilité affective.
Je me demande s’il est serein, apaisé. Je me demande s’il est heureux.
Et je me demande aussi s’il est toujours aussi beau, aussi sexy, aussi fougueux au pieu.
Je me demande qui a la chance de profiter de sa beauté, de sa virilité, de sa queue.
Evidemment, je l’imagine toujours aussi canon, et aussi bon baiseur. Bien sûr, je suis conscient que les années ont passé pour lui aussi. Je suis conscient qu’il a dû changer lui aussi.
Alors, j’aimerais tellement savoir comment la trentaine s’exprime sur sa belle gueule, sur son corps, dans son regard, dans son style. Je ne doute pas que cela doit être à tomber.
Parfois, en croisant dans la rue un beau brun dans son genre, dans sa tranche d’âge, je me dis : « Tiens, Jérém pourrait ressembler à « ça », aujourd’hui ».
Je n’ai aucun doute sur le fait que sa petitconitude d’origine, tel un bon cru, n’a pu que bien « vieillir », se muer en une virilité encore plus affirmée, une virilité aux arômes capiteux, donnant un millésime de mâlitude à même de faire bugger le plus blasé des « sommeliers ».
Il m’arrive toujours de me branler en pensant à son corps musclé, à sa queue – dans ma bouche, entre mes fesses – à ses coups de reins, à sa façon de me baiser, à sa façon de me faire l’amour, à la puissance de ses giclées, au goût de son jus chaud.
Je ne sais pas ce que je donnerais pour refaire une dernière fois l’amour avec lui.
D’un autre côté, je me demande s’il voudrait encore de moi. Les années ont passé pour moi aussi, et j’ai changé. Mes cheveux ont commencé à tomber, lentement mais inexorablement, et désormais les dégâts commencent à être visibles. Je les coupe de plus en plus courts, et je cultive une barbe de dix jours pour tenter de faire diversion. Mais ma barbe n’est pas assez drue. Je ne suis pas satisfait du résultat. Alors, dans le milieu de ma trentaine, je cherche à nouveau à me réconcilier avec mon apparence comme le faisait l’adolescent que j’ai été il y a vingt ans. Sans succès.
Oui, cette année les souvenirs me hantent encore plus que par le passé. Au fond de moi, j’attends cette date symbolique des dix ans du départ de Jérém comme pour boucler une boucle. Tout en moi tend vers cette journée, comme s’il s’agissait d’un rendez-vous à ne pas manquer.
Je ne sais pas ce que j’attends au juste. Car je sais parfaitement qu’il n’y a rien à attendre. Je sais très bien que le 23 août finira par arriver, et par passer, sans que rien ne change dans ma vie. Jérém ne reviendra pas. Et je n’arrêterai pas de penser à lui.
Un jour de mars 2017.
Ce soir, de retour à la maison après ma journée de travail, mon « comité d’accueil » à poil noir est comme toujours au rendez-vous, trépignant d’impatience derrière le portail, débordant d’énergie et d’affection, bondissant avec son ballon de rugby dans la gueule.
Contrairement à tant d’autres soirs où, fatigué de ma journée ou bien accaparé par d’autres tâches, je ne donne pas suite à ses propositions de jeu, ce soir je me lance dans une longue session de « rugby » avec mon chien d’amour.
Entre deux lancers de ballon, je suis particulièrement touché et ému par sa fougue. Et je suis fasciné par cette joie immense qui est la sienne, une joie simple et intense provoquée par un simple jouet, par le son du « pouic pouic », par le mouvement de lancer, par la course pour aller le rattraper, par ce moment de partage avec son maître.
Je lui envie cette insouciance, cette capacité à être totalement dans le présent. Galaak est juste dans l'instant, et dans l’instinct. Quand il mange, il mange, quand il dort, il dort, quand il court, il court, quand il joue, il joue, quand il fait des câlins, il fait des câlins, et il ne fait que ça. Une chose à la fois, avec tout son corps, et tout son esprit. Quand il est heureux, il l’est à 100%.
Je l’envie quand je le vois allongé sur la pelouse, la truffe en l’air, ou bien concentré sur le vol d’un oiseau qui traverse le ciel, sur le ballet aérien d’une feuille qui tombe, comme si c'était la chose la plus importante au monde. Je l’envie quand il regarde parfois la rue et les voitures qui passent comme s’il jugeait nos vies effrénées et insensées d'humains. Je l'envie quand je le vois chercher le spot le mieux pour une petite sieste, sera-ce dans le jardin ou bien dans la maison ?
Certes, sans la conscience du Temps, l’esprit est soulagé d’un grand poids.
J’imagine qu’il n’a pas conscience d’avoir un passé. Il a peut-être des souvenirs, des bons, des mauvais. Mais même les mauvais ne semblent pas l’empêcher pas de vivre pleinement le présent.
Par ailleurs, je peux affirmer qu’il n’a pas d’agenda, d’échéance, d’obligation, de responsabilité, de contrainte, de conventions sociales à respecter.
Aussi, j’imagine qu’il ignore qu’un jour il ne sera plus là.
Sans la conscience du Temps, seul le Présent existe. Ce qui est vrai, dans tous les cas. Car, par définition, le Passé n’est plus, et l’Avenir n’est pas encore. Le Présent est donc le seul à mériter notre attention, le seul sur lequel nous avons un quelconque « pouvoir ». Je crois que nous, les humains, nous avons un peu perdu le sens des priorités.
En revenant à mon Galakou, je suis immensément touché par sa façon de donner son amour, sa tendresse, sa joie, sans compter, à n’importe quel moment, dès lors que je lui accorde un peu de mon attention. Il ne remet jamais à plus tard le moment d'être avec moi, de jouer, d'accepter les câlins que je lui donne. Il ne remet jamais à plus tard une occasion de jouer et d'être heureux.
Alors que je ne suis pas toujours prêt à répondre à ses sollicitations.
Lorsqu’il approche avec son ballon de rugby dans la gueule, c’est sa façon de me dire qu’il a envie de jouer.
Attends, Galaak, je suis claqué, ou occupé à regarder une série…
Lorsqu’il finit par se coucher sur le ventre, le ballon coincé sous une patte, c’est qu’il s’impatiente.
Je suis en train de faire du ménage, je termine et j’arrive…
Lorsqu’il vient se frotter contre ma cuisse, lorsqu’il passe son museau humide entre mon aisselle et le bureau, soulevant mon coude, en faisant couiner son ballon, c’est le dernier appel de phares.
Encore une minute, Galaak, je termine juste un truc…
Et puis les minutes passent, Galaak s’en va dans son panier, laissant le ballon au milieu de la pièce, comme le témoin d’une occasion ratée de partager du bonheur, comme une marque de sa déception et de sa frustration.
Je m’en veux de ne pas lui consacrer plus de temps, de ne pas toujours répondre à ses invitations. Je me dis que le temps passe vite et que je regretterai les instants que je ne lui ai pas consacrés.
Alors que, je le sais, c’est si bon de laisser tomber ce qui m’accapare, et dont l’urgence est très souvent discutable et relative, pour me payer une bonne « pause Galaak ».
Il suffit de saisir le ballon, là et maintenant, et de le lancer.
Martres Tolosane, avril 2017.
Lorsque je regarde en arrière, je me dis que j’ai quand même eu de la chance. Pendant cinq ans, j’ai vécu un amour extraordinaire, magique, un véritable feu d’artifice. J’ai pu profiter de sa beauté, de sa jeunesse, de sa virilité, de sa fougue. Et de son amour, par-dessus tout. Quelle chance inouïe et inespérée, après trois années de lycée passées à le croire totalement inaccessible !
J’ai été chanceux, terriblement chanceux, j’ai vécu un bonheur immense, un bonheur dont nombre de garçons comme moi n’osent même pas rêver. C’était comme un rêve éveillé.
Mais parfois on se réveille en plein rêve et tout a disparu. C’est ce qui m’est arrivé.
En perdant Jérém, j’ai perdu mon bonheur. Et j’ai beaucoup, beaucoup souffert.
Avec la souffrance, il y a eu la colère. Dès lors, j’en ai voulu à la Terre entière.
J’en ai terriblement voulu à ces cons qui nous ont agressés le soir de ses 25 ans. Je les ai haïs de toutes mes forces, et pas seulement pour nous avoir battus sans raison, mais aussi pour avoir exposé Jérém au jugement et à la honte, pour l’avoir replongé dans ses anciens fantômes. Et de nous avoir retiré de ce fait notre bonheur. Et, ceci, pour la seule raison que leur bêtise était irrécupérable.
J’en ai voulu à notre société, à la mentalité dominante qui méprise la différence, qui juge sans savoir et qui traite les victimes comme des coupables.
Mais j’en ai également voulu à Jérém.
Je lui en ai voulu de ne pas avoir eu le courage de se battre, de montrer qu’être gay ça n’a rien de honteux, que ce n’est pas une tare, que ça ne change rien au fait d’être un bon joueur. Et qu’en tant que gay on mérite le respect comme tout un chacun.
Je m’en suis ensuite voulu de lui en avoir voulu pour ça. Je sais très bien que s’il avait essayé de se battre frontalement contre tout un système, une société, une mentalité hostiles, ça l’aurait détruit.
Ensuite, je lui en ai voulu d’avoir oublié le bonheur et les promesses d’Ourson et P’tit Loup. D’être parti, d’avoir choisi le rugby, au lieu de me choisir, moi. Certes, c’est moi qui lui avais donné ce choix. Si je l’avais fait, c’était pour son bonheur. Papa avait raison, il aurait été très malheureux de tirer un trait sur le rugby. Mais le choix qu’il avait fait m’avait rendu malheureux.
Et je lui en ai voulu de ne pas avoir eu les couilles de me dire qu’il était tombé amoureux d’un autre garçon, de m’avoir obligé à partir à Londres, à me rendre à son appart, à rencontrer le garçon qui avait pris la place qui avait été la mienne dans son cœur.
L’imaginer amoureux d’un autre, coucher avec un autre, partager la vie d’un autre, être heureux avec un autre, c’était au-dessus de mes forces. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée, je n’arrivais pas à l’accepter. Ce que je n’arrivais pas à accepter, c’était de l’avoir perdu.
Parfois, j’ai envie de me dire que notre histoire s’est arrêtée le soir de ses 25 ans, juste après la petite fête qu’avait concoctée Ulysse chez lui pour célébrer l’événement, juste après avoir fait l’amour dans le couloir qui menait aux parkings de l’immeuble.
Ma mémoire a besoin d’occulter ce qui s’est passé après, l’agression, notre éloignement. Et aussi, les mois, les années d’errance sentimentale après notre séparation, la douleur de l’absence, la difficile reconstruction de mon cœur salement abîmé.
Martres Tolosane, fin avril 2017.
Le mois d’avril va bientôt se terminer, le printemps s’installe. Tout autour de moi éclot, verdoie, sourit à la vie. Mon Galaak est plus fou fou que jamais, le retour des beaux jours lui donne encore plus envie de jouer.
C’est à l’approche de l’anniversaire de notre première révision avant le bac qu’une image traverse ma rétine et me replonge dans des souvenirs vieux de seize ans.
C’est en revenant des courses que je la croise. Et soudain mon cœur s’emballe, ma respiration s’arrête. Le temps s’arrête. Et je ne peux plus la quitter des yeux. Mon regard doit ressembler à celui d’un fou, car le mec au volant me dévisage à son tour. Je suis tellement ailleurs que je suis obligé donner un coup de volant pour ne pas me manger les bordures.
La 205 rouge est là, arrêtée à l’entrée du rond-point, alors que je circule à l’intérieur. Elle est conduite par un jeune garçon à casquette. Un garçon qui n’est pas Jérém, mais qui aurait très bien pu l’être. Un petit con comme il l’a été, un jeune loup terriblement sexy.
Et soudain je me revois dans sa 205 rouge, je me revois lors des retours de boîte de nuit, direction l’appart de la rue de la Colombette, direction son pieu, sa queue, sa virilité. Je me souviens tout particulièrement de cette nuit où il était venu à mon secours dans ces chiottes de boîte de nuit où ce gars éméché voulait me tabasser parce que je l’avais un peu trop maté. Je me souviens de son t-shirt blanc taché de sang. Je me souviens de sa façon de conduire d’une main et de fumer de l’autre, je me souviens de son parfum, de l’odeur de la cigarette, du désir qui ravageait mes tripes.
Je suis tellement ailleurs que je rate ma sortie, et je suis obligé de refaire un tour du rond-point.
Mais la 205 a déjà décollé, et elle s’est engagée dans une direction qui n’est pas celle que je dois emprunter. Je la regarde s’éloigner, puis disparaître au gré de la circulation, le cœur comme serré dans un étau.
Une 205 rouge pour « madeleine de Proust », une image capable, en un instant, de faire revivre tout un monde, celui de ma première jeunesse, celui de mon plus grand bonheur, celui d’un Paradis Perdu.
Le Fousseret, le mardi 2 mai 2017, 17 h 03.
Aujourd’hui, c’est la première date-anniversaire de l’année, celle de notre première révision dans l’appart de la rue de la Colombette. Dès le matin, je ne suis pas bien. Je passe une journée vraiment pas terrible. En sortant du boulot, je constate que le vent d’Autan est là, puissant, insistant, impitoyablement chargé de souvenirs.
Ce soir, je repense à certains de ses messages. Je les ai tous perdus il y a quelques années, mais je ne les ai pas oubliés pour autant. Certains sont gravés dans ma mémoire à la virgule près. Non, je n’ai jamais oublié ses SMS bourrés de fautes d’orthographe, à la fois si directs, si peu emphatiques, et pourtant si touchants.
Tout comme je n’ai jamais oublié son numéro de portable. Ça fait dix ans que je ne l’ai pas composé. Et je sais pertinemment qu’il a résilié la ligne dès son départ en Angleterre.
Mais ce soir, je suis irrépressiblement saisi par l’envie de faire un truc fou, désespéré. Ce soir, j’ai envie de composer son ancien numéro.
Je sais bien que je n’ai rien à espérer de cette petite folie. Jérém ne sera pas à l’autre bout des ondes. Mais je ne suis pas à une folie près. Je n’ai jamais cru non plus que je pourrais le revoir sur la terrasse de son premier appart. Mais ça ne m’a jamais empêché, bien longtemps après qu’il avait quitté les lieux, de passer devant son ancien immeuble, de lever les yeux et de le chercher du regard.
Alors, ce soir, même si je sais que ce ne sera pas lui qui décrochera, je compose ce numéro. J’ai envie de savoir s’il a été réattribué, et qui en a hérité.
Mon cœur fait des bonds entre chaque tonalité. Ça sonne dans le vide, et je commence à croire que je vais arriver sur le répondeur. Je me dis que c’est la meilleure chose qui puisse m’arriver, car ça me permettra de savoir qui est le nouveau titulaire, tout en m’évitant le malaise de justifier le but inexplicable de mon appel.
Mais ça décroche juste avant. A l’autre bout, la voix d’une nana.
— Allô, oui ?
Je suis tétanisé, je ne sais pas quoi lui raconter.
— Allô, c’est qui à l’appareil ? elle s’impatiente, confrontée à un silence qui pourrait paraître suspect.
— Allô ? je lance, par dépit.
— Oui, je vous écoute.
— Je… je… je bégaie.
— Vous êtes qui, Monsieur ?
— Je suis Nicolas…
— Nicolas qui ?
— Je cherche à joindre… Jérémie… je lance, comme un appel à l’aide.
— Vous avez dû composer le mauvais numéro. Il n’y a pas de Jérémie ici. Ce numéro est le mien…
— Ce numéro est celui de Jérém ! j’affirme contre vents et marées, le cœur serré, les larmes aux yeux.
— Il a peut-être été celui de votre Jérémie… mais maintenant c’est le mien, et depuis de nombreuses années !
Je ne sais plus quoi ajouter à cette conversation complètement surréaliste. Evidemment cette nana ne connaît pas le Jérémie que je cherche, ni l’histoire qui nous a liés pendant plus de cinq ans. Je ne peux rien faire d’autre que pousser un profond soupir de désespoir.
— Vous êtes sûr que ça va ?
— Ça va aller, excusez-moi pour le dérangement.
— De rien, je vous souhaite d’arriver à joindre ce monsieur.
— Si seulement c’était possible…
Toulouse, un peu plus tard ce même soir.
Ce soir, je n’ai pas eu le cœur de rester tout seul à Martres. En fait, Toulouse semble m’appeler. Alors, je pars dîner chez Papa et Maman, et j’ai même prévu d’y rester dormir.
Après le dîner, le vent d’Autan s’est levé. Il s’est mis à taper contre la fenêtre de ma chambre d’enfant, insistant, inlassable, violent. Comme s’il m’appelait, comme s’il voulait me dire quelque chose. Je l’ai écouté, je suis sorti. Je suis parti me balader.
Mes pas m’ont conduit dans ceux des souvenirs des derniers jours avant le bac. Et, en particulier, en ce mercredi 2 mai 2001 où j’avais traversé les allées pour aller à la rencontre de Jérém, le garçon qui avait ravi mon cœur depuis le premier jour du lycée.
Ce jour-là, le vent d’Autan soufflait très fort dans les rues de la ville Rose. J’ai le net souvenir de ce vent qui soufflait dans mon dos, accompagnant mes pas, encourageant ma démarche, comme pour faire taire mon hésitation. C’était le printemps, c’était la première année du nouveau millénaire. Mais c’était surtout et avant tout l’année de mes 18 ans.
Ce jour-là, le vent d’Autan me poussait à aller au bout de mon trajet, il me poussait à marcher tout droit vers la première révision de maths avec Jérém, vers la première révision de ma vie sentimentale, et de ma vie d’adulte.
J’avais passé le Grand Rond, j’avais filé sur le Boulevard Carnot, je m’étais engagé dans la rue de la Colombette, comme sur un nuage. C’était le début de cette histoire, de mon histoire.
Ce soir, comme en ce jour lointain, je traverse le pont sur la Garonne, je remonte les allées. Mais au lieu de continuer vers Jean Jaurès, je coupe vers la Halle aux Grains. Je continue jusqu’au Canal, et je le longe.
Je passe devant le « Grand Cirque » une boîte gay qui n’existait pas du temps où je fréquentais le quartier. Je continue et je passe devant cet autre haut-lieu de la vie gay toulousaine qui s’appelait jadis le « On Off », et qui s’appelle désormais le « Limelight ».
Je continue, jusqu’à croiser LA plaque. Je me laisse happer par l’appel du toponyme qui résume à lui seul à tout le bonheur de mes 18 ans, ainsi que l’immense nostalgie pour ce temps irrémédiablement révolu. En tournant dans cette rue, je ressens un immense frisson. Je viens de me souvenir que tout au bout se trouvait un autre local qui s’appelait la « Ciguë » et qui, Stéphane me l’a appris à ma pendaison de crémaillère, a également fermé ses portes il y a quelques temps.
Le frisson devient de plus en plus intense au fur et à mesure que je m’approche de la porte par laquelle j’avais tant de fois accédé au bonheur de mes premières révisions avec Jérém. Et lorsque je l’aperçois, je sens mon cœur imploser.
Elle était verte, elle est désormais bleu nuit. La façade aussi a changé. Elle était presque blanche, la voilà repeinte d’un jaune moutarde. Le tableau des boutons de sonnettes sur lequel j’avais tant de fois cherché « Tommasi » a été remplacé par un clavier numérique. Et la terrasse sur laquelle Jérém était tant de fois sorti fumer après m’avoir baisé, a tout simplement disparu, intégrée dans une extension de celui qui avait été l’appart de toutes mes premières fois.
Le constat est sans appel. Les éléments du décor urbain de mon histoire avec Jérém sont en train de disparaître les uns après les autres. Au fond de moi, je suis conscient que ce mouvement naturel des choses ne va pas s’arrêter, qu’il va continuer jusqu’à effacer chacun des repères de mon bonheur passé, comme le ressac anéantit les traces de pas sur le sable.
J’ai le cœur en miettes, l’estomac noué, j’en ai mal au ventre. Je ressens un vertige, et mes yeux s’embuent de larmes.
Que ne donnerais-je pour avoir dix-huit ans à nouveau, pour retrouver le Toulouse de ma toute première jeunesse, et revivre les frissons de mon premier amour !
J’ai souvent repensé à la phrase que m’avait dite Elodie, au Noël d’il y a dix ans : « seul le temps apaisera la blessure ». J’y ai repensé à chaque fois que la nostalgie me saisissait, que la tristesse m’emportait, que la mélancolie déchirait mon cœur.
Ma cousine avait raison, le temps est le meilleur pansement des blessures de l’esprit. Il est aussi la meilleure et la seule réponse aux questions qui n’ont et qui n’auront pas d’autre réponse.
Oui, le Temps a apaisé ma blessure. Il l’a guérie, même. Et pourtant, la cicatrice reste. Et parfois, au gré des changements de météo sentimentale et affective de ma vie, elle durcit, se contracte, redevient douloureuse.
Elle est toujours là, et je sais qu’elle ne partira pas. Je la contemple régulièrement, comme le témoin de la fin du bonheur de mes vingt ans, un bonheur dont je n’ai trouvé l’égal depuis, et dont j’ai du mal à imaginer retrouver l’égal un jour.
Toulouse, le mercredi 23 août 2017.
Ça y est, le « grand jour » est enfin là. Aujourd’hui, ça fait pile dix ans que Jérém est parti. Dix ans, déjà. Je n’ai presque pas vu passer ces dix ans. Quand j’y pense, ça me donne le vertige.
Il n’y a pas un jour pendant ces dix ans où je n’ai pas regretté l’amant, l’amoureux, le P’tit Loup qui donnait de si belles couleurs à ma vie. J’ai regretté la solidité de ses bras qui m’enserraient à la fois solidement et doucement, la douce puissance de son torse contre les mien, la chaleur de son corps, le parfum de sa peau, ses jambes contre les miennes sous la couette. Bref, j’ai regretté tous ces petits riens qui font le bonheur du Partage avec l’être aimé.
Au fil du temps, j’ai fini par en vouloir surtout au destin de m’avoir offert le bonheur de ces cinq années avec Jérém, un bonheur avec ses hauts et ses bas, certes, mais un bonheur insensé, vertigineux, et de me l’avoir retiré si brutalement. Pendant longtemps, sa présence dans ma vie m’a manqué comme un membre qu’on m’aurait arraché.
Au fond de moi, j’ai toujours pensé que nous nous retrouverions, que le destin nous réunirait un jour. C’est une promesse que j’avais cru lire dans ses yeux émus lors de cette belle soirée d'été d’il y a dix ans, la dernière que nous avions passée ensemble à Toulouse, après son premier retour d’Australie. C’est une promesse, ou une illusion, qui avait amorti le choc au moment de nous quitter, après avoir fait l’amour une dernière fois. Une promesse que je serre contre moi depuis tout ce temps.
Alors, depuis dix ans, et aujourd’hui encore, à chaque fois que le vent d’Autan se lève, je me surprends à être dans l’attente d’un miracle. Mon cœur sursaute, ma peau est parcourue par des frissons, et dans mes tripes tout se remet à remuer violemment. Car tout me ramène à lui.
Tout était beau, tout était parfait ce dernier soir à Toulouse d’il y a dix ans. Et je n’ai qu’un seul, immense regret. Celui de ne pas avoir su trouver les mots qui auraient pu l’apaiser, ce petit rien qui aurait pu le retenir.
En fait, si, j’en ai un deuxième. Celui de pas m’être battu davantage pour le suivre au bout du monde. Car, au fond de moi, je savais qu’il choisirait de partir.
Jérém est toujours dans mon cœur, et il l’est dans la lumière de mes plus belles années, les plus heureuses de ma vie. Et j’ai l’impression qu’il le sera toujours. Et que je ne pourrai plus jamais aimer aussi entièrement, aussi « corps et âme », aussi follement que je l’ai aimé.
C’est certainement pour cette raison que depuis dix ans j’ai été incapable de faire confiance, d’accepter l’amour qu’on m’offrait. Depuis dix ans, j’ai regardé ma vie défiler devant moi, comme un passager d’un train qui ne descendrait à aucune station.
And I'm still waiting/Et j'attends toujours
(…)
Ooh, I'm a fool/Oh, je suis un imbécile
To keep waiting/Pour continuer à attendre
Non, je n’ai jamais pu t’oublier, mon Jérém. Et, au fond de moi, je t’attends toujours. Bien que depuis tant de temps déjà, nos vies ne marchent plus ensemble.
Martres Tolosane, le vendredi 15 septembre 2017.
Aujourd’hui, j’ai 35 ans. Et je réalise que j’ai plus du double de l’âge que j’avais au moment où j’avais connu Jérém en ce premier jour du lycée. Au milieu de ma trentaine, j’ai l’impression que la quarantaine m’attend au tournant. Je n’ai pas peur de vieillir. J’ai surtout peur de rater les occasions, les belles choses que la vie a à m’offrir. Je suis encore jeune, certes, mais je sais que le temps passe, et qu’il passe vite. Je sais que Demain n’est que spéculation, car pour mille raisons il pourrait ne pas être.
Je ne veux plus gaspiller mon temps avec les regrets. Je ne veux plus vivre dans le passé.
Ça fait longtemps qu’espérer un retour de Jérém n’a plus de sens. Ça fait longtemps que j’aurais dû me faire une raison de notre séparation, faire mon deuil, passer à autre chose, tourner la page, construire une nouvelle relation, être à nouveaux heureux.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Et pourtant, je n’ai jamais réussi. Je me suis demandé comment cela était possible. J’ai fini par penser que mon attachement à Jérém et à cette époque de ma vie était pathologique, qu’il y avait un truc qui clochait en moi. J’ai pensé que j’avais besoin de voir un psy. Mais j’ai toujours tergiversé, procrastiné, et je n’ai jamais réussi à franchir le pas. Je ne saurais jamais si cela aurait pu m’aider.
Mais avec le temps, j’ai fini par me dire que si je n’arrive pas à me faire une raison de ma séparation d’avec Jérém et à avancer, c’est peut-être que trop de questions demeurent sans réponse.
Exemple. J’ai souvent repensé à ce soir d’août 2007 à Toulouse. Et je me suis toujours demandé ce qui se passait réellement dans sa tête à ce moment-là, quand on était au resto, pendant la balade sur la Garonne, lorsqu’il m’avait parlé de son intention de renoncer au rugby pour ne pas être harcelé et pour donner une chance à notre couple. Je me le suis demandé, car je n’ai jamais pu m’expliquer comment il avait pu affirmer ces choses à cet instant-là, et partir en Angleterre quelques jours plus tard à peine, et sans explications. Est-ce que ce soir-là il était venu chercher une sorte de « bénédiction » de ma part ? Est-ce qu’il était venu pour m’obliger donc à choisir à sa place ?
Par ailleurs, la liste des questions sans réponse est longue.
Comment s’est faite la rencontre avec Rodney, et quand ?
A-t-il été autant amoureux de lui que de moi ?
Pourquoi Rodney est parti ? Comment s’est terminée leur histoire ?
Pourquoi en 2013, lors de sa venue en France, et alors qu’il était déjà séparé d’avec Rodney, il n’avait pas eu l’idée de passer me voir, de renouer le contact ?
Est-ce qu’il avait seulement envie de me revoir ?
Peut-être qu’il n’a pas osé. Et, dans ce cas, pourquoi ? Craignait-il que je le rejette ?
Et s’il était venu me retrouver, est-ce que nous nous serions retrouvés « comme avant », comme « Ourson et P’tit Loup », ou bien nous n’aurions été que des « ex » ?
Ça, je n’aurais pas pu le supporter.
Alors, au final, est-ce que ça aurait été une bonne chose de le revoir ?
Peut-être qu’il a eu raison de ne pas revenir vers moi, de laisser le passé au passé.
Est-ce qu’il lui arrive de penser à moi et de prendre de mes nouvelles ?
Que sait-il de moi, depuis dix ans ? A qui a-t-il demandé ? Qu’est-ce qu’il a reçu comme réponse ?
La fin de mon histoire avec Jérém est à mes yeux un tableau inachevé. Un puzzle auquel il manque des pièces, des pièces qui pourraient m’aider à comprendre. Et comprendre est le premier pas pour se faire une raison et avancer.
Lundi 16 octobre 2017.
Aujourd’hui, Jérém a 36 ans.
Après m’être longtemps protégé des nouvelles à son sujet, je ressens à présent le besoin d’en demander pour tenter de combler les espaces vides des derniers instants de notre histoire et des dix années qui ont suivi.
Pendant la semaine de son anniversaire, j’appelle Thibault, Maxime, Ulysse. Je les questionne au sujet de mon beau brun. J’ai vraiment besoin de savoir. J’obtiens quelques infos, mais rien de particulièrement intéressant. Au final, je n’ai que des réponses partielles, insatisfaisantes.
J’apprends que Jérém ne leur a jamais vraiment parlé de ce qui s’était passé entre lui et moi, pas plus que de ce qui s’était passé entre Rodney et lui, comment avait commencé leur histoire, comment elle s’était terminée. Il ne leur avait jamais dit non plus pourquoi il avait choisi de ne pas reprendre contact avec moi lors de son voyage en France, alors qu’il était déjà séparé de Rodney.
Aussi, plus inquiétant, j’ai appris que Jérém a été extrêmement discret sur sa vie depuis quelques années, ce qui fait que personne ne sait pas vraiment ce qu’il trafique à l’autre bout de la Planète, quel est son état d’esprit réel, notamment depuis le départ de Rodney.
Maxime m’a confié que Jérém n’a jamais envisagé de voyage en France depuis des années, et qu’il ne semble vraiment pas chaud à l’idée, plusieurs fois émise de sa part, d’aller lui rendre visite. Maxime m’avoue être de plus en plus inquiet, car il ignore presque tout de la vie actuelle de son grand frère, tandis que leurs contacts récents s’apparentent plus à des simples notifications d’existence en vie qu’à de véritables échanges.
Bref, à la fin de mon « enquête », je n’ai pas appris grand-chose. A part que l’attitude récente de Jérém semble être assez inquiétante. Non seulement, il me manque toujours de nombreuses pièces pour compléter mon puzzle, mais je réalise que le puzzle est bien plus vaste que je ne l’imaginais. Et que les questions sont plus nombreuses que je l’avais imaginé.
Toutes sortes d’interrogations traversent mon esprit, toutes sans réponse.
Mais je ne désespère pas. Car il me reste une source à interroger. Et pas des moindres.
Au moment où j’essaie de prendre contact avec elle, Charlène est injoignable sur son portable. Après être tombé plusieurs fois directement sur son répondeur, je commence à m’inquiéter. Je finis par appeler au centre équestre. Je suis rassuré d’apprendre qu’elle est injoignable car elle est en déplacement à l’étranger chez l’un de ses enfants et qu’elle souhaite préserver la tranquillité de son séjour en coupant son téléphone. On me promet de lui faire part de mon coup de fil à la première occasion.
Quelques jours plus tard, je reçois un SMS de sa part m’annonçant qu’elle sera de retour pour les fêtes de fin d’année. Et qu’elle sera ravie de me retrouver à ce moment-là.
Toulouse, fin octobre 2017.
Il est de ces films, comme « Brokeback Moutain », « Week-end » ou « Free Fall », qui transpercent l’âme, qui vrillent les tripes, qui vous bouleversent, qui vous hantent pendant longtemps, et ce dimanche après-midi il y en a un qui s’est ajouté à cette liste.
Je suis allé voir « Call me by your name » et, depuis, cette histoire me hante. Le film est un véritable bijou, et les deux acteurs sont absolument sublimes et parfaits. Armie Hamer est d'une beauté fulgurante et aveuglante, et Timothée Chalamet est magnifiquement touchant. Le « couple » qu'ils forment est d'une telle évidence !
Tout dans le film est d'une pureté et d'une intensité rares, rien n’est superflu, beaucoup se niche dans tous ces « petits riens », des gestes, des regards, des petits mots. Comme lorsqu’Armie murmure de sa voix sexy la fameuse phrase qui donne son titre au film : « call me by your name and I’ll call you by mine », ou bien lorsqu’Elio dit : « I don’t want you to leave ».
La scène de leur « première fois » est magique, celle de la conversation avec le père après le départ d’Arnie est bouleversante. Quant à la scène finale (jusqu'au générique, qu'il faut regarder en entier) est poignante. J’ai fini en larmes. Et je ne peux pas m'empêcher de pleurer à nouveau en écoutant en boucle le CD de la musique du film, baignant dans cette atmosphère envoûtante, insouciante et sensuelle, une BO à la fois belle et d'une mélancolie déchirante.
La musique glisse comme de l’eau ou des larmes qu’on ne peut pas arrêter, il y a à la fois de la joie, de la tristesse, de la nostalgie.
C’est l’histoire d’un premier amour, le plus pur, le plus absolu, celui qui n’a pas peur de s’exprimer, et qui fait terriblement mal aussi.
Toulouse, le samedi 04 novembre 2017.
Hier soir, je suis retourné à Toulouse pour passer une partie du week-end avec mes parents. Et ce matin, après le petit-déjeuner, j’ai envie de faire un tour en ville.
Je me promène du côté des Carmes sans but précis, si ce n’est celui de prendre l’air, lorsque soudain, dans cette matinée grise et froide, dans mon horizon bouché par une intense mélancolie, un rayon de soleil apparaît. Il est intense, il est lumineux, il est aveuglant.
Une fraction de seconde, une image incomplète de toi captée du coin de l’œil, et je suis complètement subjugué. Car tu viens de m’arracher de ma morosité, tu viens de remettre des couleurs dans mon horizon terne.
Tu es rentré dans mon champ de vision, ton existence vient de m’être révélée. Et dès la toute première seconde, mon regard s’est trouvé comme verrouillé sur ta personne. Et plus rien n’existe autour de toi, et en dehors de toi.
Alors, je pile net. Tellement net que je manque de peu de me faire renverser par la nana qui me suit sur le trottoir, les yeux rivés sur son portable, ce qui lui la rend tout autant fautive que moi.
Ce matin, je n’avais pas prévu de faire une pause-café. Et pourtant, me voilà avec une soudaine envie de cappuccino.
Alors, sans te quitter des yeux, j’avance vers toi par le chemin le plus court. Je ne peux pas ne pas venir vers toi, j’ai besoin de voir ta belle petite gueule de plus près. J’ai besoin de capter tous les détails de ta beauté. J’ai besoin de comprendre si tu es réel ou bien si je n’ai fait que rêver de cette sublime beauté.
Je m’approche de l’entrée du café et, pendant un instant, je te contemple à travers la baie vitrée. Et là, en te regardant d’un peu plus près, le constat se confirme. Tu es vraiment, vraiment splendide.
Tu as des cheveux châtains très clairs, avec des reflets dorés comme le blé au mois de juin, et tu les as façonnés avec une petite crête impertinente à la Cristiano Ronaldo des premières années. Tu as des yeux gris sublimes qui semblent capturer, refléter et décupler toute la beauté du monde. Tu portes un t-shirt blanc bien ajusté à ton torse élancé, avec un col en V qui laisse dépasser quelques poils bien virils, ainsi que des portions d’une chaînette de mec aux mailles épaisses.
En rentrant dans le café, je suis saisi par une folle envie de faire un truc dingue. J’ai envie de venir te voir direct, j’ai envie de te parler en toute simplicité et en toute honnêteté, j’ai envie de te parler de l’Evidence. J’ai envie de te dire, tout simplement : « Tu vas me prendre pour un taré, mais il faut vraiment que je te dise que tu es incroyablement beau ».
Evidemment, je n’ose pas le faire. Tout ce que j’arrive à faire, c’est m’installer à une table vide, dans un coin du café, en attendant que tu viennes me voir pour prendre ma commande.
Je te regarde sortir de derrière ton comptoir, un plateau à la main, je te regarde traverser la salle et partir servir une table éloignée de la mienne.
Mon regard te suit à la trace, et finit par croiser le tien. J’ai l’impression de me liquéfier.
Ça ne fait pas plus d’une minute que j’ai découvert ton existence, et je suis déjà complètement sous ton charme.
Lorsque je te vois enfin approcher de moi, j’en ai instantanément le souffle coupé. Je ne te donne pas plus que 22, 24 ans au plus. J’en ai déjà 35. Et, pourtant, tu m’impressionnes. J’ai du mal à soutenir ton regard que je viens de croiser pour la deuxième fois et qui me donne toujours autant de frissons.
Avec un sourire à faire tomber des remparts de citadelle fortifiée, avec un entrain charmant, tu me lances :
— Bonjour !
— Bonjour, je te salue à mon tour.
— Qu’est-ce que je vous sers ?
J’aime ta voix un peu nasale, une voix jeune, avec un accent du sud assez marqué. Une voix qui m’apporte d’autres frissons encore.
J’aimerais qu’on me « serve » le serveur ! je manque de peu de te répondre.
— Je voudrais un cappuccino, s’il vous plaît, je finis par te répondre.
— Chantilly ou mousse de lait ? tu m’interroges.
— Un cappuccino à la Chantilly, ce n’est pas un cappuccino, je pontifie.
— C’est bien vrai, ça, tu me réponds du tac-au-tac, en me faisant une nouvelle fois le sublime cadeau de ton sourire magnifique.
Seule ombre au tableau, ce vouvoiement qui est une forme de politesse réciproque, mais qui instaure d’entrée une double distance entre nous. Celle qu’il y a entre le professionnel et le client. Mais aussi celle qui subsiste entre tes vingt ans et mes trente-cinq ans…
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