Jérém&Nico Saison 2 Episode 01 Recommencer sans lui.
Récit érotique écrit par Fab75du31 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 22-11-2018 dans la catégorie Entre-nous, les hommes
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Jérém&Nico Saison 2 Episode 01 Recommencer sans lui.
Précédemment, dans Jérém&Nico.
Nico, c’est moi : j’ai 18 ans, j’habite Toulouse, et je viens de passer mon bac.
Jérém, c’est le garçon dont je suis fou depuis le premier jour du lycée. Brun, gaulé comme un dieu, avec une petite gueule à faire jouir d’urgence ; rugbyman et coureur de nanas, depuis trois ans il occupe toutes mes pensées et toutes mes branlettes.
C’est par une belle journée de mai que j’ai trouvé le courage de lui proposer de réviser les maths chez lui. Il a dit oui.
Mais au lieu de réviser, il a voulu que je le suce ; alors, je l’ai sucé. Il a aussi voulu me baiser : là non plus, je n’ai pas dit non. Je n’ai pas pu dire non. J’en avais tellement envie.
Depuis ce jour, on s’est vus régulièrement pour de très plaisantes « révisions » : chez lui, dans les chiottes du lycée, dans les vestiaires du terrain de rugby, chez moi.
Le sexe avec Jérém, c’est explosif. Il fait ça comme un Dieu. Il fait ça plusieurs fois dans une nuit ou dans un après-midi. Un jeune mâle inépuisable.
Le sexe, c’est le moteur de notre « relation » : et Jérém, n’en demande pas plus.
Mais pour moi, c’est différent : car moi, je suis amoureux de lui.
Pendant des mois, avant le bac, notre relation a connu des hauts et des bas, principalement à cause du fait que le bobrun n’assume pas nos coucheries et le plaisir qu’il prend avec moi ; une relation houleuse qui aurait pu se compliquer encore lorsque, le lendemain du bac, Jérém a commencé à travailler comme serveur dans une brasserie à Esquirol, ce qui ne justifiait plus non « révisions » ; et encore plus, lorsqu’il a été expulsé de son appart rue de la Colombette et qu’il a emménagé chez son pote Thibault.
Pourtant, contre tout attente, ces deux évènements ont semblé ouvrir de nouvelles perspectives pour notre relation : ainsi, pendant une semaine que j’ai appelée « magique », le bobrun est venu me voir chez moi chaque jour pendant sa pause ; une semaine pendant laquelle notre complicité semblait se faire de plus en plus forte ; une semaine où sa carapace de serial baiseur dénoué de tout sentiment (notamment « pour un pd ») semblait en train de tomber pour révéler un être sensible et passionnel.
Une semaine pendant laquelle j’avais vraiment commencé à croire que tout devenait possible avec le gars que j’aimais.
Puis, la nouvelle de son probable recrutement par un club de rugby de la capitale était tombée ; Jérém avait alors aussitôt remonté toute sa carapace, et il avait fini par me quitter. Brutalement.
Après deux semaines de tristesse, de manque, de souffrance, deux semaines qui ont été les pires de ma vie, je l’avais recroisé une nuit, fin août : je n’étais pas seul, j’étais avec Martin, un moniteur d’auto-école que j’avais croisé dans une boite gay aux Carmes.
Jérém, lui, était seul, mais saoul : il s’est montré jaloux, méchant, possessif. Il est reparti en colère.
Deux heures plus tard, lors d’une bagarre, il avait cogné la tête contre un mur et il avait perdu connaissance.
Le fourgon noir à la silhouette carrée quitte l’avenue de Grande Bretagne, traverse la Patte d’Oie, St Cyprien, le pont St Pierre ; il franchit la Garonne et il rentre dans la ville, il parcourt les rues aux façades en brique rose ou jaune, ces lieux familiers qui ont été le théâtre de ta courte vie.
Maudit accident, arrivé par une chaude nuit d’été, alors que tu n’avais même pas vingt ans !
Pourquoi, mais pourquoi il a fallu que les choses se passent ainsi ? Pourquoi il a fallu que tu partes si tôt ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, alors que tu avais de si grandes choses à accomplir ?!
C’est horrible, c’est injuste. J’ai envie de pleurer, de me taper la tête contre le mur : pourquoi, toi ?
Comment recommencer à vivre après ça ? Comment recommencer à vivre, sans toi ? Comment recommencer à vivre, sans toi sur cette terre ?
Depuis trois jours, je ne dors plus, je ne mange plus : la douleur me tue. Je n’ai jamais ressenti rien de plus insupportable de ma vie.
Ça ne faisait que quelques mois que tu étais entré dans ma vie, au printemps dernier ; et quelques mois plus tard, en cette amère fin d’été, je me retrouve en voiture avec ton meilleur pote pour t’accompagner dans ton dernier voyage.
Je le regarde, effondré dans le siège passager, il n’arrive pas à contenir ses larmes, il est défait, anéanti.
« Thibault B., pompier volontaire et espoir du rugby toulousain, victime d’un accident de la route dimanche dernier, succombe des suites de ses blessures » : voilà comment la « Dépêche du Midi » a raconté le chapitre final de ton existence. Ce n’était pas dans la partie « Dépêche de Toulouse », c’était dans le supplément « Sport » : car même si tu n’avais pas encore été titularisé dans le maillot rouge et noir, tu étais déjà considéré comme un pro.
Il y a tellement de choses que j’aurais envie de te dire et que je regrette de ne t’avoir jamais dites : mais avant tout, je voudrais avoir eu le temps de te dire à quel point ça a été un honneur pour moi de t’avoir pour ami.
Le fourgon noir s'arrête sur le parvis de l'église, devant l'entrée principale. Le hayon vitré s'ouvre, laissant apercevoir le cercueil couvert de fleurs. Tu es là-dedans, c'est vraiment ça.
Les agents des pompes funèbres font glisser la boîte en bois brillant et cèdent la place à quatre hommes que je ne connais pas mais qui doivent faire partie de ta famille.
Une musique résonne sous les voutes romanes de l'église : « November rain ». Cette chanson devait représenter quelque chose pour toi. Je n’ose pas poser la question à Jérém, brisé par la douleur.
La grande foule venue te dire au revoir s’installe peu à peu, la chanson prend fin. Le curé dit quelques mots. Puis, ta famille et tes potes viennent pour te rendre un dernier hommage.
Dans son costard bleu foncé, défait par le chagrin et pourtant beau comme un mannequin, Jérém monte au pupitre à son tour. En quelques mots, en laissant par moments pleurer son émotion, il nous raconte votre amitié.
« Tu n’auras jamais 20 ans, ni 30, ni 50 : tu ne connaitras ni les bonheurs ni les déceptions de la vie… mais tu resteras à tout jamais mon meilleur pote, mon grand frère, le gars qui m’a rendu heureux… ».
Jérém quitte le pupitre et revient s’asseoir à côté de moi. Le curé reprend la parole ; et là, je le vois me regarder, puis annoncer : « Nous allons maintenant écouter l’hommage de Nicolas… ».
Soudainement, mon cœur se met à taper si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser, l’impression qu’il est dans ma tête, l’impression que mon crâne va s’ouvrir d’un instant à l’autre…« Nicolas, venez, tout le monde attend d’entendre votre hommage à Thibault… ».
C’est là que je me réveille de mon horrible cauchemar…
Soudainement, je réalise que je m’étais endormi sur le canapé. C’est le bruit de la voiture dans l’allée du garage qui m’a réveillé. Et aussi les aboiements de Simba, mon labrador sable.
Ce soir, il revient plus tôt du boulot. J’espère qu’il a pensé à passer au supermarché, nos amis ne vont pas tarder à débarquer pour la crémaillère.
Une minute plus tard, la porte du cellier s’ouvre et Jérém apparaît, les bras chargés de courses ; Simba lui emboîte le pas, lui fait la fête ; puis, lorsqu’il me voit, le labrador fonce vers moi, il vient s’essuyer ses pattes boueuses sur mon pantalon et sur le tissu du canapé.
De l’air froid rentre par la porte du cellier mais dans la pièce il fait bon, un bon feu crépite dans la grande cheminée.
Jérém pose les courses sur la table, il approche et m’embrasse tendrement. Je glisse ma main dans ses beaux cheveux bruns, je suis heureux.
Simba aboie à nouveau. Je regarde par la baie vitrée. Une autre voiture arrive dans le jardin, puis une autre et d’autres encore : voilà mes parents, ma cousine Elodie, Thibault (ouf, il est vivant !) et les copains du rugby, avec leurs nanas.
Jérém s’affaire aux fourneaux, et moi je reste collé à la baie vitrée, je regarde les invités qui discutent sur la pelouse par petits groupes, dans le froid glacial, sans qu’aucun d’eux n’ait l’idée d’entrer dans la maison pour venir se réchauffer à côté du feu et nous dire bonjour.
Simba est à nouveau dehors, Jérém a dû le sortir ; il jappe comme un malade, passant d’un invité à l’autre, semblant vouloir rabattre tout le monde vers la maison ; pourtant, personne ne semble y prêter attention.
Jérém a fini de préparer le dîner. Je me retourne et je suis surpris de remarquer que sur la table il n’y a qu’un seul couvert. Jérém s’assoit et commence à manger.
Je lui demande ce qui se passe mais il ne me répond pas. Il continue à dîner tout seul.
La nuit tombe dehors et les phares des voitures s’allument à nouveau. Les voitures sortent de la cour une à une, les invités s’en vont l’un après l’autre, sans même être venus nous dire bonjour. Sacrée crémaillère, curieuse façon de recevoir des invités…Je le fais remarquer à Jérém. C’est là qu’il me répond enfin.
« Tu sais, Nico, tout ça, ça n’arrivera jamais, entre nous c’est que de la baise… alors viens me sucer… ».
J’entends quelqu’un frapper violemment à la porte ; ça résonne dans ma tête, c’est assourdissant ; j’essaie de protéger mes oreilles avec mes mains.
« Tu attends quoi, de moi, Nico ? ».
« Je ne sais pas… ».
« Tu t’es jamais posé la question de savoir ce que j’attends de toi ? ».
Mais les coups sont de plus en plus forts, tout tremble autour de moi, jusqu’à ce que…
Jusqu’à ce que je me réveille de mon horrible cauchemar, un autre…
Je suis sur le canapé, chez moi. Oui, quelqu’un tape à la porte, et à cette heure ça ne peut être que Jérém. Il revient de la brasserie, il est en pause et il est venu me baiser : il m’avait prévenu, mais je me suis endormi en l’attendant.
J’ouvre la porte, le bogoss rentre aussitôt et il me colle direct au mur ; il me roule une longue, intense pelle : sa fougue est si bouillante qu’elle me coupe le souffle.
Je le repousse, le temps d’un geste vital, celui de le débarrasser de son t-shirt blanc qui me rend dingue depuis le premier jour, le temps d’assouvir un besoin tout aussi vital, celui de me retrouver devant son torse de rugbyman.
Le bogoss revient à la charge, il m’embrasse comme un fou ; je suis chauffé à bloc et je laisse mes mains dériver sur la peau douce de son torse.
Je le sens sursauter d’excitation, je sens sa queue gonfler dans son jeans ; mes lèvres quittent les siennes et je ne peux résister à la tentation de passer ma langue autour de ses tétons, si saillants, si doux ; de descendre le long de la ligne médiane de son torse, de m’attarder dans ce nombril entouré de tablettes de chocolat ; et, pour finir, de glisser le long de ce chemin du bonheur, de cette pilosité fine, douce, tiède.
Me voilà à genoux, en train de défaire sa ceinture, sa braguette, de sortir sa bite du boxer.
Elle est droite, belle, bien tendue, avec un beau gland qui donne instantanément envie de le prendre en bouche. Alors je le prends en bouche et, en quelques coups de langue, je le rends dingue de plaisir. Et je me rends dingue de plaisir. Je fais monter la sauce progressivement, lentement, je ne veux pas qu’il jouisse trop vite. J’ai envie de le chauffer, avant qu’il ne me fasse l’amour.
Je suis sur le canapé, et Jérém est en moi, en train de me baiser divinement. J’adore me sentir possédé par sa queue, dominé par sa puissance virile. Le plaisir est tellement intense que je ne peux pas me retenir, je perds pied, je ferme les yeux et je viens… Pendant que je jouis, je l’entends me balancer : « Vas-y, mouille bien petite pute, tu mouilles comme toutes les pisseuses et les autres tafioles que je m’enfile… profite bien de ma queue, parce que c’est la dernière fois que tu y goûtes ! ».
C’est là que je me réveille, en nage.
Lorsque je rouvre les yeux, il fait noir autour de moi. Que se passe-t-il ? Où suis-je ? Suis-je enfin réveillé ou c’est encore un cauchemar ? J’ai du mal à émerger après tous ces enchaînements oniriques.
J’ai le souffle agité, je suis en nage. Je me pince la peau pour en avoir le cœur net. Je ressens une petite douleur, ça doit donc être bon.
Des bruits remontent à mes oreilles : ça tape, ça tape, ça tape. Papa doit encore être en train de bricoler : quoi de mieux qu’un bon petit vacarme domestique pour revenir les pieds sur terre ?
Je tourne la tête : mon radio-réveil m’annonce :
Jeudi 6 septembre 2001, 6h41.
Dieu merci, je suis dans ma chambre et tout cela n’est que rêve : rêve multiple, certes, mais rêve quand même. Petit à petit, je retrouve mes esprits : et je repense au coup de fil de Thibault, il y a dix jours.
Dimanche 26 août 2001.
7h12 : c’est ce qu’affiche mon radio réveil alors que mon portable vient de sonner et de me réveiller. Enfin : « réveiller » c’est un bien grand mot pour l’état dans lequel je me trouve après un sommeil d’à peine deux heures. Je suis complètement dans les vapes : le temps que je réalise que c’est bien la sonnerie du téléphone, le silence est revenu dans ma chambre.
7h13 : mon cerveau rame sérieux ; les logiciels en démarrage automatique se lancent et buggent l’un après l’autre. Première notification de système : « C’est dimanche, c’est tôt : veuillez vérifier vos paramètres et redémarrer à une heure plus convenable ».
Deuxième notification de système : « C’est bizarre que quelqu’un m’appelle à cette heure-ci, surtout un dimanche… ».
Je respire un bon coup, je fais appel aux dernières ressources de mes batteries presque à plat, j’attrape mon portable.
« Appel en absence Thibault ».
Soudain, un mauvais pressentiment prend violemment forme en moi ; très vite, l’interpolation des données (sortie au B-Machine la veille, rencontre avec Martin, retour avec Martin, apparition de Jérém saoul, sa mauvaise réaction) aboutit à seul match possible.
Mon cœur fait une accélération de 0 à 1000 en un temps record. J’ai les mains qui tremblent, je n’arrive même pas à afficher la liste des appels récents.
Sans encore avoir la moindre idée de ce qui s’est passé, je sens les larmes monter aux yeux. Car dans ma tête le pressentiment s’est déjà mué en certitude : quelque chose de grave est arrivé à Jérém.
Avant que j’arrive à rappeler, l’icône du message vocal apparaît en haut de l’écran.
Je lance le répondeur.
« Nico, c’est Thibault… rappelle-moi… dès que tu peux… s’il te plaît, Nico… ».
Ses mots, ses pauses, ses hésitations, la désolation et l’inquiétude que je perçois dans le ton de sa voix, sa respiration angoissée : tout participe à confirmer mes craintes.
Je rappelle, la mort dans le cœur :« Nico… » fait-il en décrochant. Un « Nico… » qui est à la fois :« merci d’avoir appelé », « j’avais besoin de t’avoir au téléphone », « j’ai un truc grave à t’annoncer ».
Un silence suit, un silence que ni lui ni moi n’avons envie de briser, dernier rempart avant la rencontre avec la dure réalité.
« Il est arrivé quelque chose à Jérém ? » je vais droit au but.
« Oui… oui… comment tu sais ? » fait-il, la voix faible et émue.
« Il est vivant ? ».
« Oui, oui ! Mais il est inconscient, depuis trois heures maintenant… ».
J’ai la tête qui tourne, je ne me sens partir. La fatigue, le stress, la peur : je sens la migraine monter à grand pas, j’ai du mal à respirer.
« Il est où ? ».
« A Purpan… en neurologie… ».
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Un accident de voiture ? ».
« Non, il y a eu une bagarre… ».
« Une bagarre ? ».
« Apparemment, il était saoul… il s’est pris le bec avec un mec dans la rue… ils se sont battus, il a trébuché, et sa tête a heurté violemment contre un mur… et il a perdu connaissance… ».
« Tu es avec lui ? » je tente de me rassurer, comme si la présence de Super Thibault à ses côtés était un gage du fait que les choses ne puissent pas tourner au pire.
« Oui, j’y suis depuis deux heures… depuis qu’un pote pompier m’a appelé… ».
« Pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ? ».
« Je voulais avoir des infos plus précises avant… je ne voulais pas t’inquiéter pour rien… j’espérais qu’il se réveillerait rapidement… ».
« Qu’est-ce que disent les médecins ? ».
« Il est en train de passer un scanner en ce moment même… ils ne peuvent pas se prononcer sans examens… ».
Je pleure en silence. Les secondes s’enchaînent, je n’arrive plus à décrocher un mot, j’ai l’impression que le monde s’effondre autour de moi.
« S’il te plait, Nico, viens vite… » j’entends Thibault chuchoter en pleurant.
« Tu crois qu’il pourrait… ».
« Je n’en sais rien, je me refuse de penser au pire, mais viens… viens, Nico… ».
Sentir un mec aussi solide que Thibault complètement anéanti, c’est insoutenable. Même par téléphone interposé.
« J’arrive… ».
Je prononce ces mots mécaniquement, comme dans un état second. Je n’arrive même pas à réaliser ce qui en train de se passer ; je n’arrive pas à me dire que Jérém pourrait ne pas s’en sortir ; à me dire que je pourrais perdre Jérém non seulement à cause de nos différences ; mais carrément parce qu’il ne pourrait plus être là, demain.
Je m’habille en catastrophe, en sanglotant ; je laisse un mot pour maman sur la table de la cuisine : « Je vais courir sur le Canal ».
Et je sors. Dans la rue, je suis confronté à la fraîcheur du matin, plutôt mordante ; au vent d’Autan, toujours présent, toujours aussi puissant.
Mais aussi à l’odeur de pain chaud et de croissant sortant d’une boulangerie, à la bonne humeur de deux passants qui se croisent, se lancent des sourires, se disent bonjour, s’arrêtent pour discuter ; à la fleuriste en train de rigoler avec le gars du kiosque à journaux ; à un beau garçon qui promène son Spitz sur le trottoir d’en face.
Bref, la ville se réveille peu à peu, une nouvelle journée commence. Une journée comme toutes les autres, pour tous les autres : mais pas pour moi.
Car pour moi, accablé par cette horrible nouvelle, assommé par un état de fatigue extrême, tenaillé par la migraine, le mot bonheur n’a plus de sens : car tout me semble désormais tristesse et désespoir.
Je prends le bus direction l’Hôpital de Purpan, les larmes aux yeux.
Deux arrêts plus loin, un mec monte et s’installe pile en face de moi. C’est un mec très brun, autour de vingt ans, un mètre quatre-vingts, des épaules bien redessinées par un t-shirt gris, col en V, duquel dépassent un triangle de peau finement velue ; un t-shirt qui porte le logo d’une équipe de foot amateur, sur lequel est posé une solide chaînette de mec, et qui retombe sur un short noir ; des baskets aux pieds, un sac de sport à la main, une jolie gueule d’ange brun sur un beau corps de footeux.
Le mec tient une cigarette entre les lèvres, et la « Dépêche » dans une main, dont il commence aussitôt à feuilleter l’annexe sport. Je le regarde jongler entre le journal à tenir, les pages à tourner, la lecture et la cigarette maintenue entre ses lèvres et qui se consume plus que de raison.
Très joli garçon, en route vers un dimanche partagé avec ses potes, autour de la passion commune ; très joli garçon, si beau et si brun qu’il me fait penser direct à mon Jérém.
Mais à une différence près. Le regard de cet inconnu est serein, apaisé, un regard de mec bien dans ses baskets : alors que celui de mon Jérém, notamment les trois dernières fois où je l’ai vu, était torturé, en colère, plein de sentiments négatifs.
Peut-être qu’à ce bobrun inconnu aucun camarade n’a jamais demandé de « réviser » ; peut-être qu’il n’a pas été confronté à des envies et à des sentiments qu’il ne saurait pas comment gérer ; peut-être que sa vie suit son cours, sans qu’aucun élément perturbateur ne soit venu la troubler.
Peut-être qu’il n’a jamais été exposé à la tentation, peut-être tout simplement qu’il n’est pas sensible à ce genre de tentation ; ou bien il l’a été avec un pote, à un moment, mais cela ne l’a pas perturbé plus que ça : tout simplement, c’est arrivé, il a aimé, il a assumé, il ne s’est pas pris la tête.
Au fond, avec Jérém, ça aurait aussi pu se passer comme ça. Pourquoi ça n’a pas été le cas ? Je sais qu’il a bien kiffé coucher avec moi : pourtant, il ne l’a jamais assumé. Pourquoi ?
Peut-être que si je ne lui avais pas proposé de réviser, il aurait été mieux dans ses baskets ; il ne se serait pas posé tant de questions, il ne se serait pas pris autant la tête ; la nuit dernière nous ne nous serions pas croisés comme des étrangers, et nous ne nous serions pas quittés en colère l’un vers l’autre ; peut-être alors que ce qui est arrivé cette nuit n’aurait jamais eu lieu…Pourquoi il a fallu que le destin provoque cette rencontre ? Pourquoi il a fallu que je sois avec Martin ? Pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés seul à seul ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Je revois son regard vide, désemparé, perdu, rempli de désolation, le même que j’ai vu dans ses yeux la dernière fois qu’il était venu chez moi, juste avant qu’il ne passe la porte d’entrée pour partir ; ce regard qui jurait avec son attitude agressive, méprisante, offensante, ce regard qui était certainement le reflet de son véritable état d’esprit au-delà de sa colère, de sa vulgarité, de son mépris, de son état d’ivresse : l’état d’esprit d’un gars paumé.
Je me suis souvent demandé quel était le vrai Jérém, celui de ses actes et de ses mots, impulsifs, virulents, dictés par ses craintes, par son ego ; ou bien celui de ses regards, des regards qui ne mentent pas.
Maintenant, je sais ; maintenant, j’en suis certain, Thibault avait raison : au fond, Jérém, n’est qu’un animal blessé qui se débat, qui réagit à sa souffrance par la violence.
Thibault avait pris la mesure du danger bien avant et bien mieux que je ne l’avais fait ; il m’avait prévenu que Jérém n’était pas bien, et qu’il risquait de partir en vrille au moindre grain de sable.
On ne peut rien contre le destin : pourtant, dans des moments comme celui-ci, cette évidence ne nous est d’aucun secours.
Ce matin, je regrette profondément l'impression que j’ai donnée à Jérém la nuit dernière : l’impression que, pour la première fois, c'était moi qui m’éloignais de lui.
En choisissant de partir avec Martin, j’ai voulu lui montrer que je ne suis pas son petit chien, ni son punching-ball ; j’ai aussi voulu tester sa jalousie, tester ce que je représente à ses yeux, au-delà de ses mots mauvais de ses attitudes de macho. Mais avant tout, j’ai voulu me préserver de souffrir à nouveau à cause de lui. Pour la première fois, j’ai pensé à moi, avant de penser à lui.
Si seulement j’avais su trouver les bons mots pour le retenir, la soirée aurait pu être différente. Et à l’heure qu’il est, Jérém ne serait pas inconscient dans un lit d’hôpital.
Mais est-ce que les bons mots pour retenir quelqu’un d’aussi paumé que Jérém, existent seulement ?
Ce matin, je me dis que oui, ils existent.
J’aurais pu commencer par m’excuser de l’avoir frappé, par lui dire qu’il est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie ; à sa question : « Ça y est, tu es à nouveau « amoureux » ? », j’aurais dû répondre que je n’ai jamais cessé de l’être, mais de lui, et de lui seul ; j’aurais dû lui dire ce que je me suis retenu de lui jeter à la figure : lui dire que Martin n’avait pas pris sa place, qu’il était juste là pour me faire oublier ma tristesse de ne pouvoir être avec lui ; j’aurais dû lui dire que mon cœur n’aspirait qu’à le retrouver, lui ; j’aurais dû le prendre dans mes bras, le serrer très fort contre moi, et me laisser aller, lui dire et lui redire à quel point je l’aime comme un fou, lui en donner le preuve en laissant partir Martin une nouvelle fois.
Et j’aurais dû lui proposer de rentrer avec lui. Je n’aurais jamais dû le laisser seul, dans l’état qu’il était. Rentrer où, d’ailleurs ? Il n’a plus de chez lui, il est parti de chez Thibault : je n’allais pas quand même l’accompagner chez sa pouffe. Si, j’aurais dû.
Non, j’aurais pu l’inviter dormir à la maison : bien sûr, maman et papa n’auraient rien compris. Mais qu’importe ?
Ou alors, on aurait pu prendre une chambre à l’hôtel, passer la nuit ensemble en terrain neutre. Recommencer à zéro. Passer la nuit à faire l’amour, à discuter. L’hôtel : tellement évident, tellement limpide comme solution !
Mais est-ce qu’il se serait laissé faire ?
Après que nous ayons couché ensemble, Martin s’était endormi. J’étais sorti sur son balcon prendre l’air : je regrettais déjà ce qui venait de se passer, bien qu’il avait été adorable. Le fait est que Martin n’est pas le gars que j’aime.
J’avais regardé en direction de la rue de la Colombette et je m’étais dit que je ne pouvais pas me résigner à perdre Jérém de cette façon, sans tenter une dernière fois de lui faire comprendre à quel point on pourrait être bien ensemble ; je m’étais rassuré en me disant que, dès le lendemain, j’allais l’appeler, et le convaincre de se voir pour discuter calmement ; je m’étais dit que oui, le lendemain je trouverais les mots.
C’est horrible de me dire que Jérém s’est peut-être bagarré pendant que je couchais avec Martin, ou pendant que je regrettais de l’avoir fait.
Le bus arrive à l’arrêt de Purpan ; je n’ai pas envie de descendre, j’ai peur de ce que je vais apprendre dans les minutes à venir.
Je me fais violence pour me lever de mon siège. Je me sens épuisé, oppressé, la migraine est de plus en plus forte, ma respiration de plus en plus difficile ; j’ai le vertige, ma vue se brouille, le cœur tape dans ma gorge ; j’ai une boule incandescente dans le ventre, j’ai envie de crier, j’ai envie de mourir.
Je suis tellement HS que, lorsque je me lève enfin, je heurte violemment le genou du beau footballeur. Je trébuche et le mec m’attrape par l’avant-bras, il m’aide à me remettre.
« Je suis désolé » je me morfonds.
« T’inquiète… » fait-il, tout en ajoutant : « ça va ? ».
« Pas vraiment… ».
« Qu’est-ce qui t’arrive ? »« Je viens voir un pote qui a eu un accident cette nuit… ».
« C’est grave ? ».
« Je ne sais pas encore… ».
« Courage, ça va aller… » fait-il en accompagnant ses mots par un sourire beau et doux, en prenant ses mains dans les siennes et en les serrant pendant une poignée de secondes.
J’espère que ça va aller. Adieu et merci bobrun inconnu, merci pour ta gentillesse et ton empathie.
Lorsque j’arrive en neurologie, Thibault n’est pas seul ; il est avec Maxime, le frère de Jérém et d’un homme d’une quarantaine d’années, brun lui aussi, que je devine être le père de Jérém et de Maxime.
Je sens les larmes me monter aux yeux. Je suis tétanisé, j’ai peur de savoir ; j’ai aussi peur de ne pas avoir ma place dans cette petite réunion de famille et de très proches.
Me voyant arriver en larmes, Thibault se lève, vient à ma rencontre et me serre dans ses bras.
« Ça va aller… ça va aller… » il tente de me rassurer.
Un instant plus tard, le jeune pompier fait les présentations.
« Mr Tommasi, Maxime, voilà Nico, un camarade de lycée de Jérémie… Nico, voilà Mr Tommasi et Maxime, le papa et le frère de Jérémie… ».
Serrer la main au petit frère et au père de mon Jérém, voilà une étrange sensation : en me laissant me présenter comme « un camarade » de Jérém, j’ai l’impression de les tromper, de mentir.
Cependant, ce n’est ni le lieu ni le moment pour avoir des états d’âme : alors, je me laisse porter par la situation.
« Il y a du nouveau ? » je demande, sans bien savoir à qui m’adresser.
« Non, il est toujours au scanner… » fait Mr Tommasi.
« Ils devraient venir nous dire ce qui se passe ! » fait le jeune Tommasi, dont l’angoisse s’exprime sous forme de colère. Comme il me fait penser à son frère, en cela également !
« Patience, ils vont bientôt venir nous parler… » fait Thibault, toujours aussi rassurant et adorable.
Nous allons nous asseoir. Thibault me raconte brièvement ce qu’il a appris sur les circonstances de l’accident ; pendant ce temps, mon regard se fige sur le genou de Maxime en train de sautiller nerveusement : le petit mec se fait visiblement violence pour réussir à tenir en place ; ses yeux noirs ont l’air d’avoir versé beaucoup de larmes ; il est mignon et touchant, j’ai envie de le serrer dans mes bras et de le réconforter. Il est aussi beau que son frère, et il sent aussi bon.
Mr Tommasi a un regard très brun, très sombre ; un regard qui, lui aussi, me rappelle celui de Jérém, parfois.
« Mais qu’est-ce qui lui a pris de se battre ? » fait-il, de but en blanc.
« Je pense qu’il avait pas mal bu… des fois il suffit de pas grand-chose pour que ça parte en vrille… » tente d’expliquer Thibault.
« Il n’allait pas bien… » fait Maxime.
« Pourquoi tu dis ça ? » s’insurge Mr Tommasi « il allait partir à Paris, avec une carrière dans le rugby toute tracée… il est jeune et beau et les nanas se battent pour lui… pourquoi il n’irait pas bien ? ».
« Tu l’as laissé tomber… ».
« Arrête, Maxime… ça lui a fait le plus grand bien de commencer à s’assumer ! ».
« Je te jure qu’il n’allait pas bien depuis quelques jours » insiste Maxime « je l’ai vu la semaine dernière et je l’ai trouvé bizarre… il était fatigué… il ne parlait pas, il faisait la tête… ».
« C’est peut-être à cause d’une nana… » fait Mr Tommasi.
Sur ce, un infirmier approche.
« Comment il va ? » fait Maxime, impatient et inquiet, en bondissant de son siège.
« On vient de terminer le scanner… ».
« Il s’est réveillé ? » enchaîne Maxime, sans presque respirer.
« Non, pas encore… ».
Je vois les larmes remplir ses beaux yeux bruns, je vois les larmes aux yeux marron-tirant-sur-le vert de Thibault, alors que la main de ce dernier se pose sur l’épaule du premier pour tenter de le calmer ; je vois le front de Mr Tommasi se froncer un peu plus. Et je sens mes larmes monter à nouveau.
« Le médecin veut voir la famille… vous Monsieur Tommasi… qui d’autre est de la famille ? ».
« Moi ! » fait Maxime, impatient.
« Venez avec moi… ».
Nous restons là, Thibault et moi, plantés dans le hall, à regarder l’infirmier, Mr Tommasi et Maxime disparaître derrière la porte du service.
Le bomécano s’assoit. Je m’assois à mon tour. Je l’entends pousser un grand soupir. Un instant plus tard, Thibault s’effondre, sa détresse se révèle au grand jour ; ses larmes coulent à flots sur son visage.
« Thibault… » j’essaie de le consoler, le serrant contre moi.
Nous pleurons l’un dans les bras de l’autre.
« Merci d’être venu… j’avais besoin que tu sois là… ».
« Je suis là… »« Je ne sais pas ce que je vais devenir si jamais… » fait-il.
« Il n’y a pas de « si jamais »… il va être vite remis sur pattes, c’est obligé… ».
On se découvre parfois une force insoupçonnée lorsqu’il s’agit de réconforter les autres.
« Je le savais… je savais que ça allait lui arriver un truc… ».
« Tu savais qu’il n’allait pas bien, mais tu ne pouvais pas deviner qu’il allait se battre… ».
« Je le connais, quand il n’est pas bien, il cherche la bagarre, comme s’il cherchait le danger, comme s’il cherchait à se foutre en l’air… j’aurais dû être là pour lui… j’y ai pensé toute la nuit en plus… j’avais prévu de l’appeler aujourd’hui… ».
Je suis ému de savoir que pour Thibault aussi le temps s’est dérobé sous ses pieds.
Thibault prend son visage dans ses mains tremblantes et je l’entends sangloter en silence.
Il est tellement touchant.
« C’est de ma faute tout ça… » il insiste.
« C’est de ma faute aussi… je l’ai croisé cette nuit… ».
« Ah oui ? Et il était comment ? ».
« Il était saoul et il avait fumé… ».
« Il t’a dit quoi ? ».
« Il m’a jeté… j’étais avec un gars… ».
« Un gars ? ».
« Oui, un mec que j’ai rencontré en boîte… ».
Thibault se tait, pensif.
« Jérém m’a quitté… » j’ai le réflexe de me justifier.
« Je sais… je sais… je sais… ».
« Ca s’est mal passé… il m’a mis plus bas que terre et il est parti super vénér… ».
« J’aurais dû l’appeler cette nuit… mais pourquoi j’ai attendu ? » il souffle « qu’est-ce qui m’en a empêché ? ».
« Ce sont les mêmes questions que je me pose aussi… j’ai eu envie de l’appeler toute la nuit… mais même si on l’avait appelé, qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour lui ? ».
« On aurait pu lui empêcher de se faire tabasser… ».
« Est-ce qu’il nous aurait écoutés ? C’est lui qui s’est éloigné de toi, de moi… il m’a largué parce qu’il n’assume pas notre relation… il s’est éloigné de toi à cause du recrutement du Stade… ».
« Je me sens tellement mal… » fait Thibault, l’air démuni devant son immense chagrin.
« Ce n’est pas de ta faute s’il n’a pas été retenu par le Stade… ».
« Mais je le suis pour ce qui s’est passé le dernier soir… ».
« Quel soir ? Qu’est ce qui s’est passé ? ».
Thibault se tait, le regard perdu, fuyant, rempli d’angoisse : un regard dans lequel je retrouve la même sensation que j’avais ressentie la veille, lorsque j’avais été le voir au garage : la sensation que le bomécano ne m’a pas tout dit au sujet de cette dernière fois où il a vu son Jéjé ; et à cet instant précis, j’ai soudainement peur d’entendre ce qu’il va me raconter.
« Qu’est-ce qui s’est passé, dis-moi… » je répète, presque mécaniquement.
Maxime et son père sortent des urgences ; ce dernier tient son bras autour du cou de son fils cadet ; Maxime a l’air d’un enfant qui a besoin d’être rassuré ; il est terriblement émouvant.
« Alors ? » fait Thibault soudainement ranimé.
« Il a un traumatisme crânien plutôt grave… » explique Mr Tommasi « pour l’instant le médecin ne veut pas s’avancer… ».
« Le pronostic vital est engagé ? ».
« Oui, pendant 48 heures… ».
« Il ne sait même pas s’il va se réveiller ! » fait Maxime, dans un cri de désespoir.
« Si, il va se réveiller… » fait le bomécano en endossant à nouveau sa cape de Super Thibault, tout en posant à son tour la main sur l’épaule du jeune loup à la crinière en bataille « il va se réveiller, c’est obligé… il a tellement de Brennus à gagner ! ».
Maxime se dégage et s’éloigne, en pleurs.
« C’est vrai » fait Mr Tommasi en baissant le ton de la voix « ils ne savent ni quand et ni s’il va se réveiller… ni comment… le traumatisme est grave et il pourrait y avoir des séquelles… ».
« Du genre ? » je fais.
« Perte de la mémoire, ou pire encore… troubles moteurs, du langage, de l’épilepsie… les 24-48 prochaines heures vont être décisives… ».
Un silence chargé d’angoisse s’installe dans le sillage de ses mots.
« Allez prendre un café, les gars… je vais rester là… » finit par nous suggérer Mr Tommasi.
« Vous avez besoin de quelque chose ? Vous voulez que je ramène Maxime ? » fait Thibault.
« Non, ma compagne va venir le chercher… ».
« Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, alors ? » insiste Thibault, serviable au possible.
« Rien, il n’y a qu’à attendre et espérer… si vous êtes croyants, prier… ».
Dans ma tête, une seule prière s’affiche instantanément : je donnerais tout, pourvu qu’il s’en sorte ; tout, y compris renoncer à lui, si c’est ce qu’il souhaite vraiment.
Je repars avec Thibault, nous marchons en silence. Pas après pas, la question que je lui ai posée par deux fois – et qui est restée sans réponse – résonne dans ma tête de façon de plus en plus obsédante.
Dans l’ascenseur, le malaise est palpable. Thibault n’est pas bien : je ne veux pas lui prendre la tête mais j’ai besoin de savoir.
L’ascenseur vient de s’arrêter au rez-de-chaussée, les portes s’ouvrent. C’est là que je me lance :« Thibault… ».
« Viens avec moi, Nico, on va prendre un truc à la cafet’… ».
A la cafet’, nous nous sommes installés dans un coin, l’un face à l’autre.
Je n’ai pas eu besoin de répéter la question qui me brûlait les lèvres ; après avoir avalé une gorgée de café, Thibault m’a tout raconté.
Il m’a raconté que la dernière fois que Jérém avait dormi chez lui, dix jours plus tôt, il n’était pas bien ; qu’il stressait à cause de son départ à Paris ; qu’il était miné par sa peur de devenir pd à cause de sa relation avec moi ; mais, surtout, à son dire, qu’il était peiné par l’idée de s’éloigner de moi, même s’il ne voulait pas l’admettre.
Il m’a parlé de ses tentatives de le réconforter, de le rassurer ; il m’a raconté de comment il s’était trouvé allongé sur le clic clac, avec son pote dans les bras ; et il m’a raconté de comment la proximité et l’affection avaient dérapé à un moment ; il m’a avoué que cette nuit-là lui et son Jéjé s’étaient donnés du plaisir.
Il m’a raconté que Jérém était parti de chez lui au petit matin, sans un mot.
Il m’a raconté comment ce moment de faiblesse avait mis un grand coup à leur amitié ; il m’a raconté à quel point il le regrettait : par rapport à Jérém, par rapport à moi.
Il m’a demandé pardon, en larmes.
Je l’ai laissé parler, le cœur un peu plus meurtri à chacun de ses mots.
Depuis quelques heures, au gré de récits divers et variés, je découvrais un nouveau Jérém ; et ça continuait avec Thibault ; au point où j’en étais, autant aller au bout des choses et tout savoir, tout connaître de cette énigme qu’est le gars que j’aimais.
Je lui ai demandé si c’était la première fois que cela arrivait.
Thibault m’a alors parlé de cette nuit, sous une tente, en camping, l’été de leurs 13 ans ; il m’a raconté qu’ils s’étaient faits du bien comme le font parfois les ados, mais que ça n’avait été qu’une fois et qu’ils n’en avaient jamais reparlé depuis.
Il m’a aussi raconté de cette branlette qu’il avait faite à son pote la semaine avant la finale du tournoi de rugby.
« C’est pour ça que tu étais si distant quand je suis venu te voir à mon retour de Londres… ».
« Je n’étais pas fier… je regrettais ce qui s’était passé, je voulais l’oublier, je voulais faire en sorte que ça ne se reproduise pas… ».
Il m’a raconté comment ça avait pourtant à nouveau failli déraper, d’autres fois, par la suite.
Il m’a raconté comment, à chaque fois, il avait eu le cœur lourd, et s’était senti de plus en plus perdu.
« Je ne voulais pas que ça gâche mon amitié avec Jérém et avec toi… ».
Il m’a dit et redit qu’il regrettait ce qui s’était passé avec Jérém ; car il savait que c’était ça, bien plus que la jalousie par rapport à son recrutement par le Stade Toulousain, qui avait éloigné son pote de lui.
Il m’a dit qu’il regrettait de ne pas m’avoir tout dit la veille, quand j’avais été le voir au garage.
J’ai laissé Thibault parler, abasourdi par son récit ; j’ai encaissé, encaissé et encaissé, sans vraiment arriver à ressentir grand-chose ; toutes mes émotions semblaient planer sur le brouillard épais de ma fatigue extrême ; ma conscience harassée a traité toutes ces informations avec distance, en mode « auto préservation ».
J’étais juste sonné, comme si je venais de recevoir un coup de massue sur la tête et que tout était devenu noir.
La détresse de Thibault aurait dû me toucher. Ça n’a pas été le cas. J’avais l’impression de ne rien ressentir, de regarder ma vie partir en sucette, mais de la regarder de l’extérieur, comme si j’étais sorti de mon corps et que j’observais la scène depuis le plafond.
Mon esprit a du mal à se défaire du choc de ce triple cauchemar en cascade, commencé par l’« enterrement » de Thibault.
Mon radio-réveil indique toujours le jeudi 6 septembre 2001, mais il est désormais 7h05 ; je suis toujours dans ma chambre, plongé dans le noir.
Aujourd’hui encore, comme chaque matin depuis la rupture avec Jérém, et encore plus depuis son accident, je n’ai pas envie de me lever. Quand je serai à la fac, j’aurai une raison pour me lever ; mais jusqu’à là, dormir est une bonne façon pour ne pas ressasser mes démons. Ainsi, je disparais sous ma couette et je me rendors.
Lorsque je me réveille, il est 10h15.
J’ai l’impression que l’accident de Jérém, c’était il y a tellement longtemps. Il s’est passé tellement de choses en dix jours.
Après que Thibault a vidé son sac à la cafétéria de l’hôpital, je me suis levé et je suis parti. Je l’ai entendu me promettre qu’il me tiendrait au courant quand il y aurait du nouveau. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir remercié, je crois que je ne lui ai même pas dit au revoir. Je crois que j’étais en mode zombie, et que je n’avais même pas l’énergie pour réagir.
Je ne sais même pas comment je suis rentré chez moi ; je n’ai aucun souvenir de ce triste voyage de retour en ville ; je me souviens être rentré, et que maman était en train de préparer des lasagnes. Elle m’a demandé si je pouvais l’aider, j’ai fondu en larmes. Par chance, papa n’était pas là. Je n’ose pas pleurer devant papa ; et là, j’ai vraiment besoin de pleurer, plus encore que le jour où Jérém m’a quitté.
Maman m’a fait asseoir, elle m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai raconté que le gars qu’elle avait croisé quelques semaines plus tôt à la maison avait eu un grave accident. Maman a immédiatement saisi ma souffrance, et elle a su trouver les mots pour calmer mes larmes. Vraiment, j’ai de la chance d’avoir une maman si formidable.
Le lendemain, lundi, Julien m’a appelé pour m’annoncer qu’il y aurait une place pour passer la conduite le mercredi 5 septembre ; rien qu’au téléphone, il a décelé que je n’allais pas bien ; il a insisté pour qu’on se voit pour prendre un café. J’ai été chez lui le soir même, et je lui ai tout raconté : lui aussi a su trouver des mots qui m’ont fait chaud au cœur, il a été adorable. Définitivement, le petit con coureur de nanas a vraiment un bon fond, c’est un bon gars.
Martin a pris des nouvelles, mais je n’ai pas eu envie de lui parler de l’accident de Jérém ; il a fini par me proposer de passer chez lui, à l’occasion : je n’ai pas eu envie de le revoir non plus.
Mardi, je suis revenu à Purpan revoir Jérém. Voir ce beau garçon, musclé et d’habitude si vigoureux, dans une chambre d’hôpital, inanimé, allongé sur un lit, sous perfusion, branché à un respirateur : ça m’a arraché le cœur.
Je me suis senti tellement impuissant. J’aurais donné tout ce que je possède pour l’aider à se réveiller. J’ai réitéré la prière que j’avais faite le dimanche matin : si Jérém se réveille, et s’il se réveille comme il s’est endormi, sans séquelles, je vais le laisser vivre sa vie comme il l’entend ; même si dans cette vie, il n’y a pas de place pour moi.
Une fois ce vœu prononcé, je me suis senti un peu soulagé ; puis, j’ai regardé ses yeux fermés, et je n’ai pas pu résister à l’envie de passer mes doigts dans ses cheveux bruns.
J’ai repensé à un truc que j’avais lu ou entendu à propos des personnes qui sont dans le coma : comme quoi, dans certains cas, elles entendent les mots qui leur sont adressés, et que le fait de leur parler pourrait les aider à revenir.
Je me suis accroche à cet espoir, j’ai attrapé une chaise, je me suis assis à côté du lit, et je lui ai pris la main. Elle était chaude, lourde, une belle main de mec : mais elle était inanimée.
J’ai commencé à lui parler. Je lui ai parlé du frisson que j’avais ressenti le premier jour du lycée lorsque je l’avais vu dans la cour ; je lui ai raconté mon bonheur de le côtoyer depuis trois ans ; je lui ai raconté de comment il avait bouleversé ma vie ; je lui ai dit et redit de comment il était important pour moi, tout comme pour tant de personnes, qu’il revienne et qu’il accomplisse son destin.
Sans jamais cesser de tenir sa main entre les miennes, je me suis lancé dans un long monologue ; les yeux fermés, je guettais la moindre réaction de sa part. Par moments, j’avais l’impression qu’il m’écoutait, et que d’un moment à l’autre il me parlerait à son tour.
Je n’ai pas entendu la porte de la chambre s’ouvrir ; et je n’ai entendu Maxime approcher que lorsqu’il m’a demandé :« Tu kiffes mon frangin, c’est ça ? ».
« Oui… ».
« Et lui, il te kiffe aussi ? ».
Je n’ai pas sur quoi lui répondre.
« Je crois qu’il te kiffe, lui aussi… ».
Si tu savais, Maxime, à quel point c’est compliqué entre ton frangin et moi !
Mercredi, j’ai passé l’après-midi avec Elodie, et ça m’a fait le plus grand bien. J’étais toujours avec elle, il était est 18h15, lorsque j’avais reçu un coup de fil de Thibault : Jérém s’était enfin réveillé, et tout semblait normal ; à première vue, il semblait pouvoir bouger chaque partie de son corps, et se souvenir de tout.
La chape de plomb qui pesait sur mon esprit depuis quatre interminables journées s’était enfin dissipée : j’ai pleuré et Elodie a été adorable. Vraiment, j’ai une chance inouïe de l’avoir, elle aussi.
Samedi midi, nouveau coup de fil de Thibault pour m’annoncer que Jérém allait quitter l’hôpital dans le week-end. Je crois que j’ai été plutôt distant avec lui. J’ai senti qu’il a senti cette distance. J’ai senti que ça lui faisait mal. D’une certaine façon, dans une certaine mesure, j’ai eu mal pour lui. Mais sur le coup, je n’ai pas su faire autrement. La conversation a tourné court.
Je n’ai rien foutu du week-end ; je ne suis pas sorti, je n’ai pas été courir, j’ai ruminé sur tout ce qui s’était passé depuis la rupture avec Jérém, je me suis enfoncé dans un abyme de tristesse.
Pour tenter de refaire surface, j’ai essayé de me souvenir de la dernière fois où j’ai été heureux : pour ce faire, j’ai dû remonter jusqu’à cette semaine magique, un mois plus tôt, où tout était si beau. J’ai repensé aux fois où j’avais fait l’amour avec le garçon que j’aimais, j’ai repensé à ces bisous que j’avais pu lui faire, qu’il s’était laissé faire, enfin ; je me suis dit que je donnerais une fortune, ma vie toute entière, pour revivre ne serait qu’un après-midi de la semaine magique, de ces après-midi fabuleux chez moi, avant le clash fini à coups de poings dans la gueule.
Du coup, j’étais encore plus mal : car le fait de repenser aux bons moments m’a donné la mesure de tout ce que j’ai perdu depuis.
J’ai essayé de m’accrocher au fait que le plus important est là, Jérém est vivant, et c’est tout ce qui compte.
J’ai également pensé à Thibault ; j’ai repensé à ce qui m’avait raconté, à ce qui s’était passé entre Jérém et lui. J’ai repensé avec tristesse aux bons moments qu’on avait passé ensemble, à cette belle amitié que j’ai perdue aussi : car j’ai l’impression que quelque chose a cassé en moi, et je n'arrive pas à imaginer qu'un jour on puisse retrouver la relation qu'on avait avant.
Pendant ce week-end, il n’y a pas eu une heure sans que j’aie eu envie de hurler : « Vivement que je me casse de cette chambre, de cette ville, que je m’éloigne des souvenirs qu’elles contiennent, des espoirs meurtris accrochés à chaque objet, à chaque endroit ».
J’ai envie de tourner la page. Quitter Toulouse, partir loin.
Mercredi 5 septembre, j’ai passé ma conduite avec succès ; Julien m’a longuement félicité. Il m’a même payé un verre. Pourtant, je n’ai pas pu me réjouir d’avoir franchi cette petite, grande étape de ma vie. Je m’étais souvent dit que je fêterais ça avec Jérém…Ce jour-là, Jérém me manquait horriblement, plus encore que les autres jours : pourtant, je me suis martelé sans cesse que je ne chercherais pas à le revoir ; je l’ai promis sur son lit d’hôpital, je vais m’y tenir. De toute façon, je l’ai perdu, à tout jamais. Et lorsqu’il sera à Paris, il ne pensera plus à moi.
Thibault aussi me manquait. Pourtant, je n’avais pas envie de le revoir. J’avais encore trop mal : aveuglé par ma jalousie et par ma colère, embourbé dans ce sentiment de trahison de la part des deux potes dont je n’arrivais pas à me défaire, je ne réalisais pas encore, comme je le ferai plus tard, à quel point j’étais dur et injuste avec Thibault ; Thibault qui souffrait lui aussi : car, tout comme moi, et bien plus encore, il culpabilisait pour ce qui était arrivé à son pote ; Thibault qui s’en voulait sincèrement pour ce qui s’était passé ce soir-là, sur le clic clac, avec son Jéjé ; Thibault qui, après ce soir-là, avait tant perdu, et son meilleur pote avant toute chose.
Oui, il me faudra encore un peu de temps pour arriver à comprendre que je n’avais pas le droit de laisser le bomécano seul avec ce fardeau, lui qui avait toujours été si adorable avec moi. Car, malgré ce qui s’était passé, il n’avait jamais eu l’intention de me faire du mal.
C’est avec ma cousine et son charmant Philippe que j’ai fêté mon permis le soir même, c'est-à-dire, hier soir. Je n’avais pas le cœur à faire la fête mais je me suis forcé.
Ce jeudi 6 septembre, après ce triple cauchemar, je me lève triste et abattu, pire encore que les jours précédents. La météo est grise sur Toulouse, tout comme elle l’est dans mon cœur ; le ciel de plomb et le vent frais annoncent les prémices de l’automne.
Je ne sais pas comment me secouer la morosité qui me plombe en cette interminable attente de la rentrée à la fac.
Comment faire pour recommencer sans lui ? Jérém, mon amour perdu, où es-tu mon Jérém ?
En selle d’un pur-sang arabe à la robe bai foncé et à la crinière noire, un cavalier à la peau mate brave l’air déjà froid du matin ; il regarde la brume se dissiper peu à peu, il guette le lever de soleil sur les sommets immuables, il observe le matin redessiner le profil de la montagne verdoyante.
Les pointes des boots posées sur les étriers, les talons vers le bas, les genoux légèrement pliés, les jambes imperceptiblement en tension, les rênes courtes, le jeune cavalier exerce sa maîtrise silencieuse sur l’animal.
Habillé d’un pantalon d’équitation noir et d’un pull gris à capuche, cette dernière rabattue sur sa belle chevelure brune, le cavalier se tient bien droit sur sa monture, faisant presque un seul avec elle : un étalon porté par un autre étalon, sorte de magnifique centaure.
Il allume une cigarette, en se disant que la fumée le réchauffera au moins de l’intérieur.
Le bruit d’une cloche de troupeau parvient à ses oreilles ; ce qui lui rappelle, si besoin était, que le mois de septembre est arrivé et que l’été vit ses derniers jours : bientôt les troupeaux à l’estive vont redescendre dans la plaine ; bientôt il devra partir lui aussi, loin.
Le cavalier reste longuement à s’imprégner des odeurs, des bruits et des silences de la montagne, il s’attarde à balayer du regard l’espace ouvert qui se dévoile peu à peu devant lui.
Pourtant, si on suivait ce regard, on s’apercevrait que ses yeux ont cessé depuis un bon moment déjà de parcourir l’horizon, pour se figer en direction de sa ville, à 150 bornes de là, cette ville rose qu’il avait été pressé de quitter quelques jours plus tôt.
S’il était parti de Toulouse pour atterrir dans ce petit village des Pyrénées, c’était pour se ressourcer et se changer les idées, comme il l’avait fait depuis son enfance : car la montagne l’avait toujours apaisé.
Pourtant, cette fois-ci, ça n’a pas vraiment été le cas : quelque chose titille le beau cavalier, le hante, lui empêche de se sentir vraiment bien dans ce cadre naturel magnifique.
C’est comme si une partie de lui était restée à Toulouse, et se refusait de la quitter, malgré ses efforts pour tenter de l’y arracher ; comme si, dans son départ précipité, il avait oublié quelque chose d’important. Ou quelqu’un.
Le soleil perce enfin l’horizon, les premiers rayons de soleil commencent à réchauffer sa peau mate ainsi que la robe brune de sa monture ; le cavalier éteint sa cigarette entre deux doigts, bien qu’elle ne soit fumée qu’à moitié, et la glisse dans la petite poche du pantalon d’équitation : il prend une profonde inspiration et il réalise que la migraine qu’il ne l’avait pas lâché depuis sa sortie de l’hôpital semble enfin disparue. Ça le rassure.
Puis, il penche légèrement le dos vers l’arrière, il lâche un peu ses rênes, il met un tout petit coup de talon dans le flanc du cheval ; ce dernier prend le pas, puis le trot, et enfin le galop ; en quelques secondes, les deux mâles bruns disparaissent dans la forêt dense.
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Nico, c’est moi : j’ai 18 ans, j’habite Toulouse, et je viens de passer mon bac.
Jérém, c’est le garçon dont je suis fou depuis le premier jour du lycée. Brun, gaulé comme un dieu, avec une petite gueule à faire jouir d’urgence ; rugbyman et coureur de nanas, depuis trois ans il occupe toutes mes pensées et toutes mes branlettes.
C’est par une belle journée de mai que j’ai trouvé le courage de lui proposer de réviser les maths chez lui. Il a dit oui.
Mais au lieu de réviser, il a voulu que je le suce ; alors, je l’ai sucé. Il a aussi voulu me baiser : là non plus, je n’ai pas dit non. Je n’ai pas pu dire non. J’en avais tellement envie.
Depuis ce jour, on s’est vus régulièrement pour de très plaisantes « révisions » : chez lui, dans les chiottes du lycée, dans les vestiaires du terrain de rugby, chez moi.
Le sexe avec Jérém, c’est explosif. Il fait ça comme un Dieu. Il fait ça plusieurs fois dans une nuit ou dans un après-midi. Un jeune mâle inépuisable.
Le sexe, c’est le moteur de notre « relation » : et Jérém, n’en demande pas plus.
Mais pour moi, c’est différent : car moi, je suis amoureux de lui.
Pendant des mois, avant le bac, notre relation a connu des hauts et des bas, principalement à cause du fait que le bobrun n’assume pas nos coucheries et le plaisir qu’il prend avec moi ; une relation houleuse qui aurait pu se compliquer encore lorsque, le lendemain du bac, Jérém a commencé à travailler comme serveur dans une brasserie à Esquirol, ce qui ne justifiait plus non « révisions » ; et encore plus, lorsqu’il a été expulsé de son appart rue de la Colombette et qu’il a emménagé chez son pote Thibault.
Pourtant, contre tout attente, ces deux évènements ont semblé ouvrir de nouvelles perspectives pour notre relation : ainsi, pendant une semaine que j’ai appelée « magique », le bobrun est venu me voir chez moi chaque jour pendant sa pause ; une semaine pendant laquelle notre complicité semblait se faire de plus en plus forte ; une semaine où sa carapace de serial baiseur dénoué de tout sentiment (notamment « pour un pd ») semblait en train de tomber pour révéler un être sensible et passionnel.
Une semaine pendant laquelle j’avais vraiment commencé à croire que tout devenait possible avec le gars que j’aimais.
Puis, la nouvelle de son probable recrutement par un club de rugby de la capitale était tombée ; Jérém avait alors aussitôt remonté toute sa carapace, et il avait fini par me quitter. Brutalement.
Après deux semaines de tristesse, de manque, de souffrance, deux semaines qui ont été les pires de ma vie, je l’avais recroisé une nuit, fin août : je n’étais pas seul, j’étais avec Martin, un moniteur d’auto-école que j’avais croisé dans une boite gay aux Carmes.
Jérém, lui, était seul, mais saoul : il s’est montré jaloux, méchant, possessif. Il est reparti en colère.
Deux heures plus tard, lors d’une bagarre, il avait cogné la tête contre un mur et il avait perdu connaissance.
Le fourgon noir à la silhouette carrée quitte l’avenue de Grande Bretagne, traverse la Patte d’Oie, St Cyprien, le pont St Pierre ; il franchit la Garonne et il rentre dans la ville, il parcourt les rues aux façades en brique rose ou jaune, ces lieux familiers qui ont été le théâtre de ta courte vie.
Maudit accident, arrivé par une chaude nuit d’été, alors que tu n’avais même pas vingt ans !
Pourquoi, mais pourquoi il a fallu que les choses se passent ainsi ? Pourquoi il a fallu que tu partes si tôt ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, alors que tu avais de si grandes choses à accomplir ?!
C’est horrible, c’est injuste. J’ai envie de pleurer, de me taper la tête contre le mur : pourquoi, toi ?
Comment recommencer à vivre après ça ? Comment recommencer à vivre, sans toi ? Comment recommencer à vivre, sans toi sur cette terre ?
Depuis trois jours, je ne dors plus, je ne mange plus : la douleur me tue. Je n’ai jamais ressenti rien de plus insupportable de ma vie.
Ça ne faisait que quelques mois que tu étais entré dans ma vie, au printemps dernier ; et quelques mois plus tard, en cette amère fin d’été, je me retrouve en voiture avec ton meilleur pote pour t’accompagner dans ton dernier voyage.
Je le regarde, effondré dans le siège passager, il n’arrive pas à contenir ses larmes, il est défait, anéanti.
« Thibault B., pompier volontaire et espoir du rugby toulousain, victime d’un accident de la route dimanche dernier, succombe des suites de ses blessures » : voilà comment la « Dépêche du Midi » a raconté le chapitre final de ton existence. Ce n’était pas dans la partie « Dépêche de Toulouse », c’était dans le supplément « Sport » : car même si tu n’avais pas encore été titularisé dans le maillot rouge et noir, tu étais déjà considéré comme un pro.
Il y a tellement de choses que j’aurais envie de te dire et que je regrette de ne t’avoir jamais dites : mais avant tout, je voudrais avoir eu le temps de te dire à quel point ça a été un honneur pour moi de t’avoir pour ami.
Le fourgon noir s'arrête sur le parvis de l'église, devant l'entrée principale. Le hayon vitré s'ouvre, laissant apercevoir le cercueil couvert de fleurs. Tu es là-dedans, c'est vraiment ça.
Les agents des pompes funèbres font glisser la boîte en bois brillant et cèdent la place à quatre hommes que je ne connais pas mais qui doivent faire partie de ta famille.
Une musique résonne sous les voutes romanes de l'église : « November rain ». Cette chanson devait représenter quelque chose pour toi. Je n’ose pas poser la question à Jérém, brisé par la douleur.
La grande foule venue te dire au revoir s’installe peu à peu, la chanson prend fin. Le curé dit quelques mots. Puis, ta famille et tes potes viennent pour te rendre un dernier hommage.
Dans son costard bleu foncé, défait par le chagrin et pourtant beau comme un mannequin, Jérém monte au pupitre à son tour. En quelques mots, en laissant par moments pleurer son émotion, il nous raconte votre amitié.
« Tu n’auras jamais 20 ans, ni 30, ni 50 : tu ne connaitras ni les bonheurs ni les déceptions de la vie… mais tu resteras à tout jamais mon meilleur pote, mon grand frère, le gars qui m’a rendu heureux… ».
Jérém quitte le pupitre et revient s’asseoir à côté de moi. Le curé reprend la parole ; et là, je le vois me regarder, puis annoncer : « Nous allons maintenant écouter l’hommage de Nicolas… ».
Soudainement, mon cœur se met à taper si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser, l’impression qu’il est dans ma tête, l’impression que mon crâne va s’ouvrir d’un instant à l’autre…« Nicolas, venez, tout le monde attend d’entendre votre hommage à Thibault… ».
C’est là que je me réveille de mon horrible cauchemar…
Soudainement, je réalise que je m’étais endormi sur le canapé. C’est le bruit de la voiture dans l’allée du garage qui m’a réveillé. Et aussi les aboiements de Simba, mon labrador sable.
Ce soir, il revient plus tôt du boulot. J’espère qu’il a pensé à passer au supermarché, nos amis ne vont pas tarder à débarquer pour la crémaillère.
Une minute plus tard, la porte du cellier s’ouvre et Jérém apparaît, les bras chargés de courses ; Simba lui emboîte le pas, lui fait la fête ; puis, lorsqu’il me voit, le labrador fonce vers moi, il vient s’essuyer ses pattes boueuses sur mon pantalon et sur le tissu du canapé.
De l’air froid rentre par la porte du cellier mais dans la pièce il fait bon, un bon feu crépite dans la grande cheminée.
Jérém pose les courses sur la table, il approche et m’embrasse tendrement. Je glisse ma main dans ses beaux cheveux bruns, je suis heureux.
Simba aboie à nouveau. Je regarde par la baie vitrée. Une autre voiture arrive dans le jardin, puis une autre et d’autres encore : voilà mes parents, ma cousine Elodie, Thibault (ouf, il est vivant !) et les copains du rugby, avec leurs nanas.
Jérém s’affaire aux fourneaux, et moi je reste collé à la baie vitrée, je regarde les invités qui discutent sur la pelouse par petits groupes, dans le froid glacial, sans qu’aucun d’eux n’ait l’idée d’entrer dans la maison pour venir se réchauffer à côté du feu et nous dire bonjour.
Simba est à nouveau dehors, Jérém a dû le sortir ; il jappe comme un malade, passant d’un invité à l’autre, semblant vouloir rabattre tout le monde vers la maison ; pourtant, personne ne semble y prêter attention.
Jérém a fini de préparer le dîner. Je me retourne et je suis surpris de remarquer que sur la table il n’y a qu’un seul couvert. Jérém s’assoit et commence à manger.
Je lui demande ce qui se passe mais il ne me répond pas. Il continue à dîner tout seul.
La nuit tombe dehors et les phares des voitures s’allument à nouveau. Les voitures sortent de la cour une à une, les invités s’en vont l’un après l’autre, sans même être venus nous dire bonjour. Sacrée crémaillère, curieuse façon de recevoir des invités…Je le fais remarquer à Jérém. C’est là qu’il me répond enfin.
« Tu sais, Nico, tout ça, ça n’arrivera jamais, entre nous c’est que de la baise… alors viens me sucer… ».
J’entends quelqu’un frapper violemment à la porte ; ça résonne dans ma tête, c’est assourdissant ; j’essaie de protéger mes oreilles avec mes mains.
« Tu attends quoi, de moi, Nico ? ».
« Je ne sais pas… ».
« Tu t’es jamais posé la question de savoir ce que j’attends de toi ? ».
Mais les coups sont de plus en plus forts, tout tremble autour de moi, jusqu’à ce que…
Jusqu’à ce que je me réveille de mon horrible cauchemar, un autre…
Je suis sur le canapé, chez moi. Oui, quelqu’un tape à la porte, et à cette heure ça ne peut être que Jérém. Il revient de la brasserie, il est en pause et il est venu me baiser : il m’avait prévenu, mais je me suis endormi en l’attendant.
J’ouvre la porte, le bogoss rentre aussitôt et il me colle direct au mur ; il me roule une longue, intense pelle : sa fougue est si bouillante qu’elle me coupe le souffle.
Je le repousse, le temps d’un geste vital, celui de le débarrasser de son t-shirt blanc qui me rend dingue depuis le premier jour, le temps d’assouvir un besoin tout aussi vital, celui de me retrouver devant son torse de rugbyman.
Le bogoss revient à la charge, il m’embrasse comme un fou ; je suis chauffé à bloc et je laisse mes mains dériver sur la peau douce de son torse.
Je le sens sursauter d’excitation, je sens sa queue gonfler dans son jeans ; mes lèvres quittent les siennes et je ne peux résister à la tentation de passer ma langue autour de ses tétons, si saillants, si doux ; de descendre le long de la ligne médiane de son torse, de m’attarder dans ce nombril entouré de tablettes de chocolat ; et, pour finir, de glisser le long de ce chemin du bonheur, de cette pilosité fine, douce, tiède.
Me voilà à genoux, en train de défaire sa ceinture, sa braguette, de sortir sa bite du boxer.
Elle est droite, belle, bien tendue, avec un beau gland qui donne instantanément envie de le prendre en bouche. Alors je le prends en bouche et, en quelques coups de langue, je le rends dingue de plaisir. Et je me rends dingue de plaisir. Je fais monter la sauce progressivement, lentement, je ne veux pas qu’il jouisse trop vite. J’ai envie de le chauffer, avant qu’il ne me fasse l’amour.
Je suis sur le canapé, et Jérém est en moi, en train de me baiser divinement. J’adore me sentir possédé par sa queue, dominé par sa puissance virile. Le plaisir est tellement intense que je ne peux pas me retenir, je perds pied, je ferme les yeux et je viens… Pendant que je jouis, je l’entends me balancer : « Vas-y, mouille bien petite pute, tu mouilles comme toutes les pisseuses et les autres tafioles que je m’enfile… profite bien de ma queue, parce que c’est la dernière fois que tu y goûtes ! ».
C’est là que je me réveille, en nage.
Lorsque je rouvre les yeux, il fait noir autour de moi. Que se passe-t-il ? Où suis-je ? Suis-je enfin réveillé ou c’est encore un cauchemar ? J’ai du mal à émerger après tous ces enchaînements oniriques.
J’ai le souffle agité, je suis en nage. Je me pince la peau pour en avoir le cœur net. Je ressens une petite douleur, ça doit donc être bon.
Des bruits remontent à mes oreilles : ça tape, ça tape, ça tape. Papa doit encore être en train de bricoler : quoi de mieux qu’un bon petit vacarme domestique pour revenir les pieds sur terre ?
Je tourne la tête : mon radio-réveil m’annonce :
Jeudi 6 septembre 2001, 6h41.
Dieu merci, je suis dans ma chambre et tout cela n’est que rêve : rêve multiple, certes, mais rêve quand même. Petit à petit, je retrouve mes esprits : et je repense au coup de fil de Thibault, il y a dix jours.
Dimanche 26 août 2001.
7h12 : c’est ce qu’affiche mon radio réveil alors que mon portable vient de sonner et de me réveiller. Enfin : « réveiller » c’est un bien grand mot pour l’état dans lequel je me trouve après un sommeil d’à peine deux heures. Je suis complètement dans les vapes : le temps que je réalise que c’est bien la sonnerie du téléphone, le silence est revenu dans ma chambre.
7h13 : mon cerveau rame sérieux ; les logiciels en démarrage automatique se lancent et buggent l’un après l’autre. Première notification de système : « C’est dimanche, c’est tôt : veuillez vérifier vos paramètres et redémarrer à une heure plus convenable ».
Deuxième notification de système : « C’est bizarre que quelqu’un m’appelle à cette heure-ci, surtout un dimanche… ».
Je respire un bon coup, je fais appel aux dernières ressources de mes batteries presque à plat, j’attrape mon portable.
« Appel en absence Thibault ».
Soudain, un mauvais pressentiment prend violemment forme en moi ; très vite, l’interpolation des données (sortie au B-Machine la veille, rencontre avec Martin, retour avec Martin, apparition de Jérém saoul, sa mauvaise réaction) aboutit à seul match possible.
Mon cœur fait une accélération de 0 à 1000 en un temps record. J’ai les mains qui tremblent, je n’arrive même pas à afficher la liste des appels récents.
Sans encore avoir la moindre idée de ce qui s’est passé, je sens les larmes monter aux yeux. Car dans ma tête le pressentiment s’est déjà mué en certitude : quelque chose de grave est arrivé à Jérém.
Avant que j’arrive à rappeler, l’icône du message vocal apparaît en haut de l’écran.
Je lance le répondeur.
« Nico, c’est Thibault… rappelle-moi… dès que tu peux… s’il te plaît, Nico… ».
Ses mots, ses pauses, ses hésitations, la désolation et l’inquiétude que je perçois dans le ton de sa voix, sa respiration angoissée : tout participe à confirmer mes craintes.
Je rappelle, la mort dans le cœur :« Nico… » fait-il en décrochant. Un « Nico… » qui est à la fois :« merci d’avoir appelé », « j’avais besoin de t’avoir au téléphone », « j’ai un truc grave à t’annoncer ».
Un silence suit, un silence que ni lui ni moi n’avons envie de briser, dernier rempart avant la rencontre avec la dure réalité.
« Il est arrivé quelque chose à Jérém ? » je vais droit au but.
« Oui… oui… comment tu sais ? » fait-il, la voix faible et émue.
« Il est vivant ? ».
« Oui, oui ! Mais il est inconscient, depuis trois heures maintenant… ».
J’ai la tête qui tourne, je ne me sens partir. La fatigue, le stress, la peur : je sens la migraine monter à grand pas, j’ai du mal à respirer.
« Il est où ? ».
« A Purpan… en neurologie… ».
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Un accident de voiture ? ».
« Non, il y a eu une bagarre… ».
« Une bagarre ? ».
« Apparemment, il était saoul… il s’est pris le bec avec un mec dans la rue… ils se sont battus, il a trébuché, et sa tête a heurté violemment contre un mur… et il a perdu connaissance… ».
« Tu es avec lui ? » je tente de me rassurer, comme si la présence de Super Thibault à ses côtés était un gage du fait que les choses ne puissent pas tourner au pire.
« Oui, j’y suis depuis deux heures… depuis qu’un pote pompier m’a appelé… ».
« Pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ? ».
« Je voulais avoir des infos plus précises avant… je ne voulais pas t’inquiéter pour rien… j’espérais qu’il se réveillerait rapidement… ».
« Qu’est-ce que disent les médecins ? ».
« Il est en train de passer un scanner en ce moment même… ils ne peuvent pas se prononcer sans examens… ».
Je pleure en silence. Les secondes s’enchaînent, je n’arrive plus à décrocher un mot, j’ai l’impression que le monde s’effondre autour de moi.
« S’il te plait, Nico, viens vite… » j’entends Thibault chuchoter en pleurant.
« Tu crois qu’il pourrait… ».
« Je n’en sais rien, je me refuse de penser au pire, mais viens… viens, Nico… ».
Sentir un mec aussi solide que Thibault complètement anéanti, c’est insoutenable. Même par téléphone interposé.
« J’arrive… ».
Je prononce ces mots mécaniquement, comme dans un état second. Je n’arrive même pas à réaliser ce qui en train de se passer ; je n’arrive pas à me dire que Jérém pourrait ne pas s’en sortir ; à me dire que je pourrais perdre Jérém non seulement à cause de nos différences ; mais carrément parce qu’il ne pourrait plus être là, demain.
Je m’habille en catastrophe, en sanglotant ; je laisse un mot pour maman sur la table de la cuisine : « Je vais courir sur le Canal ».
Et je sors. Dans la rue, je suis confronté à la fraîcheur du matin, plutôt mordante ; au vent d’Autan, toujours présent, toujours aussi puissant.
Mais aussi à l’odeur de pain chaud et de croissant sortant d’une boulangerie, à la bonne humeur de deux passants qui se croisent, se lancent des sourires, se disent bonjour, s’arrêtent pour discuter ; à la fleuriste en train de rigoler avec le gars du kiosque à journaux ; à un beau garçon qui promène son Spitz sur le trottoir d’en face.
Bref, la ville se réveille peu à peu, une nouvelle journée commence. Une journée comme toutes les autres, pour tous les autres : mais pas pour moi.
Car pour moi, accablé par cette horrible nouvelle, assommé par un état de fatigue extrême, tenaillé par la migraine, le mot bonheur n’a plus de sens : car tout me semble désormais tristesse et désespoir.
Je prends le bus direction l’Hôpital de Purpan, les larmes aux yeux.
Deux arrêts plus loin, un mec monte et s’installe pile en face de moi. C’est un mec très brun, autour de vingt ans, un mètre quatre-vingts, des épaules bien redessinées par un t-shirt gris, col en V, duquel dépassent un triangle de peau finement velue ; un t-shirt qui porte le logo d’une équipe de foot amateur, sur lequel est posé une solide chaînette de mec, et qui retombe sur un short noir ; des baskets aux pieds, un sac de sport à la main, une jolie gueule d’ange brun sur un beau corps de footeux.
Le mec tient une cigarette entre les lèvres, et la « Dépêche » dans une main, dont il commence aussitôt à feuilleter l’annexe sport. Je le regarde jongler entre le journal à tenir, les pages à tourner, la lecture et la cigarette maintenue entre ses lèvres et qui se consume plus que de raison.
Très joli garçon, en route vers un dimanche partagé avec ses potes, autour de la passion commune ; très joli garçon, si beau et si brun qu’il me fait penser direct à mon Jérém.
Mais à une différence près. Le regard de cet inconnu est serein, apaisé, un regard de mec bien dans ses baskets : alors que celui de mon Jérém, notamment les trois dernières fois où je l’ai vu, était torturé, en colère, plein de sentiments négatifs.
Peut-être qu’à ce bobrun inconnu aucun camarade n’a jamais demandé de « réviser » ; peut-être qu’il n’a pas été confronté à des envies et à des sentiments qu’il ne saurait pas comment gérer ; peut-être que sa vie suit son cours, sans qu’aucun élément perturbateur ne soit venu la troubler.
Peut-être qu’il n’a jamais été exposé à la tentation, peut-être tout simplement qu’il n’est pas sensible à ce genre de tentation ; ou bien il l’a été avec un pote, à un moment, mais cela ne l’a pas perturbé plus que ça : tout simplement, c’est arrivé, il a aimé, il a assumé, il ne s’est pas pris la tête.
Au fond, avec Jérém, ça aurait aussi pu se passer comme ça. Pourquoi ça n’a pas été le cas ? Je sais qu’il a bien kiffé coucher avec moi : pourtant, il ne l’a jamais assumé. Pourquoi ?
Peut-être que si je ne lui avais pas proposé de réviser, il aurait été mieux dans ses baskets ; il ne se serait pas posé tant de questions, il ne se serait pas pris autant la tête ; la nuit dernière nous ne nous serions pas croisés comme des étrangers, et nous ne nous serions pas quittés en colère l’un vers l’autre ; peut-être alors que ce qui est arrivé cette nuit n’aurait jamais eu lieu…Pourquoi il a fallu que le destin provoque cette rencontre ? Pourquoi il a fallu que je sois avec Martin ? Pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés seul à seul ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Je revois son regard vide, désemparé, perdu, rempli de désolation, le même que j’ai vu dans ses yeux la dernière fois qu’il était venu chez moi, juste avant qu’il ne passe la porte d’entrée pour partir ; ce regard qui jurait avec son attitude agressive, méprisante, offensante, ce regard qui était certainement le reflet de son véritable état d’esprit au-delà de sa colère, de sa vulgarité, de son mépris, de son état d’ivresse : l’état d’esprit d’un gars paumé.
Je me suis souvent demandé quel était le vrai Jérém, celui de ses actes et de ses mots, impulsifs, virulents, dictés par ses craintes, par son ego ; ou bien celui de ses regards, des regards qui ne mentent pas.
Maintenant, je sais ; maintenant, j’en suis certain, Thibault avait raison : au fond, Jérém, n’est qu’un animal blessé qui se débat, qui réagit à sa souffrance par la violence.
Thibault avait pris la mesure du danger bien avant et bien mieux que je ne l’avais fait ; il m’avait prévenu que Jérém n’était pas bien, et qu’il risquait de partir en vrille au moindre grain de sable.
On ne peut rien contre le destin : pourtant, dans des moments comme celui-ci, cette évidence ne nous est d’aucun secours.
Ce matin, je regrette profondément l'impression que j’ai donnée à Jérém la nuit dernière : l’impression que, pour la première fois, c'était moi qui m’éloignais de lui.
En choisissant de partir avec Martin, j’ai voulu lui montrer que je ne suis pas son petit chien, ni son punching-ball ; j’ai aussi voulu tester sa jalousie, tester ce que je représente à ses yeux, au-delà de ses mots mauvais de ses attitudes de macho. Mais avant tout, j’ai voulu me préserver de souffrir à nouveau à cause de lui. Pour la première fois, j’ai pensé à moi, avant de penser à lui.
Si seulement j’avais su trouver les bons mots pour le retenir, la soirée aurait pu être différente. Et à l’heure qu’il est, Jérém ne serait pas inconscient dans un lit d’hôpital.
Mais est-ce que les bons mots pour retenir quelqu’un d’aussi paumé que Jérém, existent seulement ?
Ce matin, je me dis que oui, ils existent.
J’aurais pu commencer par m’excuser de l’avoir frappé, par lui dire qu’il est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie ; à sa question : « Ça y est, tu es à nouveau « amoureux » ? », j’aurais dû répondre que je n’ai jamais cessé de l’être, mais de lui, et de lui seul ; j’aurais dû lui dire ce que je me suis retenu de lui jeter à la figure : lui dire que Martin n’avait pas pris sa place, qu’il était juste là pour me faire oublier ma tristesse de ne pouvoir être avec lui ; j’aurais dû lui dire que mon cœur n’aspirait qu’à le retrouver, lui ; j’aurais dû le prendre dans mes bras, le serrer très fort contre moi, et me laisser aller, lui dire et lui redire à quel point je l’aime comme un fou, lui en donner le preuve en laissant partir Martin une nouvelle fois.
Et j’aurais dû lui proposer de rentrer avec lui. Je n’aurais jamais dû le laisser seul, dans l’état qu’il était. Rentrer où, d’ailleurs ? Il n’a plus de chez lui, il est parti de chez Thibault : je n’allais pas quand même l’accompagner chez sa pouffe. Si, j’aurais dû.
Non, j’aurais pu l’inviter dormir à la maison : bien sûr, maman et papa n’auraient rien compris. Mais qu’importe ?
Ou alors, on aurait pu prendre une chambre à l’hôtel, passer la nuit ensemble en terrain neutre. Recommencer à zéro. Passer la nuit à faire l’amour, à discuter. L’hôtel : tellement évident, tellement limpide comme solution !
Mais est-ce qu’il se serait laissé faire ?
Après que nous ayons couché ensemble, Martin s’était endormi. J’étais sorti sur son balcon prendre l’air : je regrettais déjà ce qui venait de se passer, bien qu’il avait été adorable. Le fait est que Martin n’est pas le gars que j’aime.
J’avais regardé en direction de la rue de la Colombette et je m’étais dit que je ne pouvais pas me résigner à perdre Jérém de cette façon, sans tenter une dernière fois de lui faire comprendre à quel point on pourrait être bien ensemble ; je m’étais rassuré en me disant que, dès le lendemain, j’allais l’appeler, et le convaincre de se voir pour discuter calmement ; je m’étais dit que oui, le lendemain je trouverais les mots.
C’est horrible de me dire que Jérém s’est peut-être bagarré pendant que je couchais avec Martin, ou pendant que je regrettais de l’avoir fait.
Le bus arrive à l’arrêt de Purpan ; je n’ai pas envie de descendre, j’ai peur de ce que je vais apprendre dans les minutes à venir.
Je me fais violence pour me lever de mon siège. Je me sens épuisé, oppressé, la migraine est de plus en plus forte, ma respiration de plus en plus difficile ; j’ai le vertige, ma vue se brouille, le cœur tape dans ma gorge ; j’ai une boule incandescente dans le ventre, j’ai envie de crier, j’ai envie de mourir.
Je suis tellement HS que, lorsque je me lève enfin, je heurte violemment le genou du beau footballeur. Je trébuche et le mec m’attrape par l’avant-bras, il m’aide à me remettre.
« Je suis désolé » je me morfonds.
« T’inquiète… » fait-il, tout en ajoutant : « ça va ? ».
« Pas vraiment… ».
« Qu’est-ce qui t’arrive ? »« Je viens voir un pote qui a eu un accident cette nuit… ».
« C’est grave ? ».
« Je ne sais pas encore… ».
« Courage, ça va aller… » fait-il en accompagnant ses mots par un sourire beau et doux, en prenant ses mains dans les siennes et en les serrant pendant une poignée de secondes.
J’espère que ça va aller. Adieu et merci bobrun inconnu, merci pour ta gentillesse et ton empathie.
Lorsque j’arrive en neurologie, Thibault n’est pas seul ; il est avec Maxime, le frère de Jérém et d’un homme d’une quarantaine d’années, brun lui aussi, que je devine être le père de Jérém et de Maxime.
Je sens les larmes me monter aux yeux. Je suis tétanisé, j’ai peur de savoir ; j’ai aussi peur de ne pas avoir ma place dans cette petite réunion de famille et de très proches.
Me voyant arriver en larmes, Thibault se lève, vient à ma rencontre et me serre dans ses bras.
« Ça va aller… ça va aller… » il tente de me rassurer.
Un instant plus tard, le jeune pompier fait les présentations.
« Mr Tommasi, Maxime, voilà Nico, un camarade de lycée de Jérémie… Nico, voilà Mr Tommasi et Maxime, le papa et le frère de Jérémie… ».
Serrer la main au petit frère et au père de mon Jérém, voilà une étrange sensation : en me laissant me présenter comme « un camarade » de Jérém, j’ai l’impression de les tromper, de mentir.
Cependant, ce n’est ni le lieu ni le moment pour avoir des états d’âme : alors, je me laisse porter par la situation.
« Il y a du nouveau ? » je demande, sans bien savoir à qui m’adresser.
« Non, il est toujours au scanner… » fait Mr Tommasi.
« Ils devraient venir nous dire ce qui se passe ! » fait le jeune Tommasi, dont l’angoisse s’exprime sous forme de colère. Comme il me fait penser à son frère, en cela également !
« Patience, ils vont bientôt venir nous parler… » fait Thibault, toujours aussi rassurant et adorable.
Nous allons nous asseoir. Thibault me raconte brièvement ce qu’il a appris sur les circonstances de l’accident ; pendant ce temps, mon regard se fige sur le genou de Maxime en train de sautiller nerveusement : le petit mec se fait visiblement violence pour réussir à tenir en place ; ses yeux noirs ont l’air d’avoir versé beaucoup de larmes ; il est mignon et touchant, j’ai envie de le serrer dans mes bras et de le réconforter. Il est aussi beau que son frère, et il sent aussi bon.
Mr Tommasi a un regard très brun, très sombre ; un regard qui, lui aussi, me rappelle celui de Jérém, parfois.
« Mais qu’est-ce qui lui a pris de se battre ? » fait-il, de but en blanc.
« Je pense qu’il avait pas mal bu… des fois il suffit de pas grand-chose pour que ça parte en vrille… » tente d’expliquer Thibault.
« Il n’allait pas bien… » fait Maxime.
« Pourquoi tu dis ça ? » s’insurge Mr Tommasi « il allait partir à Paris, avec une carrière dans le rugby toute tracée… il est jeune et beau et les nanas se battent pour lui… pourquoi il n’irait pas bien ? ».
« Tu l’as laissé tomber… ».
« Arrête, Maxime… ça lui a fait le plus grand bien de commencer à s’assumer ! ».
« Je te jure qu’il n’allait pas bien depuis quelques jours » insiste Maxime « je l’ai vu la semaine dernière et je l’ai trouvé bizarre… il était fatigué… il ne parlait pas, il faisait la tête… ».
« C’est peut-être à cause d’une nana… » fait Mr Tommasi.
Sur ce, un infirmier approche.
« Comment il va ? » fait Maxime, impatient et inquiet, en bondissant de son siège.
« On vient de terminer le scanner… ».
« Il s’est réveillé ? » enchaîne Maxime, sans presque respirer.
« Non, pas encore… ».
Je vois les larmes remplir ses beaux yeux bruns, je vois les larmes aux yeux marron-tirant-sur-le vert de Thibault, alors que la main de ce dernier se pose sur l’épaule du premier pour tenter de le calmer ; je vois le front de Mr Tommasi se froncer un peu plus. Et je sens mes larmes monter à nouveau.
« Le médecin veut voir la famille… vous Monsieur Tommasi… qui d’autre est de la famille ? ».
« Moi ! » fait Maxime, impatient.
« Venez avec moi… ».
Nous restons là, Thibault et moi, plantés dans le hall, à regarder l’infirmier, Mr Tommasi et Maxime disparaître derrière la porte du service.
Le bomécano s’assoit. Je m’assois à mon tour. Je l’entends pousser un grand soupir. Un instant plus tard, Thibault s’effondre, sa détresse se révèle au grand jour ; ses larmes coulent à flots sur son visage.
« Thibault… » j’essaie de le consoler, le serrant contre moi.
Nous pleurons l’un dans les bras de l’autre.
« Merci d’être venu… j’avais besoin que tu sois là… ».
« Je suis là… »« Je ne sais pas ce que je vais devenir si jamais… » fait-il.
« Il n’y a pas de « si jamais »… il va être vite remis sur pattes, c’est obligé… ».
On se découvre parfois une force insoupçonnée lorsqu’il s’agit de réconforter les autres.
« Je le savais… je savais que ça allait lui arriver un truc… ».
« Tu savais qu’il n’allait pas bien, mais tu ne pouvais pas deviner qu’il allait se battre… ».
« Je le connais, quand il n’est pas bien, il cherche la bagarre, comme s’il cherchait le danger, comme s’il cherchait à se foutre en l’air… j’aurais dû être là pour lui… j’y ai pensé toute la nuit en plus… j’avais prévu de l’appeler aujourd’hui… ».
Je suis ému de savoir que pour Thibault aussi le temps s’est dérobé sous ses pieds.
Thibault prend son visage dans ses mains tremblantes et je l’entends sangloter en silence.
Il est tellement touchant.
« C’est de ma faute tout ça… » il insiste.
« C’est de ma faute aussi… je l’ai croisé cette nuit… ».
« Ah oui ? Et il était comment ? ».
« Il était saoul et il avait fumé… ».
« Il t’a dit quoi ? ».
« Il m’a jeté… j’étais avec un gars… ».
« Un gars ? ».
« Oui, un mec que j’ai rencontré en boîte… ».
Thibault se tait, pensif.
« Jérém m’a quitté… » j’ai le réflexe de me justifier.
« Je sais… je sais… je sais… ».
« Ca s’est mal passé… il m’a mis plus bas que terre et il est parti super vénér… ».
« J’aurais dû l’appeler cette nuit… mais pourquoi j’ai attendu ? » il souffle « qu’est-ce qui m’en a empêché ? ».
« Ce sont les mêmes questions que je me pose aussi… j’ai eu envie de l’appeler toute la nuit… mais même si on l’avait appelé, qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour lui ? ».
« On aurait pu lui empêcher de se faire tabasser… ».
« Est-ce qu’il nous aurait écoutés ? C’est lui qui s’est éloigné de toi, de moi… il m’a largué parce qu’il n’assume pas notre relation… il s’est éloigné de toi à cause du recrutement du Stade… ».
« Je me sens tellement mal… » fait Thibault, l’air démuni devant son immense chagrin.
« Ce n’est pas de ta faute s’il n’a pas été retenu par le Stade… ».
« Mais je le suis pour ce qui s’est passé le dernier soir… ».
« Quel soir ? Qu’est ce qui s’est passé ? ».
Thibault se tait, le regard perdu, fuyant, rempli d’angoisse : un regard dans lequel je retrouve la même sensation que j’avais ressentie la veille, lorsque j’avais été le voir au garage : la sensation que le bomécano ne m’a pas tout dit au sujet de cette dernière fois où il a vu son Jéjé ; et à cet instant précis, j’ai soudainement peur d’entendre ce qu’il va me raconter.
« Qu’est-ce qui s’est passé, dis-moi… » je répète, presque mécaniquement.
Maxime et son père sortent des urgences ; ce dernier tient son bras autour du cou de son fils cadet ; Maxime a l’air d’un enfant qui a besoin d’être rassuré ; il est terriblement émouvant.
« Alors ? » fait Thibault soudainement ranimé.
« Il a un traumatisme crânien plutôt grave… » explique Mr Tommasi « pour l’instant le médecin ne veut pas s’avancer… ».
« Le pronostic vital est engagé ? ».
« Oui, pendant 48 heures… ».
« Il ne sait même pas s’il va se réveiller ! » fait Maxime, dans un cri de désespoir.
« Si, il va se réveiller… » fait le bomécano en endossant à nouveau sa cape de Super Thibault, tout en posant à son tour la main sur l’épaule du jeune loup à la crinière en bataille « il va se réveiller, c’est obligé… il a tellement de Brennus à gagner ! ».
Maxime se dégage et s’éloigne, en pleurs.
« C’est vrai » fait Mr Tommasi en baissant le ton de la voix « ils ne savent ni quand et ni s’il va se réveiller… ni comment… le traumatisme est grave et il pourrait y avoir des séquelles… ».
« Du genre ? » je fais.
« Perte de la mémoire, ou pire encore… troubles moteurs, du langage, de l’épilepsie… les 24-48 prochaines heures vont être décisives… ».
Un silence chargé d’angoisse s’installe dans le sillage de ses mots.
« Allez prendre un café, les gars… je vais rester là… » finit par nous suggérer Mr Tommasi.
« Vous avez besoin de quelque chose ? Vous voulez que je ramène Maxime ? » fait Thibault.
« Non, ma compagne va venir le chercher… ».
« Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, alors ? » insiste Thibault, serviable au possible.
« Rien, il n’y a qu’à attendre et espérer… si vous êtes croyants, prier… ».
Dans ma tête, une seule prière s’affiche instantanément : je donnerais tout, pourvu qu’il s’en sorte ; tout, y compris renoncer à lui, si c’est ce qu’il souhaite vraiment.
Je repars avec Thibault, nous marchons en silence. Pas après pas, la question que je lui ai posée par deux fois – et qui est restée sans réponse – résonne dans ma tête de façon de plus en plus obsédante.
Dans l’ascenseur, le malaise est palpable. Thibault n’est pas bien : je ne veux pas lui prendre la tête mais j’ai besoin de savoir.
L’ascenseur vient de s’arrêter au rez-de-chaussée, les portes s’ouvrent. C’est là que je me lance :« Thibault… ».
« Viens avec moi, Nico, on va prendre un truc à la cafet’… ».
A la cafet’, nous nous sommes installés dans un coin, l’un face à l’autre.
Je n’ai pas eu besoin de répéter la question qui me brûlait les lèvres ; après avoir avalé une gorgée de café, Thibault m’a tout raconté.
Il m’a raconté que la dernière fois que Jérém avait dormi chez lui, dix jours plus tôt, il n’était pas bien ; qu’il stressait à cause de son départ à Paris ; qu’il était miné par sa peur de devenir pd à cause de sa relation avec moi ; mais, surtout, à son dire, qu’il était peiné par l’idée de s’éloigner de moi, même s’il ne voulait pas l’admettre.
Il m’a parlé de ses tentatives de le réconforter, de le rassurer ; il m’a raconté de comment il s’était trouvé allongé sur le clic clac, avec son pote dans les bras ; et il m’a raconté de comment la proximité et l’affection avaient dérapé à un moment ; il m’a avoué que cette nuit-là lui et son Jéjé s’étaient donnés du plaisir.
Il m’a raconté que Jérém était parti de chez lui au petit matin, sans un mot.
Il m’a raconté comment ce moment de faiblesse avait mis un grand coup à leur amitié ; il m’a raconté à quel point il le regrettait : par rapport à Jérém, par rapport à moi.
Il m’a demandé pardon, en larmes.
Je l’ai laissé parler, le cœur un peu plus meurtri à chacun de ses mots.
Depuis quelques heures, au gré de récits divers et variés, je découvrais un nouveau Jérém ; et ça continuait avec Thibault ; au point où j’en étais, autant aller au bout des choses et tout savoir, tout connaître de cette énigme qu’est le gars que j’aimais.
Je lui ai demandé si c’était la première fois que cela arrivait.
Thibault m’a alors parlé de cette nuit, sous une tente, en camping, l’été de leurs 13 ans ; il m’a raconté qu’ils s’étaient faits du bien comme le font parfois les ados, mais que ça n’avait été qu’une fois et qu’ils n’en avaient jamais reparlé depuis.
Il m’a aussi raconté de cette branlette qu’il avait faite à son pote la semaine avant la finale du tournoi de rugby.
« C’est pour ça que tu étais si distant quand je suis venu te voir à mon retour de Londres… ».
« Je n’étais pas fier… je regrettais ce qui s’était passé, je voulais l’oublier, je voulais faire en sorte que ça ne se reproduise pas… ».
Il m’a raconté comment ça avait pourtant à nouveau failli déraper, d’autres fois, par la suite.
Il m’a raconté comment, à chaque fois, il avait eu le cœur lourd, et s’était senti de plus en plus perdu.
« Je ne voulais pas que ça gâche mon amitié avec Jérém et avec toi… ».
Il m’a dit et redit qu’il regrettait ce qui s’était passé avec Jérém ; car il savait que c’était ça, bien plus que la jalousie par rapport à son recrutement par le Stade Toulousain, qui avait éloigné son pote de lui.
Il m’a dit qu’il regrettait de ne pas m’avoir tout dit la veille, quand j’avais été le voir au garage.
J’ai laissé Thibault parler, abasourdi par son récit ; j’ai encaissé, encaissé et encaissé, sans vraiment arriver à ressentir grand-chose ; toutes mes émotions semblaient planer sur le brouillard épais de ma fatigue extrême ; ma conscience harassée a traité toutes ces informations avec distance, en mode « auto préservation ».
J’étais juste sonné, comme si je venais de recevoir un coup de massue sur la tête et que tout était devenu noir.
La détresse de Thibault aurait dû me toucher. Ça n’a pas été le cas. J’avais l’impression de ne rien ressentir, de regarder ma vie partir en sucette, mais de la regarder de l’extérieur, comme si j’étais sorti de mon corps et que j’observais la scène depuis le plafond.
Mon esprit a du mal à se défaire du choc de ce triple cauchemar en cascade, commencé par l’« enterrement » de Thibault.
Mon radio-réveil indique toujours le jeudi 6 septembre 2001, mais il est désormais 7h05 ; je suis toujours dans ma chambre, plongé dans le noir.
Aujourd’hui encore, comme chaque matin depuis la rupture avec Jérém, et encore plus depuis son accident, je n’ai pas envie de me lever. Quand je serai à la fac, j’aurai une raison pour me lever ; mais jusqu’à là, dormir est une bonne façon pour ne pas ressasser mes démons. Ainsi, je disparais sous ma couette et je me rendors.
Lorsque je me réveille, il est 10h15.
J’ai l’impression que l’accident de Jérém, c’était il y a tellement longtemps. Il s’est passé tellement de choses en dix jours.
Après que Thibault a vidé son sac à la cafétéria de l’hôpital, je me suis levé et je suis parti. Je l’ai entendu me promettre qu’il me tiendrait au courant quand il y aurait du nouveau. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir remercié, je crois que je ne lui ai même pas dit au revoir. Je crois que j’étais en mode zombie, et que je n’avais même pas l’énergie pour réagir.
Je ne sais même pas comment je suis rentré chez moi ; je n’ai aucun souvenir de ce triste voyage de retour en ville ; je me souviens être rentré, et que maman était en train de préparer des lasagnes. Elle m’a demandé si je pouvais l’aider, j’ai fondu en larmes. Par chance, papa n’était pas là. Je n’ose pas pleurer devant papa ; et là, j’ai vraiment besoin de pleurer, plus encore que le jour où Jérém m’a quitté.
Maman m’a fait asseoir, elle m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai raconté que le gars qu’elle avait croisé quelques semaines plus tôt à la maison avait eu un grave accident. Maman a immédiatement saisi ma souffrance, et elle a su trouver les mots pour calmer mes larmes. Vraiment, j’ai de la chance d’avoir une maman si formidable.
Le lendemain, lundi, Julien m’a appelé pour m’annoncer qu’il y aurait une place pour passer la conduite le mercredi 5 septembre ; rien qu’au téléphone, il a décelé que je n’allais pas bien ; il a insisté pour qu’on se voit pour prendre un café. J’ai été chez lui le soir même, et je lui ai tout raconté : lui aussi a su trouver des mots qui m’ont fait chaud au cœur, il a été adorable. Définitivement, le petit con coureur de nanas a vraiment un bon fond, c’est un bon gars.
Martin a pris des nouvelles, mais je n’ai pas eu envie de lui parler de l’accident de Jérém ; il a fini par me proposer de passer chez lui, à l’occasion : je n’ai pas eu envie de le revoir non plus.
Mardi, je suis revenu à Purpan revoir Jérém. Voir ce beau garçon, musclé et d’habitude si vigoureux, dans une chambre d’hôpital, inanimé, allongé sur un lit, sous perfusion, branché à un respirateur : ça m’a arraché le cœur.
Je me suis senti tellement impuissant. J’aurais donné tout ce que je possède pour l’aider à se réveiller. J’ai réitéré la prière que j’avais faite le dimanche matin : si Jérém se réveille, et s’il se réveille comme il s’est endormi, sans séquelles, je vais le laisser vivre sa vie comme il l’entend ; même si dans cette vie, il n’y a pas de place pour moi.
Une fois ce vœu prononcé, je me suis senti un peu soulagé ; puis, j’ai regardé ses yeux fermés, et je n’ai pas pu résister à l’envie de passer mes doigts dans ses cheveux bruns.
J’ai repensé à un truc que j’avais lu ou entendu à propos des personnes qui sont dans le coma : comme quoi, dans certains cas, elles entendent les mots qui leur sont adressés, et que le fait de leur parler pourrait les aider à revenir.
Je me suis accroche à cet espoir, j’ai attrapé une chaise, je me suis assis à côté du lit, et je lui ai pris la main. Elle était chaude, lourde, une belle main de mec : mais elle était inanimée.
J’ai commencé à lui parler. Je lui ai parlé du frisson que j’avais ressenti le premier jour du lycée lorsque je l’avais vu dans la cour ; je lui ai raconté mon bonheur de le côtoyer depuis trois ans ; je lui ai raconté de comment il avait bouleversé ma vie ; je lui ai dit et redit de comment il était important pour moi, tout comme pour tant de personnes, qu’il revienne et qu’il accomplisse son destin.
Sans jamais cesser de tenir sa main entre les miennes, je me suis lancé dans un long monologue ; les yeux fermés, je guettais la moindre réaction de sa part. Par moments, j’avais l’impression qu’il m’écoutait, et que d’un moment à l’autre il me parlerait à son tour.
Je n’ai pas entendu la porte de la chambre s’ouvrir ; et je n’ai entendu Maxime approcher que lorsqu’il m’a demandé :« Tu kiffes mon frangin, c’est ça ? ».
« Oui… ».
« Et lui, il te kiffe aussi ? ».
Je n’ai pas sur quoi lui répondre.
« Je crois qu’il te kiffe, lui aussi… ».
Si tu savais, Maxime, à quel point c’est compliqué entre ton frangin et moi !
Mercredi, j’ai passé l’après-midi avec Elodie, et ça m’a fait le plus grand bien. J’étais toujours avec elle, il était est 18h15, lorsque j’avais reçu un coup de fil de Thibault : Jérém s’était enfin réveillé, et tout semblait normal ; à première vue, il semblait pouvoir bouger chaque partie de son corps, et se souvenir de tout.
La chape de plomb qui pesait sur mon esprit depuis quatre interminables journées s’était enfin dissipée : j’ai pleuré et Elodie a été adorable. Vraiment, j’ai une chance inouïe de l’avoir, elle aussi.
Samedi midi, nouveau coup de fil de Thibault pour m’annoncer que Jérém allait quitter l’hôpital dans le week-end. Je crois que j’ai été plutôt distant avec lui. J’ai senti qu’il a senti cette distance. J’ai senti que ça lui faisait mal. D’une certaine façon, dans une certaine mesure, j’ai eu mal pour lui. Mais sur le coup, je n’ai pas su faire autrement. La conversation a tourné court.
Je n’ai rien foutu du week-end ; je ne suis pas sorti, je n’ai pas été courir, j’ai ruminé sur tout ce qui s’était passé depuis la rupture avec Jérém, je me suis enfoncé dans un abyme de tristesse.
Pour tenter de refaire surface, j’ai essayé de me souvenir de la dernière fois où j’ai été heureux : pour ce faire, j’ai dû remonter jusqu’à cette semaine magique, un mois plus tôt, où tout était si beau. J’ai repensé aux fois où j’avais fait l’amour avec le garçon que j’aimais, j’ai repensé à ces bisous que j’avais pu lui faire, qu’il s’était laissé faire, enfin ; je me suis dit que je donnerais une fortune, ma vie toute entière, pour revivre ne serait qu’un après-midi de la semaine magique, de ces après-midi fabuleux chez moi, avant le clash fini à coups de poings dans la gueule.
Du coup, j’étais encore plus mal : car le fait de repenser aux bons moments m’a donné la mesure de tout ce que j’ai perdu depuis.
J’ai essayé de m’accrocher au fait que le plus important est là, Jérém est vivant, et c’est tout ce qui compte.
J’ai également pensé à Thibault ; j’ai repensé à ce qui m’avait raconté, à ce qui s’était passé entre Jérém et lui. J’ai repensé avec tristesse aux bons moments qu’on avait passé ensemble, à cette belle amitié que j’ai perdue aussi : car j’ai l’impression que quelque chose a cassé en moi, et je n'arrive pas à imaginer qu'un jour on puisse retrouver la relation qu'on avait avant.
Pendant ce week-end, il n’y a pas eu une heure sans que j’aie eu envie de hurler : « Vivement que je me casse de cette chambre, de cette ville, que je m’éloigne des souvenirs qu’elles contiennent, des espoirs meurtris accrochés à chaque objet, à chaque endroit ».
J’ai envie de tourner la page. Quitter Toulouse, partir loin.
Mercredi 5 septembre, j’ai passé ma conduite avec succès ; Julien m’a longuement félicité. Il m’a même payé un verre. Pourtant, je n’ai pas pu me réjouir d’avoir franchi cette petite, grande étape de ma vie. Je m’étais souvent dit que je fêterais ça avec Jérém…Ce jour-là, Jérém me manquait horriblement, plus encore que les autres jours : pourtant, je me suis martelé sans cesse que je ne chercherais pas à le revoir ; je l’ai promis sur son lit d’hôpital, je vais m’y tenir. De toute façon, je l’ai perdu, à tout jamais. Et lorsqu’il sera à Paris, il ne pensera plus à moi.
Thibault aussi me manquait. Pourtant, je n’avais pas envie de le revoir. J’avais encore trop mal : aveuglé par ma jalousie et par ma colère, embourbé dans ce sentiment de trahison de la part des deux potes dont je n’arrivais pas à me défaire, je ne réalisais pas encore, comme je le ferai plus tard, à quel point j’étais dur et injuste avec Thibault ; Thibault qui souffrait lui aussi : car, tout comme moi, et bien plus encore, il culpabilisait pour ce qui était arrivé à son pote ; Thibault qui s’en voulait sincèrement pour ce qui s’était passé ce soir-là, sur le clic clac, avec son Jéjé ; Thibault qui, après ce soir-là, avait tant perdu, et son meilleur pote avant toute chose.
Oui, il me faudra encore un peu de temps pour arriver à comprendre que je n’avais pas le droit de laisser le bomécano seul avec ce fardeau, lui qui avait toujours été si adorable avec moi. Car, malgré ce qui s’était passé, il n’avait jamais eu l’intention de me faire du mal.
C’est avec ma cousine et son charmant Philippe que j’ai fêté mon permis le soir même, c'est-à-dire, hier soir. Je n’avais pas le cœur à faire la fête mais je me suis forcé.
Ce jeudi 6 septembre, après ce triple cauchemar, je me lève triste et abattu, pire encore que les jours précédents. La météo est grise sur Toulouse, tout comme elle l’est dans mon cœur ; le ciel de plomb et le vent frais annoncent les prémices de l’automne.
Je ne sais pas comment me secouer la morosité qui me plombe en cette interminable attente de la rentrée à la fac.
Comment faire pour recommencer sans lui ? Jérém, mon amour perdu, où es-tu mon Jérém ?
En selle d’un pur-sang arabe à la robe bai foncé et à la crinière noire, un cavalier à la peau mate brave l’air déjà froid du matin ; il regarde la brume se dissiper peu à peu, il guette le lever de soleil sur les sommets immuables, il observe le matin redessiner le profil de la montagne verdoyante.
Les pointes des boots posées sur les étriers, les talons vers le bas, les genoux légèrement pliés, les jambes imperceptiblement en tension, les rênes courtes, le jeune cavalier exerce sa maîtrise silencieuse sur l’animal.
Habillé d’un pantalon d’équitation noir et d’un pull gris à capuche, cette dernière rabattue sur sa belle chevelure brune, le cavalier se tient bien droit sur sa monture, faisant presque un seul avec elle : un étalon porté par un autre étalon, sorte de magnifique centaure.
Il allume une cigarette, en se disant que la fumée le réchauffera au moins de l’intérieur.
Le bruit d’une cloche de troupeau parvient à ses oreilles ; ce qui lui rappelle, si besoin était, que le mois de septembre est arrivé et que l’été vit ses derniers jours : bientôt les troupeaux à l’estive vont redescendre dans la plaine ; bientôt il devra partir lui aussi, loin.
Le cavalier reste longuement à s’imprégner des odeurs, des bruits et des silences de la montagne, il s’attarde à balayer du regard l’espace ouvert qui se dévoile peu à peu devant lui.
Pourtant, si on suivait ce regard, on s’apercevrait que ses yeux ont cessé depuis un bon moment déjà de parcourir l’horizon, pour se figer en direction de sa ville, à 150 bornes de là, cette ville rose qu’il avait été pressé de quitter quelques jours plus tôt.
S’il était parti de Toulouse pour atterrir dans ce petit village des Pyrénées, c’était pour se ressourcer et se changer les idées, comme il l’avait fait depuis son enfance : car la montagne l’avait toujours apaisé.
Pourtant, cette fois-ci, ça n’a pas vraiment été le cas : quelque chose titille le beau cavalier, le hante, lui empêche de se sentir vraiment bien dans ce cadre naturel magnifique.
C’est comme si une partie de lui était restée à Toulouse, et se refusait de la quitter, malgré ses efforts pour tenter de l’y arracher ; comme si, dans son départ précipité, il avait oublié quelque chose d’important. Ou quelqu’un.
Le soleil perce enfin l’horizon, les premiers rayons de soleil commencent à réchauffer sa peau mate ainsi que la robe brune de sa monture ; le cavalier éteint sa cigarette entre deux doigts, bien qu’elle ne soit fumée qu’à moitié, et la glisse dans la petite poche du pantalon d’équitation : il prend une profonde inspiration et il réalise que la migraine qu’il ne l’avait pas lâché depuis sa sortie de l’hôpital semble enfin disparue. Ça le rassure.
Puis, il penche légèrement le dos vers l’arrière, il lâche un peu ses rênes, il met un tout petit coup de talon dans le flanc du cheval ; ce dernier prend le pas, puis le trot, et enfin le galop ; en quelques secondes, les deux mâles bruns disparaissent dans la forêt dense.
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