Jérém&Nico, Final 2/4 – Retour vers le futur.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 15-08-2024 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Jérém&Nico, Final 2/4 – Retour vers le futur.
Doha, le vendredi 31 mars 2018.
Hier matin, Ewan est parti tôt au boulot. Il a eu la délicatesse et de nous laisser nous dire au revoir, seul à seul, Jérém et moi.
Les adieux ont été durs à Bellbrae. Les mots avaient du mal à sortir. Nous sommes restés longtemps dans les bras l’un de l’autre. Nos larmes silencieuses se sont mélangées les unes aux autres.
Puis, Jérém est parti vers Bells Beach. Et moi, je suis parti vers Melbourne. J’ai rendu la voiture, j’ai pris un taxi pour l’aéroport, j’ai fait le check-in, j’ai passé la douane. J’étais comme un zombie, j’avançais à marche forcée, j’avançais malgré moi. Une partie de moi a espéré qu’il y aurait un problème avec mes papiers, ou avec mon ticket d’avion, ou avec mon bagage. J’ai espéré que quelque chose m’empêche de partir. Lors d’un long voyage, on redoute toujours l’imprévu, le grain de sable dans le rouage qui ferait tout foirer. Moi, je l’ai souhaité. Mais tout s’est passé comme une lettre à la poste.
Depuis que j’ai quitté Bellbrae, je ressens une oppression de l’esprit et du corps, j’ai l’impression d’avoir la tête emplie de brouillard, le ventre lesté par un bloc de fonte. J’ai du mal à respirer. Je cumule le décalage horaire et le manque de sommeil. Je sais qu’une fois revenu chez moi, je serai HS.
Je sais qu’une fois revenu chez moi, Jérém va me manquer à en crever. Je sais qu’il va me falloir des semaines, des mois, peut être des années pour me remettre de toutes ces émotions. Une nouvelle longue période de deuil sentimental se profile dans mon horizon.
Et là, pendant cet interminable voyage de retour, je fais le triste décompte du temps et de l’espace qui me sépare chaque instant un peu plus de l’amour de ma vie. Je ne réalise toujours pas, et en même temps très bien, que c’est peut-être la dernière fois que je vois Jérém. Je suis comme sonné.
Par moments, je me demande si finalement j’ai fait le bon choix d’aller à sa rencontre. Mais au fond de moi, je sais que ce choix n’a été ni bon, ni mauvais. Il était juste inéluctable. Pour qu’il ne le soit pas, je n’aurais pas dû appeler Maxime. Je n’aurais pas dû aller passer le dernier réveillon à Campan pour questionner Charlène. Je n’aurais pas dû aller fouiller dans le passé. Avant que j’ouvre la boîte de Pandore, tout se passait si bien dans ma vie. Mon présent avait la couleur intense et pétillante d’un blouson bleu, il avait le regard doux et touchant du garçon qui le portait le jour de notre rencontre. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
Je sais que s’il y a une personne qui peut m’aider à me remettre de tout ça, c’est bien Anthony. L’idée de le retrouver est l’une des seules auxquelles je peux m’accrocher pour ne pas sombrer. La simple idée de sa présence dans ma vie, même à 10000 bornes de Toulouse, suffit à me faire me sentir mieux.
Mais est-ce qu’il m’a attendu, comme il me l’avait promis lorsque je lui avais annoncé mon départ pour l’Australie ? Je le souhaite, de toutes mes forces.
Mais est-ce que je le mérite ?
J’ai peur de renouer le contact, j’ai peur de son regard, de ses mots, de ses intentions. J’ai peur de l’avoir perdu. Une partie de moi se demande si c’est vraiment honnête de ma part d’essayer de rattraper le coup, après ce que je lui ai fait endurer. Je me dis que ce serait pénible pour Anthony de revoir ma sale gueule, et que le silence serait peut-être la meilleure option, celle qui lui permettrait de passer à autre chose et de m’oublier.
Une option, une esquive à la Jérém, en somme, à la Jérém d’il y a quelques années encore. Parce que le Jérém d’aujourd’hui, il a enfin appris à assumer ses choix. Le Jérém d’aujourd’hui, c’est un sacré bonhomme.
Alors, je choisis de l’être aussi. Dès que je serai chez moi, je vais appeler Anthony, et je vais assumer les conséquences de mes actes.
Martres Tolosane, le dimanche 1er avril 2018.
A mon retour d’Australie, ma cousine Elodie est là pour m’accueillir. J’avais besoin d’un sas de décompression entre « Là-bas » et « Ici ». Et elle est parfaite dans ce rôle. Elle sait écouter, apaiser, consoler. Et surtout ne pas juger.
Lucie arrive en début de soirée, de retour d’un après-midi en ville avec ses copines. Elle va sur ses seize ans, comme le temps file vite !
Elle me questionne sur mon voyage à l’autre bout de la planète. Elle m’appelle « Tonton » avec un naturel et un entrain touchants. C’est une marque d’affection, et je la reçois comme telle. Mais elle est aussi la marque du temps qui passe et qui me fait avancer dans l’âge. Être tonton, cela oblige à se resituer dans la vie.
Mais cette soirée est aussi l’occasion des retrouvailles avec Galaak, mon chien d’amour qu’Elodie a gardé en mon absence. Ces retrouvailles me tardaient ! Il me tardait de retrouver son regard plein d’amour, son poil doux, son envie de jouer. Son amour inconditionnel.
Je me suis royalement planté. Je m’attendais à ce qu’il me fasse la fête, il me fait la tête. Je constate que trois semaines de séparation ont laissé des traces. C’est certainement sa façon de me montrer que je lui ai manqué. Toujours est-il que ce soir je ne retrouve pas le Galaak affectueux et joueur que j’attendais.
Son « mauvais poil » dure pendant tout le voyage vers Martres. Il continue le lendemain, et même le surlendemain. Mes câlins, il ne les refuse pas, mais il affiche une indifférence certaine à leur égard. Lorsque je l’appelle pour jouer, j’ai droit à des regards pleins de dédain. Je pense qu’en partant aussi longtemps, je l’ai blessé.
Ce n’est qu’au troisième soir que je retrouve The Galaak. Alors que je suis sur le canapé, saisi par un bon coup de blues, la labranoir vient se coller lourdement contre ma jambe. Il sent que je ne vais pas bien et il vient chercher le contact. Il vient réclamer le câlin, il vient m’offrir du réconfort.
Toutes les larmes que j’ai retenues pendant les voyages en avion qui m’ont ramené en France, celles que je n’ai pas laissé couler depuis que je suis rentré, refusant inconsciemment d’admettre qu’il y a à nouveau vingt mille bornes entre Jérém et moi, toutes ces larmes qui pèsent sur mon cœur rompent enfin le barrage de ma pudeur et de mon déni. Les vannes s’ouvrent, je pleure par flots incessants. Je m’assois au sol, et Galaak vient se blottir dans mes bras. Sa présence est essentielle pour amortir le véritable choc de mon atterrissage.
Avril 2018.
Après mon rabibochage avec Galaak, après avoir vidé mon cœur de toutes ses larmes, je me suis senti assez « fort » pour reprendre contact avec le garçon au blouson bleu. Ça n’a pas été facile de franchir le pas. Lorsque son visage est apparu sur l’écran, j’ai tout de suite compris que, comme je m’y attendais, mon voyage en Australie l’avait beaucoup affecté lui aussi. Son regard était grave, son attitude distante, détachée. Je me suis dit que ce serait autrement plus difficile de rattraper le coup qu’avec Galaak.
Ça n’a pas été facile de lui parler de mon voyage à l’autre bout de la planète, de lui expliquer ma relation actuelle avec Jérém, mes sentiments à son égard. J’ai essayé d’être le plus sincère possible. Anthony m’a laissé parler, il n’a pas fait de scène. Il ne m’a même pas demandé s’il s’est passé quelque chose entre Jérém et moi. Il a voulu tout simplement savoir si j’avais trouvé la réponse à mes questions. Je lui ai répondu que c’était le cas.
— Tu n’auras plus besoin de retourner en Australie ? il m’avait questionné.
— Je crois bien que non.
— Ne pars plus jamais aussi loin de moi, Nico !
Je sais que ce « loin » n’implique pas qu’une distance géographique.
— Je te le promets.
Je crois qu’Anthony a été sensible à ma franchise. Au fil des appels visio, je retrouve sa présence, sa douceur, son regard plein d’amour. Nous recommençons à parler de mon futur voyage à New York. Nous recommençons à nous dire qu’il nous tarde de nous retrouver.
Mon « retour vers le futur » est amorcé.
Mi-avril 2018.
Un jour, je découvre en visio un Anthony particulièrement excité et souriant. Une belle opportunité vient de se présenter à lui, par le biais de la boîte de production pour laquelle il travaille. Un blog newyorkais vient de signer une commande pour un projet qui l’emballe tout particulièrement.
Dans ce processus, Anthony sera l’exécutant graphique. En fait, il est co-exécutant, car il travaille en étroite collaboration avec un auteur et deux autres dessinateurs. Il s’occupe de la conception du dessin de base, avant les retouches informatiques.
« Boys and the city » – c’est le nom de la rubrique web, faisant écho à une célèbre série télé des années ’90 – brosse en quelques bulles des petites histoires de mecs qui se croisent dans la Grande Pomme.
Au fil des semaines, je suis tout ça sur Internet. Ce sont très souvent des histoires de désir à sens unique, d’occasions manquées, de frustrations. Rien de plus ou de moins que le quotidien ordinaire de la plupart des garçons et des hommes qui aiment les garçons. Dans ces « strips », je reconnais bien la patte d’Anthony, la précision du trait et la tendresse dégagée de ses dessins « cachés », ceux qu’il m’avait montrés le dernier soir avant son départ pour New York.
Parmi les publications, j’ai été particulièrement touché par « Orange boy », récit d’une rencontre fugace dans un métro bondé entre un fan de Lady Gaga et un garçon au parfum d’orange. Mais aussi par « Waiter boy », le récit d’un homme foudroyé par la jeunesse d’un petit serveur dont il a croisé l’existence lors d’un déjeuner dans un restaurant. Ou encore par « The apprentice », l’histoire d’un apprenti cuisinier dont la présence bouleverse la vie de son patron, un homme à l’approche de la cinquantaine.
Ces petites histoires en images sont hyper percutantes, et dégagent d’intenses émotions. En lisant les commentaires des lecteurs, je constate sans surprise que « Boys and the city » a d’excellents retours.
— Finalement, tu es arrivé à ouvrir ton « jardin secret », je considère un soir, en visio.
— On dirait bien…
— Je suis tellement fier de toi !
— Merci, Nico !
New York, mai 2018.
La première fois où j’ai atterri dans la Grande Pomme, c’était il y a trois ans, et c’était pour retrouver Madonna. J’y reviens aujourd’hui pour retrouver Anthony.
Et là, alors que le compte à rebours de nos retrouvailles touche à sa fin, pendant ces interminables dernières heures de séparation, je ne tiens plus en place. J’ai envie de le serrer dans mes bras, j’ai envie de le couvrir de bisous et de câlins. J’ai envie de sentir son amour.
Anthony a pu prendre son après-midi et m’attend sur le quai du métro. Et lorsque je le vois, je suis instantanément ému aux larmes. C’est fou à quel point ce garçon m’émeut. Son regard un peu triste, un peu timide, empli de douceur me fait fondre. Il me fait penser à celui d’un chiot, empli d’une tendresse infinie, exprimant un besoin de recevoir de l’affection tout aussi grand que celui d’en donner. Un chiot qu’on a envie de protéger, de rassurer, et de câliner.
Nous tombons dans les bras l’un de l’autre, et nous osons même un petit bisou au milieu de la foule. Nous remontons à la surface en nous tenant par la main.
A l’appart – désert à cette heure-ci, car son frère et sa femme ne rentrent qu’en fin d’après-midi – nos envies de bisous et de câlins se mélangent à nos envies de sensualité.
— Je peux te faire confiance ? il me questionne, alors que je viens de lui chuchoter que j’ai envie de lui.
— Je n’ai couché avec personne depuis que tu es parti de Toulouse.
— Même pas en Australie ?
— Non, je t’assure. Et toi non plus ?
— Non plus. Je t’ai dit que je t’attendrais, et je t’ai attendu.
— Merci, Anthony !
La distance, la séparation, nos inquiétudes respectives ont exacerbé le désir. Nos accolades sont sensuelles, intenses, nos gestes précipités, empressés. Nos corps, nos désirs, nos sexes se cherchent, se mélangent, se reconnaissent, se redécouvrent. C’est intense, immensément bon.
Après l’amour, Anthony affiche cet air un peu sonné qui le rend craquant. Il est tellement beau !
Après une petite sieste, le petit mec en vient à me parler de son travail. Et comme à chaque fois qu’il a abordé le sujet à l’occasion de nos échanges en visio, son enthousiasme est beau à voir. Et il l’est encore plus « en présence ».
— J’ai appris tellement de choses depuis que je bosse ici ! En fait, je n’ai pas l’impression de bosser. Je suis comme un gosse dans un magasin de jouets. Il y a tellement de choses à découvrir ! J’ai envie de tout voir, de tout essayer. Je me tape des journées de dingue, mais je m’en fous. Je suis tellement bien devant mes planches et mes écrans. Je suis entouré par des mecs qui ont dix, vingt, certains trente ans de métier et qui n’ont pas peur de partager leur savoir-faire. Je ne vois pas le temps passer, je suis comme dans une bulle. Je n’aurais pas cru que je m’y plairais autant ici, il conclut, l’air rêveur.
— Tu ne vas plus vouloir revenir en France, je plaisante, tout en ressentant un petit pincement au cœur à l’idée que ma boutade puisse devenir réalité.
— Si, je vais revenir. Parce que tu me manques de fou !
— Bonne réponse ! je plaisante, soulagé et touché.
— Je suis tellement content d’être là ! je lui lance, ému.
— Je suis tellement content que tu sois là, enfin. Je ne vais plus te laisser repartir !
Et là, dans l’élan de mon émotion, j’ose enfin ce que nous n’avons pas osé depuis mon retour d’Australie :
— Je t’aime, Anthony !
— Je t’aime aussi, Nico !
Quel soulagement de l’entendre me le dire enfin, à nouveau !
Après quelques échanges à distance avec ses collègues, Anthony s’est arrangé pour dégager un max de temps pendant la durée de mon séjour. Avec le p’tit brun, je visite New York. Et c’est pour moi une toute nouvelle découverte.
Déjà, parce que j’ai davantage de temps qu’il y a trois ans. Aussi, parce que le fait de parcourir une ville en compagnie de quelqu’un qui connaît les lieux permet d’avoir l’esprit léger, délesté des petits tracas qui parasitent souvent les vacances, notamment en solitaire, lorsqu’on est obligé de s’occuper de toute l’organisation.
En quelques mois, Anthony s’est bien acclimaté à l’« écosystème » newyorkais. Le jeune dessinateur possède désormais une solide connaissance de la géographie de la ville, de ses transports en commun, de ses bons plans. Il sait faire la différence entre les incontournables et les « pièges à touristes », il sait où bien manger sans se ruiner. Anthony est à la fois mon GPS et mon Routard.
Mais aussi, par l’intermédiaire de son frangin, mon hôte. Grâce à Anthony, j’ai à ma disposition non seulement un logement, mais carrément un foyer chaleureux, avec un beau frère et une « belle-sœur » on ne peut plus accueillants, toujours prêts à ajouter deux assiettes à table si besoin.
Mais, par-dessus tout, ce qui rend cette nouvelle visite de New York comme une nouvelle découverte, presque une nouvelle « première fois », c’est le bonheur de partager tout cela avec Anthony.
Il y a trois ans, j’avais fait beaucoup de photos. Lors de cette nouvelle visite, je me fabrique beaucoup plus de souvenirs. Des souvenirs d’autant plus vivants qu’ils sont partagés avec Anthony, le garçon qui détient le pouvoir magique d’apaiser mes blessures, de supporter mes errances, de pardonner mes erreurs, et de me rendre heureux.
Oui, pour que les souvenirs restent vivants, il est nécessaire qu’ils soient partagés. Pour que plus tard on puisse s’adresser à l’autre et lui lancer :
— Tu te souviens de cette attente interminable pour visiter la Statue de la Liberté ?
— Tu te souviens du vent froid lors de la croisière nocturne autour de Manhattan et de Ellis Island ? Je me souviens quand tu m’as pris dans tes bras pour me réchauffer.
— Je me souviens de comment tu étais ému devant le mémorial du 11 septembre et je me souviens quand tu as pris ma main pour sentir ma présence.
— Tu te souviens de la gare ferroviaire Grand Central Terminal, de ses escaliers que nous avons descendus en revoyant dans notre tête la scène de la poussette du film « Les incorruptibles » ?
— Tu te souviens de cette balade à Central Park ? Nous avons passé un super moment. (Je ne te l’ai pas dit, mais un souvenir m’a happé lorsque j’ai reconnu la façade d’un immeuble « familier ». C’est le souvenir de Justin, un sublime petit con avec qui j’ai eu une aventure il y a trois ans. Mais ta présence a très vite fait de l’ombre à ce souvenir. Car je sais que je suis tellement plus heureux aujourd’hui, avec toi, qu’il y a trois ans, avec lui).
— Tu te souviens de cette comédie musicale à laquelle nous avons assisté à Broadway et de comment nous avons tous les deux été soufflés par la musique, par les couplets coupants comme des lames, par ses tableaux de danse millimétrés ?
https://www.youtube.com/watch?v=Xx_eoxvYvc8
Une chanson m’a particulièrement touché :
« Vous pouvez aimer la vie que vous vivez, vous pouvez vivre la vie que vous aimez ».
https://www.youtube.com/watch?v=v_lotDsUBOE
Dans le petit lit de la chambre d’amis de l’appart, nous faisons l’amour aussi souvent que nous en avons l’occasion. Nous profitons de l’absence, le jour, ou du sommeil, la nuit, des propriétaires pour nous faire du bien. Qu’est-ce que j’aime faire l’amour avec ce petit mec ! Son petit physique me rend fou, ses tétons me rendent dingue !
Je passe des journées comme autant de rêves éveillés. Je suis tellement heureux que j’en perds la notion du temps. Mais le temps n’oublie jamais de nous rattraper.
New York, mai 2018.
J’ai l’impression d’être arrivé hier, je viens tout juste de surmonter le décalage horaire, mais la fin de mon séjour arrive impitoyablement. Demain, un avion va me ramener à Toulouse. Cette semaine est passée si vite ! Je n’ai vraiment pas envie de repartir, de quitter cette ville qui a encore tant de choses à offrir, ce foyer si accueillant, ce quotidien enchanté. Et, par-dessus tout, de quitter ce garçon qui emplit de joie mon quotidien.
A l’aéroport, les « adieux » sont très durs. Tout comme moi, Anthony est triste comme les pierres.
— Je vais venir cet été, il me glisse, les yeux embués de larmes.
— Je vais compter les jours…
— Ne m’oublie pas… il me lance, triste à me fendre le cœur.
— Comment je pourrais t’oublier ? Tu es tellement adorable, je suis tellement bien avec toi !
Je le prends dans mes bras. Dans cette dernière, longue accolade, nos baisers se mélangent à nos larmes. Ses grands yeux tristes de labrador sont la dernière image que je garde de lui en passant le sas d’embarquement.
Je quitte New York le cœur en miettes. Je sais que j’ai eu une chance inouïe qu’il m’ait attendu.
Déjà, parce que je l’ai délaissé pendant mon voyage en Australie. Et puis, j’ai vu comment certains garçons le regardent dans la rue. Mon petit Anthony plaît, je ne sais même pas s’il se rend compte à quel point il plaît. Un garçon si mignon, avec son joli accent frenchie, livré à lui-même dans cette ville pleine de tentations, de regards, de désirs, peut se trouver rapidement sollicité. Je sais qu’il m’aime. Et je l’ai cru lorsqu’il m’a assuré qu’il n’avait pas été voir ailleurs. Mais d’autres mois de séparation se profilent devant nous. Et un moment de solitude, de mélancolie, de tristesse, de faiblesse peut arriver. Et ça peut être tentant de le combler avec un peu de compagnie. Et puis, tout simplement, nous sommes des garçons. Parfois, nous avons envie de nous sentir désirés, parfois nous avons tout simplement envie de sexe.
Encore, qu’il ait une aventure, s’il se protège et que je n’en sais rien, soit. Mais un danger plus grand se niche dans les rencontres possibles. Celui qu’il tombe sur un garçon qui le fasse vibrer, rêver davantage que moi. Un garçon « sur place ».
Ce garçon me rend tellement heureux. Je crois que je l’aime vraiment. A dix-mille mètres au-dessus de l’Atlantique, je prends une grande résolution. Lorsqu’il reviendra de son apprentissage à New York, où que son futur emploi l’amène, que ce soit loin de Toulouse, ou même de France, je suis prêt à le suivre. Je repense aux mots du pauvre M. Charles de Biarritz et à ses regrets de ne pas avoir suivi l’amour de sa vie sur un autre continent. Je me souviens de mon erreur avec Jérém, celui de ne pas être allé le voir en Australie des années plus tôt. Je ne ferai plus la même erreur. Je ne laisserai pas passer le Bonheur. Je suis prêt à suivre le garçon que j’aime au bout du monde.
Août 2018.
Après mon retour d’Australie, j’ai eu besoin de temps pour remettre de l’ordre dans mon cœur. Je savais que ça viendrait, mais je ne savais pas quand. J’ignorais quand j’aurais la force de me poser pour raconter le dernier chapitre de mon histoire, ce chapitre que je suis allé chercher en Australie.
Cette force, cette envie, s’est manifestée à moi quelque temps après les retrouvailles avec Anthony, à la veille de mes vacances d’été. Soudain, l’envie d’écrire s’est présentée à moi. Imposée à moi, plutôt. Soudain, j’ai eu envie de calme et de solitude pour me consacrer à cette maîtresse exigeante qui réclame une attention toute particulière.
D’emblée, j’ai pensé à Gruissan. Je me sens bien à Gruissan. J’ai plein de bons souvenirs à Gruissan. Des souvenirs des vacances avec ma cousine Elodie, de nos discussions interminables, de notre complicité parfaite. Des souvenirs de quelques garçons qui m’ont fait vibrer de désir à la plage. Des souvenirs de vacances avec Jérém, juste avant notre fabuleux voyage en Italie. Les jours heureux.
Gruissan me connaît bien. Gruissan me manque. Alors, c’est décidé, j’y retourne. Mais ce ne sera pas à l’appart des parents d’Elodie. Cette année, mes oncles ont choisi de le louer pendant la saison.
Je me suis souvenu d’un gîte en lisière du massif de la Clape sur lequel j’étais tombé une année au gré d’une balade. Je me suis souvenu du grand jardin ombragé par de grands pins parasol, de la charmante bâtisse en pierre, du chant des cigales, de cette ambiance de garrigue et de langueur estivale qui apaise l’esprit. Je me suis souvenu du nom du Gîte. J’ai appelé et, par chance, l’un des logements était vacant pendant la période de mes vacances.
Là-bas, je ne serai pas loin de Gruissan, mais je serai au calme. Je pourrai facilement me rendre à la plage pour me baigner, mais je serai loin de l’agitation du monde des vacanciers. Je serai loin des distractions. Là-bas, je pourrai passer de longues journées à avancer sur mon histoire sans être perturbé par le Masculin.
Jour 1.
Le gîte est un ancien mas reconverti en accueil touristique, une grande bâtisse en pierre jaune avec un toit en tuiles rose. Le tout posé au centre d’un grand jardin ombragé où règne un calme presque palpable, avec le concert incessant des cigales en fond sonore. Ici, le temps semble s’écouler au ralenti. Ici, on a envie de se poser et de se laisser porter. En quittant la route pour emprunter le petit chemin qui mène au mas, on a l’impression de laisser ses soucis derrière soi, d’être délesté de toutes ses tentations, de toutes ses pulsions, de tous ses regrets. Ce lieu a des allures de havre de paix hors du temps et de l’espace.
Marie-Line, la propriétaire des lieux, est une femme d’un certain âge, accueillante et avenante. Elle m’explique que j’aurai le gîte « La Clape » et que je serai tranquille car le deuxième gîte « La Plage » est occupé par Valentin, son petit-fils, qui vient de passer son bac et qui est animateur de camping à Gruissan pour se faire un peu d’argent, et qui n’est pas souvent là. Car, soit il rentre à pas d’heure, soit il découche.
Ma première rencontre avec toi, Valentin, je la fais donc à travers des mots de ta grand-mère. Et rien que ces quelques premiers éléments attisent furieusement ma curiosité à ton sujet.
Déjà, « Valentin » est un beau petit prénom de mec. « Il vient de passer son bac », ça donne une indication au sujet de l’insolence de ta jeunesse. Tu dois donc avoir 18 ou 19 ans. C’est l’âge de l’insouciance, l’âge de tous les possibles, de toutes les impertinences, de toutes les découvertes. « Animateur de camping », ça laisse imaginer un garçon exposé à d’infinis regards, un garçon désiré, convoité, sollicité. « Il rentre à pas d’heure », ça suggère un garçon qui aime faire la fête avec ses potes, un « couche-tard », « un fêtard ». Quant à la dernière indication « il découche », ça pourrait même indiquer un « petit queutard ». Il ne m’en faut pas plus pour me faire de toi l’image d’un beau petit con, possiblement bien foutu, charmant par destin et charmeur par choix délibéré. Ma curiosité piquée à vif, je suis très impatient de faire ta connaissance en vrai, p’tit Valentin.
Après m’être installé dans mon gîte, je sors faire quelques courses et je rentre pour dîner. Je lis un bouquin. Ce n’est que la nuit tombée que je me cale enfin devant mon ordinateur. Je m’installe à la table située juste à côté de ma porte d’entrée, que la chaleur de cette chaude soirée m’impose de laisser ouverte.
Le chant incessant des cigales se mêle au tapotement discret des touches de mon clavier et au très léger ronronnement du refroidissement de mon ordinateur, doux accompagnement de mes heures d’introspection et d’évasion dans le monde de mes souvenirs et de mes plus belles années.
Et très vite, tu « disparais » de ma mémoire, p’tit Valetin. Car, si je te fantasme déjà, je ne te connais pas encore. De ce fait, ta présence n’a pas encore marqué mon esprit de façon indélébile comme une image aurait impressionné la pellicule d’un appareil argentique.
Mais tu ne vas pas tarder à faire ton apparition dans ma vie. Une entrée marquante, fracassante même.
Il est environ deux heures du matin lorsque ton arrivée m’est annoncée par le bruit d’un moteur de voiture, d’un claquement de porte dans l’allée de la maison, puis par le crissement de baskets sur les gravillons de la cour. C’est un pas rapide, cadencé, lourd. Pas de doute, c’est un pas de jeune mec.
Je détourne le regard de mon écran pour le glisser dans l’embrasure de ma porte d’entrée. Et là, je vois une silhouette avancer rapidement dans la cour et approcher du mas. Et lorsque tu sors de la pénombre, lorsque tu arrives dans le champ d’action des lumières du jardin, j’ai envie de hurler de toutes mes forces :
« Oh, p-u-t-a-i-n, Valentin, mais qu’est-ce que tu es beaaaaaaaauuuuuuuuuu ! ».
Tu n’es ni petit ni très grand, je dirais un mètre soixante-dix environ. Tu arbores une belle petite gueule aux traits à la fois quelque peu enfantins et déjà masculins, un brushing de bogoss – les cheveux bruns coupés à blanc autour de la tête, insolemment plus longs au-dessus, coiffés de façon instable vers l’avant, t’obligeant à les rajuster régulièrement avec ta main, geste que tu fais en traversant le jardin – l’ensemble te donnant un air canaille à craquer !
Et puis, il y a la tenue. Ce soir, tu portes un t-shirt assez ajusté pour mettre en valeur ton torse élancé, tes pecs déjà bien dessinés, pour coller à tes biceps. Le t-shirt est noir comme pour bien insister sur ta brunitude. Tu portes également un short en jeans avec les lisières plus claires, des baskets blanches, et un sac à dos rouge sur les épaules. Une tenue très « p’tit mâle sexy ».
Je ne peux m’empêcher de me demander si tu rentres directement du taf ou bien si tu as passé du temps avec tes potes. Est-ce que tu étais avec une nana ?
Et, pour achever le tableau, il y a l’attitude. Tu traverses le jardin d’un pas assuré et nonchalant, et d’emblée je me prends à imaginer que cela puisse refléter ta façon de traverser ta jeunesse, en profitant des meilleures années de ta vie sans trop te poser des questions, en regardant tout droit devant toi, sans remords, sans regrets. Avec le sentiment que rien ne peut te résister, rien ne peut t’atteindre. L’air de te sentir tout puissant, invincible, et immortel. C’est beau l’insouciance. Je crois que cela est même l’une des définitions de la jeunesse.
Ta présence tout entière dégage une telle impertinence que ça en donne le tournis. Ton allure me fait immédiatement te caser dans la catégorie de bogoss que j’appelle « le parfait p’tit con à la fraîcheur bouleversante ». C’est fou comme tu me fais penser à Jérém, lorsqu’il avait ton âge.
Tu approches de la bâtisse, et de moi, et mon regard est toujours rivé sur toi. Comment pourrait-il en être autrement ? Le mélange de beauté et de jeunesse est une drogue dure et violente, elle crée une addiction instantanée. J’ai désormais besoin de m’abreuver de ta présence, sans discontinuer.
Tu m’aperçois enfin, nos regards se croisent. Ça ne dure qu’une fraction de seconde, le temps que je réalise à quel point le mien puisse sembler déplacé. Mais dans le reflet du tien, j’ai le temps de percevoir une certaine douceur, pourtant mélangée à une insolence certaine. J’ai le temps de percevoir l’esquisse d’un petit sourire qui m’apporte un frisson inouï.
— Bonsoir, tu me lances, sur un ton anodin, sans doute par politesse vis-à-vis d’un client de ta grand-mère. Ta voix est douce, mais déjà virile.
— Bonsoir, je te salue, définitivement chamboulé par ton arrivée.
Comme une comète, ta trajectoire t’amène à t’approcher de moi, à environ deux mètres, puis à l t’éloigner à nouveau, tout droit vers ton logement situé juste à côté du mien.
Contact fugace, mais intriguant. Je n’en ai pas assez, j’ai envie de te regarder encore et encore, mais de plus près, de m’imprégner de ta beauté, de ta jeune mais déjà affolante virilité. Mais tu ne t’arrêtes pas. De toute façon, tu n’as aucune raison de t’arrêter. Tu ne me connais pas, je ne suis qu’un « type » de passage, et pas non plus du genre causant ou avenant, et surtout pas du genre à avoir le culot et le moyen de faire la conversation à un beau garçon comme toi. Même pas pour lui demander s’il a pleine conscience de sa beauté bouleversante.
Mais alors que je m’attends à t’entendre rentrer dans ton logement, j’entends le bruit du sac qui rencontre le sol sans trop d’égard, puis celui du frottement de la pierre d’un briquet. Tu fumes, petit mec. Je tends l’oreille et j’entends le bruit léger de tes expirations. Des volutes de fumée passent devant l’embrasure de ma porte, et l’odeur de la cigarette arrive jusqu’à mes narines. Je crève d’envie de sortir, de poser une nouvelle fois mon regard sur toi, de te mater en train de fumer. Je suis certain que la cigarette doit te rendre encore plus sexy.
Mais je n’ose pas. Mes jambes n’obéissent pas à mon désir. Les secondes passent, une minute, deux minutes. Je t’entends pousser une expiration un peu plus appuyée que les autres, que je devine être la dernière. Je t’entends bouger, ramasser ton sac à dos. J’entends le bruit de la porte qui s’ouvre, qui se referme derrière toi, accompagné d’un petit grincement des gonds qui, je l’ignore encore à cet instant, va vite devenir la signature sonore de l’achèvement de ces nuits d’été.
Je tombe de fatigue, et je sais pertinemment que je n’ai plus rien à attendre de cette nuit chaude. Je sauvegarde mon fichier, je ferme mon ordinateur et la porte de mon gîte. Je me glisse dans mon lit, j’éteins la lumière. Et dans le noir, je me branle en pensant à toi, beau Valentin, juste de l’autre côté de la cloison. Je me branle, mon excitation décuplée par les bruits venant de « ton côté », qui me parlent de ta présence. Celui de la douche, sous laquelle tu restes un bon petit moment, celui des sons des notifications de ton téléphone qui m’intriguent un peu plus à chaque fois.
Et je jouis en pensant à toi, beau jeune mâle de près de vingt ans mon cadet, et néanmoins capable, en une poignée de secondes, d’éveiller en moi un désir brûlant.
Juste avant de m’endormir, une chanson résonne dans ma tête :
Il venait d'avoir 18 ans
Il était beau comme un enfant
Fort comme un homme
https://www.youtube.com/watch?v=WEHzqKQDXuQ
Je suis venu ici chercher de la tranquillité pour l’esprit. Mais je sais déjà que c’est foutu. Car ta présence va me hanter pendant tout mon séjour.
Septembre 2018.
Anthony n’a pas pu venir en France pendant l’été comme prévu. Son travail l’en a empêché.
Pendant ces longs mois de séparation, j’ai été occupé. J’ai passé mes vacances et mes congés à écrire. Le récit de mon histoire avec Jérém enfin terminé avec le chapitre consacré à mon voyage en Australie, j’ai senti qu’une page se tournait dans ma vie. Et que la nouvelle page qui s’offrait à moi était emplie par le bonheur que m’apportait un garçon au blouson bleu.
Et pourtant, je n’ai pas tardé à réaliser que dans cette nouvelle page, il y avait comme un vide.
Depuis près de dix ans, l’écriture m’a permis de me trouver moi-même, elle m’a appris à me connaître. Elle a été mon amie fidèle, ma confidente, mon pansement, l’instrument de ma rééducation sentimentale.
Et je crois bien qu’au fil du temps, elle est devenue bien plus que ça. L’écriture a été pour moi un clair exemple de sérendipité. Une découverte qui s’est avérée fructueuse bien au-delà de l’objectif visé au départ. En cherchant à essuyer mes larmes, j’ai trouvé une source de joie.
Alors, après avoir mis le mot fin à mon histoire, cette source de joie m’a très vite manqué. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû y revenir.
Je ne suis pas allé très loin pour chercher mon inspiration. J’ai repris les centaines de pages consacrées à « Jérém&Nico » et j’ai commencé à les trier et à les structurer. Ce long journal intime, qui au départ n’était destiné qu’à moi-même – sorte de « Pensine » de Dumbledore dans laquelle déposer mes souvenirs pour ne pas les oublier, ma nostalgie et ma solitude pour m’en délester – a peu à peu pris une autre direction.
C’est à l’automne 2018 que le projet « Julien & Nathan » a commencé à prendre forme dans ma tête.
« Julien & Nathan » est l’histoire de deux camarades de lycée qui deviennent amants à la veille du BAC et dont la relation se poursuit pendant de nombreuses années jusqu’à leur séparation.
Je suis curieux de voir où est-ce que cette nouvelle aventure narrative va me conduire.
Martres Tolosane, le mardi 16 octobre 2018.
Aujourd’hui, Jérém a 37 ans.
J’ai très envie de l’appeler. Mais j’y renonce. Le décalage horaire, ainsi que la présence d’un garçon dans sa vie, tout cela rend délicate la tâche de trouver le moment opportun pour envisager un coup de fil. Et puis, je crois que malgré tout, entendre la voix de Jérém venant de vingt mille bornes de distance ce serait trop dur pour moi. Je me contente de lui envoyer un message.
« Bon anniversaire, Jérém ».
Sa réponse ne tarde pas à arriver. Elle aussi, par message. Le décalage horaire, j’imagine, et tout le reste, pour lui aussi…
« Merci, Nico ».
Et puis le silence, à nouveau.
Launaguet, le lundi 31 décembre 2018.
Anthony est revenu pour les fêtes de fin d’année. Il est venu avec son frère et sa belle-sœur. Nos retrouvailles ont été pleines d’émotion, de larmes, de bonheur.
Ce soir, toute la famille d’Anthony est réunie pour le réveillon dans la maison de Launaguet. Ses parents, que je rencontre pour la première fois, se montrent aux petits soins pour moi. Ce soir, je me sens bien. C’est tellement bon de se sentir accepté. C’est tellement bon de voir que, malgré la distance, « Anthony&Nico » est une histoire qui roule. Une nouvelle histoire à l’affiche de ma vie.
Et pourtant, à l’approche de minuit, une pensée m’échappe, et je n’arrive pas à la rattraper. Elle s’envole de moi, se perd dans le ciel, dans le temps et dans l’espace. Elle s’envole à l’autre bout de la planète. Dans quelques minutes, l’année 2018 va se terminer. Elle a été l’année de mes retrouvailles avec Jérém. Et elle a certainement été aussi celle de nos adieux.
Mais ce soir, entouré par l’amour d’Anthony et par la bienveillance de sa famille, je me sens fort, je me sens bien. Je me sens en bonne voie de guérison. Ça viendra, j’en suis convaincu.
La vie est belle.
L’année 2019.
Anthony a attendu le lendemain du Jour de l’An pour m’annoncer que « Boys and the city » a été renouvelé pour une année supplémentaire et qu’on lui a proposé de rester travailler à New York sur ce projet jusqu’après l’été. Je suis triste de le voir repartir pour plusieurs mois. Mais je suis heureux pour lui, heureux de sa réussite, de son bonheur. Je prends sur moi, et je l’encourage à poursuivre son rêve.
En ce tout début d’année, je me sens enfin prêt à partager mon histoire avec lui. Une nuit, je condense près de dix ans d’écriture dans un texte de dix pages, « De la cour du lycée de Toulouse à la plage de Bells Beach », que je lui envoie par mail lorsqu’il est dans les airs au-dessus de l’Atlantique.
Deux jours plus tard, je reçois deux dessins. Sur l’un, un garçon en t-shirt noir et casquette à l’envers est en train de discuter avec des potes sous un arbre, alors qu’un autre garçon se tenant à l’écart le regarde, visiblement aimanté par sa présence. Sur le second, deux hommes sont assis côte à côte sur la plage et semblent regarder l’horizon, tout en semblant nostalgiques.
Martres Tolosane, le mardi 12 mars 2019.
Il y a un an, j’étais à Bells Beach avec Jérém.
Je n’ai pas de ses nouvelles depuis, à part mes vœux pour son anniversaire, et je crois bien que je n’en aurai plus jamais.
La vie continue, à chacun la sienne.
J’espère qu’Ewan sera là pour lui pendant longtemps. J’espère qu’il est et qu’il sera heureux avec Ewan, je l’espère, de tout mon cœur.
Je ressens un certain apaisement en regardant le passé devenir enfin le passé.
Martres Tolosane, le vendredi 4 juin 2019.
Après la sortie officielle de nombreux titres sur les plateformes officielles, le nouvel album « Madame X » est enfin livré. Un nouvel album de Madonna est un événement pour le fan que je suis, d’autant plus qu’il sort 4 ans après le précèdent, et qu’il est le dernier prévu au contrat avec sa maison de disque. A 61 ans désormais, on est en droit de se demander s’il y aura un autre contrat et un autre album, un jour.
Je dévore les quelques titres encore inédits et je me laisse porter par la très belle surprise musicale qu’est « God Control », pamphlet contre les armes à feu en vente libre aux Etats Unis, et « Batuka », évocation de l’horreur de l’esclavage.
Dans un registre un peu plus fun, pour le titre d’ouverture de l’album, « Medellin », Madonna est accompagnée par cette bombasse colombienne qu’est Maluma.
https://www.youtube.com/watch?v=b8PtBzdiZ3g
Pendant l’été, je prends deux semaines pour aller retrouver Anthony à New York.
Octobre 2019.
C’est au début de l’automne qu’Anthony revient enfin en France. En attendant de voir venir, je lui ai proposé de venir s’installer directement chez moi à Martres Tolosane. Et il a accepté.
Près de deux mois que je ne l’ai pas vu en vrai. Et je le trouve plus mignon et craquant que jamais.
Dans ses valises, Anthony a de belles planches à me montrer, des instantanés de bonheur entre petits mecs. Son trait s’est encore amélioré, il a trouvé un style original et attachant pour célébrer la beauté du Masculin dans toutes ses nuances. C’est réaliste, poétique et sensuel, tout à la fois.
— J’aimerais dessiner une vraie histoire, mais je n’ai pas de scénario, il m’avoue un jour.
Martres Tolosane, le samedi 19 octobre 2019.
Quelques jours après le retour d’Anthony, près de deux ans après notre première rencontre, j’organise enfin les présentations avec mes parents, chose que je n’ai pas eu l’occasion de faire jusqu’à présent.
C’est également l’occasion de leur annoncer qu’Anthony a eu une proposition de travail à Paris, ainsi que notre intention de nous installer dans la capitale dès le printemps 2020.
En évoquant Paris avec mes parents, des souvenirs remontent. En pensant à Jérém, je réalise que pour la première fois de ma vie, j’ai oublié son anniversaire trois jours plus tôt.
Toulouse, réveillon de Noël 2019.
C’est Papa qui m’a proposé de fêter le réveillon de Noël en famille, avec Anthony. Je suis heureux de voir que mes parents ont bien accepté le garçon qui emplit ma vie de lumière.
— Il est vraiment charmant ce garçon, me glisse discrètement Maman, alors que nous sommes tous les deux dans la cuisine en train de couper le rôti.
— Il est adorable ! je confirme.
— Tu es heureux avec lui ?
— Très heureux, comme je croyais ne plus pouvoir l’être un jour.
— Je suis très heureuse pour toi !
— Merci Maman.
— Il a l’air très amoureux.
— Je le suis aussi.
— Aimer et être aimé, c’est quelque chose de précieux.
— Je sais, Maman.
— Il faut choyer chaque jour l’Être qui nous rend heureux.
— Je fais de mon mieux. C’est pour ça que je pars à Paris avec lui.
— Tu vas me manquer, P’tit Loup !
— Toi aussi, Maman !
L’année 2019 se termine avec un horizon plus que jamais dégagé pour moi.
Un horizon à peine assombri par une info inquiétante qui commence à circuler dans les actualités. Mais les autorités se veulent rassurantes. Ce virus est loin, et il n’arrivera pas jusqu’à nous.
L’année 2020.
Un an que j’ai acheté les tickets, un an que j’attends ce rendez-vous avec la plus grande impatience.
Mais à l’approche de la date du concert, l’inquiétude grandit. Madonna souffre d’une fragilité au genou et à la hanche. Dans les villes américaines, certains soirs les concerts sont écourtés. Des annulations commencent à tomber, au gré du bulletin de santé de la Star.
« C’est pour moi une punition de ne pas pouvoir assurer mon show ce soir » écrit-elle dans l’un de ses posts Instagram.
J’ai prévu d’y aller le 8 mars avec Anthony, et d’y retourner seul le 11 mars, date du tout dernier spectacle de la tournée. J’espère pouvoir assister à au moins l’une des deux dates.
Paris, début mars 2020.
Anthony et moi nous sommes rendus à Paris quelques jours avant les concerts. Anthony a rencontré son futur employeur, et a signé son contrat de travail. Nous avons visité plusieurs logements, et nous en avons retenu un qui nous a plu. Notre future installation se concrétise. Elle est prévue pour la mi-avril. J’ai donné ma démission à Toulouse, et j’ai commencé à chercher du travail sur place. Ça n’a encore rien donné, mais je reste confiant.
A Paris, dernière ville de la tournée, Madonna doit se produire une quinzaine de fois au Grand Rex entre fin février et mi-mars. Mais après des mois de concerts, la fatigue s’accumule, ses douleurs s’accentuent, et les annulations sont de plus en plus fréquentes. Je croise les doigts, ceux des mains et ceux des pieds.
Finalement, le spectacle du 8 mars est maintenu.
Ça fait bizarre de venir retrouver Madonna dans une salle de moins de trois mille places, après l’avoir vue en concert dans des arénas et des stades. Mais l’ambiance plus « intime » offre une expérience différente avec l’artiste. Elle interagit davantage avec le public que par le passé.
Oui, Madonna a mal au genou et à la hanche. Ça se voit, ses mouvements sont parfois gênés. Oui, Madonna est humaine, elle est faite de chair et de sang. C’est dur mais il faut s’y faire, le meilleur de sa carrière est derrière elle. Un jour, elle sera obligée de raccrocher.
Mais qu’importe, elle avance, comme elle l’a toujours fait, malgré les coups durs et les critiques. C’est ça qui me touche chez elle, sa résilience, son coté fonceuse.
« La chose la plus controversée que j’ai faite dans ma vie, est de m’accrocher » est justement le propos initial du Madame X Tour.
Je suis ravi par cette soirée. Et Anthony a l’air de l’être tout autant que moi. Je m’estime chanceux d’avoir pu y assister, d’autant plus après avoir craint une annulation jusqu’à la dernière minute.
Les deux dernières dates de la tournée, celles du 10 et du 11 mars 2020, sont annulées non pas à cause de sa condition physique, mais à la suite des dispositions du gouvernement pour tenter de faire face à la pandémie du COVID19 qui a finalement réussi à arriver jusqu’à nous.
Martres Tolosane, le mardi 17 mars 2020.
Et puis, un jour, le monde s’est arrêté de tourner. Du jour au lendemain, des millions de gens se sont vu notifier une interdiction de circuler sur le territoire national.
Le premier confinement vient de tomber. Et, avec lui, une avalanche d’infos anxiogènes.
Un virus mortel sorti d’un laboratoire chinois. Accident ou sabotage ? On évoque un complot entre le pangolin (animal inconnu jusque-là) et les chauves-souris. Une affection pour laquelle il n’existe ni de vaccin, ni de traitement efficace. Les infos officielles font état de morts, nombreux, de services d’urgences saturés.
Même pas de masques disponibles pour se protéger. La peur de la contagion. La peur pour nos proches.
Un pays à l’arrêt, un confinement qui est sans cesse rallongé, des gens pris de psychoses qui font des provisions pour des régiments, les difficultés de réapprovisionnement, les étals des supermarchés qui se vident, des images de pays en guerre.
Les chaînes télés qui multiplient les éditions spéciales et les intervenants autoproclamés experts, contribuant ainsi à l’alarmisme et la diffusion de la psychose. Les annonces parfois contradictoires et incohérentes des autorités. Les désaccords dans le monde scientifique. La perte de confiance dans les institutions et autorités politiques, sanitaires et scientifiques. Des prévisions apocalyptiques. Les théories du complot qui fleurissent de partout. Internet qui plus que jamais se substitue à la vie réelle et qui se fait vecteur de la désinformation.
Bref, un monde qui semble partir totalement à la dérive.
Perso, si je fais abstraction du fait que le confinement reporte notre installation à Paris, ainsi que d’une certaine crainte pour mes proches, je vis plutôt bien cette période. Je suis confiné avec le garçon que j’aime et avec mon labrador, soit les deux êtres qui m’apportent le plus de bonheur au monde.
Je profite de cette période surréaliste pour avancer dans le projet « Julien&Nathan ». J’en fais lire des extraits à Anthony, qui a l’air d’apprécier. C’est lui qui m’encourage à diffuser mon histoire sur le Net. Je repère un site qui publie des histoires entre garçons. J’en lis certaines. J’en apprécie quelques-unes.
J’hésite à poster mon premier texte. Car, même si j’ai changé pas mal de choses par rapport au premier jet, il reste beaucoup de moi dans cette histoire romancée. Malgré la protection garantie par l’anonymat, l’idée de publier mes écrits me donne l’impression de me mettre à nu.
Après une longue hésitation, je décide de me lancer. C’est décidé. Le premier épisode de mon histoire, « Julien a 19 ans » va paraître. Après avoir longtemps hésité, je finis par cliquer sur le bouton « Poster ».
Et là, il se produit quelque chose que je n’avais pas prévu. Les jours se suivent sans que rien ne se passe. Deux, trois, dix jours. L’attente me paraît interminable. Je finis par me dire que les modérateurs ont dû trouver ça nul, qu’ils ont foutu ça à la poubelle en se moquant de l’« auteur ».
Et lorsque ça paraît enfin, je sens mon cœur bondir dans ma poitrine. Et je ne suis pas rassuré pour autant. Je me dis que personne ne va le lire, et que si quelqu’un devait le faire, il trouverait ça ridicule. Je n’ose même pas imaginer recevoir des commentaires, qui me démoliraient à coup sûr.
Et non, contre toute attente, le compteur des vues se met à tourner. Dix, cent, mille. Il se stabilise autour de 3500. Quelques commentaires apparaissent, et sont même plutôt élogieux.
— Tu as vu ? fait Anthony, plein d’enthousiasme. Tu as un vrai talent, Nico, n’en doute pas !
Mais l’engouement d’Anthony ne s’arrête pas là. Un jour, de retour de ma sortie courses, une surprise m’attend. Sur la table du séjour est posée une feuille A3. L’espace est divisé en cases de différentes dimensions. Et les visuels, les personnages, les situations, les décors ébauchés dans ces petits espaces me rappellent étrangement une histoire.
Première case, un garçon, prénomme Nathan sa balade dans des allées un jour de grand vent. Cases suivantes, le même garçon hésite, puis recommence à avancer vers sa destination. Il arrive face à un petit immeuble, il appuie sur une sonnette, monte des escaliers. Un autre garçon, prénommé Julien lui ouvre la porte en affichant un sourire ravageur et conquérant.
Le trait est épuré, sobre, et pourtant précis, net. C’est beau, spontané, émouvant. C’est tellement saisissant que de voir mon histoire mise en images. De voir mes souvenirs mis en images. J’en ai les larmes aux yeux.
— Tu aimes pas ? m’interroge Anthony en rentrant du jardin avec Galaak.
— Si, j’adore !
— Si tu es d’accord pour me céder les droits, je crois que j’ai trouvé le scénario de ma première BD…
Depuis ce jour, Anthony s’est attelé à mettre en images les premiers épisodes de mon histoire. Les planches s’entassent rapidement. Le petit brun me demande souvent mon avis sur ses dessins, sur la représentation de tel ou tel personnage, d’un visage, d’une attitude, d’une mise en scène, d’un décor. Il est très attaché de mon texte et il semble vraiment mettre un point d’honneur à respecter fidèlement mes intentions narratives.
Et moi, je suis ravi du résultat. Ses dessins, ce regard tendre qu’il porte sur les garçons, ce trait si particulier qui est le sien, subliment l’univers de mon histoire. Mes personnages sont plus vivants que jamais.
Les jours, les semaines de confinement défilent dans une ambiance créative très stimulante. Je passe mes journées à écrire, Anthony passe ses journées à dessiner. Ce travail en tandem est vraiment très excitant. Notre complicité n’a jamais été aussi forte que depuis que nous partageons ce projet.
L’énergie créative est une force puissante qui illumine nos journées, allant jusqu’à exacerber notre libido. J’ai tout le temps envie de lui. Et Anthony n’est jamais en reste. Nous faisons l’amour, souvent. L’énergie sexuelle est une énergie puissante qui illumine elle aussi nos journées, allant jusqu’à exacerber notre créativité. Un sublime cercle vertueux.
Pendant toute cette période, je finalise et publie un épisode par semaine. Un lecteur me contacte en message privé et me propose de faire une relecture avant publication pour vérifier l’orthographe et me donner ses premières impressions. Bien évidemment, j’accepte son aide bienvenue.
L’écriture m’accapare totalement, et je ne vois pas le temps passer. Parfois, du matin au soir, je ne me lève de mon ordi que pour aller aux toilettes et pour manger un bout. Je suis tellement happé par les destinées de mes personnages que j’ai tendance à moins m’occuper de Galaak.
Parfois, au bout de longues heures passées à l’ordi, le Labranoir vient se manifester pour obtenir un peu de mon attention. Il vient à mon bureau, il se colle contre ma jambe, il déplace ma chaise à roulettes avec toute sa masse, il pousse mon avant-bras avec son museau pour que je le décolle du plan de travail, et mes mains du clavier, il me montre fièrement la « carotte » qu’il tient dans la gueule, tout en la mâchouillant pour la faire « chanter » (elle a remplacé le ballon de rugby, ayant cessé de faire « pouic pouic » sous ses crocs, paix à son âme), et il finit par la faire tomber juste à côté de moi.
Lorsqu’il vient me bousculer de la sorte, je sais que je ne me suis pas assez occupé de lui, et je m’en veux. Je m’octroie une pause, et je lui donne un peu de mon temps. Je caresse son corps massif, son museau tout doux. Lorsque je lui caresse le poitrail, il est comme en état d’hypnose. Et je peux en faire ce que je veux, saisir ses grosses patounes, le faire rouler sur le dos, comme une boule. Ce chien est prêt à jouer dès qu’on le touche. Je me ressource de sa douceur, je suis ému par son excitation pour une carotte en plastique qui fait « pouic pouic », un son qui est presque sa voix, la voix de Galaak.
Mais parfois, je résiste à ses appels au jeu et au partage. Il arrive que son envie de jouer tombe au mauvais moment, lorsque je suis au beau milieu d’un passage « important », un moment où je ne peux pas quitter le clavier, de peur de perdre le fil de mon récit. Alors, je lui demande d’attendre, encore. Parfois, quand je suis enfin disponible, Galaak est déjà retourné sur son tapis, il est enroulé en boule, endormi, et il n’a plus envie de jouer.
Je m’en veux terriblement de ne pas savoir lui donner plus de mon temps. Je sais que l’horloge tourne, Galaak va déjà avoir 9 ans ! Du poil blanc a fait peu à peu son apparition sous son menton. Il me fait de plus en plus penser à Gabin ! Je sais que je devrais profiter davantage du temps qui nous reste. Je sais que je vais regretter le temps que je ne lui aurai pas consacré.
Début mai 2020.
Après plusieurs reports, le confinement est enfin levé. Le monde reprend peu à peu son rythme habituel. Mais les gestes barrière demeurent d’actualité. Et parmi eux, l’un est particulièrement dérangeant. Je veux bien entendu parler de l’obligation du port du masque dans l’espace public. D'abord manquant, puis conseillé, imposé, subi, critiqué, détesté, il est désormais partout.
C’est un simple bout de papier ou de tissu qui cache la moitié inférieure du visage. Il dissimule la bouche, les lèvres, nous prive de ce cadeau précieux qu’est le sourire d’un garçon. Le masque qui crée la frustration, qui tente de bâillonner la bogossitude.
Mais la bogossitude refuse pourtant de se laisser censurer, elle trouve d’autres moyens pour s’exprimer. Comme dans le regard. Un regard qui est devenu généralement plus charmant, plus charmeur, plus appuyé, plus intriguant, plus intrigué, plus insistant, plus mystérieux, plus interrogateur.
En cette période de déguisement, la bogossitude se laisse imaginer, deviner, désirer, fantasmer.
Anthony et moi profitons de ce retour à la normale, que certains annoncent d’ores et déjà comme n’étant pas définitif, pour finaliser notre installation à Paris. Ça me fait bizarre de remonter à la capitale après toutes ces années. Je crois que je n’y suis pas retourné depuis l’agression il y a bientôt quinze ans. Ça me fait tout drôle de remonter à Paris et de ne pas y aller pour voir Jérém.
Un soir, Anthony me propose de monter à Montmartre pour dîner. Le petit brun ignore les souvenirs que cette ascension, que ce lieu, que cette soirée font remonter en moi. Je n’ai pas envie de lui en parler, de prendre le risque de gâcher ce moment, sa bonne humeur, son enthousiasme. Mais les souvenirs sont là, et je dois produire un effort considérable pour ne pas les laisser m’envahir. Je redouble d’attention pour le petit brun, et tout se passe bien.
Eté 2020.
Nous profitons de l’été et de l’absence du confinement pour prendre quelques vacances. C’est bon de retrouver le plaisir de sortir de chez soi et de circuler sans restriction.
En redescendant de Paris, une halte au Futuroscope ravive de nouveaux souvenirs. Quelques jours au Pays Basque en réveillent d’autres encore.
Les souvenirs des jours heureux avec Jérém sont partout. Je ne peux pas y échapper. Je ne peux pas les éviter. Il va falloir apprendre à vivre avec.
Septembre 2020.
A la rentrée, Anthony prend enfin son poste dans la boîte parisienne qui l’a embauché. Son taf consiste à réaliser des visuels pour des publicités et des sites Internet. Un job « alimentaire » lui permettant d’avoir un salaire correct, tout en continuant à dessiner à côté, en attendant de terminer le premier volume de son adaptation de mon histoire, sobrement intitulé « Julien, qui est-il ce garçon ? », titre qui est une référence à un tube de Madonna, « Who’s that girl ? ».
C’est un travail de longue haleine auquel Anthony se consacre avec acharnement et passion. Ça se voit qu’il a ça dans le sang, qu’il est dans son élément, et qu’il est heureux quand il dessine.
Avant de voir le petit brun à l’œuvre, je ne réalisais pas la masse de travail que représente la création d’une BD, plus imposante encore que l’écriture elle-même.
Octobre 2020.
Les oiseaux de mauvais augure ne s’y étaient pas trompés. Ça n’en était pas fini avec cette sale bête de COVID. Lors d’une intervention à la télé, notre Manu national nous annonce un deuxième confinement à partir du 30 octobre.
C’est à ce moment, pendant cette nouvelle période qui nous offre beaucoup de temps pour nos passions respectives, que nous décidons de nous lancer dans un nouveau projet. Celui de créer un site Internet pour héberger mes écrits et ses planches. C’est Anthony qui s’attèle à concevoir l’environnement numérique qui va accueillir nos loulous.
Le site « julien-nathan.com » voit le jour le 1er décembre 2020.
http://www.jerem-nico.com/julien-nathan-com-a215457009
Au fils des semaines, je constate une forte tendance des lecteurs à migrer vers le site nouvellement crée. Je dois beaucoup au premier site où j’ai publié mes écrits, car il m’a permis une visibilité que je n’aurais pas pu atteindre par moi-même. Je continue d’ailleurs à y publier les épisodes de mon histoire. Mais julien-nathan.com est plus soigné (Anthony a fait un très beau travail), uniquement centré sur mon histoire, magnifiée par les quelques dessins qu’Anthony y a publié. Et les lecteurs apprécient.
Les commentaires sont nombreux. « Julien et Nathan » est en train d’attirer un certain public de « fidèles ». Parmi eux, beaucoup d’hommes gays, bien entendu. Certains m’ont raconté s’être reconnus dans mes personnages, dans leurs hésitations, leurs bonheurs, leurs désirs, leurs peurs, leurs erreurs. Ils m’ont affirmé que mon histoire avait ravivé des souvenirs. Qu’elle les avait accompagnés lors d’un cap difficile de leur vie, d’une rupture, ou dans ces périodes surréalistes de confinement. Certains d’entre eux sont devenus des amis.
J’ai été étonné de recevoir également de nombreux retours de la part de femmes de tout âge. Intrigué, j’ai voulu savoir ce qu’une nana pouvait bien trouver « intéressant » dans une histoire entre garçons. Il en est ressorti que l’élément « marquant » de ce genre de récits est le côté « interdit », clandestin, entravé, toujours présent. Dans les histoires entre garçons, il y a souvent des obstacles – l’amour impossible, à sens unique, le regard de l’autre, des autres, le rejet de la société, la difficulté à s’assumer – qui rendent le bonheur plus difficile à atteindre, et donc plus « précieux ». C’est le côté « Roméo et Juliette », en version « Roméo et Julien », bien entendu, qui semble faire mouche.
L’année 2021.
L’année 2021 commence plutôt bien. Dans le monde, car des vaccins contre le COVID sont annoncés. Une sortie définitive de l’époque COVID se laisse entrevoir. La campagne de vaccination se met en branle. Les antivax, aussi. On ne sait plus qui croire, qui écouter.
Perso, il me semble que la validité d’une solution à un problème se situe toujours dans le point d’équilibre entre avantages et inconvénients, entre bénéfices attendus et risques encourus. Et c’est toujours par le vaccin que l’Humanité a vaincu des épidémies virales.
Cette année commence également très bien pour Anthony et moi. Mi-janvier, nous recevons sur notre site « Julien&Nathan » un mail venant d’un éditeur parisien qui se dit très intéressé par la publication de mes écrits et des planches d’Anthony.
Nous convenons d’un rendez-vous, début février. Au cours de cette première rencontre, un projet de publication est discuté. Quelques suggestions sont exprimées par le directeur de publication, à la fois pour mon livre et pour la BD.
Les termes de l’accord nous semblent corrects, et une semaine plus tard, nous signons notre premier contrat d’auteurs.
La publication du premier livre et de la première BD est prévue pour le mois de mai 2021. Le temps est compté, mais nous mettons les bouchées doubles. C’est grisant d’avoir ce projet commun. Cette considération, cette estime réciproque du travail de l’autre rend notre amour encore plus pétillant, plus excitant. L’amour avec Anthony est un pur bonheur. Je ne croyais pas retrouver un garçon avec qui je partagerais autant de plaisir.
Début avril, la saison 3 de la série « Confinement » est annoncée sur tous les écrans. Une nouvelle pause hors du temps qui nous file un sacré coup de main pour arriver à livrer nos « manuscrits » dans les temps.
Paris, le mercredi 12 mai 2021, 18h16.
C’est en préparant le dîner que je découvre pour la toute première fois son regard, sa douceur, sa force, son courage, sa droiture, et son combat.
https://www.youtube.com/watch?v=6OFCDQr6obQ
Ce garçon crève littéralement l’écran. Ce garçon est beau, terriblement beau. Non seulement parce qu’il est à la fois bogoss et puits à câlins. Mais parce que c’est un garçon lumineux, solaire, terriblement émouvant. Ce garçon est beau à l’intérieur.
Ce soir, il vient dénoncer la mentalité qui l’a détruit moralement et qui l’a privé de sa chance d’avoir une belle carrière dans le foot professionnel. Il vient dénoncer cette culture de l’homophobie qui détruit des jeunes hommes et des jeunes femmes. Mais il ne vient pas en criant, en accusant, en nommant. Il vient raconter ce qu’il a vécu, en montrant les dégâts que cela a occasionné, et en demandant que ça change. Ses propos sont justes, touchants, bouleversants.
Ses mots ont un écho tout particulier en moi, car elles me ramènent à l’agression dont nous avons été victimes Jérém et moi, et à cette ambiance homophobe qui a détruit la carrière de Jérém. Ce soir, je me sens révolté comme jamais par l’Injustice.
La voix de Ouissem est belle. Non seulement parce qu’elle est douce et chaude, comme le reflet de la nature profonde de son esprit, mais parce qu’elle porte un message de tolérance, de bienveillance et d’espoir.
Son plus beau message, c’est de voir qu’il a surmonté tout ça, qu’il a dit adieu à la honte, qu’il a accepté qui il est, qu’il s’est battu et est devenu ce qu’il est. Et que l’homophobie, et la souffrance qu’elle engendre, ne sont pas une fatalité. Et que se reconstruire après avoir été détruit, c’est possible aussi.
Son histoire est un bien bel exemple de résilience, de force, de noble courage, un espoir pour ceux qui doutent, qui ont peur, qui se cachent. Un témoignage pour tenter de faire changer les mentalités de ceux qui oppriment.
Seule la parole peut faire avancer les choses. Et il faut des gens comme Ouissem pour la porter, pour la faire entendre au plus grand nombre, pour montrer qu’on ne doit pas avoir honte de qui l’on est, qu’on a le droit d’être soi-même, qu’on n’est pas seuls et qu’il ne faut pas laisser la peur, et encore moins les autres, décider pour nous.
J’ai tellement envie de serrer ce garçon dans mes bras !
Lorsque sa belle petite gueule à bisous disparaît de l’écran et que la pub arrive, je réalise que ma pizza a commencé à cramer dans le four.
Paris, le mercredi 26 mai 2021.
La maison d’édition a mis elle aussi les bouchées doubles. Les réseaux sociaux ont été mis à contribution pour promouvoir la sortie de « Julien&Nathan ». Le site a bénéficié d’un relooking. Nous recevons pas mal de messages d’encouragement et de félicitation.
C’est aujourd’hui que le livre et la BD sortent enfin. Une sortie d’abord sur les sites de commerce en ligne. Pour les libraires, on verra plus tard.
Je suis fier de notre travail. Et je suis tout particulièrement touché par le travail d’Anthony, par sa capacité à transcrire mon texte en images percutantes. Et par sa capacité de prendre du recul pour dessiner une histoire qui est très fortement inspirée par celle que son petit ami, moi en l’occurrence, a vécu avec un autre garçon.
Paris, le samedi 16 octobre 2021.
L’été est passé sans encombre. Il semblerait qu’il n’y aura plus d’autres confinements.
Le livre et la BD marchent un peu, mais pas autant qu’on l’aurait espéré. La gratuité des publications précédentes sur notre site Internet limite l’intérêt de la sortie physique. Et pourtant, notre éditeur a confirmé la sortie des tomes 2. Il semble croire dur comme fer dans le potentiel de notre histoire. Et nous y travaillons d’arrache-pied.
Je redoutais de m’installer à Paris et d’avoir beaucoup de mal à côtoyer les lieux chargés des souvenirs de mon histoire avec Jérém. Ça a été le cas au début, mais j’ai fini par m’y faire. Plus le temps passe, plus je me sens plus « fort ».
Aujourd’hui, Jérém a 40 ans. Et c’est par le biais d’un simple message que je lui souhaite un bon anniversaire.
Quelques messages, voilà qui résume notre relation depuis trois ans. Les coups de fil, il n’y en a jamais eu. Le décalage horaire, ajouté au décalage de nos vies, les rendent presque impossibles de toute façon. Et puis, nous appeler, pour nous dire quoi ?
Alors, nous nous contentons de messages. Bon anniversaire, le mien, le sien. Bonne année…
Oui, aujourd’hui, Jérém a 40 ans. C’est un cap important. Je me demande comment il le vit, si ce changement de dizaine a impacté le regard qu’il porte sur sa vie, et sur la vie en général. Je le sais bien entouré, et ça me rassure.
L’anniversaire de Jérém me fait prendre conscience que j’approche moi aussi de la quarantaine, et que cette « échéance » arrivera dans moins d’un an. Mais elle ne me fait pas particulièrement peur. Car j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé un certain équilibre dans la vie.
Je suis avec un garçon qui m’aime et que j’aime. J’ai une passion dans la vie, l’écriture, qui m’apporte beaucoup de joie. Je viens de trouver un emploi dans les services d’eau potable de la Mairie de Paris qui va m’assurer un certain équilibre financier.
Aussi, je crois que je suis enfin en paix avec moi-même et avec mon passé.
Toulouse, le vendredi 31 décembre 2021.
Une nouvelle année s’achève, une autre arrive. A l’approche de ma quarantaine, la course inarrêtable du temps me titille de plus en plus. Je regarde impuissant les jours et les mois se succéder, entraîné par la course du quotidien, au fond de moi l’impression de rater l’essentiel. Lorsqu’un nouveau jour s’achève, c’est comme une petite mort. Lorsqu’une nouvelle année s’achève, ça l’est un peu plus encore.
Mais l’âge a du bon aussi. On arrive à regarder les choses avec plus de recul.
Avec le temps, j’ai fini par réaliser que si j’ai eu autant de mal à renoncer à Jérém, c’est parce qu’il a été le garçon qui m’a fait ressentir le bonheur vertigineux qu’on ressent quand on aime pour la toute première fois. Il a été le garçon qui a foudroyé mon cœur le premier jour du lycée, celui qui m’a fait connaître le plaisir entre garçons et qui me l’a instantanément fait adorer. Celui qui m’a fait me sentir vivant pour la toute première fois de ma vie. Celui qui m’a offert les plus beaux frissons de mes dix-huit ans, les frissons d’aimer en cachette – c’était avant mon coming out, avant le sien – le frison de l’interdit, le frisson qu’était la peur qu’il disparaisse de ma vie après chacune de nos rencontres. Jérém m’a fait connaître des joies insensées et des souffrances inouïes. Des frissons exacerbés, que je ne retrouverai plus jamais avec la même folle intensité.
Jérém a été toutes mes premières fois.
J’avais dix-huit ans. Et on ne vit plus jamais les choses avec l’intensité des dix-huit ans quand tout est découverte et émerveillement. Quand on n’a pas peur de souffrir.
Si notre séparation m’a longtemps empli de tristesse, si le deuil de cet amour a été pendant longtemps chose impossible, c’était parce qu’au fond de moi, je savais que c’était la fin d’une époque de ma vie, l’époque de l’insouciance, et de l’amour fou. Et au fond de moi, j’étais persuadé que non seulement elle avait été la plus heureuse de toutes celles que j’avais vécues, mais aussi la plus heureuse de celles que je vivrai à tout jamais. J’ai cru pendant longtemps que je ne pourrais plus jamais être aussi heureux que je l’ai été avec Jérém.
Dès lors, je n’avais plus grand chose à espérer de la vie. Je pensant que tout m’aurait paru fade.
Aussi, j’avais peur qu’en m’autorisant à être heureux à nouveau, je finirais par oublier le bonheur avec un grand « B » que j’avais vécu avec Jérém.
Je sais à présent que je peux être heureux à nouveau. Et que je n’oublierai pas Jérém pour autant. J’oublierai certains détails, certainement. J’en ai déjà oubliés, d’ailleurs. Mais je sais que je n’oublierai pas ce qu’il a représenté pour moi.
https://www.youtube.com/watch?v=R0cfZczo4yk
Je me souviendrai
De la force que tu m’as donnée
De l’amour que tu m’as donné
De la façon dont tu m’as changé
Je sais désormais qu’il ne faut pas fuir ses souvenirs. Au contraire, il faut les aimer, les chérir, même si parfois ils peuvent faire mal. Il faut apprendre à se réconcilier avec. Car les souvenirs sont les témoins vivants de nos expériences de vie. Ils déterminent qui nous sommes et pourquoi nous le sommes devenus. Mes expériences ont fait de moi celui que je suis aujourd’hui. Il faut juste leur trouver une bonne place dans notre présent pour ne pas qu’ils nous empêchent d’avancer.
Mais il ne faut jamais oublier d’où l’on vient.
Mon amour pour Jérém sera toujours là. Mais désormais il ne m’empêchera plus d’être heureux à nouveau. D’aimer à nouveau. Tout ce qui m’a longtemps paru inconcevable me semble enfin envisageable, possible, souhaitable. La vie est trop courte pour ne pas écouter le Bonheur quand il toque à notre porte et nous appelle à le suivre.
Finalement, mon escapade en Australie, m’a fait du bien. J’avais besoin d’entendre ses mots, j’avais besoin d’entendre sa voix. J’avais besoin de revoir Jérém une dernière fois, de voir qu’il était bien dans sa nouvelle vie. Et son nouveau bonheur m’a autorisé à vivre le mien sans plus culpabiliser. Son bonheur m’a fait accepter que la vie nous a séparés, mais que chacun aura toujours une place spéciale dans le cœur de l’autre.
Oui, aujourd’hui, près de quinze ans après la fin de notre histoire, je me sens enfin apaisé.
« Bonne année » je lui envoie par message. Je sais que ce sera mon dernier message.
Tout comme je sais que le « Bonne année à toi aussi » que je reçois en retour quelques minutes plus tard sera son dernier message. Je crois que tout est fait, que tout est dit.
Je crois que je n’attends plus. Que je ne l’attends plus.
https://www.youtube.com/watch?v=Q_pfnLybgCY
Mais tu m’as dit (…)
S'il te plait ne m'attends pas
Attends patiemment l'amour
Un jour ça viendra sûrement
Et il est venu. Anthony est là, à côté de moi, à cette soirée de réveillon.
Oui, ma séparation d’avec Jérém m’a longtemps empli de tristesse. Mais c’est fini. Je ne serai plus triste en pensant à cette époque de ma vie. D’autant plus que je le sais désormais, notre séparation a eu pour effet de préserver le souvenir de notre amour. Un amour foudroyé en plein vol, un amour sur lequel l’usure du temps n’aura pas eu d’effet.
Un amour qui restera à tout jamais comme une pure représentation de l’insouciance de notre première jeunesse.
Hier matin, Ewan est parti tôt au boulot. Il a eu la délicatesse et de nous laisser nous dire au revoir, seul à seul, Jérém et moi.
Les adieux ont été durs à Bellbrae. Les mots avaient du mal à sortir. Nous sommes restés longtemps dans les bras l’un de l’autre. Nos larmes silencieuses se sont mélangées les unes aux autres.
Puis, Jérém est parti vers Bells Beach. Et moi, je suis parti vers Melbourne. J’ai rendu la voiture, j’ai pris un taxi pour l’aéroport, j’ai fait le check-in, j’ai passé la douane. J’étais comme un zombie, j’avançais à marche forcée, j’avançais malgré moi. Une partie de moi a espéré qu’il y aurait un problème avec mes papiers, ou avec mon ticket d’avion, ou avec mon bagage. J’ai espéré que quelque chose m’empêche de partir. Lors d’un long voyage, on redoute toujours l’imprévu, le grain de sable dans le rouage qui ferait tout foirer. Moi, je l’ai souhaité. Mais tout s’est passé comme une lettre à la poste.
Depuis que j’ai quitté Bellbrae, je ressens une oppression de l’esprit et du corps, j’ai l’impression d’avoir la tête emplie de brouillard, le ventre lesté par un bloc de fonte. J’ai du mal à respirer. Je cumule le décalage horaire et le manque de sommeil. Je sais qu’une fois revenu chez moi, je serai HS.
Je sais qu’une fois revenu chez moi, Jérém va me manquer à en crever. Je sais qu’il va me falloir des semaines, des mois, peut être des années pour me remettre de toutes ces émotions. Une nouvelle longue période de deuil sentimental se profile dans mon horizon.
Et là, pendant cet interminable voyage de retour, je fais le triste décompte du temps et de l’espace qui me sépare chaque instant un peu plus de l’amour de ma vie. Je ne réalise toujours pas, et en même temps très bien, que c’est peut-être la dernière fois que je vois Jérém. Je suis comme sonné.
Par moments, je me demande si finalement j’ai fait le bon choix d’aller à sa rencontre. Mais au fond de moi, je sais que ce choix n’a été ni bon, ni mauvais. Il était juste inéluctable. Pour qu’il ne le soit pas, je n’aurais pas dû appeler Maxime. Je n’aurais pas dû aller passer le dernier réveillon à Campan pour questionner Charlène. Je n’aurais pas dû aller fouiller dans le passé. Avant que j’ouvre la boîte de Pandore, tout se passait si bien dans ma vie. Mon présent avait la couleur intense et pétillante d’un blouson bleu, il avait le regard doux et touchant du garçon qui le portait le jour de notre rencontre. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
Je sais que s’il y a une personne qui peut m’aider à me remettre de tout ça, c’est bien Anthony. L’idée de le retrouver est l’une des seules auxquelles je peux m’accrocher pour ne pas sombrer. La simple idée de sa présence dans ma vie, même à 10000 bornes de Toulouse, suffit à me faire me sentir mieux.
Mais est-ce qu’il m’a attendu, comme il me l’avait promis lorsque je lui avais annoncé mon départ pour l’Australie ? Je le souhaite, de toutes mes forces.
Mais est-ce que je le mérite ?
J’ai peur de renouer le contact, j’ai peur de son regard, de ses mots, de ses intentions. J’ai peur de l’avoir perdu. Une partie de moi se demande si c’est vraiment honnête de ma part d’essayer de rattraper le coup, après ce que je lui ai fait endurer. Je me dis que ce serait pénible pour Anthony de revoir ma sale gueule, et que le silence serait peut-être la meilleure option, celle qui lui permettrait de passer à autre chose et de m’oublier.
Une option, une esquive à la Jérém, en somme, à la Jérém d’il y a quelques années encore. Parce que le Jérém d’aujourd’hui, il a enfin appris à assumer ses choix. Le Jérém d’aujourd’hui, c’est un sacré bonhomme.
Alors, je choisis de l’être aussi. Dès que je serai chez moi, je vais appeler Anthony, et je vais assumer les conséquences de mes actes.
Martres Tolosane, le dimanche 1er avril 2018.
A mon retour d’Australie, ma cousine Elodie est là pour m’accueillir. J’avais besoin d’un sas de décompression entre « Là-bas » et « Ici ». Et elle est parfaite dans ce rôle. Elle sait écouter, apaiser, consoler. Et surtout ne pas juger.
Lucie arrive en début de soirée, de retour d’un après-midi en ville avec ses copines. Elle va sur ses seize ans, comme le temps file vite !
Elle me questionne sur mon voyage à l’autre bout de la planète. Elle m’appelle « Tonton » avec un naturel et un entrain touchants. C’est une marque d’affection, et je la reçois comme telle. Mais elle est aussi la marque du temps qui passe et qui me fait avancer dans l’âge. Être tonton, cela oblige à se resituer dans la vie.
Mais cette soirée est aussi l’occasion des retrouvailles avec Galaak, mon chien d’amour qu’Elodie a gardé en mon absence. Ces retrouvailles me tardaient ! Il me tardait de retrouver son regard plein d’amour, son poil doux, son envie de jouer. Son amour inconditionnel.
Je me suis royalement planté. Je m’attendais à ce qu’il me fasse la fête, il me fait la tête. Je constate que trois semaines de séparation ont laissé des traces. C’est certainement sa façon de me montrer que je lui ai manqué. Toujours est-il que ce soir je ne retrouve pas le Galaak affectueux et joueur que j’attendais.
Son « mauvais poil » dure pendant tout le voyage vers Martres. Il continue le lendemain, et même le surlendemain. Mes câlins, il ne les refuse pas, mais il affiche une indifférence certaine à leur égard. Lorsque je l’appelle pour jouer, j’ai droit à des regards pleins de dédain. Je pense qu’en partant aussi longtemps, je l’ai blessé.
Ce n’est qu’au troisième soir que je retrouve The Galaak. Alors que je suis sur le canapé, saisi par un bon coup de blues, la labranoir vient se coller lourdement contre ma jambe. Il sent que je ne vais pas bien et il vient chercher le contact. Il vient réclamer le câlin, il vient m’offrir du réconfort.
Toutes les larmes que j’ai retenues pendant les voyages en avion qui m’ont ramené en France, celles que je n’ai pas laissé couler depuis que je suis rentré, refusant inconsciemment d’admettre qu’il y a à nouveau vingt mille bornes entre Jérém et moi, toutes ces larmes qui pèsent sur mon cœur rompent enfin le barrage de ma pudeur et de mon déni. Les vannes s’ouvrent, je pleure par flots incessants. Je m’assois au sol, et Galaak vient se blottir dans mes bras. Sa présence est essentielle pour amortir le véritable choc de mon atterrissage.
Avril 2018.
Après mon rabibochage avec Galaak, après avoir vidé mon cœur de toutes ses larmes, je me suis senti assez « fort » pour reprendre contact avec le garçon au blouson bleu. Ça n’a pas été facile de franchir le pas. Lorsque son visage est apparu sur l’écran, j’ai tout de suite compris que, comme je m’y attendais, mon voyage en Australie l’avait beaucoup affecté lui aussi. Son regard était grave, son attitude distante, détachée. Je me suis dit que ce serait autrement plus difficile de rattraper le coup qu’avec Galaak.
Ça n’a pas été facile de lui parler de mon voyage à l’autre bout de la planète, de lui expliquer ma relation actuelle avec Jérém, mes sentiments à son égard. J’ai essayé d’être le plus sincère possible. Anthony m’a laissé parler, il n’a pas fait de scène. Il ne m’a même pas demandé s’il s’est passé quelque chose entre Jérém et moi. Il a voulu tout simplement savoir si j’avais trouvé la réponse à mes questions. Je lui ai répondu que c’était le cas.
— Tu n’auras plus besoin de retourner en Australie ? il m’avait questionné.
— Je crois bien que non.
— Ne pars plus jamais aussi loin de moi, Nico !
Je sais que ce « loin » n’implique pas qu’une distance géographique.
— Je te le promets.
Je crois qu’Anthony a été sensible à ma franchise. Au fil des appels visio, je retrouve sa présence, sa douceur, son regard plein d’amour. Nous recommençons à parler de mon futur voyage à New York. Nous recommençons à nous dire qu’il nous tarde de nous retrouver.
Mon « retour vers le futur » est amorcé.
Mi-avril 2018.
Un jour, je découvre en visio un Anthony particulièrement excité et souriant. Une belle opportunité vient de se présenter à lui, par le biais de la boîte de production pour laquelle il travaille. Un blog newyorkais vient de signer une commande pour un projet qui l’emballe tout particulièrement.
Dans ce processus, Anthony sera l’exécutant graphique. En fait, il est co-exécutant, car il travaille en étroite collaboration avec un auteur et deux autres dessinateurs. Il s’occupe de la conception du dessin de base, avant les retouches informatiques.
« Boys and the city » – c’est le nom de la rubrique web, faisant écho à une célèbre série télé des années ’90 – brosse en quelques bulles des petites histoires de mecs qui se croisent dans la Grande Pomme.
Au fil des semaines, je suis tout ça sur Internet. Ce sont très souvent des histoires de désir à sens unique, d’occasions manquées, de frustrations. Rien de plus ou de moins que le quotidien ordinaire de la plupart des garçons et des hommes qui aiment les garçons. Dans ces « strips », je reconnais bien la patte d’Anthony, la précision du trait et la tendresse dégagée de ses dessins « cachés », ceux qu’il m’avait montrés le dernier soir avant son départ pour New York.
Parmi les publications, j’ai été particulièrement touché par « Orange boy », récit d’une rencontre fugace dans un métro bondé entre un fan de Lady Gaga et un garçon au parfum d’orange. Mais aussi par « Waiter boy », le récit d’un homme foudroyé par la jeunesse d’un petit serveur dont il a croisé l’existence lors d’un déjeuner dans un restaurant. Ou encore par « The apprentice », l’histoire d’un apprenti cuisinier dont la présence bouleverse la vie de son patron, un homme à l’approche de la cinquantaine.
Ces petites histoires en images sont hyper percutantes, et dégagent d’intenses émotions. En lisant les commentaires des lecteurs, je constate sans surprise que « Boys and the city » a d’excellents retours.
— Finalement, tu es arrivé à ouvrir ton « jardin secret », je considère un soir, en visio.
— On dirait bien…
— Je suis tellement fier de toi !
— Merci, Nico !
New York, mai 2018.
La première fois où j’ai atterri dans la Grande Pomme, c’était il y a trois ans, et c’était pour retrouver Madonna. J’y reviens aujourd’hui pour retrouver Anthony.
Et là, alors que le compte à rebours de nos retrouvailles touche à sa fin, pendant ces interminables dernières heures de séparation, je ne tiens plus en place. J’ai envie de le serrer dans mes bras, j’ai envie de le couvrir de bisous et de câlins. J’ai envie de sentir son amour.
Anthony a pu prendre son après-midi et m’attend sur le quai du métro. Et lorsque je le vois, je suis instantanément ému aux larmes. C’est fou à quel point ce garçon m’émeut. Son regard un peu triste, un peu timide, empli de douceur me fait fondre. Il me fait penser à celui d’un chiot, empli d’une tendresse infinie, exprimant un besoin de recevoir de l’affection tout aussi grand que celui d’en donner. Un chiot qu’on a envie de protéger, de rassurer, et de câliner.
Nous tombons dans les bras l’un de l’autre, et nous osons même un petit bisou au milieu de la foule. Nous remontons à la surface en nous tenant par la main.
A l’appart – désert à cette heure-ci, car son frère et sa femme ne rentrent qu’en fin d’après-midi – nos envies de bisous et de câlins se mélangent à nos envies de sensualité.
— Je peux te faire confiance ? il me questionne, alors que je viens de lui chuchoter que j’ai envie de lui.
— Je n’ai couché avec personne depuis que tu es parti de Toulouse.
— Même pas en Australie ?
— Non, je t’assure. Et toi non plus ?
— Non plus. Je t’ai dit que je t’attendrais, et je t’ai attendu.
— Merci, Anthony !
La distance, la séparation, nos inquiétudes respectives ont exacerbé le désir. Nos accolades sont sensuelles, intenses, nos gestes précipités, empressés. Nos corps, nos désirs, nos sexes se cherchent, se mélangent, se reconnaissent, se redécouvrent. C’est intense, immensément bon.
Après l’amour, Anthony affiche cet air un peu sonné qui le rend craquant. Il est tellement beau !
Après une petite sieste, le petit mec en vient à me parler de son travail. Et comme à chaque fois qu’il a abordé le sujet à l’occasion de nos échanges en visio, son enthousiasme est beau à voir. Et il l’est encore plus « en présence ».
— J’ai appris tellement de choses depuis que je bosse ici ! En fait, je n’ai pas l’impression de bosser. Je suis comme un gosse dans un magasin de jouets. Il y a tellement de choses à découvrir ! J’ai envie de tout voir, de tout essayer. Je me tape des journées de dingue, mais je m’en fous. Je suis tellement bien devant mes planches et mes écrans. Je suis entouré par des mecs qui ont dix, vingt, certains trente ans de métier et qui n’ont pas peur de partager leur savoir-faire. Je ne vois pas le temps passer, je suis comme dans une bulle. Je n’aurais pas cru que je m’y plairais autant ici, il conclut, l’air rêveur.
— Tu ne vas plus vouloir revenir en France, je plaisante, tout en ressentant un petit pincement au cœur à l’idée que ma boutade puisse devenir réalité.
— Si, je vais revenir. Parce que tu me manques de fou !
— Bonne réponse ! je plaisante, soulagé et touché.
— Je suis tellement content d’être là ! je lui lance, ému.
— Je suis tellement content que tu sois là, enfin. Je ne vais plus te laisser repartir !
Et là, dans l’élan de mon émotion, j’ose enfin ce que nous n’avons pas osé depuis mon retour d’Australie :
— Je t’aime, Anthony !
— Je t’aime aussi, Nico !
Quel soulagement de l’entendre me le dire enfin, à nouveau !
Après quelques échanges à distance avec ses collègues, Anthony s’est arrangé pour dégager un max de temps pendant la durée de mon séjour. Avec le p’tit brun, je visite New York. Et c’est pour moi une toute nouvelle découverte.
Déjà, parce que j’ai davantage de temps qu’il y a trois ans. Aussi, parce que le fait de parcourir une ville en compagnie de quelqu’un qui connaît les lieux permet d’avoir l’esprit léger, délesté des petits tracas qui parasitent souvent les vacances, notamment en solitaire, lorsqu’on est obligé de s’occuper de toute l’organisation.
En quelques mois, Anthony s’est bien acclimaté à l’« écosystème » newyorkais. Le jeune dessinateur possède désormais une solide connaissance de la géographie de la ville, de ses transports en commun, de ses bons plans. Il sait faire la différence entre les incontournables et les « pièges à touristes », il sait où bien manger sans se ruiner. Anthony est à la fois mon GPS et mon Routard.
Mais aussi, par l’intermédiaire de son frangin, mon hôte. Grâce à Anthony, j’ai à ma disposition non seulement un logement, mais carrément un foyer chaleureux, avec un beau frère et une « belle-sœur » on ne peut plus accueillants, toujours prêts à ajouter deux assiettes à table si besoin.
Mais, par-dessus tout, ce qui rend cette nouvelle visite de New York comme une nouvelle découverte, presque une nouvelle « première fois », c’est le bonheur de partager tout cela avec Anthony.
Il y a trois ans, j’avais fait beaucoup de photos. Lors de cette nouvelle visite, je me fabrique beaucoup plus de souvenirs. Des souvenirs d’autant plus vivants qu’ils sont partagés avec Anthony, le garçon qui détient le pouvoir magique d’apaiser mes blessures, de supporter mes errances, de pardonner mes erreurs, et de me rendre heureux.
Oui, pour que les souvenirs restent vivants, il est nécessaire qu’ils soient partagés. Pour que plus tard on puisse s’adresser à l’autre et lui lancer :
— Tu te souviens de cette attente interminable pour visiter la Statue de la Liberté ?
— Tu te souviens du vent froid lors de la croisière nocturne autour de Manhattan et de Ellis Island ? Je me souviens quand tu m’as pris dans tes bras pour me réchauffer.
— Je me souviens de comment tu étais ému devant le mémorial du 11 septembre et je me souviens quand tu as pris ma main pour sentir ma présence.
— Tu te souviens de la gare ferroviaire Grand Central Terminal, de ses escaliers que nous avons descendus en revoyant dans notre tête la scène de la poussette du film « Les incorruptibles » ?
— Tu te souviens de cette balade à Central Park ? Nous avons passé un super moment. (Je ne te l’ai pas dit, mais un souvenir m’a happé lorsque j’ai reconnu la façade d’un immeuble « familier ». C’est le souvenir de Justin, un sublime petit con avec qui j’ai eu une aventure il y a trois ans. Mais ta présence a très vite fait de l’ombre à ce souvenir. Car je sais que je suis tellement plus heureux aujourd’hui, avec toi, qu’il y a trois ans, avec lui).
— Tu te souviens de cette comédie musicale à laquelle nous avons assisté à Broadway et de comment nous avons tous les deux été soufflés par la musique, par les couplets coupants comme des lames, par ses tableaux de danse millimétrés ?
https://www.youtube.com/watch?v=Xx_eoxvYvc8
Une chanson m’a particulièrement touché :
« Vous pouvez aimer la vie que vous vivez, vous pouvez vivre la vie que vous aimez ».
https://www.youtube.com/watch?v=v_lotDsUBOE
Dans le petit lit de la chambre d’amis de l’appart, nous faisons l’amour aussi souvent que nous en avons l’occasion. Nous profitons de l’absence, le jour, ou du sommeil, la nuit, des propriétaires pour nous faire du bien. Qu’est-ce que j’aime faire l’amour avec ce petit mec ! Son petit physique me rend fou, ses tétons me rendent dingue !
Je passe des journées comme autant de rêves éveillés. Je suis tellement heureux que j’en perds la notion du temps. Mais le temps n’oublie jamais de nous rattraper.
New York, mai 2018.
J’ai l’impression d’être arrivé hier, je viens tout juste de surmonter le décalage horaire, mais la fin de mon séjour arrive impitoyablement. Demain, un avion va me ramener à Toulouse. Cette semaine est passée si vite ! Je n’ai vraiment pas envie de repartir, de quitter cette ville qui a encore tant de choses à offrir, ce foyer si accueillant, ce quotidien enchanté. Et, par-dessus tout, de quitter ce garçon qui emplit de joie mon quotidien.
A l’aéroport, les « adieux » sont très durs. Tout comme moi, Anthony est triste comme les pierres.
— Je vais venir cet été, il me glisse, les yeux embués de larmes.
— Je vais compter les jours…
— Ne m’oublie pas… il me lance, triste à me fendre le cœur.
— Comment je pourrais t’oublier ? Tu es tellement adorable, je suis tellement bien avec toi !
Je le prends dans mes bras. Dans cette dernière, longue accolade, nos baisers se mélangent à nos larmes. Ses grands yeux tristes de labrador sont la dernière image que je garde de lui en passant le sas d’embarquement.
Je quitte New York le cœur en miettes. Je sais que j’ai eu une chance inouïe qu’il m’ait attendu.
Déjà, parce que je l’ai délaissé pendant mon voyage en Australie. Et puis, j’ai vu comment certains garçons le regardent dans la rue. Mon petit Anthony plaît, je ne sais même pas s’il se rend compte à quel point il plaît. Un garçon si mignon, avec son joli accent frenchie, livré à lui-même dans cette ville pleine de tentations, de regards, de désirs, peut se trouver rapidement sollicité. Je sais qu’il m’aime. Et je l’ai cru lorsqu’il m’a assuré qu’il n’avait pas été voir ailleurs. Mais d’autres mois de séparation se profilent devant nous. Et un moment de solitude, de mélancolie, de tristesse, de faiblesse peut arriver. Et ça peut être tentant de le combler avec un peu de compagnie. Et puis, tout simplement, nous sommes des garçons. Parfois, nous avons envie de nous sentir désirés, parfois nous avons tout simplement envie de sexe.
Encore, qu’il ait une aventure, s’il se protège et que je n’en sais rien, soit. Mais un danger plus grand se niche dans les rencontres possibles. Celui qu’il tombe sur un garçon qui le fasse vibrer, rêver davantage que moi. Un garçon « sur place ».
Ce garçon me rend tellement heureux. Je crois que je l’aime vraiment. A dix-mille mètres au-dessus de l’Atlantique, je prends une grande résolution. Lorsqu’il reviendra de son apprentissage à New York, où que son futur emploi l’amène, que ce soit loin de Toulouse, ou même de France, je suis prêt à le suivre. Je repense aux mots du pauvre M. Charles de Biarritz et à ses regrets de ne pas avoir suivi l’amour de sa vie sur un autre continent. Je me souviens de mon erreur avec Jérém, celui de ne pas être allé le voir en Australie des années plus tôt. Je ne ferai plus la même erreur. Je ne laisserai pas passer le Bonheur. Je suis prêt à suivre le garçon que j’aime au bout du monde.
Août 2018.
Après mon retour d’Australie, j’ai eu besoin de temps pour remettre de l’ordre dans mon cœur. Je savais que ça viendrait, mais je ne savais pas quand. J’ignorais quand j’aurais la force de me poser pour raconter le dernier chapitre de mon histoire, ce chapitre que je suis allé chercher en Australie.
Cette force, cette envie, s’est manifestée à moi quelque temps après les retrouvailles avec Anthony, à la veille de mes vacances d’été. Soudain, l’envie d’écrire s’est présentée à moi. Imposée à moi, plutôt. Soudain, j’ai eu envie de calme et de solitude pour me consacrer à cette maîtresse exigeante qui réclame une attention toute particulière.
D’emblée, j’ai pensé à Gruissan. Je me sens bien à Gruissan. J’ai plein de bons souvenirs à Gruissan. Des souvenirs des vacances avec ma cousine Elodie, de nos discussions interminables, de notre complicité parfaite. Des souvenirs de quelques garçons qui m’ont fait vibrer de désir à la plage. Des souvenirs de vacances avec Jérém, juste avant notre fabuleux voyage en Italie. Les jours heureux.
Gruissan me connaît bien. Gruissan me manque. Alors, c’est décidé, j’y retourne. Mais ce ne sera pas à l’appart des parents d’Elodie. Cette année, mes oncles ont choisi de le louer pendant la saison.
Je me suis souvenu d’un gîte en lisière du massif de la Clape sur lequel j’étais tombé une année au gré d’une balade. Je me suis souvenu du grand jardin ombragé par de grands pins parasol, de la charmante bâtisse en pierre, du chant des cigales, de cette ambiance de garrigue et de langueur estivale qui apaise l’esprit. Je me suis souvenu du nom du Gîte. J’ai appelé et, par chance, l’un des logements était vacant pendant la période de mes vacances.
Là-bas, je ne serai pas loin de Gruissan, mais je serai au calme. Je pourrai facilement me rendre à la plage pour me baigner, mais je serai loin de l’agitation du monde des vacanciers. Je serai loin des distractions. Là-bas, je pourrai passer de longues journées à avancer sur mon histoire sans être perturbé par le Masculin.
Jour 1.
Le gîte est un ancien mas reconverti en accueil touristique, une grande bâtisse en pierre jaune avec un toit en tuiles rose. Le tout posé au centre d’un grand jardin ombragé où règne un calme presque palpable, avec le concert incessant des cigales en fond sonore. Ici, le temps semble s’écouler au ralenti. Ici, on a envie de se poser et de se laisser porter. En quittant la route pour emprunter le petit chemin qui mène au mas, on a l’impression de laisser ses soucis derrière soi, d’être délesté de toutes ses tentations, de toutes ses pulsions, de tous ses regrets. Ce lieu a des allures de havre de paix hors du temps et de l’espace.
Marie-Line, la propriétaire des lieux, est une femme d’un certain âge, accueillante et avenante. Elle m’explique que j’aurai le gîte « La Clape » et que je serai tranquille car le deuxième gîte « La Plage » est occupé par Valentin, son petit-fils, qui vient de passer son bac et qui est animateur de camping à Gruissan pour se faire un peu d’argent, et qui n’est pas souvent là. Car, soit il rentre à pas d’heure, soit il découche.
Ma première rencontre avec toi, Valentin, je la fais donc à travers des mots de ta grand-mère. Et rien que ces quelques premiers éléments attisent furieusement ma curiosité à ton sujet.
Déjà, « Valentin » est un beau petit prénom de mec. « Il vient de passer son bac », ça donne une indication au sujet de l’insolence de ta jeunesse. Tu dois donc avoir 18 ou 19 ans. C’est l’âge de l’insouciance, l’âge de tous les possibles, de toutes les impertinences, de toutes les découvertes. « Animateur de camping », ça laisse imaginer un garçon exposé à d’infinis regards, un garçon désiré, convoité, sollicité. « Il rentre à pas d’heure », ça suggère un garçon qui aime faire la fête avec ses potes, un « couche-tard », « un fêtard ». Quant à la dernière indication « il découche », ça pourrait même indiquer un « petit queutard ». Il ne m’en faut pas plus pour me faire de toi l’image d’un beau petit con, possiblement bien foutu, charmant par destin et charmeur par choix délibéré. Ma curiosité piquée à vif, je suis très impatient de faire ta connaissance en vrai, p’tit Valentin.
Après m’être installé dans mon gîte, je sors faire quelques courses et je rentre pour dîner. Je lis un bouquin. Ce n’est que la nuit tombée que je me cale enfin devant mon ordinateur. Je m’installe à la table située juste à côté de ma porte d’entrée, que la chaleur de cette chaude soirée m’impose de laisser ouverte.
Le chant incessant des cigales se mêle au tapotement discret des touches de mon clavier et au très léger ronronnement du refroidissement de mon ordinateur, doux accompagnement de mes heures d’introspection et d’évasion dans le monde de mes souvenirs et de mes plus belles années.
Et très vite, tu « disparais » de ma mémoire, p’tit Valetin. Car, si je te fantasme déjà, je ne te connais pas encore. De ce fait, ta présence n’a pas encore marqué mon esprit de façon indélébile comme une image aurait impressionné la pellicule d’un appareil argentique.
Mais tu ne vas pas tarder à faire ton apparition dans ma vie. Une entrée marquante, fracassante même.
Il est environ deux heures du matin lorsque ton arrivée m’est annoncée par le bruit d’un moteur de voiture, d’un claquement de porte dans l’allée de la maison, puis par le crissement de baskets sur les gravillons de la cour. C’est un pas rapide, cadencé, lourd. Pas de doute, c’est un pas de jeune mec.
Je détourne le regard de mon écran pour le glisser dans l’embrasure de ma porte d’entrée. Et là, je vois une silhouette avancer rapidement dans la cour et approcher du mas. Et lorsque tu sors de la pénombre, lorsque tu arrives dans le champ d’action des lumières du jardin, j’ai envie de hurler de toutes mes forces :
« Oh, p-u-t-a-i-n, Valentin, mais qu’est-ce que tu es beaaaaaaaauuuuuuuuuu ! ».
Tu n’es ni petit ni très grand, je dirais un mètre soixante-dix environ. Tu arbores une belle petite gueule aux traits à la fois quelque peu enfantins et déjà masculins, un brushing de bogoss – les cheveux bruns coupés à blanc autour de la tête, insolemment plus longs au-dessus, coiffés de façon instable vers l’avant, t’obligeant à les rajuster régulièrement avec ta main, geste que tu fais en traversant le jardin – l’ensemble te donnant un air canaille à craquer !
Et puis, il y a la tenue. Ce soir, tu portes un t-shirt assez ajusté pour mettre en valeur ton torse élancé, tes pecs déjà bien dessinés, pour coller à tes biceps. Le t-shirt est noir comme pour bien insister sur ta brunitude. Tu portes également un short en jeans avec les lisières plus claires, des baskets blanches, et un sac à dos rouge sur les épaules. Une tenue très « p’tit mâle sexy ».
Je ne peux m’empêcher de me demander si tu rentres directement du taf ou bien si tu as passé du temps avec tes potes. Est-ce que tu étais avec une nana ?
Et, pour achever le tableau, il y a l’attitude. Tu traverses le jardin d’un pas assuré et nonchalant, et d’emblée je me prends à imaginer que cela puisse refléter ta façon de traverser ta jeunesse, en profitant des meilleures années de ta vie sans trop te poser des questions, en regardant tout droit devant toi, sans remords, sans regrets. Avec le sentiment que rien ne peut te résister, rien ne peut t’atteindre. L’air de te sentir tout puissant, invincible, et immortel. C’est beau l’insouciance. Je crois que cela est même l’une des définitions de la jeunesse.
Ta présence tout entière dégage une telle impertinence que ça en donne le tournis. Ton allure me fait immédiatement te caser dans la catégorie de bogoss que j’appelle « le parfait p’tit con à la fraîcheur bouleversante ». C’est fou comme tu me fais penser à Jérém, lorsqu’il avait ton âge.
Tu approches de la bâtisse, et de moi, et mon regard est toujours rivé sur toi. Comment pourrait-il en être autrement ? Le mélange de beauté et de jeunesse est une drogue dure et violente, elle crée une addiction instantanée. J’ai désormais besoin de m’abreuver de ta présence, sans discontinuer.
Tu m’aperçois enfin, nos regards se croisent. Ça ne dure qu’une fraction de seconde, le temps que je réalise à quel point le mien puisse sembler déplacé. Mais dans le reflet du tien, j’ai le temps de percevoir une certaine douceur, pourtant mélangée à une insolence certaine. J’ai le temps de percevoir l’esquisse d’un petit sourire qui m’apporte un frisson inouï.
— Bonsoir, tu me lances, sur un ton anodin, sans doute par politesse vis-à-vis d’un client de ta grand-mère. Ta voix est douce, mais déjà virile.
— Bonsoir, je te salue, définitivement chamboulé par ton arrivée.
Comme une comète, ta trajectoire t’amène à t’approcher de moi, à environ deux mètres, puis à l t’éloigner à nouveau, tout droit vers ton logement situé juste à côté du mien.
Contact fugace, mais intriguant. Je n’en ai pas assez, j’ai envie de te regarder encore et encore, mais de plus près, de m’imprégner de ta beauté, de ta jeune mais déjà affolante virilité. Mais tu ne t’arrêtes pas. De toute façon, tu n’as aucune raison de t’arrêter. Tu ne me connais pas, je ne suis qu’un « type » de passage, et pas non plus du genre causant ou avenant, et surtout pas du genre à avoir le culot et le moyen de faire la conversation à un beau garçon comme toi. Même pas pour lui demander s’il a pleine conscience de sa beauté bouleversante.
Mais alors que je m’attends à t’entendre rentrer dans ton logement, j’entends le bruit du sac qui rencontre le sol sans trop d’égard, puis celui du frottement de la pierre d’un briquet. Tu fumes, petit mec. Je tends l’oreille et j’entends le bruit léger de tes expirations. Des volutes de fumée passent devant l’embrasure de ma porte, et l’odeur de la cigarette arrive jusqu’à mes narines. Je crève d’envie de sortir, de poser une nouvelle fois mon regard sur toi, de te mater en train de fumer. Je suis certain que la cigarette doit te rendre encore plus sexy.
Mais je n’ose pas. Mes jambes n’obéissent pas à mon désir. Les secondes passent, une minute, deux minutes. Je t’entends pousser une expiration un peu plus appuyée que les autres, que je devine être la dernière. Je t’entends bouger, ramasser ton sac à dos. J’entends le bruit de la porte qui s’ouvre, qui se referme derrière toi, accompagné d’un petit grincement des gonds qui, je l’ignore encore à cet instant, va vite devenir la signature sonore de l’achèvement de ces nuits d’été.
Je tombe de fatigue, et je sais pertinemment que je n’ai plus rien à attendre de cette nuit chaude. Je sauvegarde mon fichier, je ferme mon ordinateur et la porte de mon gîte. Je me glisse dans mon lit, j’éteins la lumière. Et dans le noir, je me branle en pensant à toi, beau Valentin, juste de l’autre côté de la cloison. Je me branle, mon excitation décuplée par les bruits venant de « ton côté », qui me parlent de ta présence. Celui de la douche, sous laquelle tu restes un bon petit moment, celui des sons des notifications de ton téléphone qui m’intriguent un peu plus à chaque fois.
Et je jouis en pensant à toi, beau jeune mâle de près de vingt ans mon cadet, et néanmoins capable, en une poignée de secondes, d’éveiller en moi un désir brûlant.
Juste avant de m’endormir, une chanson résonne dans ma tête :
Il venait d'avoir 18 ans
Il était beau comme un enfant
Fort comme un homme
https://www.youtube.com/watch?v=WEHzqKQDXuQ
Je suis venu ici chercher de la tranquillité pour l’esprit. Mais je sais déjà que c’est foutu. Car ta présence va me hanter pendant tout mon séjour.
Septembre 2018.
Anthony n’a pas pu venir en France pendant l’été comme prévu. Son travail l’en a empêché.
Pendant ces longs mois de séparation, j’ai été occupé. J’ai passé mes vacances et mes congés à écrire. Le récit de mon histoire avec Jérém enfin terminé avec le chapitre consacré à mon voyage en Australie, j’ai senti qu’une page se tournait dans ma vie. Et que la nouvelle page qui s’offrait à moi était emplie par le bonheur que m’apportait un garçon au blouson bleu.
Et pourtant, je n’ai pas tardé à réaliser que dans cette nouvelle page, il y avait comme un vide.
Depuis près de dix ans, l’écriture m’a permis de me trouver moi-même, elle m’a appris à me connaître. Elle a été mon amie fidèle, ma confidente, mon pansement, l’instrument de ma rééducation sentimentale.
Et je crois bien qu’au fil du temps, elle est devenue bien plus que ça. L’écriture a été pour moi un clair exemple de sérendipité. Une découverte qui s’est avérée fructueuse bien au-delà de l’objectif visé au départ. En cherchant à essuyer mes larmes, j’ai trouvé une source de joie.
Alors, après avoir mis le mot fin à mon histoire, cette source de joie m’a très vite manqué. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû y revenir.
Je ne suis pas allé très loin pour chercher mon inspiration. J’ai repris les centaines de pages consacrées à « Jérém&Nico » et j’ai commencé à les trier et à les structurer. Ce long journal intime, qui au départ n’était destiné qu’à moi-même – sorte de « Pensine » de Dumbledore dans laquelle déposer mes souvenirs pour ne pas les oublier, ma nostalgie et ma solitude pour m’en délester – a peu à peu pris une autre direction.
C’est à l’automne 2018 que le projet « Julien & Nathan » a commencé à prendre forme dans ma tête.
« Julien & Nathan » est l’histoire de deux camarades de lycée qui deviennent amants à la veille du BAC et dont la relation se poursuit pendant de nombreuses années jusqu’à leur séparation.
Je suis curieux de voir où est-ce que cette nouvelle aventure narrative va me conduire.
Martres Tolosane, le mardi 16 octobre 2018.
Aujourd’hui, Jérém a 37 ans.
J’ai très envie de l’appeler. Mais j’y renonce. Le décalage horaire, ainsi que la présence d’un garçon dans sa vie, tout cela rend délicate la tâche de trouver le moment opportun pour envisager un coup de fil. Et puis, je crois que malgré tout, entendre la voix de Jérém venant de vingt mille bornes de distance ce serait trop dur pour moi. Je me contente de lui envoyer un message.
« Bon anniversaire, Jérém ».
Sa réponse ne tarde pas à arriver. Elle aussi, par message. Le décalage horaire, j’imagine, et tout le reste, pour lui aussi…
« Merci, Nico ».
Et puis le silence, à nouveau.
Launaguet, le lundi 31 décembre 2018.
Anthony est revenu pour les fêtes de fin d’année. Il est venu avec son frère et sa belle-sœur. Nos retrouvailles ont été pleines d’émotion, de larmes, de bonheur.
Ce soir, toute la famille d’Anthony est réunie pour le réveillon dans la maison de Launaguet. Ses parents, que je rencontre pour la première fois, se montrent aux petits soins pour moi. Ce soir, je me sens bien. C’est tellement bon de se sentir accepté. C’est tellement bon de voir que, malgré la distance, « Anthony&Nico » est une histoire qui roule. Une nouvelle histoire à l’affiche de ma vie.
Et pourtant, à l’approche de minuit, une pensée m’échappe, et je n’arrive pas à la rattraper. Elle s’envole de moi, se perd dans le ciel, dans le temps et dans l’espace. Elle s’envole à l’autre bout de la planète. Dans quelques minutes, l’année 2018 va se terminer. Elle a été l’année de mes retrouvailles avec Jérém. Et elle a certainement été aussi celle de nos adieux.
Mais ce soir, entouré par l’amour d’Anthony et par la bienveillance de sa famille, je me sens fort, je me sens bien. Je me sens en bonne voie de guérison. Ça viendra, j’en suis convaincu.
La vie est belle.
L’année 2019.
Anthony a attendu le lendemain du Jour de l’An pour m’annoncer que « Boys and the city » a été renouvelé pour une année supplémentaire et qu’on lui a proposé de rester travailler à New York sur ce projet jusqu’après l’été. Je suis triste de le voir repartir pour plusieurs mois. Mais je suis heureux pour lui, heureux de sa réussite, de son bonheur. Je prends sur moi, et je l’encourage à poursuivre son rêve.
En ce tout début d’année, je me sens enfin prêt à partager mon histoire avec lui. Une nuit, je condense près de dix ans d’écriture dans un texte de dix pages, « De la cour du lycée de Toulouse à la plage de Bells Beach », que je lui envoie par mail lorsqu’il est dans les airs au-dessus de l’Atlantique.
Deux jours plus tard, je reçois deux dessins. Sur l’un, un garçon en t-shirt noir et casquette à l’envers est en train de discuter avec des potes sous un arbre, alors qu’un autre garçon se tenant à l’écart le regarde, visiblement aimanté par sa présence. Sur le second, deux hommes sont assis côte à côte sur la plage et semblent regarder l’horizon, tout en semblant nostalgiques.
Martres Tolosane, le mardi 12 mars 2019.
Il y a un an, j’étais à Bells Beach avec Jérém.
Je n’ai pas de ses nouvelles depuis, à part mes vœux pour son anniversaire, et je crois bien que je n’en aurai plus jamais.
La vie continue, à chacun la sienne.
J’espère qu’Ewan sera là pour lui pendant longtemps. J’espère qu’il est et qu’il sera heureux avec Ewan, je l’espère, de tout mon cœur.
Je ressens un certain apaisement en regardant le passé devenir enfin le passé.
Martres Tolosane, le vendredi 4 juin 2019.
Après la sortie officielle de nombreux titres sur les plateformes officielles, le nouvel album « Madame X » est enfin livré. Un nouvel album de Madonna est un événement pour le fan que je suis, d’autant plus qu’il sort 4 ans après le précèdent, et qu’il est le dernier prévu au contrat avec sa maison de disque. A 61 ans désormais, on est en droit de se demander s’il y aura un autre contrat et un autre album, un jour.
Je dévore les quelques titres encore inédits et je me laisse porter par la très belle surprise musicale qu’est « God Control », pamphlet contre les armes à feu en vente libre aux Etats Unis, et « Batuka », évocation de l’horreur de l’esclavage.
Dans un registre un peu plus fun, pour le titre d’ouverture de l’album, « Medellin », Madonna est accompagnée par cette bombasse colombienne qu’est Maluma.
https://www.youtube.com/watch?v=b8PtBzdiZ3g
Pendant l’été, je prends deux semaines pour aller retrouver Anthony à New York.
Octobre 2019.
C’est au début de l’automne qu’Anthony revient enfin en France. En attendant de voir venir, je lui ai proposé de venir s’installer directement chez moi à Martres Tolosane. Et il a accepté.
Près de deux mois que je ne l’ai pas vu en vrai. Et je le trouve plus mignon et craquant que jamais.
Dans ses valises, Anthony a de belles planches à me montrer, des instantanés de bonheur entre petits mecs. Son trait s’est encore amélioré, il a trouvé un style original et attachant pour célébrer la beauté du Masculin dans toutes ses nuances. C’est réaliste, poétique et sensuel, tout à la fois.
— J’aimerais dessiner une vraie histoire, mais je n’ai pas de scénario, il m’avoue un jour.
Martres Tolosane, le samedi 19 octobre 2019.
Quelques jours après le retour d’Anthony, près de deux ans après notre première rencontre, j’organise enfin les présentations avec mes parents, chose que je n’ai pas eu l’occasion de faire jusqu’à présent.
C’est également l’occasion de leur annoncer qu’Anthony a eu une proposition de travail à Paris, ainsi que notre intention de nous installer dans la capitale dès le printemps 2020.
En évoquant Paris avec mes parents, des souvenirs remontent. En pensant à Jérém, je réalise que pour la première fois de ma vie, j’ai oublié son anniversaire trois jours plus tôt.
Toulouse, réveillon de Noël 2019.
C’est Papa qui m’a proposé de fêter le réveillon de Noël en famille, avec Anthony. Je suis heureux de voir que mes parents ont bien accepté le garçon qui emplit ma vie de lumière.
— Il est vraiment charmant ce garçon, me glisse discrètement Maman, alors que nous sommes tous les deux dans la cuisine en train de couper le rôti.
— Il est adorable ! je confirme.
— Tu es heureux avec lui ?
— Très heureux, comme je croyais ne plus pouvoir l’être un jour.
— Je suis très heureuse pour toi !
— Merci Maman.
— Il a l’air très amoureux.
— Je le suis aussi.
— Aimer et être aimé, c’est quelque chose de précieux.
— Je sais, Maman.
— Il faut choyer chaque jour l’Être qui nous rend heureux.
— Je fais de mon mieux. C’est pour ça que je pars à Paris avec lui.
— Tu vas me manquer, P’tit Loup !
— Toi aussi, Maman !
L’année 2019 se termine avec un horizon plus que jamais dégagé pour moi.
Un horizon à peine assombri par une info inquiétante qui commence à circuler dans les actualités. Mais les autorités se veulent rassurantes. Ce virus est loin, et il n’arrivera pas jusqu’à nous.
L’année 2020.
Un an que j’ai acheté les tickets, un an que j’attends ce rendez-vous avec la plus grande impatience.
Mais à l’approche de la date du concert, l’inquiétude grandit. Madonna souffre d’une fragilité au genou et à la hanche. Dans les villes américaines, certains soirs les concerts sont écourtés. Des annulations commencent à tomber, au gré du bulletin de santé de la Star.
« C’est pour moi une punition de ne pas pouvoir assurer mon show ce soir » écrit-elle dans l’un de ses posts Instagram.
J’ai prévu d’y aller le 8 mars avec Anthony, et d’y retourner seul le 11 mars, date du tout dernier spectacle de la tournée. J’espère pouvoir assister à au moins l’une des deux dates.
Paris, début mars 2020.
Anthony et moi nous sommes rendus à Paris quelques jours avant les concerts. Anthony a rencontré son futur employeur, et a signé son contrat de travail. Nous avons visité plusieurs logements, et nous en avons retenu un qui nous a plu. Notre future installation se concrétise. Elle est prévue pour la mi-avril. J’ai donné ma démission à Toulouse, et j’ai commencé à chercher du travail sur place. Ça n’a encore rien donné, mais je reste confiant.
A Paris, dernière ville de la tournée, Madonna doit se produire une quinzaine de fois au Grand Rex entre fin février et mi-mars. Mais après des mois de concerts, la fatigue s’accumule, ses douleurs s’accentuent, et les annulations sont de plus en plus fréquentes. Je croise les doigts, ceux des mains et ceux des pieds.
Finalement, le spectacle du 8 mars est maintenu.
Ça fait bizarre de venir retrouver Madonna dans une salle de moins de trois mille places, après l’avoir vue en concert dans des arénas et des stades. Mais l’ambiance plus « intime » offre une expérience différente avec l’artiste. Elle interagit davantage avec le public que par le passé.
Oui, Madonna a mal au genou et à la hanche. Ça se voit, ses mouvements sont parfois gênés. Oui, Madonna est humaine, elle est faite de chair et de sang. C’est dur mais il faut s’y faire, le meilleur de sa carrière est derrière elle. Un jour, elle sera obligée de raccrocher.
Mais qu’importe, elle avance, comme elle l’a toujours fait, malgré les coups durs et les critiques. C’est ça qui me touche chez elle, sa résilience, son coté fonceuse.
« La chose la plus controversée que j’ai faite dans ma vie, est de m’accrocher » est justement le propos initial du Madame X Tour.
Je suis ravi par cette soirée. Et Anthony a l’air de l’être tout autant que moi. Je m’estime chanceux d’avoir pu y assister, d’autant plus après avoir craint une annulation jusqu’à la dernière minute.
Les deux dernières dates de la tournée, celles du 10 et du 11 mars 2020, sont annulées non pas à cause de sa condition physique, mais à la suite des dispositions du gouvernement pour tenter de faire face à la pandémie du COVID19 qui a finalement réussi à arriver jusqu’à nous.
Martres Tolosane, le mardi 17 mars 2020.
Et puis, un jour, le monde s’est arrêté de tourner. Du jour au lendemain, des millions de gens se sont vu notifier une interdiction de circuler sur le territoire national.
Le premier confinement vient de tomber. Et, avec lui, une avalanche d’infos anxiogènes.
Un virus mortel sorti d’un laboratoire chinois. Accident ou sabotage ? On évoque un complot entre le pangolin (animal inconnu jusque-là) et les chauves-souris. Une affection pour laquelle il n’existe ni de vaccin, ni de traitement efficace. Les infos officielles font état de morts, nombreux, de services d’urgences saturés.
Même pas de masques disponibles pour se protéger. La peur de la contagion. La peur pour nos proches.
Un pays à l’arrêt, un confinement qui est sans cesse rallongé, des gens pris de psychoses qui font des provisions pour des régiments, les difficultés de réapprovisionnement, les étals des supermarchés qui se vident, des images de pays en guerre.
Les chaînes télés qui multiplient les éditions spéciales et les intervenants autoproclamés experts, contribuant ainsi à l’alarmisme et la diffusion de la psychose. Les annonces parfois contradictoires et incohérentes des autorités. Les désaccords dans le monde scientifique. La perte de confiance dans les institutions et autorités politiques, sanitaires et scientifiques. Des prévisions apocalyptiques. Les théories du complot qui fleurissent de partout. Internet qui plus que jamais se substitue à la vie réelle et qui se fait vecteur de la désinformation.
Bref, un monde qui semble partir totalement à la dérive.
Perso, si je fais abstraction du fait que le confinement reporte notre installation à Paris, ainsi que d’une certaine crainte pour mes proches, je vis plutôt bien cette période. Je suis confiné avec le garçon que j’aime et avec mon labrador, soit les deux êtres qui m’apportent le plus de bonheur au monde.
Je profite de cette période surréaliste pour avancer dans le projet « Julien&Nathan ». J’en fais lire des extraits à Anthony, qui a l’air d’apprécier. C’est lui qui m’encourage à diffuser mon histoire sur le Net. Je repère un site qui publie des histoires entre garçons. J’en lis certaines. J’en apprécie quelques-unes.
J’hésite à poster mon premier texte. Car, même si j’ai changé pas mal de choses par rapport au premier jet, il reste beaucoup de moi dans cette histoire romancée. Malgré la protection garantie par l’anonymat, l’idée de publier mes écrits me donne l’impression de me mettre à nu.
Après une longue hésitation, je décide de me lancer. C’est décidé. Le premier épisode de mon histoire, « Julien a 19 ans » va paraître. Après avoir longtemps hésité, je finis par cliquer sur le bouton « Poster ».
Et là, il se produit quelque chose que je n’avais pas prévu. Les jours se suivent sans que rien ne se passe. Deux, trois, dix jours. L’attente me paraît interminable. Je finis par me dire que les modérateurs ont dû trouver ça nul, qu’ils ont foutu ça à la poubelle en se moquant de l’« auteur ».
Et lorsque ça paraît enfin, je sens mon cœur bondir dans ma poitrine. Et je ne suis pas rassuré pour autant. Je me dis que personne ne va le lire, et que si quelqu’un devait le faire, il trouverait ça ridicule. Je n’ose même pas imaginer recevoir des commentaires, qui me démoliraient à coup sûr.
Et non, contre toute attente, le compteur des vues se met à tourner. Dix, cent, mille. Il se stabilise autour de 3500. Quelques commentaires apparaissent, et sont même plutôt élogieux.
— Tu as vu ? fait Anthony, plein d’enthousiasme. Tu as un vrai talent, Nico, n’en doute pas !
Mais l’engouement d’Anthony ne s’arrête pas là. Un jour, de retour de ma sortie courses, une surprise m’attend. Sur la table du séjour est posée une feuille A3. L’espace est divisé en cases de différentes dimensions. Et les visuels, les personnages, les situations, les décors ébauchés dans ces petits espaces me rappellent étrangement une histoire.
Première case, un garçon, prénomme Nathan sa balade dans des allées un jour de grand vent. Cases suivantes, le même garçon hésite, puis recommence à avancer vers sa destination. Il arrive face à un petit immeuble, il appuie sur une sonnette, monte des escaliers. Un autre garçon, prénommé Julien lui ouvre la porte en affichant un sourire ravageur et conquérant.
Le trait est épuré, sobre, et pourtant précis, net. C’est beau, spontané, émouvant. C’est tellement saisissant que de voir mon histoire mise en images. De voir mes souvenirs mis en images. J’en ai les larmes aux yeux.
— Tu aimes pas ? m’interroge Anthony en rentrant du jardin avec Galaak.
— Si, j’adore !
— Si tu es d’accord pour me céder les droits, je crois que j’ai trouvé le scénario de ma première BD…
Depuis ce jour, Anthony s’est attelé à mettre en images les premiers épisodes de mon histoire. Les planches s’entassent rapidement. Le petit brun me demande souvent mon avis sur ses dessins, sur la représentation de tel ou tel personnage, d’un visage, d’une attitude, d’une mise en scène, d’un décor. Il est très attaché de mon texte et il semble vraiment mettre un point d’honneur à respecter fidèlement mes intentions narratives.
Et moi, je suis ravi du résultat. Ses dessins, ce regard tendre qu’il porte sur les garçons, ce trait si particulier qui est le sien, subliment l’univers de mon histoire. Mes personnages sont plus vivants que jamais.
Les jours, les semaines de confinement défilent dans une ambiance créative très stimulante. Je passe mes journées à écrire, Anthony passe ses journées à dessiner. Ce travail en tandem est vraiment très excitant. Notre complicité n’a jamais été aussi forte que depuis que nous partageons ce projet.
L’énergie créative est une force puissante qui illumine nos journées, allant jusqu’à exacerber notre libido. J’ai tout le temps envie de lui. Et Anthony n’est jamais en reste. Nous faisons l’amour, souvent. L’énergie sexuelle est une énergie puissante qui illumine elle aussi nos journées, allant jusqu’à exacerber notre créativité. Un sublime cercle vertueux.
Pendant toute cette période, je finalise et publie un épisode par semaine. Un lecteur me contacte en message privé et me propose de faire une relecture avant publication pour vérifier l’orthographe et me donner ses premières impressions. Bien évidemment, j’accepte son aide bienvenue.
L’écriture m’accapare totalement, et je ne vois pas le temps passer. Parfois, du matin au soir, je ne me lève de mon ordi que pour aller aux toilettes et pour manger un bout. Je suis tellement happé par les destinées de mes personnages que j’ai tendance à moins m’occuper de Galaak.
Parfois, au bout de longues heures passées à l’ordi, le Labranoir vient se manifester pour obtenir un peu de mon attention. Il vient à mon bureau, il se colle contre ma jambe, il déplace ma chaise à roulettes avec toute sa masse, il pousse mon avant-bras avec son museau pour que je le décolle du plan de travail, et mes mains du clavier, il me montre fièrement la « carotte » qu’il tient dans la gueule, tout en la mâchouillant pour la faire « chanter » (elle a remplacé le ballon de rugby, ayant cessé de faire « pouic pouic » sous ses crocs, paix à son âme), et il finit par la faire tomber juste à côté de moi.
Lorsqu’il vient me bousculer de la sorte, je sais que je ne me suis pas assez occupé de lui, et je m’en veux. Je m’octroie une pause, et je lui donne un peu de mon temps. Je caresse son corps massif, son museau tout doux. Lorsque je lui caresse le poitrail, il est comme en état d’hypnose. Et je peux en faire ce que je veux, saisir ses grosses patounes, le faire rouler sur le dos, comme une boule. Ce chien est prêt à jouer dès qu’on le touche. Je me ressource de sa douceur, je suis ému par son excitation pour une carotte en plastique qui fait « pouic pouic », un son qui est presque sa voix, la voix de Galaak.
Mais parfois, je résiste à ses appels au jeu et au partage. Il arrive que son envie de jouer tombe au mauvais moment, lorsque je suis au beau milieu d’un passage « important », un moment où je ne peux pas quitter le clavier, de peur de perdre le fil de mon récit. Alors, je lui demande d’attendre, encore. Parfois, quand je suis enfin disponible, Galaak est déjà retourné sur son tapis, il est enroulé en boule, endormi, et il n’a plus envie de jouer.
Je m’en veux terriblement de ne pas savoir lui donner plus de mon temps. Je sais que l’horloge tourne, Galaak va déjà avoir 9 ans ! Du poil blanc a fait peu à peu son apparition sous son menton. Il me fait de plus en plus penser à Gabin ! Je sais que je devrais profiter davantage du temps qui nous reste. Je sais que je vais regretter le temps que je ne lui aurai pas consacré.
Début mai 2020.
Après plusieurs reports, le confinement est enfin levé. Le monde reprend peu à peu son rythme habituel. Mais les gestes barrière demeurent d’actualité. Et parmi eux, l’un est particulièrement dérangeant. Je veux bien entendu parler de l’obligation du port du masque dans l’espace public. D'abord manquant, puis conseillé, imposé, subi, critiqué, détesté, il est désormais partout.
C’est un simple bout de papier ou de tissu qui cache la moitié inférieure du visage. Il dissimule la bouche, les lèvres, nous prive de ce cadeau précieux qu’est le sourire d’un garçon. Le masque qui crée la frustration, qui tente de bâillonner la bogossitude.
Mais la bogossitude refuse pourtant de se laisser censurer, elle trouve d’autres moyens pour s’exprimer. Comme dans le regard. Un regard qui est devenu généralement plus charmant, plus charmeur, plus appuyé, plus intriguant, plus intrigué, plus insistant, plus mystérieux, plus interrogateur.
En cette période de déguisement, la bogossitude se laisse imaginer, deviner, désirer, fantasmer.
Anthony et moi profitons de ce retour à la normale, que certains annoncent d’ores et déjà comme n’étant pas définitif, pour finaliser notre installation à Paris. Ça me fait bizarre de remonter à la capitale après toutes ces années. Je crois que je n’y suis pas retourné depuis l’agression il y a bientôt quinze ans. Ça me fait tout drôle de remonter à Paris et de ne pas y aller pour voir Jérém.
Un soir, Anthony me propose de monter à Montmartre pour dîner. Le petit brun ignore les souvenirs que cette ascension, que ce lieu, que cette soirée font remonter en moi. Je n’ai pas envie de lui en parler, de prendre le risque de gâcher ce moment, sa bonne humeur, son enthousiasme. Mais les souvenirs sont là, et je dois produire un effort considérable pour ne pas les laisser m’envahir. Je redouble d’attention pour le petit brun, et tout se passe bien.
Eté 2020.
Nous profitons de l’été et de l’absence du confinement pour prendre quelques vacances. C’est bon de retrouver le plaisir de sortir de chez soi et de circuler sans restriction.
En redescendant de Paris, une halte au Futuroscope ravive de nouveaux souvenirs. Quelques jours au Pays Basque en réveillent d’autres encore.
Les souvenirs des jours heureux avec Jérém sont partout. Je ne peux pas y échapper. Je ne peux pas les éviter. Il va falloir apprendre à vivre avec.
Septembre 2020.
A la rentrée, Anthony prend enfin son poste dans la boîte parisienne qui l’a embauché. Son taf consiste à réaliser des visuels pour des publicités et des sites Internet. Un job « alimentaire » lui permettant d’avoir un salaire correct, tout en continuant à dessiner à côté, en attendant de terminer le premier volume de son adaptation de mon histoire, sobrement intitulé « Julien, qui est-il ce garçon ? », titre qui est une référence à un tube de Madonna, « Who’s that girl ? ».
C’est un travail de longue haleine auquel Anthony se consacre avec acharnement et passion. Ça se voit qu’il a ça dans le sang, qu’il est dans son élément, et qu’il est heureux quand il dessine.
Avant de voir le petit brun à l’œuvre, je ne réalisais pas la masse de travail que représente la création d’une BD, plus imposante encore que l’écriture elle-même.
Octobre 2020.
Les oiseaux de mauvais augure ne s’y étaient pas trompés. Ça n’en était pas fini avec cette sale bête de COVID. Lors d’une intervention à la télé, notre Manu national nous annonce un deuxième confinement à partir du 30 octobre.
C’est à ce moment, pendant cette nouvelle période qui nous offre beaucoup de temps pour nos passions respectives, que nous décidons de nous lancer dans un nouveau projet. Celui de créer un site Internet pour héberger mes écrits et ses planches. C’est Anthony qui s’attèle à concevoir l’environnement numérique qui va accueillir nos loulous.
Le site « julien-nathan.com » voit le jour le 1er décembre 2020.
http://www.jerem-nico.com/julien-nathan-com-a215457009
Au fils des semaines, je constate une forte tendance des lecteurs à migrer vers le site nouvellement crée. Je dois beaucoup au premier site où j’ai publié mes écrits, car il m’a permis une visibilité que je n’aurais pas pu atteindre par moi-même. Je continue d’ailleurs à y publier les épisodes de mon histoire. Mais julien-nathan.com est plus soigné (Anthony a fait un très beau travail), uniquement centré sur mon histoire, magnifiée par les quelques dessins qu’Anthony y a publié. Et les lecteurs apprécient.
Les commentaires sont nombreux. « Julien et Nathan » est en train d’attirer un certain public de « fidèles ». Parmi eux, beaucoup d’hommes gays, bien entendu. Certains m’ont raconté s’être reconnus dans mes personnages, dans leurs hésitations, leurs bonheurs, leurs désirs, leurs peurs, leurs erreurs. Ils m’ont affirmé que mon histoire avait ravivé des souvenirs. Qu’elle les avait accompagnés lors d’un cap difficile de leur vie, d’une rupture, ou dans ces périodes surréalistes de confinement. Certains d’entre eux sont devenus des amis.
J’ai été étonné de recevoir également de nombreux retours de la part de femmes de tout âge. Intrigué, j’ai voulu savoir ce qu’une nana pouvait bien trouver « intéressant » dans une histoire entre garçons. Il en est ressorti que l’élément « marquant » de ce genre de récits est le côté « interdit », clandestin, entravé, toujours présent. Dans les histoires entre garçons, il y a souvent des obstacles – l’amour impossible, à sens unique, le regard de l’autre, des autres, le rejet de la société, la difficulté à s’assumer – qui rendent le bonheur plus difficile à atteindre, et donc plus « précieux ». C’est le côté « Roméo et Juliette », en version « Roméo et Julien », bien entendu, qui semble faire mouche.
L’année 2021.
L’année 2021 commence plutôt bien. Dans le monde, car des vaccins contre le COVID sont annoncés. Une sortie définitive de l’époque COVID se laisse entrevoir. La campagne de vaccination se met en branle. Les antivax, aussi. On ne sait plus qui croire, qui écouter.
Perso, il me semble que la validité d’une solution à un problème se situe toujours dans le point d’équilibre entre avantages et inconvénients, entre bénéfices attendus et risques encourus. Et c’est toujours par le vaccin que l’Humanité a vaincu des épidémies virales.
Cette année commence également très bien pour Anthony et moi. Mi-janvier, nous recevons sur notre site « Julien&Nathan » un mail venant d’un éditeur parisien qui se dit très intéressé par la publication de mes écrits et des planches d’Anthony.
Nous convenons d’un rendez-vous, début février. Au cours de cette première rencontre, un projet de publication est discuté. Quelques suggestions sont exprimées par le directeur de publication, à la fois pour mon livre et pour la BD.
Les termes de l’accord nous semblent corrects, et une semaine plus tard, nous signons notre premier contrat d’auteurs.
La publication du premier livre et de la première BD est prévue pour le mois de mai 2021. Le temps est compté, mais nous mettons les bouchées doubles. C’est grisant d’avoir ce projet commun. Cette considération, cette estime réciproque du travail de l’autre rend notre amour encore plus pétillant, plus excitant. L’amour avec Anthony est un pur bonheur. Je ne croyais pas retrouver un garçon avec qui je partagerais autant de plaisir.
Début avril, la saison 3 de la série « Confinement » est annoncée sur tous les écrans. Une nouvelle pause hors du temps qui nous file un sacré coup de main pour arriver à livrer nos « manuscrits » dans les temps.
Paris, le mercredi 12 mai 2021, 18h16.
C’est en préparant le dîner que je découvre pour la toute première fois son regard, sa douceur, sa force, son courage, sa droiture, et son combat.
https://www.youtube.com/watch?v=6OFCDQr6obQ
Ce garçon crève littéralement l’écran. Ce garçon est beau, terriblement beau. Non seulement parce qu’il est à la fois bogoss et puits à câlins. Mais parce que c’est un garçon lumineux, solaire, terriblement émouvant. Ce garçon est beau à l’intérieur.
Ce soir, il vient dénoncer la mentalité qui l’a détruit moralement et qui l’a privé de sa chance d’avoir une belle carrière dans le foot professionnel. Il vient dénoncer cette culture de l’homophobie qui détruit des jeunes hommes et des jeunes femmes. Mais il ne vient pas en criant, en accusant, en nommant. Il vient raconter ce qu’il a vécu, en montrant les dégâts que cela a occasionné, et en demandant que ça change. Ses propos sont justes, touchants, bouleversants.
Ses mots ont un écho tout particulier en moi, car elles me ramènent à l’agression dont nous avons été victimes Jérém et moi, et à cette ambiance homophobe qui a détruit la carrière de Jérém. Ce soir, je me sens révolté comme jamais par l’Injustice.
La voix de Ouissem est belle. Non seulement parce qu’elle est douce et chaude, comme le reflet de la nature profonde de son esprit, mais parce qu’elle porte un message de tolérance, de bienveillance et d’espoir.
Son plus beau message, c’est de voir qu’il a surmonté tout ça, qu’il a dit adieu à la honte, qu’il a accepté qui il est, qu’il s’est battu et est devenu ce qu’il est. Et que l’homophobie, et la souffrance qu’elle engendre, ne sont pas une fatalité. Et que se reconstruire après avoir été détruit, c’est possible aussi.
Son histoire est un bien bel exemple de résilience, de force, de noble courage, un espoir pour ceux qui doutent, qui ont peur, qui se cachent. Un témoignage pour tenter de faire changer les mentalités de ceux qui oppriment.
Seule la parole peut faire avancer les choses. Et il faut des gens comme Ouissem pour la porter, pour la faire entendre au plus grand nombre, pour montrer qu’on ne doit pas avoir honte de qui l’on est, qu’on a le droit d’être soi-même, qu’on n’est pas seuls et qu’il ne faut pas laisser la peur, et encore moins les autres, décider pour nous.
J’ai tellement envie de serrer ce garçon dans mes bras !
Lorsque sa belle petite gueule à bisous disparaît de l’écran et que la pub arrive, je réalise que ma pizza a commencé à cramer dans le four.
Paris, le mercredi 26 mai 2021.
La maison d’édition a mis elle aussi les bouchées doubles. Les réseaux sociaux ont été mis à contribution pour promouvoir la sortie de « Julien&Nathan ». Le site a bénéficié d’un relooking. Nous recevons pas mal de messages d’encouragement et de félicitation.
C’est aujourd’hui que le livre et la BD sortent enfin. Une sortie d’abord sur les sites de commerce en ligne. Pour les libraires, on verra plus tard.
Je suis fier de notre travail. Et je suis tout particulièrement touché par le travail d’Anthony, par sa capacité à transcrire mon texte en images percutantes. Et par sa capacité de prendre du recul pour dessiner une histoire qui est très fortement inspirée par celle que son petit ami, moi en l’occurrence, a vécu avec un autre garçon.
Paris, le samedi 16 octobre 2021.
L’été est passé sans encombre. Il semblerait qu’il n’y aura plus d’autres confinements.
Le livre et la BD marchent un peu, mais pas autant qu’on l’aurait espéré. La gratuité des publications précédentes sur notre site Internet limite l’intérêt de la sortie physique. Et pourtant, notre éditeur a confirmé la sortie des tomes 2. Il semble croire dur comme fer dans le potentiel de notre histoire. Et nous y travaillons d’arrache-pied.
Je redoutais de m’installer à Paris et d’avoir beaucoup de mal à côtoyer les lieux chargés des souvenirs de mon histoire avec Jérém. Ça a été le cas au début, mais j’ai fini par m’y faire. Plus le temps passe, plus je me sens plus « fort ».
Aujourd’hui, Jérém a 40 ans. Et c’est par le biais d’un simple message que je lui souhaite un bon anniversaire.
Quelques messages, voilà qui résume notre relation depuis trois ans. Les coups de fil, il n’y en a jamais eu. Le décalage horaire, ajouté au décalage de nos vies, les rendent presque impossibles de toute façon. Et puis, nous appeler, pour nous dire quoi ?
Alors, nous nous contentons de messages. Bon anniversaire, le mien, le sien. Bonne année…
Oui, aujourd’hui, Jérém a 40 ans. C’est un cap important. Je me demande comment il le vit, si ce changement de dizaine a impacté le regard qu’il porte sur sa vie, et sur la vie en général. Je le sais bien entouré, et ça me rassure.
L’anniversaire de Jérém me fait prendre conscience que j’approche moi aussi de la quarantaine, et que cette « échéance » arrivera dans moins d’un an. Mais elle ne me fait pas particulièrement peur. Car j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé un certain équilibre dans la vie.
Je suis avec un garçon qui m’aime et que j’aime. J’ai une passion dans la vie, l’écriture, qui m’apporte beaucoup de joie. Je viens de trouver un emploi dans les services d’eau potable de la Mairie de Paris qui va m’assurer un certain équilibre financier.
Aussi, je crois que je suis enfin en paix avec moi-même et avec mon passé.
Toulouse, le vendredi 31 décembre 2021.
Une nouvelle année s’achève, une autre arrive. A l’approche de ma quarantaine, la course inarrêtable du temps me titille de plus en plus. Je regarde impuissant les jours et les mois se succéder, entraîné par la course du quotidien, au fond de moi l’impression de rater l’essentiel. Lorsqu’un nouveau jour s’achève, c’est comme une petite mort. Lorsqu’une nouvelle année s’achève, ça l’est un peu plus encore.
Mais l’âge a du bon aussi. On arrive à regarder les choses avec plus de recul.
Avec le temps, j’ai fini par réaliser que si j’ai eu autant de mal à renoncer à Jérém, c’est parce qu’il a été le garçon qui m’a fait ressentir le bonheur vertigineux qu’on ressent quand on aime pour la toute première fois. Il a été le garçon qui a foudroyé mon cœur le premier jour du lycée, celui qui m’a fait connaître le plaisir entre garçons et qui me l’a instantanément fait adorer. Celui qui m’a fait me sentir vivant pour la toute première fois de ma vie. Celui qui m’a offert les plus beaux frissons de mes dix-huit ans, les frissons d’aimer en cachette – c’était avant mon coming out, avant le sien – le frison de l’interdit, le frisson qu’était la peur qu’il disparaisse de ma vie après chacune de nos rencontres. Jérém m’a fait connaître des joies insensées et des souffrances inouïes. Des frissons exacerbés, que je ne retrouverai plus jamais avec la même folle intensité.
Jérém a été toutes mes premières fois.
J’avais dix-huit ans. Et on ne vit plus jamais les choses avec l’intensité des dix-huit ans quand tout est découverte et émerveillement. Quand on n’a pas peur de souffrir.
Si notre séparation m’a longtemps empli de tristesse, si le deuil de cet amour a été pendant longtemps chose impossible, c’était parce qu’au fond de moi, je savais que c’était la fin d’une époque de ma vie, l’époque de l’insouciance, et de l’amour fou. Et au fond de moi, j’étais persuadé que non seulement elle avait été la plus heureuse de toutes celles que j’avais vécues, mais aussi la plus heureuse de celles que je vivrai à tout jamais. J’ai cru pendant longtemps que je ne pourrais plus jamais être aussi heureux que je l’ai été avec Jérém.
Dès lors, je n’avais plus grand chose à espérer de la vie. Je pensant que tout m’aurait paru fade.
Aussi, j’avais peur qu’en m’autorisant à être heureux à nouveau, je finirais par oublier le bonheur avec un grand « B » que j’avais vécu avec Jérém.
Je sais à présent que je peux être heureux à nouveau. Et que je n’oublierai pas Jérém pour autant. J’oublierai certains détails, certainement. J’en ai déjà oubliés, d’ailleurs. Mais je sais que je n’oublierai pas ce qu’il a représenté pour moi.
https://www.youtube.com/watch?v=R0cfZczo4yk
Je me souviendrai
De la force que tu m’as donnée
De l’amour que tu m’as donné
De la façon dont tu m’as changé
Je sais désormais qu’il ne faut pas fuir ses souvenirs. Au contraire, il faut les aimer, les chérir, même si parfois ils peuvent faire mal. Il faut apprendre à se réconcilier avec. Car les souvenirs sont les témoins vivants de nos expériences de vie. Ils déterminent qui nous sommes et pourquoi nous le sommes devenus. Mes expériences ont fait de moi celui que je suis aujourd’hui. Il faut juste leur trouver une bonne place dans notre présent pour ne pas qu’ils nous empêchent d’avancer.
Mais il ne faut jamais oublier d’où l’on vient.
Mon amour pour Jérém sera toujours là. Mais désormais il ne m’empêchera plus d’être heureux à nouveau. D’aimer à nouveau. Tout ce qui m’a longtemps paru inconcevable me semble enfin envisageable, possible, souhaitable. La vie est trop courte pour ne pas écouter le Bonheur quand il toque à notre porte et nous appelle à le suivre.
Finalement, mon escapade en Australie, m’a fait du bien. J’avais besoin d’entendre ses mots, j’avais besoin d’entendre sa voix. J’avais besoin de revoir Jérém une dernière fois, de voir qu’il était bien dans sa nouvelle vie. Et son nouveau bonheur m’a autorisé à vivre le mien sans plus culpabiliser. Son bonheur m’a fait accepter que la vie nous a séparés, mais que chacun aura toujours une place spéciale dans le cœur de l’autre.
Oui, aujourd’hui, près de quinze ans après la fin de notre histoire, je me sens enfin apaisé.
« Bonne année » je lui envoie par message. Je sais que ce sera mon dernier message.
Tout comme je sais que le « Bonne année à toi aussi » que je reçois en retour quelques minutes plus tard sera son dernier message. Je crois que tout est fait, que tout est dit.
Je crois que je n’attends plus. Que je ne l’attends plus.
https://www.youtube.com/watch?v=Q_pfnLybgCY
Mais tu m’as dit (…)
S'il te plait ne m'attends pas
Attends patiemment l'amour
Un jour ça viendra sûrement
Et il est venu. Anthony est là, à côté de moi, à cette soirée de réveillon.
Oui, ma séparation d’avec Jérém m’a longtemps empli de tristesse. Mais c’est fini. Je ne serai plus triste en pensant à cette époque de ma vie. D’autant plus que je le sais désormais, notre séparation a eu pour effet de préserver le souvenir de notre amour. Un amour foudroyé en plein vol, un amour sur lequel l’usure du temps n’aura pas eu d’effet.
Un amour qui restera à tout jamais comme une pure représentation de l’insouciance de notre première jeunesse.
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