Sans mâle et sans tabou CHAPITRE 1 - (1/2)
Récit érotique écrit par Nelie gloria [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur femme.
- • 2 récits publiés.
- • Cote moyenne attribuée par les lecteurs : 0.0 • Cote moyenne attribuée par HDS : 0.0
- • L'ensemble des récits érotiques de Nelie gloria ont reçu un total de 2 049 visites.
Histoire érotique Publiée sur HDS le 03-10-2006 dans la catégorie Entre-nous, les femmes
Cette histoire de sexe a été affichée 1 435 fois depuis sa publication.
Couleur du fond :
Sans mâle et sans tabou CHAPITRE 1 - (1/2)
Synopsis : Chronique à la fois douce-amère, tendre et sulfureuse, sur des femmes qui vont réaliser leur attirance pour d’autres femmes. Confusions et incertitudes pour certaines, vices et turpitudes pour d’autres, leur rencontre avec une communauté lesbienne de la Riviera va définitivement lier leur destin. Chassés-croisés, passions et désirs vont alors entremêler l’existence tumultueuse et foisonnante de femmes en quête d’amour et d’absolu.
MICHELE ET FIONA.
CHAPITRE 1 : partie 1/2
C'est un triste matin dominical, comme Michèle Seigner les déteste. Sombre, maussade, comme son humeur. Debout devant la baie vitrée, elle parcoure le parc du regard. L'aube se lève, impitoyable, donnant de ternes couleurs aux arbres majestueux, pins et eucalyptus, qui projettent leur ombre sur une vaste pelouse habituellement bien entretenue. Elle contemple les arbres bercés par le vent, un fort mistral qui fait également onduler et frissonner tous ses massifs de géraniums, hortensias et fuchsias. Epines et pétales parsèment le sol, donnant à son jardin des allures d'abandon. Elle pourrait profiter de cette journée de repos pour jardiner, se consacrer à ses loisirs, à ses plaisirs, faire comme tout le monde. Mais elle sait que ce ne sera pas un dimanche comme les autres. Pourtant, elle aurait aimé passer quelques minutes dans le jardin, juste derrière la tonnelle, dans son sanctuaire luxuriant et multicolore. Un havre de paix où elle aime se réfugier lorsqu'elle a besoin d'être seule, de réfléchir, trouver un remède à ses soucis ou à ses problèmes. Une façon comme une autre de fermer les yeux, fuir la réalité, rêver d’un monde meilleur où elle ne cesse d’établir et changer les règles selon ses états d’âme. Une solution de facilité qu'elle maîtrise à la perfection depuis tant d'années, et qui n'a jamais rien changé. Mais, aujourd'hui, elle veut que ça change. Elle n'en peut plus, la coupe est pleine, elle se sent au bord de la dépression, prête à basculer dans le vide. Quel nom donner à ce trou béant qui vient de s'emparer de tout son être ? Elle l'ignore, mais elle doit réagir, prendre son courage à deux mains et s'en aller. Pourtant, elle hésite toujours, la valise à ses pieds. Les forces lui manquent. Comment peut-on tourner le dos à huit ans de vie commune ? Comment peut-elle douter ainsi de tout ce qu'elle a construit et se laisser ainsi si facilement submerger par le doute, la culpabilité, la panique, des sentiments si intenses et si complexes qu'elle ne sait plus où elle en est. La réponse n'est plus ici, dans sa maison, leur maison, où la routine va reprendre inexorablement ses droits. Un mouvement derrière elle l'arrache à ses sombres pensées. Son mari vient d'apparaître dans le séjour, s'appuyant contre la porte comme si les forces lui manquaient. Son visage est livide, d'un blanc cireux. Il garde les yeux fixés sur la valise, un long moment. Puis son regard reflète la plus grande incompréhension lorsqu'il la regarde de nouveau, un regard de chien battu, triste et malheureux. Un regard qui supplie et qui veut l'attendrir. Elle ne le supporte pas, s'affole, par peur de céder encore, comme elle le fait depuis tant d'années. Elle se sauve précipitamment, fuyant comme une voleuse de sa propre maison. Elle se retrouve prés de sa voiture sans s'en rendre compte. Elle s'appuie contre la portière, les jambes tremblantes. Puis, brusquement, part d'un fou rire qu'elle est incapable de maîtriser. C'est de la peur, de la tristesse, du soulagement, un mélange de tout ça, trop d'émotions qui la gagnent et la font craquer. Et, surtout, de l'étonnement. Incroyable, elle l'a fait ! Elle a toujours cédé à la facilité, reculé devant l'effort, comme vaincue d'avance par les obstacles à franchir, mais cette fois-ci elle l'a fait ! C'est dans un état second qu'elle enclenche l'ouverture centralisée des portes. Les loquets remontent avec un claquement sec quand elle entend un bruit de pas précipité derrière elle. C'est son mari qui court vers elle, toujours en caleçon et torse nu. Michèle pose vite sa valise dans le coffre avant de gagner la place du chauffeur, met le contact et baisse à regret la vitre de son côté. Il se penche, essoufflé, cherchant ses yeux alors qu'elle cherche au contraire à éviter son regard
- Chérie, je t'en prie, ne t'en va pas.
- On s'est déjà tout dit.
- Mais tu ne peux pas nous abandonner comme ça ! J'ai besoin de toi, les enfants ont besoin de toi !
- Non, par pitié, ne mêle pas les enfants à ça, pas de chantage affectif s'il te plaît ! Je prends le large parce que j'en ai marre de vivre dans ton ombre, j'ai besoin de grandir, d'être libre, de redevenir moi-même. Merde, est-ce que c'est si dur à comprendre !
Le regard de son mari reste fixé sur elle, mais sans la voir, perdu ailleurs. Il ne comprend toujours pas, la regarde comme si elle était une autre femme, si lointaine, si étrangère. Ses mains tremblent alors qu'il lisse d'un geste nerveux ses cheveux trempés par la pluie qui vient de tomber.
- Très bien, fais comme tu le sens…
Puis son visage s'assombrit, prenant une expression dure et implacable alors que ses yeux irradient de colère. Son ton alors résigné devient brusquement agressif :
- Allez, fous le camp, une semaine, quinze jours, mais il n'est pas dit que je tu seras la bienvenue lorsque tu rentreras ! Moi aussi je pourrai avoir mes petites crises existentielles, les enfants aussi pourquoi pas, tu risques de perdre beaucoup plus que tu ne le crois…
- Je sais, mais c'est un risque à prendre…
Sa voix se brise sur cette ultime phrase. Tout est dit. Un peu de douceur et de compassion de la part de son mari aurait pu la faire douter, mais par sa maladresse il venait de lui rappeler combien il pouvait être dur et obtus, sans la moindre compréhension. Elle comprend brusquement à quel point il pouvait la rendre malheureuse, et elle en ressent un formidable sentiment de soulagement, lui confirmant que son choix est le bon. Elle lève les yeux sur lui, osant enfin l'affronter. Il lui jette un dernier regard furibond, puis s'éloigne lentement. La pluie tombe toujours en minuscules coups d'épingle sur le pare-brise alors qu'elle manœuvre pour sortir de la propriété. Il lui faut un terrible effort de volonté pour ne pas regarder derrière elle, dans son rétroviseur, cette splendide demeure qui a vu grandir ses enfants, dans laquelle elle a vécu et partagé tant de choses avec toute sa famille. Maintenant qu'elle y repense, des souvenirs heureux semblent vouloir remonter à la surface, avec déjà de la tendresse et de la nostalgie alors qu'elle n'est même sortie de la propriété. Non, il ne faut pas fléchir. Tout son corps se raidit dans une insensibilité métallique tandis qu'elle passe devant le lourd portail en fer forgé. Ne pas penser, ne pas céder, ne pas regretter, tels sont les mots d'ordre qui s'entrechoquent dans sa tête et auxquels elle doit s'accrocher de toutes ses forces. Des impératifs si désespérés qu'elle s'accroche au volant comme si sa vie en dépendait, ne réalisant même pas qu'elle quitte la ville.
Le temps morne et pluvieux qui s'est abattu sur le département ne semble pas s'améliorer, bien au contraire… Elle conduit prudemment, dans le battement incessant des essuie-glaces et le bruit monotone de la pluie sur le toit. La route serpente dangereusement, mouillée et glissante, avec une visibilité réduite. C'est sans réfléchir qu'elle prend l'autoroute et roule sur la voie de droite, sans ralentir, sans accélérer, d'une vitesse constante, à travers une pluie fine et poudreuse. Les vitres embuées ne révèlent qu'un paysage gris qu'elle ne voit même pas. L'asphalte luisant défile sous les roues de la voiture avec cette même régularité monotone. Elle sursaute brusquement lorsqu'un camion la double dans un concert de Klaxon exaspéré. Sa voiture fait une embardée et elle se retrouve engagée sur une bretelle de sortie sans qu'elle l'ait voulue. Tant pis, elle part de toute façon au hasard, allant là où le destin la mènera. Le camion qui l'a effrayée l'a sortie de sa torpeur, mais elle regrette presque cet état second dans lequel elle s'était cloîtrée. Maintenant, elle est submergée par les souvenirs, les remords, il lui est impossible de faire le vide dans sa tête.
- Mon Dieu, qu'ai-je fait ? murmure t- elle alors que les larmes coulent sans qu'elle puisse les retenir.
La sensation d’oppression revient d’un seul coup, un état d’anéantissement total, comme si le ciel lui tombait sur la tête. Elle laisse derrière elle tout ce qu’elle connaît : son mari, ses enfants, sa maison, ses amis, ses habitudes, pour partir à l’aventure vers une destination inconnue. Des tremblement nerveux commencent à la secouer lorsqu’elle aperçoit à cet instant une femme plantée au bord de la route, pouce levé, qui sautille sur place à son approche. Sur le bas-côté, un break d'un gris terne clignote de tous ses feux de détresse. Michèle hésite une brève seconde, puis se décide à se garer devant la voiture apparemment en panne. Vite, elle essuie du revers de la main les larmes qui ruissellent sur son visage. Cette femme en détresse lui apparaît comme un signe du destin, au moment même où elle allait de nouveau sombrer dans la déprime. Il n'est pas dans ses habitudes de s'arrêter lorsqu'une personne fait du stop, mais il s'agit là d'une femme qui ne représente certainement aucun danger, et surtout tous les moyens lui semblent bons pour se changer les idées et ne plus broyer du noir. La femme se penche par la vitre que Michèle vient d'entrouvrir.
- Ouf, je commençais à désespérer. Merci de vous arrêter.
D'emblée, Michèle a un mouvement de recul. Elle enregistre avec appréhension le profond décolleté avec, sur le sein gauche, un large tatouage représentant un léopard ou une panthère, elle ne sait pas trop... Puis elle s'arrête sur le pierçing accroché au sourcil droit, autre détail qui ne la met pas en confiance, cataloguant d'office l'inconnue comme une marginale, d'un mauvais genre. De plus, elle la trouve laide : un visage anguleux au menton pointu, un nez grand et busqué, une large bouche, des yeux sombres qui brûlent d'une passion secrète, vifs et perçants, avec cette lueur qui a quelque chose de dément, de sauvage. Jusqu'au moment où cette femme sourit, un sourire radieux, resplendissant, qui éclaire son visage et l'irradie toute entière. Cela efface d'un coup sa première impression, et Michèle se traite mentalement de vieux jeu en répondant tardivement.
- C'est rien. Entre femmes, il faut bien s'entraider.
- Pour ça, vous avez bien raison. Il n'y a rien de tel que la solidarité féminine.
- Qu'est-ce qui vous est arrivé exactement ?
- Je ne sais pas. Je roulais tranquillement et, brusquement, de la fumée partout, et la voiture qui se la joue cahotante et bringuebalante comme si on avait mis du pinard dans le réservoir. Pour vous dire, elle roulait même plus tout droit ! Vous savez, j'y connais rien en mécanique, c'est aussi complexe et tordu qu'un mec, j'ai pas envie de me prendre la tête à tenter d’y comprendre quelques chose. C’est un putain de combat perdu d’avance…
Michèle la trouve drôle avec son franc-parler et ses façons un peu rustres. Elle se surprend à sourire. L'inconnue, ravie, l'observe avec gaieté en partant d'un grand rire spontané.
- Où est-ce que je vous dépose ? demande Michèle.
- Je ne sais pas, ça dépend… Vous allez où ?
Le visage de Michèle se ferme
- Je ne sais pas.
La femme éclate encore de rire.
- C'est sûr qu'on risque pas d'aller bien loin de cette façon là !"
Michèle se déride, appréciant la situation qui prend maintenant une tournure tragi-comique.
- Bon, fermez toujours votre voiture et prenez ce que vous avez à prendre. Pour la destination, on verra après.
La femme se précipite vers son véhicule immobilisé, refermant dans un claquement sec le capot du moteur ouvert et se penchant ensuite sur le siège arrière. Elle y ressort avec un sac de sport. Michèle, de sa fenêtre entrouverte, lui crie :
- Mettez vos affaires dans le coffre.
La femme s'exécute. La portière côté passager s'ouvre aussitôt après, laissant surgir la femme qui s'assoit vivement avec un soupir de soulagement. Elle est trempée jusqu'aux os. Le tee-shirt mouillé qu'elle porte lui colle si étroitement à la peau qu'il en est transparent, dévoilant des seins lourds et épais qui oscillent alors qu'elle se laisse tomber sur le siège. L'animal tatoué semble vivant, s'étirant et se lovant au rythme de ses mouvements. Le short en jean, coupé haut sur ses cuisses, la serre aussi prés du corps. La veste en cuir, noire et usée, est grande ouverte sur ses épaules, complètement imbibée d'eau. Un bandana décoloré enserre de longs cheveux en bataille, accentuant le côté marginal de la femme. Michèle, encore une fois, s'efforce de ne pas se fier aux apparences. De toute façon, à cause de son éducation, elle a toujours eu le défaut d'être trop sévère pour tout ce qui n'entrait pas dans ses critères à elle. Une rigueur déplacée qu'elle se promet de corriger si elle veut un jour se décoincer et croquer la vie à pleines dents. Se sentant observée, la femme lui jette un regard aussi insolent qu'insistant, prenant son temps pour la détailler de haut en bas. Gênée, Michèle détourne les yeux, se concentrant sur la route alors qu'elle redémarre.
- Vous n'avez pas de chance de tomber en panne un dimanche. Aucun garagiste ne sera ouvert.
- Pas grave. Une poubelle pareille, personne ne me la volera, ça peut bien attendre jusqu'à lundi.
Elle joue avec une boucle de ses cheveux noirs, tirant la mèche jusqu'à l'ossature du nez, et se forçant à loucher pour la regarder s'entortiller dés qu'elle la lâche. A la dérobade, Michèle l'observe. Elle est ravie de sa présence, amusée par ses manières décontractées.
- Quel temps de chien ! s'exclame la femme en s'étirant langoureusement, faisant davantage saillir sa poitrine. J'en ai la chair de poule ! Regardez comme mes seins pointent !
Michèle rougit en jetant un bref regard sur les seins agressifs. Puis, comme prise en défaut, détourne vite le regard. Sans complexe, la femme la toise avec un petit sourire amusé, enchaînant aussitôt sur un ton enjoué
- Encore merci de vous être arrêtée. C'est vraiment sympa. Moi, c'est Fiona.
- Michèle Seigner.
- Michèle, c’est un très joli prénom, j'aime beaucoup... Tu viens d'où.
- De Nice.
- Moi, de Grasse. T'es en voyage d'affaires ou en vacances ? J'ai vu ta valise dans le coffre…
Michèle ne répond pas tout de suite. Fiona, surprise, est témoin de son changement. Pourquoi ce froncement de sourcils, cette crispation des lèvres ? C'est comme si une ombre passait sur son visage, une ombre d'une tristesse infinie. Emue, elle s'excuse :
- Pardon, je ne voulais pas être indiscrète.
- Non, ce n'est pas grave.
Son menton se met à trembler, et c'est au prix d'un terrible effort qu'elle réussit à refouler ses larmes. Fiona l'observe maintenant différemment, avec un mélange de compassion et d'étonnement. Michèle s'en rend compte.
- Excusez-moi, ne faites pas attention. Je traverse des moments pénibles, mais cela va passer.
- Pas de problème. Mais tu sais, tu peux te confier à moi. C'est plus facile de parler à une inconnue. Je sais écouter.
- C'est gentil, mais ce sont là des problèmes que je dois régler toute seule, comme une grande fille.
- Comme tu veux, mais je parie que c'est à cause d'un mec. Pas vrai ?
- Exact, et pas n'importe lequel. C'est mon mari.
- Maris, amants, ils se valent tous, aussi nuls les uns que les autres… A croire que nous sommes masochistes, ces crétins là ne sont bons qu'à nous faire souffrir.
- Exact, et c'est la raison pour laquelle j'ai pris le large.
- Oouah ! Tu l'as quitté ?
Michèle garde un instant le silence avant de se décider à répondre :
- Oui, et cela fait longtemps que j'aurais dû le faire.
- Excellent, j'adore ça ! s'exclame Fiona avec un enthousiasme tel que ses longs cheveux indisciplinés s'agitent furieusement. Des cheveux aussi noirs et sombres que ses yeux, avec le même éclat lumineux et irisé dés que la lumière s'y accroche, et ce détail attire le regard de Michèle qui, du coin de l'œil, la contemple beaucoup plus qu'elle ne le devrait. Cette femme, avec ses épaules de nageuse, une silhouette à la fois robuste et voluptueuse, mélange vitalité et sex-appeal pour un résultat spectaculaire. Mais ce qui l'impressionne le plus, c'est cette façon féline et sauvage qu'elle a de bouger, comme un animal indomptable. Une femme qui n'a certainement pas froid aux yeux, directe, qui doit foncer dans le tas et balancer toutes sortes de vérités sans penser aux conséquences. Bref, tout son contraire. Si elle a une ligne à couper le souffle, son visage est beaucoup plus quelconque, sans beauté particulière. Des traits figés, froids, marqués par le poids des épreuves qui ne l'ont sans doute pas épargnées. Puis, à chaque fois qu'elle sourit, le miracle se produit, elle rajeunit de dix ans, rayonne toute entière, avec plus de charme et de charisme que la plus parfaite des mannequins professionnelles. Ce qui est actuellement le cas alors qu'elle est enjouée et curieuse, un intérêt sincère qui ravit Michèle.
- C'est une rupture provisoire ou définitive ?
- Je ne sais pas encore. C'est pour ça que je suis partie, pour prendre du recul, pour faire le point...
Fiona esquisse une moue boudeuse, comme déçue.
- Oh, rien n'est fait alors… Dommage. Tu vois, moi, ça fait longtemps que je ne m'embarrasse plus d'aucun mec, c'est trop de problèmes, et la vie nous en réserve suffisamment comme ça ! Mais toi, t'avais certainement des raisons pour attendre, non ?
- La principale, ce sont les enfants. Mais je crois qu'en fin de compte cela m'allait bien de me trouver cette excuse, un faux prétexte pour camoufler mes faiblesses, ma lâcheté…
Elle parle à voix basse. Son fin visage est creusé par la fatigue et le chagrin. Fiona l'observe sans s'en cacher, avec une infinie douceur.
- Dis, t'es pas tendre avec toi.
- Peut-être, mais c'est la stricte vérité. Jean –Benoît a toujours eu une très forte influence sur moi, il me domine totalement, et je suis encore sous le choc de lui avoir échappé, c'est comme vouloir ne plus être dépendant d'une saloperie de drogue tout en sachant qu'on y retournera de toute façon un jour ou l'autre…Cela me paraît irréel, j'ai du mal à réaliser, j’ai vécu cette scène tant de fois, et je l’ai fait, oui, je l’ai fait, je suis partie…
- T'as bien fait de quitter ce gros nase. Jean- Benoît, mais c'est pompeux comme prénom, c'est bourgeois au possible…
Le sourire amer de Michèle se fait plus ironique.
- Oh ! Mais il l'est terriblement ! Il est issu d'une famille très riche, dernier et légitime rejeton du clan Seigner. Son père règne en despote sur la fortune familiale et les quelques casinos dont il est propriétaire.
- T'as épousé un fils à papa, quoi…
Michèle quitte un instant ses yeux de la route, l'observant avec amusement
- Oui, on peut résumer la situation ainsi. Mais on va bien ensemble. Je suis aussi une fille à papa, une fille gâtée pourrie, je n'ai jamais manqué de rien, mes parents sont également très fortunés.
- Ça, je m'en étais doutée… Et tu as combien d'enfants ?
- Deux. Patrick a six ans, et Marie bientôt deux ans.
- T'es bien jeune pour tout ça.
- Vingt huit ans. J'avoue paniquer assez vite, être maman c'est tant de responsabilités, trop de concessions. Souvent, je ne me sens pas prête pour assumer mon rôle de mère, je m'en sens incapable, pas assez mûre ou forte, je ne sais pas…
- C'est normal que tu te poses des questions. Et ton rôle d'épouse modèle et dévouée, tu l'assumes ?
Michèle, ignorant l'ironie, hoche tristement de la tête en répondant sur un ton monocorde.
- De moins en moins. Avec un autre homme, je crois que j'aurais pu. Mais il est tellement ambitieux et égocentrique qu'il est incapable d'aimer réellement. Mon dieu, comme j'ai pu être aveugle et naïve !
- Attends, je ne comprends pas là ! Comment as-tu pu épouser un mec pareil ?
- Parce que je n'ai rien vue ! C'est un homme charmeur, élégant, extrêmement intelligent et instruit, et c'est ce personnage là qui m'a séduite. Je croyais au début qu'il m'aimait d'un amour sincère. Il me couvait de cadeaux, me sortait dans les plus somptueuses soirées mondaines, m'invitait dans les plus grands restaurants, me complimentait sans cesse. Il avait tout pour m'impressionner, c'est un beau gosse, possédant de surcroît la richesse et le pouvoir, et il savait me rendre belle et importante. Je vivais un rêve de princesse, et je n'ai pas hésité une seconde lorsqu'il m'a demandé en mariage. Mais c'est après qu'il a montré peu à peu son vrai visage.
- C'est à dire ?
- Il est devenu possessif, autoritaire, pour ne pas dire tyrannique… C'est lui qui dirige ma vie, décide de tout, gère le moindre détail et planifie chaque minute de mon emploi du temps. Plus d'argent, plus de liberté, ou si peu lorsque je réussis à l'amadouer, si Monsieur est dans ses bons jours... Mais le pire de tout ça est que j’ai toujours servi en vérité de…
Elle cherche ses mots, un instant trop émue pour s'exprimer de façon claire et précise. Elle finit par poursuivre :
- Faire-valoir, c'est ça, son faire-valoir… Ma beauté et mon éducation ont toujours servis ses ambitions, j'étais utile, la potiche de luxe qu'on expose partout dans les soirées importantes, parce que cela fait bien de se montrer aux bras d'une femme qui en jette. Il aime montrer sa réussite personnelle, sa jolie épouse docile, ses beaux enfants bien éduqués, sa splendide villa, ses voitures de sport, pour accéder ainsi plus facilement à la réussite professionnelle. Un homme célibataire n'a aucune chance d'atteindre les plus hautes sphères de la politique, alors il m'emmène partout, me présente aux membres influents de son parti, me traîne dans les repas les plus barbants qui soient… Et moi, idiote que je suis, je me laisse faire, allant là où il me dit d'aller, comme un bon toutou bien obéissant…
Tandis qu'elle parle, elle réalise qu'elle omet de préciser que cette vie mondaine lui avait plue, au départ… Elle aimait sortir, recevoir du beau monde, trouvait très agréable et flatteur de jouer les hôtesses et fréquenter les notables de la ville. Elle avait toujours apprécié le luxe et les belles toilettes, et savait que cela lui allait admirablement bien, l'auréolant d'une classe folle que beaucoup de femmes lui enviaient. Il lui paraissait inconcevable de vivre sans argent, c'était inimaginable de s'en priver, une pensée qui à elle seule l'horrifiait. Mais il n'y' avait pas que cela dans la vie, avec les années elle s'en rendait compte… Elle avait besoin de tendresse aussi, d'amour, mais son mari était avare de compliments, de gestes affectueux ou romantiques… De toute façon, il avait pris l'habitude de ne plus la voir. Avec lui, elle était transparente, faisait partie des meubles. A ses yeux, elle était une épouse soumise qui savait se tenir dans le monde, qui entrait dans son moule à lui, sachant tenir la maison, sachant le servir lui et ses invités, et s'occupant correctement des enfants. Jamais il ne lui demandait son avis, jamais il ne lui parlait de son travail, jamais il ne s'inquiétait de ce qu'elle pouvait faire ou ressentir… Des questions, il ne lui en posait aucune, contrairement à cette femme qui s'intéressait réellement à elle, qui l'écoutait, qui voulait tout savoir d'elle.
- Pas si obéissant que ça puisque tu as finis par te faire la belle… souligne Fiona, interrompant ses pensées.
- Il y' a longtemps que j'aurais dû le faire. Et moi qui croyais que le mariage signifiait liberté et indépendance. Mes parents m'ont toujours surprotégés, m'enfermant dans une bulle aseptisée, avec eux j'étais déconnectée de la vérité, dans un monde de luxe et d'existence facile. J'ai quitté une prison dorée pour aller dans une autre bien pire. J'étouffe, j'en peux plus, j'ai besoin d'air…
- Ça y 'est, c'est fait, t'as largué les amarres et t'as bien fait. Mieux vaut tard que jamais...
Michèle tourne la tête dans sa direction et s'enquiert :
- Et vous ? Parlez-moi un peu de votre vie, de vos projets, de tout quoi !
- Oh ! Rien d'extraordinaire... Je vais là où le vent me mène, en me fiant à ma bonne étoile.
Une pointe d'admiration vibre dans la voix de Michèle.
- Quelle chance, être libre comme le vent. Mais vous avez bien un travail ?
- Pour quoi faire ? Me faire exploiter ou sauter par un patron qui, comme tous les hommes, ne pense qu'à ça ? Non - merci…
- Mais comment vous vivez alors ?
- Au jour le jour.
Ses réponses sont sèches. Michèle ignore ses réticences et insiste :
- Et votre enfance ?
- Père mort à l'usine, mère toxicomane, j'ai passé toute ma jeunesse à être trimballée de famille d'accueil en famille d'accueil car personne ne me supportait. D'autres questions ?
C'est dit sur un ton si froid et impersonnel que Michèle en a la chair de poule. Brusquement, ses états d'âme lui paraissent si insignifiants qu'elle a honte d'avoir déballé ses petits problèmes de façon si mélodramatique. Fiona, consciente du malaise dont elle est seule responsable, tente de corriger le tir en reprenant sur un ton plus léger.
- Mais t'en fais pas, il y' a longtemps que j'ai tourné la page. Tu comprendras toutefois pourquoi je n'aime pas trop parler de moi…
- Je comprends.
- Dis, tu te laisses combien de temps pour prendre une décision définitive sur ton couple ?
- Une semaine.
- Et pendant cette semaine, tu vas aller où.
- Comme vous, là où le vent me mènera.
L'atmosphère s'est détendue, Michèle a retrouvé sa volubilité. Fiona esquisse une moue admirative.
- C’est bien. C’est irréfléchi, un vrai coup de tête, mais j’aime bien ça… Je ne peux que féliciter ton courage, Michèle, mais as-tu pensé aux conséquences, à ce que sera ton avenir ?
- Comment cela ?
- Ne le prends pas mal, mais le monde est plein de filles gâtées et choyées qui ne réalisent pas la chance qu’elles ont de vivre dans le luxe, et qui rêvent malgré tout d’une vie meilleure, de liberté, d’indépendance… Mais quand elles partent et affrontent la vraie vie, le monde du travail, toutes les galères et les merdes qui vont avec, elles tombent de haut, et plutôt sur le cul que sur leur deux jambes car la dégringolade est du genre vertigineuse, du genre dont on a du mal à se remettre… En pratique, tout ne se passe pas comme prévu, surtout pour des femmes qui ont pris l’habitude que tout leur tombe tout cuit dans leur belles assiettes en porcelaine.
Michèle acquiesce de la tête. Elle a la gorge serrée. Bien sûr qu’elle a peur de perdre ses illusions, de ne pas pouvoir faire face et renoncer, se posant mille questions aussi inquiétantes les unes que les autres. Fiona se rend compte qu’elle est au bord des larmes et elle pose sur son bras une main douce et compatissante.
- Ecoute, excuse-moi d’être un peu dure, je ne veux pas t’effrayer mais juste t’aider à envisager toutes les possibilités. Comme je viens de te le dire, beaucoup partent mais finissent par revenir parce qu’elles sont incapables de vivre autrement. Ce qui ne veut pas dire que c’est ton cas… D’autres partent et réussissent à aller jusqu’au bout, à tenir le choc, en passant quand même par des moments très pénibles, des remises en question et des étapes difficiles. D’autres, enfin, partent sans un regard en arrière et sans un regret parce qu’elles ont tout calculé, tout planifié, genre je refais ma vie dans d’excellentes conditions parce que j’ai trouvé un meilleur parti qui, en plus d’être riche, a juré de me laisser plus de liberté. L’idéal, quoi… Alors, dans quelle catégorie tu penses te situer dans tout ça ?
Michèle réussit à se détendre en donnant sa réponse avec un humour forcé.
- Je ne sais pas, mais pas dans le dernier exemple en tout cas… Aucun meilleur parti ne m’attend, et si je pars ce n’est pas pour foncer tête baissée dans les bras d’un autre homme qui me promettra monts et merveilles pour mieux me piéger. C’est bon, j’ai déjà donné !
- Super, j’aime t’entendre parler comme ça ! Tiens, en parlant d’argent justement, tu vas vivre comment ? Ton con de mari, si tout est à son nom – ce dont je ne doute pas un instant- est du genre à te couper les vivres, juste pour te prouver qu'il t'es indispensable, que tu ne peux pas vivre sans lui, ce qui est typiquement masculin...
Un sourire satisfait éclaire le visage de Michèle tandis qu'elle s'emballe :
- Je l'avais prévue. J'ai mis suffisamment de liquide de côté pour vivre royalement pendant un bon mois. Fuguer, je veux bien, mais être dans le besoin et la misère, ça il en est hors de question ! Autant faire les choses en grand, au diable l'avarice !
Fiona la toise avec amusement.
- Toi, t'es une petite futée. Le problème d'argent étant résolu, comment tu vas faire pour le sexe ?
- Hein ?
Michèle croit avoir mal entendue.
- Oui, comment tu vas faire pour vivre une semaine sans cul ? Une semaine, c'est l'enfer. Moi, jamais je ne pourrai !
Michèle sent le feu lui monter au visage tandis qu'elle lui jette un regard surpris. Fiona, au contraire, ne semble pas gênée ou embarrassée d'avoir posé une telle question, et c'est avec un naturel désarmant qu'elle remarque :
- Oh ! Excuse-moi, c'est vrai que cela ne devait pas être trop votre problème… Question cul, ça devait pas être marrant tous les jours avec un type pareil ?
A suivre ...
MICHELE ET FIONA.
CHAPITRE 1 : partie 1/2
C'est un triste matin dominical, comme Michèle Seigner les déteste. Sombre, maussade, comme son humeur. Debout devant la baie vitrée, elle parcoure le parc du regard. L'aube se lève, impitoyable, donnant de ternes couleurs aux arbres majestueux, pins et eucalyptus, qui projettent leur ombre sur une vaste pelouse habituellement bien entretenue. Elle contemple les arbres bercés par le vent, un fort mistral qui fait également onduler et frissonner tous ses massifs de géraniums, hortensias et fuchsias. Epines et pétales parsèment le sol, donnant à son jardin des allures d'abandon. Elle pourrait profiter de cette journée de repos pour jardiner, se consacrer à ses loisirs, à ses plaisirs, faire comme tout le monde. Mais elle sait que ce ne sera pas un dimanche comme les autres. Pourtant, elle aurait aimé passer quelques minutes dans le jardin, juste derrière la tonnelle, dans son sanctuaire luxuriant et multicolore. Un havre de paix où elle aime se réfugier lorsqu'elle a besoin d'être seule, de réfléchir, trouver un remède à ses soucis ou à ses problèmes. Une façon comme une autre de fermer les yeux, fuir la réalité, rêver d’un monde meilleur où elle ne cesse d’établir et changer les règles selon ses états d’âme. Une solution de facilité qu'elle maîtrise à la perfection depuis tant d'années, et qui n'a jamais rien changé. Mais, aujourd'hui, elle veut que ça change. Elle n'en peut plus, la coupe est pleine, elle se sent au bord de la dépression, prête à basculer dans le vide. Quel nom donner à ce trou béant qui vient de s'emparer de tout son être ? Elle l'ignore, mais elle doit réagir, prendre son courage à deux mains et s'en aller. Pourtant, elle hésite toujours, la valise à ses pieds. Les forces lui manquent. Comment peut-on tourner le dos à huit ans de vie commune ? Comment peut-elle douter ainsi de tout ce qu'elle a construit et se laisser ainsi si facilement submerger par le doute, la culpabilité, la panique, des sentiments si intenses et si complexes qu'elle ne sait plus où elle en est. La réponse n'est plus ici, dans sa maison, leur maison, où la routine va reprendre inexorablement ses droits. Un mouvement derrière elle l'arrache à ses sombres pensées. Son mari vient d'apparaître dans le séjour, s'appuyant contre la porte comme si les forces lui manquaient. Son visage est livide, d'un blanc cireux. Il garde les yeux fixés sur la valise, un long moment. Puis son regard reflète la plus grande incompréhension lorsqu'il la regarde de nouveau, un regard de chien battu, triste et malheureux. Un regard qui supplie et qui veut l'attendrir. Elle ne le supporte pas, s'affole, par peur de céder encore, comme elle le fait depuis tant d'années. Elle se sauve précipitamment, fuyant comme une voleuse de sa propre maison. Elle se retrouve prés de sa voiture sans s'en rendre compte. Elle s'appuie contre la portière, les jambes tremblantes. Puis, brusquement, part d'un fou rire qu'elle est incapable de maîtriser. C'est de la peur, de la tristesse, du soulagement, un mélange de tout ça, trop d'émotions qui la gagnent et la font craquer. Et, surtout, de l'étonnement. Incroyable, elle l'a fait ! Elle a toujours cédé à la facilité, reculé devant l'effort, comme vaincue d'avance par les obstacles à franchir, mais cette fois-ci elle l'a fait ! C'est dans un état second qu'elle enclenche l'ouverture centralisée des portes. Les loquets remontent avec un claquement sec quand elle entend un bruit de pas précipité derrière elle. C'est son mari qui court vers elle, toujours en caleçon et torse nu. Michèle pose vite sa valise dans le coffre avant de gagner la place du chauffeur, met le contact et baisse à regret la vitre de son côté. Il se penche, essoufflé, cherchant ses yeux alors qu'elle cherche au contraire à éviter son regard
- Chérie, je t'en prie, ne t'en va pas.
- On s'est déjà tout dit.
- Mais tu ne peux pas nous abandonner comme ça ! J'ai besoin de toi, les enfants ont besoin de toi !
- Non, par pitié, ne mêle pas les enfants à ça, pas de chantage affectif s'il te plaît ! Je prends le large parce que j'en ai marre de vivre dans ton ombre, j'ai besoin de grandir, d'être libre, de redevenir moi-même. Merde, est-ce que c'est si dur à comprendre !
Le regard de son mari reste fixé sur elle, mais sans la voir, perdu ailleurs. Il ne comprend toujours pas, la regarde comme si elle était une autre femme, si lointaine, si étrangère. Ses mains tremblent alors qu'il lisse d'un geste nerveux ses cheveux trempés par la pluie qui vient de tomber.
- Très bien, fais comme tu le sens…
Puis son visage s'assombrit, prenant une expression dure et implacable alors que ses yeux irradient de colère. Son ton alors résigné devient brusquement agressif :
- Allez, fous le camp, une semaine, quinze jours, mais il n'est pas dit que je tu seras la bienvenue lorsque tu rentreras ! Moi aussi je pourrai avoir mes petites crises existentielles, les enfants aussi pourquoi pas, tu risques de perdre beaucoup plus que tu ne le crois…
- Je sais, mais c'est un risque à prendre…
Sa voix se brise sur cette ultime phrase. Tout est dit. Un peu de douceur et de compassion de la part de son mari aurait pu la faire douter, mais par sa maladresse il venait de lui rappeler combien il pouvait être dur et obtus, sans la moindre compréhension. Elle comprend brusquement à quel point il pouvait la rendre malheureuse, et elle en ressent un formidable sentiment de soulagement, lui confirmant que son choix est le bon. Elle lève les yeux sur lui, osant enfin l'affronter. Il lui jette un dernier regard furibond, puis s'éloigne lentement. La pluie tombe toujours en minuscules coups d'épingle sur le pare-brise alors qu'elle manœuvre pour sortir de la propriété. Il lui faut un terrible effort de volonté pour ne pas regarder derrière elle, dans son rétroviseur, cette splendide demeure qui a vu grandir ses enfants, dans laquelle elle a vécu et partagé tant de choses avec toute sa famille. Maintenant qu'elle y repense, des souvenirs heureux semblent vouloir remonter à la surface, avec déjà de la tendresse et de la nostalgie alors qu'elle n'est même sortie de la propriété. Non, il ne faut pas fléchir. Tout son corps se raidit dans une insensibilité métallique tandis qu'elle passe devant le lourd portail en fer forgé. Ne pas penser, ne pas céder, ne pas regretter, tels sont les mots d'ordre qui s'entrechoquent dans sa tête et auxquels elle doit s'accrocher de toutes ses forces. Des impératifs si désespérés qu'elle s'accroche au volant comme si sa vie en dépendait, ne réalisant même pas qu'elle quitte la ville.
Le temps morne et pluvieux qui s'est abattu sur le département ne semble pas s'améliorer, bien au contraire… Elle conduit prudemment, dans le battement incessant des essuie-glaces et le bruit monotone de la pluie sur le toit. La route serpente dangereusement, mouillée et glissante, avec une visibilité réduite. C'est sans réfléchir qu'elle prend l'autoroute et roule sur la voie de droite, sans ralentir, sans accélérer, d'une vitesse constante, à travers une pluie fine et poudreuse. Les vitres embuées ne révèlent qu'un paysage gris qu'elle ne voit même pas. L'asphalte luisant défile sous les roues de la voiture avec cette même régularité monotone. Elle sursaute brusquement lorsqu'un camion la double dans un concert de Klaxon exaspéré. Sa voiture fait une embardée et elle se retrouve engagée sur une bretelle de sortie sans qu'elle l'ait voulue. Tant pis, elle part de toute façon au hasard, allant là où le destin la mènera. Le camion qui l'a effrayée l'a sortie de sa torpeur, mais elle regrette presque cet état second dans lequel elle s'était cloîtrée. Maintenant, elle est submergée par les souvenirs, les remords, il lui est impossible de faire le vide dans sa tête.
- Mon Dieu, qu'ai-je fait ? murmure t- elle alors que les larmes coulent sans qu'elle puisse les retenir.
La sensation d’oppression revient d’un seul coup, un état d’anéantissement total, comme si le ciel lui tombait sur la tête. Elle laisse derrière elle tout ce qu’elle connaît : son mari, ses enfants, sa maison, ses amis, ses habitudes, pour partir à l’aventure vers une destination inconnue. Des tremblement nerveux commencent à la secouer lorsqu’elle aperçoit à cet instant une femme plantée au bord de la route, pouce levé, qui sautille sur place à son approche. Sur le bas-côté, un break d'un gris terne clignote de tous ses feux de détresse. Michèle hésite une brève seconde, puis se décide à se garer devant la voiture apparemment en panne. Vite, elle essuie du revers de la main les larmes qui ruissellent sur son visage. Cette femme en détresse lui apparaît comme un signe du destin, au moment même où elle allait de nouveau sombrer dans la déprime. Il n'est pas dans ses habitudes de s'arrêter lorsqu'une personne fait du stop, mais il s'agit là d'une femme qui ne représente certainement aucun danger, et surtout tous les moyens lui semblent bons pour se changer les idées et ne plus broyer du noir. La femme se penche par la vitre que Michèle vient d'entrouvrir.
- Ouf, je commençais à désespérer. Merci de vous arrêter.
D'emblée, Michèle a un mouvement de recul. Elle enregistre avec appréhension le profond décolleté avec, sur le sein gauche, un large tatouage représentant un léopard ou une panthère, elle ne sait pas trop... Puis elle s'arrête sur le pierçing accroché au sourcil droit, autre détail qui ne la met pas en confiance, cataloguant d'office l'inconnue comme une marginale, d'un mauvais genre. De plus, elle la trouve laide : un visage anguleux au menton pointu, un nez grand et busqué, une large bouche, des yeux sombres qui brûlent d'une passion secrète, vifs et perçants, avec cette lueur qui a quelque chose de dément, de sauvage. Jusqu'au moment où cette femme sourit, un sourire radieux, resplendissant, qui éclaire son visage et l'irradie toute entière. Cela efface d'un coup sa première impression, et Michèle se traite mentalement de vieux jeu en répondant tardivement.
- C'est rien. Entre femmes, il faut bien s'entraider.
- Pour ça, vous avez bien raison. Il n'y a rien de tel que la solidarité féminine.
- Qu'est-ce qui vous est arrivé exactement ?
- Je ne sais pas. Je roulais tranquillement et, brusquement, de la fumée partout, et la voiture qui se la joue cahotante et bringuebalante comme si on avait mis du pinard dans le réservoir. Pour vous dire, elle roulait même plus tout droit ! Vous savez, j'y connais rien en mécanique, c'est aussi complexe et tordu qu'un mec, j'ai pas envie de me prendre la tête à tenter d’y comprendre quelques chose. C’est un putain de combat perdu d’avance…
Michèle la trouve drôle avec son franc-parler et ses façons un peu rustres. Elle se surprend à sourire. L'inconnue, ravie, l'observe avec gaieté en partant d'un grand rire spontané.
- Où est-ce que je vous dépose ? demande Michèle.
- Je ne sais pas, ça dépend… Vous allez où ?
Le visage de Michèle se ferme
- Je ne sais pas.
La femme éclate encore de rire.
- C'est sûr qu'on risque pas d'aller bien loin de cette façon là !"
Michèle se déride, appréciant la situation qui prend maintenant une tournure tragi-comique.
- Bon, fermez toujours votre voiture et prenez ce que vous avez à prendre. Pour la destination, on verra après.
La femme se précipite vers son véhicule immobilisé, refermant dans un claquement sec le capot du moteur ouvert et se penchant ensuite sur le siège arrière. Elle y ressort avec un sac de sport. Michèle, de sa fenêtre entrouverte, lui crie :
- Mettez vos affaires dans le coffre.
La femme s'exécute. La portière côté passager s'ouvre aussitôt après, laissant surgir la femme qui s'assoit vivement avec un soupir de soulagement. Elle est trempée jusqu'aux os. Le tee-shirt mouillé qu'elle porte lui colle si étroitement à la peau qu'il en est transparent, dévoilant des seins lourds et épais qui oscillent alors qu'elle se laisse tomber sur le siège. L'animal tatoué semble vivant, s'étirant et se lovant au rythme de ses mouvements. Le short en jean, coupé haut sur ses cuisses, la serre aussi prés du corps. La veste en cuir, noire et usée, est grande ouverte sur ses épaules, complètement imbibée d'eau. Un bandana décoloré enserre de longs cheveux en bataille, accentuant le côté marginal de la femme. Michèle, encore une fois, s'efforce de ne pas se fier aux apparences. De toute façon, à cause de son éducation, elle a toujours eu le défaut d'être trop sévère pour tout ce qui n'entrait pas dans ses critères à elle. Une rigueur déplacée qu'elle se promet de corriger si elle veut un jour se décoincer et croquer la vie à pleines dents. Se sentant observée, la femme lui jette un regard aussi insolent qu'insistant, prenant son temps pour la détailler de haut en bas. Gênée, Michèle détourne les yeux, se concentrant sur la route alors qu'elle redémarre.
- Vous n'avez pas de chance de tomber en panne un dimanche. Aucun garagiste ne sera ouvert.
- Pas grave. Une poubelle pareille, personne ne me la volera, ça peut bien attendre jusqu'à lundi.
Elle joue avec une boucle de ses cheveux noirs, tirant la mèche jusqu'à l'ossature du nez, et se forçant à loucher pour la regarder s'entortiller dés qu'elle la lâche. A la dérobade, Michèle l'observe. Elle est ravie de sa présence, amusée par ses manières décontractées.
- Quel temps de chien ! s'exclame la femme en s'étirant langoureusement, faisant davantage saillir sa poitrine. J'en ai la chair de poule ! Regardez comme mes seins pointent !
Michèle rougit en jetant un bref regard sur les seins agressifs. Puis, comme prise en défaut, détourne vite le regard. Sans complexe, la femme la toise avec un petit sourire amusé, enchaînant aussitôt sur un ton enjoué
- Encore merci de vous être arrêtée. C'est vraiment sympa. Moi, c'est Fiona.
- Michèle Seigner.
- Michèle, c’est un très joli prénom, j'aime beaucoup... Tu viens d'où.
- De Nice.
- Moi, de Grasse. T'es en voyage d'affaires ou en vacances ? J'ai vu ta valise dans le coffre…
Michèle ne répond pas tout de suite. Fiona, surprise, est témoin de son changement. Pourquoi ce froncement de sourcils, cette crispation des lèvres ? C'est comme si une ombre passait sur son visage, une ombre d'une tristesse infinie. Emue, elle s'excuse :
- Pardon, je ne voulais pas être indiscrète.
- Non, ce n'est pas grave.
Son menton se met à trembler, et c'est au prix d'un terrible effort qu'elle réussit à refouler ses larmes. Fiona l'observe maintenant différemment, avec un mélange de compassion et d'étonnement. Michèle s'en rend compte.
- Excusez-moi, ne faites pas attention. Je traverse des moments pénibles, mais cela va passer.
- Pas de problème. Mais tu sais, tu peux te confier à moi. C'est plus facile de parler à une inconnue. Je sais écouter.
- C'est gentil, mais ce sont là des problèmes que je dois régler toute seule, comme une grande fille.
- Comme tu veux, mais je parie que c'est à cause d'un mec. Pas vrai ?
- Exact, et pas n'importe lequel. C'est mon mari.
- Maris, amants, ils se valent tous, aussi nuls les uns que les autres… A croire que nous sommes masochistes, ces crétins là ne sont bons qu'à nous faire souffrir.
- Exact, et c'est la raison pour laquelle j'ai pris le large.
- Oouah ! Tu l'as quitté ?
Michèle garde un instant le silence avant de se décider à répondre :
- Oui, et cela fait longtemps que j'aurais dû le faire.
- Excellent, j'adore ça ! s'exclame Fiona avec un enthousiasme tel que ses longs cheveux indisciplinés s'agitent furieusement. Des cheveux aussi noirs et sombres que ses yeux, avec le même éclat lumineux et irisé dés que la lumière s'y accroche, et ce détail attire le regard de Michèle qui, du coin de l'œil, la contemple beaucoup plus qu'elle ne le devrait. Cette femme, avec ses épaules de nageuse, une silhouette à la fois robuste et voluptueuse, mélange vitalité et sex-appeal pour un résultat spectaculaire. Mais ce qui l'impressionne le plus, c'est cette façon féline et sauvage qu'elle a de bouger, comme un animal indomptable. Une femme qui n'a certainement pas froid aux yeux, directe, qui doit foncer dans le tas et balancer toutes sortes de vérités sans penser aux conséquences. Bref, tout son contraire. Si elle a une ligne à couper le souffle, son visage est beaucoup plus quelconque, sans beauté particulière. Des traits figés, froids, marqués par le poids des épreuves qui ne l'ont sans doute pas épargnées. Puis, à chaque fois qu'elle sourit, le miracle se produit, elle rajeunit de dix ans, rayonne toute entière, avec plus de charme et de charisme que la plus parfaite des mannequins professionnelles. Ce qui est actuellement le cas alors qu'elle est enjouée et curieuse, un intérêt sincère qui ravit Michèle.
- C'est une rupture provisoire ou définitive ?
- Je ne sais pas encore. C'est pour ça que je suis partie, pour prendre du recul, pour faire le point...
Fiona esquisse une moue boudeuse, comme déçue.
- Oh, rien n'est fait alors… Dommage. Tu vois, moi, ça fait longtemps que je ne m'embarrasse plus d'aucun mec, c'est trop de problèmes, et la vie nous en réserve suffisamment comme ça ! Mais toi, t'avais certainement des raisons pour attendre, non ?
- La principale, ce sont les enfants. Mais je crois qu'en fin de compte cela m'allait bien de me trouver cette excuse, un faux prétexte pour camoufler mes faiblesses, ma lâcheté…
Elle parle à voix basse. Son fin visage est creusé par la fatigue et le chagrin. Fiona l'observe sans s'en cacher, avec une infinie douceur.
- Dis, t'es pas tendre avec toi.
- Peut-être, mais c'est la stricte vérité. Jean –Benoît a toujours eu une très forte influence sur moi, il me domine totalement, et je suis encore sous le choc de lui avoir échappé, c'est comme vouloir ne plus être dépendant d'une saloperie de drogue tout en sachant qu'on y retournera de toute façon un jour ou l'autre…Cela me paraît irréel, j'ai du mal à réaliser, j’ai vécu cette scène tant de fois, et je l’ai fait, oui, je l’ai fait, je suis partie…
- T'as bien fait de quitter ce gros nase. Jean- Benoît, mais c'est pompeux comme prénom, c'est bourgeois au possible…
Le sourire amer de Michèle se fait plus ironique.
- Oh ! Mais il l'est terriblement ! Il est issu d'une famille très riche, dernier et légitime rejeton du clan Seigner. Son père règne en despote sur la fortune familiale et les quelques casinos dont il est propriétaire.
- T'as épousé un fils à papa, quoi…
Michèle quitte un instant ses yeux de la route, l'observant avec amusement
- Oui, on peut résumer la situation ainsi. Mais on va bien ensemble. Je suis aussi une fille à papa, une fille gâtée pourrie, je n'ai jamais manqué de rien, mes parents sont également très fortunés.
- Ça, je m'en étais doutée… Et tu as combien d'enfants ?
- Deux. Patrick a six ans, et Marie bientôt deux ans.
- T'es bien jeune pour tout ça.
- Vingt huit ans. J'avoue paniquer assez vite, être maman c'est tant de responsabilités, trop de concessions. Souvent, je ne me sens pas prête pour assumer mon rôle de mère, je m'en sens incapable, pas assez mûre ou forte, je ne sais pas…
- C'est normal que tu te poses des questions. Et ton rôle d'épouse modèle et dévouée, tu l'assumes ?
Michèle, ignorant l'ironie, hoche tristement de la tête en répondant sur un ton monocorde.
- De moins en moins. Avec un autre homme, je crois que j'aurais pu. Mais il est tellement ambitieux et égocentrique qu'il est incapable d'aimer réellement. Mon dieu, comme j'ai pu être aveugle et naïve !
- Attends, je ne comprends pas là ! Comment as-tu pu épouser un mec pareil ?
- Parce que je n'ai rien vue ! C'est un homme charmeur, élégant, extrêmement intelligent et instruit, et c'est ce personnage là qui m'a séduite. Je croyais au début qu'il m'aimait d'un amour sincère. Il me couvait de cadeaux, me sortait dans les plus somptueuses soirées mondaines, m'invitait dans les plus grands restaurants, me complimentait sans cesse. Il avait tout pour m'impressionner, c'est un beau gosse, possédant de surcroît la richesse et le pouvoir, et il savait me rendre belle et importante. Je vivais un rêve de princesse, et je n'ai pas hésité une seconde lorsqu'il m'a demandé en mariage. Mais c'est après qu'il a montré peu à peu son vrai visage.
- C'est à dire ?
- Il est devenu possessif, autoritaire, pour ne pas dire tyrannique… C'est lui qui dirige ma vie, décide de tout, gère le moindre détail et planifie chaque minute de mon emploi du temps. Plus d'argent, plus de liberté, ou si peu lorsque je réussis à l'amadouer, si Monsieur est dans ses bons jours... Mais le pire de tout ça est que j’ai toujours servi en vérité de…
Elle cherche ses mots, un instant trop émue pour s'exprimer de façon claire et précise. Elle finit par poursuivre :
- Faire-valoir, c'est ça, son faire-valoir… Ma beauté et mon éducation ont toujours servis ses ambitions, j'étais utile, la potiche de luxe qu'on expose partout dans les soirées importantes, parce que cela fait bien de se montrer aux bras d'une femme qui en jette. Il aime montrer sa réussite personnelle, sa jolie épouse docile, ses beaux enfants bien éduqués, sa splendide villa, ses voitures de sport, pour accéder ainsi plus facilement à la réussite professionnelle. Un homme célibataire n'a aucune chance d'atteindre les plus hautes sphères de la politique, alors il m'emmène partout, me présente aux membres influents de son parti, me traîne dans les repas les plus barbants qui soient… Et moi, idiote que je suis, je me laisse faire, allant là où il me dit d'aller, comme un bon toutou bien obéissant…
Tandis qu'elle parle, elle réalise qu'elle omet de préciser que cette vie mondaine lui avait plue, au départ… Elle aimait sortir, recevoir du beau monde, trouvait très agréable et flatteur de jouer les hôtesses et fréquenter les notables de la ville. Elle avait toujours apprécié le luxe et les belles toilettes, et savait que cela lui allait admirablement bien, l'auréolant d'une classe folle que beaucoup de femmes lui enviaient. Il lui paraissait inconcevable de vivre sans argent, c'était inimaginable de s'en priver, une pensée qui à elle seule l'horrifiait. Mais il n'y' avait pas que cela dans la vie, avec les années elle s'en rendait compte… Elle avait besoin de tendresse aussi, d'amour, mais son mari était avare de compliments, de gestes affectueux ou romantiques… De toute façon, il avait pris l'habitude de ne plus la voir. Avec lui, elle était transparente, faisait partie des meubles. A ses yeux, elle était une épouse soumise qui savait se tenir dans le monde, qui entrait dans son moule à lui, sachant tenir la maison, sachant le servir lui et ses invités, et s'occupant correctement des enfants. Jamais il ne lui demandait son avis, jamais il ne lui parlait de son travail, jamais il ne s'inquiétait de ce qu'elle pouvait faire ou ressentir… Des questions, il ne lui en posait aucune, contrairement à cette femme qui s'intéressait réellement à elle, qui l'écoutait, qui voulait tout savoir d'elle.
- Pas si obéissant que ça puisque tu as finis par te faire la belle… souligne Fiona, interrompant ses pensées.
- Il y' a longtemps que j'aurais dû le faire. Et moi qui croyais que le mariage signifiait liberté et indépendance. Mes parents m'ont toujours surprotégés, m'enfermant dans une bulle aseptisée, avec eux j'étais déconnectée de la vérité, dans un monde de luxe et d'existence facile. J'ai quitté une prison dorée pour aller dans une autre bien pire. J'étouffe, j'en peux plus, j'ai besoin d'air…
- Ça y 'est, c'est fait, t'as largué les amarres et t'as bien fait. Mieux vaut tard que jamais...
Michèle tourne la tête dans sa direction et s'enquiert :
- Et vous ? Parlez-moi un peu de votre vie, de vos projets, de tout quoi !
- Oh ! Rien d'extraordinaire... Je vais là où le vent me mène, en me fiant à ma bonne étoile.
Une pointe d'admiration vibre dans la voix de Michèle.
- Quelle chance, être libre comme le vent. Mais vous avez bien un travail ?
- Pour quoi faire ? Me faire exploiter ou sauter par un patron qui, comme tous les hommes, ne pense qu'à ça ? Non - merci…
- Mais comment vous vivez alors ?
- Au jour le jour.
Ses réponses sont sèches. Michèle ignore ses réticences et insiste :
- Et votre enfance ?
- Père mort à l'usine, mère toxicomane, j'ai passé toute ma jeunesse à être trimballée de famille d'accueil en famille d'accueil car personne ne me supportait. D'autres questions ?
C'est dit sur un ton si froid et impersonnel que Michèle en a la chair de poule. Brusquement, ses états d'âme lui paraissent si insignifiants qu'elle a honte d'avoir déballé ses petits problèmes de façon si mélodramatique. Fiona, consciente du malaise dont elle est seule responsable, tente de corriger le tir en reprenant sur un ton plus léger.
- Mais t'en fais pas, il y' a longtemps que j'ai tourné la page. Tu comprendras toutefois pourquoi je n'aime pas trop parler de moi…
- Je comprends.
- Dis, tu te laisses combien de temps pour prendre une décision définitive sur ton couple ?
- Une semaine.
- Et pendant cette semaine, tu vas aller où.
- Comme vous, là où le vent me mènera.
L'atmosphère s'est détendue, Michèle a retrouvé sa volubilité. Fiona esquisse une moue admirative.
- C’est bien. C’est irréfléchi, un vrai coup de tête, mais j’aime bien ça… Je ne peux que féliciter ton courage, Michèle, mais as-tu pensé aux conséquences, à ce que sera ton avenir ?
- Comment cela ?
- Ne le prends pas mal, mais le monde est plein de filles gâtées et choyées qui ne réalisent pas la chance qu’elles ont de vivre dans le luxe, et qui rêvent malgré tout d’une vie meilleure, de liberté, d’indépendance… Mais quand elles partent et affrontent la vraie vie, le monde du travail, toutes les galères et les merdes qui vont avec, elles tombent de haut, et plutôt sur le cul que sur leur deux jambes car la dégringolade est du genre vertigineuse, du genre dont on a du mal à se remettre… En pratique, tout ne se passe pas comme prévu, surtout pour des femmes qui ont pris l’habitude que tout leur tombe tout cuit dans leur belles assiettes en porcelaine.
Michèle acquiesce de la tête. Elle a la gorge serrée. Bien sûr qu’elle a peur de perdre ses illusions, de ne pas pouvoir faire face et renoncer, se posant mille questions aussi inquiétantes les unes que les autres. Fiona se rend compte qu’elle est au bord des larmes et elle pose sur son bras une main douce et compatissante.
- Ecoute, excuse-moi d’être un peu dure, je ne veux pas t’effrayer mais juste t’aider à envisager toutes les possibilités. Comme je viens de te le dire, beaucoup partent mais finissent par revenir parce qu’elles sont incapables de vivre autrement. Ce qui ne veut pas dire que c’est ton cas… D’autres partent et réussissent à aller jusqu’au bout, à tenir le choc, en passant quand même par des moments très pénibles, des remises en question et des étapes difficiles. D’autres, enfin, partent sans un regard en arrière et sans un regret parce qu’elles ont tout calculé, tout planifié, genre je refais ma vie dans d’excellentes conditions parce que j’ai trouvé un meilleur parti qui, en plus d’être riche, a juré de me laisser plus de liberté. L’idéal, quoi… Alors, dans quelle catégorie tu penses te situer dans tout ça ?
Michèle réussit à se détendre en donnant sa réponse avec un humour forcé.
- Je ne sais pas, mais pas dans le dernier exemple en tout cas… Aucun meilleur parti ne m’attend, et si je pars ce n’est pas pour foncer tête baissée dans les bras d’un autre homme qui me promettra monts et merveilles pour mieux me piéger. C’est bon, j’ai déjà donné !
- Super, j’aime t’entendre parler comme ça ! Tiens, en parlant d’argent justement, tu vas vivre comment ? Ton con de mari, si tout est à son nom – ce dont je ne doute pas un instant- est du genre à te couper les vivres, juste pour te prouver qu'il t'es indispensable, que tu ne peux pas vivre sans lui, ce qui est typiquement masculin...
Un sourire satisfait éclaire le visage de Michèle tandis qu'elle s'emballe :
- Je l'avais prévue. J'ai mis suffisamment de liquide de côté pour vivre royalement pendant un bon mois. Fuguer, je veux bien, mais être dans le besoin et la misère, ça il en est hors de question ! Autant faire les choses en grand, au diable l'avarice !
Fiona la toise avec amusement.
- Toi, t'es une petite futée. Le problème d'argent étant résolu, comment tu vas faire pour le sexe ?
- Hein ?
Michèle croit avoir mal entendue.
- Oui, comment tu vas faire pour vivre une semaine sans cul ? Une semaine, c'est l'enfer. Moi, jamais je ne pourrai !
Michèle sent le feu lui monter au visage tandis qu'elle lui jette un regard surpris. Fiona, au contraire, ne semble pas gênée ou embarrassée d'avoir posé une telle question, et c'est avec un naturel désarmant qu'elle remarque :
- Oh ! Excuse-moi, c'est vrai que cela ne devait pas être trop votre problème… Question cul, ça devait pas être marrant tous les jours avec un type pareil ?
A suivre ...
→ Qu'avez-vous pensé de cette histoire ??? Donnez votre avis...
→ Autres histoires érotiques publiées par Nelie gloria
0 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Soyez le premier à donner votre avis après lecture sur cette histoire érotique...