Jérém&Nico 0410 Dernier chapitre (ou presque).
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 15-07-2024 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Jérém&Nico 0410 Dernier chapitre (ou presque).
Martres Tolosane, le vendredi 22 décembre 2017.
Deux jours qu’Anthony est parti. Et il me manque à chaque instant de la journée. Sa présence remplissait mes journées de si belles couleurs. C’était délicieux de pouvoir penser à chaque instant au temps, quelques heures au plus, qui me séparaient de nos retrouvailles. Ça me faisait un bien fou. Et maintenant, tout cela n’est plus. Les appels vidéo quotidiens me font du bien, mais ne replacent pas la présence du garçon aimé. Je tente de me réconforter en m’imaginant aller le rejoindre à New York au printemps.
Toulouse, le dimanche 24 décembre 2017, au soir.
La nostalgie. Elle s’est présentée à moi, comme le premier éclair d’un orage qui approche, une première fois la veille de Noël.
Le réveillon se passe en famille. Parmi les invités, mes oncles, les parents de mon cousin Cédric. Et comme à chaque Noël, les grands classiques reviennent. Je ne parle pas de « Maman j’ai raté l’avion », ou du cycle « Sissi », ou des dessins animés d’Astérix. Je parle du « live » de ma tante au sujet de son fils. Les années passent, et elle est toujours aussi intarissable sur le sujet, et elle l’est tout autant des deux mioches que celui-ci leur a pondu coup sur coup il y a quelques années. En faisant défiler une infinie farandole d’images sur son téléphone qu’elle veut à tout prix nous faire partager, elle nous explique avoir saturé la mémoire à force de les prendre en photo, tellement ils sont mignons ! Car ils ont bien pris du côté du père, son fils Cédric, quelle chance !
Heureusement, Elodie et sa petite famille sont aussi de la partie. Heureusement, sinon je crois que je craquerais. Avec l’aide de Lucie, elle a discrètement attrapé une guirlande lumineuse à piles qui décorait le sapin, et l’a enroulée autour de Galaak, lui aussi de la partie, à l’écart des regards. Avant de lâcher le « tout » dans la salle à manger, provoquant ainsi l’hilarité générale et interrompant enfin le récit hagiographique de ma tante au sujet de son fils.
Mais rien n’y fait, car elle revient vite à la charge. Malgré les années passées, malgré le fait que les ados que nous avons été sont devenus des hommes chacun avec leur vécu, elle ne renonce pas à la sempiternelle comparaison entre nos vies.
— Vous vous entendiez bien quand vous étiez ados ! elle me lance.
— Oh, oui, on s’entendait bien ! (J’avais envie de le sucer ! je manque de peu d’ajouter).
— Et vous n’avez pas du tout suivi le même parcours par la suite…
— Chacun suit le parcours qui se présente à lui…
— Ça ne te manque pas d’avoir une femme et des gosses ?
Là, trop c’est trop. Il faut que ça cesse.
— Ecoute, Tata, je ne veux pas gâcher la soirée, mais il faut que je te dise un truc, une fois pour toutes.
— Quoi donc ?
— Voilà, tata, les nanas et les gosses, c’est pas pour moi. Moi, ce que j’aime, ce sont les mecs. Je suis gay, ok ? Et c’est pas la peine non plus de me comparer sans cesse à Cédric. J’aime beaucoup mon cousin et, si tu veux tout savoir, plus jeune je le trouvais vraiment mignon. Mais il a sa vie, qu’il a certainement mieux réussi que moi la mienne, surtout si ça te fait plaisir de le penser. Mais moi j’ai une vie aussi, et j’en suis content. J’ai mon travail, j’ai mes occupations, et j’aime le garçon avec qui je suis en ce moment.
— Ça, c’est fait, lance Papa sur un ton enjoué. Et maintenant on peut passer au dessert ?
Papa ne cessera jamais de me surprendre.
— Décidemment, on ne s’ennuie jamais aux réveillons chez Tonton, fait Elodie, ma cousine, morte de rire, alors que je l’ai vue, un instant plus tôt, lever discrètement vers moi un petit pouce de soutien.
Après cette petite mise au point, la soirée se poursuit sans accrocs. Tata ne revient pas sur le sujet « Cédric », elle se fait beaucoup plus discrète, elle évite mon regard. Quant à Galaak, sa présence – son regard mendiant quelques bribes de notre repas, son museau stratégiquement posé sur la cuisse des uns et des autres – est suffisante pour mettre de l’animation.
Ce soir, Anthony m’appelle peu après minuit pour me souhaiter « Joyeux Noël ». Il n’est que 18 heures chez lui, mais il a voulu marquer le coup. Il se prépare à fêter ça avec la famille de son grand frère. Ça me fait du bien de l’entendre et de le voir, mais son image dans l’écran de mon téléphone me donne la mesure d’à quel point il me manque, d’à quel point la distance est là, et le partage absent, ce partage qui est la fondation des sentiments et des liens entre les Êtres. Ce partage et cette présence qui sont le seul remède contre la solitude.
La solitude qui, elle, est un préalable à la nostalgie.
Toulouse, le lundi 25 décembre, 2 h 41.
La nostalgie. Je l’ai entendue gronder de plus en plus fort, de plus en plus inexorable, à l’approche des douze coups de minuit. Mais entre une coupe de vin blanc et une conversation avec ma cousine, j’ai réussi à ne pas me laisser happer. Elle était bien là, comme une ombre menaçante, mais je pouvais lui tourner le dos et essayer de l’ignorer.
Mais cette nuit, dans mon lit, sans défense, elle revient et elle s’abat sur moi avec la violence brutale d’un orage d’été qui a longuement grondé au loin.
Je suis happé par la nostalgie de CE Noël, celui d’il y a tant d’années déjà, le plus beau Noël de ma vie. Un Noël comme un conte de féé, un Noël dont le scénario vaut, à mes yeux, mieux que ceux de tous les téléfilms qui envahissent les chaînes de télé à cette période de l’année. J’ai la nostalgie de ce Noël où Jérém est venu me chercher chez mes parents, où il m’a amené à l’hôtel, où il m’a fait l’amour pendant toute la nuit. J’ai la nostalgie de ce réveil du lendemain sous la neige, de notre escapade improvisée et un peu folle vers Campan.
Oui, cette nuit, la tristesse et la nostalgie m’empêchent de trouver le sommeil. Mais un autre sentiment vient se greffer et aggraver mon insomnie. Ce sentiment, c’est la culpabilité.
Au fond de moi, je m’en veux de ressentir cette nostalgie pour un garçon que je n’ai pas vu depuis dix ans, pour une histoire déjà lointaine. Et, surtout, je m’en veux de ressentir cette nostalgie alors que l’adorable garçon au blouson bleu fait désormais partie de ma vie.
Pendant les deux semaines heureuses que j’ai passées avec Anthony, ce passé était toujours présent mais de plus en plus loin, comme la lumière d’une étoile, ou celle de la Lune elle-même, complètement effacée par l’éclat intense du jour. Mais maintenant que le « jour » a changé de continent, la « nuit » qu’il a laissée dans ma vie me rappelle les fantômes jamais partis.
Je m’en veux, car ce petit mec ne mérite pas ça. Je crois qu’il est sincèrement amoureux de moi, et je crois que je le suis aussi. Je crois que nous avons tout pour être heureux, et que ce garçon mérite bien que je l’attende pendant un an.
Mais je ne peux rien y faire. La solitude est là, la nostalgie vient, et je n’arrive plus à la faire partir.
Je voudrais le pouvoir. Je voudrais ne pas culpabiliser d’être à nouveaux heureux, je voudrais ne pas avoir peur que le bonheur présent me fasse oublier le bonheur passé.
Je voudrais pouvoir penser à Jérém, à notre histoire, et à notre séparation, de façon apaisée. Mais à chaque fois que j’y pense, tout remonte en moi, la joie de cette période de ma vie, son sourire, le plaisir, la tendresse, le bonheur, notre complicité. Je n’arrive toujours pas à penser à Jérém sans me dire que notre séparation a été un effroyable gâchis. Le fait est que trop de questions sans réponse subsistent autour de notre séparation, et qu’elles me hantent toujours.
Je voudrais avoir Anthony avec moi, ou l’avoir en visio H24, pour que sa présence tienne mes démons à distance.
Martres Tolosane, le jeudi 28 décembre 2017.
La nostalgie. Elle me poursuit tout le long de la période de Noël. D’autant plus que j’attends un coup de fil de la part de Charlène. Un coup de fil qui pourrait déboucher sur des retrouvailles à l’occasion desquelles je suis susceptible d’apprendre des choses elles-mêmes susceptibles d’entraîner encore plus de nostalgie.
A partir du jour de Noël, accablé par une mélancolie persistante, je commence à redouter ce coup de fil. Une partie de moi n’a pas vraiment envie de savoir des choses sur Jérém, ne veut pas remuer le passé, ne veut pas avoir encore mal. Une partie de moi espère que Charlène ne tienne pas parole, qu’elle m’oublie. Cette partie de moi a envie d’éviter ces retrouvailles, d’inventer un empêchement, une grippe très opportuniste, de donner forfait, le cas échéant.
Mais une autre partie a besoin de savoir, de remplir les lignes vides, et de mettre le mon « FIN » à cette histoire, préalable pour qu’une nouvelle soit bâtie sur des fondations solides.
Mais Charlène n’oublie pas, et Charlène tient parole. Son coup de fil arrive au beau milieu de la semaine entre Noël et le jour de l’An.
— Désolé ne pas t’avoir appelé plus tôt, mais j’étais en déplacement, elle s’excuse.
— C’est pas grave…
— Ecoute, pourquoi tu ne viendrais pas pour le réveillon du 31 ?
— A moins que tu aies déjà prévu quelque chose de ton côté… elle tempère, devant mon silence, qui en réalité est surtout stupeur, car je ne m’attendais pas à ce genre d’invitation.
Il y a également dans mon hésitation la peur de faire quelque chose qui ne serait pas vraiment correct vis-à-vis d’Anthony. Mais est-ce que revoir les amis communs de son ex qui habite désormais à l’autre bout de la Terre et que je n’ai pas vu depuis dix ans peut être considéré comme un manque de respect ? Est-ce qu’aller chercher des réponses aux questions qui n’en ont pas eues est un manque de respect ?
Et puis, je m’étais dit jusque-là que je ne voulais pas y aller, que je ne voulais pas savoir.
Il est clair que si Anthony était là, je ne pourrais pas envisager cela. En même temps, cela était prévu avant qu’Anthony rentre dans ma vie. En même temps, j’ai vraiment besoin de savoir.
— Non, je n’ai rien prévu… je finis par lâcher, sans vraiment savoir comment je vais présenter ça à Anthony.
— Bah, alors, viens. Et si tu as quelqu’un, tu peux l’amener.
— J’ai quelqu’un… je lui glisse, mais il ne sera pas avec moi pour le réveillon.
Campan, le dimanche 31 décembre 2017.
J’ai fini par raconter à Anthony qu’à l’occasion du réveillon du 31 j’allais retrouver des amis dans les Pyrénées chez qui j’allais faire du cheval plus jeune. C’est un demi-mensonge, certes.
Les retrouvailles avec les cavaliers sont toujours aussi joyeuses. Et plus affectueuses encore que d’habitude, puisque depuis la dernière fois où je les ai vus, plus de dix ans se sont écoulées.
Et dix ans, ce n’est pas rien. A priori, tous les cavaliers que j’ai connus sont encore de ce monde. Mais les années passent, c’est flagrant. Les silhouettes se sont alourdies pour certains. Les visages ont changé. Les cheveux ont grisonné, voire blanchi, pour à peu près tout le monde, sauf pour celles qui font des couleurs. Même le local du relais a pris un sacré coup de vieux. D’ailleurs, des travaux de rafraîchissement sont prévus au printemps. Dommage qu’on ne puisse rénover aussi facilement les gens que les bâtisses.
Pendant ces dix ans, certains ont dû renoncer à partager des balades avec leur monture « historique », celle que je leur avais connue lors de ma première venue. D’autres ont dû se résoudre à contre cœur à mettre à la retraite un compagnon de cent randonnées, pour reprendre une monture plus jeune, et entamer ce long processus de création de ce lien privilégié que lie le cavalier et son cheval.
Certains cavaliers regrettent de plus pouvoir monter, à cause d’un corps qui ne suit plus les élans de l’âme qui, eux, demeurent intacts. D’autres ont vu leurs compagnons à quatre fers dépérir et partir. D’ailleurs, ça a été le cas pour Bille, le premier poney de Jérém. Quant à Tzigane, Charlène m’annonce qu’elle ne passerait peut-être pas l’hiver. Pour Unico et Tequila, le temps de la retraite a sonné depuis quelques années déjà.
Ça fait déjà quinze ans déjà. Quinze ans que j’ai randonné avec Jérém dans les bois de Campan.
Par ailleurs, certaines amitiés se sont relâchées, certains anciens membres ont quitté l’asso. Certains des couples que j’avais croisés se sont séparés, d’autres ont déménagé aux quatre coins de l’Occitanie. Certains ont eu des pépins de santé graves, certains sont en train d’essayer de les régler en ce moment même, ce qui explique leur absence à ce réveillon.
De nouveaux sont arrivés, et ils ont l’air de s’être bien intégrés au noyau historique. Noyau historique dont les seuls « survivants » sont Charlène, Carine et Jean-Paul, Daniel et Lola.
Oui, depuis dix ans l’asso de cavaliers a fait peau neuve. Elle a perdu certains de ses piliers historiques, mais elle a accueilli de jeunes pousses qui seront les piliers de demain. L’asso de 2017 ne ressemble plus du tout à celle de 2001, ni même à celle d’il y a dix ans, mais l’esprit de partage, de bonne humeur, de bonne franquette, de complicité, d’amitié demeure. La bienveillance survit à ceux qui la dispensent.
La bonne humeur de Jean-Paul et la guitare joyeuse de Daniel rendent ce moment fort en émotion.
Campan, le lundi 1er janvier 2018, 2h23.
A deux heures après minuit, après avoir aidé à ranger le relais, je me retrouve chez Charlène, devant le feu de cheminée. Dehors, il neige, et le crépitement du feu dégage un je-ne-sais-quoi de particulièrement réconfortant. Une tasse de chocolat chaud entre les mains, j’écoute Charlène me raconter le parcours des différents membres de l’asso depuis dix ans. C’est un instant d’une douceur exquise.
Je l’écoute parler longuement, jusqu’à épuiser le sujet, jusqu’à que les silences dans son récit commencent à m’apparaître comme autant des perches tendues afin que je puisse enfin poser la ou les questions qui me brûlent les lèvres. Oui, elles me brûlent les lèvres, mais elles ne sortent pas.
Je crois que Charlène sait que je suis venu pour savoir, et je crois qu’elle sait aussi que j’ai peur de savoir.
C’est donc elle qui bâtit carrément le pont pour me faire traverser l’immense rivière de mes craintes.
— Alors, tu as quelqu’un ? elle me questionne à un moment.
— Oui, depuis deux semaines.
— Comment il s’appelle ?
— Il s’appelle Anthony.
— Et ça se passe bien ?
— Ça a l’air. Ce garçon est vraiment adorable. Et si tu voyais comment il est mignon !
— Pourquoi il n’est pas avec toi ?
— Il est dessinateur et il est parti à New York pendant un an pour se perfectionner.
— Il a fait un bon choix. Là-bas, il va pouvoir faire ses preuves.
— Oui, je pense…
— Il te manque ?
— Beaucoup.
Le silence se fait autour des gorgées de chocolat que nous savourons lentement. Et c’est là que je trouve le courage de me lancer.
— Et Jérém ?
J’ai l’impression de m’être lancé dans le vide sans parachute. Je vais me fracasser au sol, je ne vais pas survivre à l’impact. Pourquoi j’ai fait ça ?
— Jérém est toujours en Australie…
— J’imagine. Mais qu’est-ce qu’il devient ?
— Tu es vraiment prêt pour ça, Nico ?
— Il faut bien que je le sois un jour.
— On peut ne jamais l’être…
— Je n’en peux plus de me protéger, je pense que si je veux aller de l’avant, j’ai besoin de savoir.
— Je l’ai eu au téléphone cet été, elle m’annonce, après un petit moment d’hésitation.
— Ça faisait un moment qu’il boudait dans son coin. Mais là, je l’ai trouvé bien.
La chute me donne des frissons, le vent me décoiffe, mais je tiens le coup pour l’instant.
— Qu’est-ce qu’il fait, là-bas ?
— Il travaille dans une boîte qui vend des équipements de surf, si j’ai bien compris…
— Et il fait du surf ?
— Je crois…
Je sens que je tombe de plus en plus vite, j’ai l’impression que je ne peux plus respirer. Mais je serre les dents, de toute façon, je n’ai plus le choix, je ne peux plus revenir en arrière. Alors, je regarde tout droit en direction du sol qui approche à vitesse grand V, je tente de prendre une grande respiration, et je demande :
— Et… il a quelqu’un… dans sa vie ?
— Oui, elle assène avec une simplicité désarmante.
Je vois le sol approcher, et je réalise que je ne vais pas survivre à l’impact.
— Il s’appelle Ewan, elle ajoute.
J’ai l’impression que mes poumons sont en train de brûler à cause de la vitesse de la chute et que je ne peux plus respirer.
— Depuis longtemps ?
— Depuis ce printemps…
Et là, elle me raconte ce que Jérém lui a confié pas plus tard que cet été. Sa souffrance et sa longue traversée du désert après l’arrêt brutal du rugby, de la belle vie, et de ses rêves. L’humiliation qu’avait été pour lui l’agression parisienne, lorsqu’il s’était senti impuissant à assurer sa propre défense et la mienne, avant de l’exposer à au outing forcé. La nouvelle humiliation qu’avait été pour lui la publication de ces photos avec Rodney qui avaient inondé la presse il y a quelques années. Sa descente aux enfers après le départ de Rodney et son retour en Angleterre.
Et elle me parle également de ce voyage de Jérém en France, en 2013, après le départ de Rodney. Et là, au détour d’une phrase, elle me glisse :
— J’ai toujours pensé qu’il était venu surtout pour te retrouver.
Soudain, je ressens une sorte de vertige. Je réalise que ma chute s’est arrêtée, et que je flotte au-dessus du sol. Je suis bouleversé par la chute. Je crois que j’aurais préféré aller à l’impact, et ne plus rien ressentir, rien au lieu de cette douleur atroce qui me transperce comme une lame plantée en plein ventre.
— Tu crois ? je finis par lui demander, comme pour m’assurer d’avoir bien compris.
— J’en suis persuadée.
— Et pourquoi il ne l’a pas fait ???
— Parce son élan est retombé quand il a réalisé le mal qu’il t’avait fait. Tu sais, même quand il était avec Rodney, il n’a jamais cessé de prendre de tes nouvelles. Et il était triste d’apprendre que tu n’allais pas bien. Quand il est venu en 2013, il a beaucoup hésité. Et il a fini par penser que sa démarche était égoïste, car il était venu te retrouver parce que Rodney était parti…
— Il aurait dû venir me voir !
— En fait, je pense qu’il a surtout réalisé qu’il n’allait pas bien, et qu’il ne voulait pas que tu aies encore à supporter ses démons. Il a voulu t’épargner son mal-être. Il s’est dit qu’il t’avait déjà fait trop de mal, que tu en avais assez bavé. Alors il n’a pas osé venir te voir. Il ne m’en a jamais parlé explicitement, mais je pense que je le connais assez pour ne pas trop me tromper…
— Si seulement j’avais su qu’il était là ! je me désespère.
— Je lui ai dit, Nico, ce n’est pas faute de lui avoir dit et répété ! Je lui ai dit, va le voir, ça ne coute rien ! Si vous vous aimez toujours, et je suis certaine que c’est le cas, vous reprendrez là où vous vous êtes laissés. Mais il était trop mal, il était trop déçu de lui-même, et il s’est dégonflé. Il se voyait comme un looser et il ne voulait pas que tu le voies comme ça. Jérém a eu peur de ton regard. Il a eu peur que tu le rejettes. Et ça, il n’aurait pas supporté.
— Je l’aurais aimé quoi qu’il soit devenu !
— Je sais…
— Pourquoi tu ne m’as pas prévenu, Charlène ? je pleure.
— Il n’a pas voulu, on s’est même accrochés à ce sujet. Et il est reparti le lendemain.
De cette rencontre avec Charlène, j’espérais obtenir des réponses, de l’apaisement, tout autant que je redoutais d’apprendre des choses capables de mettre à mal mon fragile équilibre miné par la nostalgie. Les rencontres ne se passent jamais comme nous les avons imaginées.
J’avais anticipé qu’il puisse avoir retrouvé quelqu’un, et je m’étais (presque) préparé à cette éventualité. Mais je n’avais pas anticipé cet immense gâchis de sa venue en France en 2013.
Une nouvelle blessure déchire désormais mon esprit. En écoutant le récit de Charlène, je réalise enfin à quel point nous nous sommes ratés. Complètement ratés.
Et désormais, c’est foutu. Nous sommes chacun à un bout de la planète, on ne peut plus loin l’un de l’autre, chacun de nous deux en couple avec un autre garçon. Désormais, nous ne nous retrouverons plus jamais. Si seulement j’avais su, si seulement il avait osé !
Quel gâchis, quel horrible, insupportable gâchis ! J’ai envie de pleurer ! J’ai envie de hurler !
Aurions-nous pu nous retrouver ? Ou bien ça aurait été une immense déception ? Je ne le saurai jamais !
Charlène m’a également parlé de la bagarre où Jérém avait tabassé un mec, ce qui lui avait valu quelques jours de garde à vue. Elle m’a raconté des déboires, des errances, des malheurs, de sa honte pour ce qu’il était devenu et qui lui faisait garder ses distances de tous ses amis en France.
Charlène m’a raconté tant de choses tristes que j’en ai eu mal au ventre.
Et puis, elle m’a parlé plus en détail de cette rencontre au printemps de cette année qui a été comme une renaissance pour Jérém.
[Bells Beach, Etat de Victoria, début avril 2017.
La fin de l’été approche. C’est à cette époque que sur cette plage se tient l’une des compétitions de surfs les plus renommées au monde.
Tu ne t’es jamais encore essayé au surf, mais tu es venu par curiosité.
Et il est là. Tu le regardes sortir de l’eau après une prestation assez impressionnante. Il ouvre sa combinaison, tu croises son regard et son sourire te foudroie.
Il y a trop de monde sur la plage, vous vous contentez de vous apprivoiser à distance.
Puis, le soir, autour du feu allumé sur la plage et de la grande fête organisée par le sponsor, vous vous retrouvez. Ses cheveux blonds en bataille, son visage viril et son regard doux, son corps solide, sa peau bronzée, te font vraiment craquer.
Tu vas avoir 36 ans, il vient tout juste d’en avoir 24.
Depuis tes errances et tes déboires, tu as perdu un peu de ta superbe. Mais dans ta tête, tu as l’impression d’avoir perdu beaucoup de ta superbe. Alors, qu’un si jeune et beau mec s’intéresse à toi, ça te met du baume au cœur. Son regard te fait du bien, il t’aide à retrouver confiance en toi.
Mais c’est surtout son sourire qui t’a percuté de plein fouet et qui t’a mis KO. Un sourire qui, soudain, te fait reprendre espoir en l’avenir, et te fait envisager que tu puisses être heureux à nouveau].
— Je crois qu’il a trouvé le bon garçon, conclut Charlène, et je crois qu’il est enfin à nouveau heureux. Et ça me fait plaisir de voir que ça en est de même, pour toi…
Au fond de mon cœur, un abysse sans fond vient de s’ouvrir. Et en regardant dedans, je suis pris par un intense, vertigineux tournis.
Nous nous sommes ratés.
Nous nous sommes ratés.
Nous nous sommes ratés.
Nous nous sommes ratés.
Et comment, nous nous sommes ratés !
Je n’arrête pas à penser à cela, à ce terrible, insupportable gâchis. Ça tourne en boucle, ça devient obsessionnel, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Je n’arrive pas à réaliser, je n’arrive pas à accepter que nous nous soyons ratés à ce point.
Je repense à la scène finale, l’« Epilogue » de ce film que j’ai vu avec Anthony. Sur le coup, je m’étais dit que cette scène faisait écho à la fin de mon histoire avec Jérém. Après les mots de Charlène, je réalise à quel point j’avais sous-estimé le parallèle.
https://www.youtube.com/watch?v=SY40M1lhknY&t=47s
Je revois comme dans un caléidoscope les souvenirs du temps heureux.
Son sourire le premier jour du lycée.
La première fois où je l’ai vu nu sous la douche dans les vestiaires du lycée.
La première « révision », la première fois où je l’ai sucé.
Le bonheur de le retrouver à son appart pour coucher avec lui encore et encore.
Nos retrouvailles sous la Halle de Campan.
Moi, dans ses bras, sur la butte devant la grande cascade de Gavarnie.
Le premier « Je t’aime » qu’il m’avait glissé, à minuit pile, le soir du réveillon d’il y a bien des années déjà, dans la petite maison en pierre au pied de la montagne.
Le soir où il a débarqué à Bordeaux par surprise pour fêter mon anniversaire.
Le réveillon de Noël où il était venu me chercher chez mes parents.
Nos voyages en Italie, en Islande, au Québec.
Nos retrouvailles à Biarritz.
Jérém heureux, souriant, amoureux.
Non, Mia et Sébastien ne se remettront pas ensemble, leur séparation est définitive et irrémédiable, la vie les a trop éloignés. Tout comme Jérém et moi.
J’ai longtemps cru que Jérém et moi nous retrouverions, que le destin nous réunirait un jour. C’était une promesse que j’avais cru lire dans ses yeux émus lors de cette belle soirée d'été d’il y a dix ans, la dernière que nous avions passée ensemble à Toulouse après son premier retour d’Australie. En fait, ce n’était peut-être qu’une illusion, une chimère dont j’avais besoin pour amortir le choc de mon cœur au moment de nous quitter, après avoir fait l’amour une dernière fois.
C’est une illusion que j’ai serrée contre moi pendant dix ans.
Mais je sais désormais qu’il est temps de se débarrasser de cette illusion, et de régler les derniers comptes avec le passé.
J’ai essayé d’en vouloir à Jérém pour le fait d’avoir pris sa liberté si facilement après avoir reçu ma bénédiction. Je n’ai pas réussi. Car, au fond de moi, je suis heureux d’avoir, dans une certaine mesure, contribué à lui offrir quelques belles années de rugby supplémentaires.
J’ai essayé de lui en vouloir pour m’avoir promis de ne pas m’oublier, et de l’avoir fait, si vite, dans les bras de Rodney. Je n’ai pas réussi non plus.
Car, au fond, c’est à moi-même que j’en ai voulu. Je m’en suis voulu de ne pas avoir su trouver les mots qui auraient pu l’apaiser, ce petit rien qui aurait pu le retenir.
Il m’a fallu longtemps pour comprendre que ces mots n’existaient pas, et que ce petit rien était en réalité un immense tout qui n’était pas à ma portée à cet instant.
Dimanche 31 décembre 2017, 4h18.
Cette nuit, j’ai encore des tas de questions à poser à Charlène au sujet de Jérém. Mais je n’en ai plus le courage, la force d’en entendre davantage. Cette nuit, j’en ai eu ma dose.
Après ce que je viens d’apprendre, notamment au sujet du grand raté de son voyage en France après sa séparation d’après Rodney, après avoir appris l’existence d’Ewan, je sais désormais que nos planètes nous séparaient irrémédiablement. Et tout ce que je pourrais apprendre de plus ne ferait que me montrer un peu plus l’étendue de la catastrophe, de l’immense gâchis. Alors, à quoi bon continuer à me torturer ?
J’ai été triste d’apprendre à quel point ces dernières années ont été difficiles pour lui. Je suis triste, révolté, assommé par la découverte du fait que nous aurions peut-être pu nous retrouver en 2013, mais que le destin en a décidé autrement. Je suis heureux qu’il ait trouvé un garçon qui l’ait remis sur des bons rails. Je me surprends à pleurer à chaudes larmes mon déchirement, tout en étant heureux pour son bonheur, même s’il se passe loin de moi. J’ai l’impression que dans ma tête et dans mon cœur, c’est tout et son contraire. Comme dans ces journées bizarres où il fait soleil et il pleut en même temps.
Cette nuit, j’ai compris qu’avec Jérém tout est dit, tout est joué.
https://www.youtube.com/watch?v=tUh4u-lYEhM
Cette nuit, j’ai compris qu’il n’y aurait pas de suite à Jérém&Nico.
Campan, le lundi 1er janvier 2018, 15h00.
Le lendemain du réveillon de la nouvelle année, je suis tellement bouleversé par ce que m’a appris Charlène que j’ai du mal à faire bonne figure avec Anthony.
— Tu es sûr que ça va ? s’inquiète le petit mec en détectant ma tête de chiffon mal essoré, même à plusieurs milliers de bornes de distance, même d’après une qualité d’image très médiocre.
— Ça va, ça va, j’ai juste pas dormi, je mens.
— On dirait que tu as pleuré…
— J’ai des allergies…
Martres Tolosane, janvier 2018.
Lorsque j’ai commencé à écrire sur ma relation avec Jérém, je n’avais pas de but précis. J’ai commencé par ébaucher des notes lors des moments difficiles, des notes au sujet des moments heureux, pour garder espoir. Au début, ce n’était qu’une sorte de journal intime, quelques lignes, des petits textes en vrac griffonnés dans un carnet, puis dans des fichiers dans mon ordinateur.
Après notre séparation, je m’y suis remis avec plus d’assiduité. Pour ne pas oublier, pour qu’il reste une trace de notre bonheur, pour que les mots en soient les témoins immémoriaux.
J’ai alors repris mes notes en vrac et j’ai entrepris de les organiser. Au fil de l’écriture, la passion pour les mots s’est emparée de moi et est devenue peu à peu un fleuve rugissant qui a tout emporté tout sur son passage. Elle a occupé mes soirées, mes nuits, mes week-ends, mes solitudes.
Elle m’a offert un bonheur intense. Lorsque j’écris, je suis dans une bulle où je ne vois pas le temps passer. Parfois, lorsque la fatigue me saisit, je regarde l’heure et je réalise qu’il est déjà deux heures du matin. Pas très judicieux, en sachant que je travaille le lendemain. Mais je ne peux rien y faire. L’écriture m’accapare à 100%.
Plus je tape sur mon clavier, plus ça me prend aux tripes. L’écriture a été ma thérapie, mon « power-point » grâce auquel j’ai pu regarder l’ensemble de mon histoire avec Jérém. J’en avais besoin pour tenter de comprendre. Ou, du moins, pour me faire une raison.
Avec Charlène, j’ai eu quelques réponses à mes questions. D’autres restent en suspens. Mais à quoi bon chercher toutes les réponses, remuer le passé sans cesse ? On peut se perdre dans cette recherche, en cherchant à tout comprendre, à tout décortiquer, et on court le risque de vivre une vie tout entière « dans le rétroviseur ».
Tant pis, le tableau restera à tout jamais inachevé, et je vais devoir apprendre à vivre sans ces réponses. Parfois, dans la vie, on ne sait pas toujours tout. Et c’est peut-être mieux ainsi.
Je crois que je vais désormais me laisser porter par la vie, découvrir et apprécier ce qu’elle me réserve. Je crois que je suis enfin prêt à laisser le passé au passé et à vivre le présent en essayant d’en profiter du mieux que je peux.
Et mon présent, c’est Anthony. Avec Anthony, ma vie a repris de nouvelles couleurs, de nouvelles saveurs. C’est plus facile de tourner une page du passé, de chasser la tristesse, d’apaiser la mélancolie, lorsqu’un nouveau bonheur illumine notre existence.
Le petit Anthony est un cadeau du ciel, et je me dois de le respecter, de le choyer, et de tout faire pour être à la hauteur de son amour.
Il me tarde de le revoir, mon beau petit artiste !
Martres Tolosane, le samedi 27 janvier 2018, 4h18.
Cette nuit, j’ai veillé très tard. Car j’avais un rendez-vous important avec l’Ecriture. Je savais que cela arriverait ce soir, cette nuit. La fin de mon premier « voyage » avec l’écriture.
Qui sait, peut-être qu’elle me réserve d’autres belles aventures.
Dans quelques mois, je vais retrouver Anthony à New York. Il faut donner une chance à la vie de nous apporter du bonheur.
Il faut vivre pour aimer, ce qui nous donnera des choses dont nous nous souviendrons. Et puis, nous serons là pour les raconter.
Living for love
https://www.youtube.com/watch?v=JGsvryvieAM&list=RDJGsvryvieAM&start_radio=1
Something to remember
https://www.youtube.com/watch?v=Vc8CrfYGMXw&list=PL6JmlJxKrR95AeuwFiq4G_g-Gt2o9ObD6&index=9
Live to tell
https://www.youtube.com/watch?v=YmR2tcIy4kQ
Oui, cette nuit, j’ai écrit le dernier chapitre de l’histoire de « Jérém&Nico ».
Et j’ai aussitôt « commencé » à en écrire une autre. Avant d’aller me coucher, j’ai réservé un billet d’avion pour New York.
Blagnac, dimanche 11 mars 2018, 7h55.
Devant le tableau d’affichage, je cherche mon vol. Le voilà, perdu entre des dizaines d’autres départs. Il est toujours prévu à l’heure. La porte d’embarquement vient d’être affichée, c’est la 46. Je parcours l’immense hall pour rejoindre les autres voyageurs avec lesquels je vais partager de nombreuses heures de vol.
Un frisson me saisit lorsque je réalise que, dans une heure à peine, je serai dans les airs. Un frisson encore plus grand me secoue de fond en comble en essayant d’imaginer les retrouvailles au bout de mon voyage. Des retrouvailles qui sont devenues une évidence, une urgence, une nécessité.
Deux jours qu’Anthony est parti. Et il me manque à chaque instant de la journée. Sa présence remplissait mes journées de si belles couleurs. C’était délicieux de pouvoir penser à chaque instant au temps, quelques heures au plus, qui me séparaient de nos retrouvailles. Ça me faisait un bien fou. Et maintenant, tout cela n’est plus. Les appels vidéo quotidiens me font du bien, mais ne replacent pas la présence du garçon aimé. Je tente de me réconforter en m’imaginant aller le rejoindre à New York au printemps.
Toulouse, le dimanche 24 décembre 2017, au soir.
La nostalgie. Elle s’est présentée à moi, comme le premier éclair d’un orage qui approche, une première fois la veille de Noël.
Le réveillon se passe en famille. Parmi les invités, mes oncles, les parents de mon cousin Cédric. Et comme à chaque Noël, les grands classiques reviennent. Je ne parle pas de « Maman j’ai raté l’avion », ou du cycle « Sissi », ou des dessins animés d’Astérix. Je parle du « live » de ma tante au sujet de son fils. Les années passent, et elle est toujours aussi intarissable sur le sujet, et elle l’est tout autant des deux mioches que celui-ci leur a pondu coup sur coup il y a quelques années. En faisant défiler une infinie farandole d’images sur son téléphone qu’elle veut à tout prix nous faire partager, elle nous explique avoir saturé la mémoire à force de les prendre en photo, tellement ils sont mignons ! Car ils ont bien pris du côté du père, son fils Cédric, quelle chance !
Heureusement, Elodie et sa petite famille sont aussi de la partie. Heureusement, sinon je crois que je craquerais. Avec l’aide de Lucie, elle a discrètement attrapé une guirlande lumineuse à piles qui décorait le sapin, et l’a enroulée autour de Galaak, lui aussi de la partie, à l’écart des regards. Avant de lâcher le « tout » dans la salle à manger, provoquant ainsi l’hilarité générale et interrompant enfin le récit hagiographique de ma tante au sujet de son fils.
Mais rien n’y fait, car elle revient vite à la charge. Malgré les années passées, malgré le fait que les ados que nous avons été sont devenus des hommes chacun avec leur vécu, elle ne renonce pas à la sempiternelle comparaison entre nos vies.
— Vous vous entendiez bien quand vous étiez ados ! elle me lance.
— Oh, oui, on s’entendait bien ! (J’avais envie de le sucer ! je manque de peu d’ajouter).
— Et vous n’avez pas du tout suivi le même parcours par la suite…
— Chacun suit le parcours qui se présente à lui…
— Ça ne te manque pas d’avoir une femme et des gosses ?
Là, trop c’est trop. Il faut que ça cesse.
— Ecoute, Tata, je ne veux pas gâcher la soirée, mais il faut que je te dise un truc, une fois pour toutes.
— Quoi donc ?
— Voilà, tata, les nanas et les gosses, c’est pas pour moi. Moi, ce que j’aime, ce sont les mecs. Je suis gay, ok ? Et c’est pas la peine non plus de me comparer sans cesse à Cédric. J’aime beaucoup mon cousin et, si tu veux tout savoir, plus jeune je le trouvais vraiment mignon. Mais il a sa vie, qu’il a certainement mieux réussi que moi la mienne, surtout si ça te fait plaisir de le penser. Mais moi j’ai une vie aussi, et j’en suis content. J’ai mon travail, j’ai mes occupations, et j’aime le garçon avec qui je suis en ce moment.
— Ça, c’est fait, lance Papa sur un ton enjoué. Et maintenant on peut passer au dessert ?
Papa ne cessera jamais de me surprendre.
— Décidemment, on ne s’ennuie jamais aux réveillons chez Tonton, fait Elodie, ma cousine, morte de rire, alors que je l’ai vue, un instant plus tôt, lever discrètement vers moi un petit pouce de soutien.
Après cette petite mise au point, la soirée se poursuit sans accrocs. Tata ne revient pas sur le sujet « Cédric », elle se fait beaucoup plus discrète, elle évite mon regard. Quant à Galaak, sa présence – son regard mendiant quelques bribes de notre repas, son museau stratégiquement posé sur la cuisse des uns et des autres – est suffisante pour mettre de l’animation.
Ce soir, Anthony m’appelle peu après minuit pour me souhaiter « Joyeux Noël ». Il n’est que 18 heures chez lui, mais il a voulu marquer le coup. Il se prépare à fêter ça avec la famille de son grand frère. Ça me fait du bien de l’entendre et de le voir, mais son image dans l’écran de mon téléphone me donne la mesure d’à quel point il me manque, d’à quel point la distance est là, et le partage absent, ce partage qui est la fondation des sentiments et des liens entre les Êtres. Ce partage et cette présence qui sont le seul remède contre la solitude.
La solitude qui, elle, est un préalable à la nostalgie.
Toulouse, le lundi 25 décembre, 2 h 41.
La nostalgie. Je l’ai entendue gronder de plus en plus fort, de plus en plus inexorable, à l’approche des douze coups de minuit. Mais entre une coupe de vin blanc et une conversation avec ma cousine, j’ai réussi à ne pas me laisser happer. Elle était bien là, comme une ombre menaçante, mais je pouvais lui tourner le dos et essayer de l’ignorer.
Mais cette nuit, dans mon lit, sans défense, elle revient et elle s’abat sur moi avec la violence brutale d’un orage d’été qui a longuement grondé au loin.
Je suis happé par la nostalgie de CE Noël, celui d’il y a tant d’années déjà, le plus beau Noël de ma vie. Un Noël comme un conte de féé, un Noël dont le scénario vaut, à mes yeux, mieux que ceux de tous les téléfilms qui envahissent les chaînes de télé à cette période de l’année. J’ai la nostalgie de ce Noël où Jérém est venu me chercher chez mes parents, où il m’a amené à l’hôtel, où il m’a fait l’amour pendant toute la nuit. J’ai la nostalgie de ce réveil du lendemain sous la neige, de notre escapade improvisée et un peu folle vers Campan.
Oui, cette nuit, la tristesse et la nostalgie m’empêchent de trouver le sommeil. Mais un autre sentiment vient se greffer et aggraver mon insomnie. Ce sentiment, c’est la culpabilité.
Au fond de moi, je m’en veux de ressentir cette nostalgie pour un garçon que je n’ai pas vu depuis dix ans, pour une histoire déjà lointaine. Et, surtout, je m’en veux de ressentir cette nostalgie alors que l’adorable garçon au blouson bleu fait désormais partie de ma vie.
Pendant les deux semaines heureuses que j’ai passées avec Anthony, ce passé était toujours présent mais de plus en plus loin, comme la lumière d’une étoile, ou celle de la Lune elle-même, complètement effacée par l’éclat intense du jour. Mais maintenant que le « jour » a changé de continent, la « nuit » qu’il a laissée dans ma vie me rappelle les fantômes jamais partis.
Je m’en veux, car ce petit mec ne mérite pas ça. Je crois qu’il est sincèrement amoureux de moi, et je crois que je le suis aussi. Je crois que nous avons tout pour être heureux, et que ce garçon mérite bien que je l’attende pendant un an.
Mais je ne peux rien y faire. La solitude est là, la nostalgie vient, et je n’arrive plus à la faire partir.
Je voudrais le pouvoir. Je voudrais ne pas culpabiliser d’être à nouveaux heureux, je voudrais ne pas avoir peur que le bonheur présent me fasse oublier le bonheur passé.
Je voudrais pouvoir penser à Jérém, à notre histoire, et à notre séparation, de façon apaisée. Mais à chaque fois que j’y pense, tout remonte en moi, la joie de cette période de ma vie, son sourire, le plaisir, la tendresse, le bonheur, notre complicité. Je n’arrive toujours pas à penser à Jérém sans me dire que notre séparation a été un effroyable gâchis. Le fait est que trop de questions sans réponse subsistent autour de notre séparation, et qu’elles me hantent toujours.
Je voudrais avoir Anthony avec moi, ou l’avoir en visio H24, pour que sa présence tienne mes démons à distance.
Martres Tolosane, le jeudi 28 décembre 2017.
La nostalgie. Elle me poursuit tout le long de la période de Noël. D’autant plus que j’attends un coup de fil de la part de Charlène. Un coup de fil qui pourrait déboucher sur des retrouvailles à l’occasion desquelles je suis susceptible d’apprendre des choses elles-mêmes susceptibles d’entraîner encore plus de nostalgie.
A partir du jour de Noël, accablé par une mélancolie persistante, je commence à redouter ce coup de fil. Une partie de moi n’a pas vraiment envie de savoir des choses sur Jérém, ne veut pas remuer le passé, ne veut pas avoir encore mal. Une partie de moi espère que Charlène ne tienne pas parole, qu’elle m’oublie. Cette partie de moi a envie d’éviter ces retrouvailles, d’inventer un empêchement, une grippe très opportuniste, de donner forfait, le cas échéant.
Mais une autre partie a besoin de savoir, de remplir les lignes vides, et de mettre le mon « FIN » à cette histoire, préalable pour qu’une nouvelle soit bâtie sur des fondations solides.
Mais Charlène n’oublie pas, et Charlène tient parole. Son coup de fil arrive au beau milieu de la semaine entre Noël et le jour de l’An.
— Désolé ne pas t’avoir appelé plus tôt, mais j’étais en déplacement, elle s’excuse.
— C’est pas grave…
— Ecoute, pourquoi tu ne viendrais pas pour le réveillon du 31 ?
— A moins que tu aies déjà prévu quelque chose de ton côté… elle tempère, devant mon silence, qui en réalité est surtout stupeur, car je ne m’attendais pas à ce genre d’invitation.
Il y a également dans mon hésitation la peur de faire quelque chose qui ne serait pas vraiment correct vis-à-vis d’Anthony. Mais est-ce que revoir les amis communs de son ex qui habite désormais à l’autre bout de la Terre et que je n’ai pas vu depuis dix ans peut être considéré comme un manque de respect ? Est-ce qu’aller chercher des réponses aux questions qui n’en ont pas eues est un manque de respect ?
Et puis, je m’étais dit jusque-là que je ne voulais pas y aller, que je ne voulais pas savoir.
Il est clair que si Anthony était là, je ne pourrais pas envisager cela. En même temps, cela était prévu avant qu’Anthony rentre dans ma vie. En même temps, j’ai vraiment besoin de savoir.
— Non, je n’ai rien prévu… je finis par lâcher, sans vraiment savoir comment je vais présenter ça à Anthony.
— Bah, alors, viens. Et si tu as quelqu’un, tu peux l’amener.
— J’ai quelqu’un… je lui glisse, mais il ne sera pas avec moi pour le réveillon.
Campan, le dimanche 31 décembre 2017.
J’ai fini par raconter à Anthony qu’à l’occasion du réveillon du 31 j’allais retrouver des amis dans les Pyrénées chez qui j’allais faire du cheval plus jeune. C’est un demi-mensonge, certes.
Les retrouvailles avec les cavaliers sont toujours aussi joyeuses. Et plus affectueuses encore que d’habitude, puisque depuis la dernière fois où je les ai vus, plus de dix ans se sont écoulées.
Et dix ans, ce n’est pas rien. A priori, tous les cavaliers que j’ai connus sont encore de ce monde. Mais les années passent, c’est flagrant. Les silhouettes se sont alourdies pour certains. Les visages ont changé. Les cheveux ont grisonné, voire blanchi, pour à peu près tout le monde, sauf pour celles qui font des couleurs. Même le local du relais a pris un sacré coup de vieux. D’ailleurs, des travaux de rafraîchissement sont prévus au printemps. Dommage qu’on ne puisse rénover aussi facilement les gens que les bâtisses.
Pendant ces dix ans, certains ont dû renoncer à partager des balades avec leur monture « historique », celle que je leur avais connue lors de ma première venue. D’autres ont dû se résoudre à contre cœur à mettre à la retraite un compagnon de cent randonnées, pour reprendre une monture plus jeune, et entamer ce long processus de création de ce lien privilégié que lie le cavalier et son cheval.
Certains cavaliers regrettent de plus pouvoir monter, à cause d’un corps qui ne suit plus les élans de l’âme qui, eux, demeurent intacts. D’autres ont vu leurs compagnons à quatre fers dépérir et partir. D’ailleurs, ça a été le cas pour Bille, le premier poney de Jérém. Quant à Tzigane, Charlène m’annonce qu’elle ne passerait peut-être pas l’hiver. Pour Unico et Tequila, le temps de la retraite a sonné depuis quelques années déjà.
Ça fait déjà quinze ans déjà. Quinze ans que j’ai randonné avec Jérém dans les bois de Campan.
Par ailleurs, certaines amitiés se sont relâchées, certains anciens membres ont quitté l’asso. Certains des couples que j’avais croisés se sont séparés, d’autres ont déménagé aux quatre coins de l’Occitanie. Certains ont eu des pépins de santé graves, certains sont en train d’essayer de les régler en ce moment même, ce qui explique leur absence à ce réveillon.
De nouveaux sont arrivés, et ils ont l’air de s’être bien intégrés au noyau historique. Noyau historique dont les seuls « survivants » sont Charlène, Carine et Jean-Paul, Daniel et Lola.
Oui, depuis dix ans l’asso de cavaliers a fait peau neuve. Elle a perdu certains de ses piliers historiques, mais elle a accueilli de jeunes pousses qui seront les piliers de demain. L’asso de 2017 ne ressemble plus du tout à celle de 2001, ni même à celle d’il y a dix ans, mais l’esprit de partage, de bonne humeur, de bonne franquette, de complicité, d’amitié demeure. La bienveillance survit à ceux qui la dispensent.
La bonne humeur de Jean-Paul et la guitare joyeuse de Daniel rendent ce moment fort en émotion.
Campan, le lundi 1er janvier 2018, 2h23.
A deux heures après minuit, après avoir aidé à ranger le relais, je me retrouve chez Charlène, devant le feu de cheminée. Dehors, il neige, et le crépitement du feu dégage un je-ne-sais-quoi de particulièrement réconfortant. Une tasse de chocolat chaud entre les mains, j’écoute Charlène me raconter le parcours des différents membres de l’asso depuis dix ans. C’est un instant d’une douceur exquise.
Je l’écoute parler longuement, jusqu’à épuiser le sujet, jusqu’à que les silences dans son récit commencent à m’apparaître comme autant des perches tendues afin que je puisse enfin poser la ou les questions qui me brûlent les lèvres. Oui, elles me brûlent les lèvres, mais elles ne sortent pas.
Je crois que Charlène sait que je suis venu pour savoir, et je crois qu’elle sait aussi que j’ai peur de savoir.
C’est donc elle qui bâtit carrément le pont pour me faire traverser l’immense rivière de mes craintes.
— Alors, tu as quelqu’un ? elle me questionne à un moment.
— Oui, depuis deux semaines.
— Comment il s’appelle ?
— Il s’appelle Anthony.
— Et ça se passe bien ?
— Ça a l’air. Ce garçon est vraiment adorable. Et si tu voyais comment il est mignon !
— Pourquoi il n’est pas avec toi ?
— Il est dessinateur et il est parti à New York pendant un an pour se perfectionner.
— Il a fait un bon choix. Là-bas, il va pouvoir faire ses preuves.
— Oui, je pense…
— Il te manque ?
— Beaucoup.
Le silence se fait autour des gorgées de chocolat que nous savourons lentement. Et c’est là que je trouve le courage de me lancer.
— Et Jérém ?
J’ai l’impression de m’être lancé dans le vide sans parachute. Je vais me fracasser au sol, je ne vais pas survivre à l’impact. Pourquoi j’ai fait ça ?
— Jérém est toujours en Australie…
— J’imagine. Mais qu’est-ce qu’il devient ?
— Tu es vraiment prêt pour ça, Nico ?
— Il faut bien que je le sois un jour.
— On peut ne jamais l’être…
— Je n’en peux plus de me protéger, je pense que si je veux aller de l’avant, j’ai besoin de savoir.
— Je l’ai eu au téléphone cet été, elle m’annonce, après un petit moment d’hésitation.
— Ça faisait un moment qu’il boudait dans son coin. Mais là, je l’ai trouvé bien.
La chute me donne des frissons, le vent me décoiffe, mais je tiens le coup pour l’instant.
— Qu’est-ce qu’il fait, là-bas ?
— Il travaille dans une boîte qui vend des équipements de surf, si j’ai bien compris…
— Et il fait du surf ?
— Je crois…
Je sens que je tombe de plus en plus vite, j’ai l’impression que je ne peux plus respirer. Mais je serre les dents, de toute façon, je n’ai plus le choix, je ne peux plus revenir en arrière. Alors, je regarde tout droit en direction du sol qui approche à vitesse grand V, je tente de prendre une grande respiration, et je demande :
— Et… il a quelqu’un… dans sa vie ?
— Oui, elle assène avec une simplicité désarmante.
Je vois le sol approcher, et je réalise que je ne vais pas survivre à l’impact.
— Il s’appelle Ewan, elle ajoute.
J’ai l’impression que mes poumons sont en train de brûler à cause de la vitesse de la chute et que je ne peux plus respirer.
— Depuis longtemps ?
— Depuis ce printemps…
Et là, elle me raconte ce que Jérém lui a confié pas plus tard que cet été. Sa souffrance et sa longue traversée du désert après l’arrêt brutal du rugby, de la belle vie, et de ses rêves. L’humiliation qu’avait été pour lui l’agression parisienne, lorsqu’il s’était senti impuissant à assurer sa propre défense et la mienne, avant de l’exposer à au outing forcé. La nouvelle humiliation qu’avait été pour lui la publication de ces photos avec Rodney qui avaient inondé la presse il y a quelques années. Sa descente aux enfers après le départ de Rodney et son retour en Angleterre.
Et elle me parle également de ce voyage de Jérém en France, en 2013, après le départ de Rodney. Et là, au détour d’une phrase, elle me glisse :
— J’ai toujours pensé qu’il était venu surtout pour te retrouver.
Soudain, je ressens une sorte de vertige. Je réalise que ma chute s’est arrêtée, et que je flotte au-dessus du sol. Je suis bouleversé par la chute. Je crois que j’aurais préféré aller à l’impact, et ne plus rien ressentir, rien au lieu de cette douleur atroce qui me transperce comme une lame plantée en plein ventre.
— Tu crois ? je finis par lui demander, comme pour m’assurer d’avoir bien compris.
— J’en suis persuadée.
— Et pourquoi il ne l’a pas fait ???
— Parce son élan est retombé quand il a réalisé le mal qu’il t’avait fait. Tu sais, même quand il était avec Rodney, il n’a jamais cessé de prendre de tes nouvelles. Et il était triste d’apprendre que tu n’allais pas bien. Quand il est venu en 2013, il a beaucoup hésité. Et il a fini par penser que sa démarche était égoïste, car il était venu te retrouver parce que Rodney était parti…
— Il aurait dû venir me voir !
— En fait, je pense qu’il a surtout réalisé qu’il n’allait pas bien, et qu’il ne voulait pas que tu aies encore à supporter ses démons. Il a voulu t’épargner son mal-être. Il s’est dit qu’il t’avait déjà fait trop de mal, que tu en avais assez bavé. Alors il n’a pas osé venir te voir. Il ne m’en a jamais parlé explicitement, mais je pense que je le connais assez pour ne pas trop me tromper…
— Si seulement j’avais su qu’il était là ! je me désespère.
— Je lui ai dit, Nico, ce n’est pas faute de lui avoir dit et répété ! Je lui ai dit, va le voir, ça ne coute rien ! Si vous vous aimez toujours, et je suis certaine que c’est le cas, vous reprendrez là où vous vous êtes laissés. Mais il était trop mal, il était trop déçu de lui-même, et il s’est dégonflé. Il se voyait comme un looser et il ne voulait pas que tu le voies comme ça. Jérém a eu peur de ton regard. Il a eu peur que tu le rejettes. Et ça, il n’aurait pas supporté.
— Je l’aurais aimé quoi qu’il soit devenu !
— Je sais…
— Pourquoi tu ne m’as pas prévenu, Charlène ? je pleure.
— Il n’a pas voulu, on s’est même accrochés à ce sujet. Et il est reparti le lendemain.
De cette rencontre avec Charlène, j’espérais obtenir des réponses, de l’apaisement, tout autant que je redoutais d’apprendre des choses capables de mettre à mal mon fragile équilibre miné par la nostalgie. Les rencontres ne se passent jamais comme nous les avons imaginées.
J’avais anticipé qu’il puisse avoir retrouvé quelqu’un, et je m’étais (presque) préparé à cette éventualité. Mais je n’avais pas anticipé cet immense gâchis de sa venue en France en 2013.
Une nouvelle blessure déchire désormais mon esprit. En écoutant le récit de Charlène, je réalise enfin à quel point nous nous sommes ratés. Complètement ratés.
Et désormais, c’est foutu. Nous sommes chacun à un bout de la planète, on ne peut plus loin l’un de l’autre, chacun de nous deux en couple avec un autre garçon. Désormais, nous ne nous retrouverons plus jamais. Si seulement j’avais su, si seulement il avait osé !
Quel gâchis, quel horrible, insupportable gâchis ! J’ai envie de pleurer ! J’ai envie de hurler !
Aurions-nous pu nous retrouver ? Ou bien ça aurait été une immense déception ? Je ne le saurai jamais !
Charlène m’a également parlé de la bagarre où Jérém avait tabassé un mec, ce qui lui avait valu quelques jours de garde à vue. Elle m’a raconté des déboires, des errances, des malheurs, de sa honte pour ce qu’il était devenu et qui lui faisait garder ses distances de tous ses amis en France.
Charlène m’a raconté tant de choses tristes que j’en ai eu mal au ventre.
Et puis, elle m’a parlé plus en détail de cette rencontre au printemps de cette année qui a été comme une renaissance pour Jérém.
[Bells Beach, Etat de Victoria, début avril 2017.
La fin de l’été approche. C’est à cette époque que sur cette plage se tient l’une des compétitions de surfs les plus renommées au monde.
Tu ne t’es jamais encore essayé au surf, mais tu es venu par curiosité.
Et il est là. Tu le regardes sortir de l’eau après une prestation assez impressionnante. Il ouvre sa combinaison, tu croises son regard et son sourire te foudroie.
Il y a trop de monde sur la plage, vous vous contentez de vous apprivoiser à distance.
Puis, le soir, autour du feu allumé sur la plage et de la grande fête organisée par le sponsor, vous vous retrouvez. Ses cheveux blonds en bataille, son visage viril et son regard doux, son corps solide, sa peau bronzée, te font vraiment craquer.
Tu vas avoir 36 ans, il vient tout juste d’en avoir 24.
Depuis tes errances et tes déboires, tu as perdu un peu de ta superbe. Mais dans ta tête, tu as l’impression d’avoir perdu beaucoup de ta superbe. Alors, qu’un si jeune et beau mec s’intéresse à toi, ça te met du baume au cœur. Son regard te fait du bien, il t’aide à retrouver confiance en toi.
Mais c’est surtout son sourire qui t’a percuté de plein fouet et qui t’a mis KO. Un sourire qui, soudain, te fait reprendre espoir en l’avenir, et te fait envisager que tu puisses être heureux à nouveau].
— Je crois qu’il a trouvé le bon garçon, conclut Charlène, et je crois qu’il est enfin à nouveau heureux. Et ça me fait plaisir de voir que ça en est de même, pour toi…
Au fond de mon cœur, un abysse sans fond vient de s’ouvrir. Et en regardant dedans, je suis pris par un intense, vertigineux tournis.
Nous nous sommes ratés.
Nous nous sommes ratés.
Nous nous sommes ratés.
Nous nous sommes ratés.
Et comment, nous nous sommes ratés !
Je n’arrête pas à penser à cela, à ce terrible, insupportable gâchis. Ça tourne en boucle, ça devient obsessionnel, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Je n’arrive pas à réaliser, je n’arrive pas à accepter que nous nous soyons ratés à ce point.
Je repense à la scène finale, l’« Epilogue » de ce film que j’ai vu avec Anthony. Sur le coup, je m’étais dit que cette scène faisait écho à la fin de mon histoire avec Jérém. Après les mots de Charlène, je réalise à quel point j’avais sous-estimé le parallèle.
https://www.youtube.com/watch?v=SY40M1lhknY&t=47s
Je revois comme dans un caléidoscope les souvenirs du temps heureux.
Son sourire le premier jour du lycée.
La première fois où je l’ai vu nu sous la douche dans les vestiaires du lycée.
La première « révision », la première fois où je l’ai sucé.
Le bonheur de le retrouver à son appart pour coucher avec lui encore et encore.
Nos retrouvailles sous la Halle de Campan.
Moi, dans ses bras, sur la butte devant la grande cascade de Gavarnie.
Le premier « Je t’aime » qu’il m’avait glissé, à minuit pile, le soir du réveillon d’il y a bien des années déjà, dans la petite maison en pierre au pied de la montagne.
Le soir où il a débarqué à Bordeaux par surprise pour fêter mon anniversaire.
Le réveillon de Noël où il était venu me chercher chez mes parents.
Nos voyages en Italie, en Islande, au Québec.
Nos retrouvailles à Biarritz.
Jérém heureux, souriant, amoureux.
Non, Mia et Sébastien ne se remettront pas ensemble, leur séparation est définitive et irrémédiable, la vie les a trop éloignés. Tout comme Jérém et moi.
J’ai longtemps cru que Jérém et moi nous retrouverions, que le destin nous réunirait un jour. C’était une promesse que j’avais cru lire dans ses yeux émus lors de cette belle soirée d'été d’il y a dix ans, la dernière que nous avions passée ensemble à Toulouse après son premier retour d’Australie. En fait, ce n’était peut-être qu’une illusion, une chimère dont j’avais besoin pour amortir le choc de mon cœur au moment de nous quitter, après avoir fait l’amour une dernière fois.
C’est une illusion que j’ai serrée contre moi pendant dix ans.
Mais je sais désormais qu’il est temps de se débarrasser de cette illusion, et de régler les derniers comptes avec le passé.
J’ai essayé d’en vouloir à Jérém pour le fait d’avoir pris sa liberté si facilement après avoir reçu ma bénédiction. Je n’ai pas réussi. Car, au fond de moi, je suis heureux d’avoir, dans une certaine mesure, contribué à lui offrir quelques belles années de rugby supplémentaires.
J’ai essayé de lui en vouloir pour m’avoir promis de ne pas m’oublier, et de l’avoir fait, si vite, dans les bras de Rodney. Je n’ai pas réussi non plus.
Car, au fond, c’est à moi-même que j’en ai voulu. Je m’en suis voulu de ne pas avoir su trouver les mots qui auraient pu l’apaiser, ce petit rien qui aurait pu le retenir.
Il m’a fallu longtemps pour comprendre que ces mots n’existaient pas, et que ce petit rien était en réalité un immense tout qui n’était pas à ma portée à cet instant.
Dimanche 31 décembre 2017, 4h18.
Cette nuit, j’ai encore des tas de questions à poser à Charlène au sujet de Jérém. Mais je n’en ai plus le courage, la force d’en entendre davantage. Cette nuit, j’en ai eu ma dose.
Après ce que je viens d’apprendre, notamment au sujet du grand raté de son voyage en France après sa séparation d’après Rodney, après avoir appris l’existence d’Ewan, je sais désormais que nos planètes nous séparaient irrémédiablement. Et tout ce que je pourrais apprendre de plus ne ferait que me montrer un peu plus l’étendue de la catastrophe, de l’immense gâchis. Alors, à quoi bon continuer à me torturer ?
J’ai été triste d’apprendre à quel point ces dernières années ont été difficiles pour lui. Je suis triste, révolté, assommé par la découverte du fait que nous aurions peut-être pu nous retrouver en 2013, mais que le destin en a décidé autrement. Je suis heureux qu’il ait trouvé un garçon qui l’ait remis sur des bons rails. Je me surprends à pleurer à chaudes larmes mon déchirement, tout en étant heureux pour son bonheur, même s’il se passe loin de moi. J’ai l’impression que dans ma tête et dans mon cœur, c’est tout et son contraire. Comme dans ces journées bizarres où il fait soleil et il pleut en même temps.
Cette nuit, j’ai compris qu’avec Jérém tout est dit, tout est joué.
https://www.youtube.com/watch?v=tUh4u-lYEhM
Cette nuit, j’ai compris qu’il n’y aurait pas de suite à Jérém&Nico.
Campan, le lundi 1er janvier 2018, 15h00.
Le lendemain du réveillon de la nouvelle année, je suis tellement bouleversé par ce que m’a appris Charlène que j’ai du mal à faire bonne figure avec Anthony.
— Tu es sûr que ça va ? s’inquiète le petit mec en détectant ma tête de chiffon mal essoré, même à plusieurs milliers de bornes de distance, même d’après une qualité d’image très médiocre.
— Ça va, ça va, j’ai juste pas dormi, je mens.
— On dirait que tu as pleuré…
— J’ai des allergies…
Martres Tolosane, janvier 2018.
Lorsque j’ai commencé à écrire sur ma relation avec Jérém, je n’avais pas de but précis. J’ai commencé par ébaucher des notes lors des moments difficiles, des notes au sujet des moments heureux, pour garder espoir. Au début, ce n’était qu’une sorte de journal intime, quelques lignes, des petits textes en vrac griffonnés dans un carnet, puis dans des fichiers dans mon ordinateur.
Après notre séparation, je m’y suis remis avec plus d’assiduité. Pour ne pas oublier, pour qu’il reste une trace de notre bonheur, pour que les mots en soient les témoins immémoriaux.
J’ai alors repris mes notes en vrac et j’ai entrepris de les organiser. Au fil de l’écriture, la passion pour les mots s’est emparée de moi et est devenue peu à peu un fleuve rugissant qui a tout emporté tout sur son passage. Elle a occupé mes soirées, mes nuits, mes week-ends, mes solitudes.
Elle m’a offert un bonheur intense. Lorsque j’écris, je suis dans une bulle où je ne vois pas le temps passer. Parfois, lorsque la fatigue me saisit, je regarde l’heure et je réalise qu’il est déjà deux heures du matin. Pas très judicieux, en sachant que je travaille le lendemain. Mais je ne peux rien y faire. L’écriture m’accapare à 100%.
Plus je tape sur mon clavier, plus ça me prend aux tripes. L’écriture a été ma thérapie, mon « power-point » grâce auquel j’ai pu regarder l’ensemble de mon histoire avec Jérém. J’en avais besoin pour tenter de comprendre. Ou, du moins, pour me faire une raison.
Avec Charlène, j’ai eu quelques réponses à mes questions. D’autres restent en suspens. Mais à quoi bon chercher toutes les réponses, remuer le passé sans cesse ? On peut se perdre dans cette recherche, en cherchant à tout comprendre, à tout décortiquer, et on court le risque de vivre une vie tout entière « dans le rétroviseur ».
Tant pis, le tableau restera à tout jamais inachevé, et je vais devoir apprendre à vivre sans ces réponses. Parfois, dans la vie, on ne sait pas toujours tout. Et c’est peut-être mieux ainsi.
Je crois que je vais désormais me laisser porter par la vie, découvrir et apprécier ce qu’elle me réserve. Je crois que je suis enfin prêt à laisser le passé au passé et à vivre le présent en essayant d’en profiter du mieux que je peux.
Et mon présent, c’est Anthony. Avec Anthony, ma vie a repris de nouvelles couleurs, de nouvelles saveurs. C’est plus facile de tourner une page du passé, de chasser la tristesse, d’apaiser la mélancolie, lorsqu’un nouveau bonheur illumine notre existence.
Le petit Anthony est un cadeau du ciel, et je me dois de le respecter, de le choyer, et de tout faire pour être à la hauteur de son amour.
Il me tarde de le revoir, mon beau petit artiste !
Martres Tolosane, le samedi 27 janvier 2018, 4h18.
Cette nuit, j’ai veillé très tard. Car j’avais un rendez-vous important avec l’Ecriture. Je savais que cela arriverait ce soir, cette nuit. La fin de mon premier « voyage » avec l’écriture.
Qui sait, peut-être qu’elle me réserve d’autres belles aventures.
Dans quelques mois, je vais retrouver Anthony à New York. Il faut donner une chance à la vie de nous apporter du bonheur.
Il faut vivre pour aimer, ce qui nous donnera des choses dont nous nous souviendrons. Et puis, nous serons là pour les raconter.
Living for love
https://www.youtube.com/watch?v=JGsvryvieAM&list=RDJGsvryvieAM&start_radio=1
Something to remember
https://www.youtube.com/watch?v=Vc8CrfYGMXw&list=PL6JmlJxKrR95AeuwFiq4G_g-Gt2o9ObD6&index=9
Live to tell
https://www.youtube.com/watch?v=YmR2tcIy4kQ
Oui, cette nuit, j’ai écrit le dernier chapitre de l’histoire de « Jérém&Nico ».
Et j’ai aussitôt « commencé » à en écrire une autre. Avant d’aller me coucher, j’ai réservé un billet d’avion pour New York.
Blagnac, dimanche 11 mars 2018, 7h55.
Devant le tableau d’affichage, je cherche mon vol. Le voilà, perdu entre des dizaines d’autres départs. Il est toujours prévu à l’heure. La porte d’embarquement vient d’être affichée, c’est la 46. Je parcours l’immense hall pour rejoindre les autres voyageurs avec lesquels je vais partager de nombreuses heures de vol.
Un frisson me saisit lorsque je réalise que, dans une heure à peine, je serai dans les airs. Un frisson encore plus grand me secoue de fond en comble en essayant d’imaginer les retrouvailles au bout de mon voyage. Des retrouvailles qui sont devenues une évidence, une urgence, une nécessité.
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2 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Merci le lecteur pour ton beau commentaire. Je suis touché par tes mots, sur mon style, et aussi au sujet du fond de l'histoire.
Fabien
Fabien
L’histoire semble se clore par la nouvelle sans doute libératrice que l’ex a trouvé qu’un, ce qui normal mais surtout nécessaire… pour Nicolas qui aura souffert plus que de raison dans cette histoire d’amour à rebondissement.
J’y vois une vraie difficulté à accepter le fait de vieillir et donc que le temps passe. L’ouverture étasunienne (avec un épisode précédent particulièrement bien écrit) donne envie d’en savoir plus et surtout de savoir que notre petit toulousain de 35 ans va goûter à nouveau au bonheur de penser à deux voire de penser pour l’autre.
Quoi qu’il en soit, on reste accro à ce style bien pensé et exigeant. Merci à l’auteur de la part d’un toulousain un peu plus âgé qui a aimé Toulouse au mitant des années 2000.
J’y vois une vraie difficulté à accepter le fait de vieillir et donc que le temps passe. L’ouverture étasunienne (avec un épisode précédent particulièrement bien écrit) donne envie d’en savoir plus et surtout de savoir que notre petit toulousain de 35 ans va goûter à nouveau au bonheur de penser à deux voire de penser pour l’autre.
Quoi qu’il en soit, on reste accro à ce style bien pensé et exigeant. Merci à l’auteur de la part d’un toulousain un peu plus âgé qui a aimé Toulouse au mitant des années 2000.