Une rose rouge
Récit érotique écrit par PP06 [→ Accès à sa fiche auteur]
Auteur homme.
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Histoire érotique Publiée sur HDS le 20-03-2022 dans la catégorie Entre-nous, hommes et femmes
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Une rose rouge
- Excusez-nous monsieur, il y a un petit problème. L’avion est surbooké. Nous sommes dans l’obligation de reporter votre place sur un vol de demain.
- Je comprends, mais je dois être à Rome avant midi, y a-t-il un vol assez tôt ?
- Attendez, je regarde … oui celui de 6h 50, il arrive à Rome à 9 heures. Cela vous convient-il ?
- D’accord, c’est parfait.
- Bien monsieur… Voici un voucher. La compagnie prend en charge votre nuit d’hôtel, votre dîner et un bon pour une consommation au bar. Également vous recevrez une compensation financière, c’est légal.
- Merci, je n’en demandais pas tant.
- Ah ! si tous les clients étaient aussi compréhensifs que vous. Au revoir monsieur.
- Au revoir mademoiselle.
Ce retard, une aubaine, même si j’arrive un peu en retard quelle importance. Il me paie et je vais passer la nuit avec ma petite femme. Depuis trois ans que nous sommes mariés, c’est la première fois que je la laisse seule aussi longtemps.
Je saute dans le premier taxi. Avec Amandine, c’est toujours la lune de miel, une nuit avec elle vaut bien de se lever plus tôt demain matin.
Heureux de lui faire la surprise, j’ouvre doucement notre porte pensant la voir affalée sur le canapé face à un téléfilm. Peut-être se sera-t-elle endormie, la télécommande à la main. Comme le prince charmant, je vais la réveiller d’un baiser.
J’entre sans faire de bruit. Elle est bien affalée sur le canapé du salon, mais elle ne dort pas. Elle n’est pas seule non plus. Horrifié, je la découvre nue dans les bras d’un homme que je ne connais pas, nu également.
Dans les bras l’un de l’autre, ils reprennent leur souffle en se faisant des petits baisers. Il est facile de comprendre qu’ils viennent de jouir ensemble. Je n’en crois pas mes yeux, mon amour, pourquoi ?
Amandine est blottie dans ses bras, la tête dans le creux de son épaule. Il lui caresse tendrement les seins du bout des doigts. Je reste paralysé en les entendant :
- Amandine, belle Amandine, dit-il en jouant avec ses tétons.
- …
- Je t’aime… J’aime tes yeux, ton corps, tu es tout pour moi. Je pense à toi tous les jours.
- …
- Tu sais que j’aimerais vivre avec toi, ajoute-t-il d’une voix langoureuse.
- Arrête de dire des bêtises. Tu as ta femme, moi mon mari.
- Un mot de toi, je la quitte sans aucun regret.
- Jamais… J’aime Arnaud, je ne veux pas le perdre.
- Pourtant l’autre jour.
- L’autre jour, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Nous n’aurions pas dû. Maintenant c’est fait, profitons de ce moment, sans se poser de question.
- Mais je t’aime.
- Pense à ta femme.
- Il n’y a plus rien entre nous.
- Tous les amants disent ça.
- C’est pourtant la vérité. Je ne la touche plus, nous faisons chambre à part.
- La pauvre, je ne voudrais pas être à sa place.
- Mais tu as pris sa place dans mon cœur… Mon amour, j’ai envie de toi tous les jours, je ne veux plus te partager, je suis jaloux de ton mari.
- Tu es jaloux, c’est le monde à l’envers. Tu n’as pas le droit. J’aime mon mari, je ne veux pas le quitter, jamais. J’ai honte de le tromper.
- Mais alors ?
- Ce soir je suis avec toi, ne m’en demande pas plus.
- Tu m‘obsèdes. Si tu veux je lui parlerais.
- Non, ne fais pas ça. Je ne veux pas qu’il sache, il ne mérite pas de souffrir. Comprends-moi, tu m’aimes, mais je ne partage pas tes sentiments. J’ai toujours été claire, notre petite aventure ne peut pas durer. Je veux fonder une famille avec Arnaud, vieillir avec lui.
- Petite aventure ? Tu es dure. Je ne peux pas t’imaginer avec lui, t’imaginer dans ses bras.
- Arrête, nous en avons déjà assez parlé.
- Tu le sais, je t’ai toujours aimé, j’ai cru mourir quand tu t’es mariée avec lui.
- Je t’aime bien … Mais Arnaud je l’aime, c’est tout.
- Mais…
- Ne complique pas les choses. Ne gâche pas cette soirée… Allez, souris, viens m’embrasser.
Il l’embrasse, la caresse, elle le sent bander contre elle.
- Viens !
- Tu es insatiable, viens plutôt manger quelque chose, nous avons toute la nuit. Lui dit-elle en riant.
En partant Amandine m’avait dit « Au revoir mon amour, trois jours c’est vite passé ». Je prends conscience qu’il y aura aussi trois nuits, avec cet autre.
---oOo---
Les mots d’Amandine lui vont droit au cœur, mais Arnaud a peur. S’il intervient maintenant, ne risque-t-il pas de la perdre à tout jamais. S’il lui laisse le choix, qui choisira-t-elle ?
Il s’en va sans faire de bruit. Par amour il est prêt à tout accepter, même à la partager.
Quelques minutes plus tard, il se retrouve dans la chambre mis à sa disposition par Air France. Il n’a pas le courage d’aller manger seul. Milles pensées contradictoires se bousculent dans sa tête. A-t-il bien vu ? A-t-il bien entendu ? Qui est-il ? Depuis combien de temps se voient-ils ? C’est un cauchemar qu’il vit tout éveillé.
A Paris ou à Rome, les hôtels se ressemblent, les chambres sont toutes les mêmes. Arnaud appelle Amandine sur son téléphone, elle ne s’aperçoit de rien.
- Bonsoir ma chérie, dit-il en essayant de rester naturel.
- Bonsoir mon amour. J’attendais ton appel, tu as fait bon voyage.
- Sans problème. Un peu secoué au-dessus des alpes, mais tout va bien.
- Tu ne te sens pas trop seul ? Tu me manques déjà.
- Tu me manques aussi. Je vois que tu es prête à aller te coucher, tu as mis ta belle nuisette.
- C’est pour toi mon amour, dit-elle en s’éloignant un peu de son écran pour lui permettre de voir sa poitrine en transparence.
- Tu es belle.
- Bonne nuit mon chéri.
Arnaud serre les poings de rage, quelle perfidie ! Son amant doit être dans la pièce, il doit la voir comme Arnaud la voit. Cette nuisette est pour lui, le « bonne nuit » est pour lui, « mon chéri » aussi.
Arnaud est abattu, il n’aurait jamais pu imaginer que sa femme… même si elle a juré l’aimer, c’est avec cet inconnu qu’elle va passer la nuit.
---oOo---
Trois jours après quand Arnaud rentre de Rome, il a la surprise de voir sa femme à l’aéroport. Elle est venue le chercher. Elle l’accueille avec un large sourire, en se jetant à son cou :
- Je n’ai pas pu attendre. Bonjour mon chéri, tu as fait bon voyage.
- C’est gentil d’être venue.
- Trois jours sans toi c’est trop long, dis-moi que tu ne repartiras plus si longtemps.
Arnaud ne sait plus quoi penser. A-t-elle des remords ? Se sent-elle coupable ? Veut-elle se faire pardonner ?
Dans la voiture qui les ramène chez eux, elle lui pose mille questions sur son voyage, son travail. Quand il lui demande ce qu’elle a fait, elle répond simplement qu’elle s’est ennuyée sans lui. Elle a fait du ménage, des courses. Elle l’a attendu comme une parfaite petite épouse.
La table est mise, un bouquet de fleurs, un repas fin commandé chez le traiteur. Tandis qu’Arnaud prépare l‘apéritif, elle va se changer et revient avec la nuisette vue il y a trois jours :
- Alors, elle te plaît mieux en vrai ?
Il ne sait que répondre, comment ose-t-elle ? Il décide de faire comme s’il ne savait rien. Le repas attendra, il la prend dans les bras et la porte dans leur chambre comme une jeune mariée. Sa nuisette vole sur le tapis, Amandine le déshabille en un tour de main.
Allongé sur leur lit, Arnaud se demande si l’autre a dormi dans leur lit, s’ils ont fait l’amour ici, ou dans la chambre d’amis. Il faudra qu’il aille voir, mais pas maintenant. Amandine dépose des baisers sur ses lèvres, sur son corps, descend le long de son ventre et entame une fellation comme elle en a l’habitude. Comme elle aime. Comme il aime. Comme l’autre a dû aimer.
Arnaud la prend avec fougue, peut-être plus violemment que d’habitude. Un cri, elle jouit entre ses bras. L’autre la faisait-elle autant jouir ? Plus ? Est-elle en train de comparer ?
Arnaud veut oublier, oublier ce qu’il a vu, oublier ces trois jours. Amandine est avec lui, il a tellement eu peur de la perdre.
L’amour ça creuse, il est temps d’honorer le traiteur. Dans son assiette une enveloppe, la publicité d’un hôtel sur la côte basque, ils y ont d’agréables souvenirs :
- Mais…
- Tu me dois trois jours d’amour, tu m’avais abandonné, dit-elle en se lovant contre lui.
Ce weekend improvisé est une seconde lune de miel. Se sent-elle coupable ou veut-elle donner le change ?
La vie reprend son cours. Amandine revoit-elle cet inconnu ? Arnaud guette le moindre signe de sa tromperie. Aucun changement dans ses habitudes, elle ne rentre pas plus tard le soir. Il espionne son téléphone, pas de SMS à double sens, son ordinateur, aucun message suspect dans sa boite mail. Pas de migraines pour échapper à ses étreintes, bien au contraire, son désir pour lui est toujours le même.
Arnaud se prend à espérer. Il n’est peut-être resté qu’une seule nuit ? Une nuit d’adieu ? Il a envie de croire que c’est fini, mais pourquoi aujourd’hui s’est-elle renseignée sur son prochain déplacement ?
Il veut en avoir le cœur net. Il invente un voyage de deux jours, pour la surveiller, la surprendre une nouvelle fois.
Après les effusions d’usage en quittant son domicile, il ne va pas très loin. Demi-tour, et la peur au ventre, il revient faire le guet à côté de chez lui, sa voiture cachée dans un parking d’où il a une vue parfaite sur l’entrée de son immeuble. La dernière fois, son amant était chez eux deux heures après son départ, va-t-il le voir arriver ?
Amandine sort faire des courses. Une heure après, elle revient seule les bras chargés, et part à son travail. Même planque devant son bureau, rien… A moins de baiser dans les toilettes avec un collègue, ce qu’Arnaud n’imagine même pas. Le soir, retour au domicile conjugal, pas de voitures inconnues, ni de visites nocturnes. Cette fois, il l’appelle au téléphone. Elle s’apprête à passer une soirée bien tranquille, elle lui redit son amour, sa tristesse d’être seule. Il se sent bête de surveiller sa femme, sa propre maison, pourtant il passe la nuit dans sa voiture, attentif au moindre mouvement. Rien ne bouge.
Le lendemain, il doit se rendre à l’évidence, il n’est pas venu. C’est à n’y rien comprendre. Il poursuit sa surveillance inutile toute la journée, et ne rentre que le soir. Amandine l’accueille à bras ouverts, toujours aussi contente de le retrouver.
La joie au cœur, il lui fait l’amour avec tendresse, répondant à son désir.
---oOo---
Toujours pas très rassuré, Arnaud limite ses déplacements. Il constate qu’Amandine n’a matériellement pas le temps de rencontrer un autre homme, ça le rassure. Et toutes les nuits, en s’endormant dans les bras l’un de l’autre, il essaie d’oublier, de se persuader qu’il a rêvé.
Dans la matinée, alors qu’il travaille sur un dossier important avec ses collaborateurs, son téléphone sonne, Arnaud n’a pas le temps de décrocher, la sonnerie s’arrête au bout de trois bips. Un coup d’œil, c’est Amandine qui cherche à le joindre, il se promet de la rappeler.
Deux heures après, nouveau coup de fil, c’est le commissariat de police. Amandine a eu un accident. Arnaud fonce à l’hôpital, il a juste le temps de la prendre dans ses bras, elle murmure « pardon » avant de rendre son dernier soupir. Il l’embrasse, les yeux pleins de larmes.
Le procès-verbal de police mentionne qu’elle était seule dans sa voiture. Elle roulait un peu vite, et avait son téléphone à la main. La voiture a dérapé dans un virage. Arnaud repense à son appel. Seul témoin, le fermier dans son champ qui est accouru et a alerté les gendarmes en voyant la voiture se renverser. Un accident de route comme il y en a tant.
---oOo---
Entouré de sa famille, de ses amis, des collègues d’Amandine, Arnaud suit le cercueil qui va être descendu dans le caveau familial. Tout à coup, il reconnaît l’amant de sa femme, il ne l’a vu qu’une fois, mais son visage est gravé dans sa mémoire. Une jeune femme l’accompagne.
La cérémonie terminée, la longue file des personnes présentes vient dire un mot de soutien à la famille, à Arnaud et aux parents d’Amandine.
Son amant s’approche, il se présente. Arnaud ne comprend pas son nom, ni qui il est, peut-être un ami ou un collègue de bureau. L’homme lui présente sa femme « Christine, mon épouse ». Après lui avoir serré la main et présenté ses condoléances de façon très protocolaire, il s’éloigne sous le regard intrigué d’Arnaud.
Dernier à venir lui parler, le patron d’Amandine s’approche d’Arnaud :
- Une grande perte pour nous tous… Je m’en veux, c’est moi qui lui ai demandé d’aller voir ce client en urgence. Elle a de suite accepté. Comme elle devait passer une nuit sur place, elle a voulu vous prévenir. Je lui ai proposé de le faire, mais vous la connaissez, elle m’a simplement dit « Pas de problème, je lui passerais un petit coup de fil en route ». J’aurais dû insister.
- Elle a essayé de me joindre… Un accident banal, personne n’aurait pu imaginer.
C’était ça son appel, pour le prévenir. Arnaud regrette de ne pas avoir décroché, il n’a pas pu entendre sa voix une dernière fois.
La tombe est couverte de fleurs, des bouquets, des couronnes. Arnaud a fait poser une petite plaque avec la simple inscription « à ma tendre épouse ».
---oOo---
Seul chez lui, Arnaud traîne sa douleur. Il passe tous les jours au cimetière, il pleure son amour perdu. Il parle à Amandine, lui raconte sa journée, lui dit qu’elle lui manque, qu’il lui pardonne, qu’il espère qu’elle a été heureuse avec cet autre. Il ne lui en veut plus.
Au fil des jours, les fleurs ont fané, les couronnes sont enlevées les unes après les autres par les employés du cimetière.
Seule reste une rose rouge, une simple rose posée au milieu de la pierre tombale. Étonnamment, cette fleur est encore fraîche, personne n’y a touché.
Le lendemain, Arnaud découvre une seconde rose, posée à côté de la première. Certainement un membre de la famille ? Le troisième jour, une troisième rose rouge. Intrigué, il décide d’arriver plus tôt pour surprendre celui qui continue de fleurir la tombe de sa femme.
C’est ainsi qu’il voit avec colère l’amant de sa femme déposer une nouvelle rose rouge sur la tombe, à côté des autres. Il ne peut le supporter, le symbole de cette rose est évident. Se peut-il que son amant l’aimait vraiment ? Pouvait-il l’aimer plus que lui ? Et Amandine, avait-elle des sentiments pour lui, malgré ce qu’il avait entendu ?
Une fois seul, Arnaud fonce vers la tombe et jette avec rage les fleurs à la poubelle.
Les jours suivants, il trouve tous les matins une nouvelle rose rouge qui finit comme les autres à la poubelle.
---oOo---
Quelques semaines plus tard, alors qu’il fait ses courses dans la grande surface de son quartier, Arnaud entend quelqu’un qui l’appelle :
- Bonjour, … Oh ! excusez-moi de vous aborder ainsi. Vous ne me reconnaissez pas ?
- Je ne vois pas. Vous me gênez, je suis désolé.
- Pardonnez-moi de vous aborder de la sorte, c’est cavalier. Je suis la femme de Benjamin, Benjamin Duval, nous nous sommes rencontrés à l’enterrement de votre épouse.
- Ah oui ça y est… Christine.
- Vous vous souvenez ?
- Oui bien sûr, vous habitez le quartier ?
Voulant en apprendre un peu plus sur son mari, Arnaud fait durer la conversation. De fil en aiguille, il invite Christine à prendre un verre à la cafétéria du centre. Chacun poussant son chariot, c’est à celui qui passera le plus rapidement en caisse. Ils se retrouvent en riant, la glace est rompue.
Ils se parlent, se font quelques confidences. Inconsolable, Arnaud raconte sa femme, un accident ridicule, la vitesse, les dangers du téléphone au volant. Christine est attendrie, elle veut le rassurer, lui redonner courage :
- Vous êtes jeune, vous pouvez encore refaire votre vie.
- C’était l’amour de ma vie.
- Il faudra pourtant tourner la page, un jour.
Il la remercie encore d’être venue à l’enterrement. Malgré son envie, il n’ose pas lui poser de questions sur son mari.
Le hasard fait bien les choses, ils se retrouvent plusieurs fois au centre commercial. Il aime la découvrir au détour d’une allée, la voir venir vers lui avec grâce, la voir sourire. Elle a ses habitudes, il sait quand elle fait ses courses. Il se cale sur le même horaire, la cherche dans les rayons.
Une fois, il a même osé lui dire que sa robe lui allait bien, qu’elle était jolie. De son côté, sans s’en rendre compte, Christine se fait belle pour aller faire ses courses.
Enfin, un jour, Arnaud se lance, il invite Christine à déjeuner. Elle accepte avec un grand sourire.
Au cours du repas, elle aussi se laisse aller aux confidences. Ça ne va pas dans son couple, son mari la délaisse. Arnaud en comprend la raison, mais il reste discret, c’est de l’histoire ancienne.
- Excusez-moi, je ne voudrais pas être indiscret, lui dit-il.
- Non, c’est moi. J’avais besoin de parler… Mon mari doit avoir une maîtresse.
- Mais non, c’est l’usure du couple. Pourquoi chercher plus loin.
- J’aimerais le quitter… La décision est difficile à prendre. Je repousse toujours, espérant qu’il changera, qu’il me reviendra. Il s’est détaché de moi. Petit à petit je me détache de lui. Nous continuons comme ça un peu par lâcheté. Un jour ce sera une évidence, on se quittera, ou lui voudra partir avec sa maîtresse, s’il en a une.
- …
- Si je vous disais.
- Oui ?
- Non, je n’ose pas.
Anxieux, Arnaud a peur d’entendre la vérité.
- Depuis six mois, mon mari a décidé de faire chambre à part. Il ne me touche plus.
- Oh ! Je suis désolé.
De moins en moins fortuites, les rencontres se succèdent au supermarché. Les déjeuners à la cafétéria deviennent une habitude. De confidences en confidences, ils apprécient lui d’évoquer sa femme disparue, elle son mari distant. Très vite, ils se découvrent des passions communes. Un après-midi, ils vont ensemble au musée découvrir la dernière exposition à la mode. Un soir, il hésite à lui proposer d’aller au cinéma, après un petit dîner amical.
- Mon mari ne s’apercevra même pas de mon absence. Lui dit-elle d’une voix lasse.
---oOo---
Les mois ont passé, Arnaud et Christine se voient régulièrement…ils apprécient ces moments d’échange, chacun dans son chagrin.
Le temps apaise les douleurs, mais Arnaud pense souvent à Amandine, à leur bonheur passé. Il l’aime toujours autant, même si parfois il lui arrive de la maudire de l’avoir trompé. Que lui reprochait-elle ? L’aimait-elle vraiment, comme elle le lui disait, comme elle le lui prouvait ? Il aurait dû lui parler, mais il avait tellement peur de la perdre. Maintenant, c’est trop tard, il ne saura jamais. Elle l’a trahi, elle lui a menti, pourquoi ? Il restera toute sa vie avec cette blessure.
Il passe moins souvent au cimetière, il y va de temps en temps par habitude. Il lui dit sa déception, son amour blessé. Aurait-il pu rester ensemble avec ce non-dit ? Il jette systématiquement les roses rouges qui continuent à être déposées, elles lui rappellent trop sa trahison.
Mais ce matin, en allant se recueillir sur sa tombe avant d’aller travailler, il a la surprise de ne trouver aucune fleur sur la pierre nue. Deux jours, trois jours, il faut se rendre à l’évidence, plus de rose rouge, son amant s’est lassé. L’a-t-il déjà oubliée ? Arnaud est presque déçu, c’est ça son grand amour ?
En rentrant chez lui, il trouve dans sa boite aux lettres, un faire-part. Intrigué, il ouvre fébrilement l’enveloppe cerclée de noir.
« Madame Christine Duval
Sa famille et ses amis,
Ont la douleur de vous faire part du décès de
Monsieur Benjamin Duval
…
La cérémonie aura lieu … »
Benjamin Duval, mort ? Que s’est-il passé ? Plus satisfait que peiné, il pense même « Tant mieux pour ce salaud qui baisait ma femme ».
Il n’a pas vu Christine depuis une bonne semaine, il comprend son absence. Par amitié, il décide d’assister à la cérémonie, pour la revoir.
Au cimetière, Arnaud regarde Christine entourée de sa famille, elle semble un peu perdue. Il la trouve très belle toute en noir, le deuil lui va si bien. Il lui sourit, elle lui renvoie son sourire.
L’ambiance du lieu, qui n’a pas pleuré dans un cimetière, Christine ne fait pas exception. Malgré les mois difficiles qu’elle vient de passer avec son mari, c’est son mari tout de même, elle se souvient des jours heureux. Ne rien laisser paraître de ses sentiments, elle pleure plus sur son passé que sur le départ brusque de son mari. Triste, mais soulagée, libérée même.
Alors qu’Arnaud lui présente ses condoléances en lui faisant une bise plus qu’il ne lui fait l’accolade réglementaire, elle murmure d’une petite voix, sans se soucier du mal qu’elle pourrait lui faire :
- Benjamin m’a tout avoué le soir de l’enterrement de votre femme. Il l’aimait plus qu’il ne m’a jamais aimé. Ils se sont retrouvés maintenant.
- Vous saviez ? … Je savais aussi.
Leurs regards se croisent, ils se comprennent unis dans la même trahison.
La famille et les amis sont invités à prendre un verre au domicile des parents du défunt, une grande maison à la sortie de la ville. Arnaud se sent en trop, il préfère rentrer chez lui. Au moment de partir, c’est Christine qui lui demande de rester avec elle.
Tout le monde rejoint son véhicule sans un mot, la tête baissée comme pour ne pas déranger les morts. Il faut se presser des nuages s’amoncellent, un orage menace.
Un verre à la main, chacun discute à voix basse avec son voisin, attendant le bon moment pour prendre congé. Christine raconte à Arnaud sa vie ces derniers jours, lui seul doit savoir, lui seul peut comprendre. Déprimé, son mari ne lui parlait plus.
Ses yeux sont secs. Elle lui montre le rapport de police de l’accident de son mari. Un accident de voiture sur la même route que celui d’Amandine. La route était droite à cet endroit, il faisait beau, il n’y a pas eu de défaillance technique du véhicule. Accident incompréhensible, le rapport de police n’exclut pas que l’accident ait pu être intentionnel. Aucun témoin ne peut confirmer cette hypothèse.
Sans ajouter le moindre commentaire, Arnaud rend le document à Christine, et part s’isoler. Il a la réponse à la question qui le taraude depuis de longs mois, depuis le jour où il les a surpris. Il se souvient de leur discussion, des mots d’Amandine. Il se souvient des confidences de Christine. Résigné, Benjamin a dû accepter de ne plus la revoir. Est-il possible qu’il n’ait pas supporté leur séparation ?
Ne voulant pas jouer la comédie plus longtemps, d’entendre autant de louanges de son mari, Christine prétexte une grande fatigue, bien compréhensible, pour excuser son départ précipité.
Arnaud s’approche d’elle, la prend amicalement par le bras :
- Christine, permettez-moi de vous raccompagner.
- Je comprends, mais je dois être à Rome avant midi, y a-t-il un vol assez tôt ?
- Attendez, je regarde … oui celui de 6h 50, il arrive à Rome à 9 heures. Cela vous convient-il ?
- D’accord, c’est parfait.
- Bien monsieur… Voici un voucher. La compagnie prend en charge votre nuit d’hôtel, votre dîner et un bon pour une consommation au bar. Également vous recevrez une compensation financière, c’est légal.
- Merci, je n’en demandais pas tant.
- Ah ! si tous les clients étaient aussi compréhensifs que vous. Au revoir monsieur.
- Au revoir mademoiselle.
Ce retard, une aubaine, même si j’arrive un peu en retard quelle importance. Il me paie et je vais passer la nuit avec ma petite femme. Depuis trois ans que nous sommes mariés, c’est la première fois que je la laisse seule aussi longtemps.
Je saute dans le premier taxi. Avec Amandine, c’est toujours la lune de miel, une nuit avec elle vaut bien de se lever plus tôt demain matin.
Heureux de lui faire la surprise, j’ouvre doucement notre porte pensant la voir affalée sur le canapé face à un téléfilm. Peut-être se sera-t-elle endormie, la télécommande à la main. Comme le prince charmant, je vais la réveiller d’un baiser.
J’entre sans faire de bruit. Elle est bien affalée sur le canapé du salon, mais elle ne dort pas. Elle n’est pas seule non plus. Horrifié, je la découvre nue dans les bras d’un homme que je ne connais pas, nu également.
Dans les bras l’un de l’autre, ils reprennent leur souffle en se faisant des petits baisers. Il est facile de comprendre qu’ils viennent de jouir ensemble. Je n’en crois pas mes yeux, mon amour, pourquoi ?
Amandine est blottie dans ses bras, la tête dans le creux de son épaule. Il lui caresse tendrement les seins du bout des doigts. Je reste paralysé en les entendant :
- Amandine, belle Amandine, dit-il en jouant avec ses tétons.
- …
- Je t’aime… J’aime tes yeux, ton corps, tu es tout pour moi. Je pense à toi tous les jours.
- …
- Tu sais que j’aimerais vivre avec toi, ajoute-t-il d’une voix langoureuse.
- Arrête de dire des bêtises. Tu as ta femme, moi mon mari.
- Un mot de toi, je la quitte sans aucun regret.
- Jamais… J’aime Arnaud, je ne veux pas le perdre.
- Pourtant l’autre jour.
- L’autre jour, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Nous n’aurions pas dû. Maintenant c’est fait, profitons de ce moment, sans se poser de question.
- Mais je t’aime.
- Pense à ta femme.
- Il n’y a plus rien entre nous.
- Tous les amants disent ça.
- C’est pourtant la vérité. Je ne la touche plus, nous faisons chambre à part.
- La pauvre, je ne voudrais pas être à sa place.
- Mais tu as pris sa place dans mon cœur… Mon amour, j’ai envie de toi tous les jours, je ne veux plus te partager, je suis jaloux de ton mari.
- Tu es jaloux, c’est le monde à l’envers. Tu n’as pas le droit. J’aime mon mari, je ne veux pas le quitter, jamais. J’ai honte de le tromper.
- Mais alors ?
- Ce soir je suis avec toi, ne m’en demande pas plus.
- Tu m‘obsèdes. Si tu veux je lui parlerais.
- Non, ne fais pas ça. Je ne veux pas qu’il sache, il ne mérite pas de souffrir. Comprends-moi, tu m’aimes, mais je ne partage pas tes sentiments. J’ai toujours été claire, notre petite aventure ne peut pas durer. Je veux fonder une famille avec Arnaud, vieillir avec lui.
- Petite aventure ? Tu es dure. Je ne peux pas t’imaginer avec lui, t’imaginer dans ses bras.
- Arrête, nous en avons déjà assez parlé.
- Tu le sais, je t’ai toujours aimé, j’ai cru mourir quand tu t’es mariée avec lui.
- Je t’aime bien … Mais Arnaud je l’aime, c’est tout.
- Mais…
- Ne complique pas les choses. Ne gâche pas cette soirée… Allez, souris, viens m’embrasser.
Il l’embrasse, la caresse, elle le sent bander contre elle.
- Viens !
- Tu es insatiable, viens plutôt manger quelque chose, nous avons toute la nuit. Lui dit-elle en riant.
En partant Amandine m’avait dit « Au revoir mon amour, trois jours c’est vite passé ». Je prends conscience qu’il y aura aussi trois nuits, avec cet autre.
---oOo---
Les mots d’Amandine lui vont droit au cœur, mais Arnaud a peur. S’il intervient maintenant, ne risque-t-il pas de la perdre à tout jamais. S’il lui laisse le choix, qui choisira-t-elle ?
Il s’en va sans faire de bruit. Par amour il est prêt à tout accepter, même à la partager.
Quelques minutes plus tard, il se retrouve dans la chambre mis à sa disposition par Air France. Il n’a pas le courage d’aller manger seul. Milles pensées contradictoires se bousculent dans sa tête. A-t-il bien vu ? A-t-il bien entendu ? Qui est-il ? Depuis combien de temps se voient-ils ? C’est un cauchemar qu’il vit tout éveillé.
A Paris ou à Rome, les hôtels se ressemblent, les chambres sont toutes les mêmes. Arnaud appelle Amandine sur son téléphone, elle ne s’aperçoit de rien.
- Bonsoir ma chérie, dit-il en essayant de rester naturel.
- Bonsoir mon amour. J’attendais ton appel, tu as fait bon voyage.
- Sans problème. Un peu secoué au-dessus des alpes, mais tout va bien.
- Tu ne te sens pas trop seul ? Tu me manques déjà.
- Tu me manques aussi. Je vois que tu es prête à aller te coucher, tu as mis ta belle nuisette.
- C’est pour toi mon amour, dit-elle en s’éloignant un peu de son écran pour lui permettre de voir sa poitrine en transparence.
- Tu es belle.
- Bonne nuit mon chéri.
Arnaud serre les poings de rage, quelle perfidie ! Son amant doit être dans la pièce, il doit la voir comme Arnaud la voit. Cette nuisette est pour lui, le « bonne nuit » est pour lui, « mon chéri » aussi.
Arnaud est abattu, il n’aurait jamais pu imaginer que sa femme… même si elle a juré l’aimer, c’est avec cet inconnu qu’elle va passer la nuit.
---oOo---
Trois jours après quand Arnaud rentre de Rome, il a la surprise de voir sa femme à l’aéroport. Elle est venue le chercher. Elle l’accueille avec un large sourire, en se jetant à son cou :
- Je n’ai pas pu attendre. Bonjour mon chéri, tu as fait bon voyage.
- C’est gentil d’être venue.
- Trois jours sans toi c’est trop long, dis-moi que tu ne repartiras plus si longtemps.
Arnaud ne sait plus quoi penser. A-t-elle des remords ? Se sent-elle coupable ? Veut-elle se faire pardonner ?
Dans la voiture qui les ramène chez eux, elle lui pose mille questions sur son voyage, son travail. Quand il lui demande ce qu’elle a fait, elle répond simplement qu’elle s’est ennuyée sans lui. Elle a fait du ménage, des courses. Elle l’a attendu comme une parfaite petite épouse.
La table est mise, un bouquet de fleurs, un repas fin commandé chez le traiteur. Tandis qu’Arnaud prépare l‘apéritif, elle va se changer et revient avec la nuisette vue il y a trois jours :
- Alors, elle te plaît mieux en vrai ?
Il ne sait que répondre, comment ose-t-elle ? Il décide de faire comme s’il ne savait rien. Le repas attendra, il la prend dans les bras et la porte dans leur chambre comme une jeune mariée. Sa nuisette vole sur le tapis, Amandine le déshabille en un tour de main.
Allongé sur leur lit, Arnaud se demande si l’autre a dormi dans leur lit, s’ils ont fait l’amour ici, ou dans la chambre d’amis. Il faudra qu’il aille voir, mais pas maintenant. Amandine dépose des baisers sur ses lèvres, sur son corps, descend le long de son ventre et entame une fellation comme elle en a l’habitude. Comme elle aime. Comme il aime. Comme l’autre a dû aimer.
Arnaud la prend avec fougue, peut-être plus violemment que d’habitude. Un cri, elle jouit entre ses bras. L’autre la faisait-elle autant jouir ? Plus ? Est-elle en train de comparer ?
Arnaud veut oublier, oublier ce qu’il a vu, oublier ces trois jours. Amandine est avec lui, il a tellement eu peur de la perdre.
L’amour ça creuse, il est temps d’honorer le traiteur. Dans son assiette une enveloppe, la publicité d’un hôtel sur la côte basque, ils y ont d’agréables souvenirs :
- Mais…
- Tu me dois trois jours d’amour, tu m’avais abandonné, dit-elle en se lovant contre lui.
Ce weekend improvisé est une seconde lune de miel. Se sent-elle coupable ou veut-elle donner le change ?
La vie reprend son cours. Amandine revoit-elle cet inconnu ? Arnaud guette le moindre signe de sa tromperie. Aucun changement dans ses habitudes, elle ne rentre pas plus tard le soir. Il espionne son téléphone, pas de SMS à double sens, son ordinateur, aucun message suspect dans sa boite mail. Pas de migraines pour échapper à ses étreintes, bien au contraire, son désir pour lui est toujours le même.
Arnaud se prend à espérer. Il n’est peut-être resté qu’une seule nuit ? Une nuit d’adieu ? Il a envie de croire que c’est fini, mais pourquoi aujourd’hui s’est-elle renseignée sur son prochain déplacement ?
Il veut en avoir le cœur net. Il invente un voyage de deux jours, pour la surveiller, la surprendre une nouvelle fois.
Après les effusions d’usage en quittant son domicile, il ne va pas très loin. Demi-tour, et la peur au ventre, il revient faire le guet à côté de chez lui, sa voiture cachée dans un parking d’où il a une vue parfaite sur l’entrée de son immeuble. La dernière fois, son amant était chez eux deux heures après son départ, va-t-il le voir arriver ?
Amandine sort faire des courses. Une heure après, elle revient seule les bras chargés, et part à son travail. Même planque devant son bureau, rien… A moins de baiser dans les toilettes avec un collègue, ce qu’Arnaud n’imagine même pas. Le soir, retour au domicile conjugal, pas de voitures inconnues, ni de visites nocturnes. Cette fois, il l’appelle au téléphone. Elle s’apprête à passer une soirée bien tranquille, elle lui redit son amour, sa tristesse d’être seule. Il se sent bête de surveiller sa femme, sa propre maison, pourtant il passe la nuit dans sa voiture, attentif au moindre mouvement. Rien ne bouge.
Le lendemain, il doit se rendre à l’évidence, il n’est pas venu. C’est à n’y rien comprendre. Il poursuit sa surveillance inutile toute la journée, et ne rentre que le soir. Amandine l’accueille à bras ouverts, toujours aussi contente de le retrouver.
La joie au cœur, il lui fait l’amour avec tendresse, répondant à son désir.
---oOo---
Toujours pas très rassuré, Arnaud limite ses déplacements. Il constate qu’Amandine n’a matériellement pas le temps de rencontrer un autre homme, ça le rassure. Et toutes les nuits, en s’endormant dans les bras l’un de l’autre, il essaie d’oublier, de se persuader qu’il a rêvé.
Dans la matinée, alors qu’il travaille sur un dossier important avec ses collaborateurs, son téléphone sonne, Arnaud n’a pas le temps de décrocher, la sonnerie s’arrête au bout de trois bips. Un coup d’œil, c’est Amandine qui cherche à le joindre, il se promet de la rappeler.
Deux heures après, nouveau coup de fil, c’est le commissariat de police. Amandine a eu un accident. Arnaud fonce à l’hôpital, il a juste le temps de la prendre dans ses bras, elle murmure « pardon » avant de rendre son dernier soupir. Il l’embrasse, les yeux pleins de larmes.
Le procès-verbal de police mentionne qu’elle était seule dans sa voiture. Elle roulait un peu vite, et avait son téléphone à la main. La voiture a dérapé dans un virage. Arnaud repense à son appel. Seul témoin, le fermier dans son champ qui est accouru et a alerté les gendarmes en voyant la voiture se renverser. Un accident de route comme il y en a tant.
---oOo---
Entouré de sa famille, de ses amis, des collègues d’Amandine, Arnaud suit le cercueil qui va être descendu dans le caveau familial. Tout à coup, il reconnaît l’amant de sa femme, il ne l’a vu qu’une fois, mais son visage est gravé dans sa mémoire. Une jeune femme l’accompagne.
La cérémonie terminée, la longue file des personnes présentes vient dire un mot de soutien à la famille, à Arnaud et aux parents d’Amandine.
Son amant s’approche, il se présente. Arnaud ne comprend pas son nom, ni qui il est, peut-être un ami ou un collègue de bureau. L’homme lui présente sa femme « Christine, mon épouse ». Après lui avoir serré la main et présenté ses condoléances de façon très protocolaire, il s’éloigne sous le regard intrigué d’Arnaud.
Dernier à venir lui parler, le patron d’Amandine s’approche d’Arnaud :
- Une grande perte pour nous tous… Je m’en veux, c’est moi qui lui ai demandé d’aller voir ce client en urgence. Elle a de suite accepté. Comme elle devait passer une nuit sur place, elle a voulu vous prévenir. Je lui ai proposé de le faire, mais vous la connaissez, elle m’a simplement dit « Pas de problème, je lui passerais un petit coup de fil en route ». J’aurais dû insister.
- Elle a essayé de me joindre… Un accident banal, personne n’aurait pu imaginer.
C’était ça son appel, pour le prévenir. Arnaud regrette de ne pas avoir décroché, il n’a pas pu entendre sa voix une dernière fois.
La tombe est couverte de fleurs, des bouquets, des couronnes. Arnaud a fait poser une petite plaque avec la simple inscription « à ma tendre épouse ».
---oOo---
Seul chez lui, Arnaud traîne sa douleur. Il passe tous les jours au cimetière, il pleure son amour perdu. Il parle à Amandine, lui raconte sa journée, lui dit qu’elle lui manque, qu’il lui pardonne, qu’il espère qu’elle a été heureuse avec cet autre. Il ne lui en veut plus.
Au fil des jours, les fleurs ont fané, les couronnes sont enlevées les unes après les autres par les employés du cimetière.
Seule reste une rose rouge, une simple rose posée au milieu de la pierre tombale. Étonnamment, cette fleur est encore fraîche, personne n’y a touché.
Le lendemain, Arnaud découvre une seconde rose, posée à côté de la première. Certainement un membre de la famille ? Le troisième jour, une troisième rose rouge. Intrigué, il décide d’arriver plus tôt pour surprendre celui qui continue de fleurir la tombe de sa femme.
C’est ainsi qu’il voit avec colère l’amant de sa femme déposer une nouvelle rose rouge sur la tombe, à côté des autres. Il ne peut le supporter, le symbole de cette rose est évident. Se peut-il que son amant l’aimait vraiment ? Pouvait-il l’aimer plus que lui ? Et Amandine, avait-elle des sentiments pour lui, malgré ce qu’il avait entendu ?
Une fois seul, Arnaud fonce vers la tombe et jette avec rage les fleurs à la poubelle.
Les jours suivants, il trouve tous les matins une nouvelle rose rouge qui finit comme les autres à la poubelle.
---oOo---
Quelques semaines plus tard, alors qu’il fait ses courses dans la grande surface de son quartier, Arnaud entend quelqu’un qui l’appelle :
- Bonjour, … Oh ! excusez-moi de vous aborder ainsi. Vous ne me reconnaissez pas ?
- Je ne vois pas. Vous me gênez, je suis désolé.
- Pardonnez-moi de vous aborder de la sorte, c’est cavalier. Je suis la femme de Benjamin, Benjamin Duval, nous nous sommes rencontrés à l’enterrement de votre épouse.
- Ah oui ça y est… Christine.
- Vous vous souvenez ?
- Oui bien sûr, vous habitez le quartier ?
Voulant en apprendre un peu plus sur son mari, Arnaud fait durer la conversation. De fil en aiguille, il invite Christine à prendre un verre à la cafétéria du centre. Chacun poussant son chariot, c’est à celui qui passera le plus rapidement en caisse. Ils se retrouvent en riant, la glace est rompue.
Ils se parlent, se font quelques confidences. Inconsolable, Arnaud raconte sa femme, un accident ridicule, la vitesse, les dangers du téléphone au volant. Christine est attendrie, elle veut le rassurer, lui redonner courage :
- Vous êtes jeune, vous pouvez encore refaire votre vie.
- C’était l’amour de ma vie.
- Il faudra pourtant tourner la page, un jour.
Il la remercie encore d’être venue à l’enterrement. Malgré son envie, il n’ose pas lui poser de questions sur son mari.
Le hasard fait bien les choses, ils se retrouvent plusieurs fois au centre commercial. Il aime la découvrir au détour d’une allée, la voir venir vers lui avec grâce, la voir sourire. Elle a ses habitudes, il sait quand elle fait ses courses. Il se cale sur le même horaire, la cherche dans les rayons.
Une fois, il a même osé lui dire que sa robe lui allait bien, qu’elle était jolie. De son côté, sans s’en rendre compte, Christine se fait belle pour aller faire ses courses.
Enfin, un jour, Arnaud se lance, il invite Christine à déjeuner. Elle accepte avec un grand sourire.
Au cours du repas, elle aussi se laisse aller aux confidences. Ça ne va pas dans son couple, son mari la délaisse. Arnaud en comprend la raison, mais il reste discret, c’est de l’histoire ancienne.
- Excusez-moi, je ne voudrais pas être indiscret, lui dit-il.
- Non, c’est moi. J’avais besoin de parler… Mon mari doit avoir une maîtresse.
- Mais non, c’est l’usure du couple. Pourquoi chercher plus loin.
- J’aimerais le quitter… La décision est difficile à prendre. Je repousse toujours, espérant qu’il changera, qu’il me reviendra. Il s’est détaché de moi. Petit à petit je me détache de lui. Nous continuons comme ça un peu par lâcheté. Un jour ce sera une évidence, on se quittera, ou lui voudra partir avec sa maîtresse, s’il en a une.
- …
- Si je vous disais.
- Oui ?
- Non, je n’ose pas.
Anxieux, Arnaud a peur d’entendre la vérité.
- Depuis six mois, mon mari a décidé de faire chambre à part. Il ne me touche plus.
- Oh ! Je suis désolé.
De moins en moins fortuites, les rencontres se succèdent au supermarché. Les déjeuners à la cafétéria deviennent une habitude. De confidences en confidences, ils apprécient lui d’évoquer sa femme disparue, elle son mari distant. Très vite, ils se découvrent des passions communes. Un après-midi, ils vont ensemble au musée découvrir la dernière exposition à la mode. Un soir, il hésite à lui proposer d’aller au cinéma, après un petit dîner amical.
- Mon mari ne s’apercevra même pas de mon absence. Lui dit-elle d’une voix lasse.
---oOo---
Les mois ont passé, Arnaud et Christine se voient régulièrement…ils apprécient ces moments d’échange, chacun dans son chagrin.
Le temps apaise les douleurs, mais Arnaud pense souvent à Amandine, à leur bonheur passé. Il l’aime toujours autant, même si parfois il lui arrive de la maudire de l’avoir trompé. Que lui reprochait-elle ? L’aimait-elle vraiment, comme elle le lui disait, comme elle le lui prouvait ? Il aurait dû lui parler, mais il avait tellement peur de la perdre. Maintenant, c’est trop tard, il ne saura jamais. Elle l’a trahi, elle lui a menti, pourquoi ? Il restera toute sa vie avec cette blessure.
Il passe moins souvent au cimetière, il y va de temps en temps par habitude. Il lui dit sa déception, son amour blessé. Aurait-il pu rester ensemble avec ce non-dit ? Il jette systématiquement les roses rouges qui continuent à être déposées, elles lui rappellent trop sa trahison.
Mais ce matin, en allant se recueillir sur sa tombe avant d’aller travailler, il a la surprise de ne trouver aucune fleur sur la pierre nue. Deux jours, trois jours, il faut se rendre à l’évidence, plus de rose rouge, son amant s’est lassé. L’a-t-il déjà oubliée ? Arnaud est presque déçu, c’est ça son grand amour ?
En rentrant chez lui, il trouve dans sa boite aux lettres, un faire-part. Intrigué, il ouvre fébrilement l’enveloppe cerclée de noir.
« Madame Christine Duval
Sa famille et ses amis,
Ont la douleur de vous faire part du décès de
Monsieur Benjamin Duval
…
La cérémonie aura lieu … »
Benjamin Duval, mort ? Que s’est-il passé ? Plus satisfait que peiné, il pense même « Tant mieux pour ce salaud qui baisait ma femme ».
Il n’a pas vu Christine depuis une bonne semaine, il comprend son absence. Par amitié, il décide d’assister à la cérémonie, pour la revoir.
Au cimetière, Arnaud regarde Christine entourée de sa famille, elle semble un peu perdue. Il la trouve très belle toute en noir, le deuil lui va si bien. Il lui sourit, elle lui renvoie son sourire.
L’ambiance du lieu, qui n’a pas pleuré dans un cimetière, Christine ne fait pas exception. Malgré les mois difficiles qu’elle vient de passer avec son mari, c’est son mari tout de même, elle se souvient des jours heureux. Ne rien laisser paraître de ses sentiments, elle pleure plus sur son passé que sur le départ brusque de son mari. Triste, mais soulagée, libérée même.
Alors qu’Arnaud lui présente ses condoléances en lui faisant une bise plus qu’il ne lui fait l’accolade réglementaire, elle murmure d’une petite voix, sans se soucier du mal qu’elle pourrait lui faire :
- Benjamin m’a tout avoué le soir de l’enterrement de votre femme. Il l’aimait plus qu’il ne m’a jamais aimé. Ils se sont retrouvés maintenant.
- Vous saviez ? … Je savais aussi.
Leurs regards se croisent, ils se comprennent unis dans la même trahison.
La famille et les amis sont invités à prendre un verre au domicile des parents du défunt, une grande maison à la sortie de la ville. Arnaud se sent en trop, il préfère rentrer chez lui. Au moment de partir, c’est Christine qui lui demande de rester avec elle.
Tout le monde rejoint son véhicule sans un mot, la tête baissée comme pour ne pas déranger les morts. Il faut se presser des nuages s’amoncellent, un orage menace.
Un verre à la main, chacun discute à voix basse avec son voisin, attendant le bon moment pour prendre congé. Christine raconte à Arnaud sa vie ces derniers jours, lui seul doit savoir, lui seul peut comprendre. Déprimé, son mari ne lui parlait plus.
Ses yeux sont secs. Elle lui montre le rapport de police de l’accident de son mari. Un accident de voiture sur la même route que celui d’Amandine. La route était droite à cet endroit, il faisait beau, il n’y a pas eu de défaillance technique du véhicule. Accident incompréhensible, le rapport de police n’exclut pas que l’accident ait pu être intentionnel. Aucun témoin ne peut confirmer cette hypothèse.
Sans ajouter le moindre commentaire, Arnaud rend le document à Christine, et part s’isoler. Il a la réponse à la question qui le taraude depuis de longs mois, depuis le jour où il les a surpris. Il se souvient de leur discussion, des mots d’Amandine. Il se souvient des confidences de Christine. Résigné, Benjamin a dû accepter de ne plus la revoir. Est-il possible qu’il n’ait pas supporté leur séparation ?
Ne voulant pas jouer la comédie plus longtemps, d’entendre autant de louanges de son mari, Christine prétexte une grande fatigue, bien compréhensible, pour excuser son départ précipité.
Arnaud s’approche d’elle, la prend amicalement par le bras :
- Christine, permettez-moi de vous raccompagner.
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9 avis des lecteurs et lectrices après lecture : Les auteurs apprécient les commentaires de leurs lecteurs
Les avis des lecteurs
Bien raconté, dommage que ces 2 couples ne se soient pas rencontrés de leur vivant, ils
auraient pu faire de l'échangisme ou carrément inverser les couples
auraient pu faire de l'échangisme ou carrément inverser les couples
Bien raconté, dommage que ces 2 couples ne se soient pas rencontrés de leur vivant, ils
auraient pu faire de l'échangisme ou carrément inverser les couples
auraient pu faire de l'échangisme ou carrément inverser les couples
Encore une belle histoire que nous a conté PP06.
Une histoire dure, des sentiments ambigus.
Le tout s’articule pour donner un récit tragique.
Le tout s’articule pour donner un récit tragique.
Dur et triste, certains pourront dire que le Karma a fait son job. J'ai bien aimé la
tournure même s'il préfère ne rien dire de peur de la perdre. Je ne dis pas qu'il faut
forcement pardonner ou quitter l'autre mais le silence est trop douloureux. Un bon récit
une fois de plus
tournure même s'il préfère ne rien dire de peur de la perdre. Je ne dis pas qu'il faut
forcement pardonner ou quitter l'autre mais le silence est trop douloureux. Un bon récit
une fois de plus
Une histoire belle et tragique, où ceux qui ont trahi et les victimes se retrouvent.
Merci Patrick pour ce texte si fort et si douloureux
Merci Patrick pour ce texte si fort et si douloureux
J’ai lu avec plaisir cette histoire
Merci
Je vais chercher d’autres textes de vous pour les lire
Merci
Je vais chercher d’autres textes de vous pour les lire
C'est toujours un réel plaisir de vous lire.
Encore un histoire touchante. On ne commande pas ses sentiments...
Encore un histoire touchante. On ne commande pas ses sentiments...
Une bonne fin, chaque conjoint trahis se retrouvant avec quelqu'un de bien plus méritant et
les aimant réellement.
les aimant réellement.